PREMIÈRE LECTURE – Livre du Premier Livre des Rois 17, 17-24
En ces jours-là,
17 le fils de la femme chez qui habitait le prophète Élie
tomba malade ;
le mal fut si violent que l’enfant expira.
18 Alors la femme dit à Élie :
« Que me veux-tu, homme de Dieu ?
Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes
et faire mourir mon fils ! »
19 Élie répondit :
« Donne-moi ton fils ! »
Il le prit des bras de sa mère,
le porta dans sa chambre en haut de la maison
et l’étendit sur son lit.
20 Puis il invoqua le SEIGNEUR :
« SEIGNEUR, mon Dieu,
cette veuve chez qui je loge,
lui veux-tu du mal jusqu’à faire mourir son fils ? »
21 Par trois fois, il s’étendit sur l’enfant
en invoquant le SEIGNEUR :
« SEIGNEUR, mon Dieu, je t’en supplie,
rends la vie à cet enfant ! »
22 Le SEIGNEUR entendit la prière d’Élie ;
le souffle de l’enfant revint en lui :
il était vivant !
23 Élie prit alors l’enfant,
de sa chambre il le descendit dans la maison,
le remit à sa mère et dit :
« Regarde, ton fils est vivant ! »
24 La femme lui répondit :
« Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu,
et que, dans ta bouche, la parole du SEIGNEUR est véridique. »
Ceci se passe à Sarepta, sur la côte méditerranéenne, là où à l’occasion d’une grande sécheresse qui sévissait en Israël, Élie a trouvé refuge auprès d’une veuve pauvre ; il avait déjà, rappelez-vous, accompli pour elle et son fils un premier miracle : tout au long de la période de famine, les maigres réserves de farine et d’huile de la famille n’avaient pas baissé et la femme avait pu se nourrir ainsi que son fils et le prophète étranger qu’elle avait accepté d’accueillir sous son toit. Mais à quoi bon multiplier la nourriture si c’est pour mourir tout de même ? Pendant que le prophète habitait chez la veuve de Sarepta, voici que son fils tombe malade et meurt. Or, dans la mentalité de l’époque, une mort prématurée était forcément considérée comme un châtiment. Si la veuve avait perdu son mari, déjà, sans nul doute, elle était coupable, même sans le savoir ; la mort de son fils venait confirmer le verdict. C’est donc tout naturellement qu’elle dit à Élie : « Tu es venu chez moi pour rappeler mes fautes et faire mourir mon fils ! »
Dans sa douleur, elle emploie même une formule particulièrement dure : littéralement « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? » Petite phrase que nous connaissons bien, puisque Jésus lui-même l’a adressée à sa mère lors des noces de Cana. La traduction donnée dans notre lecture « Que me veux-tu, homme de Dieu ? » rend assez bien la révolte de la femme qui attribue à la présence d’Élie la mort de l’enfant. Cette idée que Dieu pourrait en vouloir à notre vie nous effleure parfois, peut-être ; la suite du texte prouve au contraire, que l’œuvre de Dieu est une œuvre de vie et de guérison. Aussi, en rendant la vie au fils de la veuve, Élie accomplit-il beaucoup plus qu’une guérison physique : il ouvre la femme à la vérité. Désormais elle saura que la mort n’est pas un châtiment ; elle saura aussi que Dieu est le Dieu de la vie. Cette païenne vient d’être libérée de ses fausses idées sur Dieu !
L’auteur du livre des Rois, quant à lui, poursuit un projet bien précis quand, des siècles après les événements, il donne cette histoire à méditer à ses contemporains : car la veuve de Sarepta est une païenne, par hypothèse ; or elle sait reconnaître l’envoyé de Dieu et elle sait reconnaître Dieu à l’œuvre à travers lui.
Pendant ce temps, le peuple élu, bénéficiaire de tant de prédication prophétique depuis si longtemps, oublie son Dieu et méconnaît Élie, son prophète. Car ceci se passe, rappelez-vous, sur fond d’idolâtrie : la reine Jézabel a entraîné le peuple dans le culte des Baals ; c’est bien le monde à l’envers : le peuple élu abandonnant l’Alliance et des païens devenus capables de reconnaître le vrai Dieu. À bon entendeur salut, semble nous dire l’auteur. Il en profite pour délivrer également un autre message qui devient de plus en plus insistant au fur et à mesure que progresse la découverte des hommes de la Bible : Dieu ne réserve pas ses bienfaits au seul peuple d’Israël, toute l’humanité est appelée à en bénéficier. « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » avait dit Dieu à Abraham (Gn 12, 3). Et depuis la révélation du buisson ardent, on sait que, partout sur toute la terre, Dieu entend les cris, Dieu voit les larmes des veuves et des orphelins ; et il envoie ses prophètes pour les soulager.
Quelques siècles plus tard, Jésus aura encore besoin de rappeler cette leçon à ses contemporains : un matin de shabbat à la synagogue de Nazareth, ils l’ont entendu affirmer : « Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie. En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Élie, quand le ciel fut fermé (il ne plut pas) trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays ; pourtant ce ne fut à aucune d’entre elles qu’Élie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta. » Les lecteurs du livre des Rois, les auditeurs de Jésus avaient, il faut le croire, du mal à l’admettre ! Ils ont peut-être d’autant plus de mal que cette pauvre veuve, bien humble, qui n’a bénéficié d’aucun catéchisme, se permet de leur donner la véritable définition du prophète : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que, dans ta bouche, la parole du Seigneur est véridique. » À un moment, précisément, où les prophètes n’avaient guère d’audience, le livre du Deutéronome avait justement insisté sur la gravité de ce refus d’écouter : « C’est un prophète comme toi (Moïse) que je leur susciterai du milieu de leurs frères ; je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Et si quelqu’un n’écoute pas mes paroles, celles que le prophète aura dites en mon nom, alors moi-même je lui en demanderai compte. » (Dt 18, 18-19). La méconnaissance des contemporains d’Elie, celle des contemporains de Jésus n’en apparaissent que plus clairement : Dieu parle par ses prophètes et personne ne les écoute.
Refrain connu : Élie lui-même, dans un de ses moments de découragement, s’en plaignait à Dieu : « Je suis passionné pour le Seigneur, le Dieu des puissances : les fils d’Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels et tué tes prophètes par l’épée ; je suis resté moi seul et l’on cherche à m’enlever la vie. » (1 R 19, 10).
Mais n’oublions pas qu’à cette plainte d’Élie, Dieu a répondu en lui faisant remarquer une présence qu’il avait peut-être tendance à sous-estimer : celle d’une multitude de croyants anonymes dont la foi n’avait pas chancelé. Réponse valable en tous temps : à plusieurs reprises, Jésus s’est émerveillé de la foi de ses interlocuteurs : à notre tour, il nous suffit peut-être d’ouvrir les yeux, nous ne sommes pas seuls, des croyants nous entourent.
PSAUME – (30), 3-4, 5-6ab, 6cd, 12-13
3 Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR,
mon Dieu, tu m’as guéri ;
4 SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.
5 Fêtez le SEIGNEUR, vous, ses fidèles,
rendez grâce en rappelant son nom très saint.
6 Sa colère ne dure qu’un instant,
sa bonté, toute la vie.
Avec le soir viennent les larmes,
mais au matin les cris de joie !
12 Tu as changé mon deuil en une danse,
mes habits funèbres en parure de joie !
13 Que mon cœur ne se taise pas,
qu’il soit en fête pour toi ;
et que sans fin, SEIGNEUR, mon Dieu,
je te rende grâce !
Le psaume 29/30 est très court, il ne comporte que treize versets (dont six seulement sont retenus par la liturgie de ce dimanche) ; mais il faut connaître l’histoire sous-jacente dans son entier pour mieux le comprendre ; la voici :
C’est l’histoire d’un homme qui est tombé au fond d’un puits : il a crié, supplié, appelé au secours… il donnait même des arguments pour qu’on lui vienne en aide (du genre je vous serais plus utile, vivant que mort !) ; apparemment, il y avait des gens qui n’étaient pas mécontents de le voir dans le trou et qui ricanaient… mais il continuait à appeler au secours : quelqu’un finirait bien par avoir pitié… et quelqu’un a entendu ses appels, quelqu’un est venu le délivrer, l’a tiré de là comme on dit. Ce « quelqu’un », il faut l’écrire avec une majuscule, c’est Dieu lui-même. Une fois en haut, revenu à la lumière et en quelque sorte à la vie, notre homme explose de joie ! « Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR, mon Dieu, tu m’as guéri ; SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse. Fêtez le SEIGNEUR, vous, ses fidèles, rendez grâce en rappelant son nom très saint. »
En réalité, comme toujours dans les psaumes, il y a deux niveaux de lecture : l’histoire qu’on nous raconte est celle d’un individu tombé dans un puits ; mais ce n’est qu’une parabole ; plus profondément, c’est le peuple tout entier qui parle, ou plutôt qui chante, qui explose de joie au retour de l’Exil à Babylone… comme il avait chanté, dansé, explosé de joie après le passage de la Mer Rouge. L’Exil à Babylone, c’est comme une chute mortelle dans un puits sans fond, dans un gouffre… et nombreux sont ceux qui ont pensé qu’Israël ne s’en relèverait pas. Au sein même du peuple, on a pu être pris de désespoir… Et il y en a eu des ennemis, pas mécontents, qui riaient bien de cette déchéance…
Pendant toute cette période d’épreuve, le peuple soutenu par ses prêtres, ses prophètes, a gardé espoir malgré tout et force pour appeler au secours (malheureusement, nous n’entendons pas ces versets ce dimanche) : « J’ai crié vers toi, SEIGNEUR, j’ai supplié mon Dieu… Écoute, SEIGNEUR, pitié pour moi ! SEIGNEUR, viens à mon aide !… » (versets 9 et 11). Dans sa prière, il n’hésitait pas à employer tous les arguments, par exemple du genre « tu seras bien avancé quand je serai mort »… parce que, quand ce psaume a été écrit, on ne croyait pas en la Résurrection : on imaginait que les morts étaient dans un séjour d’ombre, le « shéol » où il ne se passe rien. Alors on disait à Dieu : « À quoi te servirait mon sang (c’est-à-dire ma vie) si je descendais dans la tombe ? La poussière peut-elle te rendre grâce et proclamer ta fidélité ? » (verset 10).
Et le miracle s’est produit : Dieu a sauvé son peuple : « Quand j’ai crié vers toi, SEIGNEUR, mon Dieu, tu m’as guéri ; SEIGNEUR, tu m’as fait remonter de l’abîme et revivre quand je descendais à la fosse… » C’est la restauration du peuple exilé, son retour au pays qui est dit en termes très imagés : car le peuple était comme un condamné à mort, on le croyait bien rayé de la carte ; quand il rentre, on peut le prendre pour un revenant.
Quand nous lisons ces versets, aujourd’hui, après vingt siècles de foi chrétienne, nous sommes tentés d’y lire une allusion à la Résurrection. Mais ce serait un anachronisme. À l’époque du retour d’Exil, on ne pensait pas encore à la possibilité d’une résurrection individuelle. D’autres textes bibliques, la vision d’Ézéchiel des ossements desséchés, par exemple, sont écrits dans le même esprit : la restauration du peuple, le retour d’exil est décrit en termes de résurrection.
La phrase « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie »… ne s’applique donc pas à un individu particulier, c’est le peuple qui parle ici ; il sait qu’il ne peut mourir puisque Dieu a conclu avec lui une Alliance éternelle.
Plus tard, beaucoup plus tard, au deuxième siècle av. J.-C. (vers 165) quand la foi biblique aura franchi le pas décisif et accueilli la révélation de la foi en la résurrection, ces textes seront relus et on leur découvrira une profondeur nouvelle. Aujourd’hui, quand nous lisons ce psaume ou bien la prophétie des ossements desséchés d’Ezéchiel, nous nous disons « quand ces auteurs employaient des images de résurrection, ils ne pensaient qu’au peuple, mais ils ne croyaient pas si bien dire : ces images sont vraies aussi au plan individuel. »
Désormais, pour tous ceux qui croient à la résurrection, Juifs et Chrétiens, cette phrase (« Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie ») a pris un sens nouveau. On pourrait en dire autant de bien d’autres phrases de la Bible qui prennent un sens nouveau, au fur et à mesure de l’avancée de la foi juive au long des siècles.
On peut en dire autant également du mot « Alleluia »… À l’origine il traduisait seulement la joie et l’allégresse de la sortie d’Égypte, ce qui était déjà considérable. Voici le commentaire des rabbins sur « l’Alleluia » : « Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la Rédemption. C’est pourquoi chantons devant lui l’Alleluia ! » Évidemment, aujourd’hui, nous pouvons le chanter avec plus de conviction encore en pensant à la résurrection du Christ et à la nôtre.
Je reviens à notre psaume : il y a la joie, certes, et c’est celle du retour d’exil, on l’a vu. Mais il y a également beaucoup d’allusions à la période terrible et cette expression étonnante : « Sa colère ne dure qu’un instant ». De quelle colère s’agit-il ? Celle de Dieu, bien sûr. Pendant l’Exil à Babylone, on a eu tout loisir de méditer sur les diverses causes possibles de ce drame ; et on s’est demandé si le malheur du peuple n’avait pas été la conséquence de ses péchés.
(Aujourd’hui, on sait mieux que Dieu ne connaît pas la colère, mais il respecte notre liberté et les conséquences de nos actes.)
La seule solution pour ne pas retomber, on le sait bien, c’est de vivre désormais dans la fidélité à L’Alliance : « Que sans fin, SEIGNEUR, mon Dieu, je te rende grâce ! »
DEUXIÈME LECTURE – Lettre de saint Paul apôtre aux Galates 1, 11-19
11 Frères, je tiens à ce que vous le sachiez,
l’Évangile que j’ai proclamé
n’est pas une invention humaine.
12 Ce n’est pas non plus d’un homme
que je l’ai reçu ou appris,
mais par révélation de Jésus Christ.
13 Vous avez entendu parler
du comportement que j’avais autrefois dans le judaïsme :
je menais une persécution effrénée contre l’Église de Dieu,
et je cherchais à la détruire.
14 J’allais plus loin dans le judaïsme
que la plupart de mes frères de race qui avaient mon âge,
et, plus que les autres, je défendais avec une ardeur jalouse
les traditions de mes pères.
15 Mais Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère ;
dans sa grâce, il m’a appelé ;
16 et il a trouvé bon
de révéler en moi son Fils,
pour que je l’annonce parmi les nations païennes.
Aussitôt, sans prendre l’avis de personne,
17 sans même monter à Jérusalem
pour y rencontrer ceux qui étaient Apôtres avant moi,
je suis parti pour l’Arabie
et, de là, je suis retourné à Damas.
18 Puis, trois ans après,
je suis monté à Jérusalem
pour faire la connaissance de Pierre,
et je suis resté quinze jours auprès de lui.
19 Je n’ai vu aucun des autres Apôtres
sauf Jacques, le frère du Seigneur.
Paul défend ici ce que ses adversaires mettaient en question : son autorité d’apôtre, l’authenticité de son message ; on lui reproche de ne pas faire partie du cercle des Apôtres choisis par Jésus au cours de sa vie terrestre. C’est bien vrai, reconnaît-il, mais sa légitimité vient d’ailleurs ! Il a été choisi par Jésus ressuscité lui-même au cours de ce qu’on appelle parfois sa « conversion » sur le chemin de Damas. Il juge donc que le meilleur moyen de convaincre ses lecteurs est de raconter sa vocation et ses débuts ; rien ne préparait ce Juif fervent et convaincu à porter aux païens l’Évangile de Jésus Christ : celui-ci n’était alors à ses yeux qu’un faux Messie qui ne pouvait que tromper le peuple ; l’exécution de Jésus avait donc été parfaitement légitime et il fallait désormais empêcher que sa doctrine se répande. Très logiquement, pour la gloire de Dieu et la fierté de son peuple, Paul mettait toute sa hargne à « ravager l’Église » : la profondeur de ses convictions justifiait le zèle qu’il déployait à traquer les Chrétiens.
Paul compare d’ailleurs son action à celle des fameux Zélotes qui défendaient la pureté de la foi juive en pourfendant ceux qu’ils considéraient comme trop tièdes. On racontait volontiers en Israël les saintes colères de Juifs pieux contre les coupables d’actes d’idolâtrie : la lapidation des fautifs n’était pas un lynchage dans ce cas, elle était une juste sanction, un acte religieux. L’exécution d’Étienne s’inscrit dans ce cadre : il s’agissait d’exclure à tout jamais de la communauté juive un apostat. « Vous avez certainement entendu parler de l’activité que j’avais dans le Judaïsme ; je menais une persécution effrénée contre l’Église de Dieu, et je cherchais à la détruire. J’allais plus loin dans le Judaïsme que la plupart des gens de mon peuple qui avaient mon âge, et, plus que les autres, je défendais avec une ardeur jalouse les traditions de mes pères. »
Et voici qu’au plus fort de l’opposition de Paul à la secte des Chrétiens, intervient le coup de foudre du chemin de Damas : « Mais Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère, dans sa grâce il m’avait appelé, et, un jour, il a trouvé bon de mettre en moi la révélation de son fils. » Le mot « révélation » est très important ici : il ne s’agit pas à proprement parler d’une conversion ! Paul ne cesse pas d’être juif ; au contraire il découvre que le Messie attendu par les Juifs n’est autre que ce Jésus qu’il a jusqu’ici rejeté.
Cette révélation accordée par Dieu est bien la meilleure recommandation qui soit ; pas besoin donc d’avoir d’autres autorisations émanant des apôtres : « Frères, il faut que vous le sachiez : l’Évangile que je proclame n’est pas une invention humaine. Ce n’est pas non plus un homme qui me l’a transmis ou enseigné : mon Évangile vient d’une révélation de Jésus Christ. » Paul n’a donc pas jugé utile d’aller chercher des autorisations de prêcher auprès des apôtres de Jésus. D’ailleurs aurait-il été bien reçu ? Il préférait peut-être faire ses preuves de nouveau missionnaire de Jésus-Christ avant de se montrer à ceux qu’il avait jusqu’ici traités en ennemis : « Aussitôt (après la révélation du chemin de Damas), sans prendre l’avis de personne, sans même monter à Jérusalem pour y rencontrer ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l’Arabie ; de là je suis revenu à Damas. »
Plusieurs années plus tard, seulement, il s’est rendu à Jérusalem : « Puis, au bout de trois ans, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Pierre, et je suis resté quinze jours avec lui. Je n’ai vu aucun des autres apôtres sauf Jacques, le frère du Seigneur. » Cette fois, Paul était précédé par la rumeur de son activité missionnaire.
On ne peut pas savoir quand il a pris conscience d’avoir une mission toute particulière auprès des païens ; dans un premier temps, il a certainement d’abord cherché à convaincre ses frères juifs ; on en a la preuve dans les Actes des Apôtres ; c’était la logique même de l’élection d’Israël : ce peuple avait été choisi par Dieu pour être le premier bénéficiaire de la Révélation, à charge pour lui d’en témoigner ensuite auprès de toutes les nations. Paul demeuré juif, même après Damas, a voulu faire bénéficier ses frères juifs de la révélation qu’il venait d’avoir. Mais ses échecs successifs auprès d’eux l’ont amené à se tourner de plus en plus vers les païens ; et, relisant plus tard son histoire, l’évidence lui apparaît : « Dieu a trouvé bon de mettre en moi la révélation de son fils, pour que moi, je l’annonce parmi les nations païennes. » Il a certainement en mémoire les paroles du prophète Jérémie : « La parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : Avant de te façonner dans le sein de ta mère, avant que tu ne sortes de son ventre, je te connaissais ; je t’ai consacré ; j’ai fait de toi un prophète pour les nations. » (Jr 1, 4-5) ; le prophète Isaïe, quelque temps plus tard, pendant l’Exil à Babylone, avait appliqué ces paroles de Jérémie à celui qu’il appelait le Serviteur de Dieu : « Le SEIGNEUR a parlé, lui qui m’a formé dès le sein de ma mère pour être son serviteur… Il m’a dit : C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur en relevant les tribus de Jacob… Je t’ai destiné à être la lumière des nations, afin que mon salut soit présent jusqu’à l’extrémité de la terre. » (Is 49, 5-6). Paul, fils d’Israël, a tout au long de sa vie cherché à répondre à cette vocation de serviteur.
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Compléments
– « Sans prendre l’avis de personne » (verset 16) : littéralement « sans avoir recours à la chair et au sang ».
– Le récit du recrutement de Matthias (Ac 1, 21) prouve que, pour certains, l’appartenance au collège apostolique exigeait certaines conditions bien précises auxquelles ne répond pas Paul, justement.
ÉVANGILE – selon saint Luc 7, 11 – 17
En ce temps-là,
11 Jésus se rendit dans une ville appelée Naïm.
Ses disciples faisaient route avec lui,
ainsi qu’une grande foule.
12 Il arriva près de la porte de la ville
au moment où l’on emportait un mort pour l’enterrer ;
c’était un fils unique, et sa mère était veuve.
Une foule importante de la ville accompagnait cette femme.
13 Voyant celle-ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle
et lui dit :
« Ne pleure pas. »
14 Il s’approcha et toucha le cercueil ;
les porteurs s’arrêtèrent,
et Jésus dit :
« Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. »
15 Alors le mort se redressa
et se mit à parler.
Et Jésus le rendit à sa mère.
16 La crainte s’empara de tous,
et ils rendaient gloire à Dieu en disant :
« Un grand prophète s’est levé parmi nous,
et Dieu a visité son peuple. »
17 Et cette parole sur Jésus se répandit
dans la Judée entière et dans toute la région.
Naïm1 est un village de Galilée, à huit kilomètres de Nazareth ; Shounem, où le prophète Élisée, lui aussi, avait ressuscité un enfant, n’est pas bien loin (sur l’autre versant de la même colline, 2 R 4, 8). Luc s’en souvient certainement ; mais en racontant le miracle accompli par Jésus à Naïm, Luc, il a plutôt voulu suggérer, semble-t-il, un rapprochement avec la résurrection accomplie par Élie en faveur du fils de la veuve de Sarepta (bien loin d’ici, pour le coup, dans le pays de Tyr et de Sidon ; voir supra, notre première lecture) ; visiblement, il a volontairement choisi son vocabulaire et l’articulation de son récit dans ce but : le mort est le fils unique d’une veuve, le miracle se déroule à la porte de la ville, le ressuscité est « rendu à sa mère », l’auteur du miracle est acclamé comme prophète. On sait que la figure d’Élie compte beaucoup pour Luc ; à de multiples reprises au long de son évangile, il propose le parallèle avec Jésus.
En même temps, Luc veut nous faire comprendre qu’une étape décisive est franchie avec Jésus-Christ : s’il agit bien dans la ligne des grands prophètes de l’Ancien Testament, en particulier Élie et Élisée, il les dépasse infiniment ; sa mission est en effet décrite dans des termes sans équivoque dans le passage qui suit juste celui-ci : quand Jean-Baptiste, emprisonné par Hérode (Lc 3, 19), envoie des disciples à Jésus pour lui poser la question de confiance : « Es-tu ‘Celui qui vient’ (sous-entendu le Messie) ou devons-nous en attendre un autre ? » (Lc 7, 19), Jésus répond : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Lc 7, 22). C’était exactement dans ces termes-là qu’on parlait habituellement du salut qu’apporterait le Messie. Faisant suite à la guérison de l’esclave du centurion (Luc 7, 1-10), la résurrection du fils de la veuve de Naïm est donc bien la preuve que les temps messianiques ont commencé et que Jésus est bien « Celui qui vient ». D’ailleurs, Luc lui donne ici le titre de « Seigneur », celui que les premiers Chrétiens décernaient à Jésus-Christ depuis sa résurrection : « En la voyant (la mère du jeune homme), le Seigneur fut saisi de pitié pour elle ». (N’oublions pas que c’est également le nom même de Dieu dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, la Septante).
Et ce court récit donne en quelques lignes le double témoignage de la puissance et de la tendresse de Dieu : le « Seigneur », c’est le maître de la vie, c’est aussi le Dieu de tendresse et de pitié, si souvent révélé dans l’Ancien Testament. Pour dire l’émotion de Jésus, Luc a choisi un mot très fort qui signifie « remué jusqu’aux entrailles ». On ne s’en étonne pas quand on sait la tendresse toute particulière de Dieu pour les veuves et pour tous ceux qui pleurent : « Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur les joues de Dieu ? », comme dit Ben Sirac (Si 35, 18). Les assistants ne s’y sont pas trompés : ils sont saisis de cette crainte qu’inspire la Présence de Dieu : « La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu. » Ils disaient : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. »
Encore un mot cher à Luc, la « visite » de Dieu : c’est le cri de Zacharie, par exemple, après la naissance de Jean-Baptiste : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, parce qu’il a visité son peuple, accompli sa libération, et nous a suscité une force de salut dans la famille de David, son serviteur… C’est l’effet de la bonté profonde de notre Dieu : grâce à elle nous a visités l’astre levant venu d’en haut. Il est apparu à ceux qui se trouvent dans les ténèbres et l’ombre de la mort. » (Lc 1, 68. 78-79).
Luc reprend là un thème fréquent dans l’Ancien Testament où ce mot de « visiter » qualifie toujours une intervention salvatrice de Dieu ; Judith par exemple annonce à ses compatriotes : « Le Seigneur visitera (sauvera) Israël par mon entremise. » (Jdt 8, 33) ; et le prophète Zacharie annonçait : « Le SEIGNEUR, le tout-puissant, visitera son troupeau – la maison de Juda. » (Za 10, 3). Pour bien préciser que cette annonce du prophète est ici accomplie par Jésus, Luc dit : « Cette parole se répandit dans toute la Judée et dans toute la région. »
Nous qui avons la chance d’être deux mille ans plus tard, nous savons une chose : par la Résurrection de Jésus lui-même, le SEIGNEUR, le tout-puissant, a visité non seulement son troupeau, la maison de Juda, mais l’humanité tout entière. Et c’est Luc justement qui nous rapporte le chant de Syméon : « Mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour la révélation aux païens et gloire d’Israël ton peuple. » (Lc 2, 30).
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Note
1 – La tradition latine l’appelle Naïm, mais dans la plupart des manuscrits on lit « Naïn ».
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