
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
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donnant des explications historiques ;
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donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "" ; je consacre une page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
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décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)
PREMIERE LECTURE - Exode 3, 1-8a. 10. 13-15
1 Moïse gardait le troupeau de son beau-père Jéthro,prêtre de Madiane.
Il mena le troupeau au-delà du désert
et parvint à l'Horeb, la montagne de Dieu.
2 L'Ange du Seigneur lui apparut au milieu d'un feu
qui sortait d'un buisson.
Moïse regarda : le buisson brûlait
sans se consumer.
3 Moïse se dit alors :
« Je vais faire un détour
pour voir cette chose extraordinaire :
pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ? »
4 Le Seigneur vit qu'il avait fait un détour pour venir regarder,
et Dieu l'appela du milieu du buisson :
« Moïse ! Moïse ! »
Il dit : « Me voici ! »
5 Dieu dit alors :
« N'approche pas d'ici !
Retire tes sandales,
car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte !
6 Je suis le Dieu de ton père,
Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. »
Moïse se voila le visage
car il craignait de porter son regard sur Dieu.
7 Le Seigneur dit à Moïse :
« J'ai vu, oui, j'ai vu la misère de mon peuple
qui est en Egypte,
et j'ai entendu ses cris
sous les coups des chefs de corvée.
Oui, je connais ses souffrances.
8 Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens
et le faire monter de cette terre
vers une terre spacieuse et fertile,
vers une terre ruisselant de lait et de miel,
vers le pays de Canaan.
10 Et maintenant, va !
Je t'envoie chez Pharaon :
tu feras sortir d'Egypte mon peuple, les fils d'Israël. »
13 Moïse répondit :
« J'irai donc trouver les fils d'Israël, et je leur dirai :
Le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous.
Ils vont me demander quel est son nom ;
que leur répondrai-je ? »
14 Dieu dit à Moïse :
« Je suis celui qui suis.
Tu parleras ainsi aux fils d'Israël :
Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est JE-SUIS. »
15 Dieu dit encore à Moïse :
« Tu parleras ainsi aux fils d'Israël :
Celui qui m'a envoyé vers vous, c'est YHWH, c'est LE SEIGNEUR,
le Dieu de vos pères,
Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob.
C'est là mon nom pour toujours,
c'est le mémorial par lequel vous me célébrerez, d'âge en âge. »
Cette misère du peuple était bien réelle, effectivement. L'immigration des Hébreux avait eu lieu des siècles plus tôt, à l'occasion d'une famine, et au début les choses allaient bien ; mais au fil des siècles, ces Hébreux s'étaient multipliés et au moment de la naissance de Moïse, ils commençaient à inquiéter le pouvoir. On les gardait parce que c'était une main-d'oeuvre à bon marché, mais on venait de décider de les empêcher de se reproduire ; un bon moyen, tout bébé garçon serait tué par la sage-femme dès sa naissance. On sait comment Moïse avait échappé miraculeusement à cette mort programmée et comment il avait finalement été adopté par la fille du Pharaon et élevé à la cour. Mais il n'avait pas oublié ses origines : il était sans cesse écartelé entre sa famille adoptive et ses frères de race, réduits à l'impuissance et à la révolte. Un jour, il prit parti : témoin des violences des Egyptiens contre les Hébreux, il tua un Egyptien. Consciemment ou non, il venait de choisir son camp. Le lendemain, voyant deux Hébreux s'empoigner, il leur avait fait la morale ; mais il avait essuyé une fin de non-recevoir ; on l'avait accusé de se mêler de ce qui ne le regardait pas. Ce qui signifiait que personne n'était prêt à lui confier la responsabilité de mener une quelconque révolte contre le Pharaon. En même temps, il avait entendu dire que le Pharaon avait décidé de le châtier pour le meurtre de l'Egyptien. Finie la vie à la cour, il fut obligé de s'exiler pour échapper aux représailles. Il s'enfuit dans le désert du Sinaï, il y rencontra et épousa une Madianite, Cippora, la fille de Jéthro.
C'est là que commence notre texte d'aujourd'hui : « Moïse gardait le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à l'Horeb, la montagne de Dieu. » Moïse, est certainement à ce moment-là dans les meilleures conditions qui soient pour rencontrer Dieu et recevoir sa vocation : il est sensible à la misère de ses frères, puisqu'il a pris des risques pour s'engager à leurs côtés, en tuant un Egyptien pour sauver un Hébreu ; mais en même temps, il a pris la mesure de son impuissance : le seul geste qu'il ait osé est un échec ; il est un paria désormais, et même ses frères de race ne lui reconnaissent aucune autorité. C'est cet homme pauvre qui s'approche d'un étrange buisson en feu.
Je ferai deux remarques : tout d'abord, Dieu se révèle en même temps comme le Tout-Autre et comme le Tout-proche ; Il est le Tout-Autre, celui qu'on ne peut approcher qu'avec crainte et respect ET en même temps, il est le Tout Proche, celui qui voit la misère de son peuple et lui suscite un libérateur. Commençons par les expressions qui manifestent la sainteté de Dieu et l'immense respect de l'homme qui se trouve en sa présence : la phrase « L'Ange du Seigneur lui apparut au milieu d'un feu qui sortait d'un buisson », par exemple, est caractéristique ; pour dire la présence de Dieu lui-même dans le buisson, on prend une circonlocution ; l'expression « L'Ange du Seigneur » est une manière pudique de parler de Dieu. Ou encore, des expressions comme « N'approche pas d'ici ! Retire tes sandales, car le lieu que foulent tes pieds est une terre sainte ! » Ou enfin « Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. » En même temps, Dieu se révèle comme le Tout Proche des hommes, celui qui se penche sur leur malheur.
Deuxième remarque, il faut retenir l'articulation de l'intervention de Dieu. Il voit la souffrance des hommes, donc il intervient, donc il envoie Moïse : l'action de Dieu suppose la collaboration de celui que Dieu appelle.
...Encore faut-il que celui que Dieu appelle accepte de répondre à cet appel...
...Encore faut-il que celui qui souffre accepte d'être secouru.
PSAUME 102 ( 103 )
1 Bénis le Seigneur, ô mon âme,bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le Seigneur, ô mon âme,
n'oublie aucun de ses bienfaits !
3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d'amour et de tendresse.
6 Le Seigneur fait oeuvre de justice,
il défend le droit des opprimés.
7 Il révèle ses desseins à Moïse,
aux enfants d'Israël ses hauts faits.
8 Le Seigneur est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d'amour.
11 Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint.
Revenons d'abord à l'épisode du Buisson Ardent : on sait bien qu'il ne faut pas entendre l'expression « Je suis celui qui suis » comme une définition, comme en philosophie on cherche à définir un concept ; la répétition du verbe « Je suis » est une tournure de la langue hébraïque, pour dire l'intensité. Dieu a commencé par rappeler la longue histoire d'Alliance avec les Pères : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob. » Ce qui voulait déjà dire la fidélité de Dieu à son peuple depuis des siècles et à travers toute l'épaisseur d'une histoire. Puis il a dit sa compassion pour le peuple humilié, réduit à l'esclavage en Egypte ; enfin seulement il révèle son Nom « Je suis ». La première découverte que Moïse a faite au Sinaï, c'est donc cette Présence intense de Dieu au coeur de la détresse des hommes. Il aura retenu pour toujours cette révélation surprenante : « J'ai vu, (dit Dieu) oui, vraiment, j'ai vu la misère de mon peuple qui est en Egypte, et j'ai entendu ses cris sous les coups des chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer... » Moïse l'a tellement bien retenue qu'il a puisé là l'incroyable énergie qui a fait d'un homme seul, exilé, rejeté par tous, le meneur infatigable que l'on sait et le libérateur de son peuple.
Quand le peuple d'Israël se souvient de cette aventure inouïe, il sait bien que son premier libérateur, c'est Dieu, Moïse n'en est que l'instrument. Le « Me voici » de Moïse (comme celui d'Abraham, comme celui de tant d'autres depuis) est la réponse qui permet à Dieu de réaliser sa grande oeuvre de libération de l'humanité. Et, désormais, quand on dit « LE SEIGNEUR », qui est la traduction française des quatre lettres (YHWH) du Nom de Dieu, on pense à cette Présence libératrice.
La vision de Moïse qui accompagnait cette révélation du Nom permet de mieux entrer dans ce mystère de la Présence de Dieu ; rappelons-nous le début du récit du Buisson Ardent : « L'Ange du Seigneur apparut à Moïse au milieu d'un feu qui sortait d'un buisson. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer. » (Ex 3, 2).
Dieu se révèle donc de deux manières à la fois : dans cette vision et dans la parole qui dit son Nom. Devant cette flamme qui jaillit d'un buisson sans le consumer, Moïse est invité à comprendre que Dieu, comparé à un feu, est au milieu de son peuple (le buisson). Et cette Présence de Dieu au milieu de son peuple ne le détruit pas, ne le consume pas. Moïse, dont le premier réflexe a été de se voiler le visage, comprend alors qu'il n'y a pas à avoir peur. Du coup, la vocation du peuple est dite en même temps : il est le lieu choisi par Dieu pour manifester sa Présence ; et, désormais, le peuple choisi témoignera au milieu du monde que Dieu est au milieu des hommes et que ceux-ci n'ont rien à craindre.
Dans le psaume d'aujourd'hui, ce Nom de Dieu est explicité par une autre formule que nous connaissons bien « LE SEIGNEUR est tendresse et pitié ». C'est la reprise exacte d'une autre révélation de Dieu à Moïse (Ex 34, 6). Ces deux révélations n'en font qu'une et le psaume développe : « Le Seigneur fait oeuvre de justice, il défend le droit des opprimés. Il révèle ses desseins à Moïse, aux enfants d'Israël ses hauts faits. » Il s'agit de l'Exode, bien sûr. Mais Dieu est toujours le même, de toujours à toujours, il est cette Présence, cette flamme, au milieu de nous, feu de tendresse et de pitié.
Et c'est de cela que nous avons à témoigner ; si Dieu a choisi un peuple pour être son témoin au milieu du monde, c'est d'abord parce que le monde a besoin de ce témoignage : les hommes meurent de ne pas connaître cette flamme ; mais aussi, parce que seul le témoignage d'un peuple qui vit de cette flamme pourra la faire connaître. D'où la prédication des prophètes sur ces deux aspects de la vocation d'Israël : premièrement, oser témoigner de sa foi, de la révélation dont il est porteur ; deuxièmement, à l'image de son Seigneur, faire oeuvre de justice et défendre le droit des opprimés.
Sur le premier point, celui du témoignage, c'est la lutte opiniâtre des prophètes contre l'idolâtrie : le peuple qui a expérimenté dans son histoire la présence du Dieu qui voit ses souffrances, et qui entend ses cris, ne peut plus se confier à des idoles de bois ou de pierre : « elles ont des yeux, et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n'entendent pas... » comme dit le psaume 115 (6).*
Sur le deuxième point, les prophètes sont tout aussi catégoriques ; témoin, par exemple, ce passage d'Isaïe que nous réentendons chaque année pendant le Carême : « Le jeûne que je préfère, dit Dieu, n'est-ce pas ceci ? Dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref, que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu'un nu, tu le couvriras ; devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. » (Is 58, 6 - 7). A ce prix seulement, nous serons à l'image et à la ressemblance du Dieu de tendresse et de pitié.
***
* Isaïe (44, 12-18) raille ceux qui coupent un morceau de bois en deux pour se chauffer avec l'un des morceaux et de l'autre faire une statue devant laquelle ensuite ils se prosterneront. Et il ajoute « Qu'un homme crie vers ce dieu, il ne lui répond pas, de sa détresse il ne le sauve pas. » (Is 46, 7).
DEUXIEME LECTURE - 1 Co 10 , 1...12
1 Frères,je ne voudrais pas vous laisser ignorer
ce qui s'est passé lors de la sortie d'Egypte.
Nos ancêtres ont tous été sous la protection de la colonne de nuée,
et tous ils ont passé la mer Rouge.
2 Tous, ils ont été pour ainsi dire baptisés en Moïse,
dans la nuée et dans la mer ;
3 tous, ils ont mangé la même nourriture, qui était spirituelle ;
4 tous ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ;
car ils buvaient à un rocher qui les accompagnait,
et ce rocher c'était déjà le Christ.
5 Cependant, la plupart n'ont fait que déplaire à Dieu,
et ils sont tombés au désert.
6 Ces événements étaient destinés à nous servir d'exemple,
pour nous empêcher de désirer le mal
comme l'ont fait nos pères.
10 Cessez de récriminer contre Dieu
comme l'ont fait certains d'entre eux :
ils ont été exterminés.
11 Leur histoire devait servir d'exemple,
et l'Ecriture l'a racontée pour nous avertir,
nous qui voyons arriver la fin des temps.
12 Ainsi donc, celui qui se croit solide,
qu'il fasse attention à ne pas tomber.
Pour appuyer ces conseils d'humilité, il nous propose une lecture de toute l'histoire du peuple d'Israël pendant l'Exode : histoire faite des dons de Dieu, d'une part, mais histoire faite aussi de la versatilité de l'homme : Dieu s'est montré comme il l'avait dit à Moïse... le Dieu fidèle, le Dieu présent à son peuple dans son difficile chemin vers la liberté, à travers le désert du Sinaï. En réponse, il n'a rencontré bien souvent qu'ingratitude : à de multiples reprises, le peuple a trahi l'Alliance.
Reprenons les diverses étapes de l'Exode, telles que Paul les relit ; dès le départ des fuyards, avant même le passage de la Mer Rouge, le livre de l'Exode note que Dieu avait pris lui-même la direction des opérations : « Le Seigneur lui-même marchait à leur tête. Colonne de nuée le jour, pour leur ouvrir la route - colonne de feu la nuit, pour les éclairer ; ils pouvaient ainsi marcher jour et nuit. Le jour, la colonne de nuée ne quittait pas la tête du peuple ; ni la nuit, la colonne de feu. » (Ex 13, 21 - 22). Mais, dès le premier campement, le peuple reprend peur en voyant les Egyptiens à leur poursuite, et se révolte contre Moïse : « Les fils d'Israël eurent grand-peur et crièrent vers le Seigneur. Ils dirent à Moïse : L'Egypte manquait-elle de tombeaux pour que tu nous aies emmenés mourir au désert ? Que nous as-tu fait là, en nous faisant sortir d'Egypte ? Ne te l'avions-nous pas déjà dit en Egypte : Laisse-nous servir les Egyptiens ! Mieux vaut pour nous servir les Egyptiens que mourir au désert. » (Ex 14, 11).
Et la même histoire va se répéter à chaque nouvelle difficulté : le chemin de la liberté est semé d'embûches et la tentation est grande de retomber dans son ancien esclavage. C'est exactement le message que Paul adresse aux Corinthiens : traduisez « Christ vous a libérés, mais vous êtes bien souvent tentés de retomber dans vos errances antérieures, sans vous apercevoir que toutes ces mauvaises conduites font de vous des esclaves. Le chemin du Christ vous paraît rude, mais faites-lui confiance, lui seul est libérateur. »
L'étape suivante de l'Exode, ce fut le passage de la mer : la situation était désespérée ; quelques fuyards acculés à la mer, et derrière eux, une armée bien équipée et décidée à les rattraper. C'est alors que Dieu intervient : « L'ange de Dieu qui marchait en avant du camp d'Israël partit et passa sur leur arrière. La colonne de nuée partit de devant eux et se tint sur leurs arrières. Elle s'inséra entre le camp des Egyptiens et le camp d'Israël. » Ainsi protégé, le peuple put traverser la mer qui s'écarta pour les laisser passer : « Le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d'Est puissant et il mit la mer à sec. » (Ex 14, 19-21).
Mais les épreuves n'étaient pas finies pour autant et à bien des reprises les Israélites ont eu tout loisir de regretter la sécurité de l'Egypte : ils étaient libres, certes, mais dans ce désert, on manquait de tout et les dangers, eux, ne manquaient pas. Ils ont connu la faim, ils ont connu la soif ; mais à chaque nouvelle difficulté, au lieu de faire confiance, de savoir d'avance que Dieu interviendrait, le peuple a commencé par se plaindre et se révolter. L'épisode qui résume le mieux ce problème sans cesse renaissant, c'est celui du manque d'eau et du Rocher, justement. Quand le peuple a commencé à ressentir vraiment la soif, les récriminations ont commencé et Moïse a eu bien peur d'être lapidé. Mais à travers lui, c'est Dieu lui-même qu'on accusait : « Pourquoi donc, dit-il, nous as-tu fait monter d'Egypte ? Pour me laisser mourir de soif, moi, mes fils et mes troupeaux ? » C'est là que Moïse a frappé le Rocher et il en est sorti de l'eau. Ensuite il a baptisé ce lieu Massa et Meriba, qui veut dire « Epreuve et Querelle » car, disait-il, « ici, le peuple mit le Seigneur à l'épreuve en disant Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17, 3-7).
Les problèmes qui se posent aux Corinthiens ne sont plus les mêmes, évidemment ; mais il existe d'autres Egyptes, d'autres esclavages ; pour ces nouveaux Chrétiens, il y a des choix à faire au nom de leur Baptême, il y a des conduites qu'on ne peut plus tenir. Et ces choix peuvent être douloureux ; pensez par exemple aux exigences du catéchuménat
Ce n'est peut-être pas un hasard si, pendant le temps du Carême, l'Eglise nous donne à méditer ce texte de Paul fait à la fois d'exigence pour nous-mêmes et de confiance en Dieu. pour les premiers Chrétiens : elles signifiaient de vrais renoncements à des comportements, à des relations, à un métier, parfois ; renoncements auxquels on ne peut consentir que si on met toute sa confiance en Jésus-Christ. Dans la société mélangée et particulièrement laxiste de Corinthe, afficher un comportement chrétien relevait du courage. Mais ce qui semble folie pour les hommes est véritable sagesse aux yeux de Dieu.
EVANGILE - Luc 13, 1-9
1 Un jour, des gens vinrent rapporter à Jésus l'affaire des Galiléensque Pilate avait fait massacrer
pendant qu'ils offraient un sacrifice.
2 Jésus leur répondit :
« Pensez-vous que ces Galiléens
étaient de plus grands pécheurs
que tous les autres Galiléens,
pour avoir subi un tel sort ?
3 Eh bien non, je vous le dis ;
et si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous comme eux.
4 Et ces dix-huit personnes
tuées par la chute de la tour de Siloé,
pensez-vous qu'elles étaient plus coupables
que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5 Eh bien non, je vous le dis ;
et si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de la même manière. »
6 Jésus leur disait encore cette parabole :
« Un homme avait un figuier planté dans sa vigne.
Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
et n'en trouva pas.
7 Il dit alors à son vigneron :
Voilà trois ans que je viens
chercher du fruit sur ce figuier,
et je n'en trouve pas.
Coupe-le.
A quoi bon le laisser épuiser le sol ?
8 Mais le vigneron lui répondit :
Seigneur, laisse-le encore cette année,
le temps que je bêche autour
pour y mettre du fumier.
9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir.
Sinon, tu le couperas. »
Voilà bien un texte étonnant ! Il rassemble deux « faits divers », un commentaire de Jésus et la parabole du figuier. A première vue, ce rapprochement nous surprend, mais si
Luc nous le propose, c'est sûrement intentionnel ! Et alors on peut penser que la parabole est là pour nous faire comprendre ce dont il est question dans le
commentaire de Jésus sur les deux faits divers.
Premier fait divers, l'affaire des Galiléens : en soi, il n'a rien de surprenant, la cruauté de Pilate était connue ; l'hypothèse la plus vraisemblable, c'est que des Galiléens venus en pèlerinage à
Jérusalem ont été accusés (à tort ou à raison ?) d'être des opposants au pouvoir politique romain ; on sait que l'occupation romaine était très mal tolérée par une grande partie du peuple juif, et
c'est bien de Galilée qu'à l'époque de la naissance de Jésus était partie la révolte de Judas, le Galiléen. Ces pèlerins auraient donc été massacrés sur ordre de Pilate au moment où ils étaient
rassemblés dans le Temple de Jérusalem pour offrir un sacrifice. Quant à l'écroulement de la tour de Siloé, deuxième fait divers, c'était une catastrophe comme il en arrive tous les jours.
D'après la réponse de Jésus, on devine la question qui est sur les lèvres de ses disciples : elle devait ressembler à celle que nous formulons souvent dans
des occasions semblables : « Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour qu'il m'arrive ceci ou cela ? »
C'est l'éternelle question de l'origine de la souffrance, le problème jamais résolu ! Dans la Bible, c'est le livre de Job qui pose ce problème de la manière la plus aiguë et
il énumère toutes les explications que les hommes inventent depuis que le monde est monde. Parmi les explications avancées par l'entourage de Job accablé par toutes les souffrances possibles, la
plus fréquente était que la souffrance serait la punition du péché. J'ai bien dit « serait » ! Car la conclusion du livre de Job
est très claire : la souffrance n'est pas la punition du péché ! A la fin du livre, d'ailleurs, c'est Dieu lui-même qui parle :
il ne nous donne aucune explication et déclare nulles toutes celles que les hommes ont inventées ; Dieu vient seulement demander à Job de reconnaître deux choses : premièrement, que la maîtrise des
événements lui échappe et deuxièmement, qu'il lui faut les vivre sans jamais perdre confiance en son Créateur.
Devant l'horreur du massacre des Galiléens et de la catastrophe de la tour de Siloé, Jésus est sommé de répondre à son tour ; la question du mal se pose évidemment et les disciples n'échappent pas à la
tentative d'explication : l'idée d'une relation avec le péché semble être venue spontanément à leur esprit. La réponse de
Jésus est catégorique : il n'y a pas de lien direct entre la souffrance et le péché. Non, ces Galiléens n'étaient pas plus pécheurs que les
autres... non, les dix-huit personnes écrasées par la tour de Siloé n'étaient pas plus coupables que les autres habitants de Jérusalem. Là Jésus reprend exactement la même position que la
conclusion du Livre de Job.
Mais il poursuit et à partir de ces deux faits, il va inviter ses apôtres à une véritable conversion. Il le fait avec énergie et il insiste
sur l'urgence de la conversion. Là, on croit entendre les prophètes comme Amos ou Isaïe, ou tant d'autres. Mais il ajoute aussitôt
la parabole
du figuier qui vient tempérer la rudesse apparente de ses propos. Elle nous dit combien les moeurs divines sont différentes des moeurs humaines, car elle nous révèle un Dieu plein de patience et
d'indulgence ! A vues humaines, un figuier stérile qui épuise inutilement le sol de la vigne, il n'y a qu'une chose à faire, c'est le couper ! Traduisez, « si on était Dieu, les pécheurs, on les
éliminerait ! » Mais les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes ! « Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il se convertisse et qu'il vive » disait déjà Ezéchiel (Ez 18, 23 ; 33, 11).
La conversion que Jésus demande à ses disciples ne porte donc pas d'abord sur des comportements ; ce qu'il faut
changer de toute urgence, c'est notre représentation d'un Dieu punisseur.
Bien plus, c'est en face du mal justement, qu'il faut nous rappeler que Dieu est « tendresse et pitié » comme dit le psaume de ce dimanche ; qu'il est « miséricordieux », c'est-à-dire penché sur nos misères. La conversion qui nous est demandée ne serait-ce pas tout simplement celle-ci ? A savoir nous mettre une
fois pour toutes à croire à l'infinie patience et miséricorde de Dieu ? Et là encore, Jésus reprend bien à son compte
les conclusions du livre de Job : ne cherchez pas à expliquer la souffrance ni par le péché, ni par autre chose, mais vivez dans la confiance en Dieu.
Alors les deux phrases « si vous ne vous convertissez pas... vous périrez de la même manière » voudraient dire quelque chose comme : L'humanité court à sa perte parce qu'elle ne fait pas confiance
à Dieu. C'est toujours la même histoire : nous sommes comme le peuple d'Israël au désert, dont Paul rappelait l'aventure dans la deuxième lecture ; notre liberté doit choisir entre la confiance en
Dieu et le soupçon : choisir la confiance, c'est croire une fois pour toutes que le dessein de Dieu est bienveillant ; ce simple retournement de nos coeurs changerait la face du monde !