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21 avril 2010 3 21 /04 /avril /2010 07:33

 marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages qui me semblent les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame


PREMIERE LECTURE - Actes des Apôtres 5, 27b-32. 40b-41

Les Apôtres comparaissaient devant le grand conseil ;
27 le grand prêtre les interrogea :
28 « Nous vous avions formellement interdit
d'enseigner le nom de cet homme-là,
et voilà que vous remplissez Jérusalem
de votre enseignement.
Voulez-vous donc faire retomber sur nous
le sang de cet homme ? »
29 Pierre, avec les Apôtres, répondit alors :
« Il faut obéir à Dieu
plutôt qu'aux hommes.
30 Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus,
que vous aviez exécuté en le pendant au bois du supplice.
31 C'est lui que Dieu, par sa puissance, a élevé
en faisant de lui le Chef, le Sauveur,
pour apporter à Israël la conversion et le pardon des péchés.
32 Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela,
avec l'Esprit Saint,
que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. »

40 On interdit alors aux Apôtres,
après les avoir fouettés,
de parler au nom de Jésus,
puis on les relâcha.
41 Mais eux, en sortant du grand conseil,
repartaient tout joyeux d'avoir été jugés dignes
de subir des humiliations pour le nom de Jésus.

Les Apôtres viennent d'être flagellés à cause de leur prise de parole sur Jésus. On les relâche et, voilà qu'en sortant du tribunal, Saint Luc nous dit : « Ils repartaient tout joyeux d'avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus ». Comme s'ils avaient été décorés... décorés du titre de « prophètes ». Peut-être ont-ils alors repensé à la parole de Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ils vous rejettent, et qu'ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme, à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel ; c'est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes. » (Lc 6, 22-23). Ils se rappellent aussi cette phrase que Jésus leur avait dite : « Ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront, vous aussi. » (Jn 15, 20).

Ici, que s'est-il passé ? Ce n'est pas la première fois que les Apôtres Pierre et Jean comparaissent devant le Sanhédrin, c'est-à-dire le tribunal de Jérusalem, le même qui a condamné Jésus quelques semaines plus tôt ; déjà, une fois, après la guérison du boiteux de la Belle Porte, un miracle qui avait fait beaucoup de bruit dans la ville, ils avaient été arrêtés, emprisonnés une nuit, puis interrogés et interdits de parole ; mais on les avait finalement relâchés. Dès leur remise en liberté, ils avaient recommencé à prêcher et à faire des miracles. Ils ont donc été arrêtés une deuxième fois, mis en prison... mais ils ont été délivrés miraculeusement pendant la nuit par un Ange du Seigneur. Evidemment, cette délivrance miraculeuse n'a fait que galvaniser leurs énergies ! Et ils ont recommencé à prêcher de plus belle. Et c'est là que nous en sommes avec la lecture de ce dimanche. Ils sont donc de nouveau arrêtés et traduits devant le tribunal. Le grand prêtre les interroge, ce qui nous vaut la très belle réponse de Pierre : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. » Et Pierre adresse au tribunal un petit résumé de ses discours précédents ; il leur dit à peu près ceci : il y a deux logiques, la logique de Dieu et celle des hommes ; la logique des hommes (sous-entendu la vôtre, vous tribunal juif), consiste à dire : un malfaiteur, on le supprime, et après sa mort, on ne va quand même pas lui faire de la publicité ! Jésus, aux yeux des autorités religieuses, était un imposteur, on l'a supprimé, c'est logique ! C'est même un devoir de l'empêcher d'endoctriner un peuple trop enclin à se fier à n'importe quel prétendu Messie. Condamné, exécuté, suspendu à la Croix, c'est un maudit : même de Dieu il est maudit. C'était écrit dans la Loi.

Seulement voilà, la logique de Dieu, c'est autre chose : oui, vous l'avez exécuté, pendu au gibet de la croix... Mais, contre toute attente, non seulement il n'est pas maudit par Dieu, mais au contraire, il est élevé par Dieu, il devient le Chef, le Sauveur : « C'est lui que Dieu, par sa puissance, a élevé en faisant de lui le Chef, le Sauveur, pour apporter à Israël la conversion et le pardon des péchés. » Cette dernière phrase est une énormité pour des oreilles juives : si la conversion et le pardon des péchés sont apportés à Israël, cela signifie que les promesses sont accomplies. Cette assurance des Apôtres, que rien ne semble faire taire, ne peut qu'exaspérer les juges ; et plusieurs d'entre eux ne voient plus qu'une solution : les supprimer comme on a supprimé Jésus ; c'est là qu'intervient un homme extraordinaire, Gamaliel, dont le raisonnement devrait être un modèle pour nous, quand nous nous trouvons face à des initiatives qui ne nous plaisent pas.

Malheureusement, la lecture liturgique de ce dimanche ne retient pas l'épisode de Gamaliel : on passe »directement des paroles de Pierre à la décision du tribunal ; les apôtres ne sont pas condamnés à mort comme certains le voudraient, on se contente de les fouetter et on les relâche. Mais prenons le temps de lire les versets qui manquent ; Pierre vient donc de dire : « Nous sommes témoins de tout cela avec l'Esprit Saint que Dieu donne à ceux qui lui obéissent » (sous-entendu, vous, en ce moment, vous n'obéissez pas à Dieu). Luc raconte : « Exaspérés par ces paroles, ils projetaient de les faire mourir. Mais un homme se leva dans le Sanhédrin ; c'était un Pharisien du nom de Gamaliel, un docteur de la Loi estimé de tout le peuple » ; (entre parenthèses, c'est lui qui fut le professeur de Saül de Tarse, le futur Saint Paul*) ; il ordonne de faire sortir un moment Pierre et Jean, et il s'adresse aux autres juges ; en substance, son raisonnement est le suivant : de deux choses l'une, ou bien leur entreprise vient de Dieu... ou bien non, ce sont des imposteurs ; et voici la fin de son discours : « Si c'est des hommes que vient leur entreprise, elle disparaîtra d'elle-même... si c'est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. N'allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu ! » (Ac 5, 38-39).

Si Gamaliel prenait la parole aujourd'hui, sans doute reconnaîtrait-il que l'Eglise est bien une entreprise de Dieu : depuis deux mille ans, elle a résisté à tout, même à nos faiblesses et à nos insuffisances !

*****
*voir Actes 22, 3

Psaume 29 (30)

Le psaume 29 (30) est très court, il ne comporte que 13 versets ( dont 8 seulement sont retenus par la liturgie de ce dimanche) ; ici, nous le lirons en entier, nous le comprendrons beaucoup mieux.

- Mais avant de le lire, je vous raconte l'histoire : Imaginez quelqu'un qui est tombé au fond d'un puits : il a crié, supplié, appelé au secours... il donnait même des arguments pour qu'on lui vienne en aide (du genre je vous serai plus utile, vivant que mort !) ; apparemment il y a des gens qui ne sont pas mécontents de le voir dans le trou et qui ricanent... mais il continue à appeler au secours : quelqu'un finira bien par avoir pitié ...
Il a eu raison de crier : quelqu'un a entendu ses appels, quelqu'un est venu le délivrer, l'a tiré de là comme on dit. Ce « quelqu'un », il faut l'écrire avec une majuscule, c'est Dieu lui-même. Une fois en haut, revenu à la lumière et en quelque sorte à la vie, notre homme explose de joie !

- Ce psaume raconte exactement cela :
Je t'exalte, Seigneur : tu m'as relevé,
tu m'épargnes les rires de l'ennemi.
Quand j'ai crié vers toi, Seigneur,
Mon Dieu, tu m'as guéri ;
Seigneur, tu m'as fait remonter de l'abîme
et revivre quand je descendais à la fosse.

Fêtez le Seigneur, vous, ses fidèles,
Rendez grâce en rappelant son nom très saint.
Sa colère ne dure qu'un instant,
sa bonté toute la vie.
Avec le soir viennent les larmes,
Mais au matin, les cris de joie !

Dans mon bonheur, je disais :
Rien, jamais, ne m'ébranlera !
Dans ta bonté, Seigneur, tu m'avais fortifié
sur ma puissante montagne ;

Pourtant tu m'as caché ta face
et je fus épouvanté.
Et j'ai crié vers toi, Seigneur,
J'ai supplié mon Dieu :
« A quoi te servirait mon sang
si je descendais dans la tombe ?
La poussière peut-elle te rendre grâce
et proclamer ta fidélité ?
Ecoute, Seigneur, pitié pour moi !
Seigneur, viens à mon aide ! »

Tu as changé mon deuil en une danse,
Mes habits funèbres en parure de joie !
Que mon coeur ne se taise pas,
Qu'il soit en fête pour toi ;
Et que sans fin, Seigneur, mon Dieu,
Je te rende grâce !

- Vous avez entendu : « tu m'as fait remonter de l'abîme et revivre quand je descendais à la fosse » ; vous avez entendu aussi les gens qui ricanaient : il parle des « rires de l'ennemi ».

- Notre malheureux, il ne comprend rien à ce qui lui arrive : jusque-là il était confiant dans la vie : apparemment, il était né sous une bonne étoile : « dans mon bonheur, (c'est-à-dire au temps où j'étais heureux), je disais : Rien, jamais, ne m'ébranlera ». Mais le malheur est arrivé, et avec lui, l'effondrement de toutes ses certitudes, l'angoisse, la supplication ; et enfin le dénouement, la délivrance.

- Tout cela, d'un bout à l'autre, c'est l'histoire d'Israël : je veux dire par là qu'il y a deux niveaux de lecture : l'histoire qu'on nous raconte est celle d'un individu tombé dans un puits ; en réalité, comme toujours, c'est le peuple tout entier qui parle, ou plutôt qui chante, qui explose de joie au retour de l'Exil à Babylone... comme il avait chanté, dansé, explosé de joie après le passage de la Mer Rouge. L'Exil à Babylone, c'est aussi une chute mortelle dans un puits sans fond, dans un gouffre... et nombreux sont ceux qui ont pensé qu'Israël ne s'en relèverait pas. Au sein même du peuple, on a pu être pris de désespoir... Et il y en a eu des ennemis, pas mécontents, qui riaient bien de cette déchéance...

- Et pourtant, jusque-là, Israël pouvait être confiant dans la vie : « Dans mon bonheur, je disais : Rien, jamais, ne m'ébranlera »...(Mais peut-être est-ce l'une des clés du problème ? Pendant l'Exil à Babylone, on a eu tout loisir de méditer sur les diverses causes possibles de ce maheur ; et on s'est justement demandé si le malheur du peuple n'avait pas été la conséquence de cette attitude ? Mais c'est une autre histoire... et ce n'est pas à nous, ici, de prétendre apporter une réponse...)

- Pendant toute cette période d'épreuve, le peuple soutenu par ses prêtres, ses prophètes, a gardé espoir malgré tout et force pour appeler au secours : « j'ai crié vers toi, Seigneur, j'ai supplié mon Dieu... Ecoute, Seigneur, pitié pour moi ! Seigneur, viens à mon aide !... » Dans sa prière, il n'hésitait pas à employer tous les arguments, par exemple du genre « tu seras bien avancé quand je serai mort » ... parce que, quand ce psaume a été écrit, on ne croyait pas en la Résurrection: on imaginait que les morts étaient dans un séjour d'ombre, le « shéol » où il ne se passe rien. Alors on disait à Dieu : « A quoi te servirait mon sang si je descendais dans la tombe ? La poussière peut-elle te rendre grâce et proclamer ta fidélité ? »

- Et le miracle s'est produit : Dieu a sauvé son peuple : « Quand j'ai crié vers toi, Seigneur, mon Dieu, tu m'as guéri ; Seigneur, tu m'as fait remonter de l'abîme et revivre quand je descendais à la fosse... ». Comme dans d'autres textes bibliques, la vision d'Ezéchiel des ossements desséchés, par exemple, la restauration du peuple, le retour d'exil est décrit en termes de résurrection, à un moment où personne ne songe à une possibilité de résurrection individuelle. Plus tard, quand la foi biblique aura franchi le pas décisif et accueilli la révélation de la foi en la résurrection, ces textes seront relus et on leur découvrira une profondeur nouvelle.

- « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie »... Désormais, pour tous ceux qui croient à la résurrection, juifs et chrétiens, cette dernière phrase a pris un sens nouveau : irrésistiblement, elle donne envie de chanter « Alleluia »... parce que c'est le sens même du mot « Alleluia » dans la tradition juive ! Dans les commentaires des rabbins sur l'Alleluia, il y a ce petit texte extraordinaire que nous devrions nous redire chaque fois que, à notre tour, nous entonnons des Alleluia :
« Dieu nous a amenés de la servitude à la liberté, de la tristesse à la joie, du deuil au jour de fête, des ténèbres à la brillante lumière, de la servitude à la Rédemption. C'est pourquoi chantons devant lui l'Alleluia ! »

DEUXIEME LECTURE - Apocalypse de Saint Jean 5, 11-14

Moi, Jean,
11 dans ma vision,
j'ai entendu la voix d'une multitude d'anges
qui entouraient le Trône, les Vivants et les Anciens :
ils étaient des millions, des centaines de millions.
12 Ils criaient à pleine voix :
« Lui, l'Agneau immolé, il est digne
de recevoir puissance et richesse,
sagesse et force,
honneur, gloire et bénédiction. »
13 Et j'entendis l'acclamation de toutes les créatures
au ciel, sur terre, sous terre et sur mer ;
tous les êtres qui s'y trouvent proclamaient :
« A celui qui siège sur le Trône, et à l'Agneau,
bénédiction, honneur, gloire et domination
pour les siècles des siècles. »
14 Et les quatre Vivants disaient : « Amen ! »
Et les Anciens se prosternèrent pour adorer.

Nous voici de nouveau en présence d'une vision, avec tout ce que cela comporte d'inhabituel ; mais d'avance nous savons une chose : c'est que le livre entier de l'Apocalypse est un chant de victoire ; dans le passage ci-dessus, c'est clair ! Au ciel, des millions et des centaines de millions d'anges crient à pleine voix quelque chose comme « vive le roi! »... et, dans tout l'univers, que ce soit sur terre, sur mer, ou même sous la terre, tout ce qui respire acclame aussi comme on le fait au jour du sacre d'un nouveau roi. Le nouveau roi, ici, bien sûr, c'est Jésus-Christ : c'est lui, « l'Agneau immolé », qui est acclamé et reçoit « puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction. » Pour décrire la royauté du Christ, cette vision utilise un langage symbolique, fait d'images et de chiffres. C'est dire la richesse et aussi la difficulté de ces textes. La richesse, parce que, seul, le langage symbolique peut nous faire pénétrer dans le monde de Dieu ; l'ineffable, l'indicible ne se décrit pas ; il peut seulement être suggéré ; par exemple, il faut être attentif à certaines images, à certaines couleurs, à certains chiffres qui reviennent fréquemment et ce n'est sûrement pas par hasard.

Mais la difficulté réside dans l'interprétation des symboles. Notre imagination est sollicitée, elle peut nous aider, mais jusqu'où pouvons-nous faire confiance à notre intuition pour comprendre ce que l'auteur a voulu suggérer ? Il faut donc toujours rester très humble dans l'interprétation des symboles ! Nous ne pouvons pas prétendre comprendre le sens caché d'un texte biblique quel qu'il soit. L'expression « les quatre Vivants » en est un bon exemple : le chapitre précédent de l'Apocalypse nous les a décrits comme quatre animaux ailés ; le premier a un visage d'homme, les trois autres ressemblent à des animaux, un lion, un aigle, un taureau... et nous avons l'habitude de les voir sur de nombreuses peintures, sculptures et mosaïques... et nous croyons savoir sans hésitation de qui il s'agit ; c'est Saint Irénée qui, au deuxième siècle, en a proposé une lecture symbolique : pour lui, les quatre vivants sont, à n'en pas douter, les quatre évangélistes : Matthieu, le Vivant à face d'homme, Marc le lion (les amoureux de Venise ne peuvent pas l'oublier !), Luc le taureau, Jean l'aigle. Mais les biblistes ne sont pas bien à l'aise avec cette interprétation : car il semble bien que l'auteur de l'Apocalypse ait repris ici une image d'Ezéchiel dans laquelle quatre animaux soutiennent le trône de Dieu, et ils représentent tout simplement le monde créé.

Parlons des chiffres, justement : toutes ces précautions prises, il semble bien que le chiffre 3 symbolise Dieu ; et 4 le monde créé, peut-être à cause des quatre points cardinaux ; 7 (3+4) évoque à la fois Dieu et le monde créé ; il suggère donc la plénitude, la perfection... du coup, 6 (7-1) est incomplet, imparfait. L'acclamation des Anges revêt donc une portée singulière : « Lui, l'Agneau immolé, il est digne de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et bénédiction » : quatre termes de réussite terrestre ajoutés à trois termes réservés à Dieu (honneur, gloire, bénédiction) ; au total sept termes : c'est dire que l'Agneau immolé (les lecteurs de Jean savent qu'il s'agit de Jésus) est pleinement Dieu et pleinement homme ; et là on voit bien la force de suggestion d'un tel langage symbolique !

Continuons notre lecture : « J'entendis l'acclamation de toutes les créatures au ciel, sur terre, sous terre et sur mer » ; (là encore quatre termes : il s'agit bien de toute la création) ; tous les êtres qui s'y trouvent proclamaient : « A celui qui siège sur le Trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination pour les siècles des siècles. » C'est le monde créé qui proclame sa soumission à celui qui siège sur le Trône (Dieu bien sûr), et à l'Agneau. Ce n'est pas un hasard, non plus, si les Vivants qui soutiennent le trône de Dieu chez Ezéchiel et qui représentent le monde créé sont au nombre de quatre.

Toute cette insistance de Jean, ici, vise à mettre en valeur cette victoire de l'Agneau immolé : apparemment vaincu, aux yeux des hommes, il est en réalité le grand vainqueur ; c'est le grand mystère qui est au centre du Nouveau Testament, ou le paradoxe, si l'on préfère : le Maître du monde se fait le plus petit, le Juge des vivants et des morts a été jugé comme un criminel ; lui qui est Dieu, il a été traité de blasphémateur et c'est au nom de Dieu qu'il a été rejeté. Pire, Dieu a laissé faire. Quand Saint Jean développe cette méditation à l'adresse de sa communauté, on peut penser que son objectif est double : premièrement, il faut trouver une réponse au scandale de la croix, et donner des arguments aux Chrétiens en ce sens. Quand Jean écrit l'Apocalypse, Chrétiens et Juifs sont en pleine polémique sur ce sujet : pour les Juifs, la mort du Christ suffit à prouver qu'il n'était pas le Messie ; le livre du Deutéronome avait résolu la question : « Celui qui a été condamné à mort au nom de la Loi, exécuté et suspendu au bois est une malédiction de Dieu » (Dt 21, 22). Or c'est bien ce qui s'est passé pour Jésus.

Pour les Chrétiens, témoins de la Résurrection, ils y voient au contraire l'oeuvre de Dieu. Mystérieusement, la Croix est le lieu de l'exaltation du Fils. Jésus l'avait annoncé lui-même dans l'évangile de Jean : « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, vous connaîtrez que « Je Suis » (Jn 8, 28). Ce qui veut dire « vous reconnaîtrez enfin ma divinité » (puisque « Je Suis » est exactement le nom de Dieu). Il faut donc apprendre à lire sur les traits défigurés de ce misérable condamné la gloire même de Dieu. Dans la vision que Jean nous décrit, l'Agneau reçoit les mêmes honneurs, les mêmes acclamations que celui qui siège sur le Trône. Deuxième objectif de Jean, aider ses frères à tenir bon dans l'épreuve : les forces de l'amour ont déjà vaincu les forces de la haine ; c'est tout le message de l'Apocalypse.

EVANGILE - Jean 21, 1-19

1 Jésus se manifesta encore aux disciples
sur le bord du lac de Tibériade, et voici comment.
2 Il y avait là Simon-Pierre,
avec Thomas, dont le nom signifie : "Jumeau",
Nathanaël, de Cana en Galilée,
les fils de Zébédée,
et deux autres disciples.
3 Simon-Pierre leur dit :
« Je m'en vais à la pêche. »
Ils lui répondent :
« Nous allons avec toi. »
Ils partirent et montèrent dans la barque ;
or, ils passèrent la nuit sans rien prendre.
4 Au lever du jour, Jésus était là, sur le rivage,
mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.
5 Jésus les appelle :
« Les enfants,
auriez-vous un peu de poisson ? »
Ils lui répondent : « Non. »
6 Il leur dit :
« Jetez le filet à droite de la barque,
et vous trouverez. »
Ils jetèrent donc le filet,
et cette fois ils n'arrivaient pas à le ramener,
tellement il y avait de poisson.
7 Alors, le disciple que Jésus aimait
dit à Pierre :
« C'est le Seigneur ! »
Quand Simon-Pierre l'entendit déclarer que c'était le Seigneur,
il passa un vêtement,
car il n'avait rien sur lui,
et il se jeta à l'eau.
8 Les autres disciples arrivent en barque,
tirant le filet plein de poissons ;
la terre n'était qu'à une centaine de mètres.
9 En débarquant sur le rivage,
ils voient un feu de braise
avec du poisson posé dessus,
et du pain.
10 Jésus leur dit :
« Apportez donc de ce poisson que vous venez de prendre. »
11 Simon-Pierre monta dans la barque
et amena jusqu'à terre le filet plein de gros poissons :
il y en avait cent cinquante-trois.
Et, malgré cette quantité, le filet ne s'était pas déchiré.
12 Jésus dit alors :
« Venez déjeuner. »
Aucun des disciples n'osait lui demander :
« Qui es-tu ? »
Ils savaient que c'était le Seigneur.
13 Jésus s'approche,
prend le pain
et le leur donne,
ainsi que le poisson.
14 C'était la troisième fois
que Jésus ressuscité d'entre les morts
se manifestait à ses disciples.
15 Quand ils eurent déjeuné,
Jésus dit à Simon-Pierre :
« Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu plus que ceux-ci ? »
Il lui répond :
« Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais. »
Jésus lui dit :
« Sois le berger de mes agneaux. »
16 Il lui dit une deuxième fois :
« Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? »
Il lui répond :
« Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais. »
Jésus lui dit :
« Sois le pasteur de mes brebis. »
17 Il lui dit, pour la troisième fois :
« Simon, fils de Jean, est-ce que tu m'aimes ? »
Pierre fut peiné parce que, pour la troisième fois,
il lui demandait :
« Est-ce que tu m'aimes ? »
Et il répondit :
« Seigneur, tu sais tout :
tu sais bien que je t'aime. »
Jésus lui dit :
« Sois le berger de mes brebis.
18 Amen, Amen, je te le dis :
quand tu étais jeune,
tu mettais ta ceinture toi-même
pour aller là où tu voulais ;
quand tu seras vieux,
tu étendras les mains,
et c'est un autre qui te mettra ta ceinture,
pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
19 Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort
Pierre rendrait gloire à Dieu.
Puis il lui dit encore :
« Suis-moi. »


Voici de nouveau un récit d'apparition du Christ Ressuscité ; le mot « apparition » ne doit pas nous tromper (peut-être vaudrait-il mieux dire « manifestation ») ; Jésus ne vient pas d'ailleurs pour disparaître ensuite : il est là auprès de ses disciples, auprès de nous désormais, lui qui a dit « je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20). Il est invisible, mais non pas absent ; lors des apparitions, il se rend visible ; le mot grec dit : « il se donne à voir ». Ces manifestations de la présence du Christ au milieu des siens sont un soutien pour nous ; leur rôle est d'affermir notre foi : elles sont émaillées de détails concrets, dont certains peuvent nous paraître étonnants, mais qui ont probablement une valeur symbolique. Par exemple, les cent cinquante-trois poissons : plus tard, au quatrième siècle, Saint Jérôme commentera ce chiffre en disant qu'à l'époque du Christ, on connaissait exactement cent cinquante-trois espèces de poissons ; ce serait donc une manière symbolique de dire que c'était la pêche maximum en quelque sorte.

Autre détail un peu étonnant : en débarquant sur le rivage, les disciples trouvent un feu de braise avec du poisson posé dessus et du pain ; et malgré cela, Jésus leur dit d'apporter du poisson qu'ils viennent de prendre. Peut-on penser qu'il en manquait ? Il n'est pas certain qu'on puisse se contenter de cette explication arithmétique. Il faut probablement plutôt en déduire que dans l'oeuvre d'évangélisation symbolisée par la pêche (depuis que Jésus a appelé Pierre « pêcheur d'hommes »), Jésus nous précède (c'est le sens du poisson déjà posé sur le feu avant l'arrivée des disciples) mais en même temps, il sollicite notre collaboration.

Autre surprise de ce texte : le dialogue entre Jésus et Pierre ; de la même manière que, dans la nuit du Jeudi au Vendredi, Pierre a trois fois affirmé qu'il ne connaissait pas cet homme, cette fois Jésus l'interroge trois fois : infinie délicatesse qui permet à Pierre d'effacer son triple reniement. A chaque fois, Jésus s'appuie sur cet engagement, cette adhésion de Pierre pour lui confier la mission de pasteur de la communauté : « Sois le pasteur de mes brebis ». Notre relation au Christ n'a de sens et de vérité que si elle s'accomplit dans une mission au service des autres. Jésus précise bien « mes » brebis : Pierre est invité à partager la charge du Christ ; il ne devient pas propriétaire du troupeau ; mais le soin qu'il prendra du troupeau du Christ sera le lieu de vérification de son amour pour le Christ lui-même.

On peut être étonné de la place occupée par Pierre dans un récit d'apparition du Christ, sous la plume de Saint Jean : cela reflète peut-être un des problèmes des premières communautés chrétiennes. Il faut croire qu'il n'était pas inutile de rappeler à la communauté attachée à la mémoire de Jean que, par la volonté du Christ, le pasteur de l'Eglise universelle était Pierre et non pas Jean.

« Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui te mettra ta ceinture pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller » : phrase un peu étonnante, qui suit tout juste ce qu'on serait tentés d'appeler la nomination de Pierre, « sois le berger de mes brebis » ; il semble qu'elle dise clairement que la mission confiée à Pierre est une mission de « service » et non de domination ! Car, à l'époque, la ceinture est portée par les voyageurs et par les serviteurs : elle sera doublement indiquée pour les serviteurs de l'Evangile. Pierre mourra de sa fidélité au service de l'évangile ; c'est pourquoi Jean explique : « Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. »

Encore une question : pourquoi cette précision de Jésus « m'aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il ne faut pas entendre ici une espèce de brevet de bonne conduite, du genre : « puisque tu m'aimes plus que les autres, je te confie la charge » ; au contraire, il faut entendre : « C'est parce que je te confie cette charge, qu'il faudra que tu m'aimes davantage ! » Peut-être est-ce comme un discret rappel à ceux qui détiennent l'autorité ? L'autorité qui nous est confiée, dans quelque domaine que ce soit, est d'abord une exigence : accepter une charge pastorale implique beaucoup d'amour.

****
Compléments
NB : ils étaient sept disciples = une image de l'Eglise ?
Pourquoi Jésus répète-t-il par trois fois « Pais mes brebis » ? Ne suffisait-il pas de le dire une fois ? Certains commentateurs font remarquer que, pour être valables, les formules juridiques devaient ordinairement être répétées trois fois devant témoins. C'est peut-être pour cette même raison que l'évangéliste nous précise que c'était la troisième apparition de Jésus à ses disciples : c'est donc officiellement vrai !

L'Evangile de Jean (au chapitre 20) se terminait par « il y a encore beaucoup d'autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-ci y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu et afin que par votre foi, vous ayez la vie en son nom. » C'était donc une très belle finale pour l'Evangile ! Les spécialistes se demandent si le chapitre 21 n'aurait pas été rajouté après coup ? Il se présente comme une sorte de post-scriptum, peut-être destiné à mettre au point le problème de la prééminence de Pierre, qui se posait déjà sans doute dans les communautés chrétiennes de l'époque.

Le chapitre 21, lui, se termine par : « Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu ». Cela signifie que ce chapitre est postérieur à la mort de Pierre (persécution de Néron, 66 ou 67). Ce n'est pas pour nous étonner, puisqu'on admet communément que l'Evangile de Jean est très tardif. Certains supposent même (d'après Jn 21, 23-24) que la rédaction finale de l'évangile de Jean est postérieure à sa propre mort.

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