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3 novembre 2020 2 03 /11 /novembre /2020 00:23

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 7 novembre 2020).

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE   6,12-16

 

12 La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas.      
     Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment,
     elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent.
13 Elle devance leurs désirs  
     en se faisant connaître la première.
14 Celui qui la cherche dès l'aurore ne se fatiguera pas :     
     il la trouvera assise à sa porte.
15 Penser à elle est la perfection du discernement,  
     et celui qui veille à cause d’elle    
     sera bientôt délivré du souci.
16 Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d'elle ;   
     au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ;         
     dans chacune de leurs pensées,    
     elle vient à leur rencontre.
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OR DONC, ROIS, LAISSEZ-VOUS INSTRUIRE

         Avec Aragon, les amoureux chantent « Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ? » : les croyants le chantent encore plus ; la foi est bien l’histoire d’une rencontre. Dans ce texte du livre de la Sagesse, comme dans toute la Bible, il s’agit de la foi d’Israël, de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Car l’auteur du livre de la Sagesse est un croyant ! Je dis « l’auteur » à défaut de pouvoir être plus précise ! On ne sait pas qui il est : une seule chose est sûre : ce livre intitulé « Livre de la sagesse de Salomon » n’est très certainement pas du grand roi Salomon, le fils de David, qui a régné vers 950 av. J.-C. Ce Livre a été écrit en grec (et non en hébreu) par un Juif anonyme, à Alexandrie en Égypte, environ cinquante ans seulement, peut-être moins, avant la naissance de Jésus-Christ. Le passage que la liturgie nous offre ici fait partie de tout un ensemble de recommandations aux rois ; évidemment, l’attribution du livre au roi dont la Sagesse était proverbiale donnait toute latitude à l’auteur pour donner des conseils. 

         Le chapitre 6 commence par : « Or donc, rois, écoutez et comprenez, laissez-vous instruire, vous dont la juridiction s’étend à toute la terre... C’est à vous, ô princes, que vont mes paroles, afin que vous appreniez la Sagesse et ne trébuchiez pas ». Son discours tient en trois points :

         Premièrement, la Sagesse est la chose la plus précieuse du monde : et là, ce livre au titre trop sérieux recèle des envolées littéraires auxquelles on ne s’attendait pas : « La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas ». Ou encore : « Elle est un effluve de la puissance de Dieu, une pure irradiation de la gloire du Tout-Puissant... elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans tache de l’activité de Dieu et une image de sa bonté. » (Sg 4,25-26). Elle est tellement précieuse qu’on la compare à la plus désirable des femmes : « Elle est plus radieuse que le soleil et surpasse toute constellation. Comparée à la lumière, sa supériorité éclate : la nuit succède à la lumière, mais le mal ne prévaut pas sur la Sagesse. » (Sg 7,29-30). « C’est elle que j’ai aimée et recherchée dès ma jeunesse, j’ai cherché à en faire mon épouse et je suis devenu l’amant de sa beauté. » (Sg 8,2).

         Deuxièmement, la Sagesse est à notre portée, ou, plus exactement, elle se met à notre portée : « Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment... elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. » Au passage, il faut admirer ce style très balancé que nous trouvons si souvent dans la Bible, en particulier chez les prophètes et dans les psaumes. Mais surtout, il y a dans ces deux phrases parallèles une affirmation fondamentale : c’est qu’il n’y a pas de conditions pour rencontrer Dieu ; pas de conditions d’intelligence, de mérite ou de valeur personnelle... Jésus le redira sous une autre forme : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira... Quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira. » (Mt 7,7-9).

QUI DEMANDE REÇOIT

         Et l’auteur attribue au roi Salomon  cette confidence : « J’ai prié et le discernement m’a été donné, j’ai imploré et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. » (Sg 7,7). Il nous suffit de la désirer : la seule condition, évidemment, la chercher, la désirer ardemment : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » dit le psaume 62/63.  « Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte » ; toujours cette affirmation qu’elle est tout près de nous, et qu’il nous suffit de la chercher... manière aussi de dire que nous sommes libres ; Dieu ne nous force jamais la main.

         Troisièmement, non seulement, elle répond à notre attente, mais elle-même nous recherche, elle nous devance ! Et là, il faut quand même de l’audace... Pourtant, l’auteur le dit en toutes lettres : « Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première »... « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle. » Dieu prend l’initiative de se révéler à l’homme ; car, on l’a deviné, la Sagesse n’est autre que Dieu lui-même inspirant notre conduite. Plus tard, saint Paul dira de Jésus-Christ qu’il est la Sagesse de Dieu : « Il est Christ, Puissance de Dieu, Sagesse de Dieu » (1 Co 1,24-30). « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle » : de nous-mêmes, nous ne pourrions pas atteindre Dieu. Et la dignité dont il est question ici, c’est seulement ce désir de Dieu : la seule dignité qui nous est demandée, c’est d’avoir un cœur qui cherche Dieu. Serait-ce cela la « robe des noces » de la parabole ?

         Et voilà pourquoi il peut y avoir rencontre, Alliance : on sait bien que, pour qu’il y ait vraiment rencontre intime entre deux êtres, il faut que les deux le désirent ; et c’est ce que nous dit le passage d’aujourd’hui : Dieu est à la recherche de l’homme ; il faut et il suffit que l’homme soit à la recherche de Dieu : « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre ».

         On peut se poser la question : sur quels critères peut-on juger qu’un roi (ou quiconque) aura été sage ou non ? Voici ce qu’en dit Jérémie : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le vaillant ne se vante pas de sa vaillance, que le riche ne se vante pas de sa richesse ! Mais qui veut se vanter, qu’il se vante de ceci : avoir de l’intelligence et me connaître, car je suis le SEIGNEUR qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre. Oui, c’est cela qui me complaît, oracle du SEIGNEUR ! » (Jr 9, 22-23). Voilà donc les critères de la vraie sagesse : celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice.

         Notre auteur dit quelque chose d’équivalent : « C’est lui (le Très-Haut) qui examinera vos actes... Si vous, les ministres de sa royauté n’avez pas jugé selon le droit, ni respecté la loi, ni agi selon la volonté de Dieu... (sous-entendu « il vous jugera ») » (Sg 6,3-4). Décidément, où qu’on se tourne dans la Bible, cela revient toujours au même : la seule chose qui nous est demandée, c’est d’agir selon la volonté de Dieu  : « Ce ne sont pas ceux  qui disent ‘Seigneur, Seigneur’, mais ceux qui font la volonté de mon Père... » et le prophète Michée précise : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR attend de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu (d’autres traductions disent « la vigilance » dans la marche avec ton Dieu) (Mi 6,8). Toutes les autres lectures de ce trente-deuxième dimanche nous parleront de cette vigilance.

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PSAUME  62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8

 

2   Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube :  
     mon âme a soif de toi ;     
     après toi languit ma chair,
     terre aride, altérée, sans eau.        

3   Je t'ai contemplé au sanctuaire,    
     j'ai vu ta force et ta gloire.
4   Ton amour vaut mieux que la vie :           
     tu seras la louange de mes lèvres !   

5   Toute ma vie je vais te bénir,       
     lever les mains en invoquant ton nom.
6   Comme par un festin je serai rassasié :    
     la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.   

7   Dans la nuit, je me souviens de toi          
     et je reste des heures à te parler.
8   Oui, tu es venu à mon secours :   
     je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
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JE CRIE DE JOIE À L’OMBRE DE TES AILES 

         « Je crie de joie à l’ombre de tes ailes » : c’est beau, mais c’est quand même étonnant ! En fait, il faut se transporter en pensée, à l’intérieur du Temple de Jérusalem (avant sa destruction, bien sûr, en 587 av. J.-C. par Nabuchodonosor)... et supposer que nous sommes prêtres ou lévites. Là, dans le lieu  le plus sacré, le « Saint des Saints », se trouvait l’Arche d’Alliance : attention, quand nous disons Arche aujourd’hui, nous risquons de penser à une œuvre architecturale imposante : les Parisiens penseront peut-être à ce qu’ils appellent la Grande Arche de la Défense... Pour Israël, c’est tout autre chose ! Il s’agit de ce qu’ils avaient de plus sacré 1 : un petit coffret de bois précieux, recouvert d’or, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui abritait les tables de la Loi. Sur ce coffret, veillaient deux énormes statues de chérubins.

         Les « chérubins » n’ont pas été inventés par Israël : le mot vient de Mésopotamie. C’étaient des êtres célestes, à corps de lion, et face d’homme, et surtout des ailes immenses. En Mésopotamie, ils étaient honorés comme des divinités... En Israël au contraire, on prend bien soin de montrer qu’ils ne sont que des créatures : ils sont représentés comme des protecteurs de l’Arche, mais leurs ailes déployées sont considérées comme le marchepied du trône de Dieu. Ici, un prêtre en prière dans le Temple, à l’ombre des ailes des chérubins se sent enveloppé de la tendresse de son Dieu depuis l’aube jusqu’à la nuit.2

         Les autres images de ce psaume sont toutes également empruntées au vocabulaire des lévites : « Je t’ai contemplé au sanctuaire » : ils étaient les seuls à pénétrer dans la partie sainte du Temple... « toute ma vie, je vais te bénir » : effectivement toute leur vie était consacrée à la louange de Dieu... « lever les mains en invoquant ton nom » : là nous voyons le lévite en prière, les mains levées... « Comme par un festin je serai rassasié », c’est une allusion à certains sacrifices qui étaient suivis d’un repas de communion pour tous les assistants, et d’autre part, on sait que les lévites recevaient pour leur nourriture une part de la viande des sacrifices... « Dans la nuit, je me souviens de toi, je reste des heures à te parler » : lorsqu’ils étaient de service à Jérusalem, leur vie entière se déroulait dans l’enceinte du Temple.

         En fait, ce psaume est une métaphore : ce lévite, c’est Israël tout entier qui, depuis l’aube de son histoire et jusqu’à la fin des temps, s’émerveille de l’intimité que Dieu lui propose  : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi... »  Et quand il dit « dès l’aube », il veut dire depuis l’aube des temps : depuis toujours le peuple d’Israël est en quête de son Dieu. « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » : en Israël, ces expressions sont très réalistes : la terre désertique, assoiffée, qui n’attend que la pluie pour revivre, c’est une expérience habituelle, très suggestive.

 

DIEU, TU ES MON DIEU, JE TE CHERCHE DÈS L'AUBE

Depuis l’aube de son histoire, Israël a soif de son Dieu, une soif d’autant plus grande qu’il a expérimenté la présence, l’intimité proposée par Dieu. Et donc, à un deuxième niveau, c’est l’expérience du peuple qui affleure dans ce psaume : par exemple « mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau »  est certainement une allusion au séjour dans le désert après la sortie d’Égypte et à l’expérience terrible de la soif à Massa et Mériba (Ex 17). La plus belle prière est certainement celle qui jaillit de notre pauvreté spirituelle, comme la plainte du déshydraté : « J’ai soif ».

         « Je t’ai contemplé au sanctuaire » est une allusion aux manifestations de Dieu au Sinaï, le lieu sacré où le peuple a contemplé son Dieu qui lui offrait l’Alliance. « J’ai vu ta force et ta gloire », dans la mémoire d’Israël, cela évoque les prodiges de l’Exode pour libérer son peuple de l’esclavage en Égypte. Tout autant que la formule « Tu es venu à mon secours » : on n’oubliera jamais, de mémoire d’homme, en Israël, cette phrase de Dieu à Moïse : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses chefs de corvée. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer. » (Ex 3,7).

         Quand on méditait sur cette libération apportée par Dieu, on comparait parfois celui-ci à un aigle apprenant à ses petits à voler : « Il est comme l’aigle qui encourage sa nichée : il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sur ses ailes. » (Dt 32,11). En écho on lit dans le livre de l’Exode, au moment de la célébration de l’Alliance : « Tu diras ceci à la maison de Jacob... Vous avez vu vous-mêmes comment je vous ai portés sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. » (Ex 19, 4). Si bien que les ailes des chérubins dans le Temple prenaient encore une autre signification. Elles sont les ailes protectrices de celui qui apprend à Israël le chemin de la liberté.

         Toutes ces évocations d’une vie d’Alliance, d’intimité sans ombre sont peut-être la preuve que ce psaume a été écrit dans une période moins lumineuse ! Où l’on a bien besoin de s’accrocher aux souvenirs du passé. Tout n’est pas si rose et les derniers versets (que la liturgie ne nous fait pas chanter), disent fortement, violemment même l’attente de la disparition du mal sur la terre, par exemple : « Ceux qui pourchassent mon âme, qu’ils descendent aux profondeurs de la terre »...  Israël attend la pleine réalisation des promesses de Dieu, les cieux nouveaux, la terre nouvelle, et la délivrance de tout mal et de toute persécution.

         L’expression « je te cherche dès l’aube... mon âme a soif » dit aussi que cette quête n’est pas encore comblée : Israël est le peuple de l’attente, de l’espérance : « Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur n’attend l’aurore. » (Ps 129/130,6). Quand Jésus parle de veille, de vigilance dans la parabole des vierges sages et des vierges folles (qui sera notre évangile de ce trente-deuxième dimanche), c’est à cela qu’il pense : une recherche permanente de Dieu.

         Aujourd’hui à la suite du peuple juif, le peuple chrétien reprend à son compte cette prière, cette soif, cette attente : le psaume 62/63 fait partie de la prière des Heures du dimanche matin de la première semaine. Car dans la liturgie chrétienne, le dimanche, jour de la Résurrection du Christ, est le jour privilégié où nous célébrons la totalité du mystère de l’Alliance de Dieu avec son peuple, depuis l’aube de son histoire, dans l’attente de l’avènement définitif de son Royaume.
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Notes

1 – L’Arche d’Alliance est perdue depuis l’Exil à Babylone et personne ne sait ce qu’elle est devenue.

2 – En réalité, seul le grand-prêtre avait accès au Saint des Saints, une fois par an, le jour du Yom Kippour (le Grand Pardon). Le prêtre en prière, s’imagine être sous l’ombre de l’Arche.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS     4,  13-18

 

13 Frères,       
     nous ne voulons pas vous laisser dans l'ignorance          
     au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ;      
     il ne faut pas que vous soyez abattus       
     comme les autres, qui n'ont pas d'espérance.
14 Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ;    
     de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis,      
     Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
15 Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci :         
     nous les vivants,   
     nous qui sommes encore là pour la venue du Seigneur,  
     nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis.
16 Au signal donné par la voix de l'archange, et par la trompette divine,
     le Seigneur lui-même descendra du ciel, 
     et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d'abord.
17 Ensuite, nous les vivants, 
     nous qui sommes encore là,
     nous serons emportés sur les nuées du ciel,         
     en même temps qu'eux,    
     à la rencontre du Seigneur.          
     Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur.
18 Réconfortez-vous donc les uns les autres
     avec ce que je viens de dire.
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L’ESPÉRANCE DES CHRÉTIENS

         On se demande souvent ce que les chrétiens ont de plus que les autres ; saint Paul vient de nous donner une réponse : nous avons reçu en cadeau l’espérance ! D’après lui, c’est ce qui nous distingue : « Il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance ». Une espérance qui ne repose ni sur des raisonnements, ni sur des convictions, ni sur de quelconques prédictions... mais sur un événement qui est le socle de notre foi : à savoir la Résurrection de Jésus-Christ.

         Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul va jusqu’à dire : « Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi. » (1 Co 15,14). De deux choses l’une : ou bien Christ est ressuscité ou bien il ne l’est pas. S’il n’est pas ressuscité, alors notre foi est un château de cartes qui ne peut que s’écrouler. « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est illusoire... Dès lors, même ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espérance en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (1 Co 15,17-19). Si c’est cela, nous avons été trompés et l’avenir est bouché.

         Mais, bien sûr, Paul continue, toujours dans cette lettre aux Corinthiens : «  Mais non : Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts. » (1 Co 15,20). « Prémices », c’est-à-dire premier-né de l’humanité vivante. Paul fait allusion, ici, à la coutume de l’offrande des prémices dans l’Ancien Testament : lorsqu’on offrait à Dieu la première gerbe de la récolte, ou l’animal premier-né du troupeau, ces offrandes (ces « prémices ») représentaient la totalité de la récolte, l’ensemble du troupeau. De la même manière, Jésus ressuscité est « prémices » de toute l’humanité.

         Et alors nous pouvons contempler ce projet de Dieu : le Dieu vivant a conçu un peuple de vivants ; et c’est pour cela que nous sommes le peuple de l’espérance ; rappelons-nous la discussion de Jésus avec les Sadducéens (Mt 22,23s) : à l’époque du Christ, la foi en la Résurrection était un progrès tout récent de la théologie juive ; les Pharisiens y croyaient, mais pas encore les Sadducéens : ils donnaient pour argument la complexité des rapports dans l’au-delà pour une femme qui aurait eu sur terre successivement sept maris : « À la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femme, puisque tous l’ont eue pour femme ? » Jésus leur répond, d’abord, qu’il ne faut pas envisager la Résurrection comme une copie de notre vie sur la terre, la perspective de la mort en moins ; mais surtout, il affirme la Résurrection : « Pour ce qui est de la Résurrection des morts, n’avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite : ‘Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob’ ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».

LA CRÉATION TOUT ENTIÈRE GÉMIT DANS LES DOULEURS DE L’ENFANTEMENT

         Cette parole-là lui a permis, à lui, Jésus, le premier, d’affronter la mort. Quand il annonce sa Passion à ses disciples, il annonce toujours en même temps sa Résurrection (Mt 16,16 par ex) ; cette parole-là doit nous permettre à notre tour d’affronter la vie sans angoisse excessive à la pensée de son terme inéluctable, et d’affronter la mort, le jour venu. Comme dit Paul encore : « J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous. Car la Création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu ... elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet : la Création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement. » (Rm 8,17-23).

         Cet enfantement, c’est celui du dessein bienveillant de Dieu : s’il y a un moment où nous devons nous souvenir à tout prix que le dessein de Dieu est bienveillant, c’est quand nous envisageons notre mort ; et alors, il ne nous reste plus qu’à nous laisser faire puisque sa volonté est bonne pour nous : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Ep 1,9-10).

RIEN NE POURRA NOUS SÉPARER DE LUI

         Ce projet de Dieu, c’est donc un peuple de vivants qui ne font qu’un en Jésus-Christ, comme un seul homme. Au fond, ce qui nous est le plus difficile à imaginer, c’est ce projet d’union : « Réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ ». C’est certainement à cela que Paul pensait lorsqu’il écrivait : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ?... Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort, ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rm 8,35-39).

         Rien ne pourra nous séparer de lui, rien, pas même la mort biologique : c’est pour cela que Paul emploie l’image du sommeil ; quelqu’un qui dort est bien vivant ! Et donc ceux qui nous ont quittés ne seront pas séparés du Christ. Comme dit Paul dans notre texte d’aujourd’hui : « Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur ». Voilà qui devrait nous permettre de nous réconforter mutuellement. Paul lui-même en a eu peut-être parfois besoin puisqu’il dit dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage et même si, en nous, l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. » (2 Co 4,16-17) ; et dans la lettre aux Philippiens : « Notre cité à nous est dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur, le Seigneur Jésus-Christ, qui transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec la force qui le rend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir. » (Phi 3,20-21).

         Pour terminer, imaginons le dernier jour, celui que Jésus appelle « l’avènement du Fils de l’Homme » : le journaliste de service écrira « Ils se sont tous levés comme un seul homme » !

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU    25,1-13

 

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples cette parabole :
1   « Le royaume des Cieux sera comparable
     à dix jeunes filles invitées à des noces,
     qui prirent leur lampe
     pour sortir à la rencontre de l’époux.
2   Cinq d’entre elles étaient insouciantes,
     et cinq étaient prévoyantes :
3   les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
4   tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes,
     des flacons d’huile.
5   Comme l’époux tardait,
     elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
6   Au milieu de la nuit, il y eut un cri :
     ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’
7   Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
     et se mirent à préparer leur lampe.
8   Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes :
     ‘Donnez-nous de votre huile,
     car nos lampes s’éteignent.’
9   Les prévoyantes leur répondirent :
     ‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous,
     allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’
10 Pendant qu’elles allaient en acheter,
     l’époux arriva.
     Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces,
     et la porte fut fermée.
11 Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
     ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’
12 Il leur répondit :
     ‘Amen, je vous le dis :
     je ne vous connais pas.’

13 Veillez donc,
     car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

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LA PARABOLE DES DIX JEUNES FILLES

         « Le Royaume des cieux est semblable à dix jeunes filles invitées à des noces ... » Cette comparaison très positive avec des noces prouve bien que Jésus n’a pas imaginé cette parabole pour nous inquiéter ; il nous invite à nous transporter déjà au terme du voyage, quand le Royaume sera accompli et il nous dit  « Ce sera comme un soir de noce » : d’entrée de jeu, on peut donc déjà déduire que même la dernière parole « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » ne doit pas nous faire peur, ce n’est jamais le but de Jésus. À nous de déchiffrer ce qu’elle veut dire.

         C’est une parabole, c’est-à-dire que c’est la leçon finale qui compte. Ce n’est pas une allégorie, il n’y a donc pas à chercher des correspondances entre chaque détail de l’histoire et des situations ou des personnes concrètes. Enfin, ne nous scandalisons pas de ces prévoyantes qui refusent de partager, ce n’est pas une parabole sur le partage.

         Toutes ces précautions prises, il reste à découvrir ce que peut vouloir dire cette fameuse dernière phrase « Veillez donc ». Pour commencer, reprenons les éléments de la parabole : des noces, une invitation ; dix jeunes filles, cinq d’entre elles sont insouciantes, cinq sont prévoyantes ; les prévoyantes ont de l’huile en réserve, les insouciantes ont pris leur lampe sans emporter d’huile... or il est vrai qu’une lampe à huile sans huile n’est plus une lampe à huile... C’est aussi insensé 1 que de mettre une lampe sous le boisseau : « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » (Mt 5,15).

          L’époux tarde à venir et tout notre petit monde s’endort, les prévoyantes comme les autres : on peut noter au passage que ce sommeil ne leur est pas reproché, ce qui prouve que le mot de la fin « Veillez » n’interdit pas de dormir, ce qui est pour le moins paradoxal ! L’époux finit quand même par arriver et l’on connaît la suite : les prévoyantes entrent dans la salle de noces, les insouciantes se voient fermer la porte avec cette phrase dont on ne sait pas dire si elle est dure ou attristée « Je ne vous connais pas » leur dit l’époux. Et cette fameuse conclusion : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

À LA RENCONTRE DE L’ÉPOUX CHAQUE JOUR

         Chose curieuse, Jésus a déjà traité à peu près le même thème dans une autre parabole, celle des deux maisons : l’une est bâtie sur le roc, l’autre sur le sable. « La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé » : l’une des deux a résisté, l’autre s’est écroulée ; jusque-là rien de surprenant, on aurait pu s’en douter ; mais voici que Jésus s’explique : celui qui a bâti sur le roc, c’est « tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique... » ; que sont  ces fameuses « paroles qu’il vient de dire » ? Nous sommes au chapitre 7 de saint Matthieu ; quelques lignes auparavant, on a pu lire : « Ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur’, qu’on entrera dans le royaume des Cieux ; mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé ? en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?’ Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal. » (Mt 7,21-27).

         Et Jésus continue : « Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique, est comparable à un homme prévoyant 2 qui a construit sa maison sur le roc... ». Dans la parabole des deux maisons, le lien est donc clair : « Je ne vous connais pas, car vous commettez le mal » ; en d’autres termes, « vous faites de très belles choses (prophéties, miracles...) mais vous n’aimez pas vos frères » ; ici, dans la parabole des dix vierges, cela revient au même : c’est « Je ne vous connais pas, vous n’êtes pas la lumière du monde... vous êtes appelées à l’être, mais il n’y a pas d’huile dans vos lampes ».

         Les deux fois, Jésus emploie cette même formule « Je ne vous connais pas » : ce n’est pas un verdict sans appel, c’est un constat triste : « Je ne vous connais pas encore », « Vous n’êtes pas encore prêts pour le Royaume, vous n’êtes pas prêts pour les noces » ; il faut sans doute l’entendre au sens de « Je ne vous reconnais pas » : vous ne me ressemblez pas, vous n’êtes pas en communion avec moi.

         Le rapprochement avec la parabole des deux maisons peut encore nous éclairer : celle-ci était la conclusion du discours sur la montagne dans lequel Jésus proclamait  « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi’. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes...Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5,43-48).

         « Veiller », c’est donc vivre au jour le jour cette ressemblance avec le Père pour laquelle nous sommes faits : c’est aimer comme lui ; chose impossible, sommes-nous tentés de dire... heureusement cette ressemblance d’amour est cadeau ; comme nous l’ont dit les autres lectures de ce dimanche, il nous suffit de la désirer ; de le chercher, comme dit le psaume « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » ; d’aller à la rencontre de cette Sagesse dont nous parlait la première lecture, celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice. Veiller, en fin de compte, c’est être toujours prêt à le recevoir. Cette rencontre de l’époux se fait non pas au bout du temps, à la fin de l’histoire terrestre de chacun, mais à chaque jour du temps ; c’est à chaque jour du temps qu’il nous modèle à son image.

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Notes

1-« Insensé » : c’est affaire de cohérence.

2-Le mot grec qui a été traduit en français par « prévoyant » est bien le même dans les deux paraboles (Mt 7,24 // Mt 25,2).

Compléments

- Il y a plusieurs manières d’envisager le temps qui passe ; pour un chrétien, elle ne peut être que positive : c’est le temps qui prépare la venue du Seigneur, « l’avènement du Fils de l’Homme ». Jean-Sébastien Bach a traité ce thème dans un choral intitulé « Le choral du veilleur » et qui est en fait une variation sur la parabole des jeunes filles prévoyantes et des jeunes filles insouciantes  ; il commence par un pas de danse très gai sur un registre un peu haut : vous les avez reconnues, ce sont les jeunes filles insouciantes ; puis, plus bas, intervient gravement la musique du cantique « Adoro te devote » : ce sont les vierges prévoyantes en train de méditer ; enfin au pédalier, s’installe un rythme régulier, appuyé, qui symbolise le temps qui s’écoule.

- « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » : personne ne peut remplir ma lampe à ma place. Il y va de ma liberté et de ma responsabilité.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 11 08, 32e dimanche du temps ordinaire A

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30 octobre 2020 5 30 /10 /octobre /2020 01:01

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 31 octobre 2020).

LECTURE  DU LIVRE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN   7, 2 - 4. 9 - 14

 

     Moi, Jean,
2   j’ai vu un ange
     qui montait du côté où le soleil se lève
     avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ;
     d’une voix forte, il cria aux quatre anges
     qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer :
3   « Ne faites pas de mal à la terre,
     ni à la mer, ni aux arbres,
     avant que nous ayons marqué du sceau
     le front des serviteurs de notre Dieu. »
4   Et j’entendis le nombre
     de ceux qui étaient marqués du sceau :
     ils étaient cent quarante-quatre mille,
     de toutes les tribus des fils d’Israël. 

9   Après cela, j’ai vu :
     et voici une foule immense,
     que nul ne pouvait dénombrer,
     une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
     Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
     vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
10 Et ils s’écriaient d’une voix forte :
     « Le salut appartient à notre Dieu,
     qui siège sur le Trône,
     et à l’Agneau ! »
11 Tous les anges se tenaient debout autour du Trône,
     autour des Anciens et des quatre Vivants ;
     se jetant devant le Trône, face contre terre,
     ils se prosternèrent devant Dieu.
12 Et ils disaient :
     « Amen !
     Louange, gloire, sagesse et action de grâce,
     honneur, puissance et force
     à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
13 L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :
     « Ces gens vêtus de robes blanches,
     qui sont-ils ? et d’où viennent-ils ? »
14 Je lui répondis :
     « Mon seigneur, toi, tu le sais. »
     Il me dit :
     « Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
     ils ont lavé leurs robes,
     ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »                    
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LA FOULE DES BAPTISÉS

 

« Moi, Jean, j’ai vu » il s’agit donc d’une vision : « Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève », et un peu plus loin : « Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer ». Nous sommes prévenus : la description qui va suivre, et qui, ici, est superbe, grandiose, est d’ordre mystique : il n’est pas question de la prendre au pied de la lettre ; pour la comprendre, il faut nous laisser prendre, elle nous emporte dans un autre monde.

Lorsque l’apôtre Jean raconte la vision qu’il a eue à Patmos, ses auditeurs comprennent fort bien ce qu’il veut leur dire ; pour nous c’est moins clair ; je vais donc reprendre les éléments les uns après les autres.

Jean nous décrit une immense procession composée de deux foules distinctes : la première est composée de cent quarante-quatre mille personnes, (bien sûr, c’est un chiffre symbolique) qu’il appelle les serviteurs de Dieu. Ils sont marqués du « sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ». C’est le Baptême*. Voici donc le peuple des baptisés : c’est à eux que Jean adresse son Apocalypse.

Il décrit ensuite une autre foule : c’est une foule immense, innombrable, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Vous notez au passage qu’il y a quatre termes dans cette énumération : le chiffre quatre dans ce genre de textes évoque le monde créé, le cosmos et donc aussi l’humanité (peut-être en référence aux quatre points cardinaux). Cette foule de « toutes nations, tribus, peuples et langues » représente donc l’humanité. Ils sont en vêtements blancs, ce qui veut dire qu’ils ont revêtu la robe des noces ; ensuite, ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, avec des palmes à la main. La position debout (qui est la posture du ressuscité), la robe nuptiale, les palmes de la victoire, tout nous dit qu’ils sont sauvés.

Et d’ailleurs, ils le proclament : « Le salut appartient à (sous-entendu est donné par) notre Dieu qui siège sur le Trône, et à l’Agneau ! »

Et pourtant les membres de cette deuxième foule ne sont pas marqués du sceau du Baptême. Qui les a introduits dans le salut ? La foule des cent quarante-quatre mille justement. Les cent quarante-quatre mille, je vous ai dit que ce sont les baptisés, les contemporains de saint Jean. Or ils sont à ce moment précis affrontés à une terrible persécution, celle de l’empereur Domitien à la fin du premier siècle.

 

ET LA FOULE INNOMBRABLE DES HOMMES SAUVÉS

Je crois que le message de l’Apocalypse aux chrétiens persécutés est le suivant : tenez bon ; votre témoignage portera ses fruits. Dans votre épreuve se trouve le salut de tous les hommes. Grâce à vous, grâce à vos souffrances endurées dans « la grande épreuve » (v. 14) de la persécution, la foule innombrable des nations sera sauvée.

Évidemment, on peut se poser deux questions : tout d’abord, pourquoi la souffrance des uns entraîne-t-elle le salut des autres ? D’autre part, pourquoi Jean parle-t-il ainsi dans un langage tellement codé que nous avons du mal à le déchiffrer. Pourquoi ne parle-t-il pas en clair ?

À propos de la souffrance des uns qui entraîne le salut des autres, c’est le grand mystère dont le prophète Isaïe parlait dans les chants du serviteur souffrant : il disait que le cœur du bourreau ne peut être touché que par la prise de conscience de la douleur de ses victimes. « Reconnu juste, mon serviteur dispensera la justice », disait Isaïe (Is 53). Zacharie reprenait la même méditation lorsqu’il disait : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10) et ce jour-là leur cœur sera enfin changé. Et l’évangéliste Jean lui-même a précisément repris cette phrase dans le récit de la mort du Christ. Ici, Jean dit la même chose à ses frères persécutés : dans vos souffrances, se trouve le salut de vos frères.

Pourquoi saint Jean ne parle-t-il pas en clair ? C’est tout le problème du style de son discours, il s’agit de ce que l’on appelle une « Apocalypse » ; c’est-à-dire que c’est un écrit clandestin qui circule sous le manteau, à la barbe des autorités ; ici, il s’agit des autorités romaines, à la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Ce livre s’adresse donc à des croyants qui vivent sous la menace perpétuelle de la persécution ; et donc, il se présente comme tous les messages de réseaux de résistance, avec un langage codé, compréhensible par les seuls initiés. C’est la première caractéristique de ce genre littéraire : tous les écrits apocalyptiques rapportent des visions et emploient des images et des nombres symboliques.

La deuxième caractéristique des Apocalypses, c’est leur thème. Dans toutes les périodes sombres de l’histoire d’Israël, Dieu a suscité des prophètes dont la mission était de réveiller l’espérance ; en période de persécution, le discours tenu pour réveiller les énergies consiste à dire : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Les vrais vainqueurs en définitive, c’est vous, les croyants, à l’image du Christ lui-même ; il est l’Agneau apparemment vaincu, égorgé, mais en réalité, il a vaincu le monde, il a vaincu la mort. **

Alors, on comprend le titre de ce livre « Apocalypse » qui signifie « lever le voile » ; une « apocalypse » est toujours une « révélation », un « dévoilement » au sens de « retirer un voile ». Cet écrit lève le voile de l’apparence (à savoir la domination triomphante de Rome) et il annonce, il révèle la victoire de Dieu et de son Christ sur toutes les forces du mal, si terrifiantes soient-elles.

Nous retrouvons ces deux caractéristiques dans le texte d’aujourd’hui.

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Complément

-  C’était l’usage dans l’armée romaine de marquer les recrues d’un signe sur le front ; de la même manière, le baptisé était devenu soldat du roi des cieux. Le sceau protecteur était également un thème connu de l’Ancien Testament (Ex 12,7 ; Ez 9,4).

- Apocalypse : Jean voit la victoire des pauvres et des petits, non pas comme une revanche mais comme le dévoilement de la victoire de Dieu sur les forces du mal

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PSAUME   23 (24)

 

1   Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,   
     la terre et tous ses habitants !       
2   C'est lui qui l'a fondée sur les mers          
     et la garde inébranlable sur les flots.

3   Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
     et se tenir dans le lieu saint ?       
4   L'homme au cœur pur, aux mains innocentes,     
     qui ne livre pas son âme aux idoles.          

5   Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction, 
     et de Dieu son Sauveur, la justice.           
6   Voici le peuple de ceux qui le cherchent 
     qui recherchent la face de Dieu !
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QUI PEUT GRAVIR LA MONTAGNE DU SEIGNEUR ?

Comme dans tout psaume, Nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’approche ; à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (Vous vous souvenez que le Temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ».

C’est le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le saint, le tout-Autre ; « Saint, saint, saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers » proclament les séraphins pendant l’extase de la vocation d’Isaïe... (Is 6,3) et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir », comme dit Isaïe, en sa compagnie. Vous voyez combien ce psaume consonne avec la fête de tous les saints. Ils ont « gravi la montagne du SEIGNEUR », ils sont admis en présence du Dieu saint et ils chantent désormais le chant d’Isaïe, celui auquel nous unissons nos voix chaque dimanche, comme le dit la Préface de la Toussaint : juste avant de chanter ce que nous appelons le Sanctus, le prêtre dit « C’est pourquoi avec cette foule immense que nul ne peut dénombrer, avec tous les anges du ciel, nous voulons te chanter... »

Le psaume continue : « l’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; nous retrouvons là une expression que nous connaissons bien : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; même chose dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » : « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.

 

UN CŒUR PUR, ENTIÈREMENT TOURNÉ VERS DIEU

« L’homme au cœur pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens  qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le cœur pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.

« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.

Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au cœur pur, aux mains innocentes... qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. « L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, (c’est celui) qui ne livre pas son âme aux idoles. »

Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener tout au long de l’histoire d’Israël pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; depuis la sortie d’Égypte (vous vous rappelez l’épisode du veau d’or), et jusqu’à l’Exil à Babylone et même au-delà ; il faut dire qu’à toutes les époques, Israël a été en contact avec une civilisation polythéiste ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. Au passage, il faut noter que l’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.

Effectivement, c’est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; bien sûr, à un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au cœur pur deviendra peu à peu un homme au cœur de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.

En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés... Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ». La dernière phrase « Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu ! » est peut-être une bonne définition de la pauvreté de cœur dont parle Jésus dans les Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! »

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN    3, 1 - 3

 

     Bien-aimés,
1   voyez quel grand amour nous a donné le Père
     pour que nous soyons appelés enfants de Dieu
     - et nous le sommes.
     Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
     C’est qu'il n'a pas connu Dieu.     
2   Bien-aimés,
     dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
     mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
     Nous le savons : quand cela sera manifesté,
     nous lui serons semblables
     car nous le verrons tel qu'il est.    
3   Et quiconque met en lui une telle espérance
     se rend pur comme lui-même est pur.
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L’URGENCE D’OUVRIR LES YEUX

 « Mes bien-aimés, voyez... » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », disaient les prophètes : voilà le drame de l’homme. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son dessein bienveillant, comme dirait saint Paul ; saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.

Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu’un texte.

Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Ève dans le jardin d’Éden : c’est bien une affaire de regard ; le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor : un jardin avec des quantités d’arbres ; « Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 2,9). Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas... » Alors le serpent, pour séduire Ève, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. »  Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l’accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent... » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu’ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.

Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Ève a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean. (Jn 17,3).

 

UNE MULTITUDE DE FILS

Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; saint Paul, dans la lettre aux Éphésiens, dit : « Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ, ainsi l’a voulu sa bienveillance. » (Ep 1,5). C’est ce qu’il appelle le « dessein bienveillant de Dieu » qui consiste à réunir toute l’humanité en un seul être, dont la tête est Jésus-Christ et dont nous sommes les membres. Jean ne dit pas autre chose : Jésus est le Fils par excellence et nous qui sommes ses membres, nous sommes appelés, c’est logique, enfants de Dieu. Et il continue : « et nous le sommes » ; c’est déjà devenu une réalité par notre Baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres. Paul dit exactement la même chose « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27).

Comme dit encore Jean dans le Prologue de son évangile : « À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12 ). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet Esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4,4). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.

En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour les non-croyants ; c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». Comme dit Jean : « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. À ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »

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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU      5, 1-12a

 

     En ce temps-là,
1    voyant les foules,  
     Jésus gravit la montagne. 
     Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent de lui.
2   Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
     Il disait :
3    « Heureux les pauvres de cœur,
     car le royaume des Cieux est à eux.
4    Heureux ceux qui pleurent :
     car ils seront consolés.
5   Heureux les doux, 
     car ils recevront la terre en héritage.
6    Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
     car ils seront rassasiés.
7    Heureux les miséricordieux,
     car ils obtiendront miséricorde.
8    Heureux les cœurs purs,
     car ils verront Dieu.
9    Heureux les artisans de paix,
     car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
     car le royaume des Cieux est à eux !
11 Heureux êtes-vous si l'on vous insulte,
     si l'on vous persécute
     et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
     à cause de moi.
12 Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse,
     car votre récompense est grande dans les cieux !" »
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LE DON DES LARMES

Commençons par ce qui risque de nous choquer : « Heureux ceux qui pleurent ». Qui d’entre nous oserait dire une chose pareille devant quelqu’un qui pleure ? Et souvenons-nous que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur !

Tout d’abord, il faut s’entendre sur le mot « heureux » : les auditeurs de Jésus le connaissaient bien car il était très habituel dans l’Ancien Testament. Contrairement à ce que nous imaginons, ce n’est pas un constat de bonheur du genre « tu en as de la chance ! », c’est un encouragement à tenir bon. An­dré Chou­ra­qui le tra­duisait « En mar­che » : sous-en­ten­du, « Tu es bien par­ti. Tu es bien en mar­che vers le royau­me. » On peut l’entendre aussi comme « Tiens bon, garde le cap ». Adressée à des gens qui pleurent, cela voudrait dire : « Ne vous laissez pas décourager, ne changez pas de ligne de vie pour autant ».

Ensuite, sans parler des larmes de bonheur, évidemment, il y a des larmes qui sont bénéfiques : celles du repentir de saint Pierre, par exemple, dont parle le Pape Benoît XVI dans son livre sur Jésus. C’est là que l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu. Il y a également celles que nous versons lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance ou le chagrin des autres. Dans ces cas-là, nous sommes sur le bon chemin, nos cœurs de pierre sont en train de devenir des cœurs de chair, pour reprendre l’expression du prophète Ézéchiel. On pourrait dire la même chose lorsque nous pleurons devant la cruauté de certains, devant ce que j’appellerais la dureté du monde.1

Enfin, il y a là très certainement, de la part de Jésus l’annonce que le temps du Messie est venu, le temps où s’instaurera le bonheur promis à l’humanité.

Je reviens à la première béatitude : « Heu­reux les pau­vres de cœur, le Royau­me des cieux est à eux ». Il me semble que cette béatitude-là contient toutes les autres, qu’elle est le secret de toutes les autres. Évidemment, ce n'est pas une idéa­li­sa­tion de la pau­vre­té ma­té­riel­le : la Bi­ble pré­sen­te tou­jours la pau­vre­té com­me un mal à com­bat­tre ; mais d'abord, il faut bien di­re que ce n'étaient pas les gens so­cia­le­ment in­fluents, im­por­tants qui for­maient le gros des fou­les qui sui­vaient Jé­sus ! On lui a as­sez re­pro­ché de frayer avec n'importe qui !

Deuxiè­me­ment, le mot « pau­vres » dans l’Ancien Tes­ta­ment n’a pas tou­jours un rap­port avec le comp­te en ban­que : les « pau­vres » au sens bi­bli­que (les « ana­vim ») ce sont ceux qui n’ont pas le cœur fier ou le re­gard hau­tain, com­me dit un psau­me ; on les ap­pel­le « les dos cour­bés » : ce sont les pe­tits, les hum­bles du pays, dans le lan­ga­ge pro­phé­ti­que. Ils ne sont pas re­pus, sa­tis­faits, contents d’eux, il leur man­que quel­que cho­se. Alors Dieu pour­ra les com­bler. Nous re­tro­u­vons ici sous la plu­me de Mat­thieu un écho de la pa­ra­bo­le du pha­ri­sien et du pu­bli­cain : le pha­ri­sien pour­tant ex­trê­me­ment ver­tueux ne pou­vait plus ac­cueillir le sa­lut de Dieu parce que son cœur était plein de lui-mê­me ; le pu­bli­cain, no­toi­re­ment pé­cheur, se tour­nait vers Dieu et at­ten­dait de lui son sa­lut, alors il était com­blé.

 

HEUREUX LES PAUVRES, LES RICHESSES DE DIEU SONT À VOUS

La qua­li­té dont il s’agit ici, c’est « l’esprit de pau­vre­té », c’est-à-di­re la qua­li­té de « ce­lui qui a pour re­fu­ge le nom du SEI­GNEUR », com­me le dit So­pho­nie, ce­lui qui a be­soin de Dieu, ce­lui qui re­çoit tout de Dieu com­me un ca­deau : celui qui prie humblement « Kyrie eleison », Seigneur prends pitié. Et qui attend de Dieu et de lui seul tout ce dont il est ques­tion dans les au­tres Béa­ti­tu­des : ê­tre ca­pa­ble de mis­é­ri­cor­de, c’est-à-di­re de par­don et de com­pas­sion, être ar­ti­san de paix, être doux, ou non-vio­lent, être af­fa­mé et as­soif­fé de jus­ti­ce ; car tout ce­la est ca­deau ; et nous ne pou­vons met­tre vé­ri­ta­ble­ment ces ta­lents au ser­vi­ce du Royau­me que quand nous les re­ce­vons dans cet es­prit. Au fond, la pre­miè­re Béa­ti­tu­de, c’est cel­le qui nous per­met de re­ce­voir tou­tes les au­tres. Heu­reux, les pau­vres : met­tez vo­tre confian­ce en Dieu : Il vous com­ble­ra de ses ri­ches­ses ... SES ri­ches­ses... « Heu­reux » ...  ce­la veut di­re « bien­tôt on vous en­vie­ra » !

Tous ceux qui attendent tout de Dieu, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.

Alors, effectivement, ces béatitudes sont, comme leur nom l’indique, des bonnes nouvelles ; quelques lignes avant cet évangile des Béatitudes, Matthieu disait : « Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Mais ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Dieu se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples.

De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là ou nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur, la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution... Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.

         Autre bonne nouvelle : de cela nous sommes tous capables !

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Note

1 – D’après Ézéchiel, seront marqués d’un signe spécial au Jour du Jugement, ceux qui auront pleuré devant les douleurs et les méfaits du monde (Ez 9,4).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 11 01, Tous les saints A

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19 octobre 2020 1 19 /10 /octobre /2020 12:58

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 24 octobre 2020).

LECTURE DU LIVRE DE L’EXODE   22, 20-26

 

     Ainsi parle le SEIGNEUR :
20 « Tu n’exploiteras pas l'immigré, 
     tu ne l'opprimeras pas,      
     car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte.
21 Vous n'accablerez pas la veuve et l'orphelin.
22 Si tu les accables et qu'ils crient vers moi,           
     j'écouterai leur cri.
23 Ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée :
     vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
24 Si tu prêtes de l'argent à quelqu'un de mon peuple,        
     à un pauvre parmi tes frères,        
     tu n'agiras pas envers lui comme un usurier :       
     tu ne lui imposeras pas d'intérêts.
25 Si tu prends en gage le manteau de ton prochain,           
     tu le lui rendras avant le coucher du soleil.
26 C'est tout ce qu'il a pour se couvrir ;        
     c'est le manteau dont il s'enveloppe,        
     la seule couverture qu'il ait pour dormir.
     S'il crie vers moi, je l'écouterai,    
     car moi, je suis compatissant ! »
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LES LOIS DITES DE MOÏSE

Le livre de l'Exode contient plusieurs textes de lois qui sont tous attribués à Moïse : en réalité, Moïse en personne n'a promulgué qu'un premier ensemble de lois ; puis au long de la vie du peuple d'Israël, de nouvelles lois adaptées aux nouvelles conditions sociales ont vu le jour et ont été insérées dans le livre de l'Exode, à la suite des premières. Tout comme notre Code civil ou pénal est régulièrement modifié, complété et pourtant c'est le même livre et il continue à porter le même nom. Mais les lois nouvelles reflètent le contexte nouveau dans lequel elles ont été votées ; elles répondent à de nouvelles questions, de nouvelles formes de délits : toute loi est toujours de circonstance !

En fait, toutes les lois données par Moïse et par ses successeurs, à des époques différentes, dans des conditions de vie différentes, ont été rassemblées là à la suite du Décalogue (ou des Dix Paroles du Sinaï), parce qu’elles en étaient la suite logique, au long des siècles et de l’évolution historique d’Israël. 

QUOI DE NEUF EN ISRAËL ?

Israël n’est ni le premier ni le seul peuple à avoir promulgué des lois ; on a retrouvé au Proche-Orient des codes de lois beaucoup plus anciens : à Ur par exemple, (la patrie d’Abraham), on connaît un code qui date de 2050 av. J.-C. ; et le fameux code d’Hammourabi (qui se trouve au Musée du Louvre) remonte à environ 1750, toujours av. J.-C. Ces codes ont des quantités de points communs1 : dans toutes les civilisations, la loi est faite pour protéger les faibles : rien d’étonnant donc à ce que la Loi d’Israël, comme les autres, défende les intérêts de la veuve, de l’orphelin, de l’immigré, de l’emprunteur. Mais ce qui est nouveau ici c’est le fondement de la Loi.

AU NOM DU DIEU LIBÉRATEUR

Le fondement de la Loi d’Israël, c’est la libération d’Égypte : ou, plus exactement, c’est la double expérience de l’esclavage en Égypte et de la libération par Dieu. Et parce que Dieu s’est révélé comme celui qui entend la plainte des humiliés, qui leur rend leur liberté et leur dignité, très logiquement, il continue à travers la Loi à prendre la défense des humiliés. Si bien que toutes les lois bibliques sont émaillées de rappels : rappel de la souffrance endurée quand on était esclaves, humiliés... rappels de l’œuvre de Dieu libérant son peuple. Par exemple, les premiers mots du Décalogue ne sont pas encore un commandement mais un rappel : « Je suis le SEIGNEUR ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage » (Ex 20,2) ; ou encore « Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi » (Ex 19,4).

Et si Dieu a libéré son peuple c’est parce qu’il a entendu le cri des malheureux : « Du fond de leur esclavage, les fils d’Israël gémirent et crièrent. Du fond de leur esclavage, leur appel monta vers Dieu. Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob... » (Ex 2,23-24). De même dans l’épisode du buisson ardent : « Le SEIGNEUR dit : J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Exode 3,7).

Voilà le fondement de toute Loi en Israël : le Dieu qui entend le cri des malheureux, qui connaît leurs souffrances et donc prend leur défense. « Car moi, je suis compatissant » dit la dernière phrase de notre texte.2

Pour ce peuple qui a fait l’expérience de l’humiliation, il n’est pas difficile de se mettre à la place des humiliés : « Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte. »3 Traduisez : parce que vous savez ce que c’est qu’être humilié, vous n’humilierez personne. Ce n’est pas affaire de raisonnement, de beaux sentiments, c’est affaire d’expérience, quelque chose comme « vous savez ce que c’est, alors mettez-vous à leur place ».

Petite précision au passage : l’immigré dont il s’agit ici, c’est l’étranger qui réside durablement dans le pays, qui s’y installe ; il ne s’agit pas de l’étranger de passage, du touriste, qui bénéficiait de l’hospitalité proverbiale en Orient.

LA RÈGLE D’OR : SE METTRE À LA PLACE

Les quelques commandements du texte d’aujourd’hui relèvent tous de la même logique : mettez-vous à la place du pauvre, de l’emprunteur, de la veuve, de l’orphelin ; ne les maltraitez pas, car Dieu entend leur cri ; nous sommes encore au tout début de la Révélation biblique (même si ces textes sont postérieurs à Moïse) mais déjà on sait que Dieu est concerné par la souffrance humaine, et qu’il vient au secours des pauvres et des humiliés.

Malheureusement, pour l’instant, il faut encore menacer pour que la loi soit respectée : « Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée ». Un jour viendra, nous le savons, où l’homme éduqué peu à peu par Dieu et par la Loi n’aura plus besoin de menaces, car il aura appris à voir en tout homme un frère.

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Notes

1 – Parmi les points communs les plus frappants, on remarque la formulation de type qu’on appelle « casuistique » : par exemple « Si tu prêtes de l’argent ... » ou « Si tu prends en gage le manteau de quelqu’un... ». Mais ce qui est intéressant pour nous, ce sont les nouveautés que la Loi d’Israël apporte par rapport aux peuples voisins.

2 - Verset 26 : le mot « compatissant » n’est pas à entendre ici au sens latin (« compatir », en latin, signifie « souffrir avec »). En hébreu, le mot employé dans ce texte signifie « bienveillant », « ayant pitié ».

3 - Un peu plus loin, le même thème est repris : « Tu n’opprimeras pas l’émigré : vous connaissez vous-mêmes la vie de l’émigré, car vous avez été émigrés au pays d’Égypte » (Ex 23,9).

Compléments

- Les lois nouvelles reflètent le contexte nouveau dans lequel elles ont été votées.

 Prenons un exemple : supposons que vous soyez dans une galerie de tableaux et que vos yeux s’arrêtent sur une Annonciation ; si la Vierge est représentée en costume Renaissance, vous saurez que le peintre ne vivait certainement pas au temps de Jésus, au premier siècle en Israël... de la même manière, des textes juridiques rédigés après l’installation en Canaan reflètent la société de leur temps et non plus le contexte sociologique de l’Exode. Par exemple, dans ce même chapitre 22, il y a un l’article qui prévoit le cas d’un  « voleur  surpris à percer le mur d’une maison » (Ex 22,1) ; il ne date certainement pas des campements sous tente dans le désert du Sinaï ! C’est également le cas dans le texte de ce dimanche : si on s’intéresse au sort des émigrés, c’est que le peuple est installé en Israël, qu’il peut désormais considérer ce pays comme sa terre et que des étrangers viennent à leur tour s’y installer. Toutes conditions, évidemment, non réunies dans le Sinaï pendant l’Exode. Autre chose est un peuple de pasteurs nomades, autre chose un peuple installé, sédentarisé.

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PSAUME  17 (18) 2-3, 4. 20, 47. 51ab

 

2   Je t'aime, SEIGNEUR, ma force :           
3   SEIGNEUR, mon roc, ma forteresse,
     Dieu mon libérateur, le rocher qui m'abrite,
     mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire !

4   Louange à Dieu ! Quand je fais appel au SEIGNEUR,
     je suis sauvé de tous mes ennemis.
20 Lui m'a dégagé, mis au large,       
     il m'a libéré, car il m'aime.   

47 Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher !   
     Qu'il triomphe, le Dieu de ma victoire.
51 Il donne à son roi de grandes victoires,   
     il se montre fidèle à son messie pour toujours.
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QUAND JE FAIS APPEL AU SEIGNEUR, JE SUIS SAUVÉ

Pour comprendre ce psaume, il faut connaître l’histoire de David : on sait qu’à plusieurs reprises, celui-ci a été poursuivi par le roi Saül. Et le Seigneur l’a secouru. Je vous rappelle son histoire. Cela se passe un peu avant l’an mille avant J.-C. À l’époque le roi légitime d’Israël, choisi par Dieu et consacré par l’onction d’huile du prophète Samuel, ce n’était pas David (pas encore), mais Saül, le premier roi d’Israël.

Mais celui-ci ne remplissait plus sa mission ; son règne, bien commencé, se terminait mal. Au lieu d’écouter le prophète, il avait sciemment transgressé ses ordres, et le prophète Samuel l’avait désavoué. C’est alors qu’il avait choisi David encore très jeune pour qu’il soit formé à la cour et qu’il succède plus tard à Saül. Saül est donc resté le roi en titre jusqu’à sa mort, mais il a dû supporter de voir grandir à la cour David, son rival de plus en plus populaire et à qui tout réussissait. Si bien qu’une haine farouche remplit peu à peu le cœur de Saül et qu’il essaya, à plusieurs reprises, mais vainement, de se débarrasser de David. Une fois entre autres, Saül poursuivait David et c’est dans une caverne que David a trouvé refuge. D’où l’expression : « Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite... » Choisi, à sa grande surprise, pour être le futur roi, David savait qu’il pouvait compter sur la protection de Dieu : « Quand je fais appel au SEIGNEUR, je suis sauvé de tous mes ennemis. » Ou encore : « Dieu, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire ! »

Le deuxième livre de Samuel dit que David a chanté ce psaume pour remercier Dieu de l’avoir délivré de tous ses ennemis, à commencer par Saül ; et si vous avez la curiosité de consulter ce deuxième livre de Samuel au chapitre 22, vous y retrouverez le texte de ce psaume 17/18 presque à l’identique. Cela ne prouve pas que, historiquement, David a dit textuellement ces paroles-là, mais que le rédacteur final du livre de Samuel a pensé que ce psaume s’appliquait particulièrement bien à David.

Mais, bien sûr, le vrai sujet du psaume, comme toujours, n’est pas un personnage particulier, pas même le roi David : c’est le peuple tout entier. Et quand il veut rendre grâce à Dieu pour son soutien et sa sollicitude au long des siècles, il se compare au roi David poursuivi par Saül.

LE ROCHER D’ISRAËL

Le peuple d’Israël tout entier, lui aussi, peut dire ces versets en toute vérité : « SEIGNEUR, mon roc... Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite... Lui m’a dégagé, mis au large, il m’a libéré car il m’aime. Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher ! ... » Tout d’abord, bien avant David, on avait expérimenté qu’une caverne dans un rocher peut être un lieu d’asile ; le livre des Juges en donne des exemples ; dire que Dieu est notre Rocher, c’est donc d’abord dire qu’il est notre secours, notre appui le plus sûr. Par exemple, on trouve dans le Deutéronome le fameux cantique de Moïse au Rocher d’Israël : « C’est le nom du SEIGNEUR que j’invoque ; à notre Dieu, reportez la grandeur. Il est le Rocher : son œuvre est parfaite ; tous ses chemins ne sont que justice. Dieu de vérité, non pas de perfidie, il est juste, il est droit. » (Dt 32,3-4). À une époque où on pense que chaque peuple a son dieu protecteur, on admet bien que les autres peuples puissent avoir leur rocher, mais il ne vaut quand même pas celui d’Israël ; on trouve dans le même cantique cette phrase superbe : « Le Rocher de nos ennemis n’est pas comme notre Rocher » (Dt 32,31).

LE ROCHER DE MASSA ET MÉRIBA

Moïse, quand il parle de rocher, lui donne certainement encore un autre sens ; on a là évidemment un écho de la libération d’Égypte (« Le SEIGNEUR m’a libéré car il m’aime ») et aussi de l’Exode, la longue marche au Sinaï ; tout au long de ce périple éprouvant, dans la chaleur, la faim, la soif, parmi les scorpions et les serpents brûlants, la présence de Dieu, sa sollicitude ont été le secours du peuple ; une sollicitude qui est allée jusqu’à faire couler l’eau du Rocher : c’est le célèbre passage de Massa et Meriba ; là où on a eu tellement soif qu’on a eu peur d’en mourir et qu’on a accusé Moïse de vouloir la mort du peuple... L’histoire de cette révolte hante la mémoire d’Israël car elle est typique des doutes qui assaillent le croyant ; mais ici, ce n’est pas la révolte qui est évoquée, c’est la bonté de Dieu qui répond à la révolte par un don plus grand encore :

« Là, le peuple souffrit de la soif. Il récrimina contre Moïse et dit : « Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ? » Moïse cria vers le SEIGNEUR : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! » Et Dieu répondit « Tu frapperas le Rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira » (Ex 17,3-6).

Quand le peuple d’Israël chante ce psaume, il rappelle donc cette présence fidèle depuis toujours à ses côtés de Celui dont le Nom même est « Je suis avec vous » ; mais ce rappel est aussi la source de son espérance ; car tout comme David, ce peuple attend la réalisation des promesses du Dieu fidèle, la venue du Messie qui libèrera définitivement l’humanité. « Vive le SEIGNEUR ! Béni soit mon Rocher ! Qu’il triomphe, le Dieu de ma victoire. Il donne à son roi de grandes victoires, il se montre fidèle à son Messie pour toujours ».

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Complément

David et Goliath

Vous vous rappelez également la lutte entre David et Goliath : David armé d’une simple fronde affrontait le géant équipé de pied en cap et armé jusqu’aux dents ; vexé de l’accoutrement excessivement simple de son rival, Goliath lui avait dit : « Suis-je un chien pour que tu viennes à moi armé de bâtons ?...Viens ici que je donne ta chair aux oiseaux et aux bêtes des champs ». Et David lui avait répondu : « Toi, tu viens à moi armé d’une épée, d’une lance et d’un javelot ; moi, je viens à toi, armé du nom du SEIGNEUR le Tout-Puissant, le Dieu des armées d’Israël que tu as défié. Aujourd’hui même le SEIGNEUR te remettra entre mes mains... et toute la terre saura qu’il y a un Dieu pour Israël. Et toute cette assemblée le saura : ce n’est ni par l’épée, ni par la lance que le SEIGNEUR donne la victoire, mais le SEIGNEUR est le maître de la guerre et il vous livrera entre nos mains » (1 S 17,43-47).

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS   1, 5c-10

 

     Frères,
5   vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous
     pour votre bien.
6   Et vous-mêmes, en fait, vous nous avez imités, nous et le Seigneur,
     en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves,
     avec la joie de l’Esprit Saint.
7   Ainsi vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants
     de Macédoine et de Grèce.
8   Et ce n’est pas seulement en Macédoine et en Grèce
     qu’à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti,
     mais la nouvelle de votre foi en Dieu s’est si bien répandue partout
     que nous n’avons pas besoin d’en parler.
9   En effet, les gens racontent, à notre sujet,
     l’accueil que nous avons reçu chez vous ;
     ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu
     en vous détournant des idoles,
     afin de servir le Dieu vivant et véritable,
10 et afin d’attendre des cieux son Fils
     qu’il a ressuscité d’entre les morts,
     Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.
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DANS UN MONDE HOSTILE

Partout où il passe, Paul entend parler du rayonnement de la jeune communauté de Thessalonique ; il en déduit que sa prédication a porté son fruit. La Parole accueillie par les Thessaloniciens dans la joie les a transformés en profondeur et, du coup, ils sont devenus un modèle pour les autres... comme une traînée de poudre.

Pourtant les conditions de leur conversion n’étaient pas faciles : puisque Paul précise qu’ils ont accueilli la Parole « au milieu de bien des épreuves ». Paul fait allusion ici à l’hostilité de certains Juifs à la prédication chrétienne ; Paul, lui-même, Silvain et Timothée ont essuyé les premiers ce refus de l’Évangile par ceux à qui il était destiné en priorité ; maintenant, c’est la nouvelle communauté chrétienne de Thessalonique qui relève le flambeau et qui rencontre à son tour la persécution ; mais elle tient bon comme l’ont fait avant elle le Christ lui-même puis ses apôtres ; c’est le sens de la phrase « Vous nous avez imités, nous et le Seigneur, en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves avec la joie de l’Esprit Saint ». Apparemment, la joie est un élément important de l’accueil de la Parole ! Cette joie intérieure qui est la signature de l’Esprit Saint.

« Vous vous êtes convertis à Dieu en vous détournant des idoles » ; évidemment, on se demande de quelles « idoles » il s’agit... cela peut vouloir dire soit divinité païenne, soit (pour des Juifs) une fausse image de Dieu. Or la communauté chrétienne naissante de Thessalonique était très mélangée : d’après les Actes des Apôtres « certains des Juifs se laissèrent convaincre et furent gagnés par Paul et Silas, ainsi qu’une multitude de Grecs adorateurs de Dieu et bon nombre de femmes de la haute société. » (Ac 17,4).

TOURNÉS VERS DIEU COMME LE CHRIST

Avant leur adhésion au christianisme, ces divers groupes ne pratiquaient pas la même religion ; on n’a aucune précision sur la pratique religieuse des femmes dont Paul parle ici, et il y avait peut-être parmi elles et parmi les Grecs, des gens qui pratiquaient le culte des divinités païennes ; (on sait qu’au moins vingt divinités païennes différentes étaient vénérées à Thessalonique : on en a retrouvé des traces sur des colonnes) ; mais les Juifs et les Grecs réputés « adorateurs de Dieu » ne vénéraient certainement pas des idoles au sens strict : au contraire ils vénéraient le même Dieu que Paul, le Dieu vivant d’Israël. Seulement, on pouvait adorer le Dieu d’Israël et avoir quand même besoin de se convertir : Paul en savait quelque chose ! Lui aussi était adorateur du vrai Dieu, Juif convaincu et c’est au nom même de ses convictions et de l’idée qu’il se faisait de Dieu qu’il avait commencé par persécuter les chrétiens ; maintenant, il était passé de l’autre côté de la barrière, si on peut dire, et donc il comprenait très bien ce qui se passait. Face à la prédication chrétienne, certains adoptaient l’attitude de Paul, avant sa conversion, d’autres suivaient le Paul du chemin de Damas. La distance entre les deux, c’est l’abandon de ses idées toutes faites sur Dieu, ses idoles, et la découverte du vrai Dieu tel qu’il s’est manifesté en Jésus-Christ.

Ici, Paul emploie une expression superbe : « Vous vous êtes convertis à Dieu », littéralement « vous vous êtes tournés vers Dieu » ; en grec ce sont les mots mêmes que saint Jean emploie pour parler de la relation de dialogue sans ombre, de communion, qui unit le Père et le Fils : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1). Parce qu’ils ont accepté d’ouvrir leur cœur à la Parole de l’apôtre, les Thessaloniciens ont reçu la grâce de la conversion, du retournement. Désormais, eux aussi, comme le Christ, ils sont tournés vers Dieu et cela leur a donné tous les courages pour tenir bon malgré la persécution. Comme dit saint Jean, encore, dans le Prologue, « À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12).

Désormais, ils sont à l’abri de « la colère qui vient », dit saint Paul. La « colère de Dieu », c’est une expression classique pour évoquer la fin des temps. Pour les croyants, ce n’est plus une inquiétude, au contraire. Ce sera le jour de la délivrance, où Dieu supprimera tout ce qui fait du mal à l’homme.

L’IMPATIENCE DES CROYANTS

Désormais, en Jésus-Christ, on ne craint plus le jugement de Dieu, au contraire on est impatient de voir s’accomplir pleinement le projet de Dieu ; il y a là, c’est très net dans tout le Nouveau Testament, et en particulier chez saint Paul, un élément très important de la foi chrétienne, l’attente, une attente fervente, ardente, passionnée ; celle qui nous fait dire chaque jour avec impatience « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »... et cette volonté, nous le savons bien, c’est que la Bonne Nouvelle de l’amour soit proclamée et vécue partout et par tous.
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Compléments

- Dès l'Ancien Testament, on avait compris que la colère de Dieu ne vise pas l'homme lui-même ; elle vise le mal qui abîme l'homme. Mais Jésus-Christ est celui qui instaure définitivement le règne de l'amour sur la terre ; celui qui croit en Jésus-Christ vit dans l'amour et triomphe du mal et de la mort à son tour. Encore une phrase de l'évangile de Jean : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit en Celui qui m'a envoyé, a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. » (Jn 5,24).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   22, 34-40

 

     En ce temps-là,
34 les pharisiens,
     apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens,
     se réunirent,
35 et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus
     pour le mettre à l’épreuve :
36 « Maître, dans la Loi,
     quel est le grand commandement ? »
37 Jésus lui répondit :
     « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
     de tout ton cœur,
     de toute ton âme et de tout ton esprit.

38 Voilà le grand, le premier commandement.
39 Et le second lui est semblable :
     Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements
     dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

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« MAÎTRE, DANS LA LOI, QUEL EST LE GRAND COMMANDEMENT ? »

 

« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Les Pharisiens posent à Jésus une question qui pour eux était classique. On sait que la loi comporte six cent treize commandements ; et ils avaient l’habitude de discuter à longueur de temps pour savoir quel commandement était le plus important ; quand un conflit de devoirs se présentait, il fallait bien hiérarchiser les divers commandements. La réponse de Jésus va les surpendre en les emmenant bien au-delà du terrain juridique.

Le contexte, ici, est important : nous sommes, chez saint Matthieu, dans la dernière étape de la vie terrestre de Jésus, entre son entrée triomphale à Jérusalem et sa Passion. Les discussions se succèdent entre celui que la foule a reconnu comme le Messie et les autorités religieuses, qui, croient-elles, ont, seules, autorité pour reconnaître le véritable Messie. Jésus a raconté trois paraboles (celle des deux fils, celle des vignerons homicides et enfin celle du banquet nuptial et de la robe de noces). C’est le tour des autorités religieuses, maintenant, de lui poser trois questions, dans l’intention de le prendre au piège : celle sur l’impôt à payer à César, celle sur la résurrection des morts et enfin, celle d’aujourd’hui : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »

NON PAS UN COMMANDEMENT MAIS DEUX !

On interroge Jésus sur la Loi, il puise sa réponse dans la Loi ; mais il refuse d’établir une hiérarchie entre les six cent-treize commandements de la Loi : il cite deux commandements tous deux inscrits dans la Loi d’Israël et il les place au même niveau : Tu aimeras le Seigneur, tu aimeras ton prochain.

« Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » : c’est dans le Livre du Deutéronome au chapitre 6, cela fait partie de la profession de foi juive, le Shema Israël ; « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », c’est dans le livre du Lévitique (Lv 19,18). Et il dit « ces deux-là donnent sens à tous les autres » : « De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Il est vrai que la Loi, mais aussi les Prophètes liaient déjà très fort ces deux commandements ; pour la Loi, il suffit de relire le Décalogue, ce que nous appelons les dix commandements : les commandements concernant la conduite envers Dieu sont immédiatement suivis des commandements concernant la conduite envers les autres. Et l’ensemble de la Loi, nous l’avons revu avec le texte du livre de l’Exode qui nous est proposé en première lecture, quand elle dictait la conduite envers les autres, spécialement envers les pauvres, les veuves, les orphelins, les immigrés, le faisait au nom du Dieu de l’Alliance, ce Dieu que l’on devait aimer de tout son cœur et de toute son âme...

Quant aux Prophètes, ils n’avaient fait que rappeler ce lien entre les deux commandements : Isaïe, par exemple : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? (Is 58,6). Ou encore Michée : « Homme, répond le prophète, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. » (Mi 6,8).

En résumé, dans la Loi comme chez les Prophètes, la grande leçon c’était « si vous voulez être les fils du Dieu qui vous a libérés, soyez des libérateurs à votre tour ». Ce qui veut dire que l’expression « tu aimeras » engage une conduite concrète, beaucoup plus qu’un sentiment.

SORTIR DU LÉGALISME          

 Ce faisant, Jésus invite ses interlocuteurs à sortir de l’esprit légaliste : il les appelle à une conversion radicale : avec Dieu on n’est pas dans le domaine du calcul, de ce qu’il faut faire pour être en règle ; on est sous la seule loi de l’amour. Saint Paul, l’ancien Pharisien scrupuleux, qui a fait l’expérience de cette conversion, dira dans la lettre aux Romains « Vous n’êtes plus sous la loi mais sous la grâce » (Rm 6,14). Et si l’on entre dans la logique de l’amour, ces deux commandements sont semblables, dit Jésus, ils sont de même nature ; bien sûr, car il n’y a pas deux sortes d’amour ! Celui dont on aimerait Dieu et celui dont on aimerait nos frères ; le second est la vérification du premier ; comme dit saint Jean : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4,20).

Ici, donc, Jésus met en garde les Pharisiens : il y a des manières d’appliquer la loi qui la trahissent ; elle a été donnée par Dieu pour être un chemin de liberté et de vie, mais on peut très bien en faire un esclavage et même parfois un chemin de mort : par exemple quand le commandement du repos sabbatique vous conduit à laisser à l’abandon un malade ou un mourant, la loi qui dicte le service du frère est trahie.

Donc, ce que Jésus cherche à faire comprendre aux Pharisiens, c’est qu’ils risquent, au nom même de la Loi, d’oublier le commandement de l’amour.

Il est certain que c’est un thème cher à saint Matthieu : lui, le seul des évangélistes à citer deux fois la phrase du prophète Osée « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices » (Osée 6,6)1 ; lui aussi, le seul à rapporter la parabole du jugement dernier « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

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Note

1 – Matthieu cite cette phrase du prophète Osée une première fois dans le récit de sa vocation (Mt 9,13) ; la deuxième fois, c’est précisément à l’occasion d’une controverse de Jésus avec les Pharisiens sur une question similaire à celle de ce dimanche. Il s’agit de l’épisode des épis arrachés dans un champ de blé par les disciples un jour de sabbat. Les Pharisiens reprochent à Jésus ce manquement : « Vois tes disciples qui font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. » Jésus leur répond : « Si vous aviez compris ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice, vous n’auriez pas condamné ces hommes. » (Mt 12,1-8).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 10 25, 30e dimanche du temps ordinaire A

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11 octobre 2020 7 11 /10 /octobre /2020 23:26

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 17 octobre 2020).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  45,1-6

 

1   Ainsi parle le SEIGNEUR à son messie, à Cyrus,          
     qu'il a pris par la main,      
     pour lui soumettre les nations et désarmer les rois,         
     pour lui ouvrir les portes à deux battants,
     car aucune porte ne restera fermée :
4   « À cause de mon serviteur Jacob, d'Israël mon élu,      
     je t'ai appelé par ton nom,
     je t'ai donné un titre,        
     alors que tu ne me connaissais pas.
5   Je suis le SEIGNEUR, il n’en est pas d'autre :   
     hors moi, pas de Dieu.
     Je t'ai rendu puissant,       
     alors que tu ne me connaissais pas,
6   pour que l'on sache, de l'Orient à l'Occident,      
     qu'il n'y a rien en dehors de moi. »
     Je suis le SEIGNEUR, il n’en est pas d'autre     
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PAROLE DU SEIGNEUR AU ROI CYRUS

Quand Isaïe écrit ce texte, les Juifs sont en exil à Babylone depuis presque cinquante ans ; depuis que, en 587, les armées de Nabuchodonosor ont conquis Jérusalem, pillé et dévasté le Temple et emmené comme prisonniers de guerre les survivants encore valides. Et voici que, de toute la région, parviennent les bruits des conquêtes du nouveau maître du monde, Cyrus, le roi de Perse. Or, curieusement, ces bruits sont une bonne nouvelle pour les Juifs déportés à Babylone : tout le monde sait que bientôt toute la région appartiendra à ce nouvel empereur Cyrus à qui rien ne résiste.

Tout le monde sait aussi, car c’est assez inhabituel pour impressionner les foules, que contrairement à tous les autres souverains du temps, celui-là pratique une politique humanitaire : il laisse la vie sauve aux vaincus, ne dévaste pas, ne pille pas, ne déplace pas les populations ; dans tous les pays qu’il conquiert, il rencontre des populations déplacées par les vainqueurs : (c’est le cas des Juifs exilés à Babylone par Nabuchodonosor) ; à chaque fois, il les renvoie dans leur pays, leur rend les biens volés par les conquérants précédents et leur donne même les moyens de reconstruire leur pays. Sans doute a-t-il compris qu’un empereur a tout intérêt à être le maître de peuples heureux.

C’est dans ce contexte qu’Isaïe prononce cette prophétie qui sonne comme une extraordinaire profession de foi : il commence par dire « Ainsi parle le SEIGNEUR à son messie, à Cyrus » : en réalité, il ne parle pas directement à Cyrus lui-même qui ne lira jamais le livre d’un obscur prophète juif : plus vraisemblablement, le message d’Isaïe est adressé aux exilés pour leur redonner espoir, un espoir qui repose sur deux convictions :

Première conviction, Dieu reste fidèle à son Alliance, il n’abandonne pas son peuple élu : c’est le sens de l’expression « À cause de mon serviteur Jacob, d’Israël mon élu ». N’oublions pas que cette phrase est prononcée au moment même où on aurait toutes les raisons d’en douter. Si Israël peut être tombé aussi bas, avoir tout perdu, non seulement son indépendance politique, mais pire sa liberté, sa terre, son Temple, son roi... on peut quand même se demander si Dieu n’a pas abandonné son peuple... et certains se le demandent. C’est pour eux justement que le prophète Isaïe proclame de toutes ses forces « Jacob est toujours le serviteur de Dieu, Israël est toujours son élu ».

DIEU, LE SEUL SEIGNEUR      

Deuxième conviction, Dieu reste le maître des événements : « Je suis le SEIGNEUR, il n’en est pas d’autre : hors moi, pas de Dieu ». Traduisez Cyrus, lui-même, le grand roi païen, est dans sa main : les expressions « donner un titre », « prendre par la main », « ouvrir les portes à deux battants » sont des allusions aux rites du sacre des rois : effectivement, le jour de son sacre, le nouveau roi recevait le nom de fils de Dieu, puis l’onction d’huile ; désormais il était dans la main de Dieu ; pour entrer dans la salle du trône, les portes s’ouvraient, symbole de toutes les portes des villes ennemies qui céderaient bientôt devant lui. Isaïe multiplie les allusions au sacre des rois d’Israël comme si Dieu lui-même avait choisi et sacré Cyrus comme roi à son service. Mais c’est Dieu qui garde l’initiative.

Ce texte n’est donc pas, malgré les apparences, une hymne à la gloire du roi Cyrus. On pourrait dire, au contraire, qu’il le remet à sa place ! Car la tentation d’idolâtrie était réelle en milieu babylonien. Et ce même chapitre 45 d’Isaïe comporte d’autres vigoureuses mises en garde contre l’idolâtrie et l’affirmation répétée que Dieu est Unique. C’est donc précisément au moment où Cyrus vole de victoires en victoires  qu’Isaïe rappelle au peuple juif que Dieu est le seul Seigneur véritable ; Cyrus lui-même est dans sa main : Dieu saura faire tourner le succès de ce roi païen au profit de son peuple élu. Et ce roi païen ne saura même pas lui-même qu’il sert bien involontairement les projets de Dieu ; Isaïe insiste bien : « À cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu, je t’ai appelé par ton nom, je t’ai donné un titre, alors que tu ne me connaissais pas... Je t’ai rendu puissant alors que tu ne me connaissais pas ». À la limite la phrase est écrite de telle manière que le peuple élu semble le plus important, lui qui est pourtant dans une situation apparemment désespérée.

 Mais c’est cela la foi du prophète justement : l’espoir qui repose sur ces deux convictions peut se traduire : « Puisque Dieu reste le maître et qu’il ne vous oublie pas, alors gardez courage ! De cette domination, de cette botte étrangère, Dieu saura faire sortir du bien. Aucun pouvoir humain, si grand soit-il, ne résiste à Dieu ».

On connaît la suite : l’avenir a donné raison à Isaïe ; Cyrus a effectivement conquis Babylone en 539. Il a autorisé les Juifs, dès 538, à rentrer à Jérusalem, en leur rendant les biens volés par Nabuchodonosor et en leur donnant une subvention pour reconstruire le Temple de Jérusalem.

Dernière remarque : Cyrus est appelé « messie » parce qu’il a été choisi par Dieu pour libérer son peuple. Il n’est pourtant ni roi, ni prêtre, ni prophète en Israël, mais le plus important c’est l’œuvre qu’il accomplit. On peut en déduire que chaque fois que quelqu’un agit dans le sens d’une libération véritable des hommes, il  accomplit l’œuvre de Dieu.

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Compléments à Isaïe 45

On ne peut quand même pas dire que l’histoire se répète toujours ! Un prophète juif a pu aller jusqu’à dire qu’un roi d’Iran était le Messie ! Les temps ont bien changé...

Bien sûr, parmi les auditeurs d’Isaïe, certains ont trouvé qu’il poussait l’audace un peu loin. Cela nous vaut une superbe réplique du prophète (quelques lignes plus bas dans ce même chapitre 45) : c’est Dieu qui parle « Au sujet de l’œuvre réalisée par mes mains, est-ce que vous me donneriez des ordres par hasard ? » (Is 45,11).

Insistance sur « Je suis le SEIGNEUR, il n’y a pas d’autre dieu que moi » = preuve des innombrables tentations de fausses pistes : cela est d’une brûlante actualité.

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PSAUME  95 (96), 1.3, 4-5, 7-8, 9-10ac

 

1   Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,       
     chantez au SEIGNEUR, terre entière,
3   racontez à tous les peuples sa gloire,       
     à toutes les nations, ses merveilles !

4   Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué,     
     redoutable au-dessus de tous les dieux :
5   néant tous les dieux des nations !
     Lui, le SEIGNEUR, a fait les cieux.

7   Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples,
     rendez au SEIGNEUR la gloire et la puissance,
8   rendez au SEIGNEUR la gloire de son nom.
     Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis.

9   Adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté :           
     tremblez devant lui, terre entière.
10 Allez dire aux nations : « Le SEIGNEUR est roi ! »
     Il gouverne les peuples avec droiture.
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COMME SI C’ÉTAIT DÉJÀ LA FIN DU MONDE

Une espèce de frémissement, d'exaltation court sous tous ces versets. Pourquoi est-on tout vibrants ? C'est la foi qui fait vibrer ce peuple, ou plutôt c'est l'espérance... qui est la joie de la foi... l'espérance qui permet d'affirmer avec certitude ce qu'on ne possède pas encore.

Car on est en pleine anticipation : il faut lire les derniers versets pour comprendre que ce psaume nous transporte déjà à la fin du monde, en ce jour béni où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. Les voici : « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Les masses de la mer mugissent, la campagne tout entière est en fête. Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du SEIGNEUR, car il vient, car il vient pour juger la terre. Il jugera le monde avec justice, et les peuples selon sa vérité ! » C’est ce jour-là que l’on attend, que l’on chante déjà. Imaginons un peu cette scène que nous décrit le psaume : nous sommes à  Jérusalem ... et plus précisément dans le Temple ; tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, l'esplanade grouille de monde, les marches du parvis du Temple sont noires de monde, la ville de Jérusalem n’y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde. Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c’est une symphonie ; que chantent-ils ? « Dieu règne ! » C’est une clameur immense, superbe, gigantesque... Une clameur qui ressemble à l’ovation qu’on faisait à chaque nouveau roi le jour de son sacre, mais cette fois, ce n’est pas le peuple d’Israël qui acclame un roi de la terre, c’est l’humanité tout entière qui acclame le roi du monde : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, redoutable » (toutes ces expressions sont empruntées au vocabulaire de cour).

QUAND LE MONDE ENTIER ENTRE DANS LA FÊTE

En fait, c’est beaucoup plus encore que l’humanité : la terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu’elles mugissent. Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. A-t-on déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent !

Bien sûr, si on y réfléchit, c’est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur Créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l’acclament à leur manière. Les arbres des forêts, eux aussi, sont moins bêtes que les hommes : ils  savent reconnaître leur Créateur : parmi des tas d’idoles, de faux dieux, pas d’erreur possible, les arbres ne s’y laissent pas prendre.

Les hommes, eux, se sont laissé berner longtemps... Il suffit de se rappeler l’insistance d’Isaïe dans notre première lecture de ce vingt-neuvième dimanche pour dire « Je suis le SEIGNEUR, il n’en est pas d’autre ; hors moi, pas de Dieu ». Ce qui prouve que, du temps d’Isaïe, l’idolâtrie, sous une forme ou sous une autre n’était pas loin ! On entend ici cette même pointe contre l’idolâtrie : « néant tous les dieux des nations ». Il est incroyable que les hommes aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père... qu’il ait fallu leur redire cent fois cette évidence que le Seigneur est « redoutable au-dessus de tous les dieux » ; que « c’est LUI, le Seigneur, (sous-entendu « et personne d’autre ») qui a fait les cieux ».

Mais cette fois c’est arrivé ! Et on vient à Jérusalem pour acclamer Dieu parce qu’enfin on a entendu la bonne nouvelle ; et si on a pu l’entendre c’est parce qu’elle était clamée à nos oreilles depuis des siècles ! Oui, « de jour en jour, Israël avait proclamé son salut »... de jour en jour Israël avait raconté l’œuvre de Dieu, ses merveilles, traduisez son œuvre incessante de libération... de jour en jour Israël avait témoigné que Dieu l’avait libéré de l’Égypte d’abord, puis de toutes les sortes d’esclavage : et le plus terrible des esclavages, c’est de se tromper de Dieu, c’est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles...

LA VOCATION DES CROYANTS

Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d’être chargé de dire que notre Dieu, est le seul Dieu ; comme le dit la profession de foi juive, le « Shema Israël » : « Écoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ». C’est le mystère de la vocation d’Israël dont on n’a pas fini de s’émerveiller ; comme le dit le livre du Deutéronome : « À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre. » (Dt 4,32). Mais le peuple choisi n’a jamais oublié que s’il lui a été donné de voir, c’est pour qu’il le fasse savoir.

Et alors, enfin, la bonne nouvelle a été entendue jusqu’aux extrémités de la terre... et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père.

Nous sommes là en pleine anticipation ! En attendant que ce rêve se réalise, le peuple d’Israël fait retentir ce psaume pour renouveler sa foi et son espérance, pour puiser la force de faire entendre la bonne nouvelle dont il est chargé.

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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS  1,1-5

 

1   Paul, Silvain et Timothée,
     à l’Église de Thessalonique
     qui est en Dieu le Père
     et dans le Seigneur Jésus Christ.
     À vous, la grâce et la paix.
2   À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous,
     en faisant mémoire de vous dans nos prières.
3   Sans cesse, nous nous souvenons
     que votre foi est active,
     que votre charité se donne de la peine,
     que votre espérance tient bon
     en notre Seigneur Jésus Christ,
     en présence de Dieu notre Père.
4   Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu,
     vous avez été choisis par lui.
5   En effet, notre annonce de l’Évangile
     n’a pas été, chez vous, simple parole,
     mais puissance, action de l’Esprit Saint, pleine certitude.
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LE PREMIER ÉCRIT CHRÉTIEN

Voilà le premier écrit chrétien ! Nous avons tellement l’habitude de voir les évangiles figurer en tête du Nouveau Testament que nous risquons d’oublier qu’ils sont postérieurs aux lettres de Paul. La Première lettre aux Thessaloniciens date d’une vingtaine d’années seulement après la Résurrection du Christ ; et on a donc là les premières affirmations de la prédication chrétienne. C’est la première fois qu’on essaie de formuler par écrit cette découverte inouïe du mystère de Jésus-Christ. Nous sommes vers l’année 50 et, déjà, l’évangile est annoncé très loin de Jérusalem ! Thessalonique est en Europe, au Nord de la Grèce, dans cette région qu’on appelle la Macédoine ; mais avant d’arriver jusque-là, Paul a déjà eu le temps de fonder des communautés dans tout le Sud, le centre et même la côte Ouest de la Turquie.

C’est par les Actes des Apôtres qu’on sait comment les choses se sont passées ; Paul était en mission sur la côte ouest de la Turquie, quand une nuit, il a eu une vision : un Macédonien le suppliait de venir chez eux : « Passe en Macédoine, viens à notre secours ». Et Luc qui était du voyage raconte : « À la suite de cette vision, nous avons immédiatement cherché à partir pour la Macédoine, car nous étions convaincus que Dieu venait de nous appeler à y annoncer la Bonne Nouvelle » (Ac 16,10).

PAUL, SILVAIN ET TIMOTHÉE EN EUROPE

Voilà donc nos missionnaires (Paul, Luc et Silas) sur la côte grecque ; la ville de Philippes est leur première étape (nous lisions ces temps-ci la lettre aux Philippiens) et vous savez que cela a failli très mal se terminer : d’abord bien accueillis, ils ont bientôt été accusés de troubler l’ordre public, battus et jetés en prison ; un providentiel tremblement de terre est passé par là et, finalement, on les a libérés en les priant de quitter la ville.

C’est de là qu’ils sont passés à Thessalonique. Dès leur arrivée, Paul s’est adressé aux Juifs pendant l’office du samedi matin à la synagogue, et cela trois samedis de suite. D’après les Actes des Apôtres, sa prédication était toujours la même : « Pendant trois sabbats, il discuta avec eux à partir des Écritures, dont il ouvrait le sens pour établir que le Christ devait souffrir et ressusciter d’entre les morts ; il ajoutait : « Le Christ, c’est ce Jésus que moi, je vous annonce. » Le texte ajoute « Certains des Juifs se laissèrent convaincre... avec une grande multitude de Grecs qui adoraient Dieu et avec un bon nombre de femmes de notables ».

Nous savons donc déjà de quoi est composée la communauté de Thessalonique à laquelle s’adresse cette lettre. Mais, comme d’habitude, Paul n’a pas suscité que de l’enthousiasme : toujours d’après les Actes, « Les Juifs, pris de jalousie, ramassèrent sur la place publique quelques vauriens ; ayant provoqué des attroupements, ils semaient le trouble dans la ville » (Ac 17,5), si bien que très vite il a paru plus prudent que Paul et Silas quittent la ville. Paul a donc quitté cette nouvelle communauté trop vite et est resté un moment inquiet à son sujet ; quand il écrit cette lettre que nous débutons aujourd’hui, il vient enfin d’être rassuré par Silas et Timothée qui étaient restés derrière lui en Macédoine et qui lui en rapportent d’excellentes nouvelles. Cela explique le ton particulièrement joyeux de ce début de lettre : c’est le soulagement qui suit l’inquiétude.

« Paul, Silvain (autre nom de Silas), et Timothée, à l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ. À vous la grâce et la paix. À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous ». Dès cette première phrase, on est surpris de la solennité de cette salutation : cette communauté est toute petite, et il l’appelle pompeusement « l’Église de Thessalonique qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ ». Ce respect immense de Paul pour les communautés chrétiennes, même modestes, est caractéristique de toutes ses lettres. Et c’est certainement cela qui motive l’action de grâce et même la jubilation qui est elle aussi un trait dominant de tous ses débuts de lettres, même quand il n’a pas que des compliments à  faire à ses correspondants. Quels que soient leurs défauts, leurs imperfections, il voit d’abord en eux l’action de Dieu.

Ces quelques lignes contiennent déjà d’énormes affirmations théologiques ; j’en vois au moins deux :

DIEU UN EN TROIS PERSONNES

Premièrement, ce texte est trinitaire ; le mot « Trinité » n’y est pas bien sûr, on ne l’emploiera que plus tard ; mais Jésus est appelé « Seigneur », titre réservé à Dieu dans l’Ancien Testament, et l’action de grâce est adressée aux trois Personnes : « Nous nous souvenons que votre foi est active, que votre charité se donne de la peine, que votre espérance tient bon en Notre Seigneur Jésus-Christ, en présence de Dieu notre Père... En effet, notre annonce de l’Évangile n’a pas été, chez vous, simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint... ».

Deuxièmement, c’est Paul qui a prêché mais c’est l’Esprit Saint qui a agi ; voilà qui met toute prédication à sa place : quand les croyants (que ce soit Israël, les disciples de Jésus ou les Thessaloniciens), se montrent disponibles à la Parole et se laissent transformer par elle, c’est à l’Esprit de Dieu que nous le devons.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  22,15-21

 

     En ce temps-là,
15 les pharisiens allèrent tenir conseil
     pour prendre Jésus au piège
     en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples,
     accompagnés des partisans d’Hérode :
     « Maître, lui disent-ils, nous le savons :
     tu es toujours vrai
     et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ;
     tu ne te laisses influencer par personne,
     car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens.
17 Alors, donne-nous ton avis :
     Est-il permis, oui ou non,
     de payer l’impôt à César, l’empereur ? »
18 Connaissant leur perversité, Jésus dit :
     « Hypocrites !
     pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ?
19 Montrez-moi la monnaie de l’impôt. »
     Ils lui présentèrent une pièce d’un denier.
20 Il leur dit :
     « Cette effigie et cette inscription,
     de qui sont-elles ? »
21 Ils répondirent :
     « De César. »
     Alors il leur dit :
     « Rendez donc à César ce qui est à César,
     et à Dieu ce qui est à Dieu. »

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UNE QUESTION-PIÈGE

« Est-il permis de payer l’impôt à l’empereur ? » Jésus répond en traitant les questionneurs « d’hypocrites » ! Pourquoi « hypocrites » ? Parce que cette soi-disant question n’en est pas une... Hypocrites pour deux raisons : hypocrites, premièrement, parce que cette question, il y a longtemps qu’ils l’ont résolue. À Jérusalem, où se passe la scène, il n’est pas question de faire autrement, sauf à se mettre hors-la-loi, ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire, ni les uns ni les autres, qu’ils soient Pharisiens ou partisans d’Hérode. Payer l’impôt à l’empereur, « Rendre à César ce qui est à César », ils le font et Jésus ne leur donne pas tort.

Mais hypocrites, aussi, deuxièmement, parce qu’ils ne posent pas une question, ils tendent un piège, ils cherchent à prendre Jésus en faute... » Et le ton faussement respectueux qui précède la question force encore le trait : « Maître, lui disent-ils, nous le savons, tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ». Toutes ces amabilités ne sont qu’un préambule pour une question-piège1 ; et ce piège-là, logiquement, Jésus ne devrait pas s’en sortir ; de deux choses l’une : ou bien il incite ses compatriotes à refuser l’impôt prélevé au profit de l’occupant romain et il sera facile de le dénoncer aux autorités, comme résistant ou même comme révolutionnaire et il sera condamné...

ou bien il conseille de payer l’impôt et on pourra le discréditer aux yeux du peuple comme collaborateur, ce qui va bien dans le sens de ses mauvaises fréquentations... mais pire, il perd toute chance d’être reconnu comme le Messie ; car le Messie attendu doit être un roi indépendant et souverain sur le trône de Jérusalem, ce qui passe forcément par une révolte contre l’occupant romain. Et puisqu’il a prétendu être le Messie, aux yeux du peuple et des autorités religieuses, il méritera la mort, ce n’est qu’un imposteur et un blasphémateur. 

Le piège est bien verrouillé ; de toute manière il est perdu et c’est bien cela qu’on cherche : la première occasion sera la bonne pour le faire mourir ; la Passion se profile déjà à l’horizon, nous sommes dans les tout derniers moments à Jérusalem. Dans sa réponse, Jésus montre bien qu’il a compris : « Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? » Il n’est pas dupe du piège qu’on lui tend...

Pourtant il est interdit de penser qu’il pourrait chercher à embarrasser ses interlocuteurs ; Jésus n’a jamais cherché à mettre quiconque dans l’embarras ou à tendre un piège à quelqu’un ; ce serait indigne du Dieu dont la lumière éclaire les bons et les méchants.

Jésus ne répond donc pas au piège par un autre piège. Il traite la question comme une question et il y répond vraiment. Sa réponse tient en trois points : « Rendez à César ce qui est à César » ... « Ne rendez à César que ce qui est à César » ... « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ».

« RENDEZ À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR »

Premièrement, « Rendez à César ce qui est à César », y compris en payant l’impôt. C’est tout simplement reconnaître que César est actuellement le détenteur du pouvoir, ce qui est la pure vérité. Rien à voir avec de la servile collaboration ; au contraire, c’est accepter une situation de fait ; dans la perspective de l’Ancien Testament on considère que tout pouvoir vient de Dieu. Jésus lui-même, au cours de sa Passion, dira à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en-haut » (Jn 19,11). D’autre part, et Isaïe nous l’a rappelé dans notre première lecture de ce dimanche, en parlant du roi Cyrus, Dieu peut faire tourner toute royauté humaine au bien de son peuple... or nos pharisiens connaissent mieux que nous le texte d’Isaïe sur Cyrus ; ils savent donc très bien que tout pouvoir, même païen, est dans la main de Dieu. Notons quand même en passant que le César du moment s’appelait en réalité « Tibère ». (Le nom « César » était devenu un titre).

Deuxièmement, « Ne rendez à César que ce qui est à César »  : quand César (c’est-à-dire l’empereur romain) exige l’impôt, il est dans son droit, mais quand il exige d’être appelé Seigneur, quand il exige qu’on lui rende un culte, il vous expose à l’idolâtrie ; et là, il ne faut pas transiger. À l’époque où Matthieu écrit son Évangile, cette hypothèse était une réalité. De nombreux martyrs ont payé de leur vie ce refus de rendre un culte à l’empereur romain.

« RENDEZ À DIEU CE QUI EST À DIEU »   

Troisièmement, « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». La vraie question est là : Êtes-vous sûrs de rendre à Dieu ce qui est à Dieu ? En l’occurrence, il s’agit de reconnaître en Jésus celui qui vient de Dieu, celui qui « est à Dieu ».

Sans vouloir tirer de ce texte une théorie du pouvoir politique que, manifestement, Jésus n’a pas voulu y mettre, parce qu’il ne s’est pas placé sur ce terrain-là, on peut retenir de cet évangile une fois de plus une étonnante leçon de liberté. César n’est que César ; les rois de la terre ne sont en réalité que des roitelets. Leur royauté est passagère et le royaume de Dieu est d’un tout autre ordre : c’est au sein même des royaumes de la terre que toute œuvre d’amour et de fraternité fait grandir le seul vrai royaume, le Royaume de Dieu.

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Note

Question-piège, oui, mais tous les compliments que ses adversaires viennent de lui adresser pour se moquer sont profondément vrais : « Maître, tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. » Très certainement, l’évangéliste rapporte avec bonheur ces compliments qu’il estime bien mérités.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 10 18, 29e dimanche du temps ordinaire A

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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 00:01

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 10 octobre 2020).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  25, 6-10a      

 

6   Le SEIGNEUR de l'univers,       
     préparera pour tous les peuples, sur sa montagne,           
     un festin de viandes grasses et de vins capiteux,            
     un festin de viandes succulentes et de vins décantés.
7   Sur cette montagne, il fera disparaître
     le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples              
     et le linceul qui couvre toutes les nations.
8   Il fera disparaître la mort pour toujours.  
     Le SEIGNEUR Dieu essuiera les larmes sur tous les visages,               
     et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple.
     Le SEIGNEUR a parlé.
9   Et ce jour-là, on dira :                              
     « Voici notre Dieu,                                  
     en lui nous espérions, et il nous a sauvés ;                       
     c'est lui le SEIGNEUR, en lui nous espérions ;              
     exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »
10 Car la main du SEIGNEUR reposera sur cette montagne.
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Un festin pour tous les peuples

Un festin : c'est l'image que le prophète Isaïe a choisie pour décrire l'aboutissement du projet de Dieu. Ce projet, nous le savons bien, c’est une humanité enfin unie, enfin pacifiée : s’asseoir à la même table, partager le même repas, faire la fête ensemble, c’est bien une image de paix. « Le SEIGNEUR de l’univers, préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés ».

Bien sûr, cette évocation est d’ordre poétique, symbolique : Isaïe ne cherche pas à décrire de façon réaliste ce qui se passera concrètement. Il veut nous dire « finies les guerres, les souffrances, les injustices », et il écrit « tous les peuples seront à la fête ». Et si ce chapitre a été écrit, comme on le croit, pendant ou après l’Exil à Babylone, on comprend que le rêve de fête se traduise par des images d’opulence.

On ne sait pas exactement quand ce texte a pu être écrit, mais il est clair que c’est dans une période difficile ! Si le prophète juge utile de proclamer « En ce jour-là, on dira « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés », il faut se dire qu’il cherche à remonter le moral de ses compatriotes ! Et il faut traduire : « Allez mes frères, dites-vous que dans quelque temps, vous ne regretterez pas d’avoir fait confiance... et je vais vous dire la fin de l’histoire : nous marchons lentement mais sûrement vers le jour de la paix définitive ; vous allez pouvoir redresser la tête ».

Je note que les promesses du salut ne sont pas réservées au seul peuple d’Israël : le festin préparé sur la montagne est pour tous les peuples : « Le SEIGNEUR de l’univers, préparera pour tous les peuples sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples. » Cette prise de conscience de l’universalisme du projet de Dieu a été tardive en Israël, mais ici c’est très clair.

 

C'est lui qui l'a promis

Et la seule vraie bonne raison d’y croire, c’est qu’il s’agit d’une promesse de Dieu : « Le SEIGNEUR a parlé », dit Isaïe. La voilà la phrase centrale du texte, pour le prophète, celle qui justifie son optimisme à toute épreuve. Le prophète est quelqu’un qui sait, qui a expérimenté l’œuvre incessante de Dieu pour libérer son peuple. On ne peut pas être prophète (ou simplement témoin de la foi) si on n’a pas, d’une manière ou d’une autre, fait l’expérience personnelle ou collective de l’œuvre de Dieu.

Or le peuple d’Israël prend bien soin de ressourcer perpétuellement sa foi dans la mémoire de l’œuvre de Dieu. Et c’est parce qu’il ne l’oublie jamais qu’il peut traverser les heures d’épreuve. Comme Dieu a libéré son peuple des chaînes de l’Égypte, il continue au long des siècles à le libérer ; or les pires chaînes de l’homme, c’est l’incapacité à vivre en paix, à pratiquer la justice, à demeurer dans l’Alliance de Dieu. Si Dieu pousse son œuvre jusqu’au bout (et Isaïe ne doute pas qu’il le fera), viendra le jour où tous les peuples vivront en paix et dans la fidélité à l’Alliance. Car c’est lui (le SEIGNEUR) qui l’a promis.

Il fera disparaître la mort pour toujours  

Reste une phrase difficile : « Il fera disparaître la mort pour toujours » ; difficile... précisément parce qu’elle semble trop claire ! « Il fera disparaître la mort pour toujours » : quand nous lisons cette phrase aujourd’hui, nous sommes tentés de la lire à la lumière de notre foi chrétienne d’aujourd’hui et donc de prêter au prophète des pensées qui n’étaient pas les siennes. Dieu seul sait, évidemment, ce qu’Isaïe avait dans la tête, mais très certainement ce n’est pas encore ici une affirmation de la Résurrection au sens chrétien du terme ; le peuple d’Israël a peu à peu découvert, dès avant le Christ, la foi en la résurrection de la chair, mais très tardivement, bien après que le livre d’Isaïe ait été définitivement mis par écrit.

De quelle mort parle Isaïe ? Parle-t-il de mort physique ou de mort spirituelle ? De mort individuelle ou de mort collective, c’est-à-dire la disparition du peuple d’Israël ?

Pour l’homme de la Bible, la mort biologique individuelle fait partie de l’horizon ; elle est prévue, inéluctable, mais pas triste quand elle intervient normalement au soir d’une longue vie comblée. Pour l’individu, la seule mort que l’on craint c’est la disparition prématurée d’êtres jeunes ou la mort brutale, à la guerre par exemple. Isaïe évoque peut-être cela ici. Cela voudrait dire alors : il n’y aura plus jamais de mort brutale ou de mort prématurée. Le troisième Isaïe dit exactement cela.

Peut-être pense-t-il également à la mort spirituelle, car, parfois dans la Bible, on parle de mort et de vie dans un sens qui n’est pas biologique : pour le croyant de cette époque-là, vivre pleinement, c’est vivre sur la terre en Alliance avec Dieu (aujourd’hui on dirait en communion avec Dieu). Et ce qui est appelé mort, c’est la rupture d’Alliance avec Dieu. Et donc, ce qu’Isaïe entrevoit, c’est le Jour où on vivra en paix avec Dieu et avec soi-même ; les forces de mort seront détruites, la haine, l’injustice, la guerre.

Troisième hypothèse, peut-être Isaïe, ici, ne parle-t-il pas d’abord des individus, il parle du peuple dont la déchéance présente ressemble à une mort programmée. Grâce à sa foi dans les promesses de Dieu, Isaïe sait que ce peuple renaîtra.

Depuis la Résurrection du Christ, en tout cas, la mort biologique a changé de visage. Il ne nous est pas interdit de penser : « Isaïe ne croyait pas si bien dire ! »

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Compléments à Isaïe 25

- Ce texte fait partie de ce qu’on appelle « L’Apocalypse d’Isaïe » (chap. 24-27). Quatre chapitres qui sont comme une vision de la fin du monde. Par avance, le prophète nous « dévoile » (c’est le sens du mot Apocalypse) les événements de la fin de l’histoire. D’ailleurs le chapitre 25, dont est tiré le passage d’aujourd’hui commence par une action de grâce : « SEIGNEUR, tu es mon Dieu, je t’exalte et je célèbre ton Nom, car tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables (25,1). Là, le prophète parle au passé, comme si nous étions déjà parvenus à la fin de l’histoire et, comme s’il se retournait en arrière, il dit « Tu as réalisé des projets merveilleux, conçus depuis longtemps, constants et immuables ».

- « Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples » (verset 7) : le voile qui est traduit ici « voile de deuil » pourrait se traduire également le « voile d’ignorance » (celui qui empêche de voir et de comprendre). cf Is 29,10-12 ; 2 Co 3,12-18.

- « Sur sa montagne » : l’expression désigne Jérusalem. Puisqu’il n’entrevoit pas encore d’horizon autre que terrestre, on ne s’étonne pas qu’Isaïe situe l’avenir à Jérusalem, puisque c’est le lieu de la Présence de Dieu au milieu de son peuple.

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PSAUME 22 (23)

 

1   Le SEIGNEUR est mon berger : 
     je ne manque de rien.
2   Sur des prés d'herbe fraîche,        
     il me fait reposer.   

     Il me mène vers les eaux tranquilles
3   et me fait revivre ;
     il me conduit par le juste chemin 
     pour l'honneur de son nom.

4   Si je traverse les ravins de la mort,          
     je ne crains aucun mal,     
     car tu es avec moi,
     ton bâton me guide et me rassure.

5   Tu prépares la table pour moi       
     devant mes ennemis ;       
     tu répands le parfum sur ma tête, 
     ma coupe est débordante.

6   Grâce et bonheur m'accompagnent          
     tous les jours de ma vie ;  
     j'habiterai la maison du SEIGNEUR       
     pour la durée de mes jours.          
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Le SEIGNEUR est mon berger

Ce psaume 22/23 (que nous connaissons bien pour avoir chanté « Le SEIGNEUR est mon berger, rien ne saurait me manquer »), ce psaume a un petit air bucolique tout à fait trompeur ! En fait, en quelques lignes seulement, puisque nous venons de l’entendre en entier, il aborde tous les aspects de notre vie ; contrairement aux apparences, il ne s’agit pas du tout d’une promenade champêtre ; il s’agit de la vie et de la mort ; de la peur des ennemis et de la foi en Dieu plus forte que toutes les menaces. Et il est très suggestif d’entendre ce psaume, en écho à la première lecture de ce vingt-huitième dimanche, première lecture tirée du livre d’Isaïe.

Ce psaume ne parle que de la vie dans l’Alliance avec Dieu, et nous avons vu avec Isaïe que seule cette vie mérite le nom de « Vie » ; toute situation de rupture avec Dieu s’appelle « Mort » quand on est croyant.

J'habiterai la Maison du SEIGNEUR

La Maison du Seigneur, c’est le temple de Jérusalem. Une seule catégorie de personnes pouvait dire en vérité : « J'habiterai la Maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie », c'étaient les lévites.

Vous connaissez l’institution des lévites ; d’après le livre de la Genèse, Lévi est l’un des douze fils de Jacob, ces douze fils qui ont donné leurs noms aux douze tribus d’Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n’a pas eu de territoire, pour être entièrement vouée au service du culte. On dit que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage.

Les lévites vivaient dispersés dans les villes des autres tribus, vivant des dîmes qui leur étaient versées et ils montaient chaque année à Jérusalem pour y assurer leur service à tour de rôle. À Jérusalem, ils étaient consacrés au service du Temple et le gardaient nuit et jour.

Ce psaume évoque donc la joie qui habite le lévite dont la vie tout entière est consacrée à Dieu : « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du SEIGNEUR pour la durée de mes jours ». Mais, en réalité, si on parle du lévite, c’est pour mieux exprimer l’expérience du peuple tout entier

Le peuple d'Israël comme un lévite

Comme le lévite a un sort particulier au sein du peuple d’Israël, de la même manière, Israël a un sort particulier au milieu des nations. C’est le mystère du choix de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté : chaque génération s’émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée. Vous connaissez cette phrase du Deutéronome : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur terre, interroge d’un bout à l’autre du monde ; est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?... À toi, il t’a été donné de voir... » (Dt 4,32).

À ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d’entrer le premier dans l’intimité de Dieu, bien sûr pas pour en jouir égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres. En définitive, comme Isaïe nous l’a rappelé, c’est l’humanité tout entière qui entrera dans l’intimité de Dieu. Nous le lisons dans la première lecture de ce dimanche : le festin sur la montagne de Dieu est préparé pour tous les peuples.

Ce festin dont parle Isaïe, on en avait déjà un avant-goût dans les repas de communion qui suivaient les sacrifices d’action de grâce au temple de Jérusalem : ce repas prenait les allures d’une joyeuse festivité entre amis avec une « coupe débordante » dans l’odeur des « parfums » (v. 5) : « Tu prépares la table pour moi... Tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante ».

Le peuple d'Israël comme une brebis

Il reste que, pour l’instant, historiquement, quand on chante ce psaume au temple de Jérusalem, ce n’est encore qu’un avant-goût du bonheur promis pour la fin des temps. Il faut encore affronter bien des épreuves. Au sein de ces épreuves, il n’y a pas d’autre refuge que la confiance. Alors, on recourt à une autre image : Israël est comparé à une brebis : son berger c’est Dieu ; on retrouve là un thème habituel dans la Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient couramment appelés les bergers du peuple ; le prophète Ézéchiel a repris cette image : il parlait des « bergers » d’Israël, et tout le monde comprenait qu’il s’agissait des rois.

Or, depuis les rois Saül et David, le peuple a eu de multiples bergers dont bien peu ont été de bons bergers selon les vues de Dieu. Lui seul mérite vraiment le nom de berger attentif aux besoins véritables de son troupeau : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles », là où rien ne manque.

Au milieu des difficultés du monde

Même quand il « traverse les ravins de la mort », comme dit le psaume, le peuple d’Israël sait que le Seigneur, comme un berger, le « mène vers des eaux tranquilles et le fait revivre ». Car il y a bien d’autres dangers sur le long chemin de l’histoire, ce sont les multiples ennemis... mais quoi qu’il arrive, il ne craint rien. Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure... tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » (v. 5).

Cette tranquille assurance du croyant s’appuie sur toute son expérience de la sollicitude de Dieu pour son peuple depuis tant de siècles. Les jours de découragement, il répète les paroles d’Isaïe : « Ce jour-là (sous-entendu à la fin des temps) on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés » (Is 25,9).

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Note sur Psaume 22/23

- Les lévites : Un des modèles de vie en communion avec Dieu, dans l’Ancien Testament, c’était le lévite. On disait que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage : image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (Ps 15/16).

Nous connaissons mieux, peut-être, le psaume 15/16 sous la forme qu’il a prise dans un negro spiritual : « Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur, tu es mon héritage : en toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, toi mon seul partage ».

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS  4,12-14.19-20

 

     Frères,
12 je sais vivre de peu,
     je sais aussi être dans l’abondance.
     J’ai été formé à tout et pour tout :
     à être rassasié et à souffrir la faim,
     à être dans l’abondance et dans les privations.   
13 Je peux tout
     en celui qui me donne la force.
14 Cependant, vous avez bien fait de vous montrer solidaires
     quand j’étais dans la gêne.
19 Et mon Dieu comblera tous vos besoins selon sa richesse,
     magnifiquement,
     dans le Christ Jésus.
20 Gloire à Dieu notre Père
     pour les siècles des siècles. Amen.
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Paul et les problèmes d’argent

C’est depuis sa prison, probablement à Éphèse, dans les années 50, que Paul écrit aux chrétiens de Philippes ; ils viennent de lui envoyer une aide financière par l’intermédiaire d’un certain Épaphrodite ; et Paul les en remercie ; cela nous vaut une superbe réflexion sur l’usage des biens de ce monde : « Je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance… être rassasié et souffrir la faim, être dans l’abondance et dans les privations… » Et Paul parle d’expérience puisqu’il ajoute : « J’ai été formé à tout et pour tout ». Et il fait même allusion à un vrai problème d’argent : « Vous avez bien fait de vous montrer solidaires quand j’étais dans la gêne ».

Il y a là une leçon de liberté par rapport aux biens matériels. Ce n’est pas de la philosophie, ce n’est pas du stoïcisme, puisqu’il ajoute « Je peux tout en celui qui me donne la force (sous-entendu le Christ) ».

En même temps, Paul n’a ni fausse honte pour accepter une aide bienvenue, ni fausse pudeur pour parler d’argent. La vraie liberté par rapport à l’argent ne consiste pas à faire semblant de ne pas en avoir besoin ou envie ; il serait indécent vis-à-vis de tous les pauvres de la terre d’afficher de l’indifférence pour les biens matériels, quand on a la chance de ne pas en manquer.

Si on regarde bien, la Bible propose tout un enseignement sur l’usage des richesses. On peut retenir trois points principaux : Premièrement, les richesses sont une chance, elles méritent bien leur nom de « richesses ». Deuxièmement, elles peuvent aussi devenir un risque, une « pauvreté ». Troisièmement, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas propriétaires de nos richesses, nous en sommes intendants.

Les richesses sont une chance

Premièrement, les richesses sont une chance, elles méritent bien leur nom de « richesses ». Aucun auteur biblique n’a jamais dit que les richesses étaient mauvaises en elles-mêmes : bien au contraire puisque la prospérité est reconnue comme un don de Dieu. Comme le dit Qohélet (l’Ecclésiaste) : « Si Dieu donne à quelqu’un biens et richesses avec pouvoir d’en profiter, d’en prendre sa part et de jouir ainsi de son travail, c’est là un don de Dieu » (Qo 5,18).

 

Les richesses sont aussi un risque

Deuxièmement, elles peuvent aussi devenir un risque, une « pauvreté »... et cela de deux manières : d’abord la richesse amassée pour elle-même devient un esclavage. « Nul ne peut avoir deux maîtres », on le sait bien. Et si la Bible fustige ceux qui accumulent des biens matériels, c’est d’abord parce qu’ils y perdent leur liberté. Par exemple, le livre du Deutéronome dit du roi : « Qu’il n’aille pas multiplier le nombre de ses chevaux… Son argent et son or, qu’il ne les multiplie pas à l’excès ! » (Dt 17,16-17). C’est Salomon qui est visé, lui, dont le livre des Rois racontait : « À Jérusalem, le roi fit abonder l’argent autant que les pierres, et les cèdres autant que les sycomores dans le Bas-Pays. » (1 Rois 10,27). On trouve chez tous les prophètes une croisade contre l’accumulation des richesses quand elles deviennent un but en elles-mêmes.

              D’autre part, la richesse accumulée par les uns engendre la pauvreté des autres et cela on le sait bien. Il suffit de lire les diatribes du prophète Amos par exemple : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les humbles du pays... » (Am 8,4) ou celles d’Isaïe : « Malheureux, vous qui ajoutez maison à maison, qui joignez champ à champ, jusqu’à occuper toute la place et habiter, seuls, au milieu du pays ! » (Is 5, 8).

 

Nous sommes seulement des intendants

Enfin, troisièmement, contrairement aux apparences, nous ne sommes pas propriétaires de nos richesses, nous en sommes intendants pour nous-mêmes et pour les autres. C’est le sens du geste d’offrande que nous faisons à chaque célébration de l’Eucharistie : nous apportons le pain et le vin qui symbolisent toutes les richesses de la terre et tout le travail humain : nous ne les donnons pas à Dieu... au contraire, nous reconnaissons qu’ils lui appartiennent déjà et qu’il nous les a confiés pour le bonheur de tous les hommes : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes... » Peu à peu, ce geste répété nous fait entrevoir le mystère du plan de Dieu : ces biens reconnus comme ne nous appartenant pas, nous pourrons les partager et c’est ainsi que pourra s’instaurer le royaume de justice.

              Dans la Lettre à Timothée, Paul fait en quelque sorte la synthèse de tout cet enseignement biblique : « Quant aux riches de ce monde, ordonne-leur de ne pas céder à l’orgueil. Qu’ils mettent leur espérance non pas dans des richesses incertaines, mais en Dieu qui nous procure tout en abondance pour que nous en profitions. Qu’ils fassent du bien et deviennent riches du bien qu’ils font ; qu’ils donnent de bon cœur et sachent partager. De cette manière, ils amasseront un trésor pour bien construire leur avenir et obtenir la vraie vie. (1 Tm 6,17-19).

Au fond, il nous est simplement demandé d’être des serviteurs fidèles et sensés, comme dit saint Matthieu : « Que dire du serviteur fidèle et sensé à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison, pour leur donner la nourriture en temps voulu ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Amen, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. » (Mt 24,45).

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Compléments à Phi 4

- On trouve chez tous les prophètes une croisade contre l’accumulation des richesses, par exemple Zacharie : « Tyr s’est construit une forteresse, elle a accumulé de l’argent, épais comme la poussière et de l’or comme la boue des rues, mais voici que le Seigneur s’en emparera, il abattra son rempart dans la mer, et elle-même, le feu la dévorera » (Za 9,3-4).

- « Ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins » : peut-être est-ce cela que Jésus appelle « se faire des amis avec les richesses d’iniquité » ? Vous connaissez sa fameuse phrase : « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur pour qu’une fois celui-ci disparu, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles » (Luc 16,9).

- Enfin saint Paul lui-même précise bien qu’il nous est demandé de partager, mais non pas de nous ruiner ! Dans la deuxième lettre aux Corinthiens, il écrit : « Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres, mais de rétablir l’égalité. En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu’ils ont en moins, pour qu’un jour ce qu’ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins : cela fera l’égalité » (2 Co 8,13-14).

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  22,1-14

 

     En ce temps-là,
1   Jésus se mit de nouveau à parler
     aux grands prêtres et aux pharisiens,
     et il leur dit en paraboles :
2   « Le royaume des Cieux est comparable
     à un roi qui célébra les noces de son fils.
3   Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités,
     mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
4   Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités :
     ‘Voilà : j’ai préparé mon banquet,
     mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ;
     tout est prêt : venez à la noce.’
5   Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent,
     l’un à son champ, l’autre à son commerce ;
6   les autres empoignèrent les serviteurs,
     les maltraitèrent et les tuèrent.
7   Le roi se mit en colère,
     il envoya ses troupes,
     fit périr les meurtriers
     et incendia leur ville.
8   Alors il dit à ses serviteurs :
     ‘Le repas de noce est prêt,
     mais les invités n’en étaient pas dignes.
9   Allez donc aux croisées des chemins :
     tous ceux que vous trouverez,
     invitez-les à la noce.’
10 Les serviteurs allèrent sur les chemins,
     rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent,
     les mauvais comme les bons,
     et la salle de noce fut remplie de convives.
11 Le roi entra pour examiner les convives,
     et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce.
12 Il lui dit :
     ‘Mon ami, comment es-tu entré ici,
     sans avoir le vêtement de noce ?’
     L’autre garda le silence.
13 Alors le roi dit aux serviteurs :
     ‘Jetez-le, pieds et poings liés,
     dans les ténèbres du dehors ;
     là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.’
14 Car beaucoup sont appelés,

     mais peu sont élus. »
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Voici deux paraboles qui se suivent et ne se ressemblent pas ! Celle de l'invitation au repas de noce et celle du renvoi de l'homme qui ne portait pas la robe de noce. Certains pensent que ces deux paraboles n'étaient pas liées à l'origine : il serait contradictoire d'exiger une tenue de cérémonie de quelqu'un qu'on a ramassé sur la route ; mais si Matthieu les juxtapose volontairement c'est qu'il y a un enseignement à tirer de ce rapprochement. Prenons-les l'une après l'autre.

L’Alliance entre Dieu et l’humanité ressemble à des noces

 « Un roi célébrait les noces de son fils »... et ce n’est pas n’importe quel roi, puisque, d’entrée de jeu, nous sommes prévenus, il s’agit du « Royaume des cieux » : cette seule expression nous suggère donc irrésistiblement qu’il s’agit de l’Alliance entre Dieu et l’humanité, Alliance qui s’accomplit en Jésus-Christ ; lui-même dans les évangiles se présente comme l’époux. Et d’ailleurs le mot « noce » revient sept fois dans cette parabole.

 Cette symbolique des noces n’est pas très habituelle dans notre langage chrétien aujourd’hui et pourtant c’est dans ces termes-là que les textes tardifs de la Bible parlent du projet de Dieu sur l’humanité. Depuis les dernières prophéties d’Isaïe jusqu’à l’Apocalypse, en passant par le Cantique des Cantiques, et les livres de Sagesse, pour n’en citer que quelques-uns, l’amour de Dieu pour l’humanité est décrit en termes d’amour conjugal. Et c’est bien pour cela que saint Paul dit que le mariage est « la meilleure image de la relation de Dieu avec l’humanité ».

Le peuple juif premier invité

 Mais dans l’Ancien Testament, il était clair que cette annonce et l’accomplissement du salut universel de l’humanité passaient par Israël ; le peuple élu était en mission pour toute l’humanité ; c’est dans ce sens qu’on a appris à lire la phrase de Dieu à Abraham « en toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12,3). Pour reprendre la comparaison de la noce, on dira que les Juifs étaient les premiers invités à la noce ; et le maître comptait sur eux pour élargir ensuite l’invitation et faire entrer derrière eux toute l’humanité.

Mais on sait la suite : la grande majorité des Juifs a refusé de reconnaître en Jésus le Messie. Dans la parabole, ils sont représentés par ces invités qui refusent de venir à la noce et vont jusqu’à maltraiter les serviteurs qui venaient les chercher. Que va-t-il se passer ? Dans la parabole, les serviteurs remplissent la salle de convives invités à la dernière minute. Dans la lettre aux Romains, Paul commente en disant que ce refus d’Israël, non seulement ne va pas faire obstacle à la noce, mais va même favoriser l’entrée de tous les peuples dans la salle du festin. « Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives ».

La robe de noces

 Passons à la deuxième parabole : un homme, invité de la dernière heure, entre sans habit de noce ; il est bien incapable de répondre à la question « Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? »  Alors il est chassé. Cela ne signifie certainement pas qu’il lui fallait satisfaire à une exigence de comportement, que le vêtement de noce pourrait symboliser un mérite quelconque... Dès qu’on parle de « mérite » on dénature la grâce de Dieu, qui, par définition, est gratuite ! Avec Dieu, il n’y a pas de conditions à remplir. La première parabole dit bien que tous ont pu rentrer, les mauvais comme les bons.

Alors, que peut signifier cette deuxième parabole ? Regardons la multitude qui entre dans la salle du festin des noces. Bons ou mauvais, tous ont été invités, tous ont accepté et ont revêtu la robe de fête : ils ont su accepter l’invitation imprévue et s’y sont préparés. Un seul n’a pas jugé utile de le faire : il n’a pas su apprécier l’aubaine de cette proposition inespérée et l’accueillir avec reconnaissance. À la question « comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? », il aurait suffi d’un mot d’excuse ou de regret, mais il garde le silence. Ne pas se préparer pour un banquet, c’est s’en moquer et mépriser celui qui nous invite. Au fond, tout comme les premiers invités, il a péché par indifférence ou par suffisance. Conclusion : la première vertu qui nous est demandée, c’et l’humilité.

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Complément sur Matthieu 22

- Les premiers invités ayant décliné l’invitation, ce sont d’autres qui sont entrés : historiquement, c’est ce qui s’est passé : dans les Actes des Apôtres, on voit se répéter plusieurs fois le même scénario : chaque fois qu’il aborde une nouvelle ville, Paul se rend d’abord à la synagogue et commence par annoncer aux Juifs que Jésus est le Messie attendu ; certains le croient et deviennent chrétiens ; mais quand le succès de Paul commence à sortir des limites de la synagogue, et que des païens deviennent chrétiens à leur tour, ceux des Juifs qui ne se sont pas laissé convaincre prennent peur et chassent Paul. C’est exactement ce qui s’est passé à Antioche de Pisidie : « C’est à vous d’abord que devait être adressée la Parole de Dieu ! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens. » (Ac 13,46).

 À Iconium, à Thessalonique, il s’est passé la même chose (Ac 14,1) ; et c’est parce que les apôtres étaient chassés de ville en ville que l’Évangile s’est répandu de ville en ville. Une des leçons de la première parabole est alors que le refus d’Israël ne fait pas définitivement obstacle au projet de Dieu. De la même manière que les prostituées et les publicains ont pris la place des autorités religieuses du temps de Jésus, de la même manière, quelques années plus tard, au moment où Matthieu écrivait son Évangile, les païens sont entrés en masse dans l’Église grâce au refus des Juifs. D’un mal Dieu fait toujours sortir un bien.

- La robe de noce : autre interprétation possible : dans le vocabulaire du Nouveau Testament, on le sait, cette robe nuptiale, c’est celle des baptisés ; nous savons bien que ce que nous appelons aujourd’hui une « robe de baptême » est en réalité une « robe de mariée » ! La deuxième parabole concernerait donc les baptisés : ce sont eux qui sont entrés dans la salle des noces. Mais l’habit ne fait pas le moine, on le sait. Ce que Jésus rappellerait ici, ce sont les exigences qui découlent de notre baptême. Comme il le dit lui-même « Ce n’est pas en me disant : Seigneur, Seigneur ! qu’on entrera dans le Royaume des cieux ; mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7,21).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 10 11, 28e dimanche du temps ordinaire A

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28 septembre 2020 1 28 /09 /septembre /2020 06:47

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 3 octobre 2020).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  5,1-7

 

1   Je veux chanter pour mon ami     
     le chant du bien-aimé à sa vigne. 
     Mon ami avait une vigne  
     sur un coteau fertile.
2   Il en retourna la terre, en retira les pierres,          
     pour y mettre un plant de qualité.
     Au milieu, il bâtit une tour de garde        
     et creusa aussi un pressoir.          
     Il en attendait de beaux raisins,   
     mais elle en donna de mauvais.
3   Et maintenant, habitants de Jérusalem, hommes de Juda,          
     soyez donc juges entre moi et ma vigne !
4   Pouvais-je faire pour ma vigne     
     plus que je n'ai fait ?         
     J'attendais de beaux raisins,         
     pourquoi en a-t-elle donné de mauvais ?
5   Eh bien, je vais vous apprendre   
     ce que je ferai de ma vigne :        
     enlever sa clôture  
     pour qu'elle soit dévorée par les animaux,           
     ouvrir une brèche dans son mur   
     pour qu'elle soit piétinée.
6   J'en ferai une pente désolée ;       
     elle ne sera ni taillée ni sarclée,    
     il y poussera des épines et des ronces ;    
     j'interdirai aux nuages      
     d'y faire tomber la pluie.
7   La vigne du SEIGNEUR de l'univers,    
     c'est la maison d'Israël.     
     Le plant qu'il chérissait,    
     ce sont les hommes de Juda.        
     Il en attendait le droit,     
     et voici le crime ;  
     il en attendait la justice,   
     et voici les cris.
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UNE CHANSON DE VENDANGES DEVENUE CHANT DE NOCES

Cela commence comme une chanson de vendanges : « Je chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne. Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. » 

La vigne, en Israël, est chose précieuse ! Et tout le monde sait quels soins patients et attentifs elle requiert de la part du vigneron. Si bien qu’une chanson de vendanges vantant la sollicitude du vigneron était devenue une chanson de noces : on invitait le jeune époux à prodiguer autant de soins à son épouse.

 

LES NOCES, IMAGE DE L’ALLIANCE DE DIEU AVEC SON PEUPLE

Le prophète Isaïe, à son tour, reprend la même chanson, mais cette fois pour parler de l’Alliance entre Dieu et Israël. De la chanson de vendanges devenue chant de noces, il a tiré une véritable parabole. Ses auditeurs ne s’y tromperont donc pas, il ne s’agit pas d’une simple chanson de vendanges, ni même de fête de mariage !

D’ailleurs, c’est le prophète lui-même qui déchiffre la parabole. « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plant qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda ». Quant aux fruits, Isaïe est tout aussi clair : le bon raisin attendu, c’est le droit et la justice ; le mauvais raisin, c’est ce qu’il appelle « le crime et les cris ».

LES MAUVAIS FRUITS DE CETTE VIGNE

Dans la suite de ce chapitre, il précise ses reproches : « Malheur ! Ceux-ci joignent maison à maison, champ à champ, jusqu’à prendre toute la place et à demeurer seuls au milieu du pays »... C’est la recherche égoïste de l’argent et de la propriété qui est visée ici. Et cette insouciance des riches pour le malheur des pauvres qui caractérise souvent les périodes prospères : « Levés de bon matin, ils courent après les boissons fortes, et jusque tard dans la soirée, ils s’échauffent avec le vin. La harpe et la lyre, le tambourin et la flûte accompagnent leurs beuveries, mais ils ne regardent pas ce que fait le SEIGNEUR et ne voient pas ce que ses mains accomplissent » (Is 5,8-12).

Il y a  pire encore, c’est la la perte de toute moralité et la perversion de la justice : « Malheur ! Ils déclarent BIEN le mal et MAL le bien. Ils font de l’obscurité la lumière et de la lumière l’obscurité. Ils font passer pour amer ce qui est doux et pour doux ce qui est amer... Ils justifient le coupable pour un présent (autrement dit, les juges se font acheter) et ils refusent à l’innocent sa justification » (Is 5,20).

Que fait le vigneron mal récompensé de ses efforts ? Il finit par admettre que la terre est trop mauvaise et il abandonne l’entreprise. Le beau carré bien ordonnancé sera vite redevenu un terrain vague où pousseront des épines et des ronces, comme dit Isaïe.

C’est toujours la même leçon : dès qu’on s’éloigne de la fidélité aux commandements, on fait fausse route et le peuple créé pour que tous ses membres soient heureux et libres, devient le règne de tous les égoïsmes et de tous les vices ; et cela se termine toujours mal. Tout comme un beau carré de vigne laissé à l’abandon devient la proie des bêtes sauvages.

LA COLÈRE DU VIGNERON

Ce qui est troublant, une fois de plus, dans ce message du prophète c’est qu’Isaïe attribue à Dieu lui-même l’exercice du châtiment : le vigneron de la parabole d’Isaïe ne se contente pas de laisser faire le cours des choses ; c’est lui-même qui enlève la clôture et ouvre une brèche dans le mur pour que la vigne soit piétinée et dévorée par les animaux...

En réalité, comme dimanche dernier, avec le prophète Ézéchiel, nous sommes à une étape de la pédagogie de Dieu. Avec Isaïe, nous sommes même avant Ézéchiel, donc à une époque où l’on dit volontiers que Dieu punit nos mauvaises actions ; à une époque surtout où on n’est pas débarrassé de l’idolâtrie : et donc pour le prophète, il s’agit avant tout d’affirmer qu’il n’existe qu’une puissance au monde ; aucune autre divinité n’est à craindre. Dans tout ce qui nous arrive, c’est vers le Dieu d’Israël qu’il faut se tourner. Lui, le Saint d’Israël, est totalement étranger à toutes les bassesses et les injustices des hommes. Ceux-ci n’ont donc aucune chance de survie s’ils ne changent pas de vie.

Là Isaïe fait la grosse voix, pourrait-on dire, mais n’oublions pas que le même Isaïe, plus tard, quand il faudra remonter le moral des troupes, reprendra son chant de la vigne avec d’autres couplets : « Ce jour-là chantez la vigne délicieuse. Moi, le SEIGNEUR, j’en suis le gardien, à intervalles réguliers je l’arrose. De peur qu’on y fasse irruption, je la garde nuit et jour. Je ne suis plus en colère... » (Is 27,2-4a).

Notre  chance à nous, deux mille cinq cents ans plus tard, c’est de savoir que Dieu n’est jamais en colère !

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COMPLÉMENTS

- À propos de la vigne : entendons-nous bien, quand on pense à la vigne, il ne s’agit pas d’un seul pied, mais d’un carré de vigne : ce qui veut dire déjà un lopin de terre bien à soi. Puisqu’elle exige des soins constants, elle signifie culture, installation ; tout le monde se souvient de Noé, le premier vigneron. La vigne est le premier arbre cultivé, premier signe de civilisation après le déluge : Gn 9,20-22 ; cela veut dire aussi période de paix, où l’on est assuré de pouvoir travailler sa terre encore le lendemain.

         Pendant toute la traversée du désert, évidemment, il n’était pas question de vigne et c’est l’un des reproches que l’on fait à Moïse, justement, quand on perd le moral : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Égypte et nous avez-vous amenés en ce triste lieu ? Ce n’est pas un lieu pour les semailles ni pour le figuier, la vigne ou le grenadier ; il n’y a même pas d’eau à boire » (Nb 20,5).

         À l’inverse, lorsque Moïse organisa une première mission de reconnaissance dans la terre de Canaan que Dieu lui avait promise, les explorateurs furent aussitôt impressionnés par la richesse des vignobles ; c’était la saison des premiers raisins. « Ils arrivèrent jusqu’à la vallée d’Eshkol (au Nord d’Hébron) où ils coupèrent une branche de vigne avec une grappe de raisin qu’ils portèrent à deux au moyen d’une perche. Ils y prirent aussi des grenades et des figues ». (Nb 13,23). Désormais, quand on veut parler d’une période de bonheur et de prospérité, on dit « Juda et Israël habitèrent en paix, chacun sous sa vigne et sous son figuier, pendant toute la vie du roi Salomon » (1 R 5,5 ). De même, quand on parle du règne de Dieu dans l’avenir, le règne de la paix et de la justice, on dit : « On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre. Ils demeureront chacun sous sa vigne et sous son figuier » (Mi 4,4).

- Isaïe 5,6 :  Épines et ronces : « Il adviendra, en ce jour-là, que tout lieu où il y avait mille ceps de vigne, valant mille pièces d’argent, deviendra épines et ronces. On y viendra avec des flèches et un arc, car tout le pays deviendra épines et ronces ». (Isaïe 7,23-24). On ne peut pas s’empêcher de penser aux épines et aux chardons qui envahissent le sol après la faute d’Adam. (Gn 3,18).

- En Israël, la métaphore de la vigne va très loin : dans certains textes bibliques, le pressoir est présenté comme une image du jugement.

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PSAUME  79 (80), 9.12, 13-14, 15-16a, 19-20  

 

9   La vigne que tu as prise à l'Égypte,         
     tu la replantes en chassant des nations.
12 Elle étendait ses sarments jusqu’à la mer,
     et ses rejets, jusqu’au Fleuve.

13 Pourquoi as-tu percé sa clôture ? 
     Tous les passants y grappillent en chemin ;
14 le sanglier des forêts la ravage     
     et les bêtes des champs la broutent.   

15 Dieu de l'univers, reviens !           
     Du haut des cieux, regarde et vois :        
     visite cette vigne, protège-là,
16 celle qu'a plantée ta main puissante.

19 Jamais plus nous n'irons loin de toi :        
     fais-nous vivre et invoquer ton nom !
20 Seigneur, Dieu de l'univers, fais-nous revenir ;   
     que ton visage s'éclaire, et nous serons sauvés !
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LA VIGNE DE DIEU C’EST ISRAËL

Pour qui a entendu le chant de la vigne d’Isaïe, dans la première lecture de ce vingt-septième dimanche, ce psaume en est l’écho parfait. Le thème est le même : Israël est comparé à une vigne dont Dieu est le vigneron. Celui-ci a fait pour sa vigne tout ce qu’un vigneron peut faire ; il l’a soignée, protégée, gardée... hélas, la vigne n’a rien donné : « Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en retourna la terre, en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa aussi un pressoir. Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais » (Is 5,1-2).

On connaît la fin de la chanson : le vigneron se met en colère : « Je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne : enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée ; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces ; j’interdirai aux nuages d’y faire tomber la pluie » (Is 5,5-6).

L’HISTOIRE DE CETTE VIGNE, C’EST L’HISTOIRE D’ISRAËL

Visiblement la métaphore de la vigne était parfaitement comprise quand on chantait ce psaume au temple de Jérusalem, car les malheurs d’Israël sont exprimés avec les mêmes images. Par exemple, on dit à Dieu : « Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent ». Traduisez, nous sommes en période d’occupation étrangère ; les bêtes féroces, ce sont les ennemis du moment. Dans un autre verset, on dit encore « La voici détruite, incendiée » et aussi : « Tu fais de nous la cible des voisins : nos ennemis ont vraiment de quoi rire ! »

De quels ennemis s’agit-il précisément ? On ne peut pas le dire. Malheureusement, toutes les guerres et toutes les occupations étrangères, où que ce soit à la surface du globe, apportent avec elles le même cortège d’atrocités et de malheur ; une autre phrase dit encore : « Vas-tu longtemps encore opposer ta colère aux prières de ton peuple, le nourrir du pain de ses larmes, l’abreuver de larmes sans mesure ? » Cela ne suffit pas pour situer les circonstances concrètes qui ont inspiré cette supplication ; il est donc impossible de savoir quand ce psaume a été écrit ; est-ce au moment où la grande puissance assyrienne envahissait toute la région, en commençant par le royaume du Nord ? Cela nous reporterait bien avant l’Exil à Babylone, entre le neuvième et le septième siècles av. J.-C. (puisque la capitale du royaume du Nord, Samarie, a été écrasée en 721). Est-ce bien plus tard, après la prise de Jérusalem par Babylone, c’est-à-dire au sixième siècle ? Et il y a encore d’autres hypothèses possibles. De toutes manières, quelles que soient les circonstances concrètes dans lesquelles est né ce psaume, le peuple d’Israël a pu le redire à nouveau à plusieurs reprises. (Et, aujourd’hui, à la surface du globe, nous connaissons plusieurs peuples qui pourraient le réinventer pour leur propre compte).

LA COMPOSITION TRÈS SOIGNÉE DE CE PSAUME

Lorsqu’on lit ce psaume en entier, il se présente comme un cantique composé de quatre couplets et quatre refrains ; les couplets disent l’histoire d’Israël : vigne choisie par Dieu, et prise à l’Égypte ; autrement dit le peuple que Dieu s’est choisi, qu’il a rassemblé, libéré de l’esclavage en Égypte et fait entrer dans la Terre Promise : « La vigne que tu as prise à l’Égypte, tu la replantes en chassant des nations. Tu déblaies le sol devant elle, tu l’enracines pour qu’elle emplisse le pays »... Et maintenant c’est la désolation, le pain des larmes.

Le refrain c’est la phrase : « Seigneur, Dieu de l’univers, fais-nous revenir ; que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ». L’expression « fais-nous revenir » est typique des célébrations pénitentielles : le mot « revenir » signifie « se convertir », faire demi-tour. Car on sait bien que si la vigne a donné de mauvais fruits, ce n’est pas de la faute du vigneron ; les prophètes l’avaient assez dit, Isaïe entre autres ! Les bons fruits que Dieu attendait, c’étaient le droit et la justice ; comme le dit Michée dans une phrase superbe : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que de respecter le droit, aimer la fidélité et marcher humblement avec ton Dieu » (Mi 6,8).

Ils avaient beau être prévenus, les croyants, libérés par le Dieu qui veut l’homme libre, ils ont pourtant écrasé le pauvre et réduit le frère à l’esclavage. Ils n’ont pas cultivé la justice, ils ont cultivé la richesse égoïste.

DIEU DE L’UNIVERS, REVIENS !... FAIS-NOUS REVENIR

Le refrain est donc une demande de pardon. Ce qui est remarquable, c’est que la formule oscille entre « Dieu de l’univers, reviens ! » et « Dieu de l’univers, fais-nous revenir ! » Quand on supplie Dieu de revenir en disant « Dieu, reviens », on sous-entend « reviens nous sauver » : évidemment, on sait bien qu’il ne s’est pas éloigné ; mais c’est un appel au secours ; la deuxième formule « Dieu de l’univers, fais-nous revenir » dit bien que la conversion est à la fois œuvre de Dieu et œuvre de l’homme, c’est le demi-tour de l’homme retourné par l’Esprit de Dieu.         

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NOTES

- On peut être heurté dans ce psaume par l’image qu’il nous donne d’un Dieu qui punit : ici, comme dans le texte d’Isaïe, c’est bien le vigneron qui a volontairement livré la vigne aux bêtes sauvages. Mais il faut se rappeler que la découverte de Dieu est progressive au long de l’histoire biblique et que ce psaume reflète l’état de la réflexion théologique à l’époque où il a été écrit : à cette époque-là, on considère que tout vient de Dieu : si on lui attribue le bonheur, il faut bien lui attribuer aussi le malheur ; ce n’est que très tardivement dans l’histoire de l’Ancien Testament que cette conception sera abandonnée.

- La partie centrale du livre de Job reflète un état plus tardif de la réflexion d’Israël et l’abandon de la logique de punition (nos malheurs seraient des châtiments) ; mais on n’a pas encore, même à cette étape, abandonné l’idée que Dieu commande tous nos bonheurs et tous nos malheurs. C’est ce qui est affirmé dans le Prologue mais que la suite du livre ne dément pas : « Le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a ôté ; que le nom du SEIGNEUR soit béni ! (Job 1,21)... Nous acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l’accepterions-nous pas aussi ? » (Job 2,10).

- Il a fallu encore bien des siècles pour découvrir que Dieu respecte tellement la liberté humaine qu’il ne tire pas toutes les ficelles de l’histoire !

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS   4,6-9

 

     Frères,
6   ne soyez inquiets de rien, 
     mais, en toute circonstance,         
     priez et suppliez, tout en rendant grâce,  
     pour faire connaître à Dieu vos demandes.
7   Et la paix de Dieu,
     qui dépasse tout ce qu'on peut concevoir,           
     gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus.
8   Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble,   
     tout ce qui est juste et pur,           
     tout ce qui est digne d'être aimé et honoré,         
     tout ce qui s'appelle vertu 
     et qui mérite des éloges,   
     tout cela, prenez-le en compte.
9   Ce que vous avez appris et reçu,  
     ce que vous avez vu et entendu de moi,  
     mettez-le en pratique.       
     Et le Dieu de la paix sera avec vous.
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PARCE QUE LE SEIGNEUR DU BUISSON ARDENT EST PROCHE

« Ne soyez inquiets de rien », dit Paul et nous avons envie de lui répondre que ce n’est pas toujours facile ! Mais il faut relire le verset qui précède ce texte dans la lettre de Paul : « Le Seigneur est proche ». Voilà pour Paul la meilleure, et même la seule raison de rester sereins, quoi qu’il arrive… Derrière cette petite phrase (« Le Seigneur est proche »), il me semble qu’on peut entendre deux choses.

Premièrement, le Seigneur est proche de nous, cela on le sait depuis bien longtemps en Israël, depuis l’épisode du buisson ardent : Dieu est proche de nous parce qu’il nous aime.

LE ROYAUME DE DIEU EST DÉJÀ INAUGURÉ

Deuxièmement, le Seigneur est proche parce que les temps sont accomplis, parce que le Royaume de Dieu est déjà inauguré et que nous sommes dans les derniers temps ; on connaît cette autre phrase de Paul, empruntée au vocabulaire nautique : « Le temps a cargué ses voiles » : comme un bateau près d’entrer au port replie ses voiles (c’est le sens du mot « carguer »), de la même façon, l’histoire humaine est tout près du port.

Être croyant c’est être tendu vers cet accomplissement de l’histoire ; non seulement le Royaume s’est approché de nous en Jésus-Christ, (parce que le Royaume c’est Jésus-Christ présent en tous) mais mieux encore, il nous attire comme un aimant.

Le reste du texte en découle : puisque le Seigneur est proche, nous ne sommes inquiétés par rien ; on croit entendre ici l’écho de cette superbe leçon sur la prière chez saint Matthieu : « Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?... Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : “Qu’allons-nous manger ?” ou bien : “Qu’allons-nous boire ?” ou encore : “Avec quoi nous habiller ?” Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne vous faites pas de souci pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine. » (Mt 6,25…34).

« NE SOYEZ INQUIETS DE RIEN »

Ce n’est pas de l’insouciance, c’est de la confiance, de la sérénité. « Ne soyez inquiets de rien »... puisque tout est déjà donné, il n’y a qu’à puiser : nous n’avons qu’à nous laisser emporter dans le torrent de la grâce. Prier, au fond, c’est se plonger dans le don de Dieu.         

Alors nous comprenons pourquoi, dans la prière, supplication et action de grâce sont toujours liées ; c’est une caractéristique de la prière juive qui dit toujours en même temps « Tu es béni, Seigneur, toi qui nous donnes... s’il te plaît, donne-nous ». C’est logique d’ailleurs : si l’on prie Dieu c’est parce qu’on sait qu’il peut et qu’il veut notre bonheur... et qu’il y travaille sans cesse. Lui demander quelque chose, c’est, implicitement au moins, lui rendre grâce. C’est très exactement ce que dit Paul : « Frères, ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes ».

Mais, comme disait Jésus, « il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur, il faut encore faire la volonté du Père ». Paul fait la même recommandation : « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur... prenez-le en compte ». Il attache certainement une grande importance à cette pratique d’une vie droite puisqu’il la met exactement en parallèle avec la prière. Il commence par parler de la prière et il conclut « la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. » Puis il parle du comportement des chrétiens pour terminer par la phrase « le Dieu de la paix sera avec vous ». Il me semble que ce parallélisme, certainement voulu, signifie qu’aux yeux de Paul, prière rime avec vie communautaire. En cela, d’ailleurs, il ne fait que reprendre la prédication des prophètes de l’Ancien Testament.

PRIÈRE RIME AVEC VIE COMMUNAUTAIRE

Pour revenir au Nouveau Testament, vous connaissez la phrase de Jésus dans l’évangile de Marc : « Quand vous vous tenez en prière, si vous avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez... » (Mc 11, 25) ; et saint Pierre fait les mêmes rapprochements : « La fin de toutes choses est proche. Montrez donc de la sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier. Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres » (1 Pi 4,7-8).

À en croire Paul, la paix est donc au bout de ce chemin où vie de prière et valeurs communautaires marchent de pair : « Ne soyez inquiets de rien... priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes... et la paix de Dieu gardera vos cœurs et vos pensées »... « tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur... prenez-le en compte et le Dieu de la paix sera avec vous ».

Si nous prenons au sérieux cette insistance des Écritures sur le lien nécessaire entre la prière et l’amour fraternel, il y a là sans aucun doute une leçon pour nous : non seulement nos inquiétudes nous font oublier que Dieu nous aime, mais elles nous ferment le cœur... Si nous nous préoccupions moins de notre pain du lendemain, il y aurait du pain aujourd’hui pour beaucoup d’autres.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   21,33-43

 

     En ce temps-là,
     Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
33 « Écoutez cette parabole :
     Un homme était propriétaire d'un domaine ;       
     il planta une vigne,           
     l'entoura d'une clôture,     
     y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde.   
     Puis il il loua cette vigne à des vignerons,           
     et partit en voyage.
34 Quand arriva le moment des fruits          
     il envoya ses serviteurs auprès des vignerons      
     pour se faire remettre le produit de sa vigne.
35 Mais les vignerons se saisirent des serviteurs,     
     frappèrent l'un,     
     tuèrent l'autre,       
     lapidèrent le troisième.
36 De nouveau, le propriétaire envoya d'autres serviteurs   
     plus nombreux que les premiers ; 
     mais on les traita de la même façon.
37 Finalement, il leur envoya son fils,          
     en se disant :         
     Ils respecteront mon fils.
38 Mais, voyant le fils, les vignerons se dirent entre eux :   
     Voici l'héritier :     
     venez ! tuons-le,   
     nous aurons son héritage !
39 Ils se saisirent de lui,        
     le jetèrent hors de la vigne           
     et le tuèrent.
40 Eh bien ! quand le maître de la vigne viendra,    
     que fera-t-il à ces vignerons ? »
41 On lui répond :     
     « Ces misérables, il les fera périr misérablement.
     Il louera la vigne à d'autres vignerons,    
     qui lui en remettront le produit en temps voulu ».
42 Jésus leur dit :       
     « N'avez-vous jamais lu dans les Écritures :        
     La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs      
     est devenue la pierre d’angle. :
     c'est là l'œuvre du Seigneur,        
     la merveille devant nos yeux !
43 Aussi, je vous le dis :        
     Le Royaume de Dieu vous sera enlevé    
     pour être donné à une nation       
     qui lui fera produire ses fruits. »
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LA PARABOLE DE LA VIGNE

On reconnaît tout de suite dans cette parabole de Jésus les emprunts qu’il fait au chant de la vigne du prophète Isaïe : « Un homme était propriétaire d’un domaine ; il planta une vigne, l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour de garde ». Le propriétaire entoure sa vigne des mêmes soins que le vigneron d’Isaïe ; mais les similitudes s’arrêtent là. Dans l’évangile, la parabole prend un tour nouveau et propose donc une leçon nouvelle.1

Chez Isaïe, le propriétaire est en même temps le vigneron ; la vigne représente le peuple d’Israël, une vigne entourée de soins, mais décevante et qui ne donnait que des mauvais fruits.

Dans la parabole de Jésus, le propriétaire n’est pas le vigneron, il n’exploite pas directement sa vigne, il la confie à d’autres vignerons ; écoutons saint Matthieu : « Il la loua à des vignerons et partit en voyage ».

QUI EST LA VIGNE ? ET QUI SONT LES VIGNERONS ?

Quant à savoir qui est la vigne, et qui sont les vignerons, ce n’est pas clair. De deux choses l’une : première hypothèse, la vigne représente Israël, comme chez Isaïe, et les vignerons sont les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient la charge de la vigne, le peuple d’Israël, et ils l’ont mal guidé puisqu’ils ont maltraité tous les prophètes et, en définitive, ils sont en train de rejeter le Fils Bien-Aimé du Père.

Deuxième hypothèse, la vigne représente le Royaume de Dieu et les vignerons, c’est le peuple d’Israël tout entier, qui en avait reçu la charge. C’est cette deuxième hypothèse qui est probablement la bonne, puisque Jésus termine en disant : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits ».

LE ROYAUME DE DIEU VOUS SERA ENLEVÉ

Cette dernière phrase de Jésus est terrible : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits ». Faut-il en conclure que le peuple d’Israël serait rejeté ? Grave question qui a empoisonné le dialogue entre Juifs et chrétiens depuis vingt siècles ; et à laquelle s’affrontait déjà douloureusement saint Paul, le Juif, dans la lettre aux Romains. Sa conclusion était que, de manière mystérieuse, mais de manière certaine, Israël reste le peuple élu au service du monde parce que « Dieu ne peut pas se rejeter lui-même ».

D’autre part, il ne faut pas oublier qu’une parabole n’est jamais un verdict, mais un appel à la conversion ; il est vrai que d’une parabole à l’autre, dans cette dernière étape de la vie de Jésus, le ton monte, mais c’est parce que l’urgence de la reconnaissance du Messie se fait pressante. Nous sommes à la veille de la Passion. Il ne faut jamais perdre de vue que le souhait constant de Jésus est de sauver les hommes, non de les condamner ; et que, s’il guérit les aveugles de naissance, il désire plus encore guérir ses compatriotes de leur aveuglement. On a donc là une ultime tentative de Jésus pour alerter les pharisiens ; ses paroles sont sévères, mais elles ne constituent pas un jugement définitif.

Il ne s’agit en aucun cas d’un jugement sans appel du peuple juif dans son ensemble ni même de ses chefs ; ce serait contraire à tout l’évangile. D’ailleurs l’annonce la plus importante ce n’est pas que le Royaume leur soit enlevé : ce qui compte c’est que, malgré les obstacles dressés par les hommes, le Royaume produise son fruit. Ce n’est pas le vigneron qui compte, c’est le raisin.

LA PIERRE REJETÉE PAR LES BÂTISSEURS

Mais surtout c’est le commentaire de Jésus qui nous donne la clé de la parabole : « N’avez-vous jamais lu dans les Écritures : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. C’est là l’œuvre du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux ! » Dieu est un habitué de ces renversements de situation. Déjà, au livre de la Genèse, les fils de Jacob avaient dit à propos de leur frère Joseph « voilà le Bien-Aimé, tuons-le »... ils n’imaginaient pas que celui qu’ils voulaient supprimer était celui qui allait les sauver, eux et tout le peuple (Gn 37,20). D’une certaine manière, Jésus annonce ici sa Résurrection : lui, la pierre rejetée deviendra la clé de voûte de l’édifice ; traduisez le nouveau peuple, ce seront tous ceux qui se rassembleront autour de lui, quelle que soit leur origine. Et nul n’en est exclu : tous les vignerons sont englobés dans la phrase de Jésus sur la croix « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

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NOTE

1 – Cela veut dire que Jésus a bien repris le thème de la parabole de la vigne chez Isaïe, mais en a modifié le symbolisme, ce qui est une manière très habituelle chez les auteurs bibliques. Il suffit de voir comment les métaphores bibliques (comme celle de la pierre angulaire, par exemple) évoluent d’un auteur à l’autre.

COMPLÉMENTS

- Le jugement que Jérémie portait déjà sur le peuple d’Israël peut nous éclairer : « Quand j’ai fait sortir vos pères du pays d’Égypte... je ne leur ai demandé que ceci : « Écoutez ma voix, et je deviendrai Dieu pour vous, et vous, vous deviendrez un peuple pour moi, suivez bien la route que je vous trace et vous serez heureux. Mais ils n’ont pas écouté ; mais ils n’ont pas tendu l’oreille, ils ont agi à leur guise dans leur entêtement exécrable, ils m’ont tourné le dos, au lieu de tourner vers moi leur visage... Depuis que leurs pères sortirent du pays d’Égypte jusqu’à ce jour, je n’ai cessé de leur envoyer tous mes serviteurs les prophètes, chaque jour, inlassablement. Mais ils ne m’ont pas écouté ; mais ils n’ont pas tendu l’oreille : ils ont raidi leur nuque, ils ont été plus méchants que leurs pères » (Jr 7,22-28).

- Matthieu écrit son Évangile à la fin du premier siècle, à une époque où le refus des Juifs de reconnaître le Messie a favorisé l’entrée des païens dans l’Église ; il n’est donc pas étonnant de trouver dans des textes de cette période une pointe polémique contre ceux qui ont poussé le peuple juif à refuser le Christ.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 10 04, 27e dimanche du temps ordinaire A

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21 septembre 2020 1 21 /09 /septembre /2020 19:24

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 26 septembre 2020).

PREMIÈRE  LECTURE  - Ézékiel  18,25-28

 

      Ainsi parle le Seigneur :
25 « Vous dites :
     ‘La conduite du Seigneur n’est pas la bonne’.
     Écoutez donc, fils d’Israël :
     est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ?
     N’est-ce pas plutôt la vôtre ?
26 Si le juste se détourne de sa justice,
     commet le mal, et meurt dans cet état,
     c’est à cause de son mal qu’il mourra.
27 Si le méchant se détourne de sa méchanceté
     pour pratiquer le droit et la justice,
     il sauvera sa vie.
28 Il a ouvert les yeux
     et s’est détourné de ses crimes.
     C’est certain, il vivra, il ne mourra pas. »

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            Pour comprendre cette prédication d’Ézékiel, il faut se rappeler le contexte : Ézékiel fait partie des habitants de Jérusalem déportés à Babylone par les armées de Nabuchodonosor, en 597 av. J.-C. C'est la catastrophe : on a vécu toutes les atrocités d'une guerre, et maintenant, à Babylone, loin du pays, la fameuse Terre Promise, qui devait ruisseler de lait et de miel, disait-on... loin de Jérusalem détruite, loin du Temple saccagé, la population décimée, on a tout perdu.

            La tentation est grande de se révolter contre Dieu ; les exilés se plaignent et disent « La conduite du Seigneur est étrange », ce qui signifie en clair : « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? »

            Car, à l’époque, on est convaincu qu’il y a un lien entre notre comportement bon ou mauvais et les événements de notre vie, heureux ou malheureux. Les bons sont toujours récompensés, les méchants sont toujours punis. Donc, s’il nous arrive un malheur, c’est parce que nous avons commis une faute.

Or cette génération dans la tourmente n'est pas pire que les précédentes. Et elle a quand même bien l'impression qu'elle paie tout le poids du passé, les fautes accumulées des générations précédentes, comme si le vase de la colère de Dieu avait tout d'un coup débordé. Et on se met à répandre le dicton : « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » (Ez 18,2). Traduisez : notre génération paie pour toutes celles qui l'ont précédée.

            Voilà dans quel contexte Ézékiel prend la parole. Et il nous offre ici toute une méditation sur la justice de Dieu.

Cette question de la justice de Dieu a habité la réflexion du peuple d’Israël tout au long de son histoire. Et la réponse a varié au cours du temps. La prédication d’Ézékiel que nous lisons aujourd’hui se situe donc à un moment précis de ce long cheminement. Et elle va constituer une étape importante dans ce déroulement.

            Comme tous ses contemporains, Ézékiel raisonne dans une logique de récompense / punition, ce que l’on appelle « la logique de rétribution ». Et sur ce point précis, il n’apporte rien de neuf. Toute faute reçoit un châtiment : telle est, croit-on,  la justice de Dieu.

            En revanche, il apporte du nouveau au sujet de ce fameux dicton sur les raisins verts. « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » (Ez 18,2). Ce qui voudrait dire que notre génération paierait pour toutes celles qui l'ont précédée.

            La nouveauté apportée par Ézékiel consiste à dire : le dicton sur les raisins verts est faux. On ne paie pas les fautes de ceux qui nous ont précédés. Au contraire, chacun est rétribué pour sa propre conduite. Quelques lignes avant le texte d'aujourd'hui, Dieu a fait dire par son prophète : « Par ma vie, dit Dieu, vous ne répéterez plus ce dicton en Israël ». Et Ézékiel développe tout un raisonnement pour bien préciser que la justice est individuelle et non pas collective.

« Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s'il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il a ouvert les yeux, parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Donc personne n’est jamais puni pour la faute d’un autre.  

C'est évidemment une étape très importante dans la découverte de la justice de Dieu, mais ce n'est qu'une étape. Plus tard, en particulier avec le livre de Job (dans la partie centrale du livre), on reconnaîtra que la justice de Dieu n’est pas une affaire de rétribution : qu'il n'y a pas de mesure automatique entre nos actions, bonnes ou mauvaises, et ce qui nous arrive de bon ou de mauvais... que les bons ne sont pas forcément récompensés et les méchants punis. On découvrira qu'on ne paie jamais rien, ni pour d'autres, ni pour soi-même... parce que Dieu ne punit jamais.

            Plus tard encore, on découvrira que Dieu n'est pas la cause directe de tout ce qui nous arrive. Pour l'instant, avec Ézékiel, on cesse d'accuser Dieu de nous faire payer les fautes de nos parents. C’est déjà un grand pas.

Ce texte d’Ézékiel nous apporte une autre bonne nouvelle : un avenir est toujours possible ; rien n'est jamais définitivement joué. Cette leçon-là est capitale !... Pour nous encore aujourd'hui, d'ailleurs. Car effectivement, tant qu'on croit que tout est joué d’avance, on est tenté de s'abandonner au désespoir ; or Ézékiel, comme tout bon prophète, n'a pas de pire ennemi que le découragement. C'est pourquoi il faut prendre au sérieux cette phrase : « Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s'il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il a ouvert les yeux, parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Il est toujours temps de changer de conduite ou de chemin, pour reprendre une image biblique. Se convertir, étymologiquement, en hébreu, cela veut dire « faire demi-tour ».

Au passage, Ézékiel lance donc un vibrant appel à la conversion. Et, tout compte fait, c’est bien simple, puisque le prophète juge notre conversion à notre conduite à l’égard des autres : d’après lui, pour le méchant, se détourner de sa méchanceté, c’est se mettre à pratiquer le droit et la justice.

Quant au juste, « Si le juste se détourne de sa justice... il mourra à cause de sa perversité. » Mais cela ne doit pas nous inquiéter, aucun de nous n’est concerné, car aucun de nous n’oserait se prétendre juste !

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Compléments au texte d’Ézékiel

- Entre nous, il faut bien reconnaître que, même aujourd'hui, au vingt-et-unième siècle, cette phrase « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? » nous vient spontanément à la bouche quand le malheur nous arrive. On se rappelle l'histoire de l'aveugle-né chez saint Jean : en le voyant, les disciples de Jésus lui ont posé la question classique : « Qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » (Jn 9), en d'autres termes « À qui la faute ? ». 

- Vie et mort en langage biblique : le texte d’Ézékiel peut se lire à un deuxième niveau, si on se souvient que, pour les prophètes, quand ils parlent de vie ou de mort, ils parlent de vie spirituelle et de mort spirituelle.

Dans ce chapitre 18, Ézékiel parle beaucoup de vie et de mort. Mais il vise autre chose que la vie et la mort physiques. Les exilés, d'ailleurs, parlaient de leur exil comme d'une situation de mort ; ils disaient : « Nos révoltes et nos péchés sont sur nous, nous pourrissons à cause d'eux, comment pourrons-nous vivre ? » (Ez 33,11). À leurs yeux, privés de tout ce qui faisait leur vie et en particulier la pratique de leur foi, l'exil était une situation de non-vie, une espèce de mort larvée... Ézékiel ne leur promet pas tout de suite le retour, mais il leur dit : « La vraie vie, c'est l'intimité avec Dieu » et cela, c'est possible partout. « Convertissez-vous  et vivez ! » Cela veut dire que, même dans le malheur, vivre au plein sens du terme, c'est-à-dire en union avec Dieu, est toujours possible.

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PSAUME  24 (25) 4 - 9

 

4   SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies,      
     fais-moi connaître ta route.
5   Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,    
     car tu es le Dieu qui me sauve.

6   Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, 
     ton amour qui est de toujours.
7   Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse,   
     dans ton amour, ne m'oublie pas.

8   Il est droit, il est bon, le SEIGNEUR,    
     lui qui montre aux pécheurs le chemin.
9   Sa justice dirige les humbles,       
     il enseigne aux humbles son chemin.       
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Vous avez entendu les mots « voies », « route », « chemin », et le verbe  « dirige-moi ». « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve... Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin ».

Ce thème du chemin est typique des psaumes pénitentiels : la Loi de Dieu, (les commandements), est considérée comme le code de la route en quelque sorte ; c’est un pécheur qui parle dans ce psaume, un pécheur qui est conscient de s’être égaré, d’avoir pris un sens interdit ; et il demande à être remis sur le droit chemin. On sait que se « convertir » en hébreu, se dit « faire demi-tour ».

            Il n’est jamais trop tard pour faire demi-tour : dans la première lecture de ce dimanche, Ézékiel affirmait qu’un avenir est toujours possible, on n’est jamais définitivement condamné. C’est pour cela qu’il est toujours temps de dire à Dieu « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route ». Il suffit de croire en la miséricorde de Dieu : « Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin, Il enseigne aux humbles son chemin »... sous-entendu c’est la seule chose qui nous est demandée, non pas la vertu, mais l’humilité.  

Le mot « humbles », ici, traduit le mot hébreu « anavim » très fréquent dans la Bible : il s’agit de ceux que nous appelons les « pauvres de cœur », c’est-à-dire tous ceux qui se reconnaissent démunis, pauvres, impuissants ; on les appelle parfois « les dos courbés ». C’est chacun de nous, quand nous en sommes réduits à prier en disant seulement « prends pitié ». Ici la supplication est une demande de conversion : « SEIGNEUR, enseigne-moi tes chemins ».

            Le pécheur qui parle ici n’est pas tout seul : il s’agit du peuple tout entier ; ce psaume 24/25 a été certainement composé pour des célébrations pénitentielles au temple de Jérusalem : mais, là encore, son rapprochement avec le texte d’Ézékiel proposé pour ce vingt-sixième dimanche va nous permettre de mieux comprendre un aspect de la prière juive. C’est cette imbrication permanente du « Je » et du « Nous ».

            Comme tous les psaumes, celui-ci parle à la première personne du singulier, « JE », mais il faut l’entendre comme un JE collectif, au nom du peuple tout entier. Il n’y a pas moins individualiste que le peuple de la Bible ! Et d’ailleurs, si vous avez la curiosité de lire ce psaume en entier, vous verrez qu’après avoir parlé tout le temps à la première personne du singulier, il se termine en disant « Libère Israël, ô mon Dieu, de toutes ses angoisses ».

Parce qu’on a un sens très fort de la solidarité qui unit tous les membres d’une même famille, d’une même tribu, dans l’espace et dans le temps, on trouve normal d’invoquer le Dieu des pères, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob... À travers les générations, une véritable solidarité unit le patriarche à ses lointains descendants, et réciproquement. On trouve donc parfaitement normal aussi que l’Alliance conclue avec Noé, avec Abraham, avec Moïse concerne tous leurs descendants, le peuple tout entier.

Aujourd’hui, nous mettons plutôt l’accent sur l’individu, la dimension du bonheur personnel ; au point que notre société en arrive à donner parfois l’impression d’être polarisée sur la défense des droits individuels, au détriment des valeurs communautaires. Au début de l’histoire biblique, au contraire, tout était centré sur le peuple : ce n’est que progressivement qu’on a découvert l’importance de l’individu.

            C’est certainement l’une des réussites de la pensée biblique que d’avoir su donner sa place à l’individu sans nier la communauté. C’est ainsi par exemple que le livre du Deutéronome et les textes prophétiques mêlent souvent le « tu » et le « vous » : « Voici le commandement, les lois et les coutumes que le SEIGNEUR votre Dieu a ordonné de vous apprendre à mettre en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession, afin que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu, toi, ton fils et ton petit-fils, en gardant tous les jours de ta vie toutes ses lois et ses commandements que je te donne, pour que tes jours se prolongent. » (Dt 6,1)1.

Il y a là un moyen saisissant de dire à quel point notre destin personnel est lié à celui de la communauté. Nous sommes profondément solidaires les uns des autres, nous le savons bien ; et les progrès des communications, la mondialisation de l’économie, dont on parle tant, nous le prouvent tous les jours. Pour autant,  nous ne sommes pas fondus dans un grand tout et chacun de nous garde une marge de liberté et de responsabilité.

            Pour revenir au psaume 24/25, ce pécheur à la fois humble et confiant, c’est donc inséparablement, chacun de nous, individuellement, ET la communauté croyante tout entière.

Dernière remarque : le psaume présente une série de variations sur le thème du souvenir et de l’oubli. « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse... Oublie les révoltes... Ne m’oublie pas ». C’est à la fois de l’audace et de l’humilité ! Au fond, on prie Dieu d’avoir une mémoire sélective : « Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse » et au contraire « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, ton amour qui est de toujours ». C’est l’audace que permet l’Alliance avec le Dieu de tendresse et de fidélité, lent à la colère et plein d’amour ». Décidément on n’avait pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Père !

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Note

L’alternance du « tu » et du « vous » reste surprenante. Or il ne s’agit certainement pas d’un défaut de style, surtout dans ce texte, l’un des plus vénérables de l’Ancien Testament, puisqu’il est l’introduction du fameux « Shema Israël » (« Écoute Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est le Seigneur UN »).

On sait que plusieurs textes du livre du Deutéronome ont été composés par juxtaposition de passages d’origines différentes ; on pourrait penser que c’est le cas ici : des phrases écrites en « tu » auraient été juxtaposées avec des phrases rédigées en « vous ». C’est possible, mais si c’est le cas, il reste que le rédacteur final n’a pas cherché à harmoniser le texte.

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DEUXIÈME  LECTURE - Philippiens  2,1-11

 

     Frères,
1   s'il est vrai que dans le Christ on se réconforte les uns les autres,
     si l'on s'encourage avec amour,    
     si l'on est en communion dans l'Esprit,
     si l'on a de la tendresse et de la compassion,
2   alors, pour que ma joie soit complète,
     ayez les mêmes dispositions,
     le même amour,
     les mêmes sentiments ;
     recherchez l'unité.
3   Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux,
     mais ayez assez d'humilité
     pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
4   Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts,       
     pensez aussi à ceux des autres.
5   Ayez en vous les dispositions      
     qui sont dans le Christ Jésus :
6   ayant la condition de Dieu,          
     il ne retint pas jalousement           
     le rang qui l'égalait à Dieu.
7   Mais il s’est anéanti          
     prenant la condition de serviteur,
     devenant semblable aux hommes.
     Reconnu homme à son aspect,
8   il s'est abaissé,       
     devenant obéissant jusqu'à la mort,         
     et la mort de la croix.
9   C'est pourquoi Dieu l'a exalté :    
     il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu'au nom de Jésus,
     tout genou fléchisse         
     au ciel, sur terre et aux enfers,     
11 et que toute langue proclame :     
     « Jésus Christ est Seigneur »,       
     à la gloire de Dieu le Père.
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            Pour la fête des Rameaux, chaque année, nous lisons la deuxième partie de ce texte qui est une contemplation du mystère du Christ : « Lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ». Aujourd’hui, je m’attache à la première partie : Paul nous dit comment on vit « dans le Christ ».

Il emploie deux fois cette formule, au début et à la fin de ce passage : au début « s’il est vrai que dans le Christ ... » et à la fin « Ayez en vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus » ; et entre les deux, il dresse toute une énumération de ces dispositions. Cette formule « Dans le Christ » doit certainement être prise dans un sens très fort : depuis notre baptême, nous appartenons au Christ, nous faisons partie de lui en quelque sorte ; et cette nouvelle identité qui est commune à tous les baptisés surmonte toutes nos diversités ; désormais, nous portons le même nom de famille : ce nom, c’est « CHRÉTIEN ». Et quand nous rencontrons des chrétiens, dorénavant, c’est ce sentiment de commune appartenance qui surpasse (ou devrait surpasser) tous les autres.

Cela ressemble à ces grandes réunions de famille, où nous savons que chacun de ceux que nous rencontrons est d’abord un cousin ; dans tout rassemblement où l’on peut éprouver le même sentiment d’appartenance commune, on a une idée de ce que Paul veut dire ici. Et c’est ce sentiment très fort qui nous inspire les dispositions dont parle Paul ; réconfort, amour, communion, tendresse, pitié : au passage, on peut noter que ce sont tous les attributs de Dieu dans l’Ancien Testament

Ce mystère d’amour et de communion, nous y avons été plongés au jour de notre baptême : il reste à le vivre au quotidien : « Pour que ma joie soit complète, dit Paul, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments... » Un peu comme s’il nous disait « Faites honneur à votre famille, au Nom que vous portez ».

            Cela va loin : « Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes ». Curieuse phrase : est-ce que chacun de nous doit systématiquement se dévaloriser ? Sûrement pas : le but n’est certainement pas de faire des comparaisons de supériorité ou d’infériorité, c’est totalement contraire à la Bonne Nouvelle d’un Royaume qui ignore toute comptabilité ! Le but n’est pas non plus de se regarder soi-même, fût-ce pour s’humilier ; le but, au contraire, c’est de regarder l’autre avec comme une sorte d’a priori, un regard systématiquement admiratif. Et de regarder en lui, non pas ce qu’il a, mais ce qu’il est. Les différences physiques, culturelles, sociales, crèvent les yeux. Mais tout cela n’est que de l’avoir.

            Or Paul a bien introduit son propos par l’expression « dans le Christ », ce qui veut dire qu’il ne se situe pas dans le domaine de l’avoir, mais de l’être : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Ga 3,27). Ce que Paul nous dit, c’est « chaque fois que vous rencontrez un autre baptisé, ne regardez que ce qu’il est » ; il est membre du Corps du Christ ... lui aussi contribue à sa façon à la construction du Royaume... il est, lui aussi, le Temple de l’Esprit, il a sa vocation propre, différente de la mienne, indispensable au plan de Dieu, et sans mon admiration, sans mes encouragements, il ne pourra pas la remplir.

            Or la seule chose qui compte, c’est la mission de chacun et de la communauté tout entière : pour sa mission, mon voisin est meilleur que moi, il est même le seul capable ; pour cette mission, il est rempli de l’Esprit de Dieu, c’est-à-dire d’une capacité d’amour infinie ; tout cela vaut bien que je l’admire. Dans le texte de dimanche dernier, Paul disait aux Philippiens « Quant à vous, menez une vie digne de l’évangile » ; aujourd’hui, il vient de nous dire ce qu’est une vie digne de notre vocation chrétienne. Ce sont là des conseils que Paul donne à des chrétiens, des baptisés ; mais il va de soi que nous devrions porter ce même regard positif sur tout homme ...

            Dernière remarque : ce texte de Paul dit bien à la fois que le Royaume est déjà là ET en même temps qu’il nous reste à y collaborer, par toute notre vie quotidienne : déjà, le dessein de Dieu de réunir « dans le Christ » l’humanité tout entière est accompli en Jésus-Christ et en chacun de nous qui sommes greffés sur lui par notre baptême ; et en même temps il s’accomplit au quotidien dans la mesure où nous laissons cette réalité intime de notre appartenance au Christ transfigurer nos relations avec les autres, baptisés ou non.

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Compléments sur Philippiens

Il est rare que nous entendions ce texte en entier ; chaque année, aux Rameaux (et à la fête de la Croix glorieuse), nous lisons la deuxième partie, qui est une contemplation du mystère du Christ, mais la première partie nous est moins familière ; pour autant il faut bien lire ces deux parties ensemble, car elles sont très liées. Première partie, Paul nous dit comment on vit « dans le Christ », comme il dit ; deuxième partie, il contemple la vie du Christ lui-même. (Pour la deuxième partie, se reporter au commentaire du dimanche des Rameaux, « L’intelligence des Écritures » tome 1).

On retrouve ici un écho de la formule que nous connaissons bien, et qui se trouve dans la deuxième lettre aux Corinthiens « La grâce de Jésus-Christ notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit-Saint soient avec vous tous » (2 Co 13,13). (C’est aussi  la formule liturgique du début de l’Eucharistie).

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ÉVANGILE  Matthieu  21,28-32

 

     En ce temps-là,
     Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
28 « Quel est votre avis ?
     Un homme avait deux fils.
     Il vint trouver le premier et lui dit :
     ‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’
29 Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’
     Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
30 Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière.
     Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’
     et il n’y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du père ? »
     Ils lui répondent :
     « Le premier. »
     Jésus leur dit :
     « Amen, je vous le déclare :
     les publicains et les prostituées
     vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice,
     et vous n’avez pas cru à sa parole ;
     mais les publicains et les prostituées y ont cru.
     Tandis que vous, après avoir vu cela,
     vous ne vous êtes même pas repentis plus tard
     pour croire à sa parole. »

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            « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » Apparemment, la question est simple, trop simple. Comme dimanche dernier, avec la parabole des ouvriers de la onzième heure, nous sommes dans une vigne ; des deux fils sollicités d’y aller, le premier refuse et finit quand même par s’y rendre ; le deuxième s’empresse de dire oui... et n’en fait rien. Et Jésus pose une question apparemment trop simple aux chefs des prêtres et aux anciens : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »

            Si Jésus leur pose cette question, ce n’est évidemment pas pour le plaisir de jouer à qui trouvera la bonne réponse ! C’est pour leur ouvrir les yeux. Car sans la moindre transition il leur dit : vous, chefs des prêtres et anciens, c’est-à-dire ce qu’il y a de mieux intentionné au monde, vous êtes comme le deuxième fils : il dit « Oui, oui, papa », mais il ne va pas à la vigne. Tandis que vous voyez, il y a des gens beaucoup moins recommandables, mais qui sont plus prêts que vous à écouter la parole du Père.

            La volonté du Père c’était que son peuple, à commencer par les autorités religieuses, accueille son Envoyé, son Messie, Jésus. Tout le drame de la Passion est là : les plus fervents en Israël, ceux qui attendaient avec impatience la venue du Messie et priaient Dieu tous les jours de hâter sa venue, sont ceux qui ont refusé de le reconnaître.

            Les publicains et les prostituées sont des pécheurs publics, c’est entendu ; et ce n’est pas de cela que Jésus les complimente ; ils sont comme le premier fils ; ils ont commencé par refuser de travailler à la vigne ; jusque-là rien d’admirable ! Seulement voilà : Jean-Baptiste les a touchés, et ils ont écouté sa parole. Ce n’est pas parce qu’ils sont pécheurs qu’ils entrent dans le Royaume ; mais parce qu’ils ont cru à la parole du Baptiste. Tandis que vous, les professionnels de la religion, vous avez refusé de croire la parole du Baptiste. 

            Ici, Jésus fait probablement référence à ce qui s’est passé le jour des Rameaux : au début de ce chapitre 21, Matthieu a raconté l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et les foules ont reconnu en lui le Messie. Elles ont lancé pour lui l’acclamation réservée au roi descendant de David : « Hosanna au fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 1 Mais cet accueil que lui ont réservé les petites gens ne s’est pas répété chez les prêtres et les anciens ; bien au contraire. Peu après, alors qu’il enseignait dans le Temple, ils sont venus lui demander : « En vertu de quelle autorité te permets-tu d’enseigner ? Qui t’a donné cette autorité ? » Sous-entendu : qui t’envoie ? Dieu ? ou toi-même, plutôt ?

            Comme souvent, Jésus n’a pas répondu directement : il voulait que ses interlocuteurs trouvent tout seuls ; et donc il leur a renvoyé une autre question, mais qui avait trait à Jean-Baptiste, celle-là. « Le Baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » Et eux n’ont pas osé répondre, de peur de se déjuger eux-mêmes, eux qui avaient préféré ignorer Jean-Baptiste. Alors Jésus leur propose cette parabole des deux fils pour aider leur prise de conscience ; c’est comme un ultime appel qu’il leur adresse. Jésus n’a pas de préférence pour les uns ou pour les autres. Il veut le salut de tous et s’il semble parfois malmener certains de ses interlocuteurs, c’est que le temps presse.

            Mais au fait, que disait Jean-Baptiste ? Il disait « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham ». C’était peut-être bien là le problème des autorités religieuses : une espèce de suffisance qui permet de ne pas se remettre en question. Alors que les publicains et les prostituées, parce qu’ils se savaient pécheurs et qu’ils avaient très vif le sentiment de leur indignité, de leur pauvreté, avaient les oreilles et le cœur plus prêts à s’ouvrir.

            La difficulté, justement, pour les chefs des prêtres et les anciens, c’était d’ajouter foi à la parole de Jean-Baptiste, puis de Jésus, c’est-à-dire deux individus sans légitimité, à leurs yeux.

            Et c’est bien là le fond du problème : dans cette expression « à leurs yeux ». Cela veut dire que, pour eux, la cause est entendue, ils savent ce qu’il en est des choses de Dieu et ils ne peuvent plus voir autre chose que leurs propres certitudes.

            Si Jésus propose une parabole à ses interlocuteurs, c’est pour les amener à ouvrir les yeux justement ; or le temps presse de plus en plus puisque nous sommes déjà à la veille de la Passion. Cette parabole des deux fils va encore plus loin que celle que nous entendions  la semaine dernière, celle des ouvriers de la onzième heure ; dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, Jésus disait à ses interlocuteurs : vous vous considérez comme des ouvriers de la première heure et vous me trouvez bien indulgent pour les retardataires... Dans la parabole des deux fils, il va jusqu’à remettre en cause leur attitude religieuse : êtes-vous sûrs seulement d’être allés travailler à ma vigne ?

            Êtes-vous vraiment soucieux de vous conformer à la volonté du Père ?

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Note

1 – L’acclamation « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! » est une citation du Psaume 117/118, 26

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 09 27 26e dimanche du temps ordinaire A

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14 septembre 2020 1 14 /09 /septembre /2020 19:47

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 19 septembre 2020).

PREMIÈRE  LECTURE  - Isaïe  55, 6-9

 

6   Cherchez le SEIGNEUR tant qu'il se laisse trouver.
     Invoquez-le tant qu'il est proche.
7   Que le méchant abandonne son chemin,
     et l'homme perfide, ses pensées !
     Qu'il revienne vers le SEIGNEUR
     qui lui montrera sa miséricorde,
     vers notre Dieu, qui est riche en pardon.
8   Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
     et vos chemins ne sont pas mes chemins,
     - oracle du SEIGNEUR.
9   Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
     autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins,
     et mes pensées, au-dessus de vos pensées.
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         « Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’il est proche » : cela ne veut pas dire « Dépêchez-vous, il pourrait s’éloigner ! » Voilà, je crois, le contresens à ne pas faire ! Il n’existe pas de temps où Dieu ne se laisse pas trouver, il n’existe pas de temps où Dieu ne serait pas proche ! Il faut comprendre (et c’est le texte de la Traduction Œcuménique de la Bible, la TOB), « Cherchez le SEIGNEUR puisqu’il se laisse trouver. Invoquez-le puisqu’il est proche ». C’est toujours nous qui nous éloignons de Dieu. Et il est vrai que, dans notre liberté, nous nous éloignons parfois tellement de lui que nous perdons jusqu’au goût de le chercher.

         Il faut bien voir dans quel esprit ces lignes sont écrites : Isaïe s’adresse ici à des gens complètement découragés ; en Exil à Babylone, dans des conditions extrêmement dures, le peuple d’Israël est tenté de croire que Dieu l’a abandonné. Et il en vient à se demander s’il est encore possible d’oser espérer le pardon de Dieu et la restauration du peuple élu. Ce doute et ce soupçon, il faut résolument leur tourner le dos ; ce sont, dit le prophète, des pensées méchantes, perverses. Elles nous trompent sur Dieu et nous éloignent de lui. La pensée perverse, précisément, ce serait de croire que Dieu pourrait n’être pas proche, que Dieu pourrait être inaccessible, que Dieu pourrait ne pas pardonner. Voilà déjà certainement une leçon très importante de ce texte. Ce n’est pas parce que Dieu semble silencieux qu’il est absent ou lointain.

         On a là, comme très souvent dans la Bible, le thème du chemin : douter de Dieu, l’imaginer méchant, dur, vengeur, c’est prendre le chemin à l’envers, c’est nous éloigner de lui de plus en plus ; et du coup, puisque nous ne croyons pas à sa tendresse et à sa sollicitude, c’est nous en priver nous-mêmes ; l’adolescent soupçonneux ne profite plus des marques de tendresse que ses parents lui donnent pourtant ; il ne les voit plus puisqu’il leur tourne le dos. Isaïe dit : retournez-vous, revenez vers Dieu, vous redécouvrirez que Dieu a pitié de vous et qu’il est riche en pardon.

         Cette découverte du Dieu de tendresse et de pardon est très présente dans l’Ancien Testament, bien avant la venue de Jésus sur la terre. Il suffit de relire les prophètes ; Osée, par exemple, a su trouver des phrases magnifiques pour dire les pensées de Dieu : « Mon cœur est bouleversé en moi, dit Dieu, en même temps ma pitié s’est émue. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère... Car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi, je suis saint. » (Osée 11,8-9). En langage biblique, le mot « saint » veut dire le Tout-Autre. Et c’est en cela que Dieu est le Tout-Autre, le Saint : Il est miséricorde, et Pitié et Pardon.

         Ou encore Jérémie : « Moi, je sais les projets que j’ai formés à votre sujet - oracle du SEIGNEUR  - projets de prospérité et non de malheur : je vais vous donner un avenir et une espérance ». (Jr 29,11) Et, bien sûr, on pense à cette phrase magnifique de l’évangile : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45).

         Il y a aussi ce merveilleux dialogue dans le livre de Jonas ; Jonas prend très mal l’indulgence de Dieu pour ces affreux Ninivites, l’ennemi héréditaire d’Israël : et il reproche à Dieu d’être trop bon  « Je savais bien moi, que tu es un Dieu bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité » (Jonas 4,2). Et Dieu se défend en disant « Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent même pas choisir entre le bonheur et le malheur  ? » (Jonas 4,11).

         La Bible, dès l’Ancien Testament, est donc pleine de cette révélation du pardon de Dieu... et, à partir du moment où on l’a découvert, on ne voit plus que cela. À l’inverse, chaque fois que nous ne trouvons pas dans la Parole de Dieu cette annonce de la miséricorde et du pardon de Dieu toujours offert, c’est que nous n’avons pas compris le texte ! Le peuple d’Israël a eu le privilège de faire cette double découverte extraordinaire : Dieu est à la fois le Tout-Autre, le Saint et aussi le Tout-Proche, le « Dieu de tendresse et de pitié » révélé à Moïse (Exode 34,6).   

         Isaïe ramasse cette découverte dans cette phrase superbe : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Cette distance infinie qui sépare le ciel de la terre est une image très parlante pour nous dire que Dieu, décidément, est le Tout-Autre. En même temps, il est le Tout-Proche, celui qui est « riche en pardon ».

         Et je crois même qu’il faut aller plus loin : c’est précisément cette richesse de pardon qui constitue la distance infinie dont parle Isaïe et qui nous sépare de Dieu, autant que le ciel est séparé de la terre. Notre texte dit bien : « Notre Dieu est riche en pardon »... « CAR vos pensées ne sont pas mes pensées ... » Tout tient dans cette petite conjonction « Car » ; mais, malheureusement, elle risque de passer inaperçue. Ce qu’Isaïe nous dit là, c’est que nous ne sommes pas sur le même registre que Dieu : Lui qui est l’amour même, Il est sur le registre de la gratuité, on dit « la grâce », le registre du pardon sans conditions. Nous, nous sommes sur le registre du calcul, du donnant-donnant. Nous voulons que les bons soient récompensés et les méchants punis. Nous parlons de « gagner » notre ciel ; nous calculons nos mérites ; ou bien nous disons « je ne mérite pas »  sans nous apercevoir qu’en disant cela, nous nous permettons de calculer à sa place ! Dieu, lui, ne nous demande pas de mériter quoi que ce soit ! Il dit seulement : « Que le méchant abandonne ses chemins, et l’homme pervers ses pensées. Qu’il revienne vers notre Dieu qui est riche en pardon. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées... » Dieu, lui, nous propose de vivre tout simplement une relation d’amour, donc gratuite, par définition. Il n’y a pas de banque ni de chéquier dans le royaume de l’amour, nous le savons bien.

         Dernière remarque : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » ; cette distance infinie qui nous sépare de Dieu explique la faiblesse de notre langage sur Lui ! Du coup, cette phrase devrait être pour nous une invitation à l’humilité et à la tolérance : humilité quand nous osons parler de Dieu, tolérance pour la façon dont les autres parlent de Lui : qui d’entre nous peut prétendre sonder les pensées de Dieu ?

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Complément

- Il y a encore cette phrase magnifique dans le livre des Chroniques : « Si mon peuple s’humilie, s’il prie, cherche ma face et revient de ses voies mauvaises, moi, j’écouterai des cieux, je pardonnerai son péché et je guérirai son pays ». (2 Ch 7,14). Malheureusement, tant qu’on n’a pas découvert que Dieu est toujours et seulement Amour et Pardon, on risque encore de lire à l’envers des phrases comme celle-ci : comme si Dieu mettait une condition à son pardon : « Si mon peuple s’humilie »... En réalité, c’est nous qui mettons une condition : comment recevoir le pardon si nous ne le désirons pas ?

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PSAUME  144 (145), 2-3, 8-9, 17-18

 

2   Chaque jour je te bénirai,
     je louerai ton nom toujours et à jamais.
3   Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué :
     à sa grandeur, il n'est pas de limite.

8   Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
     lent à la colère et plein d'amour ;
9   la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
     sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

17 Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies,
     fidèle en tout ce qu'il fait.
18 Il est proche de ceux qui l'invoquent,
     de tous ceux qui l'invoquent en vérité.
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         On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le prophète Isaïe résumait en quelques versets toute la foi d’Israël : la découverte d’un Dieu plein de pitié, riche en pardon et qui appelle son peuple en lui disant « reviens vers moi ». Ce psaume est la réponse du peuple qui revient à son Dieu : « Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais » ; c’est vraiment le cantique de la foi retrouvée.

         Nous avons déjà rencontré ce psaume et admiré sa composition : si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez qu’il est ce qu’on appelle un psaume « alphabétique » ; nous savons donc d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d’une ligne à l’autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux chœurs alternés.

         Si on regarde d’un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus aujourd’hui, on remarquera deux choses : premièrement on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis ; et, deuxièmement ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche.

         Je prends un exemple : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, dit le psaume ; à sa grandeur, il n'est pas de limite. » Et Isaïe, dans la première lecture, avec ses mots à lui, nous dit également cette grandeur de Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Mais Isaïe nous entraîne dans une voie imprévue et nous risquons d’être surpris : car la grandeur de ce roi n’est pas ce que nous croyons parfois, elle ne ressemble en rien aux fausses gloires et aux fausses grandeurs de la terre. C’est uniquement la grandeur de l’amour. Je résume sa prédication : « Que le méchant revienne vers Dieu qui est riche en pardon... CAR mes pensées ne sont pas vos pensées... » Il semble bien qu’aux yeux du prophète, la grandeur de Dieu réside précisément dans son pardon.

         Et vous vous souvenez que nous avons lu il y a quelques semaines (seizième dimanche) un passage du livre de la Sagesse qui faisait écho à Isaïe : « Seigneur, tu prends soin de toute chose... ta domination sur toute chose te rend patient envers toute chose... L’homme dont la puissance est discutée fait montre de sa force, mais toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence. » (Sg 12).

          Soyons francs, cette chanson-là n’est pas souvent celle des médias modernes ; et, pourtant, chacun de nous, dans l’intime de sa conscience, sait que c’est la vérité. La seule vraie grandeur d’un être humain, c’est sa capacité d’aimer. Après tout, ce n’est pas étonnant si nous sommes à l’image de Dieu !

          Autre consonance entre le psaume et la lecture d’Isaïe, l’amour et le pardon de Dieu pour tous les êtres sans exception. « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres » dit le psaume. Et Isaïe insistait sur ce pardon qui semble bien être la caractéristique de Dieu : « Que le méchant abandonne son chemin, et l'homme perfide, ses pensées ! Qu'il revienne vers le SEIGNEUR qui aura pitié de lui, vers notre Dieu, qui est riche en pardon. » Mais, là encore, Isaïe nous entraîne plus loin que nous ne voudrions aller, peut-être : nous voulons bien entendre ici l’assurance que nos faiblesses, nos péchés seront pardonnés. Mais, au nom de ce que nous appelons la justice, il nous semble impensable que tous les grands pécheurs de tous les temps reçoivent le pardon de Dieu tout comme nous !

          Et pourtant, si nous prenons au sérieux la prédication d’Isaïe, il va falloir convertir notre conception de la justice, tout simplement ! À vrai dire, Isaïe avait prévu notre difficulté à entendre ce genre de vérité, car il avait pris la précaution de préciser que ce qu’il annonçait ne représentait pas sa pensée à lui, mais qu’il s’agissait réellement d’une parole de Dieu. Il disait « Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, oracle du SEIGNEUR ».

          Et, d’ailleurs, l’évangile de ce dimanche va nous encourager à changer de logique !

         Il s’agit de ce que nous appelons la parabole des ouvriers de la onzième heure. Le verset du psaume parle de la justice de Dieu, précisément ; il dit « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait » ; la parabole, quant à elle, nous racontera l’histoire d’un chef d’entreprise donnant à tous ses serviteurs le même salaire, quelle que soit leur ancienneté dans la maison ou leur nombre d’heures de travail ; cela bien sûr au grand scandale de ceux qui ont fait le plus grand nombre d’heures. Le message de Jésus, ici, est très clair : « Ne vous y trompez pas » ; la plus grande justice au monde n’est pas celle de la balance, elle est celle de l’amour ; si vous aimez vos frères autant que vous-mêmes, vous vous réjouirez de mes largesses à leur égard.           

         Pour terminer, je m’arrête sur le dernier verset du psaume : « Le SEIGNEUR est proche de ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Ici peut-être, il y a une lecture perverse à éviter : le psalmiste ne dit pas que Dieu n’est proche que de ceux qui l’invoquent ! Mais Dieu respecte trop notre liberté pour forcer notre porte.

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DEUXIÈME  LECTURE - Philippiens  1,20c-24.27a

 

     Frères,
20 soit que je vive, soit que je meure,
     le  Christ sera glorifié dans mon corps.
21 En effet, pour moi vivre, c'est le Christ,
     et mourir est un avantage.
22 Mais si, en vivant en ce monde,
     j'arrive à faire un travail utile,
     je ne sais plus comment choisir.
23 Je me sens pris entre les deux :
     je désire partir
     pour être avec le Christ,
     car c'est bien préférable ;
24 mais, à cause de vous, demeurer en ce monde
     est encore plus nécessaire.
27 Quant à vous,
     ayez un comportement digne de l'Évangile du Christ.
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         Il est toujours  émouvant de lire la lettre aux Philippiens : elle est pleine à la fois de la passion de Paul pour sa mission d’apôtre, de sa passion pour le Christ, et aussi de son affection toute simple et fraternelle pour ceux qu’il a connus là-bas ; cela nous vaut des développements théologiques qui volent très haut, comme on dit, et des confidences tout humaines d’un homme comme les autres à ses amis. 

         « Soit que je vive, soit que je meure » : Paul est en prison, c’est clair, d’après le reste de l’épître, mais on ne sait pas où ; à Rome, peut-être puisque, d’après cette lettre, il est visiblement en attente de jugement ; mais il a connu plusieurs emprisonnements, à Philippes même, à Jérusalem, une longue durée à Éphèse, probablement, sans compter deux années à Césarée maritime et au moins autant à Rome. En tout cas, lorsqu’il écrit cette lettre aux Philippiens, son procès est visiblement commencé et il sait très bien qu’il risque la mort. « Soit que je vive, soit que je meure, la grandeur du Christ sera manifestée dans mon corps » : le mot « corps » ici veut dire la personne tout entière. S’il est libéré, il pourra continuer sa mission d’évangélisation, et son temps de captivité et son procès lui auront permis de témoigner du Christ au tribunal.

         Il a écrit quelques versets plus tôt : « Dans tout le prétoire, et partout ailleurs, il est maintenant bien connu que je suis en captivité pour le Christ. Et la plupart des frères, encouragés dans le Seigneur par ma captivité, redoublent d’audace pour annoncer sans peur la Parole. » Mieux, il s’est réjoui de ce que certains, moins bien intentionnés, aient profité de sa mise à l’ombre pour se poser en apôtres, à sa place. Qu’importe, pense Paul, de toutes manières, le Christ est annoncé.

         S’il est condamné à mort, son martyre, affronté dans la joie, constituera un témoignage suprême de la foi des chrétiens en la Résurrection.

         On est toujours extrêmement étonnés de l’assurance dont faisaient preuve les premiers chrétiens face au martyre. Alors que les persécuteurs espéraient étouffer la religion chrétienne naissante, cette assurance a été l’occasion de nombreuses conversions. Ce qui veut dire que, quoi qu’il arrive, tout contribuera au progrès de l’Évangile et c’est la seule chose qui compte pour Paul. Cela ne nous étonne pas de la part d’un apôtre... Le critère de l’apôtre, justement, c’est qu’il n’a qu’un objectif, prêcher l’Évangile ! Quant à nous, même si nous ne connaissons pas des circonstances aussi extraordinaires, nous pouvons retenir que notre vie concrète peut contribuer à exalter le Christ (c’est-à-dire à manifester sa grandeur) dans toutes les situations.

         Paul continue : « Pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage ». On pourrait traduire « Pour moi, vivre pleinement, c’est vivre en Christ » ou encore  « ma raison de vivre, c’est le Christ » sous-entendu ma vie ne s’épanouira pleinement que dans la rencontre définitive, donc mourir est un avantage. « Je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable » dit-il. On retrouve là un écho de cette solidarité intime qui nous unit au Christ et que Paul exprime si souvent dans ses écrits ; son thème majeur, c’est justement que notre destinée est de ne faire qu’un en Jésus-Christ. Par exemple « Il a plu à Dieu de faire habiter en Lui toute la plénitude et de tout réconcilier par Lui et pour Lui » (Col 1,19) ; ou encore dans la lettre aux Éphésiens, ce texte qui donne la clé de tout : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté... réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ » (Ep 1,9-10).

         Au passage, on peut noter que pour Paul, la mort nous permet d’être aussitôt pleinement unis au Christ ; il a l’air de n’envisager aucun délai ; voici ce qu’il dit dans la lettre aux Corinthiens « Nous sommes pleins de confiance, tout en sachant que demeurer dans ce corps, c’est vivre en exil loin du Seigneur ; car nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous sommes  pleins de confiance et nous préférons quitter la demeure de ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur. » (2 Co 5,6-8).

         Pour autant, Paul ne veut pas « abandonner le bateau », comme on dit ; et littéralement, il avoue être écartelé ; « mourir est un avantage, mais si en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable, mais à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire ». Cela ne veut certainement pas dire qu’il se considère comme indispensable, parce qu’il sait bien que c’est le Christ qui agit dans le cœur des fidèles ... mais il souhaite ardemment être là où il doit être. À vrai dire, ce dilemme n’est pas à proprement parler un cas de conscience, car ce n’est pas lui qui décidera de son sort, il le sait bien.

         Mais son raisonnement est un modèle d’abnégation au vrai sens du terme, en ce sens que son seul souci reste la mission auprès de ceux qui lui ont été confiés.

         Pour terminer, il revient à eux « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile ». C’est tout un programme ! Mais je crois qu’il y a là beaucoup plus qu’une leçon de morale : Paul veut nous dire par là que la seule manière d’être digne de l’Évangile, c’est de le prendre au sérieux et de l’annoncer ! Car cette recommandation « ayez un comportement digne de l’Évangile » vient à la suite de ce que j’ai appelé son « dilemme » : « Si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ... mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » Et aussitôt il ajoute : « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ. »

         Si je comprends bien, à ses yeux, avoir un comportement digne de l’Évangile, c’est tout simplement consacrer nos vies à l’évangélisation. Voilà qui interroge un certain nombre de nos préoccupations !

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ÉVANGILE Matthieu  20,1-16a

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait cette parabole à ses disciples :
1     « Le royaume des Cieux est comparable
       au maître d’un domaine qui sortit dès le matin
       afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2     Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :
       un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,
       et il les envoya à sa vigne.
3     Sorti vers neuf heures,
       il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.
4     Et à ceux-là, il dit :
       ‘Allez à ma vigne, vous aussi,
       et je vous donnerai ce qui est juste.’
5     Ils y allèrent.
       Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,
       et fit de même.
6     Vers cinq heures, il sortit encore,
       en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :
       ‘Pourquoi êtes-vous restés là,
       toute la journée, sans rien faire ?’
7     Ils lui répondirent :
       ‘Parce que personne ne nous a embauchés.’
       Il leur dit :
       ‘Allez à ma vigne, vous aussi.’
8     Le soir venu,
       le maître de la vigne dit à son intendant :
       ‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
       en commençant par les derniers
       pour finir par les premiers.’
9     Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent
       et reçurent chacun une pièce d’un denier.
10   Quand vint le tour des premiers,
       ils pensaient recevoir davantage,
       mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.
11   En la recevant,
       ils récriminaient contre le maître du domaine :
12   ‘Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,
       et tu les traites à l’égal de nous,
       qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’
13   Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :
       ‘Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.
       N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?
14   Prends ce qui te revient, et va-t’en.
       Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :
15   n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?
       Ou alors ton regard est-il mauvais
       parce que moi, je suis bon ?’

16   C’est ainsi que les derniers seront premiers,
       et les premiers seront derniers. »

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         Imaginez un patron d'entreprise qui emploierait des méthodes pareilles ! Il aurait certainement  une bonne partie de ses ouvriers en grève dès le deuxième matin ! Mais Jésus a bien dit qu'il ne parlait pas d'une entreprise comme les autres puisqu’il a introduit sa parabole en disant : « Le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine... » : d’entrée de jeu, nous savons qu’il est question du Royaume des cieux ; et nous savons bien, Isaïe nous l’a rappelé, que « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées... »

         Et donc, dans cette vigne très particulière, il y a des ouvriers embauchés à toute heure du jour... Apparemment, le travail ne manque pas. Mais la pointe de la parabole n’est pas là : comme toujours, il faut chercher d’abord ce que ce texte dit sur Dieu. « Moi, je suis bon » dit Dieu ; « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Dieu est bon, et d’une bonté qui ne fait pas de comptes. Cela veut dire que sa bonté surpasse tout, y compris le fait que nous ne la méritons pas ; cela veut dire qu’il faut que nous abandonnions une fois pour toutes notre logique de comptables : dans le Royaume des cieux, il n’y a pas de machine à calculer les mérites... Elle est là, peut-être, la conversion qui nous est demandée ; cette logique de comptables, nous avons bien du mal à nous en défaire : nos efforts, nos sacrifices, nos souffrances, nous voudrions toujours les comptabiliser pour nous rassurer ; cela nous donne, pensons-nous, des droits sur le Royaume, sur l’amour de Dieu...

         À l’inverse, il nous paraîtrait juste que Dieu ne traite quand même pas tout le monde de la même manière : « Tu les traites à l’égal de nous ! », reprochent les ouvriers de la première heure, sous-entendu nous méritons mieux. Et justement, Jésus veut nous faire sortir de cette logique du mérite : l’amour ne compte pas. L’amour ne s’achète pas, il est donné. Cette leçon-là, pourtant, n’était pas nouvelle ; allez lire le psaume 126/127 : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort »... Il n’est pas question de mérites là-dedans ; pire, le même psaume affirme : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur... » autrement dit : ne calcule pas tes mérites et tes heures supplémentaires, Dieu te comble au-delà de tout. Le psaume d’aujourd’hui nous faisait chanter « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies »... visiblement ce n’est pas une justice calculée comme nous l’entendons ! La justice de Dieu, c’est d’aimer, sans distinction, tous ses enfants également, c’est-à-dire infiniment, sans mesure.

         Pour rester dans l’Ancien Testament, Jonas lui aussi, trouvait scandaleux que Dieu pardonne si facilement à ces mécréants de Ninivites : le peuple élu s’efforçait laborieusement depuis si longtemps d’être fidèle à la loi ; ces affreux païens n’avaient eu qu’un geste à esquisser pour être pardonnés. Dès l’Ancien Testament, donc, on savait bien qu’il y a des derniers qui deviennent premiers. De la même manière, au temps de Matthieu, l’arrivée massive d’anciens païens dans les communautés chrétiennes faisait murmurer ceux qui venaient du Judaïsme et se savaient les héritiers d’une longue lignée de fidèles. Et Jésus lui-même a rencontré l’hostilité des croyants de longue date quand il a côtoyé amicalement des publicains et des pécheurs.

         Jusque sur la croix, nous en connaissons au moins un qui était « dernier » et qui est devenu « premier », c’est le bon larron...Voilà bien un ouvrier de la dernière heure. (C’est dans l’évangile de Luc et non de Matthieu, mais la leçon est bien la même !) C’est à la dernière minute seulement que le bon larron crucifié en même temps que Jésus, enfin, se tourne vers lui ; et là, il a suffi d’une parole de vérité dans sa bouche et il s’est entendu dire ce dont nous rêvons tous pour notre dernière heure « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».

         Mais si on veut bien regarder la vérité en face, elle devrait nous faire plutôt plaisir, cette parabole... Qui d’entre nous peut se vanter d’être un ouvrier de la première heure ? Qui que nous soyons, nous ne sommes tous que des ouvriers de la onzième heure ! C’est lorsque nous l’oublions que notre regard devient mauvais. « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Les ouvriers de la première heure récriminent contre le maître de maison dont ils ne comprennent pas la logique ; Jonas récriminait contre Dieu qui pardonnait trop facilement à ces pécheurs de Ninivites ; les Pharisiens récriminaient contre Jésus, trop accueillant aux gens de mauvaise vie ; le fils aîné murmurait contre le père trop accueillant pour le fils prodigue... Quand la logique de Dieu est trop différente de la nôtre, la tentation qui nous prend est de contester.

         C’est le moment ou jamais de nous rappeler la phrase d’Isaïe dans la première lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu... Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées au-dessus de vos pensées. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 09 20 25e dimanche du temps ordinaire A

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7 septembre 2020 1 07 /09 /septembre /2020 15:29

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.
 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 12 septembre 2020).

LECTURE DU LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE  27,30 - 28,7

 

27,30   Rancune et colère, voilà des choses abominables
       où le pécheur est passé maître.
28,1     Celui qui se venge
       éprouvera la vengeance du Seigneur ;
       celui-ci tiendra un compte rigoureux de ses péchés.
2     Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ;
       alors, à ta prière, tes péchés seront remis.
3     Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme,
       comment peut-il demander à Dieu la guérison ?
4     S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable,
       comment peut-il supplier pour ses péchés à lui ?
5     Lui qui est un pauvre mortel, il garde rancune ;
       qui donc lui pardonnera ses péchés ?
6     Pense à ton sort final et renonce à toute haine,
       pense à ton déclin et à ta mort,
       et demeure fidèle aux commandements.
7     Pense aux commandements
       et ne garde pas de rancune envers le prochain,
       pense à l’Alliance du Très-Haut
       et sois indulgent pour qui ne sait pas.

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               « Sois indulgent pour qui ne sait pas » : cette invitation à l’indulgence ne nous étonne pas lorsqu’on sait que Ben Sira est un auteur très tardif. Quelques mots sur lui d’abord : Ben Sira le Sage (que nous appelons aussi le Siracide ou l’Ecclésiastique) vivait au deuxième siècle av. J.-C., (vers 180), c’est-à-dire très peu de temps avant la venue de Jésus au monde ; il avait donc profité de toute la découverte progressive de l’Ancien Testament.

               Car la Bible tout entière peut se lire comme une patiente tentative de Dieu par ses prophètes pour extirper la vengeance de notre cœur. Depuis Caïn qui était vengé sept fois, la spirale de la violence avait sévi au point que son lointain petit-fils, Lamek, se vantait de se venger soixante-dix-sept fois. Patiemment, les auteurs bibliques ont inversé la tendance : par le biais des lois ou celui des prédications des prophètes, on a fini par entrevoir un autre idéal, le seul digne des fils de Dieu que nous sommes. Ben Sira, lui, est tout au bout de la chaîne et transcrit le fin mot de la découverte d’Israël.

               Pour prêcher l’indulgence, il développe un premier argument : « Pense à l’Alliance du Très-Haut
et sois indulgent pour qui ne sait pas », c’est-à-dire pense à la fidélité de Dieu tout au long de l’histoire envers son peuple si souvent infidèle, individuellement et collectivement. Deuxième argument : « Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers le prochain ». Or que disaient les commandements ? Ils disaient : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Aimer son prochain comme soi-même, cela implique évidemment, en certaines circonstances, de savoir pardonner.

           Le troisième argument est plus étonnant : « Pense à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin et à ta mort ». Est-ce la pensée de notre mort qui doit nous incliner à l’indulgence envers les autres ? C’est, je crois, un appel à la lucidité sur notre petitesse : nous sommes poussière, qui sommes-nous pour juger les autres ? C’est peut-être également une manière de nous rappeler que nous allons nous aussi comparaître devant le juste juge et alors notre petitesse s’étalera au grand jour. D’après Ben Sira, c’est précisément à cause de notre petitesse, de notre fragilité que Dieu nous traite avec indulgence. Quelques chapitres avant celui-ci, Ben Sira affirmait : « Le Seigneur est patient à l’égard des hommes et déverse sur eux sa pitié. Il voit et il sait combien leur fin est misérable, c’est pourquoi il multiplie son pardon. L’homme a pitié de son prochain, mais le Seigneur a pitié de toute créature... » (Si 18,11-13).

               Je reviens encore au dernier verset : « Sois indulgent pour qui ne sait pas ». On ne peut pas s’empêcher de penser à la phrase de Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Ceux qui font le mal, à commencer par nous-mêmes, n’en ont pas évalué les conséquences. L’indulgence de Dieu, en somme, va jusqu’à dire que si nous commettons le mal, c’est par ignorance.

               Toujours sur ce dernier verset, la Traduction Œcuménique de la Bible propose une autre traduction très imagée : « Souviens-toi de l’Alliance du Très-Haut et passe par-dessus l’offense ». Il me semble que c’est une très belle définition du pardon ; elle dit bien la réalité : on ne peut pas effacer une offense... les coups d’éponge n’existent pas... mais on peut passer par-dessus. Après une blessure physique, on garde une cicatrice, la peau ne sera plus jamais neuve, et aucun coup d’éponge n’effacera la blessure ; pour une blessure morale, c’est la même chose : rien ne pourra faire qu’elle n’ait pas eu lieu ; et dans les cas graves, on peut être marqué pour la vie... Dans nos vies familiales, amicales, professionnelles, paroissiales… les exemples ne manquent pas. Rien ne pourra effacer la calomnie, le geste de mépris, la « peau de banane » comme on dit, l’infidélité grave, les coups et tous les gestes de violence. Nos paroles et nos actes produisent des fruits vénéneux, parfois même des ravages. On rêverait, quand on est le fautif, d’un retour en arrière, un retour à la case-départ, en quelque sorte… Mais cela n’est pas possible, ni pour le coupable, ni pour la victime.

               En revanche, on peut, comme dit Ben Sira, passer par-dessus ; le pardon consiste, non pas à oublier ou ignorer un passé qu’on ne peut ni oublier ni ignorer, de toute manière, mais à passer par-dessus, et à essayer de survivre et de renouer la relation qui a été coupée par l’offense ; de reproposer son amitié, sa confiance ; cela consiste à accepter qu’il y ait encore un avenir possible. Le mot « Par-don », étymologiquement, veut bien dire cela ; il s’écrit en deux parties « par-don » : c’est-à-dire le don parfait, parachevé, le don par-delà l’offense. Parce qu’il est parfait, il ne peut être en nous que l’œuvre de l’Esprit Saint.

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PSAUME  102 ( 103 ),1-2, 3-4, 9-10, 11-12

 

1     Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,        
       bénis son nom très saint, tout mon être !
2     Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,        
       n'oublie aucun de ses bienfaits.

3     Car il pardonne toutes tes offenses       
       et te guérit de toute maladie ;
4     il réclame ta vie à la tombe        
       et te couronne d'amour et de tendresse.

9     Il n'est pas toujours en procès ,  
       ne maintient pas sans fin ses reproches ;
10   il n'agit pas envers nous selon nos fautes,         
       ne nous rend pas selon nos offenses.

11   Comme le ciel domine la terre,  
       fort est son amour pour qui le craint ;
12   aussi loin qu'est l'orient de l'occident,   
       il met loin de nous nos péchés.
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         La liturgie de ce dimanche ne nous propose que huit versets du psaume 102/103, mais en réalité il  en comporte vingt-deux ! Or vous savez bien, l’alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres ; donc on dit de ce psaume qu’il est « alphabétisant » ; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance. Et effectivement, André Chouraqui dit que ce psaume est le « Te Deum » de la Bible, un chant de reconnaissance pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez le peuple d’Israël) a été comblé par Dieu.

         Deuxième caractéristique de ce psaume, le « parallélisme » : chaque verset  se compose de deux lignes qui se répondent comme en écho : l’idéal pour le chanter serait l’alternance ligne par ligne ; il a peut-être, d’ailleurs, été composé pour être chanté par deux chœurs alternés. Ce parallélisme, ce « balancement », nous l’avons rencontré très fréquemment dans la Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages en prose ; procédé de répétition utile à la mémoire, bien sûr, dans une civilisation orale, mais surtout très suggestif ; si on soigne la lecture en faisant ressortir le face à face des deux lignes à l’intérieur de chaque verset, la poésie prend un relief extraordinaire.

         D’autre part, cette répétition d’une même idée, successivement sous deux formes différentes, permet évidemment de préciser la pensée, et donc pour nous de mieux comprendre certains termes bibliques. Par  exemple, le premier verset nous propose deux parallèles intéressants : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être » :

         Premier parallèle : « Bénis le SEIGNEUR »... « Bénis son Nom très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la Bible, c’est la personne. Deuxième parallèle, toujours dans ce premier verset : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être » : on voit bien que le mot âme n’a pas ici le sens que nous lui donnons spontanément. À la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l’homme comme l’addition de deux composants différents, étrangers l’un à l’autre, l’ÂME et le CORPS. Mais les progrès des sciences humaines, au vingtième siècle, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Dans la mentalité biblique, justement, on a une conception beaucoup plus unifiée et quand on dit « l’âme », il s’agit de l’être tout entier. « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son nom très saint, tout mon être ».

         La deuxième strophe fait écho aux paroles de Ben Sira, dans la première lecture : « Il pardonne toutes tes offenses » ; et le psaume développe « Il n’est pas toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses... Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés ».

         Une phrase comme celle-ci « Dieu n’agit pas envers nous selon nos fautes, Il ne nous rend pas selon nos offenses ... » prouve, s’il en était besoin, que le peuple d’Israël avait découvert bien avant nous que la logique de Dieu n’est pas celle du « donnant-donnant », mais celle de la gratuité. Cette découverte ne s’est faite que lentement, au long de l’histoire biblique. La pédagogie de Dieu à l’égard de son peuple s’est déployée progressivement, patiemment, pour lui révéler qu’Il est le Tout-Autre : tout-autre que nous, mais aussi tout-autre que ce que nous imaginons. Nous avons beaucoup de mal à abandonner nos représentations d’un Dieu calqué sur nous, d’un Dieu qui nous ferait des comptes et des procès... La Bonne Nouvelle qui court à travers toute la Bible, c’est justement le « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour » ; c’est, au livre de l’Exode (Ex 34,6) la  révélation, la confidence que Dieu a faite sur lui-même à Moïse.

         Voilà qui nous permet de mieux comprendre le verset suivant : « Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint ». Nous rencontrons assez souvent ce mot de « crainte » dans la Bible et il ne nous est pas forcément très sympathique a priori. Mais, une fois qu’on a découvert Dieu comme le Seigneur de tendresse et de pitié qui n’est pas en procès contre nous, on n’a plus de raison d’avoir peur de lui. Le mot « crainte » a changé de sens. Au fur et à mesure que le peuple d’Israël découvrait le vrai visage de son Dieu, peu à peu sa crainte spontanée s’est convertie en esprit filial. Le problème, c’est que ce chemin de conversion, chacun de nous doit le refaire pour lui-même...

          Mis en présence de Dieu, du sacré, l’homme éprouve spontanément de la peur ; et il faut toute une conversion des croyants pour que, sans rien perdre de notre respect pour Celui qui est le Tout-Autre, nous apprenions à son égard une attitude filiale. La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est vraiment la peur convertie en esprit filial : une conversion qui est sans cesse encore à faire. C’est peut-être cela « redevenir comme des petits enfants »... des petits enfants qui savent que leur père n’est que tendresse. Cette « crainte » comporte donc à la fois tendresse en retour, reconnaissance et souci d’obéir au père parce que le fils sait bien que les commandements du père ne sont guidés que par l’amour : comme un petit s’éloigne du feu parce que son père le prévient qu’il risque de se brûler...

         C’est d’ailleurs dans ce même psaume 102/103 que nous rencontrons (dans un verset qui ne fait pas partie de la liturgie de ce dimanche) la phrase qui dit le mieux ce qu’est la « crainte de Dieu » au sens biblique : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint » (verset 13) ; ce parallèle nous  dit bien  que la crainte de Dieu est tout sauf de la peur, elle est une attitude filiale. Et pourtant, cela ne nous pousse pas au laxisme, bien au contraire : car une véritable fidélité à l’amour est pleine d’exigences. Mais nous avons toujours besoin pour repartir de cette tendresse qui « passe par-dessus » nos péchés, nos abandons ; celle que Jésus mettra en images dans la parabole du père et de l’enfant prodigue.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS  14,7-9

 

     Frères,
7   aucun d'entre nous ne vit pour soi-même,
     et aucun ne meurt pour soi-même :
8   si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ;
     si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur.
     Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort,
     nous appartenons au Seigneur.
9   Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie,
     c'est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants.
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         La phrase centrale de ce passage, c’est « Nous appartenons au Seigneur. Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même » : autrement dit, nous ne sommes pas des individus isolés, des espèces d’électrons libres lancés sur la planète-terre pour quelques années, avec des trajectoires indépendantes ! La grande conviction de Paul, et il ne l’a pas inventée, (car elle traverse toute la Bible), c’est la solidarité très étroite qui nous unit les uns aux autres, à travers le temps et l’espace. Il l’appelle le « dessein bienveillant de Dieu » : ce projet c’est une humanité tellement unie qu’elle ne fera plus qu’un en Jésus-Christ. Une humanité tellement unie qu’on pourra dire un jour qu’elle est « comme un seul homme » et cet homme, nous connaissons déjà son nom, il s’appelle Jésus-Christ.

         La première étape du projet est accomplie dans la mort et la résurrection du Christ : c’est le sens de cette dernière phrase « Si le Christ a connu la mort puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants ». Mais la poursuite du projet dépend de nous : cette solidarité ne supporte pas les divisions, les déchirures ; or c’est toujours avec les plus proches qu’il y a le plus de risque de brouilles et sur les sujets auxquels on tient le plus, évidemment !

         Il faut croire que ce risque n’était pas seulement hypothétique car Paul y consacre tout ce chapitre 14 : son thème principal, c’est « vous risquez de vous disputer entre vous pour des choses secondaires : des manières différentes de pratiquer votre religion, mais finalement, chacun de vous croit bien faire et c’est cela qui compte ».

         Un peu plus haut, Paul a employé une phrase-choc : « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? » (Rm  14,4) Il veut dire par là : par votre baptême, qui que vous soyez, quelle que soit votre origine, anciens juifs, anciens païens, quelle que soit votre sensibilité, vous êtes désormais unis au Christ... tout le reste est secondaire ; tous, vous  appartenez au Christ, vous êtes serviteurs du Christ. Alors ne vous surveillez pas mutuellement : c’est au maître de surveiller ses serviteurs. « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? »

         Du temps de Paul ces divergences se manifestaient surtout autour des pratiques alimentaires ; les chrétiens d’origine juive, habitués à une grande rigueur sur le plan de l’alimentation, ne comprenaient pas bien les libertés alimentaires des chrétiens qui venaient du paganisme et ils parlaient de laxisme. À l’inverse, ceux qui avaient des habitudes plus souples étaient tentés de ridiculiser la rigueur des autres et d’y voir un scrupule de gens faibles. Paul leur dit : « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli »...  « La foi de l’un lui permet de manger de tout, tandis que l’autre, par faiblesse, ne mange que des légumes... »... « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules ». (Rm 14,1-3).

         Aujourd’hui, les divergences ont changé de nature : mais elles ne manquent pas ! Que ce soit au sujet de la messe en latin, des prières eucharistiques, de la messe anticipée du dimanche, célébrée le samedi soir... de la participation de la chorale ou de l’orgue... ou de la guitare... c’est au sujet de la pratique de notre foi que nous risquons d’être les plus féroces entre nous, au mépris de la seule réalité qui compte, notre unique Baptême ! Et il n’y a pas que le domaine de la liturgie ; nos engagements peuvent être diamétralement opposés, au nom d’une même foi ! Enseignement public, ou enseignement libre, adhésion à tel ou tel parti politique, à tel ou tel syndicat... bon nombre de nos choix sont directement dictés par notre désir de nous comporter en chrétiens. Or au sein d’une même famille, d’une même paroisse, de l’entreprise ou du quartier, nous pouvons, au nom du même Baptême, prendre des décisions complètement opposées. D’après Paul la règle d’or dans ces cas-là est celle-ci : « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? »

         Nous savons très bien dire que « c’est l’intention qui compte », mais curieusement, c’est dans le domaine religieux que nous avons le plus de mal à l’admettre ! Paul nous invite à élever le débat : « Celui qui mange de tout le fait pour le Seigneur, et en effet, il rend grâce à Dieu. Et celui qui ne mange pas de tout le fait pour le Seigneur et (lui aussi) il rend grâce à Dieu » (verset 6). Il n’y a  donc pas qu’une seule manière de rendre grâce à Dieu.

         On a là finalement une superbe illustration de ce que Paul appelle le « sacrifice spirituel » : un peu plus haut, il avait dit « Je vous exhorte, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel »  (Rm 12,1). Or chacun de nous, quand il veut de tout son cœur, s’offrir à Dieu, le fait avec ce qu’il est et il fait ce qu’il croit devoir faire ; cela peut prendre des formes différentes, peut-être même opposées : mais c’est la sincérité du désir de servir Dieu qui fait la qualité du sacrifice spirituel qu’il attend de chacun de nous.

         Paul continue : « Le Règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit-Saint... Recherchons donc ce qui convient à la paix et à l’édification mutuelle » (Rm 14,17...19). Il aime bien le mot « édification » au sens de « construction ». L’objectif, c’est de bâtir la communauté, et le meilleur ciment d’une communauté, quelle qu’elle soit, c’est le respect mutuel, la tolérance... Paul dit encore : « N’ayez aucune dette envers qui  que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres ; car celui qui aime son prochain a pleinement accompli la Loi ». (Rm 13,8) (c’était notre lecture de dimanche dernier) et aussi : « Rivalisez d’estime réciproque » (Rm 12,10).

          Il semble que vingt siècles plus tard, le conseil de Paul reste tout-à-fait d’actualité !

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   18,21-35

 

       En ce temps-là,
21   Pierre s'approcha de Jésus pour lui demander :
       « Seigneur, lorsque mon frère commettra
       des fautes contre moi,
       combien de fois dois-je lui pardonner ?
       Jusqu'à sept fois ? »
22   Jésus lui répondit :
       « Je ne te dis pas jusqu'à sept fois,
       mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois.
23   Ainsi, le Royaume des cieux est comparable
       à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
24   Il commençait,
       quand on lui amena quelqu'un
       qui lui devait dix mille talents,
       (c'est-à-dire soixante millions de pièces d'argent).
25   Comme cet homme n'avait pas de quoi rembourser,
       le maître ordonna de le vendre,
       avec sa femme, ses enfants et tous ses biens,
       en remboursement de sa dette.
26   Alors, tombant à ses pieds,
       le serviteur demeurait prosterné et disait :
       Prends patience envers moi,
       et je te rembourserai tout.
27   Saisi de compassion, le maître de ce serviteur
       le laissa partir et lui remit sa dette.
28   Mais, en sortant, le serviteur trouva un des ses compagnons
       qui lui devait cent pièces d'argent.
       Il se jeta sur lui pour l'étrangler, en disant :
       Rembourse ta dette !
29   Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait :
       Prends patience envers moi,
       et je te rembourserai.
30   Mais l'autre refusa
       et le fit jeter en prison jusqu'à ce qu'il ait remboursé ce qu’il devait.
31   Ses compagnons, voyant cela,
       furent profondément attristés
       et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé.
32   Alors celui-ci le fit appeler et lui dit :
       Serviteur mauvais !
       je t'avais remis toute cette dette
       parce que tu m'avais supplié.
33   Ne devais-tu pas, à ton tour,
       avoir pitié de ton compagnon,
       comme moi-même j'avais eu pitié de toi ?
34   Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux
       jusqu'à ce qu'il eût tout remboursé tout ce qu’il devait.
35   C'est ainsi que mon Père du Ciel vous traitera,
       si chacun de vous ne pardonne pas à son frère
       du fond du cœur. »
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              Cette parabole se présente comme une histoire en trois actes : acte 1, le roi règle ses comptes avec ses serviteurs, et on lui amène cet homme qui lui doit une somme énorme ; logiquement, légalement, c’est la prison pour dettes pour lui et pour toute sa famille jusqu’à ce qu’ils aient tous assez travaillé pour tout rembourser... Et encore, la somme est telle que plusieurs vies n’y suffiraient pas. Le débiteur implore un délai et le roi, pris de pitié, le laisse aller en lui disant « tu ne me dois plus rien ».

              Acte 2, ce même serviteur fait l’inverse avec son propre débiteur : pour une dette dérisoire, il n’écoute pas la pitié, il ne parle même pas de délai, et le fait jeter en prison. Acte 3, le roi lui reproche sa dureté de cœur : « Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? »

              C’est donc d’abord une parabole sur la pitié de Dieu : une pitié qui ne demande qu’à nous remettre toutes nos dettes ; une pitié qui devrait « déteindre » sur nous, en quelque sorte, puisque nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu.

              Cette pitié ne nous est pas naturelle et la question de Pierre le prouve bien ; même quand nous sommes bien intentionnés, disposés à pardonner, nous voudrions quand même bien ne pas nous laisser entraîner trop loin ! « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? » On est encore loin de la remise d’une dette incalculable, comme celle de la parabole ! Et c’est certainement l’un des accents de cette petite histoire : le calcul n’est pas de mise. Il ne s’agit pas de savoir à partir de quel moment nous sommes en règle avec la pitié.

              La pitié, par définition, c’est l’émotion qui nous prend aux entrailles, c’est plus fort que nous, cela déborde nos calculs mesquins.

              C’est à cela que Jésus invite Pierre : dépasser tout calcul, toute raison raisonnante. Sept fois, pourtant, ce n’était déjà pas mal... et saint Pierre, en proposant le chiffre sept, très symbolique, avait déjà fait un grand pas ! Mais Jésus l’invite à tout autre chose : il faut aller jusqu’à soixante-dix fois sept fois (ou soixante-dix-sept fois sept fois selon d’autres manuscrits) autrement dit indéfiniment ; Jésus ne reprend pas ces chiffres par hasard : rappelez-vous l’histoire de Caïn et celle de Lamek : après le meurtre de son frère Abel, Caïn vivait dans la crainte de la vengeance tribale : « Quiconque me trouvera me tuera ». Et il ne devait sa survie qu’à la menace d’une vengeance encore plus terrible pour celui qui l’attaquerait : « Si quelqu’un tue Caïn, il sera vengé sept fois ». (Gn 4,15). C’est ce qu’on peut appeler l’engrenage de la violence. Cinq générations plus tard, son arrière arrière petit-fils,  Lamek se glorifiait de se venger soixante-dix-sept fois ; et il chantait à ses femmes, Ada et Cilla, cette horrible chanson : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure ; oui Caïn sera vengé sept fois mais Lamek soixante-dix-sept fois ». En d’autres termes « Pour une simple blessure, je tue un homme ; pour une simple meurtrissure, je tue un enfant, mais si quelqu’un me tue, je serai vengé soixante-dix-sept fois ». (Gn 4,23-24).

              Tout au long de l’histoire biblique, Dieu va inviter l’humanité à se libérer de cette spirale de la violence. Cela commence par la loi du talion qui limite déjà la vengeance (un seul œil pour un œil, une seule dent pour une dent, une seule vie pour une vie) ; puis, au long des siècles et des progrès de la découverte du vrai Dieu, les textes de la Loi aussi bien que des prophètes invitent au pardon en annonçant le pardon de Dieu ; ainsi le peuple d’Israël apprend peu à peu à passer de la vengeance au pardon.

              En prenant le contrepied de la chanson de Lamek (pardonner soixante-dix fois sept fois), Jésus invite Pierre, c’est-à-dire ses disciples, à franchir l’étape définitive, celle du pardon sans limites, tel que lui-même le vivra sur la Croix. Parce que le pardon du Christ est comme le pardon de Dieu, il ne connaît pas de limites.

              Reste que la fin de la parabole paraît contredire ce pardon illimité de Dieu. Le serviteur qui n’a pas pardonné à son frère perd le bénéfice du pardon du roi. Il y a là certainement une très grande vérité de nos vies ; prenons un exemple : après une période sèche, la terre du jardin est devenue imperméable ; inutile d’ouvrir le jet d’eau, l’eau glissera sans pénétrer ; même une pluie torrentielle ne peut plus l’abreuver ; il faudra labourer d’abord. Dieu sait combien il nous est parfois difficile de pardonner, de « passer par-dessus l’offense » comme dit Ben Sirac. Mais justement, peut-être le pardon  accordé à nos frères  « de tout notre cœur » est-il ce labour préalable, indispensable pour accueillir la pitié de Dieu. Le cœur dur, le cœur sec ne peut pas recevoir l’ondée du pardon de Dieu.

              Ce n’est pas Dieu qui cesse de pardonner, c’est nous qui sommes devenus imperméables ; mais au fait, c’est peut-être tout simplement parce que nous ne sommes pas assez lucides sur tous les pardons dont nous bénéficions : le serviteur de la parabole, grevé d’une dette monstrueuse, et qui s’en voyait libéré tout d’un coup, par pure bonté, aurait dû normalement être tellement envahi de reconnaissance qu’il en aurait oublié tout le reste !

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Complément

Dans l’épisode de la femme adultère (Jn 8), c’est quand les plus anciens prennent conscience des nombreux pardons accordés par Dieu au long de leur vie qu’ils abandonnent leurs pierres.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 09 13 24e dimanche du temps ordinaire A

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30 août 2020 7 30 /08 /août /2020 21:41

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.
 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 5 septembre 2020).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ÉZÉKIEL   33,7-9

 

       La parole du SEIGNEUR me fut adressée :
7     « Fils d'homme, je fais de toi un guetteur         
       pour la maison d'Israël.  
       Lorsque tu entendras une parole de ma bouche,           
       tu les avertiras de ma part.
8     Si je dis au méchant       
       Tu vas mourir     
       et que tu ne l'avertisses pas,       
       si tu ne lui dis pas d'abandonner sa conduite mauvaise,           
       lui, le méchant, mourra de son péché,   
       mais à toi, je demanderai compte de son sang.
9     Au contraire, si tu avertis le méchant    
       d'abandonner sa conduite,
       et qu'il ne s'en détourne pas,      
       lui mourra de son péché,            
       mais toi, tu auras sauvé ta vie. »
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         Ézékiel était prêtre à Jérusalem au sixième siècle av. J.-C. ; il a été emmené à Babylone, par les armées de Nabuchodonosor, dès la première vague de déportations en 597 av. J.-C. C’est là-bas, au bord des rives du fleuve Kebar, dans un village appelé Tel-Aviv, qu’il apprend les malheurs qui s’abattent sur la ville sainte ; en 587, tout est fini, la ville est rasée, le Temple a été dévasté.

         Mais devant ces récits de catastrophes successives, Ézékiel ne baisse pas les bras ; dès son arrivée là-bas et pendant les vingt premières années de l’Exil, (dix ans avant la destruction de Jérusalem et du Temple, et dix ans à peu près ensuite), il consacrera toutes ses forces à maintenir l’espérance de son peuple. C’est d’ailleurs en souvenir de lui que la capitale de l’Israël moderne porte le nom de Tel-Aviv (qui veut dire « colline du printemps ») ; manière d’honorer l’un de ceux à qui Israël doit sa survie.

          Inlassablement, tout au long de ses vingt années de ministère, Ézékiel s’est battu sur deux fronts : premièrement, il fallait bien s’installer pour survivre ; deuxièmement, il fallait maintenir intacte l’espérance du retour. Ces deux objectifs sont ceux d’Ézékiel tout au long de son livre, et ce sont les deux axes de sa prédication. Dieu a fixé le but de sa nouvelle mission de prophète : « Je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël » (Ez 3, 17).

         On sait combien les hommes de la Bible aiment les images : celle du guetteur est très suggestive ; dans les versets qui précèdent notre texte d’aujourd’hui, Ézékiel l’a longuement développée : il imagine une ville en danger ; les ennemis sont aux portes ; le guetteur est sur le rempart et il accomplit son office, il sonne du cor ; certains entendant le cor se mettent à l’abri, ils survivront à l’assaut ; d’autres font semblant de ne pas entendre le son du cor, ils ne se protègent pas et perdent la vie. Il se peut aussi malheureusement que le guetteur n’accomplisse pas son office : il ne sonne pas du cor pour avertir ses concitoyens du danger ; il sera le responsable de leur mort.

         C’est très exactement comme cela qu’Ézékiel comprend sa mission : il se doit de transmettre à ses frères exilés les avertissements de Dieu et les appels à la conversion ; s’il manque à sa mission, il sera responsable de leur malheur. Lourde responsabilité que celle du prophète : ses avertissements relèvent de « l’assistance à personne en danger ».

         Mais « Nul n’est prophète en son pays ! », on le sait bien ; cela veut dire que bien souvent malheureusement, les auditeurs, ceux que le prophète voulait sauver, n’écoutent pas : Dieu l’a prévenu : « Au fond, tu es pour eux comme un chant passionné, d’une belle sonorité, avec un bon accompagnement. Ils écoutent tes paroles mais personne ne les met en pratique. » (Ez 33,32). Bien souvent, le prophète a connu le découragement : les gens semblent intéressés par la Parole de Dieu, ils se disent les uns aux autres « Viens, on va écouter ce que raconte Ézékiel, il parle si bien de la part de Dieu... » Mais cette parole, si elle est belle à entendre, est bien exigeante à mettre en pratique ! Cela aussi, Dieu lui avait dit : « Ils écouteront tes paroles mais ils ne les mettront pas en pratique car leur bouche est pleine des passions qu’ils veulent assouvir. » (Ez 33,31).

          Ézékiel a donc bien souvent l’impression de prêcher dans le désert, comme on dit. Dans ces moments de découragement, il se rappelle sa mission de guetteur : il faut continuer sans jamais se décourager ; car le guetteur n’a pas le droit de faillir à sa mission. Alors, malgré les échecs répétés, Ézékiel a continué : cette mission exigeante, il s’y est montré fidèle, et doublement.

         Guetteur, il l’a été : guetteur à l’écoute de la Parole de son Dieu et aussi guetteur de l’aube qui ne manquerait pas de se lever pour son peuple. Poète, visionnaire, courageux, il a affronté toutes les résistances de ses contemporains découragés pour annoncer, dans une langue superbe et combien imagée, le seul message qu’ils devaient entendre pour trouver la force de survivre en attendant le retour : « Je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur le sol d’Israël. » (Ez 37,12).

         Un guetteur, voilà une belle définition pour tout prophète, chargé de lire dans l’histoire les signes de l’espérance. Car Dieu ne désespère jamais de son peuple : « Par ma vie - oracle du SEIGNEUR Dieu - est-ce que je prends plaisir à la mort du méchant ? Bien plutôt à ce que le méchant change de conduite et qu’il vive ! Revenez, revenez de votre méchante conduite ; pourquoi faudrait-il que vous mouriez, maison d’Israël ? » (c’est encore une phrase d’Ézékiel, dans ce même chapitre 33,11).

         À noter que cette phrase « pourquoi faudrait-il que vous mouriez, maison d’Israël ? » est prononcée alors que tout espoir semble irrémédiablement perdu, et le peuple d’Israël définitivement mort : nous sommes à mi-chemin du ministère d’Ézékiel, au moment précis où l’effroyable nouvelle retentit aux oreilles des exilés : là-bas, au pays, Jérusalem vient de tomber. Plus que jamais, le guetteur se doit de prévenir ses frères : oui, la catastrophe est là, mais le relèvement est encore possible, à condition de s’en remettre à Dieu

         Le rapprochement avec l’évangile d’aujourd’hui est très éclairant : car nous voyons Jésus charger ses disciples d’une mission analogue ; au nom de l’amour fraternel, justement, il leur recommande de veiller les uns sur les autres, au point d’être capable de rappeler à l’ordre celui qui fait fausse route, le cas échéant. « Tu n’auras aucune pensée de haine, mais tu n’hésiteras  pas à faire des réprimandes... » disait déjà le livre du Lévitique ; réprimander à bon escient, voilà un art bien difficile ! Et pourtant cela aussi, c’est de l’amour. C’est vouloir le bien de l’autre, c’est, s’il le faut, savoir l’arrêter au bord du gouffre. La critique positive par amour fait grandir. La rude tâche d’Ézékiel était de cet ordre : quand on place une sentinelle au poste de garde, c’est bien pour sauver la ville.

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PSAUME  94 (95),1-2.6-7.8-9

 

1   Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR,         
     acclamons notre Rocher, notre salut !      
2   Allons jusqu'à lui en rendant grâce,         
     par nos hymnes de fête acclamons-le !

6   Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,   
     adorons le SEIGNEUR qui nous a faits. 
7   Oui, il est notre Dieu :      
     nous sommes le peuple qu'il conduit.

     Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ?   
8   « Ne fermez pas votre cœur comme au désert    
9   où vos pères m'ont tenté et provoqué,     
     et pourtant ils avaient vu mon exploit. »
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            Je vais m’attacher à la dernière strophe : en fait, si vous allez vérifier dans votre Bible le texte que nous venons d’entendre, voilà ce que vous lirez « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit. »1 C’est dire que ce psaume est tout imprégné de l’expérience de Massa et Meriba. (Ex 17,1-7). Là-bas, dans le désert, au temps de l’Exode avec Moïse, on a gravement douté des intentions de Dieu. Vous vous rappelez, il faisait une chaleur torride, et il n’y avait pas d’eau au campement ; on était arrivés là, assoiffés, bien décidés à se jeter sur les points d’eau ; mais tout était à sec. Alors, cela a très mal tourné ; on s’en est pris à Moïse qui se débrouillait bien mal, puis à Dieu lui-même : après tout, c’était peut-être ce qu’il cherchait, qu’on meure de soif.

            La suite de l’histoire a rempli tout le monde de honte : Dieu, égal à lui-même, a ignoré la révolte et donné de l’eau à profusion, qui s’est mise à ruisseler du rocher ; et Moïse, bien sûr, a fait la leçon à son peuple : on avait pourtant bien vu l’exploit de Dieu nous faisant échapper à la mer et aux cavaliers égyptiens ; comment avait-on pu douter des intentions de Dieu ? Désormais, quand on parle de Massa et Meriba, la honte revient à la mémoire.

            Dans cette simple strophe, donc, « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme à Meriba, comme au jour de Massa » est résumée toute l’aventure de notre vie de foi, personnelle et communautaire. C’est ce que l’on pourrait appeler, au vrai sens du terme, la « question de confiance ». Pour le peuple d’Israël, la question de confiance s’est posée à chaque difficulté de la vie au désert : « Le SEIGNEUR est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n’y est-il pas ? » (Ex 17,7), ce qui revient à dire « Peut-on lui faire confiance ? S’appuyer sur lui ? Être sûr qu’il nous donnera à chaque instant les moyens de nous en sortir... ? » Être certain que quand il nous invite à la conversion, par la bouche d’un Ézékiel, par exemple, (que nous entendons dans la première lecture de ce dimanche), il n’a en vue que notre bonheur ?

            La Bible dit que la foi, justement, c’est tout simplement la confiance. Cette question de confiance, telle qu’elle s’est posée à Massa et Meriba, est l’un des piliers de la réflexion d’Israël ; la preuve, c’est qu’elle affleure sous des quantités de textes bibliques ; et, par exemple, le mot qui dit la foi en Israël signifie « s’appuyer sur Dieu » ; c’est de lui que vient le mot « Amen » qui dit l’adhésion de la foi : il signifie « solide », « stable » ; on pourrait le traduire « j’y crois dur comme pierre » (en français on dit plutôt « dur comme fer »). Et Isaïe, par exemple, faisant un jeu de mots, disait au roi Achaz « Si vous ne croyez pas, (si vous ne vous appuyez pas sur Dieu), vous ne tiendrez pas debout » (Is 7,9).

            Dans la même strophe, la phrase « Aujourd’hui écouterez-vous sa Parole ? » est une invitation à la confiance ; parce que quand on fait confiance à quelqu’un, on l’écoute. D’où la fameuse prière juive, le « Shema Israël » : « Écoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton esprit, de toutes tes forces. » (Dt 6,4). Tu aimeras, c’est-à-dire tu lui feras confiance et tu t’attacheras à lui sans partage.

            Pour écouter, encore faut-il avoir l’oreille ouverte : encore une expression que l’on rencontre à plusieurs reprises dans la Bible, dans le sens de mettre sa confiance en Dieu ; vous connaissez le psaume 39/40 : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu m’as ouvert l’oreille » ; ou encore ce chant du Serviteur d’Isaïe : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille... » (Is 50,4). Et les mots « obéir, obéissance » sont de la même veine : en hébreu comme en grec, quand il s’agit de l’obéissance à Dieu, ils sont de la même racine que le verbe écouter, au sens de faire confiance. (En français aussi, d’ailleurs, puisque notre verbe « obéir » vient du verbe latin « audire » : obéir, « ob-audire », c’est mettre son oreille devant la parole).

            Cette confiance de la foi est appuyée sur l’expérience... Pour le peuple d’Israël, tout a commencé avec la libération d’Égypte ; c’est ce que notre psaume appelle « l’exploit de Dieu » : « Et pourtant ils avaient vu mon exploit. » Cette expérience, et de siècle en siècle pour les générations suivantes, la mémoire de cette expérience vient soutenir la foi : si Dieu a pris la peine de libérer son peuple de l’esclavage, ce n’est pas pour le laisser mourir de faim ou de soif dans le désert.

            Et donc, on peut s’appuyer sur lui comme sur un rocher... Le début du psaume, « Acclamons notre rocher, notre salut », n’est pas seulement de la poésie, c’est une véritable profession de foi. Une foi qui s’appuie sur l’expérience du désert : à Massa et Meriba, le peuple a douté que Dieu lui donne les moyens de survivre... Mais Dieu a quand même fait couler l’eau du rocher ; et, désormais, on rappellera souvent cet épisode en disant de Dieu qu’il est le Rocher d’Israël.

            Ce choix résolu de la confiance est à refaire chaque jour : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » Cette phrase est très libérante : elle signifie que chaque jour est un jour neuf ; aujourd’hui, tout est de nouveau possible. Chaque jour nous pouvons réapprendre à « écouter », à « faire confiance » : c’est bien cela qu’Ézékiel prêchait à son peuple en exil, découragé.

            Dernière remarque, le psaume parle au pluriel : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? »... Cette conscience de faire partie d’un peuple était très forte en Israël ; quand le psaume 94/95 dit : « Nous sommes le peuple que Dieu conduit », là non plus, ce n’est pas de la poésie, c’est l’expérience d’Israël qui parle ; dans toute son histoire, on pourrait dire qu’Israël parle au pluriel. « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous » sous-entendu sans vous demander où vous en êtes chacun dans votre sensibilité croyante ; nous touchons peut-être là un des problèmes de l’Église actuelle : dans la Bible, c’est un peuple qui vient à la rencontre de son Dieu... « Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR, acclamons notre Rocher, notre salut ! »

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Note

1 - Notre traduction liturgique provient du texte grec qui ne donne pas les noms de Massa et Mériba. En revanche, on peut les lire dans nos bibles, car elles sont traduites à partir de l’hébreu.

Compléments

                       Pour certains d'entre nous la question de confiance se pose chaque fois que nous ne trouvons pas de réponse à nos interrogations : accepter de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre, accepter que les voies de Dieu nous soient impénétrables exige parfois de nous une confiance qui ressemble à un chèque en blanc... Il ne nous reste plus qu'à dire comme Pierre à Césarée, « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».

            Quand saint Paul dit dans la lettre aux Corinthiens « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » on peut traduire « Cessez de lui faire des procès d’intention, comme à Massa et Meriba » ou quand Marc dit dans son Évangile « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle », on peut traduire « croyez que la Nouvelle est bonne », c’est-à-dire croyez que Dieu vous aime, qu’il n’est que bienveillant à votre égard.

            Le récit du paradis terrestre, lui-même, peut se lire à la lumière de cette réflexion d’Israël sur la foi, à partir de l’épisode de Massa et Meriba : pour Adam, c’est-à-dire chacun d’entre nous, la question de confiance peut se poser sous la forme d’un obstacle, une limitation de nos désirs (par exemple la maladie, le handicap, la perspective de la mort)... Ce peut être aussi un commandement à respecter, qui limite apparemment notre liberté, parce qu’il limite nos désirs d’avoir, de pouvoir... La foi, alors, c’est la confiance que, toujours, même si les apparences sont contraires, Dieu nous veut libres, vivants, heureux et que de nos situations d’échec, de frustration, de mort, il fera jaillir la liberté, la plénitude, la résurrection.

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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   13,8-10

 

       Frères,
8     n’ayez de dette envers personne,          
       sauf la dette de l'amour mutuel,
       car celui qui aime les autres       
       a parfaitement accompli la Loi.
9     La Loi dit :         
       Tu ne commettras pas d'adultère,          
       tu ne commettras pas de meurtre,          
       tu ne commettras pas de vol,     
       tu ne convoiteras pas.     
       Ces commandements et tous les autres 
       se résument dans cette parole :  
       Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
10   L'amour ne fait rien de mal au prochain.           
       Donc le plein accomplissement de la Loi,         
       c'est l'amour.
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         Pour comprendre cette lecture d’aujourd’hui sans la réduire, il faut la replacer dans son contexte. Depuis le chapitre 12 de sa lettre aux Romains, Paul donne des conseils aux chrétiens sur la question la plus difficile peut-être à toutes les époques : comment vivre concrètement en chrétiens dans un monde qui ne l’est pas ? Vivre en chrétien, c’est, comme il l’a dit plus haut, faire de toute notre vie quotidienne un véritable hommage à Dieu, un « sacrifice saint », une chose sacrée ; c’était notre lecture de dimanche dernier, et il avait ajouté : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu. » C’était logique : un chrétien cherche en permanence à « reconnaître quelle est la volonté de Dieu ».

         Aujourd’hui, nous sommes au chapitre 13 de cette même lettre ; Paul entre dans le concret de la vie sociale, le rapport avec les autorités. Quand on lit l’ensemble du chapitre, on constate presque avec étonnement les précisions qu’il donne sur les obligations des citoyens : le respect des tribunaux, le paiement de l’impôt et des taxes, la soumission à toutes les autorités. Pour résumer, on pourrait dire : un bon chrétien se doit d’être un bon citoyen. D’entrée de jeu, il affirme : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir ». Soyons francs, cette consigne a dû en surprendre plus d’un.

         Dans le monde juif de l’Ancien Testament, de tels propos n’auraient surpris personne, car le pouvoir politique était entre les mains des autorités religieuses ; la loi civile ne se distinguait pas de la Loi de Dieu. C’est dans cette optique-là que Jésus avait pu dire à la foule et à ses disciples : « Les scribes et les Pharisiens siègent dans la chaire de Moïse ; faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire... » (Mt 23,1)

         Mais on ne pouvait pas en dire autant du monde romain ; les autorités en question étaient les empereurs romains et toute la hiérarchie de leurs gouverneurs, magistrats et soldats dont la volonté de Dieu était évidemment le moindre souci ! Et si Paul avait pu écrire : « Ne vous conformez pas au monde présent », c’est bien parce que l’idéal de la société romaine était, sur certains points, aux antipodes de l’idéal chrétien. Alors, obéir à une autorité baignant dans le paganisme était-il possible ? C’est la question qui a été posée à Paul certainement, et qui est à l’origine de notre texte.

        

         Paul répond en deux points :

         Premièrement, ne prenez pas prétexte de votre appartenance chrétienne pour fuir vos responsabilités de citoyens ; son argument est le suivant : « Il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par Lui. » (On trouve cela au début de ce chapitre). On entend résonner ici la phrase de Jésus à Pilate : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut. » (Jn 19,11). Autre argument, les lois civiles poursuivent le bien elles aussi ; dans tous les pays du monde, la loi est normalement au service de la justice et de la défense des faibles. Paul dit : « L’autorité civile est au service de Dieu pour t’inciter au bien... et elle poursuit les malfaiteurs. » Visiblement, Paul ne traite pas ici du problème des lois iniques. D’autre part, il faut se souvenir que les Juifs (et avec eux les premiers chrétiens, puisque les Romains ne faisaient pas encore la différence) étaient dispensés des lois romaines qui choquaient leur conscience : par exemple brûler de l’encens devant la statue de l’empereur, ou bien faire le service militaire. Donc premier point, obéissez sans hésiter aux lois romaines qui vous sont imposées (puisque vous êtes exemptés de celles qui sont contraires à notre religion).

         Deuxième point, il ne suffit pas d’être un bon citoyen et d’être parfaitement en règle avec l’autorité civile pour être un bon Juif ou un bon chrétien ; quand vous êtes en règle avec la loi civile, nous dit Paul, vous n’êtes pas allés jusqu’au bout de la charité ; c’est le sens de la première phrase de notre lecture d’aujourd’hui : « Ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel » : « ne gardez aucune dette envers personne », c’est-à-dire soyez en règle avec tous ; « sauf la dette de l’amour mutuel », c’est-à-dire « quand vous serez en règle avec tous » il faudra aller encore plus loin. Car, déjà dans l’Ancien Testament, on avait compris que le fin mot de la Loi donnée par Dieu, c’est d’aimer nos frères. Pour le dire autrement, on avait compris qu’il ne suffit pas de dire : je n’ai pas tué, pas volé, pas commis l’adultère... on savait bien qu’il faut encore aller plus loin ; je cite Paul : « Ce que dit la Loi de Moïse : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras rien, ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Cela veut bien dire que pour être en règle avec la Loi de Moïse, il ne suffisait pas de ne pas faire de mal, il fallait surtout aimer. Cela exige une conversion profonde, on le sait bien. C’est pourquoi Paul a dit un peu plus haut : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » Et là, nous aurons peut-être des surprises : c’est l’histoire de celui que Matthieu appelle le jeune homme riche. Il avait demandé à Jésus : « Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » Et Jésus avait répondu « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » Là-dessus, le jeune homme était parfaitement en règle ; alors Jésus l’avait appelé à aller plus loin et à le suivre au service des hommes : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres... puis viens, suis-moi. »

         Une chose est sûre, la décision de suivre le Christ peut nous mener très loin !

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  18,15-20

 

       En ce temps-là,
       Jésus disait à ses disciples :
15   « Si ton frère a commis un péché contre toi,
       va lui faire des reproches seul à seul.
       S’il t’écoute, tu as gagné ton frère.
16   S’il ne t’écoute pas,
       prends en plus avec toi une ou deux personnes
       afin que toute l’affaire soit réglée
       sur la parole de deux ou trois témoins.
17   S’il refuse de les écouter,
       dis-le à l’assemblée de l’Église ;
       s’il refuse encore d’écouter l’Église,
       considère-le comme un païen et un publicain.
18   Amen, je vous le dis :
       tout ce que vous aurez lié sur la terre
       sera lié dans le ciel,
       et tout ce que vous aurez délié sur la terre
       sera délié dans le ciel.
19   Et pareillement, amen, je vous le dis,
       si deux d’entre vous sur la terre
       se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit,
       ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux.
20   En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom,
       je suis là, au milieu d’eux. »

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         Dans la deuxième lecture de ce dimanche, saint Paul nous disait : « Ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel... l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. » Tout le chapitre 18 de l’évangile de Matthieu, dont nous lisons un extrait ici traite sous différents angles de l’accomplissement de cet amour (des relations) à l’intérieur de la communauté chrétienne : il aborde en particulier deux thèmes : la priorité donnée aux petits et aux faibles, et le pardon mutuel. Pour introduire ses recommandations, juste avant ce passage, Jésus a raconté la parabole de la brebis perdue ; c’était une image facilement compréhensible pour ses auditeurs qui étaient nourris de la Bible : les images de berger et de troupeau étaient évidemment familières dans le paysage et on avait pris l’habitude de parler d’Israël comme le troupeau de Dieu ; sur terre, les chefs de la communauté étaient donc comparés à des bergers délégués par le berger suprême qui est Dieu bien sûr. La conclusion de la parabole, tout le monde l’avait deviné, c’était : « Votre Père qui est aux cieux veut qu’aucun de ces petits ne se perde. » (Mt 18,14). C’est bien normal pour un berger.

         Et ce sera désormais la consigne de vigilance que Jésus confie à ses disciples : ne laissez pas vos frères s’égarer. Ce devoir de vigilance concerne d’abord et avant tout les responsables de la communauté, les bergers. Déjà Ézékiel disait : « Malheur aux bergers d’Israël... Vous n’avez pas fortifié les bêtes débiles, vous n’avez pas guéri la malade, vous n’avez pas fait de bandage à celle qui avait une patte cassée, vous n’avez pas ramené celle qui s’écartait... les bêtes se sont dispersées, faute de berger, et elles ont servi de proie à toutes les bêtes sauvages... mon troupeau s’est dispersé sur toute la surface du pays... sans personne qui aille à sa recherche. » (Ez 34,2... 6).

         Mais le devoir de vigilance mutuelle existe aussi à l’intérieur même du troupeau ; ce ne sont pas seulement les bergers qui ont la responsabilité de la bonne santé et de la bonne marche du troupeau : les brebis sont responsables les unes des autres ; je cite encore Ézékiel : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : je viens juger moi-même entre la brebis grasse et la brebis maigre. Parce que vous avez bousculé du flanc et de l’épaule, et parce que vous avez donné des coups de cornes à toutes celles qui étaient malades jusqu’à ce que vous les ayez dispersées hors du pâturage, je viendrai au secours de mes bêtes et elles ne seront plus au pillage. » Ézékiel annonçait alors que Dieu lui-même allait reprendre en main son troupeau par l’intermédiaire de son Messie : « Je susciterai à la tête de mon troupeau un berger unique ; lui le fera paître : ce sera mon serviteur David. Lui le fera paître, lui sera leur berger. » (Ez 34,20-23).

         Jésus  s’est présenté comme ce berger annoncé par le Seigneur, ce bon berger qui connaît ses brebis et que ses brebis connaissent (Jn 10) ; il donne ici ses consignes pour la vie du troupeau, en particulier en ce qui concerne le soutien fraternel et l’aide de la communauté pour qu’aucun des frères « ne se perde ». « Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain. » Pour avoir le courage de reprendre celui qui « file un mauvais coton » comme on dit, il faut beaucoup d’amour ; un amour dont normalement, une communauté chrétienne doit pouvoir faire preuve. Car on sait bien que le véritable amour est exigeant : quand on aime réellement quelqu’un, on ne le laisse pas faire n’importe quoi ; il y va de « l’assistance à personne en danger ». Répéter inlassablement que Dieu est Amour ne pousse pas au laxisme que certains redoutent : car si Dieu est Amour, nous n’oublions pas que nous sommes appelés à lui ressembler, ce qui est terriblement exigeant !

         Sur le chapitre de la relation des chrétiens entre eux, lorsque l’un s’égare, Jésus indique la voie à suivre : d’abord chercher personnellement le dialogue avant d’en parler à d’autres, pour éviter, sans doute, d’aggraver les blessures de la brebis. Et tout faire pour qu’elle puisse rejoindre le troupeau.

         Mais comment interpréter la phrase : « Si ton frère refuse d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain » ? À la lumière de tout ce que l’on sait par ailleurs au sujet de Jésus et de l’accueil qu’il a toujours réservé aux publicains et aux pécheurs, il ne peut pas s’agir d’un rejet définitif mais du respect de la liberté de chacun... en attendant que Zachée (ou le publicain Matthieu) se convertisse. Ce qui ressort de la progression que recommande le Christ, c’est la nécessité absolue du respect que l’on doit à quiconque, et en particulier, à celui que l’on dit pécheur. Toutes les démarches pour renouer avec le frère, que ce soit la rencontre individuelle, l’appel à témoins, ou le recours à la communauté, doivent être marquées de cette délicatesse et de cette discrétion.

         Telles sont les règles de base de la vie dans l’Église ; leur respect est semence de vie éternelle : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » Le Royaume du Dieu de tendresse et de fidélité se bâtit dans la tendresse et la fidélité.

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Complément

« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux » (verset 20). On peut lire dans les maximes des Pères Juifs (les Pirké Avot) : « Lorsque deux sont assis ensemble et s’occupent des paroles de la Torah, la Shekinah (c’est-à-dire la présence de Dieu) est au milieu d’eux » (Avot 3,2).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut 2020 09 06 23e dimanche du temps ordinaire A

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