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3 avril 2024 3 03 /04 /avril /2024 22:35
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 4, 32-35

32 La multitude de ceux qui étaient devenus croyants
     avait un seul cœur et une seule âme ;
     et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre,
     mais ils avaient tout en commun.
33  C'est avec une grande puissance
     que les Apôtres rendaient témoignage
     de la résurrection du Seigneur Jésus,
     et une grâce abondante reposait sur eux tous.
34 Aucun d'entre eux n'était dans l’indigence,
     car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons
     les vendaient,
35 et ils apportaient le montant de la vente
     pour le déposer aux pieds des Apôtres ;
     puis on le distribuait en fonction des besoin de chacun.
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UN NOUVEAU MODE DE VIE

On trouve plusieurs textes comme celui-ci dans le livre des Actes des Apôtres : des sortes de résumés (on les appelle des « sommaires ») de ce qu’était la vie de la première communauté chrétienne, dans les premiers temps de l’Église.

Les apôtres ont reçu l’Esprit-Saint à la Pentecôte et saint Luc nous décrit ici en quoi consiste la vie nouvelle qui s’instaure dans la toute première communauté chrétienne. Première insistance, l’unité : « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme ». Luc constate : la foi illumine tellement l’existence des croyants que, inévitablement, on n’a plus qu’un seul cœur et une seule âme ! Jésus l’avait bien dit : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra comme mes disciples » (Jn 13,35).

Deuxième insistance de ce texte : cette unité se traduit concrètement en partage des biens. Dès la première phrase, les deux choses sont inséparables : « La multitude de ceux qui avaient adhéré à la foi avait un seul cœur et une seule âme ET personne ne se disait propriétaire de ce qu’il possédait, mais on mettait tout en commun… Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des apôtres ; puis on  le distribuait en fonction des besoins de chacun. » Évidemment, cela va de soi : on ne peut pas dire qu’on n’a qu’un seul cœur et une seule âme, si on peut laisser l’autre dans la misère et fermer les yeux sur ses besoins.

Saint Luc ne cherche pas ici à nous faire un cours d’économie ni à nous prescrire le régime social idéal, ce n’est pas son propos ; il dit quelque chose de beaucoup plus profond ; le fond de sa pensée, il nous le livre dans la phrase centrale de ce passage ; à elle toute seule, la composition de ces quelques lignes a son importance : deux phrases semblables en encadrent une troisième, il y a donc ce qu’on appelle une inclusion ; et cette inclusion-là est tout-à-fait instructive. Première phrase : « Les chrétiens n’avaient qu’un seul cœur et qu’une seule âme ; personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais on mettait tout en commun. » Troisième phrase, « Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et on distribuait le montant de la vente en fonction des besoins de chacun. » Donc deux phrases qui disent le partage des biens matériels.

La phrase centrale, au premier abord parle de tout autre chose : « C’est avec une grande puissance que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, et une grâce abondante reposait sur eux tous ». En réalité, la construction même du texte prouve que pour saint Luc, le partage fraternel de tous les biens est précisément une des façons de témoigner de la résurrection du Christ qui est le cœur de la foi chrétienne. Depuis la Résurrection du Christ, l’humanité nouvelle est née, celle qui est capable, désormais, de vivre au jour le jour l’amour et le partage (à condition de se laisser en permanence guider par l’Esprit Saint).

Pour les apôtres, la Résurrection du Christ est « l’Événement » qui a tout changé : le Christ est ressuscité et son Esprit, sa puissance d’aimer les habite. « Une grâce abondante reposait sur eux tous » : la grâce, c’est la présence de Dieu en nous, c’est l’amour de Dieu en nous. Apôtres et baptisés sont habités par l’amour, un amour tellement puissant qu’il les transforme complètement, au point de leur faire voir tout autrement les réalités matérielles. Il arrive bien dans nos vies qu’un grand événement, heureux ou malheureux, change complètement nos priorités. Des choses qui nous paraissaient jusque-là insignifiantes prennent tout d’un coup une grande valeur, d’autres auxquelles nous tenions beaucoup nous apparaissent tout d’un coup secondaires.

Un jeune couple qui a la joie d’accueillir un enfant, par exemple, sacrifiera de bon cœur sa liberté ; et on entend souvent les rescapés d’un grand accident ou d’une maladie dire que, pour eux, rien ne sera plus comme avant.


LE PARTAGE DES BIENS

Pour les premiers chrétiens, nous dit Luc, la possession des biens matériels n’est plus une priorité : « Personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre » ; il y a une nuance appréciable ! On possède des biens, on ne s’en prétend pas propriétaire, mais on met tout en commun pour que ces biens comblent les besoins de tous et que personne ne soit dans la misère ; en d’autres termes, ils se comportaient, non en propriétaires mais en intendants. Il faut reconnaître qu’il y a là tout un changement de mentalité... Il y faut bien la puissance de la grâce ! On est dans la droite ligne, une fois de plus, de l’Ancien Testament : toute la prédication prophétique visait à une double prise de conscience : premièrement, tout ce que nous possédons est cadeau de Dieu ; deuxièmement, tout homme est un frère.

Première prise de conscience, tout ce que nous possédons est cadeau de Dieu : le geste d’offrande des récoltes au printemps était justement un geste de reconnaissance au vrai sens du terme : on reconnaissait que tout était cadeau et on en était reconnaissants ! Et le leitmotiv du Livre du Deutéronome est « garde-toi d’oublier », sous-entendu « que tout est cadeau ». Deuxième prise de conscience, tout homme est un frère. Le livre de Job a cette formule extraordinaire : « C’est le même Dieu qui nous a formés dans le sein » (Jb 31,15), et Isaïe parle bien de tout homme quand il dit : « Partage ton pain avec l’affamé, les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras », et il termine « Devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas » (Is 58,7). « Celui qui est ta propre chair », c’est-à-dire ton frère.

Saint Luc constate que quand les Écritures sont accomplies, quand enfin on vit dans le régime de la Nouvelle Alliance, à laquelle nous préparait l’Ancien Testament, les croyants sont tous réellement frères... et alors, c’est logique, s’instaure une véritable vie de famille : entre frères, on peut tout mettre en commun.
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PSAUME 117 (118), 1.4.16-17.22-23.24-25  

     Alléluia !
1   Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon !
     Éternel est son amour !
4   Qu'ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR,
     Éternel est son amour !   

16 Le bras du SEIGNEUR se lève,
     le bras du SEIGNEUR est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai,
     pour annoncer les actions du SEIGNEUR.   

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
     est devenue la pierre d'angle ;
23 c'est là l'œuvre du SEIGNEUR,
     la merveille devant nos yeux.   

24 Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
     qu'il soit pour nous jour de fête et de joie !
25 Donne, SEIGNEUR, donne le salut !
     Donne, SEIGNEUR, donne la victoire !
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UN PSAUME POUR LA FÊTE DES TENTES

« Voici le jour que fit le SEIGNEUR, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! » Cette simple phrase dit que ce psaume est chanté à l’occasion d’une fête annuelle très joyeuse au temple de Jérusalem, la fête des tentes ; ce psaume 117/118 fait partie d’un groupe de psaumes qu’on appelle les psaumes du Hallel (Hallel signifie louange) qui étaient toujours chantés pour cette fête et l’acclamation « Donne, Seigneur, donne le salut » est la traduction exacte du mot « Hosanna » qui était le refrain de la fête des tentes. Nous avons l’habitude de chanter « Hosanna » dans le sens de l’action de grâce « Dieu nous sauve », mais son sens premier, c’est « sauve donc » qui est une supplication.

Cette fête des tentes tient son nom des tentes sous lesquelles on vivait chaque année pendant huit jours, en souvenir des campements dans le désert du Sinaï, au cours de la longue marche de l’Exode. C’était un moment privilégié pour se rappeler l’œuvre de Dieu pour libérer son peuple : Dieu avait vu les esclaves en Égypte, il avait compris leurs souffrances ; il avait confié à Moïse la mission de libérer ce peuple et il avait, pas à pas, au milieu de toutes les épreuves du désert, accompagné cette entreprise de libération... Et le peuple humilié avait pu relever la tête ; à partir de cette expérience première, on a découvert que Dieu est celui qui, toujours, relève les humiliés. Ce n’est pas un hasard si le premier des psaumes du Hallel, le psaume 112/113 développe justement ce thème : « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, parmi les princes de son peuple » (Ps 112/113,7-8). Nous ne réalisons peut-être plus la découverte que cela représente ; à une époque où toutes les divinités étaient imaginées sur le modèle des conquérants humains, hommes de pouvoirs, de victoires guerrières et de démonstrations de prestige, le Dieu d’Israël s’est fait connaître comme celui qui couronne les exclus

 

LA LOGIQUE DE DIEU

À la logique humaine la plus fondée, la plus sage, il oppose sa logique à lui, sa sagesse à lui ; « ses pensées ne sont pas nos pensées », disait Isaïe.

Avec lui, les derniers sont premiers et les premiers derniers. Les bâtisseurs, c’est-à-dire ceux qui s’y connaissent en matière de construction, peuvent bien mépriser une pierre et la mettre au rebut, le Seigneur, lui, saura en faire une pierre maîtresse. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». De ce qui semblait perdu, promis à la mort, Dieu fait surgir la vie. C’est bien ce qui s’est passé pour ce petit peuple qu’il a choisi et à qui il a confié une mission de leader pour l’humanité ; car ce peuple si souvent humilié se sait porteur d’une grande promesse : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »

 Alors, ils peuvent le dire, « ceux qui craignent le SEIGNEUR », « éternel est son amour ». Ce psaume a certainement été écrit assez tardivement, puisqu’il a eu le temps d’intégrer cette merveilleuse découverte qu’a faite le peuple d’Israël, à savoir qu’il n’y a pas de raisons d’avoir peur de Dieu ! Le mot « craindre » figure encore dans la Bible, mais il a complètement changé de sens : tant qu’on imagine Dieu comme un potentat à la manière des hommes, on a tout lieu de rester sur ses gardes et de chercher par tous les moyens à ne pas lui déplaire... Mais toute la pédagogie biblique a fait découvrir le vrai visage de Dieu, celui du Père de toute miséricorde ; alors on n’éprouve plus pour lui que la confiance et l’admiration du tout-petit envers le grand : une admiration nourrie de la simple reconnaissance de notre propre petitesse et de l’expérience de sa constante tendresse.

« Si vous ne redevenez semblables à des enfants, disait Jésus, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ». (Mt 18,3).

 Une autre preuve que la « crainte » de Dieu dans la Bible n’est en définitive que de l’amour, c’est que la crainte de Dieu est l’un des dons de l’Esprit. C’était la promesse d’Isaïe : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du SEIGNEUR, et il lui inspirera la crainte du SEIGNEUR » (Is 11,2). L’Esprit de Dieu qui est l’Amour même peut-il nous donner autre chose que l’amour ?

 Et pourtant, c’est d’avoir clamé cela un peu trop fort que Jésus est mort ; d’où vient que cette logique de Dieu nous est si irrémédiablement étrangère ? « Irrémédiablement » ? Non, parce que notre espérance, justement, c’est que l’Esprit du Christ finira bien par imprégner toute l’humanité, comme une tache d’huile. Quand Israël chante, et nous à sa suite « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! », nous ne pensons pas seulement au passé, à l’œuvre de libération déjà accomplie ; nous annonçons encore plus la libération définitive de l’humanité : le jour où tout homme se saura aimé de Dieu et se laissera envahir et combler par l’Esprit d’amour. Comme dit encore Isaïe « la connaissance du SEIGNEUR emplira l’univers comme les eaux recouvrent les mers » (Is 11,9). C’est dans cet esprit que nos frères juifs continuent à célébrer d’année en année cette fête des tentes dans la joie et l’espérance.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE L’APÔTRE JEAN 5, 1-6  

      C'était après la mort de Jésus,
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
     alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
     étaient verrouillées par crainte des Juifs,
     Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
     Il leur dit :
     « La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
     Les disciples furent remplis de joie
     en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
     « La paix soit avec vous !
     De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie.
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
     et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
     ils seront remis ;
     À qui vous maintiendrez ses péchés,
     ils seront maintenus. »
24 Or, l'un des Douze, Thomas, appelé Didyme
     (c’est-à-dire» jumeau »)
     n'était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
     « Nous avons vu le Seigneur ! »
      Mais il leur déclara :
     « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
     si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
     si je ne mets pas la main dans son côté,
     non, je ne croirai pas. »
26 Huit jours plus tard,
     les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison
     et Thomas était avec eux.
     Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
     et il était là au milieu d'eux.
     Il dit : « La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
     avance ta main, et mets-là dans mon côté :
     cesse d'être incrédule,
     sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
     « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois.
     Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d'autres signes
     que Jésus a faits en présence des disciples
     et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là y ont été écrits
     pour que vous croyiez
     que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
     et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
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IL EST GRAND, LE MYSTÈRE DE LA FOI

Dans cette lettre, saint Jean met en garde les chrétiens contre certains maîtres à penser (plutôt des maîtres à mal penser !) dont les théories défigurent la foi chrétienne. Manifestement, il y a des loups dans la bergerie ! Pour aider ses chrétiens qui n'y voient plus très clair dans tout ce qu'on raconte, Jean rédige une sorte de Credo minimum. Il tient en trois points : Premier point, Jésus de Nazareth est vraiment Fils de Dieu. Deuxième point, le croyant, le chrétien, est lui-même né de Dieu, il vit désormais une vie nouvelle, une vie d'enfant de Dieu. Troisième point, cette vie nouvelle consiste à aimer Dieu et les autres.

Ces trois points sont annoncés tous les trois dès le premier verset : « Tout homme qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est vraiment né de Dieu ; tout homme qui aime le Père (sous-entendu parce qu’il est son enfant) aime aussi celui qui est né de lui (c’est-à-dire les autres enfants de Dieu). »

Premier point : Jésus de Nazareth est vraiment Fils de Dieu ; visiblement, c’est sur ce noyau central de la foi que portait la polémique ! On sait bien que les premiers chrétiens ont dû affronter très tôt la persécution juive ; c’est normal : pour les Juifs, ils étaient une secte hérétique et il fallait absolument les empêcher de se développer. Mais on oublie quelquefois qu’un autre grand problème des premières communautés chrétiennes venait de l’intérieur. Entre chrétiens, on discutait à l’infini sur le mystère de la personne de Jésus. Ce qui prouve, au passage, que les discussions théologiques ne sont pas d’aujourd’hui !

Jean ne prétend pas expliquer comment il se fait que cet homme, Jésus, fait de chair et d’os, comme les autres, mortel comme les autres, soit en même temps le Christ, l’Envoyé de Dieu, le Fils de Dieu. Aucun homme ne peut comprendre et encore moins oser expliquer ce mystère parce que personne ne peut pénétrer les pensées de Dieu : pour l’esprit humain, les pensées de Dieu sont proprement « impensables »... Mais Jean affirme avec force que Jésus est en même temps pleinement homme et pleinement Dieu. Ne voir en Jésus que l’homme ou que Dieu, c’est le diviser, c’est ne plus être chrétien. Un peu plus haut, dans cette première lettre, il l’a dit : « Tout esprit qui divise Jésus n’est pas de Dieu... » (1 Jn 4,3). Et encore : « Qui est menteur, sinon celui qui nie que Jésus est le Christ ? » (1Jn 2,22).

La phrase « Jésus-Christ est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang » est précisément une manière d’affirmer l’humanité du Christ ; le mot « venu » dit l’Incarnation ; et la formule « pas seulement l’eau, mais l’eau et le sang » veut bien dire « il n’est pas question de retenir seulement l’événement glorieux du Baptême (symbolisé par l’eau) et de refuser l’humiliation de la croix (symbolisée par le sang) ».

On trouvait la même insistance, déjà, dans l’évangile de Jean ; par exemple, il a noté les propos de Jean-Baptiste dans ce sens, au moment du Baptême, justement : « Moi j’ai vu et j’atteste qu’il est, lui, le Fils de Dieu » (Jn 1,34).

 

LA VIE NOUVELLE DES ENFANTS DE DIEU

Deuxième point : le croyant, le chrétien, est lui-même né de Dieu, il vit désormais une vie nouvelle, une vie d’enfant de Dieu. Pour Jean, c’est un sujet d’émerveillement devant ce que Paul appellerait le « dessein bienveillant » de Dieu : « Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes ! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : il n’a pas découvert Dieu. Mes bien-aimés, dès à présent, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3,1-2). Nous sommes dans la droite ligne de l’évangile de Jean : « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme... À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu. » (Jn 1,9.12-13).

Troisième point : Cette vie nouvelle consiste à aimer Dieu et les autres. Une fois de plus, on est frappés de voir à quel point, dans toute la Bible, foi et amour sont indissociables ! Ce n’est pas une leçon de morale, ce serait plutôt une vérification d’identité ! (« Tout homme qui aime le Père aime aussi celui qui est né de lui. ») Pour Jean, c’est une évidence ; par exemple, dans cette même lettre : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l’amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu » (1 Jn 4,7) ; l’amour fraternel est une évidence de la foi : pourquoi ? Tout simplement, parce que la source de la foi, c’est l’Esprit-Saint, et la source de l’amour, c’est aussi l’Esprit-Saint. C’est le même Esprit qui, en nous, fait naître la foi, qui nous mène à la vérité tout entière, comme disait Jésus, ET qui rend nos cœurs capables d’aimer, puisqu’il est l’amour même. Par la foi, nous sommes enfants de Dieu, et les autres sont également enfants de Dieu ; ils sont donc nos frères et nous les regardons avec les yeux de Dieu.

À ceux qui trouveraient cela trop beau pour être vrai, Jean répond : « Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde » ; c’est-à-dire désormais vous ne vivez plus à la manière du monde sans Dieu, vous vivez à la manière de Dieu. Désormais, sur la terre, aimer est devenu possible... parce que rien n’est impossible à Dieu.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 20, 19-31

     C'était après la mort de Jésus,
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
     alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
     étaient verrouillées par crainte des Juifs,
     Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
     Il leur dit :
     « La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
     Les disciples furent remplis de joie
     en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
     « La paix soit avec vous !
     De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie.
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
     et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés,
     ils seront remis ;
     À à qui vous maintiendrez ses péchés,
     ils seront maintenus. »
24 Or, l'un des Douze, Thomas, appelé Didyme
     (c’est-à-dire» jumeau »)
     n'était pas avec eux quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
     « Nous avons vu le Seigneur ! »
      Mais il leur déclara :
     « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
     si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
     si je ne mets pas la main dans son côté,
     non, je ne croirai pas. »
26 Huit jours plus tard,
     les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison
     et Thomas était avec eux.
     Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
     et il était là au milieu d'eux.
     Il dit : « La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
     avance ta main, et mets-là dans mon côté :
     cesse d'être incrédule,
     sois croyant. »
28 Alors Thomas lui dit :
     « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois.
     Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d'autres signes
     que Jésus a faits en présence des disciples
     et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
31 Mais ceux-là y ont été écrits
     pour que vous croyiez
     que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
     et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
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LE PROJET DE DIEU EST ACCOMPLI

Cet évangile nous est proposé chaque année pour le deuxième dimanche de Pâques, il faut croire qu’il fait partie des textes les plus importants pour la foi chrétienne. Cette année, je voudrais mettre en relief le mot qui court sous toutes les phrases… (le mot « accomplissement »)

Il me semble, en effet, que le maître-mot de ce texte est le mot « accomplissement » ; pour le dire autrement, Jean aurait pu commencer ce passage par les mots qui, chez lui, sont les dernières paroles du Christ en croix : « Tout est achevé ». Pour Jean, c’est évident, depuis la Résurrection du Christ, le projet de Dieu pour l’humanité est accompli.

Par exemple, comme par hasard, cela se passe à Jérusalem ! La ville faite pour la paix, comme son nom l’indique (Yerushalaïm) et Jésus y annonce et y donne sa paix ; il dit « Shalom » et parce qu’il est Dieu, et enfin reconnu comme tel, sa Parole est efficace, créatrice. Réellement, sa paix s’accomplit ; Jean a certainement en tête toutes les promesses des prophètes, par exemple Isaïe : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné... le prince de la paix... » (Is 9) ; et aussi Jérémie : « Moi, dit Dieu, je sais les projets que j’ai formés sur vous, projets de prospérité (de « shalom ») et non de malheur... » (Jr 29,11). Et les disciples sont dans la joie : Jean se souvient de la parole du Christ, le dernier soir : « Vous êtes maintenant dans l’affliction ; mais je vous verrai à nouveau, votre cœur alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira. » (Jn 16,22). Vous me direz : il reste beaucoup à faire : oui, bien sûr, la paix est semée par Jésus, à nous de faire fructifier !

Ensuite, « C’était le soir du premier jour de la semaine » : dans la lecture juive du récit de la Création, ce premier jour était appelé « Jour UN » au sens de « premier jour » mais aussi « jour unique », parce que d’une certaine manière il englobait tous les autres, comme la première gerbe de la récolte annonce toute la moisson... Et aujourd’hui encore, le peuple juif attend le Jour Nouveau qui sera le jour de Dieu, lorsqu’il renouvellera la première Création. Pour les chrétiens, ce Jour s’est levé au matin de Pâques ; chaque dimanche, nous annonçons que le Jour du Seigneur, le Jour de la Création Nouvelle est enfin venu, que le dessein bienveillant de Dieu est accompli. 

 

LE RENOUVELLEMENT DE LA CRÉATION

C’est précisément ce jour-là, le premier jour de la semaine que le Christ donne l’Esprit à ses disciples, comme le prophète Ézéchiel l’avait annoncé : « Je mettrai en vous mon propre Esprit ». Jésus « souffle » sur ses disciples et dit « Recevez l’Esprit Saint » ; Jean a repris intentionnellement le mot du livre de la Genèse (Gn 2,7) : comme Dieu a insufflé à l’homme l’haleine de vie, Jésus inaugure la création nouvelle en insufflant à l’homme son esprit. En écho, la quatrième prière eucharistique rend grâce pour le don de l’Esprit, « le premier don fait aux croyants ». Si bien que Jérusalem, la ville de toutes les promesses, est aussi la ville du don de l’Esprit : c’est là que s’est accomplie la promesse du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair... Alors quiconque invoquera le nom du SEIGNEUR sera sauvé. » (Jl 3,1.5). Et la mission que Jésus confie aussitôt à ses apôtres est une mission de paix et de réconciliation ; là encore, à nous de jouer, pour que Jérusalem, la ville de la paix, porte bien son nom.

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». À Pilate, trois jours avant, Jésus a dit « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37) et Pilate avait posé la question « Qu’est-ce que la vérité ? »

Jésus confie désormais à ses disciples la mission d’annoncer à leur tour au monde la vérité, la seule dont les hommes aient besoin pour vivre : « Dieu est Père, il est Amour, il est pardon et miséricorde ». « Je vous envoie » : on se souvient que « les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient » ; il leur dit : « Je vous envoie », c’est-à-dire, il n’est plus question de rester verrouillés ! La mission est urgente, le monde meurt de ne pas savoir la vérité ; cette vérité vers laquelle, progressivement, patiemment l’Esprit mène l’humanité. « Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. » (Jn 16,13).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 7 04 2024 2e dimanche de Pâques B

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25 mars 2024 1 25 /03 /mars /2024 17:18
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 10, 34a.37-43

     En ces jours-là,
     quand Pierre arriva à Césarée
     chez un centurion de l'armée romaine,
34 il prit la parole et dit :
37 « Vous savez ce qui s'est passé à travers tout le pays des Juifs
     depuis les commencements en Galilée,
     après le baptême proclamé par Jean :
38 Jésus de Nazareth,
     Dieu lui a donné l’onction d'Esprit Saint et de puissance.
     Là où il passait, il faisait le bien
     et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
     car Dieu était avec lui.
39 Et nous, nous sommes témoins
     de tout ce qu'il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
     Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,
40 Dieu l'a ressuscité le troisième jour.
41 Il lui a donné de se manifester,
     non pas à tout le peuple,
     mais à des témoins que Dieu avait choisis d'avance,
     à nous qui avons mangé et bu avec lui
     après sa résurrection d'entre les morts.
42 Dieu nous a chargés d'annoncer au peuple et de témoigner
     que lui-même l'a établi Juge des vivants et des morts.
43 C'est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage :
     quiconque croit en lui
     reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »
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PIERRE, LE JUIF, CHEZ LE PAÏEN CORNEILLE

Pierre est à Césarée-sur-Mer (il y avait là effectivement une garnison romaine), et il est entré dans la maison de Corneille, un officier romain. Comment en est-il arrivé là ? Et que vient-il y faire ? En fait, si Pierre est là, c'est parce qu'il a été quelque peu bousculé par l'Esprit Saint. Il faut relire le récit de la vision de Joppé dans ce même chapitre des Actes. D'autre part, peu de temps auparavant, Pierre vient d'accomplir deux miracles : il a guéri un homme, Énée, à Lydda, et ensuite, il a ressuscité une femme, Tabitha, à Joppé (on dirait aujourd'hui Jaffa ; Ac 9,32-43). Ces deux miracles lui ont prouvé que le Seigneur ressuscité était avec lui et agissait à travers lui. Car Jésus avait bien annoncé que, comme lui, et en son nom, les apôtres chasseraient les démons, guériraient les malades, et ressusciteraient les morts.

Ce sont ces deux miracles qui ont donné à Pierre la force de franchir l’étape suivante, qui est décisive : il s’agit cette fois d’un miracle sur lui-même, si l’on peut dire ! Car, pour la première fois, contrairement à toute son éducation, à toutes ses certitudes, Pierre, le Juif, franchit le seuil d’un païen, Corneille, le centurion romain ; il est vrai que Corneille est un païen très ami des Juifs, on dit qu’il est un « craignant Dieu » ; c’est-à-dire un converti à la religion juive mais qui n’est pas allé jusqu’à en adopter toutes les pratiques, y compris la circoncision. Or la circoncision est la marque de l’Alliance ; donc un « craignant Dieu » reste un incirconcis, un païen. Et c’est chez ce païen, Corneille, que Pierre est entré et il y annonce la grande nouvelle : Jésus de Nazareth est ressuscité ! (Et, ce même jour, Corneille sera baptisé ainsi que toute sa famille.) Traduisez : l’Évangile est en train de déborder les frontières d’Israël !

On dit souvent que Paul est l’apôtre des païens, mais il faut rendre justice à Pierre : si l’on en croit les Actes des Apôtres, c’est lui qui a commencé, et à Césarée, justement, chez le centurion romain Corneille. Et ce que nous venons d’entendre, c’est donc le discours que Pierre a prononcé chez Corneille, en ce jour mémorable. Et sa dernière phrase est une véritable révolution : « Quiconque croit en lui (Jésus) reçoit par son nom le pardon de ses péchés. » Pierre vient de le comprendre : « Quiconque », cela veut dire « pas seulement les Juifs ». Même des païens peuvent entrer dans l’Alliance. Le salut a d’abord été annoncé à Israël, mais désormais il suffit de croire en Jésus-Christ pour recevoir le pardon de ses péchés, c’est-à-dire pour entrer dans l’Alliance avec Dieu. Et donc tout homme, même non-Juif (c’est le sens du mot « païen » ici), peut être baptisé au nom de Jésus. Visiblement, ce fut la grande découverte des premiers chrétiens, Paul et Pierre y insistent tous les deux : il suffit de croire en Jésus pour être sauvé !

IL SUFFIT DE CROIRE EN JÉSUS POUR ÊTRE SAUVÉ

L’ensemble du discours de Pierre chez Corneille est révélateur de l’état d’esprit des Apôtres dans les années qui ont suivi la Résurrection de Jésus. Ils avaient été les témoins privilégiés des paroles et des gestes de Jésus, et ils avaient peu à peu compris qu’il était le Messie que tout le peuple attendait. Et puis, il y avait eu le Vendredi-saint : Dieu avait laissé mourir Jésus de Nazareth ; certainement, Dieu n’aurait pas laissé mourir son Messie, son Envoyé ; leur déception avait été immense ; Jésus de Nazareth ne pouvait pas être le Messie.

Et puis ce fut le coup de tonnerre de la Résurrection : non, Dieu n’avait pas abandonné son Envoyé, il l’avait ressuscité. Et les Apôtres avaient eu de nombreuses rencontres avec Jésus vivant ; et maintenant, depuis l’Ascension et la Pentecôte, ils consacraient toutes leurs forces à l’annoncer à tous ; c’est très exactement ce que Pierre dit à Corneille : « Nous, (les Apôtres), nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour... Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. »

Il restera pour les Apôtres une tâche immense : si la résurrection de Jésus était la preuve qu’il était bien l’Envoyé de Dieu, elle n’expliquait pas pourquoi il avait fallu passer par cette mort infâmante et cet abandon de tous. La plupart des gens attendaient un Messie qui serait un roi puissant, glorieux, chassant les Romains ; Jésus ne l’était pas. Quelques-uns imaginaient que le Messie serait un prêtre, il ne l’était pas non plus, il ne descendait pas de Lévi ; et l’on pourrait faire la liste de toutes les attentes déçues.

Alors les Apôtres ont entrepris un formidable travail de réflexion : ils ont relu toutes leurs Écritures, la Loi, les Prophètes et les Psaumes, pour essayer de comprendre. Il a fallu tout ce travail de relecture, après la Pentecôte, à la lumière de l’Esprit Saint, pour arriver à dire, comme le fait Pierre ici : « C’est à Jésus que tous les prophètes rendent témoignage… Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts ».

Un autre aspect tout à fait remarquable de ce discours de Pierre, c’est son insistance pour dire que c’est Dieu qui agit ! Jésus de Nazareth était un homme apparemment semblable à tous les autres, mortel comme tous les autres... eh bien, Dieu agissait en lui et à travers lui : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance, Dieu était avec lui, Dieu l’a ressuscité, Dieu lui a donné de se manifester à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, Dieu l’a établi Juge des vivants et des morts... »

Et la phrase qui résume tout cela : « Dieu lui a donné l’onction d’Esprit-Saint et de puissance. » Désormais, Pierre vient de le comprendre, tout homme, Juif ou païen, peut grâce à Jésus-Christ être lui aussi consacré par l'Esprit Saint et rempli de sa force !
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PSAUME  117 (118),1.2,16-17.22-23

1   Rendez grâce au SEIGNEUR : Il est bon !
     Éternel est son amour !
2   Oui, que le dise Israël :
     Éternel est son amour !

16 Le bras du SEIGNEUR se lève,
     le bras du SEIGNEUR est fort !
17 Non, je ne mourrai pas, je vivrai
     pour annoncer les actions du SEIGNEUR.

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
     est devenue la pierre d'angle.
23 C'est là l'œuvre du SEIGNEUR,
     la merveille devant nos yeux.
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JE VIVRAI, POUR ANNONCER LES ACTIONS DU SEIGNEUR

Si l’on ne veut pas faire d'anachronisme, il faut admettre que ce psaume n'a pas été écrit d'abord pour Jésus-Christ ! Comme tous les psaumes, il a été composé, des siècles avant le Christ, pour être chanté au Temple de Jérusalem. Comme tous les psaumes aussi, il redit toute l'histoire d'Israël, cette longue histoire d'Alliance : c'est cela qu'on appelle « l’œuvre du SEIGNEUR, la merveille devant nos yeux ... ». C’est l’expérience qui fait dire au peuple élu : oui, vraiment, l’amour de Dieu est éternel ! Dieu a accompagné son peuple tout au long de son histoire, et toujours il l’a sauvé de ses épreuves.

On a là un écho du chant de victoire que le peuple libéré d’Égypte a entonné après le passage de la Mer Rouge : « Ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR, il est pour moi le salut » (Ex 15,1). Les mots « œuvre » ou « merveille » sont toujours dans la Bible une allusion à la libération d’Égypte. Et quand je dis « allusion », le mot est trop faible, c’est un « faire mémoire » au sens fort de ressourcement dans la mémoire commune du peuple.

« Le bras du SEIGNEUR se lève, Le bras du SEIGNEUR est fort », c’est aussi un faire mémoire de la libération d’Égypte. Et cette œuvre de libération de Dieu n’est pas seulement celle d’un jour, elle est permanente, on l’a sans cesse expérimentée. C’est vraiment d’expérience qu’Israël peut le dire : « Éternel est son amour ».

Et c’est cet amour éternel de Dieu qui fonde l’espérance : car, chaque fois qu’on chante les libérations du passé, c’est aussi et surtout pour y puiser la force d’attendre celles de l’avenir ; Dieu enverra son Messie et enfin on connaîtra le bonheur promis ; enfin le peuple élu et avec lui l’humanité tout entière connaîtront la paix et la justice. On en est loin encore quand ce psaume est composé... et aujourd’hui encore !

Mais notre lointain ancêtre qui écrit ce psaume sait que Dieu est capable de transformer toutes les situations, y compris les situations de mort en situations de vie : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, pour annoncer les actions du SEIGNEUR ». C’est l’action de grâce du peuple qui a frôlé la mort et rend grâce pour sa libération. À l’heure où ce psaume est écrit, cela ne signifie pas une croyance en la résurrection ; nous savons bien que la foi en la résurrection n’est apparue que très tardivement en Israël ; cette affirmation « Non, je ne mourrai pas, je vivrai » est une réelle profession de foi, mais d’un autre ordre : c’est la certitude que Dieu n’abandonnera jamais son peuple : même dans les pires situations, quand l’avenir du peuple est compromis, on sait de façon absolument certaine que Dieu le fera survivre. Car la vocation de ce peuple, c’est précisément de vivre pour « annoncer les actions du SEIGNEUR ».

LA PIERRE QU’ONT REJETÉE LES BÂTISSEURS EST DEVENUE LA PIERRE D’ANGLE 

Pour donner une idée de ces retournements que Dieu est capable d’opérer, on emprunte le langage des architectes : « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Quand ce psaume est composé, ce n’est pas la première fois qu’on emploie l’image de la pierre angulaire pour parler de l’œuvre de Dieu : Isaïe l’avait déjà fait (au chapitre 28).

Dans une période où la société de Jérusalem se dégradait, où régnaient partout le mensonge, l’injustice, la corruption, le mépris des commandements de Dieu, le prophète rappelait qu’on récolte ce qu’on a semé : une telle société court inévitablement à sa perte. Isaïe avait dit alors quelque chose comme ‘Vous vous appuyez sur du vent. Vous savez bien pourtant que le droit et la justice sont les seules valeurs sûres... Vous êtes comme des bâtisseurs qui choisiraient les plus mauvaises pierres pour faire les fondations ! Et qui rejetteraient systématiquement les bonnes pierres bien solides’ (traduisez les vraies valeurs).

Mais un prophète ne reste jamais sur du négatif ! Car Dieu n’abandonne jamais son peuple... La construction est mal engagée ? Les architectes auxquels il l’avait confiée ont mal travaillé ? Qu’à cela ne tienne... Dieu va reprendre lui-même la direction des opérations. Il va rétablir le droit et la justice à Jérusalem. Il le fera comme un architecte, il va en quelque sorte rebâtir sa ville ! Mais sur des bases saines, cette fois.            

Voici ce passage d’Isaïe : » Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Moi, dans Sion, je pose une pierre, une pierre à toute épreuve, choisie pour être une pierre d’angle, une véritable pierre de fondement. Celui qui croit ne s’inquiétera pas. Je prendrai le droit comme cordeau, et la justice comme fil à plomb. » (Is 28,16).

Notre psaume reprend cette image de la pierre angulaire et il la précise pour annoncer le retournement spectaculaire que Dieu va opérer. C’est sur toutes ces valeurs méprisées par les mauvais gouvernants que Dieu va bâtir une société nouvelle ; mieux, c’est de tous les petits, les humbles, les méprisés, qu’il va faire naître le peuple nouveau ! « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ».

Jésus lui-même a cité à son propre sujet cette parole prophétique « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle » dans la parabole des vignerons homicides (qui tuent le fils du propriétaire) ; on trouve cette parabole dans les trois évangiles synoptiques : ce qui prouve l’importance de ce thème dans la première génération chrétienne (Mt 21,33-46 ; Mc 12,1-12 ; Lc 20,9-19).

C’est donc tout naturellement que ce psaume est devenu l’exultation pascale par excellence. Le Christ est cette pierre méprisée, rejetée par les bâtisseurs : il est devenu la pierre d’angle, la pierre de fondation de l’humanité nouvelle. Désormais, l’humanité libérée de la mort peut chanter avec lui : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du SEIGNEUR. »
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DEUXIÈME LECTURE - lettre de saint Paul apôtre aux Col 3, 1-4 et aux Corinthiens 5, 6b-8

La liturgie nous propose deux lectures au choix, mais il est très intéressant de les lire et de les méditer toutes les deux ensemble !

Lecture de quelques versets de saint Paul dans la lettre aux Colossiens et dans la 1ère lettre aux Corinthiens

     Colossiens 3,1-4

1          Frères, si vous êtes ressuscités avec le Christ,
            recherchez les réalités d'en haut :
            c'est là qu'est le Christ, assis à la droite de Dieu.
2          Pensez aux réalités d'en haut,
            non à celles de la terre.
3          En effet, vous êtes passés par la mort,
            et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
4          Quand paraîtra le Christ, votre vie,
            alors vous aussi,
            vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
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     1 Corinthiens 5,6b-8 

            Frères,
6          Ne savez-vous pas qu'un peu de levain suffit
            pour que fermente toute la pâte ?
7          Purifiez-vous donc des vieux ferments
            et vous serez une pâte nouvelle,
            vous qui êtes le pain de la Pâque,
            celui qui n'a pas fermenté.
            Car notre agneau pascal a été immolé :
            c’est le Christ.
8          Ainsi, célébrons la Fête,
            non pas avec de vieux ferments,
            non pas avec ceux de la perversité et du vice,
            mais avec du pain non fermenté,
            celui de la droiture et de la vérité.
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RESSUSCITÉS AVEC LE CHRIST

Tout d’abord, il faut nous habituer au vocabulaire de saint Paul ; par exemple, nous pouvons être un peu surpris d’entendre : « Frères, vous êtes ressuscités avec le Christ... vous êtes passés par la mort ». À vrai dire, si nous sommes là, vous et moi, aujourd’hui, c’est que nous sommes bien vivants... c’est-à-dire pas encore morts... et encore moins ressuscités ! Il faut croire que les mots n’ont pas le même sens pour Paul que pour nous ! Car, pour lui, depuis ce fameux matin de Pâques, plus rien n’est comme avant.

Autre problème de vocabulaire : « Pensez aux réalités d’en-haut, non à celles de la terre. » Il ne s’agit pas, en fait, de choses (qu’elles soient d’en-haut ou d’en-bas), il s’agit de conduites, de manières de vivre... Ce que Paul appelle les « réalités d’en-haut », il le dit dans les versets suivants, c’est la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience, le pardon mutuel... Ce qu’il appelle les réalités terrestres, c’est la débauche, l’impureté, la passion, la cupidité, la convoitise... Notre vie tout entière est dans cette tension : notre transformation, notre résurrection est déjà accomplie en Christ mais il nous reste à égrener cette réalité profonde, très concrètement au long des jours.

Si on continuait la lecture, on trouverait cette expression : « Vous vous êtes revêtus de l’homme nouveau » (Col 3,10) ; et un peu plus loin « puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes sanctifiés, aimés par lui, revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. » (Col 3,12). Il me semble que c’est le meilleur commentaire du passage que nous lisons aujourd’hui. « Vous avez revêtu », c’est déjà fait... » revêtez », c’est encore à faire.

Nous retrouvons cette tension dans tout le reste de la prédication de Paul et en particulier dans cette même lettre aux Colossiens : « Vous étiez jadis étrangers à Dieu, et même ses ennemis, par vos pensées et vos actes mauvais. Mais maintenant, Dieu vous a réconciliés avec lui, dans le corps du Christ… Cela se réalise si vous restez solidement fondés dans la foi, sans vous détourner de l’espérance que vous avez reçue en écoutant l’Évangile… que personne ne vous égare par des arguments trop habiles. Menez donc votre vie dans le Christ Jésus, le Seigneur, tel que vous l’avez reçu. Soyez enracinés, édifiés en lui, restez fermes dans la foi, comme on vous l’a enseigné… Prenez garde à ceux qui veulent faire de vous leur proie par une philosophie vide et trompeuse, fondée sur la tradition des hommes, sur les forces qui régissent le monde, et non pas sur le Christ… Dans le baptême, vous avez été́ mis au tombeau avec lui et vous êtes ressuscités avec lui par la foi en la force de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. » (Col 1,21… 2,12).

PURIFIEZ-VOUS DES VIEUX FERMENTS

Il ne s’agit donc pas de vivre une autre vie que la vie ordinaire, mais de vivre autrement la vie ordinaire ; sachant que cet « autrement » est désormais possible, car c’est l’Esprit-Saint qui nous en rend capables.  Le même Paul dira à peine plus loin, dans cette même lettre : « Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. » (Col 3,17). C’est ce monde-ci qui est promis au Royaume, il ne s’agit donc pas de le mépriser mais de le vivre déjà comme la semence du Royaume. Il n’est pas question de dénigrer les réalités terrestres ! Dieu nous les a confiées, au contraire, à nous de les transfigurer.

C’est dans cet esprit que Paul nous invite à être une pâte nouvelle : « Purifiez-vous donc des vieux ferments et vous serez une pâte nouvelle, vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n'a pas fermenté. » Ici, il fait allusion au rite des Azymes ; chaque année, au moment où l’on s’apprête à partager l’agneau pascal, on prend bien soin de nettoyer les maisons de toute trace du levain de la récolte de l’année dernière ; le repas de la nuit pascale (le seder) est accompagné de galettes de pain non levé (le pain azyme) et dans la semaine qui suit on continue à manger du pain sans levain en attendant d’avoir pu laisser fermenter le levain nouveau.

Les deux rites de l’agneau pascal et des Azymes étaient liés dans la célébration de la Pâque ; et Paul les lie dans son raisonnement : « Purifiez-vous des vieux ferments… notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ. » Paul fait donc référence à toute la symbolique de la fête pascale juive et il l’applique à la Pâque des chrétiens ; il n’a pas une seconde l’impression de changer le sens de la fête juive en parlant de la Pâque du Christ : au contraire, il voit dans la Résurrection du Christ le parfait achèvement du combat de libération que rappelait chaque année la Pâque juive.

Pour Paul, c’est une évidence : en Jésus l’ancienne fête des Azymes n’a pas perdu sa signification ; au contraire, elle trouve son sens plénier : la Pâque des chrétiens est bien la fête de la libération, mais, désormais, la libération est définitive. Par sa mort et sa résurrection, Jésus-Christ a triomphé des pires chaînes, celles de la mort et de la haine. Et cette libération est contagieuse ; comme dit Paul, « un peu de levain suffit pour que fermente toute la pâte ». L’Esprit qui poursuit son œuvre dans le monde fera irrésistiblement « lever » comme une pâte l’humanité tout entière.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN  20, 1-9

1   Le premier jour de la semaine,
     Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
     c’était encore les ténèbres.
     Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2   Elle court donc trouver Simon-Pierre et l'autre disciple,
     celui que Jésus aimait,
     et elle leur dit :
     « On a enlevé le Seigneur de son tombeau
     et nous ne savons pas où on l'a déposé. »
3   Pierre partit donc avec l'autre disciple
     pour se rendre au tombeau.
4   Ils couraient tous les deux ensemble,
     mais l'autre disciple courut plus vite que Pierre
     et arriva le premier au tombeau.
5   En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
     cependant il n'entre pas.
6   Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
     Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges posés à plat,
7   ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
     non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
8   C'est alors qu'entra l'autre disciple,
     lui qui était arrivé le premier au tombeau.
     Il vit, et il crut.
9   Jusque-là, en effet, les disciples n'avaient pas compris
     que, selon l'Écriture,
     il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts.
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LE TOMBEAU VIDE

Jean note qu’il faisait encore sombre : la lumière de la Résurrection a troué la nuit ; on pense évidemment au Prologue du même évangile de Jean : « La lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée (littéralement ‘saisie’) » au double sens du mot « saisir », qui signifie à la fois « comprendre » et « arrêter » ; les ténèbres n’ont pas compris la lumière, parce que, comme dit Jésus également chez Saint Jean « le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité » (Jn 14,17) ; ou encore : « la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière » (Jn 3,19) ; mais, malgré tout, les ténèbres ne pourront pas l’arrêter, au sens de l’empêcher de briller ; c’est toujours Saint Jean qui nous rapporte la phrase qui dit la victoire du Christ : « Moi, je suis vainqueur du monde ! » (Jn 16,33).

Donc, « alors que ce sont encore les ténèbres », Marie de Magdala voit que la pierre a été enlevée du tombeau ; elle court trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, (on suppose qu’il s’agit de Jean lui-même) et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Évidemment, les deux disciples se précipitent ; vous avez remarqué la déférence de Jean à l’égard de Pierre ; Jean court plus vite, il est plus jeune, probablement, mais il laisse Pierre entrer le premier dans le tombeau.

« Pierre entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Leur découverte se résume à cela : le tombeau vide et les linges restés sur place ; mais quand Jean entre à son tour, le texte dit : « C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit et il crut. » Pour Saint Jean, ces linges sont des pièces à conviction : ils prouvent la Résurrection ; au moment même de l’exécution du Christ, et encore bien longtemps après, les adversaires des chrétiens ont répandu le bruit que les disciples de Jésus avaient tout simplement subtilisé son corps. Saint Jean répond : ‘Si on avait pris le corps, on aurait pris les linges aussi ! Et s’il était encore mort, s’il s’agissait d’un cadavre, on n’aurait évidemment pas enlevé les linges qui le recouvraient.’

Ces linges sont la preuve que Jésus est désormais libéré de la mort : ces deux linges qui l’enserraient symbolisaient la passivité de la mort.  Devant ces deux linges abandonnés, désormais inutiles, Jean vit et il crut ; il a tout de suite compris. Quand Lazare avait été ramené à la vie par Jésus, quelques jours auparavant, il était sorti lié ; son corps était encore prisonnier des chaînes du monde : il n’était pas un corps ressuscité ; Jésus, lui, sort délié : pleinement libéré ; son corps ressuscité ne connaît plus d’entrave.

La dernière phrase est un peu étonnante : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. »

CROIRE POUR ENTRER DANS L’INTELLIGENCE DES ÉCRITURES

Jean a déjà noté à plusieurs reprises dans son évangile qu’il a fallu attendre la Résurrection pour que les disciples comprennent le mystère du Christ, ses paroles et son comportement. Au moment de la Purification du Temple, lorsque Jésus avait fait un véritable scandale en chassant les vendeurs d’animaux et les changeurs, l’évangile de Jean dit : « Quand il (Jésus) se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite. » (Jn 2,22). Même chose lors de son entrée triomphale à Jérusalem, Jean note : « Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment ; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui : c’était bien ce qu’on lui avait fait. »  (Jn 12,16).

Mais soyons francs : vous ne trouverez nulle part dans toute l’Écriture une phrase pour dire que le Messie ressuscitera. Au bord du tombeau vide, Pierre et Jean ne viennent donc pas d’avoir une illumination comme si une phrase précise, mais oubliée, de l’Écriture revenait tout d’un coup à leur mémoire ; mais, d’un trait, c’est l’ensemble du plan de Dieu qui leur est apparu ; comme dit Saint Luc à propos des disciples d’Emmaüs, leurs esprits se sont ouverts à « l’intelligence des Écritures ».

« Il vit et il crut. Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l'Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d'entre les morts… » C’est parce que Jean a cru que l’Écriture s’est éclairée pour lui : jusqu’ici combien de choses de l’Écriture lui étaient demeurées obscures ; mais parce que, tout d’un coup, il donne sa foi, sans hésiter, alors tout devient clair : il relit l’Écriture autrement et elle lui devient lumineuse. L’expression « il fallait » dit cette évidence. Comme disait Saint Anselme, il ne faut pas comprendre pour croire, il faut croire pour comprendre.

À notre tour, nous n’aurons jamais d’autre preuve de la Résurrection du Christ que ce tombeau vide... Dans les jours qui suivent, il y a eu les apparitions du Ressuscité. Mais aucune de ces preuves n’est vraiment contraignante... Notre foi devra toujours se donner sans autre preuve que le témoignage des communautés chrétiennes qui l’ont maintenue jusqu’à nous. Mais si nous n’avons pas de preuves, nous pouvons vérifier les effets de la Résurrection : la transformation profonde des êtres et des communautés qui se laissent habiter par l’Esprit, comme dit Paul, est la plus belle preuve que Jésus est bien vivant !
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Compléments

 - Jusqu’à cette expérience du tombeau vide, les disciples ne s’attendaient pas à la Résurrection de Jésus. Ils l’avaient vu mort, tout était donc fini... et, pourtant, ils ont quand même trouvé la force de courir jusqu’au tombeau... À nous désormais de trouver la force de lire dans nos vies et dans la vie du monde tous les signes de la Résurrection. L’Esprit nous a été donné pour cela. Désormais, chaque « premier jour de la semaine », nous courons, avec nos frères, à la rencontre mystérieuse du Ressuscité.                      

- C'est Marie-Madeleine qui a assisté la première à l'aube de l'humanité nouvelle ! Marie de Magdala, celle qui avait été délivrée de sept démons... elle est l'image de l'humanité tout entière qui découvre son Sauveur. Mais, visiblement, elle n'a pas compris tout de suite ce qui se passait : là aussi, elle est bien l'image de l'humanité !

Et, bien qu'elle n'ait pas tout compris, elle est quand même partie annoncer la nouvelle aux apôtres et c'est parce qu'elle a osé le faire, que Pierre et Jean ont couru vers le tombeau et que leurs yeux se sont ouverts. À notre tour, n'attendons pas d'avoir tout compris pour oser inviter le monde à la rencontre du Christ ressuscité.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 31 03 2024 dimanche de la Résurrection B

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18 mars 2024 1 18 /03 /mars /2024 23:32
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE 50, 4-7

4   Le SEIGNEUR mon Dieu m'a donné le langage des disciples
     pour que je puisse, d’une parole,
     soutenir celui qui est épuisé.
     Chaque matin, il éveille,
     il éveille mon oreille
     pour qu’en disciple, j'écoute.
5   Le SEIGNEUR mon Dieu m'a ouvert l'oreille,
     et moi, je ne me suis pas révolté,
     je ne me suis pas dérobé.
6   J'ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
     et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe.
     Je n'ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7   Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
     c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
     c'est pourquoi j'ai rendu ma face dure comme pierre :
     je sais que je ne serai pas confondu.
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ISRAËL, SERVITEUR DE DIEU

Depuis des années, nous avons lu et relu ces textes étonnants qui font partie du livre d’Isaïe et qu’on appelle les « Chants du Serviteur » ; ils nous intéressent tout particulièrement, nous chrétiens, pour deux raisons : d’abord par le message qu’Isaïe lui-même voulait donner par là à ses contemporains ; ensuite, parce que les premiers chrétiens les ont appliqués à Jésus-Christ.

Je commence par le message du prophète Isaïe à ses contemporains :

Une chose est sûre, Isaïe ne pensait évidemment pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av. J.-C., pendant l’Exil à Babylone. Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.

Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe ; 

« Écouter » la Parole, « se laisser instruire » par elle, cela veut dire vivre dans la confiance. « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... » La Parole me réveille chaque matin »... » J’écoute comme celui qui se laisse instruire »... « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille ».

 « Écouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; les auteurs bibliques ont l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne... ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu... et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.

Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Écoute, Israël » (Dt 6), ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu...? » (Ps 94/95). Et, dans leur bouche, la recommandation « Écoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et saint Paul dira pourquoi : parce que « Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment (c’est-à-dire qui lui font confiance). » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.

C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Dieu, mon SEIGNEUR m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire »... Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu. 

TENIR BON DANS L’ÉPREUVE

Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé... » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.

Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour... d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter : « Il éveille mon oreille chaque matin... Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages... » Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu mon visage dur comme pierre »1 : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme «  vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force : « Le SEIGNEUR Dieu vient à mon secours : c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages. »

Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Écoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.
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Note

1 - Luc a repris exactement cette expression en parlant de Jésus : il dit « Jésus durcit sa face pour prendre la route de Jérusalem » (Luc 9,51 ; notre traduction liturgique dit « Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem »).
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PSAUME 21 (22), 2,8-9,17-20,22b-24

2   Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?
8   Tous ceux qui me voient me bafouent,
     ils ricanent et hochent la tête
9   « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
     Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »

17 Oui, des chiens me cernent,
     une bande de vauriens m'entoure ;
     ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.

19 Ils partagent entre eux mes habits
     et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
     ô ma force, viens vite à mon aide !

22 Mais tu m'as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
     je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.
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DU CRI DE DÉTRESSE À L’ACTION DE GRÂCE

Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’ennui, c’est que nous la sortons de son contexte, et que du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.

Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».

Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ : il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !

Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant, depuis la période de la domination perse, c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux... et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur. 

Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.

Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis ... Mais il continuait à prier, la prière à elle toute seule prouve bien qu’on n’a pas complètement perdu espoir, sinon on ne prierait même plus ! Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.

LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO

Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un vœu ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un vœu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse.

Dans certaines églises du Midi de la France, ou d’Europe centrale, par exemple, les murs sont couverts de tableaux qui représentent les circonstances du danger auquel on a échappé ; ce peut être un incendie, un accident, un naufrage... on voit aussi parfois une jeune femme en train de mourir en couches avec déjà toute une ribambelle d’enfants autour de son lit ; la représentation de ce qui a failli arriver est toujours dramatique ; et on voit les parents et les proches éplorés qui assistent impuissants ; ce sont eux qui ont promis de faire exécuter ce tableau si celui qui était en danger en réchappait. En général, le tableau est divisé en trois parties ; le danger encouru... les proches en prière, et, en haut de la toile, dans un coin du ciel, le saint ou la sainte qui nous a secourus, ou bien la Vierge. Et c’est l’ex-voto tout entier lui-même qui est l’action de grâce dont on a le cœur plein quand enfin tout se termine bien.

Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères... Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux ... (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par cœur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. À vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui... Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le SEIGNEUR aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre ! »
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX PHILIPPIENS 2, 6-11

6   Le Christ Jésus,
     ayant la condition de Dieu,
     ne retint pas jalousement
     le rang qui l’égalait à Dieu.
7   Mais il s’est anéanti,
     prenant la condition de serviteur,
     devenant semblable aux hommes.
8   Reconnu homme à son aspect,
     il s'est abaissé,
     devenant obéissant jusqu'à la mort
     et la mort de la croix.
9   C'est pourquoi Dieu l'a exalté.
     Il l’a doté du Nom
     qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu'au nom de Jésus
     tout genou fléchisse
     au ciel, sur terre et aux enfers,
11 Et que toute langue proclame :
     « Jésus-Christ est Seigneur »
     à la gloire de Dieu le Père.
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JÉSUS, SERVITEUR DE DIEU

Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.

Lorsque les premiers chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.

Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit... il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu... Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.1

J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu... La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets... La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.  

LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT

Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, ce qui évidemment n’a rien d’étonnant, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Éden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage*... Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.

Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »...  C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment, dit Dieu » (Is 45,23).

Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.

L’hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini, de l’amour personnifié ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »... puisque Dieu, c’est l’amour.
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Note

* C’est bien la même question dans l’épisode des Tentations (dans les évangiles de Matthieu et de Luc) : le diviseur (c’est le sens du mot diable/diabolos en grec) ne lui propose que des choses qui font partie du plan de Dieu ! Mais lui refuse de s’en emparer. Il compte sur son Père pour les lui donner. Le Tentateur lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, tu peux tout te permettre, ton Père ne peut rien te refuser : transforme les pierres en pains quand tu as faim... jette-toi en bas de la montagne, il te protègera... adore-moi, je te ferai régner sur le monde entier... » Mais Jésus attend tout de Dieu seul.

Complément

Nous connaissons bien ce texte : on l’appelle souvent « l’Hymne de l’Épître aux Philippiens » : parce qu’on a l’impression que Paul ne l’a pas écrite lui-même, mais qu’il a cité une hymne que l’on chantait habituellement dans la liturgie.
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Extraits de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ selon saint Marc : Mc 15, 1…39

15, 1 : Dès le matin, les grands prêtres convoquèrent les anciens et les scribes, et tout le Conseil suprême.
     Puis, après avoir ligoté Jésus, ils l'emmenèrent et le livrèrent à Pilate.
2   Celui-ci l'interrogea :
     « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus répondit : « C'est toi-même qui le dis. »
3   Les grands prêtres multipliaient contre lui les accusations.
4   Pilate lui demanda à nouveau : « Tu ne réponds rien?
     Vois toutes les accusations qu'ils portent contre toi. »
5   Mais Jésus ne répondit plus rien, si bien que Pilate fut étonné.
16 Les soldats l'emmenèrent à l'intérieur du palais,
     c'est-à-dire dans le Prétoire.
     Alors ils rassemblent toute la garde,
17 ils le revêtent de pourpre,  et lui posent sur la tête une couronne d'épines qu'ils ont tressée
18 Puis ils se mirent à lui faire des salutations, en disant :
     « Salut, roi des Juifs. »
19 Ils lui frappaient la tête avec un roseau, crachaient sur lui,
     et s'agenouillaient pour lui rendre hommage.
20 Quand ils se furent bien moqués de lui,
     ils lui enlevèrent le manteau de pourpre, et lui remirent ses vêtements.
     Puis, de là, ils l'emmenèrent pour le crucifier,
21 et ils réquisitionnent, pour porter sa croix,
     un passant, Simon de Cyrène, le père d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs.
22 Et ils amènent Jésus au lieu dit Golgotha, ce qui se traduit Lieu-du-Crâne (ou Calvaire).
23 Ils lui donnaient du vin aromatisé de myrrhe ; mais il n'en prit pas.
24 Alors ils le crucifient, puis se partagent ses vêtements, en tirant au sort pour savoir la part de chacun.
25 C’était la troisième heure (c’est-à-dire neuf heures du matin) lorsqu'on le crucifia.
26 L'inscription indiquant le motif de sa condamnation portait ces mots :
     « Le roi des Juifs ».
39 Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, s'écria :
     « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu !»
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LA SOLITUDE DE JÉSUS ET SON SILENCE

Tout d'abord, on notera deux particularités de la Passion chez Marc : la solitude de Jésus et son silence.

La solitude de Jésus : dans la Passion selon saint Marc, Jésus est particulièrement seul ; après le reniement de Pierre, Marc ne note plus aucune présence amicale à ses côtés ; les femmes sont citées, mais seulement après sa mort.

Quant à son silence, il est impressionnant : quelques mots seulement au procès, et ensuite, note Marc, « Jésus ne répondit plus rien ». Et Pilate lui-même s’en étonne : « Pilate l’interrogeait de nouveau : Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate était étonné. » (Mc 15,4-5).

Puis, sur la croix une seule parole : « Eloï, Eloï, lama sabactani ? » Interprétés par un soldat romain, ces mots sonnent comme un cri de désespoir ; mais un Juif ne s’y serait pas trompé : ce sont les premiers d’un chant de victoire ; puisque, nous l’avons vu en étudiant le psaume 21/22, celui-ci n’est aucunement un cri de désespoir, ni même de doute !

Devant cette solitude et ce silence de Jésus, on se demande forcément « quel est son secret ? ». Il passe en peu de temps de la popularité à la déchéance, de l’entrée royale dans la ville à l’exclusion et l’exécution hors de la ville, de la reconnaissance comme envoyé de Dieu (« Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ») à la condamnation pour blasphème et à l’exécution au nom de la Loi, ce qui signifiait aux yeux de tous qu’il était maudit de Dieu. Reconnu comme le Messie, c’est-à-dire le roi d’Israël, le libérateur, le sauveur par ses disciples et toute une foule enthousiaste, il est liquidé rapidement après un procès monté de toutes pièces.

Il s’est laissé faire dans le triomphe, il se laisse faire plus encore dans la persécution. Ce faisant, il garde encore le secret qu’il a gardé toute sa vie ; c’est seulement après sa Résurrection que ses disciples pourront enfin comprendre.

Il semble bien que cette sobriété du récit de Marc vise à faire ressortir deux aspects du mystère de Jésus : Messie-Roi et Messie-Prêtre.  

LE MESSIE-ROI QU’ON ATTENDAIT

Messie-Roi : que ce soit sous forme de question, de dérision, d’affirmation, la royauté du Christ est bien au centre du récit. La première question que Pilate pose à cet homme qu’on lui amène, ligoté, c’est « Es-tu le roi des Juifs ? » Il n’obtient qu’une réponse sibylline « C’est toi qui le dis » (15,2). Dans la suite, Pilate donne deux fois ce titre à Jésus « Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » (v. 9) et « Que ferai-je donc de celui que vous appelez le roi des Juifs ? » (v. 12). Et, curieusement, personne ne dira le contraire ! Suit la parodie des soldats, le manteau, la couronne et les acclamations « Salut, roi des Juifs ! » (15,18). Et puis, cet écriteau en haut de la croix, mal intentionné peut-être, mais qui annonce quand même à tous les passants « celui-ci est le roi des Juifs » (15,26). Même les grands prêtres et les scribes en se moquant lui donnent ce titre : « Il en a sauvé d’autres, et il n’est pas capable de se sauver lui-même ! Le Messie, le roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix. » (15,32).

LE MESSIE-PRÊTRE QU’ON ATTENDAIT

Deuxième aspect du mystère de Jésus mis en lumière par le récit de Marc, il est le Messie-Prêtre : il y avait des grands prêtres en exercice et ce sont eux qui ont joué le premier rôle dans la condamnation et la mort de Jésus. Ce sont eux qui amènent Jésus chez Pilate et qui veillent au bon déroulement des opérations : « Dès le matin, les grands prêtres tinrent conseil avec les Anciens, les scribes et le Sanhédrin tout entier. Ils lièrent Jésus, l’emmenèrent et le livrèrent à Pilate. »

Un peu plus tard, ce sont eux qui excitent la foule pour qu’elle réclame la libération de Barabbas : « Les chefs des prêtres soulevèrent la foule pour qu’il leur libérât plutôt Barabbas. » (Mc 15,11). Pilate lui-même n’est pas dupe, puisque Marc précise : « Pilate voyait bien que les grands prêtres l’avaient livré par jalousie. » (Mc 15,10). Une jalousie justifiée, si l’on veut bien admettre que, de bonne foi, ils se sont inquiétés du succès de Jésus, qui, à leurs yeux, entraînait le peuple vers de fausses espérances.

Mais le vrai prêtre, le Messie-prêtre qu’on attendait, c’est lui. Car Marc est le seul avec Jean à parler de pourpre pour le vêtement remis à Jésus pour se moquer de lui. Or la pourpre était la couleur des vêtements des rois et des grands prêtres. Suprême dérision : ceux qui portaient cette pourpre passeront à côté de la vérité. C’est d’un païen que vient la première profession de foi : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 24 03 2024 dimanche des Rameaux B

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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 23:21
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU PROPHÈTE JÉRÉMIE 31, 31-34

31 Voici venir des jours - oracle du SEIGNEUR -,
     où je conclurai avec la maison d'Israël et avec la maison de Juda
     une Alliance nouvelle.
32 Ce ne sera pas comme l'Alliance
     que j'ai conclue avec leurs pères,
     le jour où je les ai pris par la main
     pour les faire sortir du pays d'Égypte :
     mon Alliance, c'est eux qui l'ont rompue,
     alors que moi, j’étais leur maître
     - oracle du SEIGNEUR.
33 Mais voici quelle sera l'Alliance
     que je conclurai avec la maison d'Israël
     quand ces jours-là seront passés,
     - oracle du SEIGNEUR.
     Je mettrai ma Loi au plus profond d'eux-mêmes ;
     je l'inscrirai dans leur cœur.
     Je serai leur Dieu,
     et ils seront mon peuple.
34 Ils n'auront plus à instruire chacun son compagnon,
     ni chacun son frère en disant :
     « Apprends à connaître le SEIGNEUR ! »
     Car tous me connaîtront,
     des plus petits jusqu'aux plus grands
     - oracle du SEIGNEUR.
     Je pardonnerai leurs fautes,
     je ne me rappellerai plus leurs péchés.
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UNE ALLIANCE NOUVELLE

« Voici venir des jours... » : toute la Bible est tendue vers l’avenir, avec cette certitude inébranlable que les Jours promis par Dieu viendront. La caractéristique des prophètes, c’est de savoir regarder avant tout le monde l’éclosion des bourgeons. « Voici venir des jours où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle » : nous rencontrons le mot Alliance à chaque pas dans la Bible ; c’est la grande particularité de la foi juive puis chrétienne ! La conviction que Dieu a choisi de se révéler aux hommes par l’intermédiaire d’un peuple qui a la vocation d’être son témoin au milieu des nations. À ce peuple il a proposé son Alliance.

Au long des siècles, nos frères juifs ont médité cette proposition inouïe du Dieu Tout-Puissant ; il s’agit bien d’une « proposition » de Dieu ; car c’est toujours Dieu qui prend l’initiative : « Voici venir des jours, déclare le SEIGNEUR, où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle ».

Hélas, Jérémie est bien obligé de faire un constat d’échec : au long des siècles de l’histoire d’Israël, la proposition a été sans cesse renouvelée de la part de Dieu, et trop souvent mal vécue de la part de l’homme. Mais si l’homme est infidèle, Dieu, lui, ne se lasse pas : « Je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle ».

Cette expression « Alliance Nouvelle » ne signifie pas que Dieu aurait changé d’avis ; comme s’il y avait eu une première Alliance, puis une deuxième différente... Ce ne sera pas une Alliance différente, mais une nouvelle étape de la même Alliance.

« Ce ne sera pas comme l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte » : pour être fidèle à l’Alliance, c’était bien simple, le chemin était tout tracé, il suffisait de respecter la Loi. Mais, à chaque époque, les prophètes ont dû ouvrir les yeux du peuple élu sur ses manquements à la Loi ; cette fois, la Nouvelle Alliance sera sans faille du côté de l’homme.

Au passage, vous avez noté l’expression « la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda » : c’est une annonce de réunification du peuple en un seul royaume. Quand le peuple a été divisé en deux, après la mort du roi Salomon, il y avait le royaume de Juda au Sud, et le royaume d’Israël au Nord. Ici l’expression « Je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle » signifie que la promesse de Dieu est valable pour le peuple tout entier, malgré les vicissitudes de l’histoire.

« Mon Alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’avais des droits sur eux. » Dieu a fait ses preuves, si l’on peut dire, en libérant son peuple de l’esclavage en Égypte ; et l’Alliance entre Dieu et Israël est fondée sur cette expérience ; quand Dieu propose son Alliance à Moïse, Il l’envoie dire au peuple : « Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait (à l’Égypte), comment je vous ai pris sur des ailes d’aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. Et maintenant, si vous entendez ma voix et gardez mon Alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples - puisque c’est à moi qu’appartient toute la terre - et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte. » Et alors le peuple a pris un engagement solennel : « Tout ce que le SEIGNEUR a dit (c’est-à-dire la Loi), nous le mettrons en pratique ». Et donc, tout manquement à la loi est une rupture de l’Alliance.

« Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la Maison d’Israël quand ces jours-là seront passés, déclare le SEIGNEUR ». « Ces jours-là », ce sont les jours de l’infidélité du peuple : autrement dit, une nouvelle étape commence ; « Alliance Nouvelle » ne signifie pas « Alliance Autre, différente », mais « Alliance vécue autrement ». Et Dieu continue : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes, je l’inscrirai dans leur cœur ». Au Sinaï, Dieu avait inscrit sa Loi sur des tables de pierre ; désormais cette Loi sera inscrite dans le cœur même de l’homme : tant que la Loi n’est inscrite que sur des tables de pierre ou dans des livres, elle peut bien rester lettre morte ; toutes les promesses de conversion les plus sincères (et il y en a eu de nombreuses dans l’histoire d’Israël comme dans chacune de nos vies !) ont toujours été suivies de rechutes.

Pour que la Loi de Dieu devienne intérieure à l’homme, comme une seconde nature, c’est le cœur même de l’homme qu’il faut changer !

ILS ME CONNAÎTRONT

« Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » : cette appartenance réciproque était le programme, on pourrait dire la devise de l’Alliance. Une appartenance réelle qui s’exprime par le mot « connaître » : dans la Bible, le mot « connaître » n’est pas de l’ordre de l’intelligence ; il s’agit d’une relation d’intimité : on dit que l’époux « connaît son épouse », et l’épouse « connaît » son époux. Et l’Ancien Testament n’hésite pas à employer des mots du langage de l’intimité et de l’amour pour qualifier les relations entre Dieu et son peuple. « Tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands... » Et parce que tous connaîtront Dieu tel qu’Il est, c’est-à-dire le Dieu d’amour, ils pratiqueront de bon cœur la Loi donnée par Dieu pour leur bonheur.

Cette expression « Alliance Nouvelle » ne se trouve qu’une seule fois dans l’Ancien Testament, ici, chez Jérémie ; mais d’autres prophètes rediront cette même espérance, Ézéchiel par exemple : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes. » (Ez 36,26-27).

« Voici venir des jours... », disait Jérémie ; avec Jésus, ces jours sont venus ; en instituant l’Eucharistie, Jésus a fait expressément allusion à la prophétie de Jérémie : « Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous. » (Luc 22,20). Il veut dire par là qu’en se donnant à nous, il vient transformer définitivement nos cœurs de pierre en cœurs de chair.
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Compléments

- C'est beau la foi ! Et les prophètes, comme chacun sait, n'en manquent pas. Quand tout va mal, ils ne disent pas « tout est perdu », au contraire, ils trouvent justement de nouvelles raisons d'espérer ! C'est exactement ce qui se passe ici dans ce texte de Jérémie ; il fait un constat d'échec : le peuple de Dieu, c'est-à-dire lié à Dieu par une Alliance en principe irrévocable de part et d'autre, ne se conduit pas du tout comme il devrait, comme le peuple de Dieu. Cela, c'est le constat d'échec. Mais au lieu de s'en désespérer, Jérémie en déduit que Dieu trouvera bien le moyen de changer le cœur de l'homme.

- Nous rencontrons le mot Alliance à chaque pas dans la Bible ; à tel point que c’est le titre même de la Bible. Quand nous disons « Ancien Testament », en fait, nous devrions traduire « Ancienne Alliance » et « Nouveau Testament », « Nouvelle Alliance » : parce que le mot grec qui veut dire « Alliance » a été traduit en latin par « Testamentum », ce qui est devenu en français « Testament ». Malheureusement, aujourd’hui, quand nous entendons « Testament » en français, nous pensons acte chez le notaire pour régler la dévolution des biens, ce qui, évidemment, n’a rien à voir avec notre sujet.
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PSAUME  50 (51), 3-4, 12-13, 14-15

3          Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
            selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4          Lave-moi tout entier de ma faute,
            purifie-moi de mon offense.

12        Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
            renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13        Ne me chasse pas loin de ta face,
            ne me reprends pas ton esprit saint.

14        Rends-moi la joie d'être sauvé ;
            que l'esprit généreux me soutienne.
15        Aux pécheurs j'enseignerai tes chemins,
            vers toi reviendront les égarés.
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QUAND ISRAËL RÉFLÉCHIT SUR SON HISTOIRE

La dernière phrase de Jérémie, dans la première lecture de ce dimanche, était : « Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés » ; cette promesse-là, le peuple d’Israël l’a bien entendue et sa réponse, c’est ce magnifique psaume 50/51, dont nous ne nous lisons malheureusement que quelques versets aujourd’hui ; mais ils sont déjà très riches. Celui qui parle ici, qui dit « Pitié pour moi... mon Dieu... efface mon péché », c’est le peuple juif, au Temple de Jérusalem, après l’Exil à Babylone. Ce psaume a été composé pour être chanté dans des célébrations pénitentielles. Parce qu’il est écrit à la première personne du singulier, on pourrait croire que c’est un individu, un pécheur qui parle : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché ». Mais ce « MOI » est collectif. C’est en réalité le peuple d’Israël tout entier ; ce peuple qui a connu l’horreur de la défaite, la destruction du Temple de Jérusalem, et qui, en Exil, a eu tout loisir de méditer sur son histoire : l’Alliance sans cesse proposée par Dieu et les infidélités répétées du peuple. Il peut dire d’expérience la « grande miséricorde » de Dieu.

« Ton amour, ta miséricorde » « mon Dieu » : on a un écho ici de toutes les formules habituelles de l’Alliance conclue au Sinaï : c’est là que Dieu lui-même s’est révélé à Moïse comme « le SEIGNEUR Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste fidèle à des milliers de générations... » (Ex 34,6). C’est là aussi que Dieu s’est engagé à accompagner son peuple tout au long de son histoire : « Je marcherai au milieu de vous, je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » (Lv 26,12). Et puisque Dieu est fidèle, on finira par en déduire qu’il ne peut que pardonner inlassablement à son peuple ; la majorité des paroles des prophètes redit cette certitude, par exemple Isaïe :

« Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant, ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui se surpasse pour pardonner. » (Is 55,7). Ou encore, dans un texte où c’est Dieu lui-même qui parle : « J’ai effacé comme un nuage tes révoltes, comme une nuée, tes fautes ; reviens à moi, car je t’ai racheté » (Is 44,22).

Sans oublier cette autre phrase soufflée par Dieu à Isaïe : « Avec tes fautes, c’est toi qui m’as réduit en servitude ; avec tes perversités, c’est toi qui m’as fatigué ; moi, cependant, moi je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire » (Is 43,24-25).

LE PÉCHÉ LE PLUS GRAVE

Quand les prophètes parlent du péché d’Israël, il ne faut pas se tromper : il s’agit d’abord de l’unique péché qui est la source de tous les autres, l’idolâtrie ; c’est ce que les prophètes appellent « l’adultère d’Israël » ; c’est-à-dire chaque fois que l’on cherche ailleurs qu’auprès de Dieu et de sa Parole la source de notre bonheur ; nous évoquions dimanche dernier cette parole de Jérémie : « Ils m’abandonnent, moi, la source d’eau vive, dit Dieu, pour se creuser des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau. » (Jr 2,13). On voit alors ce que veut dire le mot « purifier » dans ce psaume : « Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense » ; spontanément, nous imaginons la pureté comme une sorte de blancheur ; mais toute la pédagogie biblique va nous faire découvrir qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus profond : il s’agit de retourner à la source d’eau vive, de s’y plonger, pour être renouvelés de fond en comble. Voici Ézéchiel, par exemple : « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. » (Ez 36,25). Ici on voit bien que le mot « impuretés » signifie « idoles » : c’est-à-dire tout ce qui nous occupe trop l’esprit ou le cœur au point de nous détourner de l’unique source du bonheur, qui est la vie dans l’Alliance avec Dieu et les autres.

Il nous faut apprendre à croire que Dieu ne déplore nos fautes que parce qu’elles font notre malheur et celui des autres ; comme dit Jérémie « Est-ce bien moi qu’ils offensent ? dit Dieu ; n’est-ce pas plutôt eux-mêmes ? » (Jr 7,19). Mais pour que nous ne fassions plus notre propre malheur, il faut que Dieu nous transforme, il faut que lui-même renouvelle encore et encore l’Alliance à laquelle nous avons tant de mal à être fidèles. Et c’est bien ce qu’on demande à Dieu dans ce psaume, on lui demande d’agir lui-même : « Efface mon péché »... « Lave-moi »... « Purifie-moi »... « Crée en moi un cœur pur »... « Renouvelle et raffermis mon esprit »... » Rends-moi la joie d’être sauvé »... Le croyant reconnaît que seule l’œuvre de Dieu peut accomplir ce renouvellement du cœur de l’homme.

On entend résonner ici l’écho de la superbe annonce de Jérémie dans notre première lecture : « Voici venir des jours où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle »... » Je mettrai ma loi au plus profond d’eux-mêmes, je l’inscrirai dans leur cœur. Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » (Jr 31,31... 33) ; et en écho, Ézéchiel : « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit... » (Ez 36,25-27 ; Ez 11,19-20). Et alors, comme dit Jérémie, dans cette même promesse de l’Alliance Nouvelle, « Tous, des plus petits jusqu’aux plus grands, connaîtront Dieu tel qu’il est », c’est-à-dire le Dieu d’amour et de miséricorde. Et ils déborderont de joie et de reconnaissance ; c’est bien ce que dit le dernier verset : « Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins, vers toi reviendront les égarés » : la découverte du vrai visage de Dieu rend inévitablement missionnaire !
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LECTURE DE LA LETTRE AUX HÉBREUX 5, 7-9

     Le Christ,
7   pendant les jours de sa vie dans la chair,
     offrit, avec un grand cri et dans les larmes,
     des prières et des supplications
     à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ;
     et il fut exaucé
     en raison de son grand respect.
8   Bien qu'il soit le Fils,
     il apprit par ses souffrances l'obéissance
9   et, conduit à sa perfection,
     il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent
     la cause du salut éternel.
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La lettre aux Hébreux s’adresse à des chrétiens d’origine juive. L’auteur cherche à éclairer leur foi chrétienne toute neuve à partir de leur foi juive et de leur connaissance de l’Ancien Testament. Son objectif est de montrer que l’histoire humaine a franchi avec le Christ une étape décisive : il y avait eu le régime de l’Ancienne Alliance, désormais il y a l’Alliance Nouvelle, annoncée par Jérémie ; cette Alliance Nouvelle est réalisée dans la personne même du Christ. Parce qu’il est à la fois Dieu et homme, pleinement Dieu et pleinement homme, il est l’Homme-Dieu, celui qui unit intimement, irrévocablement Dieu et l’humanité jusque dans sa personne même. Et c’est ainsi que s’accomplit la prophétie de Jérémie « Voici venir des jours où je conclurai avec la Maison d’Israël et avec la Maison de Juda une Alliance Nouvelle ».

Donc très normalement, l’auteur insiste à la fois sur l’humanité et sur la divinité du Christ ; pleinement homme, il est mortel, il connaît la souffrance et l’angoisse devant la mort : « Pendant les jours de sa vie mortelle, le Christ a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort... »

L’expression « Pendant les jours de sa vie mortelle » dit bien qu’il est homme, mortel. Devant la perspective de la persécution, de la Passion, il a prié et supplié Dieu qui pouvait le sauver de la mort. Jusque-là, nous comprenons ; mais l’auteur ajoute « il a été exaucé » ; affirmation plutôt surprenante ! Car, en définitive, malgré sa prière et sa supplication, il est mort... Donc on peut se demander en quoi il a été exaucé...

Il faut croire que sa prière ne signifiait pas ce que nous imaginons à première vue. Je m’arrête un peu là-dessus : ici, visiblement, l’auteur fait allusion à Gethsémani : le grand cri et les larmes du Christ, sa prière et sa supplication disent son angoisse devant la mort et son désir d’y échapper.

Cet épisode de Gethsémani est rapporté par les trois évangiles synoptiques à peu près dans les mêmes termes ; les trois évangélistes notent la tristesse et l’angoisse du Christ, en même temps que sa détermination. Saint Luc dit « Jésus priait, disant : Père, si tu veux, éloigne cette coupe loin de moi ! Cependant, que ta volonté soit faite, et non la mienne ! » (Lc 22,42). Que Jésus ait désiré échapper à la mort, c’est clair ; et il a dit à son Père ce désir ; mais sa prière ne s’arrête pas là ; sa prière, justement, c’est « Que ta volonté soit faite... et non la mienne ». Dans sa prière, le Christ fait passer le désir de son Père avant le sien propre. Voilà déjà une formidable leçon pour nous !

Le Christ a cette confiance absolue dans son Père : ce que l’auteur de la lettre aux Hébreux traduit par : « Il s’est soumis en tout ». Le mot « soumission » ou « obéissance » dans la Bible, signifie justement cette confiance totale ; parce qu’il sait que la volonté de Dieu n’est que bonne. Dans la prière qu’il nous a enseignée, s’il nous invite à répéter après lui « Que ta volonté soit faite », c’est pour que nous apprenions à souhaiter la réalisation du projet de Dieu parce que Dieu n’a pas d’autre projet que notre bonheur ! Comme dit saint Paul dans sa première lettre à Timothée : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2,4).

Cette prière du Christ a été doublement exaucée : parce que le salut du monde a été accompli et parce qu’il est ressuscité. En ce sens-là, il a été « sauvé de la mort ». 

L’auteur n’hésite pas non plus à dire que Jésus a aussi, comme tout homme, connu un apprentissage : « Il a appris l’obéissance par les souffrances de sa passion ». Ce mot d’apprentissage signifie qu’il a eu, comme tout homme, un chemin à parcourir : celui de la souffrance et de l’angoisse devant la mort ; et là, l’humanité connaît deux attitudes, la peur de Dieu ou la confiance en Dieu. Et parce qu’il n’a pas quitté la confiance dans le Dieu de la vie, son chemin l’a conduit à la résurrection. On ne peut pas ne pas penser ici à l’épisode de Césarée ; quand Jésus avait commencé à prévenir ses apôtres de ce qu’il lui faudrait affronter, Pierre s’était insurgé : « Jésus-Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des Anciens, des grands-prêtres et des scribes, être mis à mort, et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander en disant : Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera pas ! Mais lui, se retournant, dit à Pierre : Retire-toi ! Derrière moi, Satan ! Tu es pour moi occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Mt 16,21-23 ; Mc 8,31-33). À Gethsémani, Jésus a résolument fait passer les vues de Dieu avant les siennes.

« Et ainsi, continue le texte, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel ». Le « salut », c’est précisément connaître Dieu tel qu’il est, le Dieu dont l’amour nous fait vivre. « Obéir » au Christ, c’est, à notre tour, lorsque nous traversons la souffrance, lui faire confiance, suivre son exemple, et donc faire confiance à la volonté du Père. À ses disciples, Jésus a donné son secret : « Veillez et priez afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation ». (Mc 14,38). Il ne s’agit pas de je ne sais quelle arithmétique du genre « si vous priez bien, Dieu vous évitera la tentation »... Il s’agit de la grande réalité de la prière : prier, c’est rester en contact avec Dieu, lui faire confiance ; c’est tout le contraire de la tentation, celle à laquelle pense Jésus : la tentation de soupçonner les intentions de Dieu, de penser qu’il nous veut du mal et donc de nous révolter. Suivre l’exemple du Christ, semble-t-il, c’est premièrement, oser dire à Dieu notre désir, et deuxièmement, lui faire assez confiance pour ajouter aussitôt « Cependant, que ta volonté soit faite, et non la mienne ! »
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Compléments

- Le mot « perfection » (verset 9) ici a également un autre sens : il s’agit de la « consécration » du grand prêtre ; l’objectif majeur de la Lettre aux Hébreux étant de démontrer que le Christ est vraiment le grand prêtre de la Nouvelle Alliance.

- Les psychologues qui analysent notre comportement religieux comptent trois étapes dans la croissance spirituelle : première étape, celle de l’enfant, qui ne connaît que son désir ; il tape des pieds en disant « Que ma volonté se fasse ». Deuxième étape, lorsque nous avons pris conscience de notre impuissance à combler par nous-mêmes tous nos désirs, alors on prie Dieu pour qu’il nous y aide : la prière devient « Que ma volonté se fasse avec ton aide ». (Il me semble qu’un certain nombre de nos prières ressemblent à celle-là...) Troisième étape, celle de la foi, c’est-à-dire de la confiance absolue dans le projet de Dieu : « Que ta volonté se fasse et non la mienne ».
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 12, 20-33

     En ce temps-là,
20 Il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem
     pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
21 Ils abordèrent Philippe,
     qui était de Bethsaïde en Galilée,
     et lui firent cette demande :
     « Nous voudrions voir Jésus. »
22 Philippe va le dire à André ;
     et tous deux vont le dire à Jésus.
23 Alors Jésus leur déclare :
     « L’heure est venue où le Fils de l’homme
     doit être glorifié.
24 Amen, amen, je vous le dis :
     si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,
     il reste seul ;
     mais s’il meurt,
     il porte beaucoup de fruit.
25 Qui aime sa vie la perd ;
     Qui s’en détache en ce monde
     la gardera pour la vie éternelle.
26 Si quelqu’un veut me servir,
     qu’il me suive ;
     et là où moi je suis,
     là aussi sera mon serviteur.
     Si quelqu’un me sert,
     mon Père l’honorera.
27 Maintenant, mon âme est bouleversée.
     Que vais-je dire ?
     « Père, sauve-moi de cette heure » ?
     -Mais non ! C’est pour cela
     que je suis parvenu à cette heure-ci !
28 Père, glorifie ton nom ! »
     Alors, du ciel vint une voix qui disait :
     « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
29 En l’entendant, la foule qui se tenait là
     disait que c’était un coup de tonnerre.
     D’autres disaient :
     « C’est un ange qui lui a parlé. »
30 Mais Jésus leur répondit :
     « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix,
     mais pour vous.
31 Maintenant a lieu le jugement de ce monde ;
     maintenant le prince de ce monde
     va être jeté dehors ;
32 et moi, quand j’aurai été élevé de terre,
     j’attirerai à moi tous les hommes. »
33  Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
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L’HEURE DE LA RÉVÉLATION

Nous sommes dans les derniers jours avant la fête de la Pâque à Jérusalem ; il y a de quoi inquiéter les autorités : Jésus a fait ces jours-ci une entrée triomphale dans la ville, le peuple a crié « Hosanna » sur son passage, comme on faisait dans les grandes cérémonies pour acclamer la promesse du Messie ; c’est sûr, la foule le prend pour le Messie. Et saint Jean raconte que les Pharisiens se sont dit les uns aux autres « Vous le voyez, vous n’arriverez à rien : voilà que le monde se met à sa suite. »

Et, comme pour leur donner raison, des Grecs (c’est-à-dire des Juifs de la Diaspora) se présentent juste à ce moment-là et s’adressent à ses disciples : « Nous voudrions voir Jésus » ; pas seulement l’apercevoir, mais le rencontrer, lui parler. Ils sont « montés à Jérusalem », comme on dit, et ils y sont venus en pèlerins pour « adorer Dieu durant la Pâque » ; en même temps ils souhaitent approcher Jésus ; ils ne savent pas à quel point ils ont raison : c’est en rencontrant Jésus, qu’ils accompliront leur meilleure démarche d’adoration de Dieu. Mais, bien sûr, ils ne le savent pas encore. Jésus, lui, fait le rapprochement : ses disciples viennent lui dire que des Grecs souhaitent le voir ; et il répond « L’Heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié », c’est-à-dire révélé comme Dieu.

Le mot « glorifier » revient plusieurs fois dans ce texte ; mot difficile pour nous, parce que, dans notre langage courant, la gloire évoque quelque chose qui n’a rien à voir avec Dieu. Pour nous, la gloire, c’est le prestige, l’auréole qui entoure une vedette, sa célébrité, l’importance que les autres lui reconnaissent. Dans la Bible, la gloire de Dieu, c’est sa Présence. Une Présence rayonnante comme le feu du Buisson Ardent où Dieu s’est révélé à Moïse (Ex 3). Et alors le mot « glorifier » veut dire tout simplement « révéler la présence de Dieu ». Quand Jésus dit « Père, glorifie ton nom », on peut traduire « Fais-toi connaître, révèle-toi tel que tu es, révèle-toi comme le Père très aimant qui a conclu avec l’humanité une Alliance d’amour ». Parce que c’est cela, finalement, le salut, le bonheur de l’homme, et il nous a appris que c’est la première chose à demander dans la prière : « Que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite », en d’autres termes, « que tu sois reconnu comme le Dieu d’amour et que vienne ton règne d’amour »... Jésus s’est incarné pour cela : quelques jours plus tard, au cours de son interrogatoire par Pilate, il dira « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37).

LE PRINCE DE CE MONDE VA ÊTRE JETÉ DEHORS 

Pour aller jusqu’au bout de cette révélation, Jésus a accepté de subir la Passion et la croix : au moment d’aborder cette Heure décisive, l’évangile que nous lisons aujourd’hui nous dit bien les sentiments qui habitent Jésus : l’angoisse, la confiance, la certitude de la victoire.

L’angoisse : « Maintenant, je suis bouleversé », « Dirai-je Père, délivre-moi de cette heure ? » On a là chez saint Jean, l’écho de Gethsémani : le même aveu de souffrance du Christ, son désir d’échapper à la mort « Père, si tu veux, éloigne cette coupe loin de moi ! »  L’angoisse, oui, mais aussi la confiance : « Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! » et aussi cette certitude que « si le grain de blé meurt, il portera du fruit », au sens où de sa mort, un peuple nouveau va naître. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruits ». À l’heure extrême où il est bouleversé, où il aborde la Passion « avec un grand cri et dans les larmes » (comme dit la lettre aux Hébreux), Jésus peut continuer à dire « que ta volonté soit faite » en toute confiance : il sait que, de cette mort, Dieu fera surgir la vie pour tous. Angoisse, confiance, et pour finir, la certitude de la victoire « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi »... » Le prince de ce monde va être jeté dehors ». Dans ces deux phrases apparemment dissemblables, c’est de la même victoire qu’il s’agit : celle de la vérité, celle de la révélation de Dieu. Le prince de ce monde, justement, c’est celui qui, depuis le jardin de la Genèse, nous bourre la tête d’idées fausses sur Dieu. Au contraire, en contemplant la croix du Christ, qui nous dit jusqu’où va l’amour de Dieu pour l’humanité, nous ne pouvons qu’être attirés par lui. La voilà la preuve de l’amour de Dieu : le Fils accepte de mourir de la main des hommes, le Père exauce sa prière « Père, pardonne-leur... » Désormais, en levant les yeux vers la croix, nous y lisons non un instrument de haine et de douleur, mais l’instrument du triomphe de l’amour. Il était venu pour rendre témoignage à la vérité, l’Heure est venue, la mission est accomplie.

Quand Jésus a prié « Père, glorifie ton nom », saint Jean nous dit qu’une voix vint du ciel qui disait : « Je l’ai glorifié (mon Nom) et je le glorifierai encore ». « J’ai glorifié mon Nom », c’est-à-dire je me suis révélé tel que je suis ; « et je le glorifierai encore », cela veut dire maintenant l’Heure est venue où en regardant le crucifié, vous découvrirez jusqu’où va l’amour insondable de la Trinité. Et toute cette pédagogie de révélation n’a qu’un seul but : que l’humanité entende enfin la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu : « C’est pour vous, dit Jésus, que cette voix s’est fait entendre. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 17 03 2024 5e dimanche de Carême B

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4 mars 2024 1 04 /03 /mars /2024 21:22
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU DEUXIÈME LIVRE DES CHRONIQUES 36,14-16.19-23

     Sous le règne de Sédécias,
14 tous les chefs des prêtres et le peuple
     multipliaient les infidélités,
     en imitant toutes les abominations des nations païennes,
     et ils profanaient la Maison que le SEIGNEUR avait consacrée à Jérusalem.
15 Le Dieu de leurs pères,
     sans attendre et sans se lasser,
     leur envoyait des messagers,
     car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure.
16 Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu,
     méprisaient ses paroles,
     et se moquaient de ses prophètes ;
     finalement, il n'y eut plus de remède
     à la fureur grandissante du SEIGNEUR contre son peuple.
19 Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu,
     détruisirent le rempart de Jérusalem,
     incendièrent tous ses palais,
     et réduisirent à rien tous leurs objets précieux.
20 Nabuchodonosor déporta à Babylone
     ceux qui avaient échappé au massacre ;
     ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils
     jusqu'au temps de la domination des Perses.
21 Ainsi s'accomplit la parole du SEIGNEUR
     proclamée par Jérémie :
     « La terre sera dévastée et elle se reposera
     durant soixante-dix ans,
     jusqu'à ce qu'elle ait compensé par ce repos
     tous les sabbats profanés. »
22 Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse,
     pour que soit accomplie la parole du SEIGNEUR proclamée par Jérémie,
     le SEIGNEUR inspira Cyrus, roi de Perse.
     Et celui-ci fit publier dans tout son royaume,
     - et même consigner par écrit- :
23 « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse :
     Le SEIGNEUR, le Dieu du ciel,
     m'a donné tous les royaumes de la terre ;
     et il m'a chargé de lui bâtir une Maison
     à Jérusalem, en Juda.
     Quiconque parmi vous fait partie de son peuple,
     que le SEIGNEUR son Dieu soit avec lui,
     et qu'il monte à Jérusalem ! »
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ENTÊTEMENT DES HOMMES ET PATIENCE DE DIEU

Dès 598, le roi de Babylone, Nabuchodonosor est le maître à Jérusalem ; il pille et saccage le Temple ; il nomme et destitue les rois ; et pour mater les mauvaises volontés, il opère déjà une déportation massive ; le deuxième livre des Rois (chapitre 24) raconte qu’il déporta tout Jérusalem, tous les chefs, tous les gens riches, soit dix mille déportés, tous les artisans du métal, les serruriers, et bien sûr, les militaires, si bien qu’il ne resta que les petites gens du pays.

Il met en place à Jérusalem le roi Sédécias qui régnera de 598 à 587 av.J.C. Mais Sédécias n’est pas plus docile que les autres, ni à Dieu, ni à ses prophètes, ni au souverain du moment, Nabuchodonosor. En 587, celui-ci fait pour la deuxième fois le siège de Jérusalem et écrase la révolte de Sédécias. Le siège dura plus de dix-huit mois et acheva la destruction de Jérusalem. La presque totalité du peuple fut déportée. Généralement, c’est à partir de 587 que l’on décompte la durée de l’Exil à Babylone. Un Exil qui durera jusqu’à ce que Nabuchodonosor soit à son tour écrasé par la nouvelle puissance montante au Moyen-Orient, l’Iran qu’on appelle encore la Perse, à l’époque.

La politique de Cyrus, roi de Perse, va faire l’affaire des habitants de Jérusalem : systématiquement, il renvoie dans leur pays d’origine toutes les populations déplacées ; la population juive en bénéficie tout comme les autres. C’est tellement inespéré qu’on verra là la main de Dieu !

« La première année de Cyrus, roi de Perse, pour que soit accomplie la parole proclamée par Jérémie, le SEIGNEUR inspira Cyrus, roi de Perse. Et celui-ci fit publier dans tout son royaume, et même consigner par écrit : Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : Le SEIGNEUR, le Dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre ; et il m’a chargé de lui bâtir un temple à Jérusalem, en Judée. Tous ceux qui font partie de son peuple, que le SEIGNEUR leur Dieu soit avec eux, et qu’ils montent à Jérusalem ! »

Mais qu’avait donc dit Jérémie ? Il avait tout simplement joué son rôle de prophète : rappelant sans cesse la loi de Dieu et menaçant le peuple des pires châtiments, s’il ne se convertissait pas ! À son grand désespoir, les événements lui avaient donné raison.

Pour l’auteur des Chroniques, tout cela est clair : Dieu a patienté, patienté ; il a mis son peuple en garde, comme on avertit quelqu’un au bord du précipice ; mais ni le peuple ni le roi n’ont rien voulu entendre : « Tous les chefs des prêtres et le peuple multipliaient les infidélités, en imitant toutes les pratiques sacrilèges et ils profanaient le Temple de Jérusalem consacré par le SEIGNEUR ».

En lisant Jérémie, on s’aperçoit que le reproche le plus grave qu’il adresse à son peuple, c’est d’avoir complètement défiguré la religion de l’Alliance : non seulement, on ne respecte plus le sabbat, mais surtout on retombe dans l’idolâtrie, et dans ce qu’elle a de pire à l’époque, les sacrifices humains. Les commandements envers Dieu sont abandonnés... les commandements envers les autres sont abandonnés.

Dieu, lui, n’oubliait pas son Alliance : il était toujours « Le Dieu de leurs pères » : depuis le temps des patriarches, Abraham, Isaac, Jacob... « Sans attendre et sans se lasser, il envoyait ses messagers » ; ce n’est pas pour défendre ses propres intérêts que Dieu rappelle sans cesse les commandements, par l’intermédiaire de ses prophètes ; Jérémie a cette parole extraordinaire : « Est-ce bien moi qu’ils offensent ? dit Dieu ; n’est-ce pas plutôt eux-mêmes ? Et ils devraient en rougir. » (Jr 7,19). Ce qu’il veut dire par là, c’est que le peuple libéré par Dieu se fait lui-même esclave de faux dieux et retombe dans des pratiques indignes d’hommes libres. « Ils m’abandonnent, moi, la source d’eau vive, dit Dieu, pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau » (Jr 2,13).

QUAND LES HOMMES FONT LEUR PROPRE MALHEUR

Mais on sait comment ils ont traité les prophètes. « Ils tournaient en dérision les envoyés de Dieu, méprisaient ses paroles et se moquaient de ses prophètes. » Alors est arrivé ce qui devait arriver : le Dieu fidèle à sa Parole avait promis le bonheur si on obéissait aux commandements, et le malheur si on désobéissait ; sa fidélité à cette Parole exigeait qu’il finisse par sévir. « Finalement, il n’y eut plus de remède à la colère grandissante du SEIGNEUR contre son peuple. »

Nous sommes surpris qu’un texte biblique, relativement tardif, parle encore de « colère » de Dieu, comme si Dieu pouvait, comme nous, se laisser aller à des emportements ; mais c’est le contexte historique qui exige ce genre de discours : le danger de l’idolâtrie est encore présent, visiblement. Pour imposer la foi au Dieu unique, il n’y a pas d’autre moyen que de lui imputer la responsabilité de tous les événements : aussi bien la catastrophe de l’Exil que, ensuite, le retour permis par Cyrus. À cette étape de la réflexion théologique, on pense forcément : s’il n’est pas le Maître de tout, c’est qu’il y a d’autres dieux. Plus tard, au fur et à mesure qu’on progressera dans la Révélation, on découvrira que tous nos sentiments humains de colère et de vengeance sont totalement étrangers à Dieu, le Tout-Autre, car il n’y a en lui qu’une réalité, l’Amour.

En attendant, l’auteur du livre des Chroniques a déjà trouvé le moyen d’affirmer deux choses capitales de la foi : premièrement, Dieu reste toujours « le Dieu des pères » quelle que soit l’infidélité de son peuple et il fera tout pour l’empêcher de tomber dans le précipice. Deuxièmement, quand le peuple est dans le précipice, il trouvera le moyen de l’en sortir, car rien n’est impossible à Dieu.

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Compléments

« Soixante-dix ans » (verset 21) : voici un bon exemple de l’utilisation des chiffres dans la Bible ; les premiers départs à Babylone ont lieu en 598 av. J.-C. L’édit de Cyrus autorisant le peuple à rentrer à Jérusalem date de 538. L’Exil aura donc duré au maximum soixante ans, et pour le plus grand nombre, il n’aura même duré que cinquante ans. Que signifie donc ce chiffre de soixante-dix ans qui n’est pas vérifié historiquement ? La citation que l’auteur attribue à Jérémie est en fait empruntée à deux livres de la Bible, celui de Jérémie et le Lévitique (Jr 25,11 ; Jr 29,10 ; Lv 26,34-35). Jérémie parle effectivement de soixante-dix ans, mais seulement dans le sens de la longue durée : soixante-dix ans, c’est à peu près la durée de la vie humaine : le psaume 89/90, verset 10, dit explicitement : « soixante-dix ans, c’est la durée de notre vie, quatre-vingt si elle est vigoureuse ».

Le Lévitique n’emploie pas l’expression soixante-dix ans, mais il donne à l’Exil le sens de réparation pour tous les sabbats profanés. Il faut se rappeler ce qu’était l’année sabbatique : tous les sept ans, la terre elle-même devait être au repos, on ne devait pas la cultiver (du moins telle était la Loi). Mais, tout comme le sabbat hebdomadaire, le sabbat de la terre a été maintes fois violé. L’Exil sera alors pour la Terre Promise comme un sabbat forcé.

L’auteur du Livre des Chroniques fait donc le lien entre la durée de soixante-dix ans dont parle Jérémie et l’idée de compensation des sabbats. Rapprochement d’autant plus parlant que soixante-dix, c’est dix fois sept, un multiple d’années sabbatiques.

Par ailleurs, très probablement, pour lui, cette durée de soixante-dix ans correspond à une durée précise : 585 - 515 av.J.C., c’est-à-dire celle de l’interruption du culte : le Temple de Jérusalem n’a été reconstruit qu’en 515 par Zorobabel. Pour lui, la privation du Temple et du culte est encore plus grave, encore plus douloureuse que l’Exil en terre ennemie. Ces relectures successives ne se contredisent pas, mais enrichissent la compréhension. Il nous faut apprendre à lire entre les lignes.

De même qu’on a interprété l’Exil comme une punition, on interprète le retour d’Exil comme un retour en grâce ; on sait mieux aujourd'hui que la grâce, la faveur de Dieu ne nous ont jamais quittés.
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PSAUME - 136 (137),1 - 6

1   Au bord des fleuves de Babylone
     nous étions assis et nous pleurions,
     nous souvenant de Sion ;
2   aux saules des alentours
     nous avions pendu nos harpes.

3   C'est là que nos vainqueurs
     nous demandèrent des chansons,
     et nos bourreaux, des airs joyeux :
     « Chantez-nous, disaient-ils,
     quelque chant de Sion. »

4   Comment chanterions-nous
     un chant du SEIGNEUR
     sur une terre étrangère ?
5   Si je t'oublie, Jérusalem,
     que ma main droite m'oublie !

6   Je veux que ma langue
     s'attache à mon palais
     si je perds ton souvenir,
     si je n'élève Jérusalem,
     au sommet de ma joie.
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LA DOULEUR DES EXILÉS

Ce psaume parle au passé : c'est donc qu'on est de retour ; effectivement, après le retour de l'Exil à Babylone, on a pris l'habitude de célébrer chaque année une journée de deuil et de pénitence à la date anniversaire de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor ; au cours d'une célébration pénitentielle, dans le Temple enfin reconstruit, on se souvient de cette période terrible : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ». Tous les exilés du monde peuvent se reconnaître dans cette plainte ; les larmes du souvenir, d’abord, sur une terre étrangère ; les noms de la ville aimée, Sion, Jérusalem, reviennent à chaque strophe. Pire, cette « terre étrangère » est hostile, narquoise et le mal du pays se mêle à l’humiliation : « Nos vainqueurs nous demandèrent des chansons, et nos bourreaux, des airs joyeux : chantez-nous, disaient-ils, quelque chant de Sion. » L’un des grands plaisirs du vainqueur est parfois d’humilier les vaincus, on le sait bien : le chagrin même des victimes devient un spectacle pour la joie des bourreaux. Plus grave encore, ces chants de Sion, que les Babyloniens réclament, ce sont les psaumes des pèlerinages : ces chants qui ont accompagné tant de fois la marche fervente de tout un peuple vers le Temple de Jérusalem. Ce serait un véritable parjure de chanter ces chants-là devant des païens : « Comment chanterions-nous un chant du SEIGNEUR sur une terre étrangère ? »

Sion, Jérusalem, ce n’est pas seulement la mère-patrie : c’est d’abord et avant tout la Ville sainte, la Ville de Dieu. C’est lui qui l’a choisie. Je vous rappelle l’histoire : David venait de conquérir la citadelle des Jébusites, avec l’intention d’y installer sa capitale ; choix militaire et politique, d’abord ; c’était sur une hauteur, la colline de Sion ; et il y a fait transporter l’Arche au cours d’une grande fête. Puis Dieu a fait dire à David, par le prophète Gad, d’acheter le champ d’Arauna le Jébusite, sur une autre colline, un peu plus au Nord ; et c’est là que, plus tard, Salomon construira le Temple.

LA VILLE SAINTE NE PEUT DISPARAÎTRE

Quand on cite Sion ou Jérusalem, dans les psaumes, il ne s’agit pas d’une précision géographique, on vise l’ensemble de la ville, en tant qu’elle est le lieu de Dieu, le lieu qu’il a choisi pour habiter au milieu de son peuple, « Lui que les cieux des cieux ne peuvent contenir » comme disait Salomon (1 R 8,27). Parce qu’elle est la ville de Dieu, Jérusalem ne peut rester dans l’oubli ; un jour ou l’autre, on en est sûrs, elle sera relevée de ses ruines. On ne doit pas, on ne peut pas oublier Jérusalem, parce qu’on sait que Dieu lui-même ne peut pas l’oublier : comment oublierait-il la promesse faite à Salomon ? « Cette Maison que tu as bâtie (dit Dieu), je l’ai consacrée afin d’y mettre mon Nom à jamais ; mes yeux et mon cœur y resteront toujours. » (1 R 9,7).

Et, dans les périodes difficiles, les prophètes alimentent cette espérance : « Sion disait : le SEIGNEUR m’a abandonnée, mon SEIGNEUR m’a oubliée ! La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas ! Voici que, sur mes paumes, je t’ai gravée, que tes murailles sont constamment sous ma vue. » (Isaïe 49,14-16). Au passage, on peut noter que ces murailles, dont parle Isaïe (pendant l’Exil à Babylone), n’existent plus, elles ont été rasées. Et, justement, le prophète n’hésite pas à affirmer « elles sont constamment sous ma vue. »

Car, pour les croyants, l’espérance est plus forte que tout ; le mot « souvenir » revient plusieurs fois dans le psaume : « Nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ... je veux que ma langue s’attache à mon palais, si je perds ton souvenir ». Ce souvenir comporte des regrets, bien sûr, mais il est aussi et surtout le souvenir des promesses de Dieu et c’est cette mémoire qui a permis de tenir debout jusqu’au jour du retour. (Comme un grand amour, ou une grande foi, donne la force de surmonter les pires épreuves).

Il faut résolument oublier la catastrophe pour se tourner vers l’avenir : « Ne vous souvenez plus des premiers événements, ne ressassez plus les faits d’autrefois. Voici que, moi, dit Dieu, je vais faire du neuf, qui déjà bourgeonne ; ne le reconnaîtrez-vous pas ? » (Isaïe 43,18-19).

RETOUR RIMERA AVEC CONVERSION

Les larmes que l’on verse sur les bords des fleuves de Babylone, ce sont aussi celles du remords ; il faut que Dieu nous sauve surtout de nous-mêmes. Parce que le pire ennemi de l’homme, c’est lui-même, qui prend sans cesse de fausses pistes. Ce psaume, nous l’avons dit, était chanté au cours d’une célébration pénitentielle ; car on sait bien que les malheurs passés ne sont pas le fruit du hasard : si les habitants de Jérusalem ont connu toutes les horreurs de la guerre, de la déportation, de l’Exil, des travaux forcés imposés par le vainqueur, ils savent qu’ils le doivent à leur conduite insensée, à leurs divisions intérieures, à leurs prétentions politiques... Il a suffi que Dieu les laisse suivre leurs mauvaises pentes. Mais, désormais, on se retourne vers lui, et Dieu promet un nouvel avenir. Dieu va faire revenir son peuple, Dieu va pardonner à son peuple.

Et le destin futur de Jérusalem est bien plus beau que le passé ! Vous connaissez la prophétie très imagée de Baruch : « Jérusalem, quitte ta robe de souffrance et d’infortune et revêts pour toujours la belle parure de la gloire de Dieu. Couvre-toi du manteau de la justice, celle qui vient de Dieu, et mets sur ta tête le diadème de la gloire de l’Éternel ; car Dieu va montrer ta splendeur à toute la terre qui est sous le ciel ». Et Isaïe affirme que c’est là que se rassembleront toutes les nations quand viendra la fin de l’histoire humaine.

« Le SEIGNEUR, le tout-puissant va donner, sur cette montagne, un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins vieux, de viandes grasses succulentes et de vins vieux décantés. Il fera disparaître sur cette montagne le voile tendu sur tous les peuples, l’enduit plaqué sur toutes les nations. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le SEIGNEUR Dieu essuiera les larmes sur tous les visages et dans tout le pays il enlèvera la honte de son peuple. Il l’a dit, lui, le SEIGNEUR. On dira ce jour-là : c’est lui notre Dieu, nous avons espéré en lui et il nous délivre. C’est le SEIGNEUR en qui nous avons espéré. Exultons, jubilons, puisqu’il nous sauve. » (Isaïe 25,6). 
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ÉPHÉSIENS 2,4-10

     Frères,
4   Dieu est riche en miséricorde ;
     à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5   nous qui étions des morts par suite de nos fautes,
     il nous a donné la vie avec le Christ :
     c'est bien par grâce que vous êtes sauvés.
6   Avec lui, il nous a ressuscités ;
     et il nous a fait siéger aux cieux, dans le Christ Jésus.
7   Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs,
     la richesse surabondante de sa grâce,
     par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus,
8   C'est bien par la grâce que vous êtes sauvés,
     et par le moyen de la foi.
     Cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu.
9   Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil.
     C'est Dieu qui nous a faits,
10 il nous a créés dans le Christ Jésus,
     en vue de la réalisation d’œuvres bonnes
     qu’il a préparées d’avance
     pour que nous les pratiquions.
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LE DESSEIN BIENVEILLANT DE DIEU

Une fois de plus, on est émerveillés de la cohérence de toute la Bible ! C’est dans cette même lettre aux Éphésiens, un peu plus haut, que Paul a déployé cette fresque extraordinaire du dessein bienveillant de Dieu qui est pour lui la clé de lecture de toute l’histoire humaine. Ici, il ne fait que continuer et développer cette méditation. Nous connaissons bien cette phrase « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, (littéralement « récapituler en Christ »), ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » (Ep 1,9-10, traduction TOB).

Dans le texte d’aujourd’hui, Paul reprend, développe les deux idées maîtresses de cette phrase : premièrement, le dessein de Dieu est bienveillant, deuxièmement, son projet est de tout réunir en Jésus-Christ.

Premièrement, le dessein de Dieu est bienveillant : le vocabulaire de Paul est extrêmement répétitif ; cette insistance est évidemment intentionnelle : « Dieu est riche en miséricorde »... « le grand amour dont il nous a aimés »... « le don de Dieu »... « sa bonté pour nous »... « la richesse infinie de sa grâce », et le mot « grâce » revient trois fois dans ces quelques lignes. La richesse de la miséricorde de Dieu n’est pas une découverte de Paul ou du Nouveau Testament : Paul l’a apprise dans son catéchisme juif ; c’était justement la grande découverte du peuple d’Israël : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour celui qui le craint » (Psaume 102/103,13).

Mais, on le sait bien, un amour peut être méconnu : la méprise sans cesse renaissante de l’homme sur les intentions de Dieu est l’un des thèmes majeurs de l’Ancien Testament ; la juxtaposition des deux récits de création dans le livre de la Genèse en est un exemple : premier récit (Gn 1), ce merveilleux poème, scandé par le refrain « Et Dieu vit que cela était bon », parce que le projet de Dieu n’était que bon, son dessein bienveillant ; deuxième récit (Gn 2-3), l’homme n’a pas su résister à la tentation du soupçon : peut-être après tout les intentions de Dieu n’étaient-elles pas si généreuses que cela ? Peut-être était-il inquiet des trop grands progrès de l’humanité ?

Notre malheur, c’est que cette méfiance nous détourne de Dieu et donc de notre source de vie ; Dieu avait bien prévenu (le fruit de l’arbre de la connaissance de ce qui rend l’homme heureux ou malheureux n’est pas à notre portée), mais sa mise en garde elle-même a été mal interprétée. Paul y revient très souvent : cet homme soupçonneux, détourné de Dieu n’est qu’un vieil homme, proche de la mort ; il n’a même pas la force de revenir à la source, de se rapprocher de Dieu. Il faut que Dieu lui-même l’attire à lui : comme le dit Jésus lui-même dans l’évangile de Jean, « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3,16, 17= évangile de ce dimanche). C’est cela le grand amour dont il nous a aimés.

Je reviens à Paul : dans un autre passage de la lettre aux Éphésiens, il conclut : « Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l’influence des convoitises trompeuses ; il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité. » (Eph 4,22-24).

TOUT RÉUNIR EN JÉSUS-CHRIST

Deuxièmement, le projet de Dieu est de tout réunir en Jésus-Christ. Paul emploie à plusieurs reprises les expressions « avec lui » et « en lui »...  « Dieu nous a fait renaître avec le Christ »... « Avec lui, il nous a ressuscités ; avec lui, il nous a fait régner aux cieux »... « Il nous a créés en Jésus-Christ »... « Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus »...

C’est un mystère proprement insondable pour nous, et pourtant c’est le centre même de notre foi : l’humanité est appelée à ne faire plus qu’un en Christ, c’est notre vocation ultime ; il faut bien reconnaître que nous en sommes encore loin ; et pourtant toutes les expressions de Paul sont au passé, ce qui veut dire que, dans une certaine mesure au moins, cette solidarité, cette réunion est déjà accomplie.

Quelques versets plus bas, Paul continue sur ce thème de l’Homme Nouveau : « Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la Croix ; là, il a tué la haine. Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches. Et c’est grâce à lui que les uns et les autres, dans un seul esprit, nous avons l’accès auprès du Père » (Ep 2,15-18).

Enfin Paul précise : « C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos actes, il n’y a pas à en tirer orgueil. » Cela aussi, l’Ancien Testament l’avait découvert : il suffit d’écouter Moïse parler au peuple dans le Livre du Deutéronome « Si le SEIGNEUR s’est attaché à vous et s’il vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de tous les peuples... mais c’est que le SEIGNEUR vous aime... » (Dt 7,7) ; ou bien encore : « Reconnais que ce n’est pas parce que tu es juste que le SEIGNEUR ton Dieu te donne ce bon pays en possession, car tu es un peuple à la nuque raide » (Dt  9,6). Et enfin Isaïe : « Tu vaux cher à mes yeux, tu as du poids et moi, je t’aime. » (Is 43,4).

Au fond, il faudrait modifier le proverbe : on dit volontiers « c’est la foi qui sauve »... en réalité, dit Paul, « c’est la grâce qui sauve ». Nous n’y sommes pour rien. Donc, cessons de parler de mérites ! Mais, comme chacun sait, les cadeaux, on est libre de les accepter ou non... La foi, c’est cela, peut-être : tout simplement, accueillir librement et humblement le don gratuit de Dieu.
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Complément

Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent que les lettres aux Éphésiens et aux Colossiens ne sont peut-être pas de la main de Paul lui-même mais d'un disciple plus tardif qui aurait repris et développé sa réflexion théologique en parfaite fidélité à l'apôtre.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN  3,14 - 21

14 De même que le serpent de bronze
     fut élevé par Moïse dans le désert,
     ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé,
15 afin qu’en lui tout homme qui croit
     ait la vie éternelle.
16 Car Dieu a tellement aimé le monde
     qu'il a donné son Fils unique,
     afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,
     mais obtienne la vie éternelle.
17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
     non pas pour juger le monde,
     mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
18 Celui qui croit en lui échappe au Jugement ;
     celui qui ne croit pas est déjà jugé,
     du fait qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le Jugement, le voici :
     la lumière est venue dans le monde,
     et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière,
     parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20 Celui qui fait le mal déteste la lumière :
     il ne vient pas à la lumière,
     de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ;
21 mais celui qui fait la vérité vient à la lumière,
     pour qu’il soit manifesté
     que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu.
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LE SERPENT DE BRONZE

Commençons par l’épisode du serpent de bronze ; cela se passe dans le désert du Sinaï pendant l’Exode à la suite de Moïse. Les Hébreux étaient assaillis par des serpents venimeux ; et comme ils n’ont pas la conscience très tranquille (parce qu’une fois de plus ils ont « récriminé », « murmuré », comme dit souvent le livre de l’Exode), ils sont convaincus que c’est une punition du Dieu de Moïse ; ils vont donc supplier Moïse d’intercéder pour eux : « Le peuple vint trouver Moïse en disant : Nous avons péché en critiquant le SEIGNEUR et en te critiquant ; intercède auprès du SEIGNEUR pour qu’il éloigne de nous les serpents ! »

Dans ces cas-là, d’habitude, il y avait une coutume qui consistait à dresser un serpent de bronze sur une perche. Ce serpent de bronze représentait le dieu guérisseur. Quand un homme était mordu par un serpent, on était convaincu qu’il suffisait de lever les yeux vers le serpent pour être guéri.

À notre grand étonnement, quand les gens vont trouver Moïse pour se plaindre des serpents, il conseille de faire comme d’habitude : « Moïse intercéda pour le peuple et le SEIGNEUR lui dit : ‘Fais faire un serpent brûlant (c’est-à-dire venimeux) et fixe-le à une hampe : quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve.’ Moïse fit un serpent d’airain et le fixa à une hampe ; et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve. » (Nb 21,7-9).

À première vue, nous sommes en pleine magie, en fait, c’est juste le contraire : Moïse transforme ce qui était jusqu’ici un acte magique en acte de foi. Une fois de plus, comme il l’a fait pour des quantités de rites, Moïse ne brusque pas le peuple, il ne part pas en guerre contre leurs coutumes ; il leur dit : « Faites bien tout comme vous avez l’habitude de faire, mais ne vous trompez pas de dieu, il n’existe qu’un seul Dieu, celui qui vous a libérés d’Égypte. Faites-vous un serpent, et regardez-le : (en langage biblique, « regarder » veut dire « adorer ») ; mais sachez que celui qui vous guérit, c’est le Seigneur, ce n’est pas le serpent. Quand vous regardez le serpent, que votre adoration s’adresse au Dieu de l’Alliance et à personne d’autre, surtout pas à un objet sorti de vos mains ».

Jésus reprend cet exemple à son propre compte : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle ». De la même manière qu’il suffisait de lever les yeux avec foi vers le Dieu de l’Alliance pour être guéri physiquement, désormais, il suffit de lever les yeux avec foi vers le Christ en croix pour obtenir la guérison spirituelle.

ILS LÈVERONT LES YEUX VERS CELUI QU’ILS ONT TRANSPERCÉ 

C’est le même Jean qui dira, au moment de la crucifixion du Christ : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37). Ils « lèveront les yeux », cela veut dire « ils croiront en Lui, ils reconnaîtront en lui l’amour même de Dieu ». Une fois de plus, Jean insiste sur la foi : car nous restons libres ; face à la proposition d’amour de Dieu, notre réponse peut être celle de l’accueil (ce que Jean appelle la foi) ou du refus ; comme il le dit dans le Prologue de son évangile, « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli. Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. » (Jn 1,9-12).

Dans le texte d’aujourd’hui, Jésus lui-même reprend ce thème avec force : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. » À noter que le mot « croire » revient cinq fois dans ce passage.

Mais en même temps que Jésus fait un rapprochement entre le serpent de bronze élevé dans le désert et sa propre élévation sur la croix, il manifeste le saut formidable entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Jésus accomplit, certes, mais tout en lui prend une nouvelle dimension. Tout d’abord, dans le désert, seul le peuple de l’Alliance était concerné ; désormais, en Jésus, c’est tout homme, c’est le monde entier, qui est invité à croire pour vivre. Deux fois il répète « Tout homme qui croit en lui obtiendra la vie éternelle ». Ensuite, il ne s’agit plus de guérison extérieure, il s’agit désormais de la conversion de l’homme en profondeur ; quand Jean, au moment de la crucifixion du Christ, écrit : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37), il cite une phrase du prophète Zacharie qui dit bien en quoi consiste cette transformation de l’homme, ce salut que Jésus nous apporte : « Ce jour-là, je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem, un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10). L’esprit de bonne volonté et de supplication, c’est tout le contraire des récriminations (ou des murmures) du désert, c’est l’homme enfin convaincu de l’amour de Dieu pour lui.

Visiblement, pour la première génération chrétienne, la croix était regardée non comme un instrument de supplice, mais comme la plus belle preuve de l’amour de Dieu. Comme dit Paul, « Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens... Mais ce Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1,23-25).

Il y a donc deux manières de regarder la croix du Christ : elle est, c’est vrai, la preuve de la haine et de la cruauté de l’homme, mais elle est bien plus encore l’emblème de la douceur et du pardon du Christ ; il accepte de la subir pour nous montrer jusqu’où va l’amour de Dieu pour l’humanité. La croix est le lieu même de la manifestation de l’amour de Dieu : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9).

Sur le Christ en croix, nous lisons la tendresse de Dieu, quelle que soit la haine des hommes. Et cet amour est contagieux : en le regardant, nous sommes invités à le refléter.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 10 03 2024 4e dimanche de Carême B

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26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 00:42
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE L’EXODE 20, 1-17

     En ces jours-là, sur le Sinaï,
1    Dieu prononça toutes les paroles que voici :
2    « Je suis le SEIGNEUR ton Dieu,
     qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage.
3    Tu n'auras pas d'autres dieux en face de moi.
4   Tu ne feras aucune idole,
     aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux,
     ou en-bas sur la terre,
     ou dans les eaux par-dessous la terre.
5   Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux,
     pour leur rendre un culte.
     Car moi, le SEIGNEUR ton Dieu, je suis un Dieu jaloux :
     chez ceux qui me haïssent,
     je punis la faute des pères sur les fils,
     jusqu'à la troisième et la quatrième génération ;
6   mais ceux qui m'aiment et observent mes commandements,
     je leur garde ma fidélité jusqu'à la millième génération.
7   Tu n'invoqueras pas en vain le nom du SEIGNEUR ton Dieu,
     car le SEIGNEUR ne laissera pas impuni
     celui qui invoque en vain son nom.
8    Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier.
9   Pendant six jours tu travailleras
     et tu feras tout ton ouvrage ;
10 mais le septième jour est le jour du repos,
     sabbat en l'honneur du SEIGNEUR ton Dieu :
     tu ne feras aucun ouvrage,
     ni toi, ni ton fils, ni ta fille,
     ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes,
     ni l'immigré qui est dans ta ville.
11 Car en six jours le SEIGNEUR a fait le ciel,
     la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent,
     mais il s'est reposé le septième jour.
     C'est pourquoi le SEIGNEUR a béni le jour du sabbat
     et l'a sanctifié.
12 Honore ton père et ta mère, afin d'avoir longue vie
     sur la terre que te donne le SEIGNEUR ton Dieu.
13  Tu ne commettras pas de meurtre.
14  Tu ne commettras pas d'adultère.
15 Tu ne commettras pas de vol.
16 Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
17 Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ;
     tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain,
     ni son serviteur, ni sa servante,
     ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient. »
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JE SUIS LE SEIGNEUR QUI T’AI FAIT SORTIR D’ÉGYPTE

Nos frères juifs appellent ce texte « les Dix Paroles », et non pas « les dix commandements », car la première parole n’est pas un commandement. Or elle est la plus importante !

« Je suis le SEIGNEUR ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. » Ce verset constitue le prologue, et les commandements suivent ; c’est ce préambule qui justifie tout le reste, qui donne sens à tout le reste. L’originalité de la Loi en Israël, ce n’est pas son contenu, c’est d’abord son fondement : la libération d’Égypte. Israël sait pour toujours que le Dieu libérateur donne la Loi comme un chemin d’apprentissage de la liberté.

Voici ce que dit le livre du Deutéronome qui est une méditation théologique a posteriori sur les événements de l’Exode et les exigences de l’Alliance avec Dieu : « C’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours. » (Dt 4,39-40).

On peut donc lire chacun des commandements comme une entreprise de libération de l’homme, de la part de Dieu, ou si vous préférez, une méthode d’apprentissage de la liberté pour l’homme. C’est le sens, pour commencer de l’interdiction de l’idolâtrie : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi ». Et, tout au long de l’Ancien Testament, les prophètes, les uns après les autres, se feront les champions de la lutte contre toute idolâtrie. Et ils auront bien du mal.

 Aujourd’hui encore, ils auraient bien du mal, peut-être ; parce que, finalement, la définition d’une idole, c’est ce qui nous occupe au point de faire de nous ses esclaves : ce peut être une secte, mais aussi l’argent, le sexe, l’alcool, une drogue ou une autre, la télévision, ou toute autre occupation qui finit par remplir le champ de nos pensées au point de nous faire oublier le reste.

« Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre » : toute image de Dieu est interdite, car toute image serait fausse ; d’autre part, on ne peut posséder Dieu ; Dieu est le Tout-Autre, l’Inaccessible. C’est par pure grâce (gratuitement) qu’il se fait proche de nous.

NE PAS RETOMBER D’UN ESCLAVAGE DANS UN AUTRE

« Tu ne te prosterneras pas devant ces images pour leur rendre un culte. Car moi, le SEIGNEUR, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. » Le vocabulaire employé est un vocabulaire amoureux. C’est donc dire cet amour passionné, exigeant de Dieu qui veut son peuple libre et heureux. Un amour qui ne supporte pas de rivaux : Dieu n’est pas jaloux de nous, mais de notre liberté ; il veut nous préserver de nous engager sur de fausses pistes.

« Chez ceux qui me haïssent, je punis la faute des pères sur les fils jusqu’à la troisième et la quatrième génération ; mais ceux qui m’aiment et observent mes commandements, je leur garde ma fidélité jusqu’à la millième génération » ; dans la mentalité de l’époque, on ne pouvait pas concevoir un Dieu qui ne punirait pas ; mais le texte affirme déjà beaucoup plus fortement la fidélité perpétuelle promise par Dieu à ceux qui sont en train de contracter l’Alliance avec lui.

« Tu n’invoqueras pas en vain le Nom du SEIGNEUR ton Dieu » (verset 7) : Dieu a révélé son Nom à l’homme : c’est-à-dire en langage biblique « Dieu s’est fait connaître à l’homme ». Ce serait monstrueux de tenter d’utiliser ce don merveilleux pour le mal. Et comme Dieu n’a aucun contact avec le mal, ce serait se couper de Dieu, se condamner soi-même. C’est le sens de l’expression : « Car le SEIGNEUR ne laissera pas impuni celui qui invoque en vain son nom ».2

Les premiers commandements concernaient notre relation à Dieu. Viennent ensuite les commandements concernant notre relation à autrui, les parents, en premier lieu, puis tous les autres. « Honore ton père et ta mère... Tu ne porteras pas de témoignage contre ton prochain... » Car relation à Dieu et relation aux autres sont étroitement liées. Les derniers commandements sont en forme négative : simples balises pour une vie en société ; à nous d’inventer leur traduction concrète, positive, dans le quotidien. Chacun de ces commandements, à sa manière, fait œuvre de libération pour nous-mêmes et pour les autres. En particulier, il libère notre regard : ne pas convoiter ce qui ne nous appartient pas, est bien l’un des chemins de la liberté intérieure.
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Notes

1 - Le bonheur promis à ceux qui observent la Loi est l’une des grandes insistances du Deutéronome : « Et demain, quand ton fils te demandera : Pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le SEIGNEUR notre Dieu vous a prescrites ? Alors, tu diras à ton fils : Nous étions esclaves du Pharaon en Égypte, mais, d’une main forte, le SEIGNEUR nous a fait sortir d’Égypte... Le SEIGNEUR nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le SEIGNEUR notre Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours, et qu’il nous garde vivants comme nous le sommes aujourd’hui » (Dt 6,20...25).

2 - D’après André Chouraqui, ce commandement s’inscrit dans le contexte judiciaire : il s’agit de faux serment prononcé pour se disculper. Au tribunal, les serments étaient toujours prononcés au nom de Dieu : le seul fait d’accepter de prêter serment d’innocence était considéré comme une preuve de non-culpabilité ; eh bien, un coupable qui jurerait (au nom de Dieu) d’être innocent ne peut espérer être acquitté par Dieu.
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PSAUME 18 (19), 8-9. 10-11

8   La loi du SEIGNEUR est parfaite,
     qui redonne vie ;
     la charte du SEIGNEUR est sûre,
     qui rend sages les simples.

9   Les préceptes du SEIGNEUR sont droits,
     ils réjouissent le cœur ;
     le commandement du SEIGNEUR est limpide,
     il clarifie le regard.

10 La crainte qu'il inspire est pure,
     elle est là pour toujours ;
     les décisions du SEIGNEUR sont justes
     et vraiment équitables :

11 plus désirables que l'or,
     qu'une masse d'or fin,
     plus savoureuses que le miel
     qui coule des rayons.
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LA LOI, CADEAU DU SEIGNEUR

On est toujours étonnés de découvrir à quel point le peuple d’Israël aime la Loi parce qu’il la considère comme un cadeau de Dieu, le SEIGNEUR du Sinaï, Celui qui a révélé son Nom à Moïse, Celui qui a choisi ce peuple parmi tous les peuples de la terre, et l’a libéré... Celui qui a proposé à ce peuple son Alliance pour l’accompagner dans toute son existence... Celui, enfin, qui poursuit son œuvre de libération en proposant sa Loi...

Il ne faut jamais oublier qu’avant toute autre chose, le peuple juif a expérimenté la libération apportée par son Dieu. Et les « commandements » sont dans la droite ligne de la sortie d’Égypte : ils sont une entreprise de libération. Dieu a « fait sortir » (c’est l’expression consacrée) son peuple des chaînes de l’esclavage, il le fera sortir de toutes les autres chaînes qui empêchent l’homme d’être heureux. C’est cela l’Alliance Éternelle.

L’Exode était route vers la Terre Promise ; l’obéissance à la Loi est cheminement vers la véritable Terre Promise, la Patrie future de l’humanité. C’est dans le Livre du Deutéronome qu’on trouve les plus belles méditations sur la Loi ; par exemple : « Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : est-il rien arrivé d’aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil ?... À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui... Reconnais-le aujourd’hui et réfléchis : c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours. » (Dt 4,32... 40). Ou tout simplement, « Puisses-tu écouter Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux » (Dt 6,3). Notre psaume répond en écho : « Les préceptes du SEIGNEUR sont droits, ils réjouissent le cœur ».

LE CODE DE LA ROUTE DE LA LIBERTÉ

La grande certitude acquise au long de l’histoire biblique, c’est que Dieu veut l’homme heureux, et il lui en donne le moyen, un moyen bien simple : il suffit d’écouter la Parole de Dieu inscrite dans la Loi. Le chemin est balisé, les commandements sont comme des poteaux indicateurs sur le bord de la route, pour alerter notre regard sur un danger éventuel : « Le commandement du SEIGNEUR est limpide, il clarifie le regard ». Au jour le jour, la Loi est notre maître, elle nous enseigne : la racine du mot « Torah » en hébreu signifie d’abord « enseigner ». « La charte du SEIGNEUR est sûre, qui rend sages les simples ».

Le mot « simples » ici, n’est pas péjoratif ; il ne veut pas dire « les simples d’esprit », on signifie plutôt « les humbles » ; ce sont ceux qui acceptent tout humblement de se laisser enseigner par Dieu, ceux qui cherchent de tout leur cœur à suivre la Loi de Dieu. Celui qui prie dans ce psaume est bien dans cet état d’esprit puisqu’un peu plus loin, il supplie Dieu de l’aider à persévérer dans l’humilité : « Préserve ton serviteur de l’orgueil : qu’il n’ait sur moi aucune emprise. Alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché. »

C’est à ces humbles que s’adresse le livre du Deutéronome : « Et maintenant, Israël, qu’est-ce que le SEIGNEUR ton Dieu attend de toi ? Il attend seulement que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu en suivant tous ses chemins, en aimant et en servant le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, en gardant les commandements du SEIGNEUR et les lois que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur ». (Dt 10,12-13). Et le prophète Michée reprend en écho : « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu ». (Mi 6,8). Il n’y a pas d’autre exigence, il n’y a pas non plus d’autre chemin pour être heureux.

Pour dire le bonheur que construisent les croyants jour après jour, lorsqu’ils suivent tout simplement, mais fidèlement, la Loi de Dieu, l’auteur de notre psaume nous propose deux images : « Les décisions du SEIGNEUR sont justes et vraiment équitables, plus désirables que l’or, qu’une masse d’or fin, plus savoureuses que le miel qui coule des rayons. » Manière de dire, la vraie richesse de vos vies, le vrai bonheur, c’est l’Alliance avec Dieu.

Ce fut la grande expérience spirituelle d’Israël, pendant l’Exode dans le désert du Sinaï : expérience paradoxale puisque le désert, justement, est un lieu de pauvreté. Mais c’est là, précisément, que l’on a expérimenté la plus grande richesse du monde, la présence de Dieu. Le livre du Deutéronome, quand il rappelle au peuple toute la sollicitude que Dieu lui a prodiguée pendant l’Exode, dit : « Il rencontre son peuple au pays du désert, Il lui fait sucer le miel dans le creux des pierres » (Dt 32,13). La manne, aussi, parce qu’elle est douce et parce qu’elle est cadeau de Dieu, est comparée à du miel : « C’était comme de la graine de coriandre, c’était blanc, avec un goût de beignets au miel » (Ex 16,31). Désormais on parlera des oignons d’Égypte, mais du miel de Canaan : il y a pourtant du miel aussi en Égypte, mais, quand les descendants de Jacob étaient en Égypte, ils n’avaient pas encore fait l’expérience de l’Exode et de la Présence de Dieu.
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Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens 1, 22-25

     Frères,
22 alors que les Juifs réclament des signes miraculeux,
     et que les Grecs recherchent une sagesse,
23 nous, nous proclamons un Messie crucifié,
     scandale pour les Juifs,
     folie pour les nations païennes.
24 Mais pour ceux que Dieu appelle,
     qu'ils soient Juifs ou Grecs,
     ce Messie, ce Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu.
25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes,
     et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
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UN CRUCIFIÉ PEUT-IL ÊTRE LE MESSIE ?

On sait bien que Paul a consacré toutes ses énergies à annoncer à ses contemporains que Jésus de Nazareth était le Messie. On sait également qu’il s’adressait à des Juifs et à des non-Juifs, ceux qu’il appelle tantôt « Grecs » tantôt « païens ». Or, par ses origines, il connaissait bien le monde juif, et les Écritures ; en même temps, parce qu’il avait vécu une grande partie de sa jeunesse avec sa famille à Tarse, c’est-à-dire hors d’Israël, il connaissait bien le monde grec. Pour ces raisons, il était mieux placé que personne pour comprendre les difficultés des uns et des autres à entendre sa prédication : « Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs ».

Commençons par les Juifs : pour eux, il était littéralement scandaleux de prétendre que Jésus de Nazareth, le crucifié puisse être le Messie. On peut les comprendre : depuis plusieurs siècles, l’Ancien Testament promettait le Messie ; et sa venue devait être accompagnée de signes bien précis : la restauration de la dynastie de David sur le trône de Jérusalem et l’instauration d’une paix générale et définitive. Sur ce point, Jésus les a plutôt déçus ! Plus grave encore, il est mort crucifié ; or tout le monde connaissait par cœur une certaine phrase du livre du Deutéronome ; voici ce qu’elle disait : quand un homme a été condamné à mort au nom de la Loi, quand il a été exécuté, et qu’on a suspendu son corps à un arbre (c’était une manière de faire un exemple), alors il est maudit de Dieu. (Dt 21,22-23). Or c’est très exactement ce qui est arrivé à Jésus, donc il est maudit de Dieu, donc il n’est pas le Messie. Tout cela est parfaitement logique et c’est bien avec ce raisonnement que Paul a commencé par s’opposer de très bonne foi aux tout premiers chrétiens.

Quant aux païens, ils ne pouvaient pas non plus prendre au sérieux le personnage de Jésus : « Le monde grec recherche une sagesse », nous dit Paul. Or Jésus ne se situait pas sur ce terrain-là. Il parlait d’amour et de respect des autres, d’humilité et de confiance en Dieu. Rien à voir avec les discours philosophiques. À Athènes, par exemple, on n’a pas écouté longtemps ce qu’ils ont appelé les balivernes de Paul !

Mais depuis le chemin de Damas, Paul était bien obligé de se rendre à l’évidence : Christ est ressuscité, donc il est bien l’envoyé de Dieu. Que cela nous surprenne (comme les Grecs) ou nous scandalise (comme les Juifs) ne change rien à l’affaire ! Paul s’est donc trouvé confronté à une question terrible : Jésus était bien l’envoyé de Dieu et pourtant de bonne foi les hommes l’ont éliminé ! Comment les hommes ont-ils pu se tromper à ce point ? Et comment ce crucifié peut-il être le Messie ? Ce sont les deux questions qui l’ont habité certainement très longtemps. Et on voit bien que le mystère et même le scandale de ce Messie inattendu est au cœur de toutes ses lettres.

UN AMOUR QUI VA JUSQU'À LA CROIX

À force de relire les Écritures et de méditer sur le scandale de la croix du Christ, il a découvert ce que personne n’avait imaginé : non seulement, la croix ne doit pas nous scandaliser, au contraire, elle doit nous émerveiller ! Car la croix est justement le lieu où Dieu se révèle !!! Et c’est en cela qu’elle nous délivre ! Car, enfin, nous connaissons Dieu tel qu’il est !!! Car la croix est le lieu de la révélation du plus grand amour ! Un amour capable d’aller jusque-là.

En définitive, Paul ira jusqu’à dire que la croix du Christ est le plus beau titre de gloire des chrétiens. Il dit par exemple, dans la lettre aux Galates : (je ne veux) « pour moi, pas d’autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. » (Ga 6,14) ; non seulement Jésus n’est pas un pécheur qui mérite d’être maudit mais il a accepté de souffrir pour ouvrir nos cœurs à l’incroyable amour de Dieu pour l’humanité. Et la phrase de pardon qu’il a prononcée sur la croix nous fait découvrir jusqu’où va l’amour de Dieu pour les hommes.

Quant à ceux qui trouvent les manières de Dieu non conformes à la raison humaine, Paul n’a qu’une réponse, dans cette même lettre aux Corinthiens : « Puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. » (1 Co 1,21) et un peu plus bas : « Que personne ne s’abuse : si quelqu’un parmi vous se croit sage à la manière de ce monde, qu’il devienne fou pour être sage ; car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » (1 Co 3,13). Jésus l’avait déjà dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11,25). Notre témoignage ne peut que s’offrir sans défense : tous nos beaux raisonnements ne mèneront jamais personne à la foi ; devant le mystère de Dieu qui se manifeste dans le visage défiguré du Christ en croix entre deux bandits, tous nos édifices intellectuels s’écroulent comme des châteaux de cartes. Bienheureuse insuffisance qui peut rassurer tous les piètres prédicateurs que nous sommes... quand nous essayons de tout notre cœur de convaincre quelqu’un de la foi chrétienne, ne nous inquiétons pas de notre insuffisance ! Elle est structurelle, parce que ce mystère de Dieu ne peut que nous échapper. Ce n’est pas pour rien qu’au beau milieu de l’Eucharistie, au moment du récit de la Pâque, justement, nous disons « Il est grand, le mystère de la foi » !
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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2, 13-25

13 Comme la Pâque juive était proche,
     Jésus monta à Jérusalem.
14 Dans le Temple, il trouva installés
     les marchands de bœufs, de brebis et de colombes,
     et les changeurs.
15 Il fit un fouet avec des cordes,
     et les chassa tous du Temple ainsi que les brebis et les bœufs,
     il jeta par terre la monnaie des changeurs,
     renversa leurs comptoirs,
16 et dit aux marchands de colombes :
     « Enlevez cela d'ici.
     Cessez de faire de la maison de mon Père
     une maison de commerce. »
17 Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit :
     L'amour de ta maison fera mon tourment.
18 Des Juifs l'interpellèrent :
     « Quel signe peux-tu nous donner
     pour agir ainsi ? »
19 Jésus leur répondit :
     « Détruisez ce sanctuaire,
     et en trois jours je le relèverai ! »
20 Les Juifs lui répliquèrent :
     « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire,
     et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
21 Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
22 Aussi, quand il se réveilla d'entre les morts,
     ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela ;
     ils crurent à l'Écriture
     et à la parole que Jésus avait dite.
23 Pendant qu'il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque,
     beaucoup crurent en son nom,
     à la vue des signes qu'il accomplissait.
24 Jésus, lui, ne se fiait pas à eux,
     parce qu'il les connaissait tous
25 et n'avait besoin d'aucun témoignage sur l'homme ;
     lui-même, en effet, connaissait ce qu'il y a dans l'homme.
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LA COLÈRE DU PROPHÈTE

Mettons-nous à la place de ceux qui ont assisté à cette colère de Jésus : il y a longtemps qu’on trouve sur l’esplanade du Temple des marchands d’animaux ; quand on vient en pèlerinage à Jérusalem, parfois de très loin, on s’attend bien à trouver sur place des bêtes à acheter pour les offrir en sacrifice. Quant aux changeurs de monnaie, on en a besoin aussi : on est sous occupation romaine, et les pièces frappées à l’effigie de l’empereur sont indignes de figurer à la quête ! Et pourtant, en ville, elles sont indispensables. Donc, en arrivant au Temple, on change ce qu’il faut contre de la monnaie juive. Alors, qu’est-ce qui le prend ?

Comme souvent, il agit d’abord, il explique ensuite, mais on ne comprend pas bien, ou pas du tout. On comprendra plus tard : « Quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent aux prophéties de l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite » (verset 22). Et encore, tout le monde ne comprendra pas...

 Pour l’instant, la violence de Jésus est inattendue, ses paroles encore plus ! Et le reproche qu’il fait aux vendeurs (« Ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de trafic ») laisse entendre qu’il se prend pour un prophète ; Jérémie avait lancé : « Cette Maison sur laquelle mon Nom a été proclamé, la prenez-vous donc pour une caverne de bandits ? » (Jr 7,11). Mieux, il se prend carrément pour le Messie : car le prophète Zacharie avait annoncé : « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur le tout-puissant en ce jour-là » (sous-entendu le jour de la venue du Messie ; Za 14,10). Et, pire encore peut-être, en parlant du Temple de Jérusalem, il ose dire « la maison de mon Père ».

Devant cette prétention, il y a deux attitudes possibles : ouvrir grand ses oreilles pour essayer de comprendre (c’est ce que font les disciples), ou bien remettre ce prétentieux, ce faux messie à sa place (c’est l’attitude de ceux que Jean appelle « les Juifs »). En réalité, Juifs, ils le sont tous. Mais certains ont déjà vu Jésus à l’œuvre : et depuis le Baptême au bord du Jourdain, depuis les noces de Cana, ils ont pressenti plusieurs fois que Jésus était bien le Messie ; alors ils sont préparés à reconnaître dans l’attitude de Jésus un geste prophétique.

D’autant plus qu’à vrai dire, tout le monde sait que les animaux des sacrifices ne devraient pas être là : normalement, les marchands de bestiaux auraient dû se trouver dans la vallée du Cédron et sur les pentes du mont des Oliviers. Peu à peu, ils se sont rapprochés du Temple jusqu’à s’installer sur l’esplanade ! C’est cela que Jésus leur reproche, à juste titre.

Alors une phrase du psaume 68/69 revient à la mémoire des disciples : « Le zèle de ta maison m’a dévoré ». C’est la plainte de quelqu’un qui est persécuté à cause de sa foi : « Dieu d’Israël, c’est à cause de toi que je supporte l’insulte... Oui, le zèle pour ta maison m’a dévoré ; ils t’insultent et leurs insultes retombent sur moi. » (Ps 68/69, 8-10). Le psaume parle au passé : « Le zèle pour ta maison m’a dévoré », alors que Jean reprend cette phrase au futur : « Le zèle de ta maison me dévorera » (verset 17). Manière d’annoncer la persécution qui attend Jésus et qui commence déjà d’ailleurs ! Nous sommes encore au tout début de l’évangile de Jean, mais le procès de Jésus est déjà esquissé. À lui, bientôt, s’appliquera pleinement la plainte des persécutés pour la justice : « L'amour de ta maison fera mon tourment ».

DÉTRUISEZ CE TEMPLE, ET EN TROIS JOURS JE LE RELÈVERAI

 Car ceux que Jean appelle les « Juifs » n’ont pas, à son égard, la même bienveillance que les disciples. Pour eux, il n’est rien : un Galiléen (et peut-il sortir quelque chose de bon de par là-bas ?) et il se permet de critiquer les pratiques habituelles du Temple. Soyons justes : ils n’ont pas forcément tort de lui demander de se justifier... « Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là ? » La réponse de Jésus deviendra lumineuse pour les croyants après la Résurrection : « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ». Pour l’instant, c’est le quiproquo total : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce Temple1, et toi, en trois jours, tu le relèverais » ; en bonne logique, on ne peut pas leur donner tort. Un homme tout seul ne peut évidemment pas entreprendre des travaux pareils ! Il ne peut y arriver ni en trois jours, ni en quarante-six ans, ni en toute une vie ! 

 Ce Temple magnifique, respecté de tous, parce qu’il est le signe manifeste de la présence de Dieu au milieu de son peuple, ce Temple n’attend rien du charpentier de Nazareth. Avec son histoire de trois jours, il est un peu court...

Encore que... pour un Juif, habitué de l’Écriture, trois jours c’était un chiffre dont on parlait souvent : c’était habituellement une manière symbolique d’affirmer « Dieu interviendra certainement » ; on lit cela dans le livre d’Osée, par exemple (Os 6) ; or, le livre d’Osée, nos Juifs le connaissaient sur le bout du doigt, sûrement ! Oui, mais... les prophètes, on a l’habitude qu’ils parlent comme cela, de façon énigmatique, symbolique... mais lui, à leurs yeux, ce n’est pas un prophète !

Tout le problème est là, d’après Jean : et s’il a placé cet épisode du Temple au début du ministère public de Jésus alors que les trois autres évangiles le placent au contraire tout à la fin, c’est peut-être pour nous alerter : il y a des a priori qui empêchent Dieu de parler. Les disciples n’avaient pas de ces a priori, ils ont pu accompagner Jésus pas à pas et le découvrir peu à peu ; au contraire, ses opposants se sont enfermés dans leurs certitudes ; ils sont, du coup, passés à côté de cette révélation extraordinaire, qu’ils attendaient pourtant de tout leur cœur : désormais, la Présence de Dieu n’est pas dans une construction de pierre, mais au cœur même de l’humanité, dans le corps du Ressuscité.

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Note

1 - Quand ils comptent quarante-six ans, les Juifs ne parlent pas de la construction du Temple à partir de rien ! Ils parlent des travaux de restauration entrepris par Hérode : ces travaux d'agrandissement et de décoration avaient débuté en 19 av. J.-C. ; donc, nous sommes probablement en 27 de notre ère.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 3 03 2024 3e dimanche de Carême B

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18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 18:58
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE 22, 1-2.9a.10-13.15-18

1    En ces jours-là,
     Dieu mit Abraham à l’épreuve.
     Il lui dit : « Abraham ! »
     Celui-ci répondit : « Me voici ! »
2   Dieu dit :
     « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac,
     va au pays de Moriah,
     et là tu l’offriras en holocauste
     sur la montagne que je t’indiquerai. »
9    Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué.
     Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois ;
     puis il lia son fils Isaac
     et le mit sur l’autel par-dessus le bois.
10 Abraham étendit la main
     et saisit le couteau pour immoler son fils.
11 Mais l’Ange du SEIGNEUR l’appela du haut du ciel et dit :
     « Abraham ! Abraham ! »
     Il répondit : « Me voici ! »
12 L’Ange lui dit :
     « Ne porte pas la main sur le garçon !
     Ne lui fais aucun mal !
     Je sais maintenant que tu crains Dieu :
     tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. »
13 Abraham leva les yeux et vit un bélier
     retenu par les cornes dans un buisson.
     Il alla prendre le bélier
     et l’offrit en holocauste à la place de son fils.
15  Du  ciel, l’Ange du SEIGNEUR appela une seconde fois Abraham :
16 Il déclara : « Je le jure par moi-même, oracle du SEIGNEUR :
     parce que tu as fait cela,
     parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique,
17 je te comblerai de bénédictions,
     je rendrai  ta descendance aussi nombreuse
     que les étoiles du ciel
     et que le sable au bord de la mer,
     et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis.
18 Puisque tu as écouté ma voix,
     toutes les nations de la terre
     s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction
     par le nom de ta descendance. »
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UN TEXTE À LIRE DANS LA FOI

Le malheur de ce texte, c'est qu'il y a deux manières de le lire ! La manière épouvantable qui imagine Dieu donnant un ordre à Abraham pour le seul plaisir de voir si Abraham obéira... et seulement ensuite, arrive le contrordre : « Ne porte pas la main sur l’enfant »...

On a envie de dire : Il était temps ! Et, toujours dans cette même optique, (épouvantable !) on pense que, parce qu’Abraham s’est bien conduit, parce qu’il a fait ce qui lui était commandé (deux fois de suite, il répond seulement « me voici »...), Dieu lui promet monts et merveilles.

Mais, cela, c’est une lecture païenne ! Avec un Dieu qui nous attend au tournant et qui récompense et punit souverainement... un Dieu tel que nous l’imaginons parfois, et pas tel qu’Il est vraiment.

La lecture de la foi est toute différente ; vous savez, comme on dit qu’on regarde celui ou celle qu’on aime avec les « yeux de l’amour », il existe des « yeux de la foi ». D’ailleurs, si nous avions eu le temps de lire ce texte en entier, tel que la Bible le raconte (ici, nous avons eu la lecture liturgique qui est malheureusement très abrégée), vous auriez constaté que le thème du regard est très présent dans ces lignes : les mots « voir, regarder, lever les yeux » reviennent tout le temps ; le nom même de Moriah est un jeu de mots sur le verbe voir : il veut dire à la fois « Le SEIGNEUR voit » et « Le SEIGNEUR est vu ». Manière de dire que la foi est un peu comme une paire de lunettes qu’on chausse pour regarder Dieu et le monde.

Donc, si vous voulez bien, je vous propose une lecture croyante de ce texte, une lecture avec les yeux de la foi.

Premièrement, quand ce texte est écrit, il y a mille ans au moins que tout le monde sait qu’Isaac n’a pas été tué par Abraham, et qu’il a au contraire vécu jusqu’à un âge très avancé. L’auteur de ce récit ne nous propose donc pas une sorte de film à suspense.

Sur ce point, on peut penser que certains tableaux représentant l’offrande d’Isaac forcent un peu trop le trait sur ce suspense.

Deuxièmement, quand ce texte est écrit (seulement vers 700 av. J.-C. alors qu’Abraham a vécu au deuxième millénaire av. J.-C.), on sait parfaitement bien que Dieu refuse absolument les sacrifices humains !1 Et cela depuis toujours. On sait aussi qu’il est bien difficile d’obéir à cette interdiction quand les peuples environnants pratiquent, eux, des sacrifices humains. Cela exige une conversion du regard de l’homme sur Dieu. Et donc les descendants d’Abraham lisent ce texte comme le récit de la conversion du regard d’Abraham sur Dieu ; un peu comme si Dieu lui disait : « Quel regard as-tu sur moi, Abraham, quand je te demande un sacrifice ? Imagines-tu un Dieu qui veut la mort de ton enfant ? Eh bien, tu te trompes ! Pourtant, j’ai tout fait pour te rappeler que je n’ai pas oublié ma Promesse de te donner une descendance, par ce fils, précisément. »

Cette fameuse Promesse, nous la connaissons par les chapitres précédents du livre de la Genèse : « Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai. Je rendrai grand ton nom... En toi seront bénies toutes les familles de la terre... Je multiplierai ta descendance comme la poussière de la terre... Contemple le ciel, compte les étoiles si tu peux les compter : telle sera ta descendance... C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom... » (toutes ces promesses se trouvent dans les chapitres 12 à 21 de la Genèse).

 

DIEU N’A PAS OUBLIÉ SA PROMESSE

Au moment d’éprouver Abraham, Dieu prend soin de lui rappeler cette promesse pour lui montrer qu’il ne l’a pas oubliée. Cela commence dès le premier mot : « Abraham... ». Dieu l’appelle, non par son nom de naissance, Abram, mais par le nom qu’Il lui a donné depuis qu’ils ont fait Alliance, « Abraham » qui veut dire « Père des multitudes ». « Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac... »

Dans la lecture païenne, on dira : non seulement Dieu lui demande une chose horrible, mais en plus il s’amuse à « retourner le fer dans la plaie », comme on dit...

L’autre lecture c’est : si Dieu insiste « ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac... » ; c’est une manière de dire : Je n’ai pas oublié ma Promesse, je n’ai pas oublié que c’est sur lui, Isaac, que tous nos espoirs reposent... « Ton Unique », c’est par lui et par lui seul que la Promesse se réalisera, par qui ta descendance naîtra... »

Isaac, son nom veut dire « l’enfant du rire » : rappelle-toi, Abraham, tu as ri quand je te l’ai promis ; et Sara aussi a ri... tu n’y croyais plus à cette naissance, à ton âge, et elle est venue, parce que je te l’ai promis. « Ton Unique », c’est par lui et par lui seul que la Promesse se réalisera, par qui ta descendance naîtra... » Une descendance aussi nombreuse que les grains de poussière de la terre (Gn 13), aussi nombreuse que les étoiles (Gn 15).

Vous avez remarqué, certainement, au passage, que j’ai employé une curieuse formule ; j’ai imaginé que Dieu dit à Abraham « C’est sur Isaac que tous nos espoirs reposent ... » : elle est là la différence entre la lecture païenne et la lecture de la foi : le païen soupçonne Dieu de se désintéresser de lui ; le croyant, lui au contraire, découvre que l’espoir de l’homme peut être aussi l’espoir de Dieu, il croit que les intérêts de l’humanité et ceux de Dieu sont les mêmes, puisque Dieu s’est engagé dans l’aventure de l’Alliance ; croire, j’y reviens toujours, c’est croire, malgré tout ce qui peut arriver, que le dessein de Dieu n’est que bienveillant !

Justement, Abraham avait la foi jusque-là ; jusqu’à croire que, d’une manière qui lui échappait, mais d’une manière certaine, Dieu accomplirait sa Promesse de lui donner une descendance, par Isaac et non par un autre ; et c’est pour cela qu’Abraham est donné en exemple à ses descendants ; et c’est pour cela aussi que Dieu a pu éprouver sa foi jusque-là.

Et, du coup, grâce à cette foi invincible d’Abraham, un tournant unique, décisif a été franchi dans l’histoire de la Révélation. Abraham a découvert que quand Dieu dit « sacrifie », il ne dit pas « tue » ; comme si le sang lui faisait plaisir ! Dieu a bien dit à Abraham « offre-moi ton fils en holocauste » ; et Abraham a découvert que cela veut seulement dire « fais-le vivre, sans jamais oublier que c’est moi qui te l’ai donné ». Désormais, on saura pour toujours en Israël que Dieu ne veut jamais la mort de l’homme, sous aucun motif.

Alors, parce qu’Abraham n’a pas quitté la confiance, il peut réentendre à nouveau la promesse dont il n’a jamais douté : » Je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu m’as obéi, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance. » Ce qui est l’exacte reprise des promesses des chapitres 12 à 21 de la Genèse.

Encore aujourd’hui, cette promesse de Dieu n’est pas accomplie : la descendance innombrable existe, certes, mais qu’elle soit source de bénédictions pour l’humanité tout entière à commencer par elle-même, c’est encore à venir ! Quand on voit quelle est la rudesse des luttes entre les descendants eux-mêmes ! Méritent d’être appelés « fils d’Abraham » aujourd’hui ceux qui croient que la Promesse de Dieu se réalisera, quoi qu’il arrive, simplement parce que Dieu l’a promis et qu’il est fidèle. Ou plutôt... Méritent, à vrai dire, d’être appelés « fils d’Abraham » aujourd’hui ceux qui croient à cette Promesse et œuvrent de toutes leurs forces pour qu’elle advienne !
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Note

1 – Sur l’interdiction des sacrifices humains, lire Dt 18,10 ; Jr 7,31 ; Jr 19,5. On peut penser que ce récit concernant l’offrande d’Isaac (ce que les Juifs appellent la « ligature d’Isaac ») a été composé pour rassurer les croyants à qui l’on rappelait l’interdiction des sacrifices humains. À une époque où la tentation réapparaissait d’imiter cette pratique en usage dans les peuples voisins, on rappelait l’exemple d’Abraham : lui, le modèle des croyants, avait compris que Dieu n’en a jamais voulu.
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PSAUME 115 (116), 10.15,16ac-17,18-19

10 Je crois, et je parlerai,
     moi qui ai beaucoup souffert.
15 Il en coûte au SEIGNEUR !
     de voir mourir les siens !   

16 Ne suis-je pas, SEIGNEUR, ton serviteur,
     moi, dont tu brisas les chaînes ?
17 Je t'offrirai le sacrifice d'action de grâce,
     j'invoquerai le nom du SEIGNEUR.   

18 Je tiendrai mes promesses au SEIGNEUR,
     oui, devant tout son peuple,
19 à l'entrée de la maison du SEIGNEUR,
     au milieu de Jérusalem !
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IL EN COÛTE AU SEIGNEUR DE VOIR MOURIR LES SIENS

C’est le peuple croyant qui parle ; il a expérimenté, au sein même de la souffrance, que Dieu était son allié « Je crois, et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert… moi dont tu brisas les chaînes ». La souffrance dont il parle, c’est celle de l’esclavage en Égypte : dix fois Pharaon a promis la liberté, mais toujours en définitive, il s’est comporté en ennemi ; seul Dieu a soutenu l’effort de libération de son peuple, et a couvert sa fuite.

Je vous cite les versets que nous n’avons pas lus aujourd’hui et qui expliquent ce contexte : « (Je crois, et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert,) moi qui ai dit dans mon trouble : l’homme n’est que mensonge. Comment rendrai-je au SEIGNEUR tout le bien qu’il m’a fait ? (verset 12). Ne suis-je pas, SEIGNEUR, ton serviteur, moi dont tu brisas les chaînes ? »

Les chaînes dont le peuple d’Israël parle ici, ce sont celles de l’Égypte ; mais au cours des siècles, on a connu bien d’autres chaînes, bien d’autres esclavages. Et chacun de nous sait que, même apparemment libre, on peut se forger des chaînes.

C’en est une, entre autres, et bien pire encore, que d’avoir une fausse image de Dieu : d’imaginer un Dieu qui serait rival de l’homme, par exemple (comme la mythologie mésopotamienne) ou d’imaginer un Dieu avide de sacrifices humains par exemple (comme la religion cananéenne). Quand le peuple hébreu s’est installé en Canaan, il a été en contact avec une religion qui exigeait des sacrifices humains ; et il a fallu résister, pas toujours avec succès, à cette contamination. Quand tout va mal, quand on a peur de la guerre, ou d’une catastrophe, on ferait bien n’importe quoi ; et si quelqu’un nous convainc que, pour l’obtenir, il faut satisfaire telle exigence de telle divinité, nous sommes prêts à tout...

C’est comme cela que, au huitième siècle av. J.-C., le roi Achaz a sacrifié son fils, croyant qu’il fallait aller jusque-là pour sauver son royaume.

C’est précisément pour cela qu’a été écrit le récit de l’épreuve d’Abraham, dans le livre de la Genèse. La découverte extraordinaire qu’Abraham a faite, c’est : Dieu veut que tout homme vive ; aucune mort ne l’honore, il ne veut pas de ce genre de sacrifices... Et quand on entend dans le psaume « Il en coûte au SEIGNEUR de voir mourir les siens... », on comprend que ce psaume nous soit proposé aujourd’hui, en écho au récit de l’épreuve d’Abraham.

Cette découverte, « Il en coûte au SEIGNEUR de voir mourir les siens... » n’est jamais acquise une fois pour toutes.

Le serpent du Jardin de la Genèse insinuait que Dieu préférerait voir l’homme mourir... et justement le récit biblique affirmait que cette pensée est une tentation à laquelle il ne faut pas succomber.

La tentation renaît sans cesse de voir en Dieu un rival de notre liberté et de notre vie. Lui qui semble pouvoir jouer avec notre vie à sa guise.

Évidemment, notre relation à Dieu dépend de l’image que nous nous faisons de lui :

Dans le schéma païen, on pourrait dire qu’il y a deux étapes : 1) l’homme souhaite quelque chose ; 2) pour l’obtenir, il essaie d’amadouer la divinité par tous les moyens possibles, y compris un sacrifice humain, s’il le faut.

Le psaume d’aujourd’hui traduit l’attitude croyante, qui est un retournement complet de ce schéma : il y a deux étapes, oui, mais inversées.

Premièrement, en Israël, on sait que c’est Dieu qui a l’initiative depuis toujours ; avec Adam, avec Noé, avec Abraham, chaque fois c’est Dieu qui a appelé l’homme à l’existence et à l’Alliance pour le bonheur de l’homme et non pour son profit, à lui, Dieu. Puis, quand le peuple a souffert en Égypte, Dieu est venu à son secours : « Le SEIGNEUR dit à Moïse : J’ai vu la misère de mon peuple en Égypte et je l’ai entendu crier sous les coups des chefs de corvée. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens... Et maintenant, puisque le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi, puisque j’ai vu le poids que les Égyptiens font peser sur eux, va, maintenant ; je t’envoie vers Pharaon, fais sortir d’Égypte mon peuple, les fils d’Israël ». (Ex 3,7... 10). Et Dieu a libéré son peuple.

Deuxièmement, et c’est la conséquence, tout geste de l’homme vis-à-vis de Dieu n’est qu’une réponse ; par exemple, quand le peuple rend grâce, il ne fait que reconnaître l’œuvre de Dieu ; « Comment rendrai-je au SEIGNEUR tout le bien qu’il m’a fait ? »

 

JE TIENDRAI MES PROMESSES AU SEIGNEUR

Et désormais l’action de grâce se manifestera non seulement par des sacrifices au Temple, mais aussi et surtout par un comportement quotidien fait d’obéissance à la volonté de Dieu. « Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce, j’invoquerai le nom du SEIGNEUR. Je tiendrai mes promesses au SEIGNEUR, oui, devant tout son peuple, à l’entrée de la maison du SEIGNEUR, au milieu de Jérusalem. »

Bien sûr, ce psaume prend tout son sens quand on sait qu’il fait partie des psaumes du Hallel, (les psaumes 112/113 à 117/118 qui étaient chantés à l’occasion de la fête juive de la Pâque) ; Jésus l’a donc chanté le soir du Jeudi saint.

Marc note : « Après avoir chanté les psaumes, (il s’agit des psaumes du jour, donc du Hallel, et en particulier de ce psaume-ci), ils sortirent pour aller au mont des Oliviers. » (Mc 14,26).1

Et ce qui est très frappant, c’est la parenté entre ce psaume que Jésus a chanté le Jeudi soir et celui qu’il dira sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (le psaume 21/22). L’un et l’autre évoquent la douleur : nous venons d’entendre le cri du psaume 21/22 (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »), et je vous rappelle le premier verset d’aujourd’hui : « Je crois, et je parlerai, moi qui ai beaucoup souffert ». L’un et l’autre se terminent par l’action de grâce, et presque dans les mêmes termes ; Psaume 21/22 : « Tu seras ma louange dans la grande assemblée ; devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses... Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR, glorifiez-le, vous tous, descendants de Jacob... Car il n’a pas rejeté, il n’a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ; il ne s’est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte ».

En écho, notre psaume d’aujourd’hui, reprend la même résolution : « Je tiendrai mes promesses2 au SEIGNEUR, oui, devant tout son peuple, à l’entrée de la maison du SEIGNEUR, au milieu de Jérusalem !
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Notes

1 – Les psaumes 112/113 et 113/114 sont chantés au début du repas pascal, les psaumes 114/115 à 117/118, à la fin.

2 – On peut penser que le psaume 115/116 est un ex-voto tout comme le psaume 21/22.
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS 8, 31b-34

            Frères,
31        si Dieu est pour nous,
            qui sera contre nous ?
32        Il n'a pas épargné son propre Fils,
            mais il l'a livré pour nous tous :
            comment pourrait-il,
            avec lui, ne pas nous donner tout ?
33        Qui accusera ceux que Dieu a choisis ?
            Dieu est celui qui rend juste :
34        alors, qui pourra condamner ?
            Le Christ Jésus est mort ;
            bien plus, il est ressuscité,
            il est à la droite de Dieu,
            il intercède pour nous.
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DIEU A TELLEMENT AIMÉ LE MONDE

Ces quelques lignes sont extraites d’une longue contemplation émerveillée de Paul : Dieu a tellement aimé les hommes qu’il n’hésite pas à leur livrer son Fils ; celui-ci a tellement aimé les hommes qu’il s’est abandonné entre leurs mains ; désormais son Esprit est en nous et plus rien ne peut nous séparer de l’Amour infini du Père, du Fils et de l’Esprit. Et, dans la lettre de Paul, le paragraphe que nous lisons ici commence par les mots « Que dire de plus ? »

Arrivé là, peut-être devine-t-il la question que beaucoup d’entre nous se posent : « Vous ne parlez que d’amour, mais où est la justice de Dieu là-dedans ? » Alors Paul développe ce thème de la justice de Dieu ; vous avez entendu les mots « accuser, justifier, condamner » : ils suggèrent le cadre d’un procès. Paul imagine l’humanité comparaissant devant un tribunal. Et là, une fois encore, il est en droite ligne de l’Ancien Testament ; car le thème du jugement de Dieu court tout au long de l’histoire biblique ; et comme tous les autres mots du vocabulaire de la foi, celui de « jugement » a changé de sens au fur et à mesure que les croyants découvraient le vrai visage de Dieu. Nous, hommes, nous imaginons toujours la justice en forme de balance ; mais le Dieu tout-Autre a une tout autre conception de la justice. Son jugement n’est jamais condamnation, emprisonnement, mais toujours salut, libération.

L’un des plus beaux textes dans ce sens est peut-être le premier chant du Serviteur dans le livre d’Isaïe : « Voici mon serviteur... j’ai mis mon Esprit sur lui. Pour les nations, il fera paraître le jugement, il ne criera pas, il n’élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre sa clameur ; il ne brisera pas le roseau ployé, il n’éteindra pas la mèche qui s’étiole ; à coup sûr, il fera paraître le jugement. » (Is 42,1-3). C’est un jugement tout en douceur qui nous est décrit là. Et Isaïe dit un peu plus loin ce que sera le verdict : le Serviteur va « ouvrir les yeux aveuglés, tirer du cachot le prisonnier, de la maison d’arrêt, les habitants des ténèbres. » (Is 42,7). Autrement dit, le jugement de Dieu est une levée d’écrou. Assortie cependant d’un envoi en mission pour aller annoncer à l’humanité tout entière jusqu’où va l’amour de Dieu.

Alors, dit Paul, « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Qui pourrait bien se permettre d’être contre nous ? Qui pourrait se permettre de juger à la place de Dieu ? « Qui accusera ceux que Dieu a choisis ? Puisque c’est Dieu qui justifie. » Or la preuve que « Dieu est pour nous », il nous l’a donnée en livrant son Fils entre nos mains : « Il n’a pas épargné son propre Fils, mais Il l’a livré pour nous tous » ; il n’a pas « éloigné cette coupe » comme le Christ le demandait à Gethsémani ; il ne l’a pas fait échapper miraculeusement à la haine des hommes.

« Il l’a livré » : en bonne logique, avant la venue du Christ, la situation de l’humanité était sans issue : c’est le thème que saint Paul développe dans ses huit premiers chapitres ; les hommes se sont enfermés dans une sorte d’esclavage ; les païens sont esclaves d’idoles, des dieux qui n’en sont pas, et cela leur inspire toute sorte de conduites aberrantes, de fanatismes, de haines, de désordres ; quant aux Juifs, pourtant bénéficiaires de la révélation, et pourtant de bonne foi, ils se sont rendus esclaves de la Loi, ils n’ont pas su reconnaître le Christ ; ils l’ont sacrifié à une fausse interprétation de la Loi.

 

DIEU VEUT QUE TOUS LES HOMMES SOIENT SAUVÉS

Face à ce désastre, à cet échec de l’humanité, c’est Dieu qui a pris l’initiative de nous donner un Sauveur ; ce que l’homme était incapable de faire par lui-même pour son salut, Dieu l’a réalisé. Le comble : c’est au nom même de la Loi donnée par Dieu que le fils de Dieu a été exécuté comme s’il était un pécheur public ; et Dieu laisse faire cette folie humaine. La croix manifeste l’amour du Père autant qu’elle manifeste l’amour du Fils : Dieu laisse faire pour que nous découvrions jusqu’où va son amour pour nous. C’est en contemplant la mort du Christ que nous pouvons enfin ouvrir les yeux sur l’immensité de l’amour de Dieu.

« Il l’a livré pour nous tous » : c’est l’une des grandes insistances de Paul : « pour tous » ; l’amour, par hypothèse, est gratuit. La lettre aux Éphésiens (reprenant une phrase de saint Pierre ; Ac 10,34) dit : « Le Maître est dans les cieux et il ne fait aucune différence entre les hommes » (Ep 6,9). La lettre à Timothée y insiste : « Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu, qu’un seul médiateur aussi entre Dieu et les hommes, un homme, Christ Jésus, qui s’est donné en rançon pour tous. » (1 Tm 2,4-6). Et vous savez bien que le mot « rançon » veut dire « libération » ; il s’agit de nous libérer définitivement de notre effroyable méprise : nous n’arrivons jamais à croire que Dieu n’est qu’amour. Et justement, le salut, c’est d’ouvrir enfin les yeux. Dans la lettre à Timothée que je citais il y a un instant, il faut lire : « Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés c’est-à-dire parviennent à la connaissance de la vérité », cette vérité que Dieu est Amour.

Un peu plus haut, dans cette lettre aux Romains, Paul affirme : « Maintenant, la justice de Dieu a été manifestée... il n’y a pas de différence : tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus-Christ ». (Rm 3,21... 24). Et la lettre aux Éphésiens, reprend une phrase superbe d’Isaïe : « Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches » (Ep 2,17). Enfin, Paul termine ce chapitre en disant : « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 8,39).

La grande phrase du Carême, c’est « convertissez-vous, croyez à la Bonne Nouvelle ! » Voilà que la Nouvelle est encore bien meilleure que nous n’osons le croire.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC 9, 2-10

     En ce temps-là,
2   Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean,
     et les emmène, eux seuls, à l'écart sur une haute montagne.
     Et il fut transfiguré devant eux.
3   Ses vêtements devinrent resplendissants,
     d'une blancheur telle
     que personne sur terre ne peut obtenir une blancheur pareille.
4   Élie leur apparut avec Moïse,
     et tous deux s'entretenaient avec Jésus.
5   Pierre alors prend la parole
     et dit à Jésus :
     « Rabbi, il est bon que nous soyons ici !
     Dressons donc trois tentes :
     une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
6   De fait, Pierre ne savait que dire,
     tant leur frayeur était grande.
7   Survint une nuée qui les couvrit de son ombre,
     et de la nuée une voix se fit entendre :
     « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ;
     écoutez-le ! »
8   Soudain, regardant tout autour,
     ils ne virent plus que Jésus seul avec eux.
9   Ils descendirent de la montagne,
     et Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu,
     avant que le Fils de l'homme
     soit ressuscité d'entre les morts.
10 Et ils restèrent fermement attachés à cette parole,
     tout en se demandant entre eux ce que voulait dire :
     « ressusciter d'entre les morts ».
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JÉSUS LEUR ORDONNA DE NE RACONTER À PERSONNE

Chaque année, le deuxième dimanche de Carême nous fait relire l’un des trois récits de la Transfiguration dans les évangiles ; je ne m’attacherai donc ici qu’à un aspect de ce texte de Marc, un aspect un peu surprenant, il faut bien le dire : « Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » On peut se demander pourquoi Jésus donne une telle consigne de secret à ses disciples.

Tout d’abord, qu’ont-ils vu ? Jésus leur est apparu ici en gloire sur une montagne entre deux des plus grandes figures d’Israël : Moïse le libérateur, celui qui a transmis la Loi ; et Élie le prophète de l’Horeb. Nous qui connaissons la fin de l’histoire, si j’ose dire, nous savons (ce que les disciples ne savent pas encore) que, quelque temps plus tard, Jésus sera sur une autre montagne, crucifié entre deux brigands.

Jésus, lui, sait bien que la plus grande difficulté de la foi des apôtres sera de reconnaître dans ces deux visages du Messie l’image même du Père : « Qui m’a vu a vu le Père » dira Jésus à Philippe la veille de sa mort. (Jn 14,9). Je crois qu’on a là une phrase-clé du mystère du Christ.

Car ces deux images, la gloire et la souffrance, sont les deux faces du même amour de Dieu pour l’humanité tel qu’il s’est incarné en Jésus-Christ ; comme dit saint Paul dans la lettre aux Romains, l’amour de Dieu est « manifesté » (rendu visible) en Jésus-Christ (Rm 8,39). Et, à plusieurs reprises, Jésus lui-même a fait le lien entre gloire et souffrance en parlant du Fils de l’homme ; mais il est encore trop tôt pour que les disciples comprennent et acceptent ce mystère du Messie souffrant. C’est pour cela, probablement, que Jésus leur recommande de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, « jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ».

Je reprends cette phrase : « Jésus leur défendit de raconter à personne ce qu’ils avaient vu, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. » Et Marc nous dit qu’ils ont obéi tout en se demandant ce que pouvait bien vouloir dire « ressusciter d’entre les morts ». On peut penser que les disciples croyaient bien à la résurrection des morts, comme la majorité des Juifs de leur époque, mais qu’ils l’imaginaient seulement pour la fin des temps. Et donc, ils ne voyaient peut-être pas le sens de cette consigne de silence « jusqu’à la résurrection des morts » c’est-à-dire « jusqu’à la fin des temps » !

Autre surprise pour eux, certainement, ce titre de Fils de l’homme que, visiblement, Jésus s’attribuait à lui-même : quand il parlait du Fils de l’homme, on pensait tout de suite au prophète Daniel qui parlait du Messie en l’appelant « fils d’homme » ; mais ce « fils d’homme » était en réalité un être collectif, puisque le prophète l’appelait aussi « le peuple des Saints du Très-Haut » ; à l’époque de Jésus, cette idée d’un Messie collectif était courante dans certains milieux, dans lesquels on parlait volontiers aussi du Reste d’Israël, c’est-à-dire le petit noyau fidèle qui sauverait le monde.

Mais, évidemment, Jésus, à lui tout seul, ne pouvait pas être considéré comme un être collectif ! Là encore, il faudra attendre la Résurrection et même la Pentecôte pour que les disciples de Jésus de Nazareth comprennent que Jésus a pris la tête du « peuple des Saints du Très-Haut » et que tous les baptisés de par le monde sont invités à ne faire qu’un avec lui pour sauver l’humanité.

Deux bonnes raisons donc pour les inviter à ne pas raconter tout de suite ce qu’ils n’avaient pas encore compris. En attendant, il leur est demandé d’écouter, seul chemin pour entrer dans les mystères de Dieu : « Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, écoutez-le ».

« CELUI-CI EST MON FILS BIEN-AIMÉ, ÉCOUTEZ-LE »

L’expression « Écoutez-le » retentit aux oreilles des apôtres comme un écho de cette profession de foi qu’ils récitent tous les jours, puisqu’ils sont Juifs, « Shema Israël », « Écoute Israël ». C’est un appel à la confiance quoi qu’il arrive. Confiance qui sera durement éprouvée dans les mois qui viennent : car la Transfiguration a lieu au moment-charnière du ministère de Jésus : le ministère en Galilée se termine, Jésus va maintenant prendre le chemin de Jérusalem et de la croix. Le titre de « Bien-Aimé » va dans le même sens : car c’était l’un des noms que le prophète Isaïe donnait à celui qu’il appelait le Serviteur de Dieu ; il disait que ce Messie connaîtrait la souffrance et la persécution pour sauver son peuple.

Mais Jésus estime que tout cela doit encore demeurer secret : précisément parce que les disciples ne sont pas encore prêts à comprendre (et les foules encore moins) le mystère de la Personne du Christ : cette lueur de gloire de la Transfiguration ne doit pas tromper ceux qui en ont été spectateurs : ce n’est pas la marque du succès et de la gloire à la manière humaine, c’est le rayonnement de l’amour ; on est loin des rêves de triomphe politique et de puissance magique qui habitent encore les apôtres et qui les habiteront jusqu’à la fin. En leur donnant cette consigne de silence, Jésus leur fait entrevoir que seule la Résurrection éclairera son mystère. Pour l’instant, il faut redescendre de la montagne, résister à la tentation de s’installer ici à l’écart, sous la tente, mais au contraire affronter l’hostilité, la persécution, la mort.

La vision s’est effacée : « Ils ne virent plus désormais que Jésus seul » ; cette phrase résonne comme un rappel de la réalité présente, inéluctable. La gloire du Christ, bien réelle, ne le dispense pas des exigences de sa mission. Peut-être la consigne de silence qu’il donne à ses disciples traduit-elle sa volonté de ne pas se soustraire à ce qui l’attend et de surmonter pour lui-même la tentation d’y échapper ?

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 25 02 2024 2e dimanche de Carême B

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17 février 2024 6 17 /02 /février /2024 22:23
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE   9, 8-15

 

8   Dieu dit à Noé et à ses fils :
9   « Voici que moi, j'établis mon alliance avec vous,
     avec votre descendance après vous,
10 et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous :
     les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre,
     tout ce qui est sorti de l'arche.
11 Oui, j'établis mon alliance avec vous :
     aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge,
     il n'y aura plus de déluge pour ravager la terre. »
12 Dieu dit encore :
     « Voici le signe de l'alliance que j'établis entre moi et vous,
     et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous,
     pour les générations à jamais :
13 je mets mon arc au milieu des nuages,
     pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre.
14 Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre,
     et que l'arc apparaîtra au milieu des nuages,
15 je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous
     et tous les êtres vivants :
     les eaux ne se changeront plus en déluge,           
     pour détruire tout être de chair. »
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L’ARC EN CIEL, SYMBOLE DE L’ALLIANCE

Dans la Bible, le récit du Déluge et de l’Arche de Noé occupe quatre chapitres. Or notre lecture d’aujourd’hui n’en a retenu que quelques lignes qui sont les dernières parce que ce sont les plus importantes. C’est l’Alliance que Dieu propose à Noé et, à travers lui, à toute l’humanité.

Dans ces quelques lignes, il y a cinq fois le mot « Alliance » : « J’établis mon Alliance avec vous » dit Dieu ; une promesse qui ne figure nulle part ailleurs que dans la Bible : un véritable pacte entre Dieu et les hommes, un projet bienveillant de Dieu sur l’humanité : voilà une idée que l’homme n’a jamais trouvée tout seul : il a fallu la Révélation biblique.

Et cette Alliance perpétuelle entre Dieu et les hommes est symbolisée par l’image extraordinaire de l’arc en ciel. Évidemment l’arc-en-ciel existait depuis bien longtemps quand l’auteur de la Genèse a écrit son texte : mais quelle magnifique inspiration ! Cet arc-en-ciel qui semble unir ciel et terre, qui coïncide avec le retour de la lumière après la tristesse de la pluie, c’est un beau symbole pour l’Alliance entre Dieu et l’humanité ; sans compter le jeu de mots qui est valable en hébreu comme en français : dans les deux langues, c’est le même mot qui désigne l’arc en ciel et l’arc de tir qui servait alors pour la guerre : l’image qui nous est suggérée, c’est Dieu qui laisse son arme posée au mur.

Le message de l’auteur biblique, ici, c’est : chaque fois que vous voyez un arc-en-ciel, souvenez-vous que Dieu est l’ami des hommes. J’ai bien dit « l’auteur biblique ». Il parle d’Alliance entre Dieu et les hommes, il parle d’arc-en-ciel. Mais c’est l’Esprit Saint qui l’inspire. Ailleurs on ne parle pas encore de la même manière. Car la Bible n’est pas le seul livre à parler du Déluge, mais elle est le seul à en parler de cette manière.

Je m’explique : la Bible n'est pas la première à avoir raconté une histoire de déluge : le récit du livre de la Genèse a été écrit entre 1 000 et 500 av. J.-C. Or, bien avant, vers 1 600 av. J.-C., en Mésopotamie circulaient deux légendes (celles d'Atra-Hasis et de Gilgamesh), qui racontent également un déluge : les récits du déluge, celui de la Bible et ceux de Babylone, se ressemblent beaucoup ; si bien qu’il paraît évident que l'auteur biblique connaissait les récits babyloniens. L'histoire est à peu près la même : un héros (qui s’appelle Atra-Hasis ou bien Outnapishtim en Babylonie, Noé dans la Bible) est averti par la divinité d’un déluge imminent. Il construit un bateau et y fait monter toute sa famille et des spécimens de tous les animaux ; les écluses du ciel s'ouvrent et le déluge engloutit la terre ; lorsque la pluie cesse, le bateau s'arrête et le capitaine lâche des oiseaux qui partent en reconnaissance pour voir où en est l'asséchement de la terre. Quand la terre est redevenue habitable, le héros quitte l'arche avec sa famille et offre un sacrifice.

L’EXPLICATION DU DÉLUGE À BABYLONE ET DANS LA BIBLE

Il y a donc d'énormes ressemblances entre le récit biblique et ses ancêtres babyloniens ; mais il y a aussi des différences, et ce sont elles qui nous intéressent. C'est là que l'on peut déchiffrer la Révélation.

En ce qui concerne la cause du déluge, pour commencer, partout à cette époque, on est persuadé que Dieu est la cause première de tous les événements ; donc, dans les récits babyloniens et biblique, il ne fait aucun doute que le déluge a été commandé par la divinité ; mais ce n'est pas pour les mêmes raisons : à Babylone, on raconte que les dieux sont fatigués par les hommes qu'ils avaient créés pour leur bon plaisir et leur service, et qui, en fin de compte, troublent leur tranquillité ; dans la Bible, le message est tout différent : les hommes ne sont pas les jouets des caprices de Dieu ; c'est leur conduite mauvaise qui a contrecarré le projet initial ; voilà ce que dit la Bible : « Le SEIGNEUR vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal et le SEIGNEUR se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : J’effacerai sur la surface du sol l’homme que j’ai créé... Mais Noé trouva grâce aux yeux du SEIGNEUR ».

Ce qui veut dire que, pour l’auteur biblique, premièrement, les hommes sont responsables de leur destin ; deuxièmement, Dieu n’engloutit pas les innocents avec les coupables.

Autre différence, à la fin du voyage, le déluge une fois terminé, dans l’épopée de Gilgamesh, le héros babylonien est emmené au ciel et devient lui-même une divinité : il échappe définitivement au sort de l’humanité. La Bible entrevoit tout autre chose : Noé reste un homme avec lequel Dieu renouvelle son projet de la Création. L’auteur emploie les mêmes mots pour Noé et pour Adam : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre... » (Gn 9, 2 et Gn 1, 28). Et Dieu plante définitivement son arc dans les nuages pour faire Alliance avec l’humanité.
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PSAUME  24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9

4   SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies,
     fais-moi connaître ta route.
5   Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
     car tu es le Dieu qui me sauve.

6   Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse,
     ton amour qui est de toujours.
7   Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse,
     dans ton amour, ne m'oublie pas.

8   Il est droit, il est bon, le SEIGNEUR,
     lui qui montre aux pécheurs le chemin.
9   Sa justice dirige les humbles,
     il enseigne aux humbles son chemin.
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TU ES LE DIEU QUI ME SAUVE

Le psaume 24/25 est l'un de ceux qui nous sont proposés le plus souvent par la liturgie : ce qui veut dire qu'il doit être pour nous le modèle de la prière par excellence. Effectivement, on y trouve rassemblés les thèmes majeurs de la prière et de la foi d'Israël. Dans les quelques versets d'aujourd'hui, j'en retiens au moins trois :

Dieu nous sauve, Dieu nous enseigne, Dieu nous aime. Et c’est parce qu’il nous aime qu’il nous sauve et nous enseigne.

Premier thème : le Dieu qui sauve ; c’est le premier article du credo d’Israël, et le verbe « sauver » dans la foi juive, est synonyme de « libérer ». Dieu a libéré son peuple de l’esclavage en Égypte, d’abord ; il l’a libéré de l’Exil à Babylone, ensuite : deux expériences de salut, de libération, accompagnées l’une et l’autre d’un formidable déplacement géographique ; le don de la terre Promise, la première fois, puis le retour à Jérusalem, après l’Exil à Babylone.

Mais il y a d’autres esclavages, et donc d’autres libérations, dont voici la plus importante : Dieu en se révélant progressivement à son peuple, l’a, par le fait même, libéré des idoles ; or le pire esclavage au monde est celui de l’idolâtrie. Parce que, même en prison ou en esclavage, on peut encore arriver à garder sa liberté intérieure ; mais quand on est sous la coupe d’une idole, il n’y a plus de liberté intérieure.

Ne serait-ce pas même la définition d’une idole : ce qui occupe nos pensées au point de prendre la première place dans notre vie, et en définitive, de penser à notre place !

Ce Dieu libérateur invite ceux qui croient en lui à être à leur tour des libérateurs ; en ce début de Carême, il n’est pas inutile de nous rappeler le fameux texte d’Isaïe : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras : devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. Alors ta lumière poindra comme l’aurore... ta justice marchera devant toi et la gloire du SEIGNEUR sera ton arrière-garde. » (Is 58,6-8).

IL ENSEIGNÉ AUX HUMBLES SON CHEMIN

Deuxième thème de la foi d’Israël : la Loi est un cadeau de Dieu ; c’est la conséquence de la découverte que Dieu nous libère ; la Loi est donnée à Israël pour lui enseigner à vivre en peuple libre et à devenir à son tour libérateur. « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies... Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi... Le SEIGNEUR enseigne aux humbles son chemin... Il montre aux pécheurs le chemin, sa justice dirige les humbles ».

Après avoir dicté la Loi à Moïse, Dieu lui a dit, comme une confidence : « Si seulement leur cœur était décidé à me craindre et à observer tous les jours tous mes commandements, pour leur bonheur et celui de leurs fils, à jamais ! » (Dt 5,29) et Moïse a dit au peuple : « Vous veillerez à agir comme vous l’a ordonné le SEIGNEUR votre Dieu sans vous écarter ni à droite ni à gauche. Vous marcherez toujours sur le chemin que le SEIGNEUR votre Dieu vous a prescrit afin que vous restiez en vie, que vous soyez heureux et que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession » (Dt 5,32-33).

On notera au passage l’image du chemin : « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route... Le Seigneur montre aux pécheurs le chemin, il enseigne aux humbles son chemin. » Et le verbe « diriger » évoque bien lui aussi l’image d’un chemin : « Dirige-moi par ta vérité... Sa justice dirige les humbles ».

L’image du chemin est typique des psaumes pénitentiels : parce que le péché, au fond, c’est une fausse route. Celui qui parle ici et qui demande à Dieu de lui indiquer le bon chemin (« SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route... ») est un pécheur qui sait d’expérience qu’il a bien du mal par lui-même à rester sur le droit chemin. En français aussi, soit dit en passant, on emploie l’image du chemin pour désigner notre conduite morale, puisqu’on parle du « droit chemin ». Et, en hébreu, le mot « conversion » signifie « demi-tour ». Dans la Bible, le pécheur qui se convertit fait un véritable demi-tour ; il tourne le dos aux idoles, quelles qu’elles soient, qui le faisaient esclave et il se tourne vers Dieu qui le veut libre. Au fond, le véritable examen de conscience, ce pourrait être celui qui nous fait découvrir ce qui nous empêche d’être libres pour aimer Dieu et nos frères.

 

RAPPELLE-TOI, SEIGNEUR, TA TENDRESSE DE TOUJOURS

Troisième thème de la foi d’Israël : Dieu est Amour, il n’est que Don et Pardon. « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, ton amour qui est de toujours » ; on reconnaît là un écho de la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse dans le Sinaï : « Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté... » (Ex 34,6). Ce qui veut dire, une fois encore, qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour accueillir cette révélation. L’amour de Dieu est de toujours, l’Ancien Testament le sait très bien : après l’expérience de la libération d’Égypte, après la découverte de ce Dieu qui propose son Alliance à son peuple, on a pu réfléchir en termes neufs sur l’acte créateur de Dieu ; et, du coup, la conception du peuple d’Israël sur la création s’est mise à différer considérablement de celle des autres peuples. Désormais, on a compris que l’acte créateur de Dieu est un acte d’amour ; si Dieu a créé l’humanité, ce n’est pas pour satisfaire ses caprices ou son désir d’avoir des esclaves, comme on croyait en Mésopotamie, c’est par amour.

Un amour qui s’étend à l’humanité de tous les pays et de toutes les époques : c’est ce qu’exprime le récit du Déluge, qui est notre première lecture de ce premier dimanche de Carême. En Israël, quand on pense à l’Alliance proposée par Dieu à son peuple élu, on n’oublie jamais qu’elle s’inscrit dans un cadre plus large qui est l’Alliance de Dieu avec toute l’humanité.

Enfin, puisqu’il est Amour, Dieu n’attend rien en retour : l’amour est toujours gratuit, ou alors ce n’est pas de l’amour ! Il suffit de se laisser combler. Décidément ce psaume 24/25 est tout indiqué pour entrer en Carême !
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE PIERRE    3, 18-22

 

     Bien-aimés,
18 le Christ, lui aussi,
     a souffert pour les péchés,
     une seule fois,
     lui, le juste, pour les injustes,
     afin de vous introduire devant Dieu ;
     il a été mis à mort dans la chair,
     mais vivifié dans l'Esprit.
19 C'est en lui qu'il est parti proclamer son message
     aux esprits qui étaient en captivité.
20 Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir,
     au temps où se prolongeait la patience de Dieu,
     quand Noé construisit l'arche,
     dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes,
     furent sauvées à travers l'eau.
21 C'était une figure du baptême
     qui vous sauve maintenant :
     le baptême ne purifie pas de souillures extérieures,
     mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite,
     et il sauve par la résurrection de Jésus Christ,
22 lui qui est à la droite de Dieu,
     après s’en être allé au ciel,           
     lui à qui sont soumis les anges,
     ainsi que les Souverainetés et les Puissances.
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LE CHRIST A ACCEPTÉ DE SOUFFRIR

On sait peu de choses sur les circonstances de la rédaction de cette lettre, adressée par saint Pierre à des chrétiens d’Asie Mineure, ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie ; on suppose qu'il s'agit d'une période de persécution, puisque Pierre dit « le Christ a souffert lui aussi. »

Ce qui explique les encouragements prodigués à plusieurs reprises par l'apôtre ; par exemple : « Au cas où vous auriez à souffrir pour la justice, heureux êtes-vous... Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte (sous-entendu devant les tribunaux). » (1 P 3,14-15). Et c’est là que commence notre texte d’aujourd’hui par les mots « Car le Christ est mort pour les péchés, une fois pour toutes... »  Traduisez : votre espérance s’appuie sur la mort et la résurrection du Christ, c’est cet événement pascal qui doit vous donner toutes les audaces.

En évoquant la souffrance du Christ, Pierre applique à Jésus l’image du Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 53) : « Lui, le juste, il a souffert pour les injustes... » Pierre n’a pas besoin d’en dire plus : car, un peu plus haut, dans cette même lettre, il a longuement développé ce thème : « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces. Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie ; lui qui, insulté, ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas, mais s’en remettait au juste Juge ; lui qui, dans son propre corps a porté nos péchés sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont les meurtrissures vous ont guéris. Car vous étiez égarés comme des brebis, mais maintenant vous vous êtes tournés vers le berger et le gardien de vos âmes. » (1 P 2,21-24).

Ses lecteurs, visiblement familiers de l’Ancien Testament, comprennent très bien l’allusion. Celui que le prophète Isaïe appelle le « Serviteur » est un envoyé de Dieu : il est persécuté, mais la vision de ses souffrances convertit le cœur de son peuple. Alors ce Serviteur éliminé injustement est reconnu juste et connaît un véritable triomphe : « Il est haut placé, élevé, exalté à l’extrême » disait Isaïe (53,1). Là encore, Pierre fait l’application à Jésus-Christ : « Dans sa chair, il a été mis à mort, dans l’esprit (c’est-à-dire par l’Esprit), il a été rendu à la vie... (il est ressuscité), il est monté au ciel, au-dessus des anges et de toutes les puissances invisibles, à la droite de Dieu. »

Et tout ceci, c’était pour nous, « afin de nous introduire devant Dieu » comme dit Pierre. Et l’expression « pour nous » est à entendre au sens le plus large possible : c’est-à-dire que, tous, qui que nous soyons, pouvons bénéficier de cette œuvre du Christ : « Il est mort pour les injustes ». Même ceux qui, au temps de Noé, n’avaient pas été dignes de monter dans l’Arche, même ceux-là ont entendu désormais le message du salut : « Il est allé proclamer son message à ceux qui étaient prisonniers de la mort. Ceux-ci, jadis, s’étaient révoltés au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche. »

 

SON EXEMPLE PEUT TRANSFORMER NOS CŒURS

Donc, s’il fallait résumer le début de ce passage, on pourrait dire : le Christ est mort pour tous une fois pour toutes. Reste à savoir comment nous entrons dans ce salut offert : en acceptant de nous attacher au Christ, de nous greffer sur lui pour qu’il nous transforme à son image. Concrètement, Pierre nous dit que cette transformation s’opère « par le Baptême ».  Reprenant l’exemple de Noé, il dit : « Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre de personnes, huit en tout, furent sauvées à travers l’eau. C’était une image du Baptême qui vous sauve maintenant... » Il veut dire ici que les baptisés sont comme Noé sortant à l’air libre après le Déluge ; Noé, parce qu’il était un homme au cœur droit, a pu entendre et accepter la proposition d’Alliance de Dieu : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous... » (Gn 9,9 : notre première lecture). À notre tour, sortant des eaux du Baptême, nous pouvons entrer dans la Nouvelle Alliance : il nous suffit d’être prêts à nous « engager envers Dieu avec une conscience droite ». « Être baptisé, ce n’est pas être purifié de souillures extérieures, mais s’engager envers Dieu avec une conscience droite, et participer ainsi à la résurrection de Jésus Christ. »

On retrouve ici en filigrane un autre thème cher à Pierre, celui de la pierre d’achoppement : pour celui qui croit, Jésus-Christ est un rocher sur lequel il s’appuie ; pour celui qui refuse de croire, Jésus-Christ est la pierre d’achoppement, le rocher qui fait tomber. L’eau joue le même rôle : cause de mort pour ceux qui refusent de croire, cause de vie pour les baptisés. L’eau a noyé les contemporains de Noé... elle a noyé les Égyptiens (au temps de Moïse) ; la même eau a porté le bateau de Noé et a protégé le peuple en se retirant devant lui et en faisant des remparts de part et d’autre de son passage. La même eau peut faire de nous des frères de Jésus-Christ, par le Baptême : il nous suffit de croire, avec une « conscience droite ».

Désormais, nous sommes comme Noé : il a été sauvé, mis à part, en quelque sorte, pour être le signe et le témoin de la volonté de Dieu de faire Alliance avec l’humanité tout entière ; à notre tour, baptisés, nous sommes signes et témoins de l’Alliance universelle. Pierre insiste sur cette universalité de la proposition d’Alliance de Dieu : c’est pour cela qu’il note le chiffre « huit » : « Quand Noé construisit l’arche... un petit nombre de personnes, huit en tout, furent sauvées à travers l’eau. » Huit, dès l’Ancien Testament, était le chiffre de la Création nouvelle, puisque la première Création (Gn 1) se déroulait en sept jours. Ces huit personnes (Noé, sa femme, et les trois couples de ses enfants) étaient ceux par qui Dieu reprenait son projet de création. Ce n’était encore qu’une image : la véritable re-création commence avec la résurrection du Christ, et la nouvelle humanité naît dans les eaux du Baptême : c’est pour cela que de nombreux baptistères chrétiens des premiers siècles ou des clochers d’églises sont octogonaux.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC   1,12-15

 

     En ce temps-là,
     Jésus venait d'être baptisé
12  Aussitôt l'Esprit le pousse au désert
13 et, dans le désert,
     il resta quarante jours,
     tenté par Satan.
     Il vivait parmi les bêtes sauvages,
     et les anges le servaient.
14 Après l'arrestation de Jean,
     Jésus partit pour la Galilée
     proclamer l’Évangile de Dieu ;
15 il disait : « Les temps sont accomplis :
     le règne de Dieu est tout proche.
     Convertissez-vous
     et croyez à l’Évangile. »
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LES TENTATIONS DE JÉSUS

Chaque année, le premier dimanche de Carême, nous lisons le récit des Tentations chez l'un des trois évangélistes synoptiques ; cette année, nous les lisons dans saint Marc, c'est-à-dire dans la version la plus discrète possible : « Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt, l’Esprit le pousse au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient. »

Marc ne nous précise pas quelles tentations Jésus a dû affronter, mais la suite de son évangile nous permet de les deviner : ce sont toutes les fois où il a dû dire non ; parce que les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes, et que, homme lui-même, il était entouré d’hommes, il a dû faire sans cesse le choix de la fidélité à son Père.

L’épisode qui nous vient tout de suite à l’esprit, c’est ce qui s’est passé près de Césarée de Philippe : « En chemin, Jésus interrogeait ses disciples : Qui suis-je, au dire des hommes ? Ils lui dirent Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, l’un des prophètes. Et lui leur demandait : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Prenant la parole, Pierre lui répond : Tu es le Christ. Alors il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne. » (Mc 8,27-30).

Cette sévérité même est certainement déjà signe d’un combat intérieur. Et tout de suite après, Marc enchaîne « Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’Homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite. » (Ce qui, évidemment, cadrait mal avec le titre glorieux qui venait de lui être décerné par Pierre). Et vous connaissez la suite : « Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander. Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre ; il lui dit : Retire-toi ! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. » Il y a là, dans la bouche de Jésus l’aveu de ce qui fut la plus forte peut-être des tentations : celle d’échapper aux conséquences tragiques de l’annonce de l’évangile.

Tentation terriblement subtile : car elle s’accommode parfaitement bien d’un beau discours ; c’est au moment même où Pierre vient de faire la plus belle déclaration, le plus bel examen de théologie (!), qu’il est pour le Christ occasion de tentation.

Jusqu’à la dernière minute, à Gethsémani, il aura la tentation de reculer devant la souffrance : « Mon âme est triste à en mourir... Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14,34-36) Il est bien clair ici que sa volonté doit faire effort pour s’accorder à celle de son Père.

Jésus a eu certainement, on vient de le voir, la tentation de ne pas souffrir ; il a connu aussi celle de réussir ; là encore, son entourage l’y poussait ; le succès pouvait bien devenir un piège : « Tout le monde te cherche » (Mc 1,37), lui disaient ses disciples à Capharnaüm ; je vous rappelle le contexte ; le matin du sabbat à la synagogue, d’abord, où il avait délivré un possédé, puis la journée au calme chez Simon et André, où il avait guéri la belle-mère de Pierre ; le soir tous les alentours étaient là, qui avec son malade, qui avec son possédé ; et il avait guéri de nombreux malades ; la nuit suivante, avant l’aube, il était sorti à l’écart pour prier ; déception à la maison quand le jour s’était levé : s’il était parti ?

« Tout le monde te cherche »... Il avait dû s’arracher : « Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’Évangile : car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1,38). Pour cela et pas pour autre chose... Elle est là, la tentation : se laisser détourner de sa mission.

 

LE CHOIX DE LA FIDÉLITÉ

Cela a commencé très tôt, certainement, quand il a fallu affronter les moqueries de quelques proches ; toute vocation au service des autres impose des arrachements ; sa propre famille a parfois été un obstacle à sa mission : « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient il a perdu la tête » (Mc 3,21).

Cette souffrance de l'incompréhension traduit une autre sorte de tentation, celle de convaincre par des actes spectaculaires : « Les Pharisiens vinrent et se mirent à discuter avec Jésus ; pour lui tendre un piège, ils lui demandent un signe qui vienne du ciel. Poussant un profond soupir, Jésus dit : Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? En vérité, je vous le déclare, il ne sera pas donné de signe à cette génération... Et les quittant, il remonta dans la barque et il partit sur l’autre rive. » (Mc 8,11-12). Très certainement, quand Jésus décide brusquement de fausser compagnie à ses interlocuteurs du moment, que ce soient ses amis ou ses adversaires, c'est qu'il a un choix à faire.

Ce choix est celui de la fidélité à sa mission : qu'il soit le Messie, tout le monde y pense depuis le début ; mais le problème c'est qu'une fois encore, les pensées de Dieu ne sont pas les nôtres ; par exemple, on attendait, on espérait un Messie politiquement puissant, qui chasserait l'occupant romain et restaurerait la liberté politique d'Israël ; Jésus a dû sans cesse prêcher la seule grandeur de l'amour ; c’est pour cela qu’à plusieurs reprises, il impose le secret à ceux qui ont entrevu son mystère (que ce soit à la Transfiguration ou ailleurs) : il ne veut pas laisser son entourage s'engager sur une fausse piste.  

On ne s’étonne pas non plus qu’il ait vécu paisiblement au désert pendant quarante jours (chiffre symbolique) au milieu des bêtes sauvages : car c'est bien ainsi que le prophète Isaïe avait défini l'harmonie qui règnera dans la création nouvelle : « Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau. » (Is 11). Marc nous dit ici : Jésus est l'homme véritablement libre par rapport à toutes les tentations, le premier-né de l'humanité nouvelle.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 18 02 2024 1er dimanche de Carême B

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13 février 2024 2 13 /02 /février /2024 21:27
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE JOËL  2,12-18

12 Maintenant – oracle du SEIGNEUR –
     revenez à moi de tout votre cœur,
     dans le jeûne, les larmes et le deuil !
13 Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements,
     et revenez au SEIGNEUR votre Dieu,
     car il est tendre et miséricordieux,
     lent à la colère et plein d’amour,
     renonçant au châtiment.
14 Qui sait ? Il pourrait revenir,
     il pourrait renoncer au châtiment,
     et laisser derrière lui sa bénédiction :
     alors, vous pourrez présenter offrandes et libations
     au SEIGNEUR votre Dieu.
15 Sonnez du cor dans Sion :
     prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle,
16 réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte,
     rassemblez les anciens,
     réunissez petits enfants et nourrissons !
     Que le jeune époux sorte de sa maison,
     que la jeune mariée quitte sa chambre !
17 Entre le portail et l’autel,
     les prêtres, serviteurs du SEIGNEUR,
     iront pleurer et diront :
     « Pitié, SEIGNEUR, pour ton peuple,
     n’expose pas ceux qui t’appartiennent
     à l’insulte et aux moqueries des païens !
     Faudra-t-il qu’on dise :
     “Où donc est leur Dieu ?” »

18 Et le SEIGNEUR s’est ému en faveur de son pays,
     il a eu pitié de son peuple.
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« REVENEZ AU SEIGNEUR DE TOUT VOTRE CŒUR »

Le livre du prophète Joël est très court (il comporte en tout soixante-treize versets répartis en quatre chapitres) ; on le situe généralement vers l’an 600 av. J.-C., c’est-à-dire juste avant l’Exil à Babylone. Trois thèmes s'entremêlent constamment : la perspective de fléaux terrifiants (dont on ne sait s'ils sont réels ou supposés), des appels vibrants au jeûne et à la conversion, et l'annonce du salut accordé par Dieu. C'est le deuxième thème qui nous est proposé ici pour l'entrée en Carême.

L’appel à la conversion débute de manière très solennelle par la formule « Parole du SEIGNEUR » qui, comme toujours chez les prophètes, invite à prendre très au sérieux ce qui va suivre. Et ce qui suit, c’est le mot : « Revenez » qui est le grand mot du langage pénitentiel. Dieu dit à son peuple « Revenez vers moi » et le peuple supplie son Dieu : « Reviens », c’est-à-dire « accorde-nous ton pardon ».

Ce retour vers Dieu doit se faire « dans le jeûne, les larmes et le deuil ! » C’est là encore une expression consacrée ; mais les prophètes ont toujours appris au peuple à ne pas se contenter de manifestations extérieures ; Joël n’y manque pas : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au SEIGNEUR votre Dieu. » Déjà le premier Isaïe y insistait : « Vos solennités, je les déteste (dit Dieu), elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter. Quand vous étendez les mains, je me voile les yeux, vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous. Otez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice... » (Is 1,14-17).

Et le psaume 50/51 exprime dans une image particulièrement suggestive ce qu’est la véritable conversion, lorsqu’il affirme : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé, tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » Ceux qui ont lu Ézéchiel savent ce que veut dire ici le psalmiste : il faut briser nos cœurs de pierre pour qu’apparaisse enfin le cœur de chair. Joël est bien dans cette ligne quand il dit : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ».

 

« LE SEIGNEUR DÉBORDE DE ZÈLE POUR SON PEUPLE »

Tous ces efforts de jeûne et de conversion avaient pour but, apparemment, sous la plume de Joël, d’échapper à un châtiment mérité : « Revenez au SEIGNEUR votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux... Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment... Pitié, SEIGNEUR, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : Où donc est leur Dieu ? »

Et Joël termine sa harangue en annonçant que le pardon est déjà accordé ; la traduction liturgique dit : « Le SEIGNEUR s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple », mais le texte originel est encore plus fort : « Le SEIGNEUR déborde de zèle pour son pays, il a pitié de son peuple. »

Il restera à découvrir que cette douce pitié de Dieu est pour tous les hommes et ce sera le rôle du livre de Jonas ; curieusement, d’ailleurs, on découvre une très grande parenté entre les deux livres. Dans un style haut en couleurs, la fable de Jonas raconte la conversion de Ninive, la ville impie : « Jonas avait à peine marché une journée en proférant cet oracle : Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous, que déjà ses habitants croyaient en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu’aux petits. La nouvelle parvint au roi de Ninive. Il se leva de son trône, fit glisser sa robe royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur la cendre, proclama l’état d’alerte et fit annoncer dans Ninive : Par décret du roi et de son gouvernement, interdiction est faite aux hommes et aux bêtes, au gros et au petit bétail, de goûter à quoi que ce soit ; interdiction est faite de paître et interdiction est faite de boire de l’eau. Hommes et bêtes se couvriront de sacs et ils invoqueront Dieu avec force. Chacun se convertira de son mauvais chemin et de la violence qui reste attachée à ses mains. Qui sait ! Peut-être Dieu se ravisera-t-il, reviendra-t-il sur sa décision et retirera-t-il sa menace ; ainsi nous ne périrons pas. Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. » (Jon 3,4-10). Le secret de Dieu, c’est qu’il « déborde de zèle », comme dit Joël, pour tous les hommes, y compris ces mécréants de Ninivites.

Quelques siècles plus tard, Paul dira : « En ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5,8).
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PSAUME 50 (51)

3   Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
     selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4   Lave-moi tout entier de ma faute,
     purifie-moi de mon offense.

5   Oui, je connais mon péché,
     ma faute est toujours devant moi.
6   Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
     ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.

12 Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
     renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
     ne me reprends pas ton esprit saint.

14 Rends-moi la joie d'être sauvé ;
     que l'esprit généreux me soutienne.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
     et ma bouche annoncera ta louange.
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LA GRANDE DÉCOUVERTE DE DAVID

« Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. » Le peuple d’Israël est en pleine célébration pénitentielle au Temple de Jérusalem. Il se reconnaît pécheur, mais il sait aussi l’inépuisable miséricorde de Dieu. Et d’ailleurs, s’il est réuni pour demander pardon, c’est parce qu’il sait d’avance que le pardon est déjà accordé.

Cela avait été, rappelez-vous, la grande découverte du roi David : David avait fait venir au palais sa jolie voisine, Bethsabée ; (au passage, il ne faut pas oublier de préciser qu’elle était mariée avec un officier, Urie, qui était à ce moment-là en campagne). C’est d’ailleurs bien grâce à son absence que David avait pu convoquer la jeune femme au palais ! Quelques jours plus tard, Bethsabée avait fait dire à David qu’elle attendait un enfant de lui. Et, à ce moment-là, David avait organisé la mort au champ d’honneur du mari trompé pour pouvoir s’approprier définitivement sa femme et l’enfant qu’elle portait.

Or, et c’est là l’inattendu de Dieu, quand le prophète Nathan était allé trouver David, il n’avait pas d’abord cherché à obtenir de lui une parole de repentir, il avait commencé par lui rappeler tous les dons de Dieu et lui annoncer le pardon, avant même que David ait eu le temps de faire le moindre aveu. (2 S 12). Il lui avait dit en substance : « Regarde tout ce que Dieu t’a donné... eh bien, sais-tu, il est prêt à te donner encore tout ce que tu voudras ! »

Et, mille fois au cours de son histoire, Israël a pu vérifier que Dieu est vraiment « le SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté » selon la révélation qu’il a accordée à Moïse dans le désert (Ex 34,6).

Les prophètes, eux aussi, ont répercuté cette annonce et les quelques versets du psaume que nous venons d’entendre sont pleins de ces découvertes d’Isaïe et d’Ézéchiel. Isaïe, par exemple : « Moi, Dieu, je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire » (Is 43,25).

Cette annonce de la gratuité du pardon de Dieu nous surprend parfois : cela paraît trop beau, peut-être ; pour certains, même, cela semble injuste : si tout est pardonnable, à quoi bon faire des efforts ? C’est oublier un peu vite, peut-être, que nous avons tous sans exception besoin de la miséricorde de Dieu ; ne nous en plaignons donc pas ! Et ne nous étonnons pas que Dieu nous surprenne, puisque, comme dit Isaïe, « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. » Et justement, Isaïe précise que c’est en matière de pardon que Dieu nous surprend le plus.
 

« MOI, DIEU, JE NE GARDE PAS TES FAUTES EN MÉMOIRE »

 Cela nous renvoie à la phrase de Jésus dans la parabole des ouvriers de la onzième heure : « Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (Mt 20,15). On peut penser également à la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15) : lorsqu’il revient chez son père, pour des motifs pourtant pas très nobles, Jésus met sur ses lèvres une phrase du psaume 50 : « Contre toi et toi seul j’ai péché », et cette simple phrase renoue le lien que le jeune homme ingrat avait cassé.

Face à cette annonce toujours renouvelée de la miséricorde de Dieu, le peuple d’Israël, parce que c’est lui qui parle ici comme dans tous les psaumes, se reconnaît pécheur : l’aveu n’est pas détaillé, il ne l’est jamais dans les psaumes de pénitence ; mais le plus important est dit dans cette supplication « pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché ... » Et Dieu qui est toute miséricorde, c’est-à-dire comme aimanté par la misère, n’attend rien d’autre que cette simple reconnaissance de notre pauvreté. Vous savez d’ailleurs, que le mot pitié est de la même racine que le mot « aumône » : littéralement, nous sommes des mendiants devant Dieu. 

Alors il nous reste deux choses à faire : tout d’abord, remercier tout simplement pour ce pardon accordé en permanence ; la louange que le peuple d’Israël adresse à son Dieu, c’est sa reconnaissance pour les bontés de Dieu dont il a été comblé depuis le début de son histoire. Ce qui montre bien que la prière la plus importante dans une célébration pénitentielle, c’est la parole de reconnaissance des dons et pardons de Dieu : il faut commencer par le contempler, lui, et ensuite seulement, cette contemplation nous ayant révélé le décalage entre lui et nous, nous pouvons nous reconnaître pécheurs. Notre rituel de la réconciliation le dit bien dans son introduction : « Nous confessons l’amour de Dieu en même temps que notre péché ».

Et le chant de reconnaissance jaillira tout seul de nos lèvres, il suffit de laisser Dieu nous ouvrir le cœur : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » ; certains ont reconnu ici la première phrase de la Liturgie des Heures, chaque matin, qui est tirée de ce psaume 50/51. À elle seule, elle est toute une leçon : la louange, la reconnaissance ne peuvent naître en nous que si Dieu ouvre nos cœurs et nos lèvres.

Deuxième chose à faire et que Dieu attend de nous : pardonner à notre tour, sans délai, ni conditions... et c’est tout un programme !
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS 5, 20-6,2

     Frères,
5,20 nous sommes les ambassadeurs du Christ,
     et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel :
     nous le demandons au nom du Christ,
     laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 Celui qui n’a pas connu le péché,
     Dieu l’a pour nous identifié au péché,
     afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.
6,1 En tant que coopérateurs de Dieu,
     nous vous exhortons encore
     à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui.
2   Car il dit dans l’Écriture :
     Au moment favorable je t’ai exaucé,
     au jour du salut je t’ai secouru.

     Le voici maintenant le moment favorable,
     le voici maintenant le jour du salut.

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 « LAISSEZ-VOUS RÉCONCILIER AVEC DIEU »
 

« Laissez-vous réconcilier avec Dieu », dit Paul ; mais qui dit réconciliation dit querelle ; de quelle querelle s’agit-il ? Quand on sait que les hommes de l’Ancien Testament ont découvert justement que Dieu n’est pas en querelle avec les hommes. Le psaume 102/103 par exemple : « Le Seigneur n’est pas toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses... Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés... Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière. » Ou encore Isaïe : « Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant, ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu, qui pardonne abondamment. » (Is 55,7). Et enfin le livre de la Sagesse : « Tu as pitié de tous parce que tu peux tout, et tu détournes les yeux des péchés des hommes pour les amener au repentir... Tu les épargnes tous, car ils sont à toi, Maître qui aimes la vie... Ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous. » (Sg 11,23... 12,16).

Les hommes de la Bible en ont fait l’expérience : à commencer par David ; Dieu n’ignorait pas qu’il avait du sang sur les mains (après le meurtre d’Urie, le mari de Bethsabée, 2 S 12), et pourtant il envoie le prophète Nathan lui dire en substance : « Tout ce que tu as, je te l’ai donné, et si ce n’est pas encore assez, je suis prêt à te donner encore tout ce que tu voudras. » Dieu n’ignorait pas non plus que Salomon ne devait son trône qu’à la suppression de ses rivaux ; et pourtant, il écoute sa prière à Gabaon et l’exauce bien au-delà de ce que le jeune roi avait osé lui demander (1 R 3). Mieux encore, le Nom même de Dieu, le « Miséricordieux » veut bien dire qu’il nous aime d’autant plus que nous sommes misérables.

Dieu n’est donc pas en querelle avec l’homme ; mais pourtant Paul parle de réconciliation, car depuis que le monde est monde (Paul dit « depuis Adam », c’est la même chose), l’homme fait des procès à Dieu. Le génie du texte de la Genèse (Gn 2-3) est d’attribuer au serpent la paternité de la phrase accusatrice contre Dieu : « Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 3,4). Autrement dit, Dieu est jaloux des hommes et ne leur veut pas du bien. Ce qui est sous-entendu par l’auteur de la Genèse, c’est que ce soupçon n’est pas naturel à l’homme (puisque c’est la voix du serpent), on peut donc l’en guérir. C’est bien ce que Paul dit ici : « C’est Dieu lui-même qui vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu. »

« NOUS SOMMES LES AMBASSADEURS DU CHRIST »

Et qu’a fait Dieu pour ôter de nos cœurs cette querelle, ce soupçon ? « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes » : Jésus, lui, n’a pas connu le péché, pas un instant, il n’a été en querelle avec son Père ; ailleurs, Paul dit : « Il s’est fait obéissant » (Phi 2,8), c’est-à-dire confiant même à travers la souffrance et la mort. Il a essayé de faire partager aux hommes cette confiance et cette révélation d’un Dieu qui n’est qu’amour, pardon, secours des petits.

Et, suprême paradoxe, c’est pour cela qu’il a été considéré comme un blasphémateur, et mis au rang des pécheurs, et exécuté comme un maudit (Dt 21,23). Cet aveuglement des hommes s’est abattu sur lui, et Dieu a laissé faire parce que c’était le seul moyen de nous faire toucher du doigt jusqu’où peut aller son « zèle pour son peuple », comme dit le prophète Joël (dans la première lecture). Jésus a subi dans sa chair le péché même des hommes, leur violence, leur haine, leur refus de la révélation d’un Dieu d’amour. Sur le visage du Christ en croix, nous contemplons jusqu’où va l’horreur de ce péché des hommes ; mais aussi jusqu’où vont la douceur et le pardon de Dieu. Et de cette contemplation peut jaillir notre conversion, notre « justification » dirait Paul. « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » disait déjà Zacharie (Za 12,10), repris par saint Jean (Jn 19,37). Découvrir en Jésus pardonnant à ses bourreaux l’image même de Dieu (« Qui m’a vu a vu le Père » Jn 14,9), c’est entrer dans la réconciliation proposée par Dieu.

Il nous reste la tâche de l’annoncer au monde : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ », dit Paul qui se considère comme envoyé en mission d’ambassade auprès de ses frères. À notre tour de relayer cette mission ; et c’est probablement le sens de la citation de Paul à la fin du texte : « Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable, je t’ai exaucé, au jour du salut je suis venu à ton secours. »

Paul reprend ici une phrase du prophète Isaïe qui disait à ses contemporains exilés à Babylone que leur mission était d’annoncer que l’heure du salut de Dieu était arrivée. Et cette mission d’Israël était comparée à une levée d’écrou, tellement nos fausses idées sur Dieu nous emprisonnent.

À son tour, le Christ a confié à son Église la mission d’annoncer au monde la rémission des péchés.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 6, 1-6. 16-18

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples :
1   « Ce que vous faites pour devenir des justes,
     évitez de l’accomplir devant les hommes
     pour vous faire remarquer.
     Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous
     auprès de votre Père qui est aux cieux.

2   Ainsi, quand tu fais l’aumône,
     ne fais pas sonner la trompette devant toi,
     comme les hypocrites qui se donnent en spectacle
     dans les synagogues et dans les rues,
     pour obtenir la gloire qui vient des hommes.
     Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
3   Mais toi, quand tu fais l’aumône,
     que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
4   afin que ton aumône reste dans le secret ;
     ton Père qui voit dans le secret
     te le rendra.

5   Et quand vous priez,
     ne soyez pas comme les hypocrites :
     ils aiment à se tenir debout
     dans les synagogues et aux carrefours
     pour bien se montrer aux hommes
     quand ils prient.
     Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
6   Mais toi, quand tu pries,
     retire-toi dans ta pièce la plus retirée,
     ferme la porte,
     et prie ton Père qui est présent dans le secret ;
     ton Père qui voit dans le secret
     te le rendra.

16 Et quand vous jeûnez,
     ne prenez pas un air abattu,
     comme les hypocrites :
     ils prennent une mine défaite
     pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent.
     Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
17 Mais toi, quand tu jeûnes,
     parfume-toi la tête et lave-toi le visage ;
18 ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes,
     mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ;
     ton Père qui voit au plus secret
     te le rendra. »
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« NE SOYEZ PAS COMME CEUX QUI SE DONNENT EN SPECTACLE... »

Nous avons là deux petits extraits du discours sur la montagne qui occupe l'ensemble des chapitres 5 à 7 de saint Matthieu ; tout le discours est articulé autour d'un noyau central qui est le Notre Père (6,9-13) ; c'est lui qui donne sens à tout le reste ; les recommandations que nous lisons aujourd'hui ne sont donc pas seulement des conseils d'ordre moral. Il y va du sens même de la foi : toutes nos démarches s'enracinent dans cette découverte que Dieu est Père ; ainsi prière, aumône et jeûne sont notre chemin pour nous rapprocher du Dieu-Père ; jeûner c'est apprendre à nous décentrer de nous-mêmes, prier c'est nous centrer sur Dieu, faire l'aumône, c'est nous centrer sur nos frères.

Par trois fois, Jésus reprend des formulations semblables qui semblent polémiques : « Ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle... » Il faut avoir en tête la très grande importance des attitudes religieuses dans la société juive de l’époque ; avec le risque inévitable d’attacher trop de prix aux manifestations extérieures ; et sans doute certains personnages en vue n’y échappaient-ils pas !

Ainsi parfois Matthieu a-t-il retenu les reproches de Jésus à ceux qui s’attachaient plus à la longueur de leurs franges qu’à la miséricorde et à la fidélité (Mt 23,5s). Ici, au contraire, Jésus invite ses disciples à une opération-vérité : « Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d’agir devant les hommes pour vous faire remarquer. » La justice était le grand souci des croyants : et si Jésus cite la recherche de la justice à deux reprises dans les Béatitudes (dans ce même discours), c’est parce que ce mot, cette soif étaient familiers à ses auditeurs. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés » (5,6). « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux » (5,10).

La vraie « justice » au sens biblique consiste à être en harmonie avec le projet de Dieu et non à accumuler des pratiques, si nobles soient-elles. La fameuse phrase du livre de la Genèse « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et pour cela le SEIGNEUR le considéra comme juste. » (Gn 15,6) nous a appris que la justice est d’abord justesse, au sens d’un instrument de musique, accord profond avec la volonté de Dieu.

PRIÈRE, JEUNE, AUMÔNE, TROIS CHEMINS DE JUSTICE

Ainsi les trois pratiques, prière, jeûne, aumône sont-elles des chemins de justice. Par la prière, nous laissons Dieu nous ajuster à son projet ; nous disons « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Et nous attendons de lui qu’il nous enseigne les vrais besoins du Royaume ; Jésus fait précéder l’apprentissage du Notre Père de cette autre recommandation : « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » (6,7-8).

Le jeûne est bien dans la même ligne : cessant de poursuivre ce que nous croyons nécessaire à notre bonheur, et qui risque peu à peu de nous accaparer, nous apprenons la liberté et recherchons les véritables priorités ; car « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu », disait Jésus en jeûnant lui-même (Mt 4,4).

Quant à l’aumône, elle est le fruit de notre ajustement à la volonté de Dieu, puisqu’elle fait de nous des miséricordieux ; le mot « aumône » est de la même famille que « eleison » ; faire l’aumône, c’est ouvrir nos cœurs à la pitié. Car Dieu veut le bonheur de tous ses enfants : la justice au sens de l’harmonie avec Lui comporte donc inévitablement une dimension de justice sociale. La parabole du jugement dernier, dans le même évangile de Matthieu (25,31-46) le confirme : « Venez, les bénis de mon Père… Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger... et les justes s’en iront à la vie éternelle. »

Les conduites que Jésus fustige (« ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle ») vont à l’inverse : elles sont une manière subtile de rester centrés sur nous. Le drame, c’est qu’elles ferment notre cœur à l’action transformante de l’Esprit. Nous resterons avec notre suffisance et notre pauvreté.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 14 02 2024, Mercredi des Cendres B

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 00:37
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES LÉVITES 13, 1-2.45-46

1   Le SEIGNEUR parla à Moïse et à son frère Aaron et leur dit :
2   « Quand un homme aura sur la peau
     une tumeur, une inflammation ou une pustule,
     qui soit une tache de lèpre,
     on l’amènera au prêtre Aaron
     ou à l’un des prêtres ses fils.
45 Le lépreux atteint d’une tache
     portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre,
     il se couvrira le haut du visage jusqu’aux lèvres,
     et il criera : Impur ! Impur !
46 Tant qu’il gardera cette tache, il sera vraiment impur.
     C’est pourquoi il habitera à l’écart,
     Son habitation sera hors du camp. »
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LE LÉVITIQUE, UN LIVRE À DÉCOUVRIR

Le livre du Lévitique n’est pas des plus faciles : il représente vingt-sept chapitres de réglementation souvent très minutieuse ; il n’y est question que du sacerdoce, et des règles à observer dans le culte aussi bien que dans la vie quotidienne pour rester dans l’Alliance avec Dieu. On est visiblement en présence d’un courant théologique particulier, très clérical : dans lequel les prêtres (les lévites, ce que l’on appelle le milieu sacerdotal) sont les intermédiaires privilégiés entre Dieu et le peuple.

Rien à voir avec le livre du Deutéronome que nous lisions pour le quatrième dimanche, qui relève visiblement d’un autre courant théologique, dans lequel ce sont les prophètes qui sont les porte-parole de Dieu.

Il faut savoir qu’après l’Exil, alors qu’il n’y avait plus ni roi ni prophète en Israël, ce sont les prêtres qui ont assumé la responsabilité de la survie spirituelle et même politique du peuple de l’Alliance. Car pour eux, et c’est ce qui fait la beauté profonde de ce livre, si on veut bien dépasser la première impression et lire entre les lignes, l’Alliance proposée par Dieu à Israël est un honneur et une nécessité vitale : le Dieu saint (c’est-à-dire le Tout-Autre) propose une véritable communion d’amour à ce petit peuple ; il est donc de la plus haute importance pour les fils d’Israël de rester dignes de la rencontre avec le Dieu saint.

Nous lisons rarement le Livre du Lévitique, mais, pour ce dimanche, il nous est proposé pour introduire l’évangile qui rapporte un cas de guérison de la lèpre par Jésus. Nous ne pouvons pas comprendre l’importance de ce miracle si nous ne connaissons pas le contexte dans lequel Jésus a agi : car les prescriptions de la loi du Lévitique concernant les lépreux étaient encore en vigueur de son temps.

Ces prescriptions nous paraissent rudes : quand on a le malheur d’être malade, c’est évidemment une souffrance supplémentaire d’être un exclu. Or c’était très strict ; dès que quelqu’un présentait des signes d’une maladie de peau évolutive du type de la lèpre, il devait aussitôt se présenter au prêtre qui procédait à un examen en règle et qui décidait s’il fallait déclarer cette personne impure ; la déclaration d’impureté était une véritable mise à l’écart de toute vie religieuse, et donc à l’époque, de toute vie sociale. Car, être impur, c’était être inapte au culte et se voir privé de tout contact avec les autres membres du peuple saint qui doivent tout faire pour préserver leur pureté. Ainsi exclu de la communauté des vivants, le lépreux lui-même portait son propre deuil (vêtements déchirés, cheveux en désordre : versets 45-46).

Job en était un bon exemple : atteint d’une maladie du genre de la lèpre, il en avait tiré lui-même les conséquences et s’était installé sur la décharge publique (Jb 2,8) : il ne faisait en cela qu’observer cette législation du livre du Lévitique.

Quand le malade pouvait se considérer comme guéri, il se présentait de nouveau devant le prêtre, lequel procédait à un deuxième examen très approfondi et déclarait la guérison et donc le retour à l’état de pureté et à la vie normale. Cette réintégration du malade guéri s’accompagnait de nombreux rites dits de purification : aspersions, bains, sacrifices.

 

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Pourquoi la lèpre prenait-elle une telle importance dans la vie sociale ? Probablement parce que c’est une maladie éminemment contagieuse, que personne ne savait encore soigner. La sagesse imposait donc la prudence pour préserver le reste de la population. On a là encore une preuve de la hiérarchie des priorités qui avait cours en Israël : le bien-être de l’individu doit céder le pas devant l’intérêt collectif.

À noter que, à l’époque actuelle, pour préserver une population d’un risque de contamination bactérienne, on n’hésitera pas à prescrire une mise en quarantaine des personnes déjà atteintes. Certains écoliers sont prudemment interdits d’école lorsqu’il y a soupçon de méningite, par exemple. S’il s’agit d’animaux (peste aviaire, vache folle ou autre), on procèdera à des abattages systématiques. L’exemple récent de l’épidémie de Covid est bien présent à nos mémoires. Notre vingt-et-unième siècle gère ainsi ce qu’il pense être un indispensable principe de précaution. Conscient pourtant que la personne mise en quarantaine subit une réelle exclusion, le pouvoir politique n’hésite pas à édicter de telles mesures, au nom de l’intérêt commun.

Par ailleurs, spontanément on pensait que la maladie est toujours la conséquence d’un péché. Car Dieu est juste, nul n’en doute, et, à l’époque, on avait une conception pour ainsi dire arithmétique de la justice : les hommes bons sont récompensés à proportion de leurs mérites et les méchants sont punis selon une juste évaluation de leurs péchés. Cette loi que l’on appelle parfois la « logique de rétribution » ne souffrait, pensait-on, aucune exception. Au point que, devant une personne malade, on déduisait automatiquement qu’elle avait péché. Il y avait donc, là encore, une autre contagion à éviter. C’est pour cela, d’ailleurs, que le lépreux devait s’adresser au prêtre (et non au médecin !) pour déclarer la maladie aussi bien que la guérison.

Il faut croire qu’au temps de Jésus les choses n’avaient guère changé puisque les lépreux engendraient encore la même répulsion et les mêmes mesures d’exclusion. Il a fallu un long travail de la Révélation pour découvrir que le Dieu miséricordieux est attiré par la misère (c’est le sens même du mot « miséricordieux »), et que nul n’est exclu, ce que Jésus est venu prouver par ses paroles et par ses actes.
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Complément

La lèpre fut longtemps considérée comme une maladie irrémédiablement incurable à tel point que les cas de guérison apparaissaient comme des miracles. À cet égard, l’exemple du général syrien, Naaman, est révélateur. Quand il s’était découvert lépreux, il était allé au palais de Damas, demander à son roi d’intervenir en sa faveur auprès du roi d’Israël ; car le bruit courait qu’il y avait là-bas un prophète guérisseur (il s’agit d’Élisée). Ce qui nous intéresse aujourd’hui dans l’histoire de Naaman, c’est la réaction du roi d’Israël qui prouve à quel point la lèpre passait alors pour un fléau sans recours. Quand il reçut la lettre du roi de Damas lui disant « Je t’envoie mon serviteur, le général Naaman, pour que tu le guérisses de sa lèpre », le roi d’Israël fut pris de panique. Le livre des Rois raconte : « Après avoir lu la lettre, le roi déchira ses vêtements et dit : Suis-je Dieu, capable de faire mourir et de faire vivre, pour que celui-là m’envoie quelqu’un pour le délivrer de sa lèpre ? Sachez donc et voyez : il me cherche querelle ! » (2 R 5,7). Traduisez : bien sûr, je n’ai aucun espoir de sauver Naaman et le roi de Damas m’en voudra et je vais vers une catastrophe ; il est en train de se forger un prétexte pour pouvoir m’attaquer.
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PSAUME 31 (32),1-2,5ab,5c.11

1   Heureux l'homme dont la faute est enlevée,
     et le péché remis !
2   Heureux l'homme dont le SEIGNEUR ne retient pas l'offense,
     dont l'esprit est sans fraude.

5   Je t'ai fait connaître ma faute,
     je n'ai pas caché mes torts.
     J'ai dit : je rendrai grâce au SEIGNEUR
     en confessant mes péchés.

     Toi, tu as enlevé l'offense de ma faute.
11 Que le SEIGNEUR soit votre joie !
     Exultez, hommes justes !
     Hommes droits, chantez votre allégresse !
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LA JOIE DES PÉCHEURS PARDONNÉS

« Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! » Un pécheur pardonné rend grâce : rien d’étonnant, c’est l’expérience millénaire des croyants. À commencer par David, qui est resté dans les mémoires comme le type même du pécheur à la fois repentant et heureux du pardon accordé par Dieu1.

Et on peut lire dans l’Ancien Testament des récits de célébrations pénitentielles qui étaient de véritables fêtes du pardon. Celle qui fut célébrée à la demande du roi Ézéchias est particulièrement bien décrite : « Le roi Ézéchias réunit les chefs de la ville et il monta à la Maison du SEIGNEUR (le temple). On amena sept taureaux, sept béliers, sept agneaux et sept boucs pour un sacrifice pour le péché à l’intention de la maison royale, du sanctuaire (le Temple avait été profané) et de Juda (le peuple), puis il dit aux prêtres, fils d’Aaron, de les offrir sur l’autel du SEIGNEUR... Ézéchias ordonna d’offrir le sacrifice sur l’autel et, au moment où commençait le sacrifice, commencèrent aussi le chant pour le SEIGNEUR et le jeu des trompettes, avec l’accompagnement des instruments de David, le roi d’Israël. Toute l’assemblée resta prosternée, le chant se prolongea et les trompettes jouèrent, tout cela jusqu’à la fin du sacrifice. Comme on finissait de l’offrir, le roi et tous les assistants avec lui s’inclinèrent et se prosternèrent. Ensuite le roi Ézéchias et les chefs dirent aux lévites de louer le SEIGNEUR (en chantant des psaumes)… et ils le louèrent à cœur joie, puis ils s’agenouillèrent et se prosternèrent. » (2 Ch 29,20... 30).

Mais la grande particularité de ce psaume 31/32 est son insistance sur l’importance de l’aveu ; c’est l’objet d’une strophe entière : « Je t’ai fait connaître ma faute, je n’ai pas caché mes torts. J’ai dit : je rendrai grâce au SEIGNEUR en confessant mes péchés. » Le livre des Proverbes avait déjà parlé de l’aveu comme condition de l’accueil du pardon de Dieu : « Qui cache ses fautes ne réussira pas ; qui les avoue et y renonce obtiendra miséricorde. » (Pr 28,13). Non pas que Dieu conditionne son pardon ! Comme on dit que « Dieu est Amour », on peut dire que « Dieu est Pardon » ; car le pardon n’est rien d’autre que l’acte même d’aimer le pécheur. Ou alors on ne pourrait pas dire que Dieu est « miséricordieux », ce qui est pourtant l’une des définitions qu’il a données de lui-même depuis fort longtemps.

L’IMPORTANCE DE L’AVEU

Mais l’aveu reste nécessaire (pour nous) car il est l’indispensable opération-vérité ; c’est le sens du verset 2 : « Heureux l’homme... dont l’esprit est sans fraude. »

L’aveu n’a évidemment pas le pouvoir d’enlever la faute, mais il ouvre notre cœur au pardon de Dieu. Isaïe le dit magnifiquement : « Recherchez le SEIGNEUR puisqu’il se laisse trouver, appelez-le puisqu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui pardonne abondamment. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées - oracle du SEIGNEUR. » (Is 55,6-8). Ce que la première lettre de saint Jean retraduit à son tour : « Si nous disons : Nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, fidèle et juste comme il est, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. » (1 Jn 1,8-9).

Comment ne pas être rempli de reconnaissance ? Au double sens du terme : « confesser » ses fautes (les reconnaître), c’est du même mouvement « confesser » (reconnaître, déborder de reconnaissance pour) l’amour miséricordieux, pardonnant, de Dieu. Le psaume décrit très bien cette expérience comme celle d’une véritable libération intérieure : le verset 3, que la liturgie de ce dimanche n’a pas retenu, disait la souffrance morale (et peut-être physique ?) de celui qui se refusait encore à l’aveu : « Je me taisais (refus de l’aveu) et mes forces s’épuisaient à gémir tout le jour ; ta main, le jour et la nuit, pesait sur moi ; ma vigueur se desséchait comme l’herbe en été. » Mais après l’aveu, le croyant s’écrie : « Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute. Tu es un refuge pour moi, mon abri dans la détresse, de chants de délivrance tu m’as entouré. »

Alors il est armé pour devenir un témoin du pardon de Dieu ; il commence par tirer les leçons de son expérience et les offre à son entourage : « L’amour du SEIGNEUR entourera ceux qui comptent sur lui. Que le SEIGNEUR soit votre joie, hommes justes ! Hommes droits, chantez votre allégresse ! » Saint Paul qui a fait, lui aussi, l’expérience personnelle forte du pardon de Dieu, cite ce psaume dans la lettre aux Romains (Rm 4,6-8) et en tire deux leçons : premièrement, Dieu pardonne non à cause de nos œuvres, mais gratuitement (l’aveu n’étant pas considéré comme une « œuvre ») ; deuxièmement ce pardon de Dieu est offert à tout homme (circoncis ou non) : « Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! » « Heureux l’homme » veut bien dire « tout homme ». Et la lettre à Timothée dit bien comment cette allégresse du pécheur pardonné devient un témoignage de salut pour tous (et donc une invitation à y entrer) : « S’il m’a été fait miséricorde, dit Paul, c’est afin qu’en moi, le premier, Christ Jésus démontrât toute sa générosité, comme exemple pour ceux qui allaient croire en lui, en vue d’une vie éternelle. » (1 Tm 1,16).
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Note

1 - Le nom de David est rappelé en tête de ce psaume, comme souvent, pour nous inviter à nous couler dans l’attitude spirituelle de celui qui fut le type même du pécheur reconnaissant pour le pardon reçu.
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Complément

Par la suite, le roi Manassé a également organisé une grande célébration pénitentielle au Temple de Jérusalem (2 Ch 33,16).
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS 10,31 - 11,1

     Frères,
10, 31 tout ce que vous faites :
     manger, boire, ou toute autre action,
     faites-le pour la gloire de Dieu.
32 Ne soyez un obstacle pour personne,
     ni pour les Juifs, ni pour les païens,
     ni pour l’Église de Dieu.
33 Ainsi, moi-même,
     en toute circonstance, je tâche de m’adapter à tout le monde,
     sans chercher mon intérêt personnel,
     mais celui de la multitude des hommes,
     pour qu’ils soient sauvés.
11, 1    Imitez-moi,
comme moi aussi j’imite le Christ.
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NOTRE VIE QUOTIDIENNE N’EST PAS ORDINAIRE

Il y a au moins deux leçons dans ce texte : une affirmation théologique, d’abord, qui devrait nous faire voir notre vie quotidienne sous un autre jour ; et ensuite une leçon de comportement.

L’affirmation théologique est la suivante : parce que Dieu n’a pas dédaigné de se faire homme, aucun des aspects de votre vie n’est méprisable ; Dieu vous a ressemblé en tout, vous pouvez lui ressembler en tout. Car agir « pour sa gloire », cela veut dire que chacun de nos gestes, même les plus ordinaires, peut être un point de ressemblance avec Dieu. Nous ne pourrons plus jamais dire que l’un quelconque de nos gestes « manger, boire, ou n’importe quoi d’autre » serait comme on dit « bassement ordinaire » ! Plus rien n’est méprisable ou indigne ; chacune de nos actions peut être digne de Dieu. Depuis que le Verbe s’est fait chair, comme dit saint Jean, nous savons que toute notre vie dans la chair peut être révélation de Dieu ; quand on parle du « mystère de l’Incarnation », on devrait dire la « merveille de l’Incarnation ». Voilà donc la grande nouvelle : nos gestes les plus ordinaires peuvent être religieux, vécus avec Dieu ; seulement, si l’on en croit Paul, ces mêmes gestes peuvent aussi devenir des obstacles pour les autres : « Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. »

Il s’agit ici, encore une fois, du problème posé à la conscience des nouveaux chrétiens par la coutume païenne de sacrifier des viandes aux idoles : de telles viandes se retrouvaient ensuite (au moins en partie) sur le marché : un chrétien pouvait-il en manger ? (Les chapitres 6 à 11 de cette première lettre aux Corinthiens traitent de ce problème du comportement chrétien).

La question s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste qui est celui de la liberté : sur ce sujet, le grand principe de Paul, c’est : « Tout est permis, mais tout ne convient pas. » (6,12 ; 10,23). « Tout est permis », c’est une manière de dire que celui qui croit en Jésus-Christ ne vit pas sous un régime d’obligations et d’interdits ; pour Paul lui-même, élevé dans le plus grand respect et même l’amour de la loi juive, c’est une découverte capitale. Tous les commandements compliqués, précis, minutieux, concernant la circoncision, les ablutions, le sabbat, tout cela est aboli : Dieu ne demande rien, n’exige rien de tout cela. Plus personne ne peut nous imposer des obligations au nom de Dieu, sauf une, celle d’aimer. Quand il était Juif, Paul croyait être agréable à Dieu en observant fidèlement les six cent-treize commandements énumérés par les docteurs de la Loi ; une fois devenu chrétien, il découvre que nous ne sommes plus « sous la Loi », comme il dit, mais « sous la grâce » (Rm 6,14).

 

TOUT EST PERMIS, MAIS TOUT NE CONVIENT PAS 

« Tout est permis, mais tout ne convient pas » : tout est permis, donc, mais à certaines conditions. La liberté n’est pas la licence de faire n’importe quoi ! Premièrement, il ne s’agit pas de s’affranchir de la loi juive pour retomber dans un autre régime d’obligations ; dans la lettre aux Galates, il insiste : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » (Ga 5,1). Deuxièmement, il reste un commandement, un seul, mais qui doit guider toute notre vie, le commandement d’aimer. Saint Augustin a résumé la doctrine de Paul en une maxime qui devrait nous accompagner toujours : « Aime et fais ce que tu veux ». Cela veut dire que nous sommes libres de prendre des initiatives, libres d’inventer le comportement qui nous paraît le meilleur dans chaque circonstance de notre vie, mais qu’une seule préoccupation doit nous guider dans nos choix, le souci des autres : « Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. » On pourrait traduire « Ne risquez pas de choquer ». Dans les versets qui précèdent tout juste ceux d’aujourd’hui, Paul a dit : « Tout est permis, mais tout n’édifie pas. » (10,23) : au sens de « tout est permis, mais tout ne construit pas (sous-entendu la communauté) ; il y a des comportements qui sèment la zizanie, et donc détruisent.

On se rappelle que dans cette même lettre aux Corinthiens, Paul parle de l’utilisation des dons de chacun en donnant un seul critère « Que tout se fasse pour l’édification (au sens de construction) commune. » (1 Co 14,26). À nous donc de choisir en chaque circonstance le comportement qui convient pour construire notre société.

Suit un conseil un peu surprenant : « Imitez-moi » ; ce n’est pas de l’orgueil de la part de l’apôtre, évidemment, mais le conseil avisé de celui qui a déjà affronté les difficultés ; lui qui est Juif mais de culture grecque, et qui a fait le chemin du Judaïsme au Christianisme sait bien que l’évangélisation passe par le respect de chacun dans sa différence : « Je tâche de m’adapter à tout le monde ; sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés. Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ. » Or, que fait le Christ ? Il accueille tous les hommes, même les exclus, comme le lépreux (dans l’évangile de ce dimanche).

Accueillir sans mépris, s’adapter sans se renier, voilà deux beaux mots d’ordre pour notre comportement quotidien ; encore nous faut-il apprendre à discerner au jour le jour en quoi consiste concrètement cette liberté : l’Esprit Saint nous a été donné pour cela.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC  1,40-45

     En ce temps-là,
40 Un lépreux vint auprès de Jésus ;
     il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit :
     « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
41 Saisi de compassion,
     Jésus étendit la main,
     le toucha et lui dit :
     « Je le veux, sois purifié. »
42 À l’instant même,
     la lèpre le quitta
     et il fut purifié.
43 Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt
     en lui disant :
44 « Attention, ne dis rien à personne,
     mais va te montrer au prêtre,
     et donne pour ta purification
     ce que Moïse a prescrit dans la Loi :
     cela sera pour les gens un témoignage. »
45 Une fois parti,
     cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle,
     de sorte que Jésus ne pouvait plus
     entrer ouvertement dans une ville,
     mais restait à l’écart,
     dans des endroits déserts.
     De partout cependant on venait à lui.
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LA GUÉRISON DU LÉPREUX 

C’est le premier voyage missionnaire de Jésus : jusqu’ici, il était à Capharnaüm, que les évangélistes présentent comme sa ville d’élection en quelque sorte, au début de sa vie publique ; Jésus y avait accompli de nombreux miracles et il avait dû s’arracher en disant : « Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’évangile. » Et Marc ajoute : « Il alla par toute la Galilée ; il prêchait dans leurs synagogues et chassait les démons. » Nous sommes donc quelque part en Galilée, hors de Capharnaüm, quand un lépreux s’approche de lui.

Il y a en fait dans ce récit deux histoires au lieu d’une : la première, celle qui saute aux yeux, à première lecture, est le récit du miracle ; le lépreux est guéri, il retrouve sa peau saine, et, du même coup, sa place dans la société. Mais en même temps que ce récit de miracle débute ici une tout autre histoire, bien plus longue, bien plus grave, celle du combat incessant que Jésus a dû mener pour révéler le vrai visage de Dieu. Car, en prenant le risque de toucher le lépreux, Jésus a posé un geste audacieux, scandaleux même.

C’est certainement là-dessus que Marc veut attirer notre attention car les mots « purifier » et « purification » reviennent quatre fois dans ces quelques lignes : c’est dire que c’était un souci du temps ; la pureté, on le sait, était la condition pour entrer en relation avec le Dieu saint.

Tous les membres du peuple élu étaient donc très vigilants sur ce sujet. Et le livre du Lévitique (dont nous lisons un extrait en première lecture de ce dimanche) comporte de nombreux chapitres concernant toutes les règles de pureté ; Marc lui-même le rappelle plus loin, dans la suite de son évangile : « Les Pharisiens, comme tous les juifs, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens ; en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions ; et il y a beaucoup d’autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés : lavage rituel des coupes, des cruches et des plats. » (Mc 7,3-4).

Cette recherche de pureté entraînait logiquement l’exclusion de tous ceux que l’on considérait comme impurs ; et malheureusement, à la même époque, on croyait spontanément que le corps est le miroir de l’âme et la maladie, la preuve du péché ; et donc, tout naturellement, on cherchait, par souci de pureté, à éviter tout contact avec les malades : c’est ce que nous avons entendu dans la première lecture « le lépreux, homme impur, habitera à l’écart, sa demeure sera hors du camp. » (Lv 13). Ce qui veut dire que quand Jésus et ce lépreux passent à proximité l’un de l’autre, ils doivent à tout prix s’éviter ; ce qui veut dire aussi, et qui est terrifiant, si on y réfléchit, que, du temps de Jésus, on pouvait être un exclu au nom même de Dieu.

Le lépreux n’aurait donc jamais dû oser approcher Jésus et Jésus n’aurait jamais dû toucher le lépreux : l’un et l’autre ont transgressé l’exclusion traditionnelle, et c’est de cette double audace que le miracle a pu naître.

Le lépreux a probablement eu vent de la réputation grandissante de Jésus puisque Marc a affirmé un peu plus haut que « sa renommée s’était répandue partout, dans toute la région de Galilée. » Il s’adresse à Jésus comme s’il était le Messie : « Il tombe à ses genoux et le supplie : Si tu le veux, tu peux me purifier. » D’une part, on ne tombe à genoux que devant Dieu ; et d’autre part, à l’époque de Jésus, on attendait avec ferveur la venue du Messie et on savait qu’il inaugurerait l’ère de bonheur universel ; dans les « cieux nouveaux et la terre nouvelle » promis par Isaïe, il n’y aurait plus larmes ni cris (Is 65,19), ni voiles de deuil (Is 61,2). C’est bien cela que le lépreux demande à Jésus, la guérison promise pour les temps messianiques. Et Jésus répond exactement à cette attente : (littéralement) « Je veux, sois purifié. »

Jésus s’affirme donc ici d’entrée de jeu comme celui qu’on attendait ; plus tard, il dira aux disciples de Jean-Baptiste : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11,4-5). Pauvre, ce lépreux l’est vraiment : et de par sa maladie, et de par son attitude empreinte d’humilité : « Si tu veux, tu peux me guérir ». Il suffit de cet élan de foi pour que Jésus puisse agir.

LE COMBAT DE JÉSUS CONTRE TOUTE EXCLUSION

Mais ce miracle de Jésus est aussi le premier épisode de son long combat contre toutes les exclusions : car cette Bonne Nouvelle qu’il annonce et que le lépreux va s’empresser de colporter, c’est que désormais personne ne peut être déclaré impur et exclu au nom de Dieu. La description du monde nouveau dans lequel « les lépreux sont purifiés » est vraiment une « Bonne Nouvelle » pour les pauvres : non seulement les malades et autres lépreux sont guéris, mais ils sont « purifiés » au sens de « amis de Dieu ».

Ce qui veut dire que si l’on veut ressembler à Dieu, être comme le Dieu qui « entend la plainte des captifs et libère ceux qui doivent mourir » (Ps 101/102), il ne faut exclure personne, mais bien au contraire, se faire proche de tous. Ressembler au Dieu saint, ce n’est pas éviter le contact avec les autres, quels qu’ils soient, c’est développer nos capacités d’amour. C’est très exactement l’attitude de Jésus ici, vis-à-vis du lépreux (Mc 1,40). Et Paul (dans la deuxième lecture de ce dimanche) nous invite tout simplement à imiter le Christ : « Prenez-moi pour modèle, mon modèle à moi, c’est le Christ. » (1 Co 11,1).

Il reste que, pour aller jusqu’au bout du commandement d’amour (« Tu aimeras ton prochain comme toi-même »), Jésus a transgressé la lettre de la Loi : il vient de poser un geste d’une extraordinaire liberté, mais tout le monde n’est pas prêt à comprendre ; d’où la consigne de silence qu’il impose au lépreux purifié : « Aussitôt Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre. » Dès le début de sa vie publique, le combat qui va le mener à la mort est ébauché.

La Passion est déjà évoquée dans ces lignes : Jésus rabaissé plus bas qu’un lépreux, souillé de sang et de crachats, exclu plus qu’aucun autre, exécuté en dehors de la Ville sainte, sera le Bien-Aimé du Père, l’image même de Dieu : le « Pur » par excellence.
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Complément

Jésus était ce que nous appelons aujourd’hui un « pratiquant », puisque nous l’avons vu à la synagogue de Capharnaüm pour la célébration du sabbat. Cela ne l’empêche pas de désobéir à la Loi qui interdisait d’approcher le lépreux.
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NB : Le nouveau Lectionnaire Dominical indique pour ce dimanche le psaume 31 (32), alors que le calendrier liturgique officiel indique le psaume 101 (102). Voici donc le commentaire du psaume 101.

PSAUME 101 (102), 2-3. 4-5. 6.13. 20-21

2   SEIGNEUR, entends ma prière :
     que mon cri parvienne jusqu’à toi !
3   Ne me cache pas ton visage
     le jour où je suis en détresse !

4   Mes jours s’en vont en fumée,
     mes os comme un brasier sont en feu ;
5   mon cœur se dessèche comme l’herbe fauchée,
     j’oublie de manger mon pain.

6   À force de crier ma plainte,
     ma peau colle à mes os.
13 Mais toi, SEIGNEUR, tu es là pour toujours ;
     d’âge en âge on fera mémoire de toi.

20 « Des hauteurs, son sanctuaire, le SEIGNEUR s’est penché ;
     du ciel, il regarde la terre
21 pour entendre la plainte des captifs
     et libérer ceux qui devaient mourir. »
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Nous n’entendons ce dimanche que quelques versets du psaume 101/102, il est beaucoup plus long que cela, puisqu’il comporte vingt-neuf versets, mais cet extrait est bien représentatif de l’ensemble : le psaume tout entier répète d’un bout à l’autre les deux mêmes choses avec autant de force : un appel au secours et la certitude que cet appel est entendu. Tout compte fait, ce sont deux aspects bien caractéristiques de la foi juive en toutes circonstances. Car, dans la Bible, le croyant ne doute jamais que son Dieu l’accompagne à tout instant et entend sa prière.

Qui est ce plaignant dans le psaume 101 ? Le tout premier verset, ce qu’on appelle la « suscription », précise : « Prière du malheureux qui défaille et se répand en plaintes devant le SEIGNEUR ». Cela ne dit pas vraiment qui est ce malheureux : nous verrons tout à l’heure qu’il s’agit en fait du peuple tout entier, une fois de plus.

Mais commençons par écouter sa plainte, elle est d’un réalisme poignant : car celui qui parle sait admirablement trouver les mots pour décrire sa souffrance : « Mes jours s’en vont en fumée, mes os comme un brasier sont en feu ; mon cœur se dessèche comme l’herbe fauchée, j’oublie de manger mon pain. À force de crier ma plainte, ma peau colle à mes os. » On croit entendre ici Job le lépreux : « Mes os collent à ma peau et à ma chair » (Jb 19,20) et on sait quelle répulsion inspirait cette maladie : « Tous mes intimes m’ont en horreur, même ceux que j’aime se sont tournés contre moi. » Si bien que dès qu’une marque suspecte, qui pouvait ressembler à de la lèpre, apparaissait, on devait trembler devant les autres : « Tu m’as creusé des rides qui témoignent contre moi, ma maigreur m’accuse et me charge. » (Jb 16,8). Et le malade sait bien qu’on parle dans son dos, on suppute sur l’évolution de la maladie, on se dit « tu as vu, il dépérit à vue d’œil, ses os qu’on ne voyait pas deviennent saillants. » (Jb 33,21).

Voici quelques autres versets du psaume 101/102 : « Je ressemble au choucas du désert, je suis comme le hibou des ruines. Je reste éveillé et me voici, comme l’oiseau solitaire sur un toit... Comme pain je mange de la cendre, et je mêle des larmes à ma boisson... Mes jours s’en vont comme l’ombre, et je me dessèche comme l’herbe. »

 Celui qui s’exprime dans ce psaume est donc en pleine détresse ; mais qui est ce plaignant ? Le découpage des versets d’aujourd’hui ne permet pas de répondre ; en revanche, si on lit le psaume en entier, c’est on ne peut plus clair ; il s’agit du peuple d’Israël lui-même, appelé ici tout simplement « Sion ». Car, en réalité, l’évocation d’une maladie terrible n’est ici qu’une métaphore, une comparaison pour évoquer le grand drame vécu par le peuple d’Israël tout entier. Qu’il s’agisse du peuple, c’est une évidence lorsqu’on lit les versets 14 et 15 : « Tu te lèveras par amour pour Sion, car il est temps d’en avoir pitié : oui, le moment est venu ! Tes serviteurs tiennent à ses pierres, et sa poussière leur fait pitié. » Quant à savoir de quel malheur il s’agit, on le comprend à l’évocation de la poussière et des ruines : ce psaume est écrit à un moment où Jérusalem est détruite et l’on demande au Seigneur de la relever. Cela explique des versets comme ceux-ci : « Tous les jours mes ennemis m’outragent... Par ton indignation et ton courroux tu m’as soulevé et rejeté. » (versets 9 et 11).

Et d’ailleurs la comparaison avec l’herbe fanée, qui revient deux fois dans ce psaume, nous mettait déjà sur la voie ; Isaïe l’avait employée au moment de l’exil à Babylone ; il disait : « le peuple, c’est de l’herbe » (Is 40) ; en écho, notre psaume se plaint : « Mon cœur se dessèche comme l’herbe fauchée ».

Le malheureux qui s’exprime dans ce psaume, c’est donc le peuple d’Israël, exilé et prisonnier à Babylone, qui ne rêve que de rentrer au pays et de reconstruire Jérusalem. Mais en même temps, puisqu’on ne perd jamais la foi, on anticipe sur la reconstruction de la Ville sainte : « Les nations craindront le nom du SEIGNEUR, et tous les rois de la terre, sa gloire : quand le SEIGNEUR rebâtira Sion... » (versets 16-17). Car cela ne fait pas de doute : depuis la Révélation du buisson ardent, ce peuple sait, de toute certitude, sans aucune hésitation possible, que Dieu entend nos prières : il est silencieux, peut-être, mais il n’est pas sourd. Et dans les moments les plus difficiles, le rôle des prophètes, justement, est de raviver l’espérance. On supplie : « SEIGNEUR, entends ma prière : que mon cri parvienne jusqu’à toi ! Ne me cache pas ton visage le jour où je suis en détresse ! » Mais on sait déjà que Dieu entend notre prière et on affirme : « Toi, SEIGNEUR, tu es là pour toujours ; d’âge en âge on fera mémoire de toi. » C’est pour cela que, déjà, on peut anticiper sur le relèvement de Jérusalem : « Tu te lèveras par amour pour Sion, car il est temps d’en avoir pitié... Des hauteurs, son sanctuaire, le SEIGNEUR s’est penché ; du ciel, il regarde la terre pour entendre la plainte des captifs et libérer ceux qui devaient mourir. »

Le plus beau peut-être c’est que l’on se réjouit d’avance que le salut accordé au peuple élu soit une occasion de faire découvrir aux autres la grandeur de Dieu : « Les nations craindront le nom du SEIGNEUR... quand le SEIGNEUR rebâtira Sion... On publiera le nom du SEIGNEUR dans Sion et sa louange dans Jérusalem, quand se réuniront peuples et royaumes pour servir le SEIGNEUR. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 11 02 2024, 6e dimanche du temps ordinaire B

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