Ce matin, j'ai répondu positivement à
l'invitation de l'EAP (Équipe d'Animation Paroissiale) de Pontault-Combault, qui organisait une matinée de réflexion au centre paroissial des Pèlerins d'Emmaüs. Elle avait demandé au
Seine-et-Marnais Alain Deleu, Président honoraire de la CFTC, de nous aider à réfléchir à cette question : « Vivre sa foi dans le monde du travail ».
Participer à cette réunion a été pour moi, comme je m'y attendais, un mélange de plaisir et de souffrance.
Plaisir de se retrouver avec des chrétiens convaincus, sympathiques, pour parler d'un sujet qui ne peut laisser aucun d'entre nous indifférent. Si notre foi n'avait
aucune importance quant à notre façon de nous comporter dans les différents cadres (amical, familial, professionnel, associatif , ...) de notre vie, c'est que quelque chose clocherait.
J'ajoute que j'ai trouvé Alain Deleu, que je rencontrais pour la seconde fois, très agréable, très simple, modeste.
Souffrance de constater l'aveuglement de la plupart des chrétiens, leur inculture économique, leur raisonnements à courte vue, leur absence de logique. J'ai bien
conscience, en écrivant ça, de passer pour un prétentieux de la pire espèce. D'autant plus qu'en matière de logique, d'aveuglement, je n'ai de leçon à donner à personne (comme le prouve, entre
autres exemples, l'arnaque dont j'ai été victime 10 jours plus tôt).
Effectivement, je n'ai de leçon à donner à personne, et pourtant.... Je suis persuadé qu'en matière économique et sociale l'enfer est pavé de bonnes intentions et
que les hommes politiques et les syndicalistes salariés (ceux de la CFTC inclus), même lorsqu'ils sont pétris de bons sentiments, provoquent le malheur de nos concitoyens au lieu du bonheur
qu'ils ambitionnent de répandre. J'ai été vivement intéressé par une idée figurant dans les premiers paragraphes (3 et 4) de « Caritas in Veritate », de Benoît XVI : « La vérité
est une lumière qui donne sens et valeur à l'amour. Cette lumière est, en même temps, celle de la raison et de la foi (...) Dépourvu de vérité, l'amour bascule dans le sentimentalisme. (...) Il
est la proie des émotions et de l'opinion contingente des êtres humains; il devient un terme galvaudé et déformé, jusqu'à signifier son contraire. La vérité libère l'amour des étroitesses de
l'émotivité (...) ». Je crois que l'amour d'Alain Deleu et des dirigeants de la CFTC (pour "le prochain") est sincère, mais qu'il ne s'appuie pas sur la vérité, qu'il en est dépourvu. Je
vais tâcher de vous expliquer pourquoi.
J'ai été heureux de constater qu'Alain Deleu faisait souvent référence à la Doctrine sociale de l'Église (mentionnant le compendium, les encycliques
sociales et, notamment, « Caritas in
Veritate »).
Je l'ai entendu dire que le principe fondamental de la Doctrine sociale de l'Église, c'était « l'égale dignité
de toutes les personnes », en insistant sur le mot « égale ». J'en ai été surpris, non pas que je conteste cette égale dignité ni le fait que la Doctrine sociale de l'Église pose
ce principe, mais parce que je m'attendais plutôt à ce qu'en parlant de ce principe, dit « principe personnaliste », Alain Deleu insiste plutôt sur d'autres caractéristiques de cette
dignité. Voici, dans l'ordre où ils se présentent, les différents attributs (soulignés par moi) de cette dignité, selon le Compendium (TROISIEME CHAPITRE) :
Article 105 : « L'Église voit dans l'homme, dans chaque homme, l'image vivante de Dieu lui-même; image qui trouve et est appelée à retrouver toujours plus
profondément sa pleine explication dans le mystère du Christ, Image parfaite de Dieu, Révélateur de Dieu à l'homme et de l'homme à lui-même. C'est à cet homme, qui a reçu de Dieu une dignité
incomparable et inaliénable (...) ».
Article 107 : « L'homme, considéré sous son aspect historique concret, représente le cœur et l'âme de l'enseignement social catholique. Toute la
doctrine sociale se déroule, en effet, à partir du principe qui affirme l'intangible dignité de la personne humaine. ».
Article 128: « (...) en raison de sa dignité unique d'interlocuteur de Dieu (...) ».
Article 132: « Une société juste ne peut être réalisée que dans le respect de la dignité transcendante de
la personne humaine ».
Ce n'est qu'après qu'est mentionnée « l'égale dignité de tous les hommes », à partir de l'article 144 :
« D) L'ÉGALE DIGNITÉ DE TOUTES LES PERSONNES
144 « Dieu ne fait pas acception des personnes » (Ac 10, 34; cf. Rm 2, 11; Ga 2, 6; Ep 6, 9), car tous les hommes ont
la même dignité de créature à son image et à sa ressemblance. ».
Je crois qu'il ne faut pas donner plus d'importance qu'il n'en mérite au fait qu'Alain Deleu donne priorité à l'attribut « égale », en ce qui concerne la
dignité de toutes les personnes. C'est bien son droit et je ne veux en aucun le chicaner pour ça.
Ce qui m'a bien davantage surpris, voire choqué, c'est de ne pas entendre Alain Deleu exprimer l'idée que la composante essentielle (ou sa conséquence ?) de la
dignité, c'est la liberté de la personne humaine! Ceci est pourtant exprimé par le Compendium avant même l'article 144 précité:
C) LA LIBERTÉ DE LA PERSONNE
a) Valeur et limites de la liberté
135 L'homme ne peut tendre au bien que dans la liberté que Dieu lui a donnée comme signe sublime de son image: « Dieu a voulu le laisser à son
propre conseil (cf. Si 15, 14) pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à Lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude. La dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de
poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure ».
Tout lecteur qui ne serait pas convaincu de l'importance donnée à la liberté de l'homme par la Doctrine sociale de l'Église est renvoyé à un article précédent de mon blog.
Si nous en avions eu le temps, voici quelques unes des questions que j'aurais aimé poser à Alain Deleu, sans ironie ni agressivité (qui sont antinomiques avec
l'amour du prochain):
« Trouvez-vous conforme à ma liberté, donc à ma dignité, qu'il me soit interdit, à la demande des syndicats, notamment, de postuler à un emploi déjà tenu par
un salarié, fonctionnaire ou non (parce que celui-ci, à moins de commettre une faute grave ou lourde, dispose d'un monopole de durée illimitée sur son emploi)? »
« Trouvez-vous conforme à ma liberté, donc à ma dignité, qu'il me soit interdit, à la demande des syndicats, notamment, de négocier librement un contrat de
travail avec un employeur (en prévoyant, par exemple, que chacune des parties est libre de mettre un terme au contrat à tout moment, avec un préavis mais sans justification ni indemnisation de
l'autre partie, ou en prévoyant qu'en cas de conflit avec mon employeur, lui et moi ne nous adresserons pas aux Prud'hommes mais à un arbitre? »
« Trouvez-vous conforme à ma liberté, donc à ma dignité, qu'il me soit interdit, à la demande des syndicats, notamment, de travailler le dimanche, en tant que
salarié, si mon entreprise ne fait pas partie d'un secteur d'activité ou n'est pas implantée dans une ville dont la liste est dressée par les pouvoirs publics ? »
« Trouvez-vous conforme à notre égale dignité que votre emploi de permanent syndical soit financé majoritairement par les contribuables, dont l'avis n'a pas
été demandé, alors que le mien est entièrement et librement financé par mes seuls clients ? »