RIEN PAR FORCE, TOUT PAR AMOUR (devise de saint François de Sales) Présentation des convictions de Thierry Jallas. Ces convictions, principes, valeurs, sont conformes à la doctrine sociale de l'Église catholique et à la philosophie libérale (libéralisme).
En ces jours-là,
après le péché de David,
7 le prophète Nathan lui dit :
« Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu d’Israël :
Je t’ai consacré comme roi d’Israël,
je t’ai délivré de la main de Saül,
8 puis je t’ai donné la maison de ton maître,
j’ai mis dans tes bras les femmes de ton maître ;
je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda
et, si ce n’est pas assez,
j’ajouterai encore autant.
9 Pourquoi donc as-tu méprisé le SEIGNEUR
en faisant ce qui est mal à ses yeux ?
Tu as frappé par l’épée Ourias le Hittite ;
sa femme, tu l’as prise pour femme ;
lui, tu l’as fait périr par l’épée des fils d’Ammone.
10 Désormais, l’épée ne s’écartera plus jamais de ta maison,
parce que tu m’as méprisé
et que tu as pris la femme d’Ourias le Hittite
pour qu’elle devienne ta femme. »
13 David dit à Nathan :
« J’ai péché contre le SEIGNEUR ! »
Nathan lui répondit :
« Le SEIGNEUR a passé sur ton péché,
tu ne mourras pas. »
Voilà l’un des épisodes les plus célèbres de l’histoire du roi David : pas le plus flatteur peut-être, pour le roi, puisque la Bible ne nous cache pas la peu brillante machination à laquelle il s’est livré ce jour-là. On était en temps de guerre, l’armée venait de mettre le siège devant la ville de Rabbat Ammon (Amman aujourd’hui). Le roi David, lui, était à Jérusalem dans son palais. Un soir, en se promenant sur sa terrasse, il aperçoit une ravissante créature qui prenait son bain. Il en tombe amoureux et la fait venir au palais. Elle était mariée pourtant, mais son mari, Ourias le Hittite1, était au front. Les choses se compliquent très vite lorsqu’elle lui fait dire quelques jours plus tard qu’elle est enceinte. David se soucie alors de faire revenir au plus vite le mari à Jérusalem ; dès qu’il aura passé le seuil de sa maison, on pourra lui attribuer la paternité de l’enfant que sa femme attend.
On invente donc une mission de renseignement : Ourias est convoqué à Jérusalem au palais et prié de donner tous les détails possibles concernant la bataille. La journée se passe donc à raconter la vie au front. Le soir venu, David félicite Ourias et l’engage à rentrer dormir chez lui ; mais voilà : d’après la loi de Moïse, les guerriers en campagne étaient tenus à la continence. David le sait bien lui aussi mais il préfèrerait l’ignorer ! Le texte biblique n’épargne pas le roi : il est décrit comme faisant peu de cas de la loi, alors que son officier, un étranger pourtant (un Hittite, donc un païen) se montre scrupuleux : solidaire de ses frères de combat, il ne veut pas bénéficier de cette faveur insolite. Deux soirs de suite, donc, il refuse d’aller dans sa maison rejoindre sa femme malgré l’insistance de David qui va jusqu’à l’enivrer pour le faire céder. Drame pour David : Ourias n’ayant pas franchi le seuil de sa maison, l’enfant ne pourra lui être attribué. Il ne reste plus qu’une solution : se débarrasser du mari gênant ; alors Bethsabée pourra être la femme du roi et concevoir un enfant de lui. Qu’à cela ne tienne : dans une lettre qu’il fait porter par Ourias lui-même, le roi donne à Joab, chef de son armée, l’ordre de placer Ourias au plus fort du combat, afin qu’il soit tué. Quelques jours plus tard, un messager apporte l’annonce de sa mort. Le délai de deuil achevé, David fait chercher Bethsabée et l’installe chez lui. L’enfant naît, c’est un garçon.
C’est alors que le prophète Natan se présente chez David : très habilement, il ne lui fait pas une leçon de morale ; il lui dit : je vais te raconter une histoire qui vient de se passer dans une ville de ton royaume : il y avait deux hommes, l’un riche et l’autre pauvre. Le riche avait petit et gros bétail en très grande abondance. Le pauvre n’avait rien du tout qu’une agnelle, une seule petite qu’il avait achetée. Il la nourrissait et elle grandissait chez lui en même temps que ses enfants… Un jour, l’homme riche eut un invité : que crois-tu qu’il a fait pour le dîner ? Il avait tout ce qu’il fallait dans son troupeau ; eh bien non ! Il a volé l’agnelle du pauvre pour son festin. » David est horrifié, il faut sévir. Mais Natan l’arrête aussitôt : « Cet homme, c’est toi ! » On s’attendrait alors à ce que l’homme de Dieu profite de son avantage et fasse remarquer à David toutes ses turpitudes ; et ce serait bien facile : le roi, riche, entouré de femmes, a pris à Ourias le Hittite son épouse puis sa vie.
Eh bien non, justement ! Et c’est la leçon étonnante du texte d’aujourd’hui : avant même d’obtenir de David des mots de repentir, le prophète vient lui annoncer que Dieu, pour autant, ne renie aucun de ses bienfaits et va même jusqu’à vouloir le combler encore davantage ! « Je t’ai sacré roi d’Israël, je t’ai sauvé de la main de Saül, puis je t’ai donné la maison de ton maître, je t’ai donné les épouses du roi ; je t’ai donné la maison d’Israël et de Juda et, si ce n’est pas encore assez, j’y ajouterai tout ce que tu voudras. » Cette dernière phrase « Si ce n’est pas encore assez, j’y ajouterai tout ce que tu voudras » est la plus belle définition du pardon : par-delà le péché, l’infidélité, Dieu continue d’aimer, de donner. Notons encore une fois que David n’a pas encore eu le temps d’exprimer la moindre demande de pardon ! Les dons de Dieu ne sont pas conditionnés par notre conduite. C’est le sens même du mot « pardon » : Par-don signifie don au-delà ; le pardon de Dieu n’est pas un événement ponctuel, c’est le don constant de son amour malgré nos infidélités répétées.
Mais pardon ne veut pas dire retour à l’Innocence ! Nos actes portent des fruits, nous le savons bien, certains bons, d’autres vénéneux. C’est même ce qui fait la grandeur de nos vies, il n’y a pas de coup d’éponge possible : la cupidité, le meurtre empoisonneront désormais la vie de David ; c’est le sens de ce constat douloureux du prophète : « Désormais, l’épée ne cessera plus jamais de frapper ta maison ». C’est l’engrenage de la violence qui nous est si souvent rappelé dans la Bible. « Mépriser le Seigneur », c’est-à-dire faire du mal à nos frères, c’est inévitablement semer la haine et finalement la souffrance pour les autres et pour nous-mêmes. Les commandements (la Loi) ne nous ont été donnés que pour nous indiquer le seul moyen d’être heureux en société.
Alors, tout d’un coup, David prend conscience de l’horreur et de l’injustice de ses actes, et aussi de leurs terribles conséquences. Il dit simplement : « J’ai péché contre le Seigneur. » Alors le prophète peut lui dire la seule phrase pour laquelle il était venu : « Le Seigneur a pardonné ton péché ».
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Note
1 – Ourias est un Hittite, c’est-à-dire un non-Israélite, devenu officier dans l’armée du roi David. Les Hittites sont l’un des peuples qui habitaient le pays de Canaan avant l’arrivée des Israélites. D’après le prophète Natan, faire du mal à cet étranger c’est mépriser le Seigneur lui-même. Une fois de plus, la Bible nous invite au respect de l’étranger.
1 Heureux l’homme dont la faute est enlevée,
et le péché remis !
2 Heureux l’homme dont le SEIGNEUR ne retient pas l’offense,
dont l’esprit est sans fraude.
5 Je t’ai fait connaître ma faute,
je n’ai pas caché mes torts.
J’ai dit : je rendrai grâce au SEIGNEUR
en confessant mes péchés.
Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute.
7 Tu es un refuge pour moi,
mon abri dans la détresse,
de chants de délivrance tu m’as entouré.
10 L’amour du SEIGNEUR entourera
ceux qui comptent sur lui.
11 Que le SEIGNEUR soit votre joie, hommes justes !
Hommes droits, chantez votre allégresse !
« Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! » Un pécheur pardonné rend grâce : rien d’étonnant, c’est l’expérience millénaire des croyants. À commencer par David, dont le nom est rappelé en tête de ce psaume, comme souvent, pour nous inviter à nous couler dans l’attitude spirituelle de celui qui fut le type même du pécheur-pardonné-repentant-reconnaissant (voir la première lecture). Par la suite, d’autres rois ont partagé ces sentiments, et organisé de grandes célébrations pénitentielles au Temple de Jérusalem ; le deuxième livre des Chroniques en raconte deux, sous les règnes d’Ezéchias et de Manassé (2 Ch 29, 20-36 ; 2 Ch 33, 16) ; dans un grand déploiement de faste, de musique, de chants, au son des trompe, le peuple tout entier, roi et prêtres en tête, offre des sacrifices (des holocaustes1) : aveu des fautes, désir du pardon, action de grâce, tout est mêlé. D’où une ambiance de fête qui se dégage de ce genre de cérémonies.
Celle qui fut célébrée à la demande du roi Ézéchias est particulièrement bien décrite : « Le roi Ézéchias réunit les chefs de la ville et il monta à la Maison du SEIGNEUR (le temple). On amena sept taureaux, sept béliers, sept agneaux et sept boucs pour un sacrifice pour le péché à l’intention de la maison royale, du sanctuaire (le Temple avait été profané) et de Juda (le peuple), puis il dit aux prêtres, fils d’Aaron, de les offrir sur l’autel du SEIGNEUR… Ézéchias ordonna d’offrir l’holocauste sur l’autel et, au moment où commençait l’holocauste, commencèrent aussi le chant pour le Seigneur et le jeu des trompettes, avec l’accompagnement des instruments de David, le roi d’Israël. Toute l’assemblée resta prosternée, le chant se prolongea et les trompettes jouèrent, tout cela jusqu’à la fin de l’holocauste. Comme on finissait de l’offrir, le roi et tous les assistants avec lui s’inclinèrent et se prosternèrent. Ensuite le roi Ézéchias et les chefs dirent aux lévites de louer le Seigneur (en chantant des psaumes)… et ils le louèrent à cœur joie, puis ils s’agenouillèrent et se prosternèrent. » (2 Ch 29, 20… 30).
Mais la grande particularité de ce psaume 31/32 est son insistance sur l’importance de l’aveu ; c’est l’objet d’une strophe entière : « Je t’ai fait connaître ma faute, je n’ai pas caché mes torts. J’ai dit : je rendrai grâce au SEIGNEUR en confessant mes péchés. » Le livre des Proverbes avait déjà parlé de l’aveu comme condition de l’accueil du pardon de Dieu : « Qui cache ses fautes ne réussira pas ; qui les avoue et y renonce obtiendra miséricorde. » (Pr 28, 13). Non pas que Dieu conditionne son pardon ! Comme on dit que « Dieu est Amour », on peut dire que « Dieu est Pardon » ; car le pardon n’est rien d’autre que l’acte même d’aimer le pécheur. Ou alors on ne pourrait pas dire que Dieu est « miséricordieux », ce qui est pourtant l’une des définitions qu’il a données de lui-même depuis fort longtemps. Mais l’aveu reste nécessaire (pour nous) car il est l’indispensable opération-vérité ; c’est le sens du verset 2 : « Heureux l’homme… dont l’esprit est sans fraude. »
L’aveu n’a évidemment pas le pouvoir d’enlever la faute, mais il ouvre notre cœur au pardon de Dieu. Isaïe le dit magnifiquement : « Recherchez le SEIGNEUR puisqu’il se laisse trouver, appelez-le puisqu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu qui pardonne abondamment. CAR vos pensées ne sont pas mes pensées – oracle du SEIGNEUR. » (Is 55, 6-8). Ce que la première lettre de saint Jean retraduit à son tour : « Si nous disons : Nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, fidèle et juste comme il est, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de toute iniquité. » (1 Jn 1, 8-9).
Comment ne pas être rempli de reconnaissance ? Au double sens du terme : « confesser » ses fautes (les reconnaître), c’est du même mouvement « confesser » (reconnaître, déborder de reconnaissance pour) l’amour miséricordieux, pardonnant, de Dieu. Le psaume décrit très bien cette expérience comme celle d’une véritable libération intérieure : le verset 3, que la liturgie de ce dimanche n’a pas retenu, disait la souffrance morale (et peut-être physique ?) de celui qui se refusait encore à l’aveu : « Je me taisais (refus de l’aveu) et mes forces s’épuisaient à gémir tout le jour ; ta main, le jour et la nuit, pesait sur moi ; ma vigueur se desséchait comme l’herbe en été. » Mais après l’aveu, le croyant s’écrie : « Et toi, tu as enlevé l’offense de ma faute. Tu es un refuge pour moi, mon abri dans la détresse, de chants de délivrance tu m’as entouré. »
Alors il est armé pour devenir un témoin du pardon de Dieu ; il commence par tirer les leçons de son expérience et les offre à son entourage : « L’amour du SEIGNEUR entourera ceux qui comptent sur lui. Que le SEIGNEUR soit votre joie, hommes justes ! Hommes droits, chantez votre allégresse ! » Saint Paul qui a fait, lui aussi, l’expérience personnelle forte du pardon de Dieu, cite ce psaume dans la lettre aux Romains (Rm 4, 6-8) et en tire deux leçons : premièrement, Dieu pardonne non à cause de nos œuvres, mais gratuitement (l’aveu n’étant pas considéré comme une « œuvre ») ; deuxièmement ce pardon de Dieu est offert à tout homme (circoncis ou non) : « Heureux l’homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! » « Heureux l’homme » veut bien dire « tout homme ». Et la lettre à Timothée dit bien comment cette allégresse du pécheur pardonné devient un témoignage de salut pour tous (et donc une invitation à y entrer) : « S’il m’a été fait miséricorde, dit Paul, c’est afin qu’en moi, le premier, Christ Jésus démontrât toute sa générosité, comme exemple pour ceux qui allaient croire en lui, en vue d’une vie éternelle. » (1 Tm 1, 16).
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Note
1 – L’Holocauste est un sacrifice dans lequel l’animal est entièrement consumé par le feu.
Frères,
16 nous avons reconnu
que ce n’est pas en pratiquant la loi de Moïse
que l’homme devient juste devant Dieu,
mais seulement par la foi en Jésus Christ ;
c’est pourquoi nous avons cru, nous aussi, au Christ Jésus
pour devenir des justes par la foi au Christ,
et non par la pratique de la Loi,
puisque, par la pratique de la Loi, personne ne deviendra juste.
19 Par la Loi, je suis mort à la Loi
afin de vivre pour Dieu ;
avec le Christ, je suis crucifié.
20 Je vis, mais ce n’est plus moi,
c’est le Christ qui vit en moi.
Ce que je vis aujourd’hui dans la chair,
je le vis dans la foi au Fils de Dieu
qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi.
21 Il n’est pas question pour moi de rejeter la grâce de Dieu.
En effet, si c’était par la Loi qu’on devient juste,
alors le Christ serait mort pour rien.
« Ce n’est pas en pratiquant la Loi de Moïse que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ ». Cette phrase de Paul est sa réponse à une question qui divisait profondément les premières communautés chrétiennes ; la question, c’est : que faut-il faire pour être en règle avec Dieu ?
Car le mot « juste » se rapporte non à la justice sociale mais à la justesse d’un instrument : est juste l’homme qui correspond au projet de Dieu, comme un instrument sonne juste quand il est bien accordé ; dans le livre de la Genèse, par exemple, Abraham est dit « juste » simplement parce qu’il a fait confiance à Dieu qui lui proposait d’entrer dans son Alliance : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et cela lui fut compté comme justice. » dit le livre de la Genèse (Gn 15, 6). Puis Dieu avait renouvelé son Alliance au Sinaï en donnant à Moïse les tables de la Loi : désormais, concrètement, pour le peuple de l’Alliance, se conformer au projet de Dieu consistait à observer la Loi. Peu à peu elle modelait les hommes de l’Alliance en vue de les rendre « justes », bien « accordés ».
Aux yeux de Paul, avec la venue de Jésus-Christ, une étape est franchie ; « Quand les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils. » Être juste, être accordé au projet de Dieu, désormais c’est tout simplement croire en Jésus-Christ puisqu’il est l’envoyé de Dieu. Évidemment, la question qu’on pouvait légitimement se poser était la suivante : fallait-il continuer quand même à pratiquer la Loi juive ? Concrètement, pour être en règle avec Dieu pour être en alliance avec lui, si vous préférez, fallait-il continuer à pratiquer la circoncision des petits garçons, fallait-il observer les nombreuses règles de pureté de la religion juive, y compris en ce qui concerne l’alimentation ; on dirait aujourd’hui « fallait-il continuer à manger cacher » ? Avec ce que cela comporte de complications quand il y a à la même table des gens qui veulent manger cacher et des non-Juifs qui ne s’embarrassent pas de ces questions.
À Antioche de Syrie, certains en venaient à manger à des tables séparées : Chrétiens d’origine juive, d’un côté, Chrétiens d’origine païenne de l’autre. Évidemment, un tel comportement ne pouvait que diviser la communauté. En théorie, la question avait été réglée par le Concile de Jérusalem, vers l’an 50. Mais, chez les Galates, c’est-à-dire en Turquie, du côté d’Ankara, la querelle n’était pas apaisée.
Cela a donné à Paul l’occasion de développer sa pensée sur le fond : « Ce n’est pas en pratiquant la Loi de Moïse que l’homme devient juste devant Dieu, mais seulement par la foi en Jésus Christ. » Car, au-delà des problèmes de cohabitation, Paul percevait un enjeu beaucoup plus grave : le Baptême suffit-il, oui ou non, pour faire le Chrétien ? Si oui, la circoncision (et les autres pratiques) ne s’imposent plus ; si non, cela veut dire que tous les Chrétiens qui ne sont pas Juifs d’origine et à qui on n’a pas imposé la circoncision doivent être considérés comme ne faisant pas partie de l’Église.
Mais cela veut dire aussi, et c’est encore plus grave, que le Christ ne sauve pas tous les hommes, il ne sauve que les Juifs, puisque, pour être reconnu juste devant Dieu, il faut observer des quantités de pratiques en plus du Baptême. Le Christ ne serait-il pas le Sauveur ? Évidemment, c’est tout l’édifice de Paul qui s’écroulerait : « Si c’était par la Loi qu’on devient juste, alors le Christ serait mort pour rien. » Bien sûr, il n’est pas mort pour rien, puisque son Père l’a ressuscité ; en ressuscitant Jésus, Dieu a en quelque sorte pris parti. La résurrection du Christ prouve que la Loi est désormais dépassée ; la Loi ou en tout cas l’usage que les hommes en ont fait.
Car on peut faire un mauvais usage de la Loi : c’est ce qui s’est passé dans la Passion du Christ ; puisque c’est au nom de cette Loi, pourtant donnée par Dieu, que les autorités religieuses ont agi, avec les meilleures intentions ; ils croyaient réellement débarrasser le peuple juif d’un imposteur et d’un blasphémateur ; c’est donc bien au nom de la Loi que le Christ a été condamné. C’est le sens de la phrase à première vue difficile parce que très concise : « Par la Loi (sous-entendu qui a fait mourir Jésus) je suis mort à la Loi (c’est-à-dire je ne dépends plus de la Loi, je ne me crois plus obligé de la pratiquer) ». De ce malheur qu’a été la passion de Jésus, est née la deuxième étape de l’histoire de l’humanité.
C’est bien au nom de la Loi de Moïse que le Christ a été condamné, mais, désormais, nous sommes passés à la deuxième étape où nous ne dépendons plus de la Loi. Désormais, être juste, c’est-à-dire être accordé au projet de Dieu, c’est tout simplement vivre notre Baptême : « Ce que je vis aujourd’hui dans la chair (c’est-à-dire dans ma vie quotidienne), je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. »
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Note
– On connaît la querelle qui opposa Paul et Pierre : cela se passait à Antioche de Syrie, une communauté mélangée, qui comprenait d’anciens Juifs (on les appelle judéo-chrétiens) et aussi d’anciens païens (on les appelle pagano-chrétiens) ; Pierre, de passage dans cette communauté, n’avait vu aucun inconvénient, lui Juif d’origine, à prendre ses repas avec les pagano-chrétiens ; ce faisant il transgressait inévitablement les règles alimentaires de la religion juive. Mais voilà que des amis de Jacques, le responsable de la communauté de Jérusalem, de passage eux aussi à Antioche, s’étaient montrés beaucoup plus rigides : pas question pour nous, judéo-chrétiens de manquer à nos pratiques traditionnelles ; traduisez il faut faire des tables séparées : judéo-chrétiens d’une part, pagano-chrétiens de l’autre. Or, à l’arrivée des envoyés de Jacques, Pierre, tout d’un coup, a changé de pratique. Il s’est mis à faire « table à part » pourrait-on dire. Dans cette même lettre aux Galates, Paul raconte : « Avant que soient venus des gens envoyés par Jacques, Pierre prenait son repas avec les païens ; mais, après leur arrivée, il se mit à se dérober et se tint à l’écart, par crainte des circoncis ; et les autres Juifs entrèrent dans son jeu. » (Ga 2, 12-13).
C’est ce que l’on a appelé « L’incident d’Antioche » (Ga 2, 11-24) : Paul raconte aux Galates qu’il n’a pas hésité à s’opposer à Pierre ; indirectement, il leur prouve ainsi sa liberté de parole envers les apôtres de la première heure et donc sa légitimité d’apôtre à son tour.
– « Croire pour être sauvé » : Entendons-nous, ce n’est pas de simple croyance ou opinion qu’il s’agit, mais d’un engagement de tout l’être au point que le même Paul peut affirmer sans exagérer : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).
7, 36 En ce temps-là,
un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui.
Jésus entra chez lui et prit place à table.
37 Survint une femme de la ville, une pécheresse.
Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien,
elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum.
38 Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds,
et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus.
Elle les essuyait avec ses cheveux,
les couvrait de baisers
et répandait sur eux le parfum.
39 En voyant cela,
le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même :
« Si cet homme était prophète,
il saurait qui est cette femme qui le touche,
et ce qu’elle est : une pécheresse. »
40 Jésus, prenant la parole, lui dit :
« Simon, j’ai quelque chose à te dire.
– Parle, Maître. »
41 Jésus reprit :
« Un créancier avait deux débiteurs ;
le premier lui devait cinq cents pièces d’argent,
l’autre cinquante.
42 Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser,
il en fit grâce à tous deux.
Lequel des deux l’aimera davantage ? »
43 Simon répondit :
« Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce
de la plus grande dette.
– Tu as raison », lui dit Jésus.
44 Il se tourna vers la femme
et dit à Simon :
« Tu vois cette femme ?
Je suis entré dans ta maison,
et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ;
elle, elle les a mouillés de ses larmes
et essuyés avec ses cheveux.
45 Tu ne m’as pas embrassé ;
elle, depuis qu’elle est entrée,
n’a pas cessé d’embrasser mes pieds.
46 Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ;
elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds.
47 Voilà pourquoi je te le dis :
ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés,
puisqu’elle a montré beaucoup d’amour.
Mais celui à qui on pardonne peu
montre peu d’amour. »
48 Il dit alors à la femme :
« Tes péchés sont pardonnés. »
49 Les convives se mirent à dire en eux-mêmes :
« Qui est cet homme,
qui va jusqu’à pardonner les péchés ? »
50 Jésus dit alors à la femme :
« Ta foi t’a sauvée.
Va en paix ! »
8, 1 Ensuite, il arriva que Jésus, passant à travers villes et villages,
proclamait et annonçait la Bonne Nouvelle du règne de Dieu.
Les Douze l’accompagnaient,
2 ainsi que des femmes qui avaient été guéries
de maladies et d’esprits mauvais :
Marie, appelée Madeleine,
de laquelle étaient sortis sept démons,
3 Jeanne, femme de Kouza, intendant d’Hérode,
Suzanne, et beaucoup d’autres,
qui les servaient en prenant sur leurs ressources.
Le pharisien a invité Jésus à sa table, ce qui est, a priori, une marque de ses bonnes dispositions ; et voici les convives attablés, c’est-à-dire, à l’époque, allongés sur des coussins, le long d’une grande table. La porte reste ouverte, n’importe qui peut entrer et s’adresser à l’invité. N’importe qui : c’est pire que cela, cette fois ; une prostituée se permet d’entrer et s’approche de Jésus. Son entrée fait sensation, inévitablement : c’est une pécheresse, sa place n’est pas ici. Elle s’avance, pourtant ; elle pleure, mais il semble bien que ce soit de joie, car elle se penche vers les pieds de Jésus ; ses larmes coulent, elle les essuie avec ses cheveux et elle ouvre un flacon d’albâtre et verse du parfum.
Le plus étonné dans tout cela, c’est le maître de maison : pourquoi Jésus ne chasse-t-il pas cette femme ? Elle aussi, peut-être, se pose-t-elle la même question ? En entrant, elle craignait bien d’être repoussée ; mais c’est précisément pour cela qu’elle pleure : parce que l’homme de Dieu ne lui manifeste aucun mépris, elle devine aussitôt qu’elle est pardonnée ; ses larmes sont de reconnaissance. Toutes les marques d’amour qu’elle donne à Jésus sont la preuve qu’elle se sait pardonnée.
Le pharisien, lui, traite d’égal à égal avec Jésus, il n’a aucun pardon à quémander, puisqu’il se considère comme juste. Voilà toute la différence entre lui et la femme. Premièrement, elle a su reconnaître en Jésus un envoyé de Dieu ; deuxièmement, elle est éperdue de reconnaissance parce que le pardon qu’elle souhaitait lui apparaît comme une évidence ; le pharisien, au contraire, non seulement, n’avait pas de pardon à demander pour lui-même d’abord, mais, plus grave peut-être encore, il se méprend complètement sur le pardon de Dieu ; il croit connaître Dieu et donc, à ses yeux, Jésus n’a pas le comportement qui conviendrait à un prophète ; celui-ci devrait la repousser ; car, en bonne théologie pharisienne, le pardon devrait être précédé par un changement de conduite. Alors seulement, Dieu accepterait de pardonner.
Pour résumer cette découverte, on pourrait dire : qui est proche de Dieu ? Celui qui croit que Dieu est proche. Qui est pardonné ? Celui qui croit que Dieu pardonne. Alors, le pardon de Dieu nous donne la force de changer. Le changement de conduite sera la conséquence du pardon. Dans la suite du texte, Luc dit bien que les femmes qui ont été délivrées de leurs démons par Jésus ont pu se mettre à sa suite.
Autre leçon sur Dieu dans cet épisode : il n’a pas peur de côtoyer les pécheurs ; l’Ancien Testament l’avait déjà dit abondamment, puisque Dieu y était appelé « miséricordieux », c’est-à-dire attiré par la misère (physique ou morale) ; mais on a parfois tendance à oublier cette vérité première ; et notre pharisien d’aujourd’hui en est bien là, semble-t-il : à ses yeux, cet homme, Jésus, qui ne craint pas de laisser s’approcher une pécheresse publique, commet lui-même une impureté, il ne saurait être un homme de Dieu. Luc revient à plusieurs reprises sur ce thème de la miséricorde de Dieu : il y voit le point central, mieux la preuve, de la mission du Christ ; il suffit de relire par exemple le récit du festin chez Lévi, le publicain : « Lévi fit à Jésus un grand festin dans sa maison ; et il y avait toute une foule de collecteurs d’impôts et d’autres gens qui étaient à table avec eux. Les Pharisiens et leurs scribes murmuraient, disant à ses disciples : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les collecteurs d’impôts et les pécheurs ? Jésus prenant la parole leur dit : Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs pour qu’ils se convertissent. » (Lc 5, 29-32). Ou encore, dans la rencontre avec Zachée : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Lc 19, 10).
Tout ceci valait à Jésus une mauvaise réputation dont il était bien conscient : juste avant le récit de la pécheresse, Luc rapporte qu’on parlait de lui dans des termes peu flatteurs : « Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d’impôts et des pécheurs. » (Lc 7, 34).
Les pharisiens et leurs semblables en ont déduit que cet homme n’était pas le Messie ; les petites gens, les humbles, les quémandeurs de pardon ne s’y sont pas trompés : s’il est l’ami des pécheurs, alors, il peut bien être l’envoyé du Dieu de miséricorde.