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RIEN PAR FORCE, TOUT PAR AMOUR (devise de saint François de Sales) Présentation des convictions de Thierry Jallas. Ces convictions, principes, valeurs, sont conformes à la doctrine sociale de l'Église catholique et à la philosophie libérale (libéralisme).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 29 12 2024, fête de la Sainte-Famille C

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU PREMIER LIVRE DE SAMUEL 1, 19 28

    Elcana s’unit à Anne, sa femme, et le SEIGNEUR se souvint d’elle.
20 Anne conçut et, le temps venu, elle enfanta un fils ;
    elle lui donna le nom de Samuel (c'est-à-dire « Dieu exauce »)
    car, disait-elle :
    « Je l’ai demandé au SEIGNEUR ».
21 Elcana, son mari, monta au sanctuaire
    avec toute sa famille
    pour offrir au SEIGNEUR le sacrifice annuel
    et s’acquitter du vœu pour la naissance de l'enfant.
22 Mais Anne n'y monta pas.
    Elle dit à son mari :
    « Quand l'enfant sera sevré,
    je l'emmènerai : il sera présenté au SEIGNEUR,
    et il restera là pour toujours. »

24 Lorsque Samuel fut sevré,
    Anne, sa mère, le conduisit à la maison du SEIGNEUR à Silo ;
    l’enfant était encore tout jeune.
    Anne avait pris avec elle un taureau de trois ans,
    un sac de farine et une outre de vin.
25 On offrit le taureau en sacrifice,
    et on amena l'enfant au prêtre Éli.
26 Anne lui dit alors :
    « Écoute-moi, mon seigneur, je t'en prie !
    Aussi vrai que tu es vivant,
    je suis cette femme qui se tenait ici près de toi
    pour prier le SEIGNEUR.
27 C'est pour obtenir cet enfant que je priais,
    et le SEIGNEUR me l'a donné en réponse à ma demande.
28 À mon tour je le donne au SEIGNEUR pour qu’il en dispose.
    Il demeurera à la disposition du SEIGNEUR
    tous les jours de sa vie. »
    Alors ils se prosternèrent devant le SEIGNEUR.

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SAMUEL, L’ENFANT DU MIRACLE

Nous sommes là dans une période de l’histoire d’Israël dont nous parlons malheureusement peu souvent ! Donc, je vous la rappelle : c’est la fin de la période des Juges : il n’y a pas encore de roi pour régner sur l’ensemble du peuple*.

Après la mort de Moïse et l’entrée dans la Terre Promise, vers 1200 av. J.-C., les tribus se sont installées dans le pays et cette conquête progressive a duré environ cent cinquante ans. Pendant ce temps, il n’y avait pas encore d’administration centralisée ; les tribus étaient menées par des chefs qu’on appelle les « Juges » au sens de « gouverneurs » ; ils étaient à la fois chefs de guerre, chefs politiques et religieux, et ils réglaient les litiges.

Encore un mot sur cette période : puisque nous sommes avant la période de la royauté, cela veut dire que ni Jérusalem ni son Temple n’existent encore ; l’arche d’Alliance qui avait suivi le peuple tout au long de l’Exode résidait dans un sanctuaire à Silo, au centre du pays, à trente kilomètres au Nord de l’actuelle Jérusalem. Ce sanctuaire était gardé par un prêtre, Éli (qui n’a rien à voir avec le prophète du même nom qui a vécu plus tard au neuvième siècle). Parce que la ville de Silo abritait l’arche d’Alliance, elle était devenue un centre de pèlerinage annuel.

Or il y avait aux environs de Silo un homme qui s’appelait Elcana ; lequel avait deux femmes, Anne et Peninna. Anne était la femme préférée de son mari Elcana ; mais elle était stérile ; sa rivale Peninna, au contraire, avait des enfants dont elle était très fière et elle ne manquait pas une occasion d’insinuer que la stérilité d’Anne était une malédiction de Dieu. Le moment le plus dur de l’année était celui du pèlerinage à Silo ; Elcana s’y rendait avec ses deux femmes : et tout le monde pouvait constater la tristesse d’Anne comparée à l’épanouissement de Peninna, la mère comblée. Anne, alors, ressentait plus durement encore sa stérilité. Dans son chagrin, son humiliation, elle ne savait que pleurer et marmonner sa prière, toujours la même ; on ne comprenait pas ce qu’elle disait, mais on pouvait le deviner : « SEIGNEUR, je t’en supplie, donne-moi des enfants. » On voyait seulement ses lèvres trembler et elle n’avait pas fière allure... À tel point que le prêtre Éli qui était le gardien du sanctuaire de Silo a fini un jour par la rabrouer en croyant qu’elle était ivre. Exaspéré, il a essayé de la repousser en lui disant « Va-t’en ailleurs cuver ton vin ! »

Et c’est là que le miracle s’est produit ; car Dieu, lui, connaît le fond des cœurs : il a vu les larmes d’Anne, il a entendu sa prière ; quelques mois plus tard, un petit garçon est né ; Anne l’a appelé « Samuel », parce qu’un des sens possibles de ce nom c’est Dieu entend, Dieu exauce. Dans son chagrin, Anne avait fait un vœu : « SEIGNEUR de l’univers ! Si tu veux bien regarder l’humiliation de ta servante, te souvenir de moi, ne pas m’oublier, et me donner un fils, je le donnerai au SEIGNEUR pour toute sa vie. » (1 S 1,11).

Notre texte d’aujourd’hui raconte l’accomplissement de ce vœu : dès que l’enfant est sevré, c’est-à-dire vers trois ans à l’époque, elle l’emmène au sanctuaire de Silo et le confie au prêtre Éli en lui disant :

« Je suis cette femme qui se tenait ici près de toi pour prier le SEIGNEUR. C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le SEIGNEUR me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour, je le donne au SEIGNEUR pour qu’il en dispose. Il demeurera à la disposition du SEIGNEUR tous les jours de sa vie. » Samuel a donc grandi là, à Silo et c’est là qu’il a entendu l’appel de Dieu. Plus tard, il est devenu un grand serviteur d’Israël.

IL DEMEURERA À LA DISPOSITION DU SEIGNEUR

On peut se demander pourquoi ce texte nous est proposé à l’occasion de la fête de la sainte Famille ? Quel lien peut-il y avoir entre les deux enfants Jésus et Samuel, les deux mères Marie et Anne, les deux pères Joseph et Elcana ? Plus de mille ans les séparent.

On peut faire trois remarques : premièrement Dieu entend ; c’est le sens du nom Samuel : « Dieu entend, Dieu exauce » ; c’est aussi et surtout l’expérience religieuse fondamentale d’Israël ; les pauvres, les humiliés ont toute leur place dans la maison de Dieu ; c’est au creux même de son humiliation qu’Anne a crié vers le Seigneur et a été entendue ; relisez le cantique d’Anne, par exemple, après la naissance de Samuel ; il ressemble à s’y méprendre au Magnificat qui jaillira des lèvres d’une humble jeune fille du tout petit et méprisable village de Nazareth.

Deuxièmement, c’est à travers l’histoire des hommes, à travers des familles bien humaines que Dieu accomplit son projet : le mystère de l’Incarnation va jusque-là ; Dieu a la patience de nos maturations.

Troisièmement, nous sommes en présence de deux naissances miraculeuses : pour Jésus la naissance virginale par la puissance de l’Esprit. Pour Anne, une naissance inespérée... Et si nous cherchons à peine plus loin, nous retrouvons dans la Bible une longue lignée de naissances miraculeuses : Isaac, Samson, Samuel, Jean-Baptiste, Jésus ; rappelez-vous Isaac par exemple : Sara était la femme préférée d’Abraham ; stérile elle aussi, et sans cesse humiliée par sa rivale plus chanceuse, Agar, la mère d’Ismaël. Et Dieu avait eu pitié de Sara, Isaac était né.

Toutes ces naissances miraculeuses sont pour nous comme des rappels vivants : pour nous dire que tout enfant est un miracle, un don de Dieu. Il suffit d’avoir été père ou mère une fois pour savoir que la vie ne nous appartient pas : nous la transmettons ; mais il serait impropre de dire que nous la « donnons ». Dieu seul donne la vie : quelles que soient nos paternités, spirituelles ou charnelles, nous avons cette fierté de prêter nos corps, de prêter nos vies à son projet.
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Note

*Le début de la royauté, se situe vers 1040 avec le roi Saül.
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PSAUME 83 (84), 3. 4. 5-6. 9-10

2  De quel amour sont aimées tes demeures,
    SEIGNEUR, Dieu de l’univers !
3  Mon âme s'épuise à désirer les parvis du SEIGNEUR ;
    mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant !
   

5  Heureux les habitants de ta maison :
    ils pourront te chanter encore !
6  Heureux les hommes dont tu es la force :
    des chemins s'ouvrent dans leur cœur !
   

9  SEIGNEUR, Dieu de l'univers, entends ma prière ;
    écoute, Dieu de Jacob.
10 Dieu, vois notre bouclier,
    regarde le visage de ton messie.

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UN PEUPLE EN MARCHE

En marche vers Jérusalem, le pèlerin peut dire en vérité, du fond de sa ferveur et de sa fatigue à la fois : « Mon âme s’épuise à désirer les parvis du SEIGNEUR ; mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ! » La démarche du pèlerinage est peut-être indispensable à une vie de foi : nous l’oublions parfois. Là seulement, on fait l’expérience d’un peuple en marche vers son Dieu : à travers les difficultés de la route, on éprouve la fatigue du corps, la petitesse de l’âme. Et c’est seulement au creux de cette expérience de notre pauvreté fondamentale qu’on peut découvrir la merveille de l’expérience de la foi : c’est seulement quand nous acceptons de reconnaître que nos seules forces n’y suffiront pas qu’une autre force peut s’emparer de nous et nous donner de poursuivre la route jusqu’au bout. Mais pour cela, il faut que le pèlerin à bout de souffle se reconnaisse aussi fragile, aussi démuni qu’un oiseau. Alors des ailes nouvelles lui poussent : « L’oiseau lui-même s’est trouvé une maison, et l’hirondelle un nid : tes autels, SEIGNEUR de l’univers, mon Roi et mon Dieu ! » dit le verset 4.

Au cœur de nos vies, qui sont à leur manière un pèlerinage vers la Jérusalem céleste, nous faisons bien souvent cette expérience ; que de fois nous voudrions tout abandonner de nos petits efforts qui suffisent à nous décourager ; mais alors il suffit d’appeler au secours, de reconnaître notre impuissance et d’autres forces nous sont données, qui ne sont pas les nôtres, nous le savons bien. « Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s’ouvrent dans leur cœur ! »

Le pèlerin ne peut pas s’empêcher d’envier ceux qui sont déjà arrivés ! À commencer par les oiseaux ; des quantités d’oiseaux nichent effectivement sur l’esplanade du temple : quelle chance ont-ils, se dit le pèlerin ! Eux, ils sont arrivés ! Et ils n’auront pas à repartir, à affronter de nouveau la fatigue du chemin, mais surtout les difficultés du retour à la vie ordinaire : quand la merveilleuse expérience spirituelle qu’on vient de vivre se heurtera à la reprise du quotidien et à l’impossibilité de communiquer avec ceux qui sont restés sur place, dans tous les sens du terme. Et on vient à rêver de ne jamais repartir : « Heureux les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore ! » Il s’agit d’abord des lévites, dont la vie tout entière est consacrée au service du Temple de Jérusalem. Mais, avant même la construction du Temple, nous l’avons vu avec la première lecture, il existait des sanctuaires et les prêtres avaient ce privilège d’y demeurer : c’était le cas du prêtre Éli, et aussi de Samuel.

Plus largement, les « habitants de la maison de Dieu », ce sont les membres du peuple élu : la reconnaissance émerveillée pour ce choix gratuit de Dieu en faveur de son peuple habite toute démarche de pèlerinage. C’est le peuple tout entier qui peut dire en vérité : « Mon cœur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ! » Ou encore dans le psaume 62 (63) : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi. » 

On sait aussi qu’en définitive, lorsque viendra le Messie, ce sont tous les hommes qui sont appelés à être les habitants de la maison de Dieu ; cette résonance messianique est présente ici aussi : dans la phrase « regarde le visage de ton messie », on rêve déjà de la dernière montée à Jérusalem, celle qu’ont annoncée les prophètes, celle qui verra l’humanité tout entière rassemblée dans la joie sur la montagne sainte, autour du Messie.

BIENHEUREUSE FAIBLESSE QUI NOUS TOURNE VERS DIEU

Dans les versets qui sont lus ce dimanche transparaissent plutôt la fatigue et la prière du pèlerin. Dans d’autres versets, se dit plus l’amour du Temple, l’amour de Jérusalem. Et aussi la joie profonde, la confiance qui habitent le croyant. À deux reprises, Dieu est appelé notre « bouclier », celui qui nous protège. Et l’on peut noter au passage deux « béatitudes » : « Heureux les habitants de ta maison : ils pourront te chanter encore ! ... Heureux les hommes dont tu es la force : des chemins s’ouvrent dans leur cœur ! » Le dernier verset est également une béatitude : « SEIGNEUR, Dieu de l’univers, heureux qui espère en toi », et un autre verset affirme : « Jamais il (Dieu) ne refuse le bonheur à ceux qui vont sans reproche. » C’est la chance des pauvres et des humbles, des fatigués (le mot hébreu « anawim » veut dire « les dos courbés ») de découvrir la seule chose qui compte : à savoir que notre seul vrai bonheur est en Dieu.

Jésus le redira à sa manière dans ce que nous appelons « L’hymne de jubilation » (Mt 11,25) : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange ; ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. »

Maintenant que nous avons le cœur habillé, (comme disait Saint-Exupéry) nous pouvons relire ce psaume en entier :

2  De quel amour sont aimées tes demeures,
    SEIGNEUR, Dieu de l'univers !

3  Mon âme s'épuise à désirer
    les parvis du SEIGNEUR ;
    mon cœur et ma chair sont un cri
    vers le Dieu vivant !

4  L'oiseau lui-même s'est trouvé une maison,
    et l'hirondelle un nid pour abriter sa couvée :
    tes autels, SEIGNEUR de l'univers,
    mon Roi et mon Dieu !

5  Heureux les habitants de ta maison :
    ils pourront te chanter encore !
6  Heureux les hommes dont tu es la force :
    des chemins s'ouvrent dans leur cœur !

7  Quand ils traversent la vallée de la soif,
    ils la changent en source ;
    de quelles bénédictions la revêtent
    les pluies de printemps !

8  Ils vont de hauteur en hauteur,
    ils se présentent devant Dieu à Sion.

9  SEIGNEUR, Dieu de l'univers, entends ma prière ;
    écoute, Dieu de Jacob.
10 Dieu, vois, notre bouclier,
    regarde le visage de ton messie.

11 Oui, un jour dans tes parvis
    en vaut plus que mille.

    J'ai choisi de me tenir sur le seuil
    dans la maison de mon Dieu,
    plutôt que d'habiter
    parmi les infidèles.

12 Le SEIGNEUR Dieu est un soleil,
    il est un bouclier ;
    le SEIGNEUR donne la grâce
    il donne la gloire.

    Jamais il ne refuse le bonheur
    à ceux qui vont sans reproche.
13 SEIGNEUR, Dieu de l'univers
    heureux qui espère en toi.
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DEUXIÈME LECTURE - 1 Jean 3, 1-2.21-24

    Bien-aimés,
1  voyez quel grand amour nous a donné le Père
    pour que nous soyons appelés enfants de Dieu,
    - et nous le sommes.
    Voilà pourquoi le monde ne nous connaît pas :
    C’est qu’il n'a pas connu Dieu.
2  Bien-aimés,
    dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
    mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
    Nous le savons : quand cela sera manifesté,
    nous lui serons semblables
    car que nous le verrons tel qu'il est.

21 Bien-aimés,
    si notre cœur ne nous accuse pas,
    nous avons de l’assurance devant Dieu.
22 Quoi que nous demandions à Dieu,
    Nous le recevons de lui,
    parce que nous gardons ses commandements,
    et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.
23 Or, voici son commandement :
    Mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ,
    et nous aimer les uns les autres
    comme il nous l'a commandé.
24 Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu,
    et Dieu en lui ;
    et voilà comment nous reconnaissons qu'il demeure en nous,
    puisqu'il nous a donné part à son Esprit.

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OUVRIR LES YEUX

« Bien-aimés, voyez... » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », tel est le drame de l’homme décrit par les prophètes. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son « dessein bienveillant », comme dirait saint Paul ; saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.

Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; sur ce sujet, je ne vous citerai qu’un texte.

Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Êve dans le jardin d’Eden (Gn 2-3) : c’est bien une affaire de regard. Le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor, un jardin avec des quantités d’arbres. « Le SEIGNEUR Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal (au sens de « ce qui rend heureux ou malheureux ») (Gn 2,8). Je note que l’arbre de vie est au milieu du jardin, mais que l’emplacement de l’autre arbre, celui de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux n’est pas précisé.

Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux ». C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme.

« Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? » Dans le texte hébreu, la phrase est volontairement ambigüe. Le mot-à-mot serait : « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? », ce qui peut vouloir dire : « vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin » ou bien « vous en mangerez certains et pas d’autres ». À quoi elle répond : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas... » Elle est de bonne foi, certainement, mais, vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas... »

Alors le serpent, pour séduire Êve, lui promet « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. »

Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent... » mais pour voir quoi ? « …et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. » Non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.

« VOYEZ COMME IL EST GRAND, L’AMOUR DE VOTRE PÈRE »

Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Êve a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean (Jn 17,3).

Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; et il continue : « - et nous le sommes. » ; c’est déjà devenu une réalité par notre baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres.

Comme dit encore Jean dans le prologue de son évangile : » À tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. » (Jn 1,12). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père. « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie ‘Abba’, c’est-à-dire Père ! » (Ga 4,6). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.

En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour les non-croyants ; c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». » Voilà pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. À ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! » (Jn 4,10).
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ÉVANGILE Luc 2, 41-52

41 Chaque année,
    les parents de Jésus allaient à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
42 Quand il eut douze ans,
    ils montèrent en pèlerinage suivant la coutume.
43 À la fin de la fête, comme ils s'en retournaient,
    le jeune Jésus resta à Jérusalem
    à l’insu de ses parents.
44 Pensant qu'il était dans le convoi des pèlerins,
    ils firent une journée de chemin
    avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
45 Ne le trouvant pas
    ils retournèrent à Jérusalem, en continuant à le chercher.
46 C'est au bout de trois jours qu'ils le trouvèrent dans le Temple,
    assis au milieu des docteurs de la Loi :
    il les écoutait et leur posait des questions,
47 et tous ceux qui l'entendaient
    s'extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
48 En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement,
    et sa mère lui dit :
    « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ?
    Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
49 Il leur dit :
    « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ?
    Ne saviez-vous pas
    Qu’il me faut être chez mon Père ? »
50 Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
51 Il descendit avec eux pour se rendre à Nazareth,
    et il leur était soumis.
    Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements.
52 Quant à Jésus,
    il grandissait en sagesse, en taille et en grâce
    devant Dieu et devant les hommes.
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JÉSUS AU TEMPLE DE JÉRUSALEM

« Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » : c’est une phrase de Jean dans le prologue de son évangile ; il semble bien que le récit que nous lisons ici chez Luc en soit une illustration. Car ce récit nous présente à la fois une manifestation du mystère de Jésus et l’incompréhension de ses plus proches. Que cette famille se soit rendue à Jérusalem pour la Pâque, rien d’étonnant. Que cela ait duré huit jours, rien d’étonnant non plus : les deux fêtes réunies de la Pâque et des Azymes qui n’en faisaient déjà plus qu’une à l’époque duraient effectivement huit jours.

Mais c’est la suite qui est étonnante : le jeune garçon reste au Temple sans se soucier, apparemment, de prévenir ses parents ; eux quittent Jérusalem avec tout le groupe, comme chaque année, sans vérifier qu’il est bien du voyage. Cette séparation durera trois jours, chiffre que Luc précise, bien sûr, intentionnellement. Quand ils se retrouvent tous les trois, ils ne sont pas encore sur la même longueur d’ondes : le reproche affectueux de Marie, encore tout émue de l’angoisse de ces trois jours se heurte à l’étonnement tout aussi sincère de son fils : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

La manifestation du mystère de Jésus réside, bien sûr, dans l’émerveillement de tous et particulièrement des docteurs de la Loi devant la lumière qui l’habite de toute évidence. Elle réside aussi dans la mention des trois jours qui, tout au long de la Bible, sont le délai habituel pour rencontrer Dieu. Trois jours ce sera le délai entre la mise au tombeau et la Résurrection, c’est-à-dire la victoire plénière de la vie. La manifestation du mystère de Jésus réside enfin dans cette phrase étonnante dans la bouche de ce garçon de douze ans, accompagné de ses deux parents bien humains : « Il me faut être chez mon Père » : là il s’affirme clairement comme le Fils de Dieu ; à l’Annonciation, l’Ange Gabriel l’avait déjà présenté comme le « Fils du Très-Haut », mais ceci pouvait être entendu seulement comme le titre du Messie ; cette fois, la révélation franchit une étape : le titre de fils appliqué à Jésus n’est pas seulement un titre royal, il dit le mystère de la filiation divine de Jésus. Pas étonnant que ce ne soit pas tout de suite compréhensible ! Et ce n’est pas fini : Jésus, aujourd’hui, dit « Je suis chez mon Père »... Plus tard il dira « Qui m’a vu a vu le Père ».

Ce n’est pas compréhensible, effectivement, même pour ses parents : et Jésus ose leur dire « Ne le saviez-vous pas ? » Même des croyants aussi profonds et fervents que Joseph et Marie sont surpris, désarçonnés par les mystères de Dieu. Cela devrait nous rassurer. Ne nous étonnons pas de comprendre si peu de choses nous-mêmes ! Aurions-nous oublié la phrase d’Isaïe ? « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins - oracle du SEIGNEUR. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (Is 55,8-9).

L’évangile nous suggère que Marie, elle-même, ne comprend pas tout tout de suite : elle retient tout et s’interroge, et elle cherche à comprendre. « Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. » Après la visite des bergers à la grotte de Bethléem, nous lisions déjà : « Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2,19). Luc nous donne là un exemple à suivre : accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, mais laisser se creuser en nous la méditation. Pas plus que la nôtre, la foi de Marie n’est un chemin semé de roses !

LE MYSTÈRE DE L’INCARNATION

Et tout ceci se passe dans le Temple de Jérusalem ; Luc attache beaucoup d’importance au Temple, qui était pour les Juifs le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple. Mais, pour les chrétiens, on le sait, c’est désormais le corps du Christ lui-même qui est le vrai Temple de Dieu, le lieu par excellence de sa présence. Notre récit d’aujourd’hui est l’une des étapes de cette révélation ; Luc pense certainement ici à la prophétie de Malachie : « Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient, – dit le SEIGNEUR de l’univers. » (Mal 3,1).

La dernière phrase du récit de Luc donne à réfléchir : « Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes. » Cela veut dire que Jésus lui-même, comme tous les enfants du monde, a besoin de grandir ! Le mystère de l’Incarnation va jusque-là : ce qui signifie d’une part que Jésus est complètement homme, et d’autre part que Dieu a la patience de nos maturations : pour lui, mille ans sont comme un jour. (Ps 89/90).

Enfin, on peut être surpris d’une contradiction apparente : Jésus répond à ses parents « Il me faut être chez mon Père » pour aussitôt après retourner avec eux à Nazareth. Ce qui veut dire qu’il n’est pas resté dans le Temple de pierre ! Pas plus que Samuel, d’ailleurs (voir la première lecture) : pourtant consacré au Seigneur et amené au temple de Silo pour y demeurer toute sa vie, celui-ci a finalement servi le Seigneur, hors du temple, en prenant la direction de son peuple. C’est peut-être là aussi une leçon pour nous : « Il me faut être chez mon Père » veut dire une vie donnée au service des hommes, pas forcément dans l’enceinte du temple : pour le dire autrement, être chez le Père veut dire d'abord être au service de ses enfants.

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Complément 

- L’évangile de Luc commence au Temple de Jérusalem avec l’annonce à Zacharie de la naissance de Jean-Baptiste (Jean signifie « Dieu a fait grâce ») ; c’est là que, le jour de la Présentation de Jésus, Syméon proclame que le salut de Dieu est arrivé ; c’est là enfin que se termine l’évangile de Luc : après leurs adieux au Christ ressuscité, les disciples, nous dit-il, retournèrent au Temple de Jérusalem (Lc 24,52).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 29 12 2024, fête de la Sainte-Famille C
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