(Voir article plus récent sur le même sujet.)
Hier, deux articles de commentaires sur la crise financière en cours ont été publiés par des libéraux. Guillaume Vuillemey, dans le Figaro, a intitulé le sien "Crise financière : les coupables sont-ils ceux que l'ont
croit ?" et Jacques Garello, dans la Nouvelle Lettre, a choisi "Mondialisation
irresponsable et injuste" pour titre de son éditorial. Tous deux vont dans le même sens, bien entendu, et leur clarté les rend compréhensibles par
tout le monde. Je les reproduis ci-après.
"Depuis plusieurs jours, les marchés financiers sont saisis d'une peur que les différentes banques centrales peinent à apaiser. Tous les indices se sont repliés suite à l'annonce de la mise en
faillite de nombreuses sociétés de crédit immobilier aux États-Unis, dont l'American Home Mortgage.
Les banques centrales européenne et américaine viennent d'ailleurs d'injecter des centaines de milliards d'euros dans les circuits bancaires afin d'éviter que des
banques soient en situation de cessation de paiement.
Aux États-Unis, les créances immobilières sont des produits cotés sur les marchés financiers et intégrés à certains fonds gérés par des banques. Or, depuis début
2007, il y a une hausse des défaillances des emprunteurs dits subprime, c'est-à-dire la catégorie d'emprunteurs ne satisfaisant pas aux critères classiques d'obtention du crédit. C'est ainsi que
certaines banques ont dû geler des fonds dont les valeurs avaient chuté de manière vertigineuse.
Ne sommes-nous pas en train de contempler les dégâts d'une nouvelle « défaillance des marchés financiers », lesquels, poussés par l'appât du gain,
accordent des prêts fort hasardeux à des taux très élevés ? Cette analyse sera probablement celle de nombreux gouvernements qui trouveront là un bon prétexte pour intervenir en contrôlant de
manière toujours plus intrusive l'activité économique.
Pourtant, le niveau des prêts accordés par une banque commerciale dépend aujourd'hui essentiellement de deux variables, les taux directeurs et le niveau des
réserves obligatoires, tous deux imposés par la banque centrale.
Il est donc paradoxal que les déterminants principaux de l'activité d'une entreprise privée - la banque commerciale - dépendent directement du bon vouloir d'un
acteur public - la banque centrale.
Nous sommes donc en présence d'un système où les banques commerciales cherchent à se faire rémunérer l'argent de leurs déposants en le prêtant, le risque étant pour
une large part supporté par les épargnants. Cette déresponsabilisation est accrue par le rôle de prêteur en dernier ressort conféré aux banques centrales, lesquelles préservent les banques
commerciales et les fonds d'investissement de la faillite, en créant de la monnaie en période de crise. De cela, il résulte une hausse générale des prix - l'inflation - qui se fait au détriment
du pouvoir d'achat des citoyens, mais qui profite aux bénéficiaires du crédit, à savoir essentiellement l'État et les hautes sphères de la finance. L'existence même de la banque centrale est donc
une incitation forte pour les institutions financières à prendre d'autant plus de risques qu'elles ont l'assurance de ne pas avoir à assumer les conséquences de ces risques.
Est-ce à dire qu'il faudrait supprimer les banques centrales et, de facto, abolir le monopole public d'émission de la monnaie ? Une telle idée n'est pas aussi
iconoclaste qu'elle peut le paraître au premier abord. Ainsi, historiquement, la Banque de France (remplacée aujourd'hui par la Banque centrale européenne) s'est vu accorder le monopole
d'émission de la monnaie par Napoléon en 1803, dans une volonté de financer les guerres de conquête avec du papier-monnaie et de contrôler l'ensemble des ressorts du pays. Avant cette date, le
système bancaire était libre, c'est-à-dire soumis aux lois de la concurrence et basé sur un actif tangible, l'or. Friedrich von Hayek, récompensé par le prix Nobel d'économie en 1974 pour sa
contribution sur le lien entre banque centrale et cycles économiques, publia en 1978 un long article intitulé « Denationalisation of Money», dans lequel il montrait que des monnaies
libres seraient moins inflationnistes et stimuleraient beaucoup moins les cycles d'expansion et de krachs que des monnaies publiques. Ce débat est d'une actualité brûlante en ces périodes de
crises financières globales répétées, comme le souligne Benn Steil dans son article « The End of National Currency », paru dans Foreign Affairs en mai dernier.
En quoi de telles monnaies auraient-elles pu nous permettre d'éviter la crise financière que nous traversons actuellement ? Des banques qui émettraient leur
propre monnaie auraient un intérêt évident à veiller à la solvabilité de leurs prêts. Une banque qui accumulerait des créances douteuses - ce qui est le cas de nombreuses banques actuelles qui
sont fortement exposées au cours du subprime - seraient immédiatement sanctionnées par leurs clients qui feraient le choix d'autres banques et d'autres monnaies. Le libre choix est un puissant
système de régulation des marchés financiers.
Par la détention d'un monopole sur l'émission de monnaie, les banques centrales imposent à tout citoyen d'un territoire donné l'usage d'une monnaie déterminée,
détruisant ainsi tout lien de confiance entre offreur et demandeur de monnaie. Aucune régulation efficiente ne saurait être basée sur d'aussi fragiles principes. Ainsi, puisqu'il semble que le
monopole public d'émission de la monnaie soit à l'origine de la crise que nous connaissons aujourd'hui, la question de son abolition mérite d'être posée.
Guillaume Vuillemey, analyste pour l'association libérale Liberté Chérie.
"La crise qui secoue les banques et les bourses du monde entier est la rançon d’une mondialisation irresponsable et injuste.
Bien évidemment, je suis un partisan convaincu de la mondialisation quand elle signifie l’élargissement de l’espace marchand au monde entier, la suppression
de toutes les frontières économiques et le jeu bienfaisant de la concurrence.
Hélas, les vertus de la mondialisation sont altérées par la rémanence de politiques, de mœurs et d’institutions héritées de l’économie dirigée et
protectionniste qui a dominé le XXème siècle.
La monnaie gérée par les banques centrales est un exemple de ces scories du passé. Cette Lettre vous donne une lecture simple de l’affaire des
« subprime ». En quête de taux d’intérêt usuraires certaines banques et opérateurs financiers se sont lancés dans des crédits très risqués : on a prêté à des gens a priori
insolvables pour qu’ils apposent leur signature au bas d’un contrat de vente d’un appartement ou d’une maison. Tout le monde y trouve son compte : des impécunieux peuvent accéder à la
propriété (ce qui semble très « social »), les promoteurs et agents immobiliers vendent des mètres carrés, et les banques s’engraissent rapidement.
Mais la fatalité veut que tôt ou tard la « chaîne » se casse. Les emprunteurs ne remboursant pas, les banques ne peuvent reconstituer leurs
liquidités. Fort heureusement, les banques centrales leur tendent une main secourable. « Nous couvrirons tous les crédits à 100% », dit la Banque Centrale Européenne. De son côté,
sans s’en vanter, la FED américaine abaisse son taux d’intérêt pour permettre aux banques de se ravitailler en billets verts auprès d’elle, et à moindres frais.
Pensons à une chose : si les banques avaient dû payer sur-le-champ leurs erreurs de gestion, elles ne se seraient pas comportées de la même manière. Mais
elles savent disposer du parachute des banques centrales, et elles sont quasi-certaines d’une impunité. En clair, le système monétaire est aujourd’hui une prime à l’irresponsabilité des
banques.
Ce laxisme des banques centrales faisait la crainte de RUEFF, FRIEDMAN et HAYEK. Ils savaient que la manipulation de la monnaie par les banques centrales ne
pouvait amener que désajustements dans l’économie, distribution de « faux droits » (Jacques Rueff). Car l’économie de marché étant une économie de responsabilité, le crédit ne peut
s’obtenir que si on y a un droit économique, c'est-à-dire une possibilité de rembourser sur une valeur future. Quand YUNUS prête à de micro-entreprises en Inde ou en Afrique, l’argent va à des
individus ou des familles qui développeront une activité, qui travailleront de façon intense et intelligente. Ce sont de « vrais droits ». Quand on accorde un crédit à la consommation
ou au logement à des assistés sociaux (même s’ils n’y sont pour rien), on distribue de faux droits. Les keynésiens, évidemment, n’y voient qu’avantages : pour prospérer l’essentiel
n’est-il pas de dépenser ?
La « justice sociale » si souvent évoquée en l’affaire n’y trouve pas son compte. Car des milliers de gens vont finalement payer l’addition bien
malgré eux. D’abord les actionnaires et le personnel des banques et institutions financières perdantes : leur patrimoine ou leur salaire sera amputé. Ensuite, les victimes prochaines de
l’inflation qui suit immanquablement l’émission inconsidérée de monnaie par les banques centrales : ce sont les plus dépourvus qui sont les premiers frappés. Encore les
contribuables, quand l’Etat se mettra en peine d’apporter sa garantie et fera gonfler encore la dette publique. Enfin, tous ceux qui vont finalement pâtir des dérèglements introduits dans le
marché, parce que les prix et les revenus auront été faussés par la dégradation de la monnaie et la politique de « monnaie facile ».
L’irresponsabilité et la facilité ne peuvent s’instaurer dans une économie de marché. Tant que les échanges ont été nationaux, un pays déraisonnable
supportait seul les conséquences de ses erreurs. La mondialisation permet à tous les pays de progresser, mais mondialise aussi les comportements aberrants. Nous en sommes là.
Deux voies se présentent devant nous : ou bien revenir à l’économie nationale fermée – c’est le scénario catastrophe impensable aujourd’hui – ou bien
accompagner la mondialisation des nécessaires disciplines qu’elle requiert. Il faut réviser les institutions monétaires, mais aussi les institutions politiques, fiscales, juridiques, sociales,
qui ne s’accordent pas avec cette loi fondamentale de l’humanité : pas de liberté ni de progrès sans responsabilité.
Ce sont les institutions d’une mondialisation responsable et juste qui vont se mettre en place, pourvu que les Etats cessent de manipuler les échanges et leurs règles du jeu.
Nous sommes réunis à Aix en Provence en cette XXX° Université de la Nouvelle Economie pour en parler. Mais aussi pour rappeler à tous les décideurs politiques que le temps est venu non
seulement des réformes institutionnelles propices à la concurrence et à la compétitivité, mais aussi d’un recul de leurs interventions et d’un retrait de leurs ambitions. Certains pays
pourraient souffrir lourdement de ne pas entendre l’avertissement, et la France plus que tout autre puisqu’elle a les institutions les plus décalées par rapport aux exigences de la
mondialisation."
Jacques Garello