Depuis plusieurs semaines, nous lisons le chapitre 8 de la lettre aux Romains : saint Paul contemple toute l'histoire de l'humanité, il la décrit comme une longue marche vers un avenir
magnifique. Un jour, nous serons semblables à Jésus-Christ, nous serons à son image et nous ne ferons plus qu'un en Lui. Voilà le projet de Dieu : « les hommes sont appelés selon le dessein de
son amour » (v. 28).
Le meilleur commentaire du passage d'aujourd'hui se trouve chez Paul lui-même dans sa deuxième lettre aux Thessaloniciens : « Dieu vous a choisis dès le commencement pour être sauvés par
l'Esprit qui sanctifie et par la foi en la vérité : c'est à cela qu'il vous a appelés par notre
Evangile, à posséder la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ. » (2
Th 2, 13-14). Tout est là, dans ces quelques lignes, de ce que nous avons lu ces derniers dimanches dans la lettre aux Romains : ce projet de Dieu qui débouche sur notre union à Jésus-Christ
(ce qu'il appelle « posséder la gloire de Jésus-Chrit »), l'œuvre de l'Esprit sur laquelle Paul insiste beaucoup, et enfin notre propre participation sollicitée, mais
libre, évidemment, à ce dessein de Dieu. Ailleurs, dans la première lettre aux Thessaloniciens, Paul dit plus simplement encore : « Dieu vous appelle à
son Royaume et à sa gloire. » (1 Th 2, 12).
Nous sommes donc en chemin vers cette transformation de tout notre être, ce façonnage, pourrait-on dire, qui nous modèlera à l'image de Jésus-Christ. Plus haut, dans la lettre aux Romains, Paul
comparait ce processus de transformation à une naissance : « La création tout entière passe par les douleurs d'un enfantement qui dure encore », disait-il (8, 22). Ici l'image est plutôt celle
de l'entrée dans une grande famille : « Dieu nous a a destinés à être l'image de son Fils, pour faire de ce Fils l'aîné d'une multitude de frères. » (v. 29). Quelques lignes auparavant, sur le
même registre, il avait employé à notre sujet l'expression : « enfants de Dieu ». Et il avait continué : « Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ » (8, 17).
Pour entrer dans cette famille, la porte est ouverte à tous, mais
nous restons libres. Dans le passage de la lettre aux Thessaloniciens que
je lisais tout-à-l'heure, Paul emploie le mot « foi » : à l'appel de Dieu, sa proposition de participer au grand projet, au « dessein de son amour », nous répondons par la foi, la confiance : «
Dieu vous a choisis dès le commencement pour être sauvés par l'Esprit qui sanctifie et par la foi en la vérité ». Contrairement au proverbe « L'homme propose, Dieu dispose », il me semble que
Paul nous dit « Dieu propose, l'homme dispose ».
Dans le passage d'aujourd'hui de la lettre aux Romains,
notre liberté d'adhérer ou non au projet de Dieu est dite également, mais autrement
: « Quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (v. 28). Le mot choisi ici par Paul « aiment » dit la
réponse libre de l'homme à la proposition, l'appel de Dieu. Il est l'équivalent du mot « foi » dans la lettre aux Thessaloniciens.
Dieu ne nous impose pas son projet, il nous le propose ; c'est pourquoi, depuis les origines de la Révélation, on entend Dieu appeler
l'homme et lui proposer son Alliance ; un peu comme si Dieu inlassablement répétait : « Aime-moi, fais-moi confiance, puisque je t'aime. » Paul nous dit en quelque sorte, «
Dieu ne vous force pas la main, mais si vous décidez de lui faire confiance, de le laisser mener votre vie, soyez bien certains qu'il fera progresser
son dessein en vous et par vous. »
Il reste que les formules de Paul peuvent prêter à confusion : ici, il dit : « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein
de son amour. » Mais alors on voit bien tout de suite l'objection qui pourrait jaillir : alors, pour ceux qui n'aiment pas Dieu, son plan d'amour n'existe-t-il pas ?
Bien sûr que si : croire que la bonté de Dieu est restreinte à quelques-uns serait une mauvaise lecture des paroles de Paul et de toute la
Bible, la fameuse lecture du soupçon qui nous guette toujours. Le vrai
croyant sait bien que le « dessein » de Dieu ne vise que notre bonheur ; il veut rassembler tous les hommes, et même l'univers entier, nous le savons bien.
Autre difficulté, Paul continue : « Ceux qu'il connaissait par avance, il les a aussi destinés à être l'image de son Fils » ; et, à plusieurs reprises, il emploie cette expression « ceux que »
: « Ceux qu'il destinait à cette ressemblance... ceux qu'il a appelés... ceux qu'il a justifiés... ». N'imaginons pas qu'il y aurait les privilégiés, les chanceux et les autres. Dieu ne fait
pas des choix comme les hommes peuvent en faire. Pour reprendre le vocabulaire de Paul, nous sommes tous « connus » de Dieu, « appelés, justifiés, introduits dans sa gloire », à condition de
l'accepter, bien sûr.
L'expression « Ceux qu'il connaissait par avance » n'est donc pas restrictive ; ce sont tous ceux qui acceptent d'entrer dans le projet de Dieu. Et ces formulations successives « ceux qu'il
destinait à cette ressemblance... ceux qu'il a appelés... ceux qu'il a justifiés... » ne disent jamais une restriction : Paul décrit tout simplement l'itinéraire de tous ceux qui veulent bien
entrer dans ce merveilleux plan de salut. En premier lieu, Dieu a envoyé son Fils ; c'est lui qui est « le commencement, premier-né d'entre les morts, afin de tenir en tout, lui, le premier
rang. » (Col 1, 18). Ainsi ceux qui répondent à l'amour de Dieu ressemblent à ce Fils qui a réalisé la volonté de salut du Père. « Ceux qu'il destinait à cette ressemblance, il les a aussi
appelés ; ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a justifiés, il leur a donné sa gloire. » Manière de dire que cette rencontre les a mis en harmonie parfaite avec Dieu
(justifiés), rendus participants de sa nature divine (sanctifiés), et d'ores et déjà accueillis dans sa gloire (glorifiés).
Pas étonnant que Paul écrive dans le verset qui suit immédiatement cette contemplation : « Que dire de plus ? »
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Complément
Les
prophètes ont annoncé à plusieurs reprises que le
projet de Dieu est pour tous les hommes ; Isaïe par exemple : « Le Seigneur, le tout-puissant, va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples... on dira ce jour-là : c'est lui
notre Dieu... Exultons, jubilons, puisqu'il nous sauve. » (Is 25, 6... 9). Et ailleurs : « Ma maison sera appelée Maison de prière pour tous les peuples. » (Is 56, 7 ; voir le commentaire de ce
texte au vingtième dimanche ordinaire).
C'est bien ce que dit le texte de la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous a fait connaître le
mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance
arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement ; réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et sur la terre. » (Ep 1, 9-10). C'est
exactement cela que Paul contemple ici.