Ces lignes sont la conclusion de tout ce passage splendide que nous lisons depuis plusieurs semaines au chapitre 8 de la lettre aux Romains et dans lequel Paul s'émerveille de l'amour de Dieu ;
au chapitre 5, il avait dit « L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'
Esprit Saint qui nous a été donné. » (5, 5). Ici, il laisse
libre cours à l'exultation qui remplit le coeur des croyants quand ils réalisent l'oeuvre de Dieu pour eux : « Dieu n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous » a-t-il dit
un peu plus haut (8, 32). Plus personne ne peut briser l'Alliance ainsi nouée entre Dieu et nous. Comme le dit la première Prière Eucharistique de la
réconciliation, « ses bras étendus dessinent entre ciel
et terre le signe indélébile de l'Alliance ». Désormais, toute tentative de séparation est vouée à l'échec.
Paul reprend ici une fois de plus un des thèmes majeurs de ce qu'il appelle l'Ecriture (pour nous, l'Ancien Testament) : tout l'enjeu de la vie des fils d'Adam est de rester attachés à Dieu,
suspendus à son souffle (vous reconnaissez là l'image de la
Genèse, Dieu insufflant dans les narines de l'homme son souffle
de vie), et de ne pas se laisser séparer de lui par le Tentateur, le diviseur. Jésus au désert a connu cette offensive du Tentateur qui lui suggérait de rechercher le pouvoir, la facilité, les
honneurs. Pierre, lui-même, a joué ce rôle auprès de lui quand il le poussait à fuir la persécution inévitable. Mais rien, ni la faim, ni les mirages de la réussite ne pouvaient séparer le Fils
de son Père. A leur tour, Paul et les autres
apôtres puisent dans l'Esprit de Jésus-Christ la force de rester
greffés sur lui.
Et il nous livre ici une superbe profession de foi : « J'en ai la certitude... rien ne pourra nous séparer ». Ce n'est pas de l'orgueil, c'est la certitude de la foi : Paul ne considère pas une
minute que le mérite de cette fidélité lui reviendrait : quand il affirme « En tout cela (c'est-à-dire toutes les épreuves), nous sommes les grands vainqueurs
grâce à celui qui nous a aimés », le mot important, c'est «
grâce » à lui. Il ne cite pas ici mais
sa déclaration ressemble à celle du
prophète Isaïe lorsqu'il brossait le portrait du serviteur de
Dieu : « Le Seigneur Dieu vient à mon secours ; c'est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages... je sais que je ne serai pas confondu. » (Is 50, 7).
D'ailleurs, Paul lui-même est la preuve vivante que « Rien ne peut nous séparer de l'amour de Dieu qui est manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur : la détresse, l'angoisse, la persécution, la
faim, le dénuement, le danger, le supplice... » tout cela il l'a traversé... Il le détaille dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Des Juifs, j'ai reçu cinq fois les trente-neuf coups,
trois fois j'ai été flagellé, une fois lapidé, trois fois, j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit sur l'abîme. Voyages à pied, souvent, dangers des fleuves, dangers des brigands,
dangers de mes frères de race, dangers des païens, dangers dans la ville, dangers dans les déserts, dangers sur la mer, dangers des faux frères ! Fatigues et peine, veilles souvent ; faim et
soif,
jeûne souvent ; froid et
dénuement... » (2 Co 11, 24-27).
Non seulement les épreuves, d'où qu'elles viennent, ne peuvent nous séparer du Christ, mais elles deviennent des moyens au service de l'œuvre de Dieu. Dans sa lettre aux Philippiens, par
exemple, Paul qui était alors en prison (peut-être à Ephèse) disait se réjouir de ce que sa captivité était devenue un prétexte à évangélisation. « La plupart des frères, encouragés dans le
Seigneur par ma captivité, redoublent d'audace pour annoncer sans peur la Parole. » (Phi 1, 14). Il savait pourtant que ce beau zèle n'était pas toujours parfaitement pur, certains étant
peut-être trop contents de prendre sa place ; mais il se réjouissait quand même des progrès de la mission : « Je veux que vous le sachiez, frères, ce qui m'est arrivé a plutôt contribué au
progrès de l'évangile... De toute manière... Christ est annoncé. Et je m'en réjouis. » (Phi 1, 14. 18). Il a eu ainsi à maintes reprises l'occasion de vérifier ce qu'il dit dans notre chapitre
8 de la lettre aux Romains : « Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour. » (Rm 8, 28). Or
Paul fait bien partie de ceux qui aiment Dieu, comme il dit, c'est-à-dire de ceux qui lui sont attachés et lui font confiance.
Et c'est pour lui l'occasion d'une expérience spirituelle très forte : un jour où il priait Dieu de lui épargner les épreuves, le Seigneur lui a répondu : « Ma
grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la
faiblesse ». Et Paul peut affirmer en toute vérité : « C'est lorsque je suis faible que je suis fort... parce que la puissance du Christ repose sur moi. » (2 Co 12, 10. 9). Aux Galates, il fera
cette confidence : « Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20).
Cette union intime entre le Christ et ses
disciples, Jésus en a longuement parlé au soir de la Cène : « De
même que le sarment, s'il ne demeure pas sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez pas en moi. Je suis la vigne, vous êtes les sarments : celui
qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte du fruit en abondance, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » Ce verbe « demeurer » revient souvent sous la plume de Jean,
que ce soit dans l'évangile ou dans ses lettres : « Demeurez en moi, comme je demeure en vous, dit Jésus. » (Jn 15, 4). En écho, Jean écrit aux premiers chrétiens : « Mes petits enfants,
demeurez en lui, afin que, lorsqu'il paraîtra, nous ayons pleine assurance. » (1 Jn 2, 28).