Les huit premiers chapitres de la lettre aux Romains ont décrit, pas à pas, la démarche de la
grâce, le déroulement du dessein d'amour de Dieu, depuis Adam et
Abraham, jusqu'au Christ ressuscité des morts qui donne l'Esprit. Devant tout cela, Paul a dit son émerveillement, mais une grave question le préoccupe douloureusement : qu'en est-il désormais
de la destinée du peuple Juif ?
Nous savons ce qui est lui arrivé à lui, Saül, ce juif fidèle à l'extrême, lorsque, sur la route de Damas, il a vu s'écrouler toutes ses certitudes... Il a compris, ce jour-là, que croire au
Christ n'est pas un reniement de sa foi juive, bien au contraire, puisque Jésus accomplit en sa personne, par sa vie, sa mort et sa
résurrection, le projet de Dieu annoncé dans les
Ecritures. Désormais ce sera l'essentiel de sa prédication : « Je vous rappelle, écrit-il aux Chrétiens de Corinthe, l'
Evangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous
restez attachés et par lequel vous serez sauvés... Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'ai reçu moi-même : Christ est mort pour nos
péchés, selon les Ecritures (selon les promesses de Dieu
contenues dans les Ecritures). Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures. Il est apparu à Céphas et aux douze... En tout dernier lieu il m'est aussi apparu, à
moi, l'avorton. Ce que je suis, je le dois à la
grâce de Dieu » (1 Co, 15, 1... 9).
Et lorsqu'il aura à répondre au tribunal de son activité d'
apôtre, après son arrestation par les autorités juives à
Jérusalem, Paul déclarera : « Fort de la protection de Dieu, je continue à rendre témoignage devant petits et grands : les
prophètes et Moïse ont prédit ce qui devait arriver, et je ne
dis rien de plus . » (Ac 26, 22).
Mais ses frères juifs, dans leur grande majorité, non seulement ne l'ont pas suivi, mais, pour beaucoup d'entre eux sont devenus ses pires persécuteurs. A la date à laquelle Paul rédige sa
lettre aux Romains, on n'en est pas encore à la séparation officielle entre juifs et chrétiens, quand ceux-ci seront chassés des synagogues et qualifiés d'apostats dans la prière juive ; mais
Paul souffre profondément de l'hostilité qu'il rencontre dans toutes les communautés juives où il tente d'annoncer la Bonne Nouvelle. Alors, il se pose la question : que devient la partie du
peuple élu qui ne reconnaît pas Jésus comme le
Messie ? Est-elle exclue de l'Alliance ? Si c'était le cas, cela
voudrait dire que l'Alliance pouvait être rompue... Dieu aurait-il repris sa liberté ? Dieu n'était donc pas tenu par ses promesses ?
Mais si Dieu n'est pas tenu par ses promesses, les Chrétiens non plus ne peuvent pas compter sur la fidélité de Dieu ?
La réponse à cette question, Paul va la chercher logiquement dans l'Ecriture et dans l'histoire d'Israël ; il énumère tous les privilèges du peuple choisi par Dieu, et qui sont les piliers de
la foi d'Israël : « Ils ont pour eux l'adoption, la gloire, les alliances, la Loi, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c'est de leur race que le Christ est né. »
Pour Paul, juif imprégné des Ecritures, cette liste à elle seule évoque toute l'histoire du peuple choisi : on peut essayer d'imaginer à quels passages de l'Ecriture Paul faisait référence.
Je reprends un à un chacun de ces éléments. En ce qui concerne l'adoption, Dieu lui-même avait recommandé à Moïse : « Tu diras au Pharaon : ainsi parle le SEIGNEUR : Mon fils premier-né, c'est
Israël. » (Ex 4, 22). Et Osée, méditant la longue aventure de l'Exode, disait en écho : « Quand Israël était jeune, je l'ai aimé et d'Egypte, j'ai appelé mon fils. » (Os 11, 1). Paul pensait
peut-être également au Deutéronome : « Vous êtes des fils pour le SEIGNEUR votre Dieu » (Dt 14, 1).
La
gloire de Dieu, c'est le rayonnement de sa Présence : or Israël a bénéficié de plusieurs manifestations de Dieu. Ce fut le cas dans la grande
manifestation (dans l'orage et le feu ; Ex 19) au mont Sinaï que j'ai rappelée à propos de la première lecture. Ce fut le cas également lorsque la Présence de Dieu se manifesta au-dessus de la
Tente de la Rencontre qui venait d'être dressée pour abriter l'Arche d'Alliance : « La nuée couvrit la tente de la rencontre et la gloire du SEIGNEUR remplit la demeure. » (Ex 40, 34). Dieu
gratifia encore Salomon d'une manifestation semblable au moment de la dédicace du temple qui venait d'être construit (1 R 8, 10-11). Et, dans le psaume de ce dimanche, nous avons chanté : « Son
salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. » (Ps 85/84, 10).
Autre privilège dont Israël pouvait être fier, cette Alliance reconduite d'âge en âge : tout avait commencé avec Abraham, puis Isaac, puis Jacob. Et au Sinaï, Dieu avait promis à son peuple : «
Vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples. » (Ex 19, 5). Et c'est bien envers le peuple et non pas seulement envers Moïse qu'il s'était engagé.
La loi donnée à ce moment-là par Dieu était comprise comme une preuve de sa sollicitude pour son peuple, de sa volonté de le faire grandir dans la paix et
la liberté. Au pied du Sinaï, le peuple avait promis « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique. » (Ex 19, 8). Et si l'on pratiquait si volontiers le culte,
c'est parce que toute célébration était vécue comme une rencontre entre Dieu et son peuple pour le renouvellement de cette Alliance. En attendant le jour béni où toutes les promesses de bonheur
faites par Dieu seraient enfin accomplies avec la venue du
Messie.
Et voilà que le
Messie était venu... et
que son peuple, dans sa grande majorité, l'avait méconnu, pire, éliminé. On comprend à quel point la question pouvait être douloureuse pour Paul, lui qui avait eu aussi sa période de refus.
Mais c'est dans sa foi, et dans l'Ecriture qu'il a trouvé la réponse. La longue énumération que nous venons de faire avec lui dicte la solution.
Non, il est impossible que Dieu oublie son peuple, lui-même l'a promis : « La femme oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l'enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne
t'oublierai pas. » (Is 49, 15) ; « Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient branlantes, mon amitié loin de toi jamais ne s'écartera et mon alliance de paix jamais ne
sera branlante, dit celui qui te manifeste sa tendresse, le Seigneur. » (Is 54, 10).
Oui, c'est sûr, d'une manière mystérieuse pour nous, mais de manière certaine, Israël reste aujourd'hui encore, le peuple élu : l'argument décisif, Paul l'a écrit à Timothée, « Dieu reste
fidèle car il ne peut se renier lui-même. » (2 Tm 2, 13).