Je vais m'attacher à la dernière strophe : en fait, si vous allez vérifier dans votre
Bible le texte que nous venons d'entendre, voilà ce que vous lirez «
Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m'ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon
exploit. »1 C'est dire que ce psaume est tout imprégné de l'expérience de Massa et Meriba. (Ex 17, 1-7). Là-bas, dans le désert, au temps de l'Exode avec Moïse, on a gravement douté des
intentions de Dieu. Vous vous rappelez, il faisait une chaleur torride, et il n'y avait pas d'eau au campement ; on était arrivés là, assoiffés, bien décidés à se jeter sur les points d'eau ;
mais tout était à sec. Alors, cela a très mal tourné ; on s'en est pris à Moïse qui se débrouillait bien mal, puis à Dieu lui-même : après tout, c'était peut-être ce qu'il cherchait, qu'on
meure de soif.
La suite de l'histoire a rempli tout le monde de honte : Dieu, égal à lui-même, a ignoré la révolte et donné de l'eau à profusion, qui s'est mise à ruisseler du rocher ; et Moïse, bien sûr, a
fait la leçon à son peuple : on avait pourtant bien vu l'exploit de Dieu nous faisant échapper à la mer et aux cavaliers égyptiens ; comment avait-on pu douter des intentions de Dieu ?
Désormais, quand on parle de Massa et Meriba, la honte revient à la mémoire.
Dans cette simple strophe, donc, « Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa » est résumée toute l'aventure de notre vie de foi,
personnelle et communautaire. C'est ce que l'on pourrait appeler, au vrai sens du terme, la « question de confiance ». Pour le peuple d'Israël, la question de confiance s'est posée à chaque
difficulté de la vie au désert : « Le SEIGNEUR est-il vraiment au milieu de nous, ou bien n'y est-il pas ? » (Ex 17, 7), ce qui revient à dire « Peut-on lui faire confiance ? S'appuyer sur lui
? Etre sûr qu'il nous donnera à chaque instant les moyens de nous en sortir... ? » Etre certain que quand il nous invite à la conversion, par la bouche d'un Ezékiel, par exemple, (que nous
entendons dans la première lecture de ce dimanche), il n'a en vue que notre bonheur ?
La
Bible dit que la foi, justement, c'est
tout simplement la confiance. Cette question de confiance, telle qu'elle s'est posée à Massa et Meriba, est l'un des piliers de la réflexion d'Israël ; la preuve, c'est qu'elle affleure sous
des quantités de textes bibliques ; et, par exemple, le mot qui dit la foi en Israël signifie « s'appuyer sur Dieu » ; c'est de lui que vient le mot « Amen » qui dit l'adhésion de la foi : il
signifie « solide », « stable » ; on pourrait le traduire « j'y crois dur comme pierre » (en français on dit plutôt « dur comme fer »). Et Isaïe, par exemple, faisant un jeu de mots, disait au
roi Achaz « Si vous ne croyez pas, (si vous ne vous appuyez pas sur Dieu), vous ne tiendrez pas debout » (Is 7, 9).
Dans la même strophe, la phrase « Aujourd'hui écouterez-vous sa Parole ? » est une invitation à la confiance ; parce que quand on fait confiance à quelqu'un, on l'écoute. D'où la fameuse prière
juive, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton esprit, de toutes tes forces. » (Dt 6, 4).
Tu aimeras, c'est-à-dire tu lui feras confiance et tu t'attacheras à lui sans partage.
Pour écouter, encore faut-il avoir l'oreille ouverte : encore une expression que l'on rencontre à plusieurs reprises dans la
Bible, dans le sens de mettre sa confiance en Dieu ; vous connaissez le
psaume 39/40 : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu m'as ouvert l'oreille » ; ou encore ce chant du Serviteur d'Isaïe : « Le SEIGNEUR Dieu m'a ouvert l'oreille... » (Is 50, 4). Et les
mots « obéir, obéissance » sont de la même veine : en hébreu comme en grec, quand il s'agit de l'obéissance à Dieu, ils sont de la même racine que le verbe écouter, au sens de faire confiance.
(En français aussi, d'ailleurs, puisque notre verbe « obéir » vient du verbe latin « audire » : obéir, « ob-audire », c'est mettre son oreille devant la parole).
Cette confiance de la foi est appuyée sur l'expérience...
Pour le peuple d'Israël, tout a commencé avec la libération d'Egypte ; c'est ce
que notre psaume appelle « l'
exploit de Dieu » : « Et pourtant ils avaient vu mon exploit. » Cette expérience, et de siècle en siècle pour les
générations suivantes, la mémoire de cette expérience vient soutenir la foi : si
Dieu a pris la peine de libérer son peuple de l'esclavage,
ce n'est pas pour le laisser mourir de faim ou de soif dans le désert.
Et donc, on peut s'appuyer sur lui comme sur un rocher... Le début du psaume, « Acclamons notre rocher, notre salut », n'est pas seulement de la poésie, c'est une véritable profession de foi.
Une foi qui s'appuie sur l'expérience du désert : à Massa et Meriba, le peuple a douté que Dieu lui donne les moyens de survivre... Mais Dieu a quand même fait couler l'eau du rocher ; et,
désormais, on rappellera souvent cet épisode en disant de Dieu qu'il est le Rocher d'Israël.
Ce choix résolu de la confiance est à refaire chaque jour : « Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? » Cette phrase est très libérante : elle signifie que chaque jour est un jour neuf ;
aujourd'hui, tout est de nouveau possible. Chaque jour nous pouvons réapprendre à « écouter », à « faire confiance » : c'est bien cela qu'Ezékiel prêchait à son peuple en exil, découragé.
Dernière remarque, le psaume parle au pluriel : « Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? »... Cette conscience de faire partie d'un peuple était très forte en Israël ; quand le psaume 94/95 dit
: « Nous sommes le peuple que Dieu conduit », là non plus, ce n'est pas de la poésie, c'est l'expérience d'Israël qui parle ; dans toute son histoire, on pourrait dire qu'Israël parle au
pluriel. « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous » sous-entendu sans vous demander où vous en êtes chacun dans votre sensibilité croyante ; nous touchons peut-être là un des problèmes de
l'Eglise actuelle : dans la
Bible, c'est un
peuple qui vient à la rencontre de son Dieu... « Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR, acclamons notre Rocher, notre salut ! »
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Note
1 - Notre traduction liturgique provient du texte grec qui ne donne pas les noms de Massa et Meriba. En revanche, on peut les lire dans nos
bibles, car elles sont traduites à partir de l'hébreu.
Compléments
Pour certains d'entre nous la question de confiance se pose chaque fois que nous ne trouvons pas de réponse à nos interrogations : accepter de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre,
accepter que les voies de Dieu nous soient impénétrables exige parfois de nous une confiance qui ressemble à un chèque en blanc... Il ne nous reste plus qu'à dire comme Pierre à Césarée, «
Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».
Quand Saint Paul dit dans la lettre aux Corinthiens « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » on peut traduire « Cessez de lui faire des procès
d'intention, comme à Massa et Meriba » ou quand Marc dit dans son Evangile « Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle », on
peut traduire « croyez que la Nouvelle est bonne », c'est-à-dire croyez que Dieu vous aime, qu'il n'est que bienveillant à votre égard.
Le récit du paradis terrestre, lui-même, peut se lire à la lumière de cette réflexion d'Israël sur la foi, à partir de l'épisode de Massa et Meriba : pour Adam, c'est-à-dire chacun d'entre
nous, la question de confiance peut se poser sous la forme d'un obstacle, une limitation de nos désirs (par exemple la maladie, le handicap, la perspective de la mort)... Ce peut être aussi un
commandement à respecter, qui limite apparemment notre liberté, parce qu'il limite nos désirs d'avoir, de pouvoir... La foi, alors, c'est la confiance que, toujours, même si les apparences sont
contraires,
Dieu nous veut libres, vivants, heureux et que de nos situations d'échec, de frustration, de mort,
il fera jaillir la liberté, la plénitude, la
résurrection.