Je suis, chaque
dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France",
permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est
cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou
indirectement)
Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée
sur le site de Radio-Notre-Dame
PREMIERE LECTURE - Exode 34 , 4 ... 9
4 Moïse se leva de bon matin, et il gravit la montagne du Sinaï
comme le Seigneur le lui avait ordonné.
5 Le Seigneur descendit dans la nuée
et vint se placer auprès de Moïse.
Il proclama lui-même son nom ;
6 Il passa devant Moïse et proclama :
« Le SEIGNEUR, LE SEIGNEUR,
Dieu tendre et miséricordieux,
lent à la colère, plein d'amour et de fidélité. »
8 Aussitôt Moïse se prosterna jusqu'à terre,
9 et il dit :
« S'il est vrai, Seigneur, que j'ai trouvé
grâce devant toi,
daigne marcher au milieu de nous.
Oui, c'est un peuple à la tête dure ;
mais tu pardonneras nos fautes et nos
péchés,
et tu feras de nous un peuple qui t'appartienne. »
Le texte que nous venons d'entendre est l'un des plus précieux de toute notre histoire ! Dieu lui-même parle de lui-même ! « Il proclama lui-même son nom », dit le texte. Et la réaction
spontanée de Moïse qui se prosterne jusqu'à terre prouve qu'il a entendu là des paroles extraordinaires.
Et que dit Dieu ? Il s'appelle « Le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité. » Ce nom « SEIGNEUR », c'est le fameux mot hébreu, en quatre
lettres, YHVH, que nous ne savons pas prononcer, parce que, depuis des siècles, bien avant la naissance de Jésus, le peuple d'Israël s'interdisait de le dire, par respect. Ce nom-là, Dieu
l'avait déjà proclamé devant Moïse dans le buisson ardent (Ex 3). En même temps qu'il lui révélait ce qui fut pour toujours, je crois, le socle de la foi d'Israël : «
Oui, vraiment, disait Dieu, j'ai vu la souffrance de mon peuple en Egypte, je l'ai entendu crier sous les coups, je connais ses souffrances... Alors je suis descendu
pour le délivrer... alors je t'envoie. » C'était déjà une découverte inouïe : Dieu voit, Dieu entend, Dieu connaît la souffrance des hommes. Il intervient en suscitant des
énergies capables de combattre toutes les formes de malheur. Cela veut dire que nous ne sommes pas seuls dans les épreuves de nos vies, Dieu est à nos côtés, il nous aide à les affronter, à
survivre. Dans la mémoire du peuple juif, ce fameux nom « SEIGNEUR » rappelle tout cela, cette douce pitié de Dieu, si j'ose dire.
Et ce n'étaient pas seulement des paroles en l'air, puisque, effectivement,
Dieu était intervenu, il avait suscité en Moïse l'énergie nécessaire pour
libérer son peuple. Chaque année, aujourd'hui encore, le peuple juif se souvient que Dieu est « passé » au milieu de lui pour le libérer.
Avec le texte d'aujourd'hui, nous franchissons une nouvelle étape : Dieu éprouve pour nous non seulement de la pitié devant nos malheurs, mais de l'amour ! Il est « tendre et miséricordieux,
lent à la colère, plein d'amour et de fidélité. » Une chose est d'éprouver de la pitié pour quelqu'un au point de l'aider à se relever, autre chose est de l'aimer vraiment.
Et ce n'est certainement pas un hasard si le texte d'aujourd'hui emploie le mot « passer » : Dieu « passe » devant Moïse pour révéler son nom de tendresse comme il est « passé » au milieu de
son peuple dans la nuit de la Mer Rouge (Ex 12, 12) : c'est le même mot ;
quand Dieu passe, c'est toujours pour libérer son peuple. Et ce deuxième «
passage » de Dieu, cette deuxième libération, est encore plus important que le premier. Le pire de nos esclavages est bien celui de nos fausses idées sur Dieu.
Or, vous avez entendu cette phrase du texte : « Il proclama lui-même son nom » ; cette phrase est notre garantie. Le Dieu d'amour auquel nous croyons, nous ne l'avons pas inventé, nous n'avons
pas pris nos désirs pour des réalités. Vous connaissez la phrase de Voltaire « Dieu a fait l'homme à son image et l'homme le lui a bien rendu ». Eh bien non ! Nous n'avons pas inventé Dieu,
c'est lui qui s'est révélé à nous et cela depuis Moïse ! Et à l'instant où elle a retenti dans l'humanité, cette révélation était vraiment l'inattendu. On ne s'y attendait tellement pas qu'il
fallait bien que Dieu nous le dise lui-même.
La réponse de Moïse prouve qu'il a parfaitement compris ce que signifie l'expression « lent à la colère » et il en déduit : « tu pardonneras nos fautes et nos
péchés ». Et il sait que, sur ce point, Dieu aura fort à
faire ! Car il a essuyé plus d'une fois les mécontentements de son peuple. Au point qu'un jour, il leur a dit : « Depuis le jour où vous êtes sortis d'Egypte, jusqu'à votre arrivée ici
(c'est-à-dire aux portes de la Terre Promise), vous n'avez pas cessé d'être en révolte contre le Seigneur. » (Dt 9, 7). Ici, il dit : « Oui, c'est un peuple à la tête dure ; mais tu pardonneras
nos fautes et nos
péchés, et tu
feras de nous un peuple qui t'appartienne. » Traduisez : nous sommes un peuple à la tête dure, mais puisque tu es le Dieu tendre et miséricordieux, tu nous pardonneras toujours et nous, malgré
tout, nous ferons notre petit possible pour répondre à ton amour.
Je reviens sur l'expression « tête dure » : ce sont les termes de notre traduction liturgique ; mais, en hébreu, l'expression originale est « peuple à la nuque raide » ; au passage d'une langue
à l'autre, malheureusement, nous avons perdu la richesse de l'image sous-jacente.
Dans une civilisation essentiellement agricole, ce qui était le cas en Israël au temps bibliques, le spectacle de deux animaux attelés par un joug était habituel : nous savons ce qu'est le joug
: c'est une pièce de bois, très lourde, très solide, qui attache deux animaux pour labourer. Le joug pèse sur leurs nuques et les deux animaux en viennent inévitablement à marcher du même
pas.
Les auteurs bibliques ont le sens des images : ils ont appliqué cette image du joug à l'Alliance entre Dieu et Israël. Prendre le joug était donc synonyme de s'attacher à Dieu pour marcher à
son pas. Mais voilà, le peuple d'Israël se raidit sans cesse sous ce joug de l'Alliance conclue avec Dieu au Sinaï. Au lieu de le considérer comme une faveur, il y voit un fardeau. Il se plaint
des difficultés de la vie au désert, et finit même par trouver bien fade la manne quotidienne. Au point que Moïse a connu des jours de découragement. Au lieu de se laisser entraîner par la
force de Dieu, l'attelage de l'Alliance, en effet, est perpétuellement freiné par les réticences de ce peuple à la nuque raide.
Dernière remarque : cette phrase « Le SEIGNEUR, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d'amour et de fidélité » est encore valable, évidemment. Et le mot « fidélité » résonne
dans toute l'histoire d'Israël comme le pilier le plus sûr de son
espérance. C'est l'un des grands thèmes du Deutéronome, par
exemple : « Le Seigneur ton Dieu est un Dieu miséricordieux : il ne te délaissera pas, il ne te détruira pas, il n'oubliera pas l'Alliance jurée à tes pères ». J'en déduis une chose que, nous
chrétiens, ne devons jamais oublier : Israël est encore et toujours le peuple élu ; comme dit Saint Paul : « les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables » (Ro 11, 29 ... « Si nous lui sommes
infidèles, Lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2 Tim 2,13).
CANTIQUE DE DANIEL 3, 52 - 56
52 Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères : A toi, louange et gloire éternellement !
Béni soit le nom très saint de ta gloire : A toi, louange et gloire éternellement !
53 Béni sois-tu dans ton saint temple de gloire : A toi, louange et gloire éternellement !
54 Béni sois-tu sur le trône de ton rège : A toi, louange et gloire éternellement !
55 Béni sois-tu, toi qui sondes les abîmes : A toi, louange et gloire éternellement !
Toi qui sièges au-dessus des Keroubim* : A toi, louange et gloire éternellement !
56 Béni sois-tu au firmament, dans le ciel : A toi, louange et gloire éternellement !
- Pour présenter le livre de Daniel auquel a été emprunté le cantique que nous venons d'entendre, je commence par prendre une comparaison :
-
Dans les années 1980, au temps de la domination soviétique sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans
son pays une pièce sur Jeanne d'Arc qu'elle avait intitulée « La nuit de Jeanne ». Franchement l'histoire de Jeanne d'Arc chassant les Anglais hors de France cinq siècles plus tôt (au 15 ème
siècle) n'était pas le premier souci des Tchèques. Si donc le scénario tombait entre les mains de la police, ce n'était pas trop compromettant. Mais pour qui savait lire entre les lignes, le
message était clair : ce que la jeune fille de 19 ans a su faire en France avec l'aide de Dieu, nous le pouvons aussi. La surface du texte parlait des Français, des Anglais et de Jeanne au
15ème siècle, mais entre les lignes on savait fort bien qu'il s'agissait des Tchèques et des armées soviétiques au 20ème.
- Le livre de Daniel (écrit sous la domination grecque au 2ème siècle) est de cet ordre-là : son auteur est comme notre jeune actrice ; il raconte
l'histoire d'un certain Daniel qui a vécu, lui aussi, plusieurs siècles plus tôt et dont la foi indomptable a surmonté toutes les épreuves et les persécutions. La surface du livre parle de
Babylone et du roi persécuteur Nabuchodonosor au 6ème siècle, mais entre les lignes, tout le monde comprend qu'il s'agit du tyran grec Antiochus Epiphane au 2ème.
- L'un des épisodes rapportés par le livre de Daniel, donc, est le supplice infligé à trois jeunes gens qui ont refusé d'adorer une statue en or érigée par Nabuchodonosor : ils sont précipités
dans une fournaise. L'auteur force volontairement le trait, évidemment, et le supplice est ce qu'on fait de plus épouvantable ; la foi des trois jeunes gens et le miracle de leur survie n'en
ressortent que mieux.
- « Nabuchodonosor ordonna de chauffer la fournaise sept fois plus qu'on avait coutume de la chauffer. Puis il ordonna à des hommes vigoureux de son armée de ligoter les trois jeunes gens
(Shadrak, Méshak et Abed-Négo) pour les jeter dans la fournaise de feu ardent. Alors ces trois hommes furent ligotés avec leurs pantalons, leurs tuniques, leurs bonnets et leurs manteaux, et
ils furent jetés au milieu de la fournaise de feu ardent ».
- Premier miracle, les voilà donc dans la fournaise surchauffée et ce n'est pas eux qu'elle brûle, mais leurs bourreaux. « Comme la parole du roi était rigoureuse et que la fournaise avait été
extraordinairement surchauffée, ces hommes mêmes qui avaient hissé les trois jeunes gens, la flamme du feu les tua ».
- Deuxième miracle, tout ligotés qu'ils étaient, ils marchent au milieu des flammes en chantant la gloire de Dieu. Mais surtout, le vrai miracle, c'est qu'ils font un véritable examen de
conscience au nom de tout leur peuple et donnent un bel exemple d'humilité ; notre auteur suggère évidemment à ses lecteurs de s'y associer : « Nous avons
péché et agi en impies jusqu'à nous séparer de toi, et nous
avons failli en toutes choses ; nous n'avons pas observé tes commandements... Agis envers nous selon ton indulgence et selon l'abondance de ta
miséricorde ! »
- Vous connaissez la suite : plus on attise le feu, plus il y a de victimes parmi les bourreaux pendant que les trois
martyrs se promènent au milieu d'une rosée rafraîchissante: alors, du
milieu des flammes, s'élève le plus beau chant que l'humanité ait inventé et ce sont ses premiers versets que nous chantons pour la fête de la
Trinité.
- « Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères » : c'est le rappel de l'Alliance conclue par Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob (surnommé Israël) : le rappel des promesses, mais aussi le rappel
de l'Alliance vécue au quotidien pendant des siècles : la longue
quête d'Abraham, Isaac et Jacob vers le pays et la descendance
promise... la longue marche de l'Exode avec Moïse, le long apprentissage de ce peuple choisi pour témoigner au milieu du monde... Malheureusement, au long de cette marche, on a souvent trébuché
et l'expression « Dieu de nos pères » est plus encore le rappel des multiples pardons de Dieu, surmontant inlassablement les infidélités de son peuple.
- « Béni soit le nom très saint de ta gloire » : le nom de Dieu c'est Dieu lui-même, mais on a tellement de respect qu'on dit « le nom » pour ne pas dire « Dieu » ; « Béni sois-tu dans ton
saint temple de gloire » : ce verset est historiquement situé ! Il ne correspond pas au contexte supposé de l'Exil à Babylone : le temple avait alors été dévasté par les troupes de
Nabuchodonosor, et là-bas, on n'aurait pas pu chanter çà ! En revanche, à Jérusalem, sous le roi grec Antiochus Epiphane, qui remplace le culte du vrai Dieu par son propre culte, il est très
important de continuer à proclamer, fût-ce au péril de sa vie, que Dieu seul est Dieu et que le Temple est sacré, car là réside la gloire de Dieu.
- Et d'ailleurs, les expressions « Le trône de ton règne » et « Toi qui sièges au-dessus des Keroubim » sont des allusions très concrètes à l'aménagement intérieur du Temple : dans le « Saint
des Saints », il y avait l'arche d'Alliance qui était un coffret de bois ; et sur ce coffret deux statues de chérubins (les « keroubim ») qui étaient deux animaux ailés ; au-dessus des
keroubim, invisible, mais certaine, demeurait la présence de Dieu.
Rappel des temps de certitude, où l'on savait d'évidence que Dieu était en permanence au milieu de son Temple, ce qui voulait dire au milieu de son peuple. L'auteur du livre de Daniel déploie
volontairement ce chant de victoire ; en bon
prophète qu'il est, il sait de toute la force de sa foi que les
puissances du mal peuvent bien se déchaîner, elles ne l'emporteront pas. Dans la tourmente que traversent tant de peuples aujourd'hui, ce message nous est tout autant nécessaire.
DEUXIEME LECTURE - 2 Corinthiens 13, 11 - 13
11 Frères, soyez dans la joie,
cherchez la perfection,
encouragez-vous,
soyez d'accord entre vous,
vivez en paix,
et le Dieu d'amour et de paix sera avec vous.
12 Exprimez votre amitié
en échangeant le baiser de paix.
Tous les fidèles vous disent leur amitié.
13 Que la
grâce du
Seigneur Jésus Christ,
l'amour de Dieu
et la communion de l'
Esprit
Saint
soient avec vous tous.
- Vous avez reconnu cette dernière phrase : « La
grâce de Jésus notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la
communion de l'
Esprit Saint soient
toujours avec vous ». C'est la première phrase du célébrant à la
messe. Ce qui veut dire que Saint Paul termine sa deuxième lettre aux
Corinthiens par là où nous commençons nos
liturgies. Et ce n'est pas un hasard si c'est le président de la
célébration qui la dit, et personne d'autre.
- Car cette phrase à elle seule annonce tout le projet de Dieu, et le président de la célébration, ici, parle au nom de Dieu. Ce que Dieu propose à l'humanité, en quelques mots, c'est d'entrer
dans son intimité, dans le foyer d'amour de la
Trinité.
- La «
grâce », « l'amour », la «
communion », c'est la même chose ; le Père, le Fils, l'
Esprit Saint, c'est la
Trinité ; « La
grâce de Jésus notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la
communion de l'
Esprit Saint »,
c'est bien le foyer d'amour que constitue la
Trinité.
-
Je vous disais que c'est une proposition de Dieu : c'est le sens du subjonctif « soient avec vous ». La liturgie emploie souvent des subjonctifs : « Que Dieu vous pardonne
», « Que Dieu vous bénisse », « Que Dieu vous protège et vous garde », « Le Seigneur soit avec vous » : on n' envisage évidemment pas une minute que Dieu pourrait ne pas nous pardonner, ne pas
nous bénir, ne pas nous protéger et nous garder, ne pas être avec nous...
- Le sens de ce subjonctif n'est pas « pourvu que » : « pourvu qu'Il veuille bien vous bénir, vous pardonner... » En Dieu, le pardon, le don, la
bénédiction ne sont pas des gestes ponctuels qu'il doit décider, c'est son être même.
Et pourtant un subjonctif, en français, signifie toujours un souhait. Seulement, ce souhait, c'est nous qu'il concerne. Ce subjonctif dit notre liberté : nous sommes toujours libres de ne pas entrer dans la bénédiction et le pardon de Dieu. On dit souvent « l'homme propose, Dieu dispose
»... En réalité, c'est tout le contraire. Dieu nous propose en permanence son dessein bienveillant, son Alliance, mais nous, nous restons libres de ne pas entrer dans ce
projet.
- Encore un mot sur cette expression trinitaire de Paul : les expressions qui parlent aussi clairement des trois personnes divines sont complètement absentes dans l'Ancien Testament et très
rares dans le Nouveau. Une fois de plus on voit les progrès de la Révélation qui atteint son sommet avec Jésus-Christ.
- C'est cette révélation du
mystère
d'amour qui est en Dieu qui inspire les recommandations de Paul. Frères, soyez dans la
joie... » :
quand
l'Ancien Testament parle de joie, il s'agit toujours du sentiment très fort que suscite toute expérience de libération ; on pourrait presque remplacer le mot « joie » par « exultation de la
libération » ; Isaïe, par exemple, annonçant la fin d'une guerre, proclame « Ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit à la moisson... car
le joug qui pesait sur lui (le peuple), le bâton sur son épaule, le fouet du chef de corvée, tu les as brisés ... » (Is 9, 2).
Plus tard, c'est le retour d'exil que le
prophète annonce comme une grande joie : «
Ils reviendront, ceux que le Seigneur a rachetés, ils arriveront à Sion avec des cris de joie. Sur leurs visages une joie sans limite ! Allégresse et
joie viendront à leur rencontre, tristesse et plainte s'enfuiront » (Is 35, 10).
-
Et ces expériences de libération ne sont qu'une pâle image de la libération définitive promise à l'humanité. « Voici que je vais créer
des cieux nouveaux et une terre nouvelle ; ainsi le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu'au secret du coeur. Au contraire, c'est un enthousiasme et une exultation perpétuels
que je vais créer. » (Is 65, 17 - 18).
- Signe d'une vie qui s'épanouit, la joie était considérée dans l'Ancien Testament comme la caractéristique du
temps du salut et de la paix
eschatologique. Quand Jésus parle de joie à ses
apôtres, c'est à ce niveau-là qu'il se place et il en donne la
raison : « Prenez courage, j'ai vaincu le monde » (Jn 16, 33). C'est ce qui lui permet de dire : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15,
11) et encore : « Vous êtes maintenant dans l'affliction, mais je vous verrai à nouveau, votre coeur alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira » (Jn 16, 22).
- La deuxième recommandation de Paul, c'est : « Soyez d'accord entre vous » ; et on est frappés de son insistance sur la paix : « vivez en paix, et le Dieu d'amour et de paix sera avec vous.
Exprimez votre amitié en échangeant le baiser de paix. » On a là un écho de la prière de Jésus pour ses
apôtres dans l'évangile de Jean « Qu'ils soient UN pour que le
monde croie » ; Paul le dit à sa manière dans la lettre aux Romains : « Que le Dieu de la persévérance et de la consolation vous donne d'être bien d'accord entre vous, comme le veut
Jésus-Christ, afin que d'un même coeur et d'une seule voix, vous rendiez gloire à Dieu, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ ». (Rm 15, 5).
- Cet accord se manifeste liturgiquement dans le baiser de paix ; car la formule « Exprimez votre amitié en échangeant le baiser de paix » que l'on retrouve plusieurs fois dans des lettres de
Paul vise ce geste liturgique qui existait déjà de son temps ; vers 150, Saint Justin racontait : « Quand les prières sont terminées, nous nous donnons un baiser les uns aux autres ». Nous
avons heureusement retrouvé ce geste très symbolique depuis le
concile Vatican II.
- Et voilà ce que disait un
Evêque de
Rome, Saint Hippolyte, vers 215 : « Que l'évêque salue l'assemblée en disant : Que la paix du Christ soit avec vous tous. Et que tout le peuple réponde : Et avec ton esprit. Que le
diacre dise à tous : Saluez-vous dans un saint
baiser et que les clercs embrassent l'évêque, les
laïcs hommes (embrassent) les
laïcs hommes et les femmes (embrassent) les femmes ».
EVANGILE Jean 3, 16 - 18
16 Dieu a tant aimé le monde
qu' Il a donné son Fils unique :
ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas,
mais il obtiendra la vie éternelle.
17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
18 Celui qui croit en lui échappe au jugement,
celui qui ne veut pas croire est déjà jugé,
parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
« Dieu a tant aimé le monde qu' Il a donné son Fils unique » ; c'est le grand passage de l'Ancien Testament au Nouveau Testament qui est dit là. Dieu aime le monde, c'est-à-dire l'humanité : on
le savait déjà dans l'Ancien Testament ; c'était même la grande découverte du peuple d'Israël. La grande nouveauté du Nouveau Testament, c'est le don du Fils pour le salut de tous les hommes.
« Dieu a tant aimé le monde qu' Il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. » Si je comprends bien, il suffit de croire en
lui pour être sauvé. Voilà la grande nouvelle de l'évangile, et de celui de Jean en particulier ; voici ce qu'il dit dans le prologue : « Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son
nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » (Jn 1, 12). Et encore un peu plus loin au chapitre 3, Jean rapporte cette parole de Jésus : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle »
(Jn 3, 36 // 6, 47 )
Et quand il dit « vie éternelle », il évoque autre chose que la vie biologique, bien sûr, il parle de cette autre dimension de la vie qu'est la vie
de l'Esprit en nous, celle qui nous a été insufflée au jour de notre baptême. (Jn 5, 24 ; 11, 26) ; pour lui, c'est cela le
salut. Etre sauvé, au sens biblique, c'est vivre en paix avec soi et avec les autres, c'est vivre en frères des hommes et en fils de Dieu. Pour
cela, il suffit, nous dit Jésus, de nous tourner vers lui. Pour pouvoir être en permanence inspiré par son esprit qui nous souffle des comportements de frères et de fils.
Pour parler à la manière de la Bible, on dira
« il suffit de lever les yeux pour être sauvé. » C'est une nouvelle extraordinaire, si on veut bien la prendre au sérieux !
C'est là que commence notre texte d'aujourd'hui, par les mots « en effet, Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique. » Ici, Jean fait allusion à une prophétie de Zacharie qui
promettait le salut et la conversion de Jérusalem : Dieu dit « Je répandrai sur la maison de David et sur l'habitant de Jérusalem un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils lèveront
les yeux vers celui qu'ils ont transpercé... Ils pleureront sur lui comme sur un fils unique... Ce jour-là une source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem en remède au
péché et à la souillure. » (Za 12,
10).
Cette prophétie de Zacharie n'est pas citée ici par Saint Jean (il la cite plus tard dans son évangile, au moment de la passion, juste après la mort de Jésus). Mais elle est présente par allusion
sous tout notre texte d'aujourd'hui.
Je pense que, pour Saint Jean, cette prophétie de Zacharie est une lumière très importante ; quand il médite sur le mystère du salut accompli par Jésus-Christ, c'est à elle qu'il se
réfère. On la retrouve dans l'Apocalypse : « Voici, il vient au milieu des nuées, et tout oeil le verra, et ceux mêmes qui l'ont percé ; toutes les tribus de la terre seront en deuil à cause de
lui. » (Ap 1, 7).
Pourquoi ? parce que sur le visage du crucifié, qui donne sa vie librement, l'humanité découvre enfin le vrai visage du Dieu de tendresse et de pardon, à l'opposé du Dieu dominateur et vengeur
que nous imaginons parfois malgré nous. « Qui m'a vu a vu le Père » dit Jésus à ses disciples dans le même évangile de Jean (Jn 14, 9).
La seule chose qui nous est demandée, c'est de croire en Dieu qui sauve pour être sauvés, de croire en Dieu qui libère pour être libérés. Il
nous suffit de lever vers Jésus un regard de foi pour être sauvés. C'est ce regard de foi, et lui seul, qui permet à Jésus de nous sauver. Et là, on ne peut pas ne pas penser à toutes les fois
dans les évangiles où Jésus relève quelqu'un en lui disant « Ta foi t'a sauvé ».
Ce mot « croire », Chouraqui le traduit par « adhérer » : il ne s'agit donc pas d'une opinion ; croire, chez Jean, a un sens très fort ; adhérer à
Jésus, c'est être greffé sur lui, inséparable de lui. Ce n'est pas un hasard si c'est le même Jean qui évoque l'image de la vigne et des sarments. Saint Paul, lui, emploie l'image de la tête et
des membres.
Et, du coup, nous comprenons mieux l'expression « fils unique » : « Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils unique ». Déjà, au tout début de l'évangile, Jean en avait parlé : « Le Verbe
s'est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père ». (Jn 1,14). Il est l'unique
parce qu'il est la plénitude de la grâce
et de la vérité ; il est l'unique, aussi, au sens de Zacharie, parce qu'il est l'unique source de vie éternelle ; il suffit de lever les yeux vers lui pour être sauvé ; il est l'unique, enfin,
parce que c'est lui qui prend la tête de l'humanité nouvelle. Là encore je retrouve Paul : le projet de Dieu c'est que l'humanité tout entière soit réunie en Jésus et vive de sa vie qui est
l'entrée dans la communion d'amour de la Trinité. C'est cela qu'il appelle le salut, ou la vie éternelle ; c'est-à-dire la vraie vie ; non pas une vie après la vie, mais une autre dimension
de la vie, dès ici-bas. Ailleurs Saint Jean le dit bien : « La vie éternelle, c'est connaître Dieu et son envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3) ; et connaître Dieu, c'est savoir qu'Il est miséricorde.
Et c'est cela le sens de l'expression « échapper au jugement », c'est-à-dire à la séparation : il nous suffit de croire à la miséricorde de Dieu pour y entrer. Je prends un exemple :
si j'ai blessé quelqu'un, et que je crois qu'il peut me pardonner, je vais me précipiter dans ses bras et nous pourrons nous réconcilier ; mais si je ne crois pas qu'il puisse me pardonner, je
vais rester avec le poids de mon remords ; comme dit le psaume 51/50 : « ma faute est devant moi sans relâche » ; c'est devant moi qu'elle est sans relâche ; mais il nous suffit de sortir de
nous-mêmes et de croire au pardon de Dieu pour être pardonnés.
Il nous suffit donc de croire pour être sauvés mais nous ne serons pas sauvés malgré nous ; nous restons libres de ne pas croire, mais alors
nous nous condamnons nous-mêmes : « Celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Mais « Celui qui croit en lui échappe au jugement » ;
c'est bien ce qu'a fait le bon larron : sa vie n'avait rien d'exemplaire mais il a levé les yeux sur celui que les hommes ont transpercé ; et en réponse, il a entendu la phrase que nous rêvons
tous d'entendre « Aujourd'hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».
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Complément : Une fois de plus, Paul est très proche de Jean : « Si, de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton coeur, tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras
sauvé. » (Romains 10, 9).