Je suis,
chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France",
permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un
thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou
indirectement).
Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps
; avant, cliquer sur le lien éventuel figurant sur le titre de chaque lecture), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.
10 Le
prophète Elie
partit pour Sarepta,
et il parvint à l'entrée de la ville.
Une veuve ramassait du bois;
il l'appela et lui dit :
« Veux-tu me puiser, avec ta cruche,
un peu d'eau pour que je boive ? »
11 Elle alla en puiser.
Il lui dit encore :
« Apporte-moi aussi un morceau de pain. »
12 Elle répondit :
« Je le jure par la vie du SEIGNEUR ton Dieu :
je n'ai pas de pain.
J'ai seulement, dans une jarre,
une poignée de farine,
et un peu d'huile dans un vase.
Je ramasse deux morceaux de bois,
je rentre préparer pour moi et pour mon fils
ce qui nous reste.
Nous mangerons, et puis nous mourrons. »
13 Elie lui dit alors :
« N'aie pas peur, va, fais ce que tu dis.
Mais d'abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi,
ensuite tu feras du pain pour toi et ton fils.
14 Car ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d'Israël :
Jarre de farine point ne s'épuisera,
vase d'huile point ne se videra,
jusqu'au jour où le SEIGNEUR
donnera la pluie pour arroser la terre. »
15 La femme alla faire ce qu'Elie lui avait demandé,
et longtemps, le
prophète, elle-même
et son fils
eurent à manger.
16 Et la jarre de farine ne s'épuisa pas,
et le vase d'huile ne se vida pas,
ainsi que le SEIGNEUR l'avait annoncé par la bouche d'Elie.
Pourquoi le
prophète Elie est-il
ici, loin de son pays ? Il est
prophète du royaume du Nord, et cela se passe ailleurs, à
Sarepta, une ville de la côte phénicienne, une région qui, à l'époque, fait partie du royaume de Sidon et pas du tout du royaume d'Israël. En clair, le grand
prophète a quitté sa patrie qui est le lieu de sa mission pour
se réfugier à l'étranger : il est en exil volontaire, pourrait-on dire. Que se passe-t-il donc dans sa patrie ?
Nous sommes au neuvième siècle av.J.C., puisqu'il s'agit du grand
prophète Elie, et, plus précisément sous le règne du roi Achab
et de la reine Jézabel (vers 870). Or Jézabel n'est pas une fille d'Israël, elle est la fille du roi de Sidon ; en l'épousant, Achab a pratiqué une politique d'alliance (ce que les rois font
souvent) mais il a pris un risque ; car le
mariage avec une étrangère (donc païenne) est le premier pas vers
l'apostasie, on le sait bien. Voici le palais, la ville, bientôt le peuple, ouverts à l'idolâtrie. Car la jeune reine païenne a apporté avec elle ses coutumes, ses prières, ses statues, ses
prêtres ; désormais quatre cents
prêtres de ce culte idolâtre paradent
au palais et prétendent que Baal est le vrai dieu de la fertilité, de la pluie, de la foudre et du vent. Quant au roi Achab, trop faible, il laisse faire, pire, il trahit sa propre religion et
il a poussé l'apostasie jusqu'à construire un temple de Baal dans sa capitale, Samarie.
Pour le
prophète Elie et les
fidèles du Seigneur, c'est la honte ! Car le premier des commandements était : « Tu n'auras pas d'autres dieux que moi ! » C'était le B.A. BA en quelque sorte de l'Alliance avec le Dieu de
Moïse : Dieu seul est Dieu, toutes les idoles ne servent à rien.
Evidemment, si Elie jouait son rôle de
prophète, il ne pouvait que s'opposer à la reine Jézabel, ce
qui n'a pas manqué. Mais comment prouver que les idoles ne sont rien que des statues impuissantes ? C'est à ce moment-là qu'intervint en Israël une grande sécheresse ; Elie saisit l'occasion :
vous prétendez que Baal est le dieu de la pluie ? Eh bien moi, Elie, je vais vous montrer que le Dieu d'Israël est l'Unique et que tout, pluie ou sécheresse, vient de lui et de personne
d'autre. On va voir ce qu'on va voir.
Notre texte d'aujourd'hui se situe à ce moment-là ; prévenu par Dieu, Elie a déclaré solennellement : « Par la vie du SEIGNEUR, le Dieu d'Israël au service duquel je suis, il n'y aura ces
années-ci ni rosée ni pluie sinon à ma parole », traduisez Dieu est le seul maître des éléments, vos Baals n'y peuvent rien. Puis il est parti se mettre à l'abri car Dieu lui a dit : « Va-t-en
d'ici, dirige-toi vers l'orient et cache-toi dans le ravin de Kerith, qui est à l'est du Jourdain. Ainsi tu pourras boire au torrent, et j'ai ordonné aux corbeaux de te ravitailler là-bas. » (1
R 17, 3-4). La sécheresse persistant, le torrent cesse de couler et Dieu envoie Elie un peu plus loin, à Sarepta, près de Sidon : « La parole du SEIGNEUR lui fut adressée : Lève-toi, va à
Sarepta qui appartient à Sidon, tu y habiteras ; j'ai ordonné là-bas à une femme, à une veuve, de te ravitailler. » Bien sûr, Elie obéit et le voilà à Sarepta.
Voici donc le grand
prophète,
mendiant, (téléguidé par Dieu, c'est vrai, mais mendiant quand même) et réduit à demander à une inconnue : « Apporte-moi un morceau de pain » ; la femme, elle aussi, est une pauvre, le texte le
dit assez : « Je le jure par la vie du SEIGNEUR ton Dieu : je n'ai pas de pain. J'ai seulement, dans une jarre, une poignée de farine, et un peu d'huile dans un vase. Je ramasse deux morceaux
de bois, je rentre préparer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous mangerons, et puis nous mourrons. » (Sous-entendu ce sera notre dernier repas, puisque ce sont mes dernières
provisions).
Mais puisque Dieu a parlé, il faut oser la confiance ; c'est bien le rôle du
prophète de le rappeler : « N'aie pas peur, va, fais ce que tu
dis. Mais d'abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi, ensuite tu feras du pain pour toi et ton fils. Car ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d'Israël : Jarre de farine point ne s'épuisera, vase
d'huile point ne se videra, jusqu'au jour où le SEIGNEUR donnera la pluie pour arroser la terre. » On sait la suite magnifique, sur le plan théologique autant que littéraire : « Et la jarre de
farine ne s'épuisa pas, et le vase d'huile ne se vida pas, ainsi que le SEIGNEUR l'avait annoncé par la bouche d'Elie. »
Mais pour cela, il a fallu que la veuve de Sarepta qui est une païenne joue sa vie (puisqu'elle donne la totalité du peu qui lui reste) sur la parole du
Dieu d'Israël. L'intention de l'auteur du texte est claire : le peuple bénéficiaire de toutes les sollicitudes de Dieu ferait bien de prendre exemple sur certains païens ! Alors que le peuple
élu crève de faim et de malheur, sur sa terre retombée dans l'idolâtrie, des païens peuvent bénéficier des largesses de Dieu, simplement parce qu'ils ont la foi. Et la femme de Sarepta a même
entendu Dieu lui parler (lui ordonnant de ravitailler son prophète) : ce qui revient à dire : la parole de Dieu, mes
frères, résonne aussi en terre païenne, qu'on se le dise ! Plus tard, Jésus ne fera pas plaisir à ses compatriotes en leur rappelant cet épisode (Lc 4, 25-26). Dans les textes tardifs de
l'Ancien Testament (et le premier livre des Rois en fait partie), des païens sont souvent donnés en exemple : on avait bien compris que le salut de Dieu est promis à l'humanité tout entière et
pas seulement à Israël.
La grande leçon de ce passage, enfin, c'est la sollicitude de Dieu pour ceux qui lui font confiance : le prophète qui fait assez confiance pour tenir tête à Achab et
Jézabel... la veuve qui prend le risque de se dépouiller du peu qui lui reste... L'un et l'autre sont dans la main de Dieu. L'un et l'autre seront comblés au-delà de leur attente.
5 Heureux qui s'appuie sur le Dieu de Jacob,
qui met son espoir dans le SEIGNEUR son Dieu,
6 lui qui a fait le ciel et la terre.
Il garde à jamais sa fidélité,
7 il fait justice aux opprimés ;
aux affamés il donne le pain.
8 Le SEIGNEUR redresse les accablés,
le SEIGNEUR aime les justes.
9 Le SEIGNEUR protège l'étranger,
Il soutient la veuve et l'orphelin.
10 D'âge en âge, le SEIGNEUR régnera :
ton Dieu, ô Sion, pour toujours !
« Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés... accablés... affamés... » Lorsque le peuple d'Israël chante ce psaume, c'est sa propre histoire qu'il raconte. Et il rend
grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; « opprimés,
accablés, affamés », il a connu toutes ces situations :
l'oppression en Egypte, pour commencer, dont Dieu l'a délivré « à main forte et à
bras étendu » comme ils disent ; et,
plus tard, l'oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Et ce psaume, d'ailleurs, a été
écrit après le retour de l'Exil à Babylone, peut-être pour la dédicace du Temple restauré. Le Temple avait été détruit en 587 av.J.C. par les troupes du roi de Babylone, Nabuchodonosor.
Cinquante ans plus tard (en 538 av.J.C.), quand Cyrus, roi de Perse, a vaincu Babylone à son tour,
il a autorisé les Juifs, qui étaient esclaves à
Babylone, à rentrer en Israël et à reconstruire leur Temple. La dédicace de ce Temple rebâti a été célébrée dans la joie et dans la ferveur. Le livre d'Esdras raconte : « Les
fils d'Israël, les
prêtres, les
lévites et le reste des déportés firent dans la joie la Dédicace de cette Maison de Dieu » (Esd 6, 16).
Ce psaume est donc tout imprégné de la joie du retour au pays. Une fois de plus, Dieu vient de prouver sa fidélité à son Alliance :
il a libéré son peuple,
il a agi comme son plus proche parent, son vengeur, son « racheteur », comme dit la
Bible.
Quand Israël relit son
histoire, il peut témoigner que Dieu l'a accompagné tout au long de sa lutte pour la liberté : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, Le SEIGNEUR redresse les accablés ».
Israël a connu la faim, aussi, dans le désert, pendant l'Exode, et Dieu a envoyé la manne et les cailles pour sa nourriture : « Aux affamés, il donne le
pain ». Et, peu à peu, on a découvert ce Dieu qui, systématiquement, prend parti pour le redressement des accablés et pour la guérison des aveugles, pour le relèvement des petits de toute
sorte.
Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu
redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide ; (« Dieu aime les justes
»).
C'est donc un chant de reconnaissance qu'ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR
redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l'étranger / il soutient la veuve et l'orphelin. Ton Dieu, ô Sion, pour toujours. »
Vous avez remarqué l'insistance sur le nom « SEIGNEUR » : ici, il traduit le fameux NOM de Dieu, le NOM révélé à Moïse au Buisson ardent : les quatre lettres « YHVH » qui disent la présence
permanente, agissante,
libérante, de Dieu à chaque instant de la vie de son peuple.
Je reprends la dernière ligne d'aujourd'hui, « Ton Dieu, ô Sion, pour toujours ». « Le SEIGNEUR est ton Dieu » :
dans la Bible, l'expression « mon Dieu » (ou « ton Dieu ») est toujours un
rappel de l'Alliance, de toute l'aventure étonnante de l'Alliance entre Dieu et son peuple choisi : Alliance à laquelle Dieu n'a jamais failli.
« Ton Dieu pour toujours » : tout d'abord, une fois de plus, je remarque que la prière d'Israël est tendue vers l'avenir ; elle n'évoque le passé que pour fortifier son attente, son
espérance. Et d'ailleurs quand Dieu avait
dit son nom à Moïse, il l'avait dit de deux manières : ce fameux nom, imprononçable en quatre lettres, YHVH que nous retrouvons souvent dans la
Bible, et en particulier dans ce psaume, et que nous traduisons « le
SEIGNEUR » ; mais aussi, et d'ailleurs il avait commencé par là, il avait donné une formule plus développée, « Ehiè asher ehiè » qui se traduit en français à la fois par un présent « Je suis
qui je suis » et par un futur « Je serai qui je serai ». Manière de dire sa présence permanente et pour toujours auprès de son peuple.
Ensuite, l'insistance sur le futur, « pour toujours » vise également à fortifier l'engagement du peuple.
Il est bien utile de se répéter ce psaume non
seulement pour reconnaître la simple vérité de l'oeuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : car, en définitive, cet inventaire est aussi un
programme de vie : si Dieu a agi ainsi envers Israël, celui-ci se sent tenu d'en faire autant pour les autres ; tous les exclus du monde (et de nos sociétés) ne connaîtront l'amour que Dieu
leur porte qu'à travers le comportement de ceux qui en sont les premiers témoins.
D'où l'insistance de la Loi de Moïse et des
Prophètes sur ce point. Pour commencer, la Loi était prescrite
pour éduquer le peuple à se conformer peu à peu à la
miséricorde de Dieu : pour cette raison, elle comportait de
nombreuses règles de protection des veuves, des orphelins, des étrangers.
Parce que Dieu mène inlassablement son peuple, et à travers lui,
l'humanité tout entière, sur un long chemin de libération, la Loi n'avait qu'un objectif : faire d'Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d'autrui.
Quant aux
prophètes, c'est
principalement sur l'attitude par rapport aux pauvres et aux affligés de toute sorte qu'ils jugeaient de la fidélité d'Israël à l'Alliance. Si on fait l'inventaire des paroles des
prophètes, on est bien obligé d'admettre que
leurs rappels à l'ordre portent majoritairement sur deux points (qui nous surprennent peut-être) :
une lutte acharnée contre l'idolâtrie, d'une
part, (nous l'avons vu avec Elie dans la première lecture) et
les appels à la justice et au souci des autres, d'autre part. Jusqu'à oser dire de
la part de Dieu : « C'est la
miséricorde que je veux, non les sacrifices, la connaissance
de Dieu, non les holocaustes. » (Os 6, 6) ; ou encore : « On t'a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR exige de toi : rien d'autre que respecter le droit, aimer la fidélité
et marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6, 8).
Pour terminer, vous connaissez la phrase du livre de Ben Sirac : «
Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35, 18). Le peuple
d'Israël en est certain, ce sont toutes les larmes de tous ceux qui souffrent qui coulent sur les joues de Dieu... Mais alors, si nous sommes assez près de Dieu, logiquement, elles devraient
couler aussi sur nos joues à nous !... C'est probablement cela, être à son image ?
24 Le Christ n'est pas entré
dans un
sanctuaire construit par les
hommes,
qui ne peut être qu'une copie du
sanctuaire véritable ;
il est entré dans le ciel même,
afin de se tenir maintenant pour nous
devant la face de Dieu.
25 Il n'a pas à recommencer plusieurs fois son sacrifice,
comme le grand
prêtre qui, tous les
ans,
entrait dans le
sanctuaire
en offrant un sang qui n'était pas le sien ;
26 car alors, le Christ aurait dû plusieurs fois souffrir la Passion
depuis le commencement du monde.
Mais c'est une fois pour toutes,
au temps de l'accomplissement,
qu'il s'est manifesté
pour détruire le
péché par son
sacrifice.
27 Et, comme le sort des hommes est de mourir une seule fois,
puis de comparaître pour le jugement,
28 ainsi le Christ,
après s'être offert une seule fois
pour enlever les
péchés de la
multitude,
apparaîtra une seconde fois,
non plus à cause du
péché,
mais pour le salut de ceux qui l'attendent.
L'auteur de la lettre aux Hébreux, nous l'avons vu depuis plusieurs semaines, s'adresse à des Chrétiens d'origine juive qui ont peut-être quelque nostalgie du culte ancien ; dans la pratique
chrétienne, il n'y a plus de temple, plus de sacrifices sanglants ; est-ce bien cela ce que Dieu veut ? Alors notre auteur reprend une à une toutes les réalités, toutes les pratiques de la
religion juive et il démontre que tout cela est périmé.
Ici, il s'agit surtout du Temple, appelé le «
sanctuaire » ; l'auteur précise : il faut distinguer le vrai
sanctuaire dans lequel Dieu réside,
c'est-à-dire le ciel même, et le temple construit par les hommes qui n'en est évidemment qu'une pâle copie. Les Juifs étaient particulièrement fiers, et à bon droit, de leur magnifique Temple
de Jérusalem. Pour autant, ils n'oubliaient jamais que toute construction humaine reste humaine par définition et donc, faible, imparfaite, périssable. De surcroît, personne non plus en Israël
ne prétendait enfermer la présence de Dieu dans un temple, même immense. Le tout premier bâtisseur du temple de Jérusalem, le roi Salomon disait déjà : « Est-ce que vraiment Dieu pourrait
habiter sur la terre ? Les cieux eux-mêmes et les cieux des cieux ne peuvent te contenir ! Combien moins cette Maison que j'ai bâtie ! » (1 R 8, 27). On a donc toujours su, dès l'Ancien
Testament, que la Présence de Dieu n'était pas limitée à la Tente de la Rencontre pendant l'Exode, ni, plus tard, au Temple de Jérusalem. Mais on recevait ce lieu de prière comme un cadeau :
dans sa
miséricorde, Dieu avait
accepté de donner à son peuple un signe visible de sa Présence.
Désormais, pour les Chrétiens, le vrai Temple, le lieu où l'on rencontre Dieu n'est plus un bâtiment : l'
Incarnation de Jésus-Christ a tout changé : désormais le lieu de
rencontre entre Dieu et l'homme, c'est Jésus-Christ, le Dieu fait homme. Sous une autre forme, c'est ce que Saint Jean explique aux lecteurs de son évangile, dans l'épisode des vendeurs chassés
du Temple : c'était peu de temps avant la fête juive de la Pâque, Jésus qui était monté à Jérusalem avec ses
disciples, s'était permis de chasser de l'enceinte du Temple tous
les changeurs de monnaie et les marchands de bestiaux pour les sacrifices. Et Jean, plus tard, avait compris : dans peu de temps tout ceci serait périmé. Un dialogue, ou plutôt une querelle
avait commencé entre les Juifs et Jésus : les Juifs lui demandaient : « Quel signe nous montreras-tu pour agir de la sorte ? » (traduisez « au nom de qui peux-tu te permettre de faire la
révolution ? ») Et Jésus avait répondu : « Détruisez ce Temple et, en trois jours, je le relèverai. » Plus tard, après la
Résurrection, les
disciples ont compris : « Le Temple dont il parlait, c'était son
corps. » (Jn 2, 13-21).
Je reviens à notre texte : la lettre aux Hébreux dit la même chose : restons greffés sur Jésus-Christ, nourrissons-nous de son corps, ainsi nous sommes mis en présence de Dieu : lui, il est
entré une fois pour toutes dans le
sanctuaire véritable et il se « tient devant la face de Dieu »
(ce sont les termes que l'on employait pour parler du
sacerdoce). « Le Christ n'est pas entré dans un
sanctuaire construit par les hommes, qui ne
peut être qu'une copie du
sanctuaire
véritable ; il est entré dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu. »
Quand y est-il entré ? Par sa mort bien sûr. Une fois de plus, nous voyons la place centrale de la croix dans le
mystère chrétien, pour tous les auteurs du Nouveau Testament.
Un peu plus loin (He 10), l'auteur de la lettre aux Hébreux précisera que cette mort du Christ n'est que le point d'orgue d'une vie tout entière offerte
et que quand on parle de son sacrifice, il faut bien entendre « l'acte sacré que fut toute sa vie » et non pas seulement les dernières heures de la Passion. Pour l'instant, le texte que
nous avons sous les yeux parle seulement de la Passion du Christ et de son sacrifice, sans préciser davantage. Il oppose le sacrifice du Christ à celui qu'offrait le grand-prêtre d'Israël,
chaque année au jour du Yom Kippour (littéralement « Jour du Pardon ») : ce jour-là, le grand
prêtre entrait seul dans le Saint des Saints : en prononçant le
Nom sacré (YHVH) et en répandant le sang d'un taureau (pour ses propres fautes) et celui d'un bouc (pour les fautes du peuple), il renouvelait solennellement l'Alliance avec Dieu. A la sortie
du grand
prêtre du Saint des Saints,
le peuple massé à l'extérieur savait que ses
péchés étaient pardonnés. Mais ce renouvellement de
l'Alliance était précaire, et il fallait recommencer chaque année : « Le grand
prêtre, tous les ans, entrait dans le
sanctuaire en offrant un sang qui n'était pas le sien ».
Tandis que l'Alliance que Jésus-Christ a conclue avec le Père en notre nom est parfaite et définitive :
sur le Visage du Christ en croix, les croyants
ont découvert le vrai Visage de Dieu qui aime les siens jusqu'au bout ; désormais ils ne se méprennent plus sur Dieu, ils savent que Dieu est leur Père, comme il est le Père de Jésus ; ils
peuvent enfin vivre de tout leur coeur l'Alliance que Dieu leur propose ; tout cela c'est la nouveauté, la Nouvelle Alliance apportée par le Christ. Alors, nous ne craignons plus le
jugement de Dieu : nous croyons et nous affirmons que « Jésus reviendra pour juger les vivants et les morts » (dans notre
Credo), mais nous savons désormais que, en Dieu,
jugement est synonyme de salut : « le Christ, après s'être offert une seule fois pour enlever les
péchés de la multitude,
apparaîtra une seconde fois, non plus à cause du
péché, mais pour le salut de ceux qui l'attendent. »
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Complément
On peut bien dire de Jésus-Christ qu'il est « le grand
prêtre du bonheur qui vient » ! (selon une autre expression de
l'auteur de cette lettre -He 9, 11- lue pour la fête du Corps et du Sang du Christ - année B).
Dans son enseignement, Jésus disait :
38 « Méfiez-vous des scribes,
qui tiennent à sortir en robes solennelles
et qui aiment les salutations sur les places publiques,
39 les premiers rangs dans les synagogues
et les places d'honneur dans les dîners.
40 Ils dévorent les biens des veuves
et affectent de prier longuement :
ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. »
41 Jésus s'était assis dans le Temple en face de la salle du trésor
et regardait la foule déposer de l'argent dans le tronc.
Beaucoup de gens riches y mettaient de grosses sommes.
42 Une pauvre veuve s'avança
et déposa deux piécettes.
43 Jésus s'adressa à ses
disciples :
« Amen, je vous le dis :
cette pauvre veuve a mis dans le tronc
plus que tout le monde.
44 Car tous, ils ont pris sur leur superflu,
mais elle, elle a pris sur son indigence :
elle a tout donné,
tout ce qu'elle avait pour vivre. »
« Méfiez-vous ... » Dans la bouche de Jésus, voici une parole inattendue ! Nous sommes dans les derniers chapitres de l'Evangile de Marc, avant la Passion et la Résurrection du Christ. Jésus donne ses derniers conseils à
ses disciples. Quelques versets plus haut,
il leur a dit : « Ayez foi en Dieu (11, 22)... Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez reçu et cela vous sera accordé. » Un peu plus loin, il leur conseillera encore : «
Prenez garde que personne ne vous égare ... » (13, 5). Ici, c'est quelque chose comme « Ne donnez pas votre confiance à n'importe qui ! » Il s'agit de certains scribes. Nous sommes peut-être
surpris de cette véhémence de Jésus, mais elle relève du style prophétique : combien de fois avons-nous vu les prophètes employer un langage très violent pour stigmatiser
certaines attitudes ; pour autant, il ne s'agit pas pour Jésus de faire en bloc le procès de tous les scribes.
Ceux-ci jouissaient d'une grande considération au temps de Jésus, et elle était généralement justifiée. Qui étaient-ils ? Des laïcs qui avaient étudié la Loi de Moïse dans des écoles
spécialisées, des diplômés de la Loi (comme on dirait aujourd'hui des « docteurs en théologie »). Ils avaient le droit de commenter l'Ecriture et de prêcher. Ils siégeaient au Sanhédrin, le
tribunal permanent de Jérusalem qui se réunissait au Temple deux fois par semaine. Les meilleurs d'entre eux étaient nommés « docteurs de la Loi ». Le respect qu'on leur vouait était en réalité
celui qu'on ressentait pour la Loi elle-même. Le livre de Ben Sirac (ou Siracide) consacre une page entière (Si 38, 34 - 39, 11) à l'éloge du scribe, « celui qui s'applique à réfléchir sur la loi
du Très-Haut, qui étudie la sagesse de tous les anciens, et consacre ses loisirs aux prophéties... Il étudie le sens caché des Proverbes, il passe sa vie parmi les énigmes des paraboles. » (Si 39, 1... 3). Mais cette
reconnaissance populaire pouvait bien monter à la tête de certains : dans les synagogues, ils avaient des places réservées dans les premiers rangs, et les mauvaises langues faisaient remarquer
que ces places, curieusement, tournaient le dos aux Tables de la Loi et étaient situées face au public !
Jésus manifeste une très grande liberté à leur égard : dans les versets précédents, il a rendu hommage à l'un d'entre eux : Marc nous raconte
que « Jésus, voyant qu'il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu. » (12, 34). Ici, en revanche, il semble les prendre à partie de façon plus générale ;
en réalité, ce n'est qu'une réponse au harcèlement dont il a été l'objet de la part de certains d'entre eux, depuis le début de sa vie publique, et qui lui a fait prendre conscience de leur
jalousie à son égard. En effet, Marc a montré amplement, tout au long de l'évangile, la méfiance grandissante des scribes contre Jésus.
Il faudrait relire (ou relier) tous ces épisodes : la guérison du paralytique de Capharnaüm (2, 6-7) ; le repas chez Lévi (2, 16) ; les accusations d'être un suppôt du démon, ce qui expliquerait
son pouvoir : « Les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient : « Il a Béelzéboul en lui et : C'est par le chef des démons qu'il chasse les démons. » (3, 23). Ou encore la discussion
sur le non-respect des traditions (7, 5).
Leur jalousie s'est peu à peu muée en haine et a fait naître en eux l'idée de le faire mourir : après qu'il eut chassé les vendeurs du Temple « Les grands prêtres et les scribes l'apprirent et ils cherchaient comment ils
le feraient périr. Car ils le redoutaient, parce que la foule était frappée de son enseignement » (11, 18 : en somme c'est une jalousie de professeurs). Après l'épisode des vendeurs, justement,
ils lui demanderont de justifier ses audaces : « Alors que Jésus allait et venait dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens s'approchent de lui. Ils lui
disaient : En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? Ou qui t'a donné autorité pour le faire ? » (11, 27-28). D'ailleurs, au moment de la Passion, Pilate ne s'y trompera pas (Marc note « Pilate
voyait bien que les grands prêtres
l'avaient livré par jalousie » : 15, 10).
Jésus est bien conscient de la haine dont il est l'objet, mais ce n'est pas cela qu'il leur reproche ; à ses yeux, il y a plus grave : « Ils dévorent les biens des veuves » ; par là, il reproche
à certains de profiter de leur fonction ; on peut supposer que les scribes, donnant des consultations, les veuves leur demandaient probablement des conseils juridiques (qui n'étaient pas
gratuits, apparemment !) « Ils dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement : ils seront d'autant plus sévèrement condamnés. » Phrase sévère, mais bien dans le style prophétique
: on sait bien que l'endurcissement du coeur vient tout doucement si l'on n'y prend pas garde ; ceux qui sont visés ici « affectent de prier longuement », mais cette prière feinte, affectée,
n'est évidemment pas une vraie prière puisque, ensuite, ils volent les pauvres gens... leur prière ne les rapproche donc pas de Dieu ; (traduisez ils s'excluent eux-mêmes du salut).
Et voici qu'une veuve se présente, justement pour faire son offrande. Elle est pauvre, de toute évidence, Marc le dit trois fois (v.42, 43 « pauvre veuve » ; v. 44 « indigence ») : c'était
malheureusement le cas général, car elles n'avaient pas droit à l'héritage de leur mari et leur sort dépendait en grande partie de la charité publique. La preuve de leur pauvreté est dans l'insistance
toute particulière de la loi sur le soutien que l'on doit apporter à la veuve et à l'orphelin, ce qu'un scribe ne peut pas ignorer, lui, le spécialiste de la Loi. La veuve s'avance donc pour
déposer deux piécettes ; et c'est elle que Jésus donne en exemple à ses disciples : « Amen, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis dans le
tronc plus que tout le monde. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a tout donné, tout ce qu'elle avait pour vivre. » L'évangile n'en dit pas
plus, mais la réflexion de Jésus à son sujet laisse entendre que sa confiance sera récompensée... Le rapprochement avec la première lecture de ce dimanche (la veuve de Sarepta) est suggestif :
comme la veuve de Sarepta avait donné ses dernières provisions au prophète Elie, celle du Temple de Jérusalem donne ses derniers
sous. Sa confiance en Dieu va jusque-là. Jusqu'à prendre le maximum de risques, le dépouillement complet.
Ces derniers conseils de Jésus à ses disciples prendront quelques jours après un relief tout particulier. A
leur tour, ils devront choisir leur attitude dans l'Eglise naissante. Le modèle que leur Seigneur leur a assigné, ce n'est pas l'ostentation de certains scribes, leur recherche des honneurs...
mais la générosité discrète de la veuve et l'audace de tout risquer.