Je suis, chaque
dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France",
permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un
thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou
indirectement)
Version audio (le lien sera inopérant dans un premier
temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.
PREMIERE LECTURE - 2 Chroniques 36, 14-16. 19-23
Sous le règne de Sédécias,
14 tous les chefs des
prêtres et le peuple
multipliaient les infidélités,
en imitant toutes les pratiques sacrilèges des nations païennes,
et ils profanaient le temple de Jérusalem consacré par le SEIGNEUR.
15 Le Dieu de leurs pères,
sans attendre et sans se lasser,
leur envoyait des messagers,
car il avait pitié de sa Demeure et de son peuple.
16 Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu,
méprisaient ses paroles,
et se moquaient de ses
prophètes
;
finalement, il n'y eut plus de remède
à la colère grandissante du SEIGNEUR contre son peuple.
19 Les Babyloniens brûlèrent le temple de Dieu,
abattirent les murailles de Jérusalem,
incendièrent et détruisirent ses palais,
avec tous leurs objets précieux.
20 Nabuchodonosor déporta à Babylone
ceux qui avaient échappé au massacre ;
ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils
jusqu'au temps de la domination des Perses.
21 Ainsi s'accomplit la parole du SEIGNEUR
proclamée par Jérémie :
« La terre sera dévastée et elle se reposera
durant soixante-dix ans,
jusqu'à ce qu'elle ait compensé par ce repos
tous les sabbats profanés. »
22 Or, la première année de Cyrus, roi de Perse,
pour que soit accomplie la parole proclamée par Jérémie,
le SEIGNEUR inspira Cyrus, roi de Perse.
Et celui-ci fit publier dans tout son royaume,
- et même consigner par écrit- :
23 « Ainsi parle Cyrus, roi de Perse :
Le SEIGNEUR, le Dieu du ciel,
m'a donné tous les royaumes de la terre ;
et il m'a chargé de lui bâtir un temple
à Jérusalem, en Judée.
Tous ceux d'entre vous qui font partie de son peuple,
que le SEIGNEUR leur Dieu soit avec eux,
et qu'ils montent à Jérusalem ! »
Dès 598, le roi de Babylone, Nabuchodonosor est le maître à Jérusalem ; il pille et saccage le Temple ; il nomme et destitue les rois ; et pour mater les mauvaises volontés, il opère déjà une
déportation massive ; le deuxième livre des Rois (chapitre 24) raconte qu'il déporta tout Jérusalem, tous les chefs, tous les gens riches, soit dix mille déportés, tous les artisans du métal,
les serruriers, et bien sûr, les militaires si bien qu'il ne resta que les petites gens du pays. Il met en place à Jérusalem le roi Sédécias qui régnera de 598 à 587 av.J.C. Mais Sédécias n'est
pas plus docile que les autres, ni à Dieu, ni à ses
prophètes, ni au souverain du moment, Nabuchodonosor. En 587,
celui-ci fait pour la deuxième fois le siège de Jérusalem et écrase la révolte de Sédécias. Le siège dura plus de dix-huit mois et acheva la destruction de Jérusalem. La presque totalité du
peuple fut déportée. Généralement, c'est à partir de 587 que l'on décompte la durée de l'Exil à Babylone. Un Exil qui durera jusqu'à ce que Nabuchodonosor soit à son tour écrasé par la nouvelle
puissance montante au Moyen-Orient, l'Iran qu'on appelle encore la Perse, à l'époque.
La politique de Cyrus, roi de Perse, va faire l'affaire des habitants de Jérusalem : systématiquement, il renvoie dans leur pays d'origine toutes les populations déplacées ; la population juive
en bénéficie tout comme les autres. C'est tellement inespéré qu'on verra là la main de Dieu ! « La première année de Cyrus, roi de Perse, pour que soit accomplie la parole proclamée par
Jérémie, le SEIGNEUR inspira Cyrus, roi de Perse. Et celui-ci fit publier dans tout son royaume, et même consigner par écrit : Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : Le SEIGNEUR, le Dieu du ciel,
m'a donné tous les royaumes de la terre ; et il m'a chargé de lui bâtir un temple à Jérusalem, en Judée. Tous ceux qui font partie de son peuple, que le SEIGNEUR leur Dieu soit avec eux, et
qu'ils montent à Jérusalem! »
Mais qu'avait donc dit Jérémie ? Il avait tout simplement joué son rôle de
prophète : rappelant sans cesse la loi de Dieu et menaçant le
peuple des pires châtiments, s'il ne se convertissait pas ! A son grand désespoir, les événements lui avaient donné raison.
[1]
Pour l'auteur des Chroniques, tout cela est clair : Dieu a patienté, patienté ; il a mis son peuple en garde, comme on avertit quelqu'un au bord du précipice ; mais ni le peuple ni le roi n'ont
rien voulu entendre : « Tous les chefs des
prêtres et le peuple multipliaient les infidélités, en imitant
toutes les pratiques sacrilèges et ils profanaient le Temple de Jérusalem consacré par le SEIGNEUR ». En lisant Jérémie, on s'aperçoit que le reproche le plus grave qu'il adresse à son peuple,
c'est d'avoir complètement défiguré la religion de l'Alliance : non seulement, on ne respecte plus le sabbat, mais surtout on retombe dans l'idolâtrie, et dans ce qu'elle a de pire à l'époque,
les sacrifices humains. Les commandements envers Dieu sont abandonnés... les commandements envers les autres sont abandonnés.
Dieu, lui, n'oubliait pas son Alliance : il était toujours « Le Dieu de leurs pères » : depuis le temps des patriarches, Abraham, Isaac, Jacob... « Sans attendre et sans se lasser, il envoyait
ses messagers » ; ce n'est pas pour défendre ses propres intérêts que Dieu rappelle sans cesse les commandements, par l'intermédiaire de ses
prophètes ; Jérémie a cette parole extraordinaire : « Est-ce
bien moi qu'ils offensent ? dit Dieu ; n'est-ce pas plutôt eux-mêmes ? Et ils devraient en rougir. » (Jr 7, 19). Ce qu'il veut dire par là, c'est que
le
peuple libéré par Dieu se fait lui-même esclave de faux dieux et retombe dans des pratiques indignes d'hommes libres. « Ils m'abandonnent, moi, la source d'eau vive, dit Dieu,
pour se creuser des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l'eau » (Jr 2, 13).
Mais on sait comment ils ont traité les
prophètes. « Ils tournaient en dérision les envoyés de Dieu,
méprisaient ses paroles et se moquaient de ses
prophètes. » Alors est arrivé ce qui devait arriver : le Dieu
fidèle à sa Parole avait promis le bonheur si on obéissait aux commandements, et le malheur si on désobéissait ; sa fidélité à cette Parole exigeait qu'il finisse par sévir. « Finalement, il
n'y eut plus de remède à la colère grandissante du SEIGNEUR contre son peuple. »
Nous sommes surpris qu'un texte biblique, relativement tardif, parle encore de « colère » de Dieu, comme si Dieu pouvait, comme nous, se laisser aller à
des emportements ; mais c'est le contexte historique qui exige ce genre de discours : le danger de l'idolâtrie est encore présent, visiblement. Pour imposer la foi au Dieu unique, il n'y a pas
d'autre moyen que de lui imputer la responsabilité de tous les événements : aussi bien la catastrophe de l'Exil que, ensuite, le retour permis par Cyrus. A cette étape de la réflexion
théologique, on pense forcément : s'il n'est pas le Maître de tout, c'est qu'il y a d'autres dieux. Plus tard, au fur et à mesure qu'on progressera dans la Révélation, on découvrira que tous
nos sentiments humains de colère et de vengeance sont totalement étrangers à Dieu, le Tout-Autre, car il n'y a en lui qu'une réalité, l'Amour.
En attendant, l'auteur du livre des Chroniques a déjà trouvé le moyen d'affirmer deux choses capitales de la foi : premièrement, Dieu reste toujours «
le Dieu des pères » quelle que soit l'infidélité de son peuple et il fera tout pour l'empêcher de tomber dans le précipice. Deuxièmement, quand le peuple est dans le précipice, il trouvera le
moyen de l'en sortir, car rien n'est impossible à Dieu.
****
Compléments
« Soixante-dix ans » (verset 21) : voici un bon exemple de l'utilisation des chiffres dans la
Bible ; les premiers départs à Babylone ont lieu en 598 av.J.C. L'édit
de Cyrus autorisant le peuple à rentrer à Jérusalem date de 538. L'Exil aura donc duré au maximum soixante ans, et pour le plus grand nombre, il n'aura même duré que cinquante ans. Que signifie
donc ce chiffre de soixante-dix ans qui n'est pas vérifié historiquement ? La citation que l'auteur attribue à Jérémie est en fait empruntée à deux livres de la
Bible, celui de Jérémie et le Lévitique (Jr 25, 11 ; Jr 29, 10 ; Lv 26,
34-35). Jérémie parle effectivement de soixante-dix ans, mais seulement dans le sens de la longue durée : soixante-dix ans, c'est à peu près la durée de la vie humaine : le psaume 89/90, verset
10, dit explicitement : « soixante-dix ans, c'est la durée de notre vie, quatre-vingt si elle est vigoureuse ».
Le Lévitique n'emploie pas l'expression soixante-dix ans, mais il donne à l'Exil le sens de réparation pour tous les sabbats profanés. Il faut se rappeler ce qu'était l'année sabbatique : tous
les sept ans, la terre elle-même devait être au repos, on ne devait pas la cultiver (du moins telle était la Loi). Mais, tout comme le sabbat hebdomadaire, le sabbat de la terre a été maintes
fois violé. L'Exil sera alors pour la Terre Promise comme un sabbat forcé.
L'auteur du Livre des Chroniques fait donc le lien entre la durée de soixante-dix ans dont parle Jérémie et l'idée de compensation des sabbats. Rapprochement d'autant plus parlant que
soixante-dix, c'est dix fois sept, un multiple d'années sabbatiques.
Par ailleurs, très probablement, pour lui, cette durée de soixante-dix ans correspond à une durée précise : 585 - 515 av.J.C., c'est-à-dire celle de l'interruption du culte : le Temple de
Jérusalem n'a été reconstruit qu'en 515 par Zorobabel. Pour lui, la privation du Temple et du culte est encore plus grave, encore plus douloureuse que l'Exil en terre ennemie. Ces relectures
successives ne se contredisent pas, mais enrichissent la compréhension. Il nous faut apprendre à lire entre les lignes.
De même qu'on a interprété l'Exil comme une punition, on interprète le retour d'Exil comme un retour en
grâce ; on sait mieux aujourd'hui que la
grâce, la faveur de Dieu ne nous ont jamais quittés.
PSAUME - 136 (137), 1 - 6
1Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
2 aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.
3 C'est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »
4 Comment chanterions-nous
un chant du SEIGNEUR
sur une terre étrangère ?
5 Si je t'oublie, Jérusalem,
que ma main droite m'oublie !
6 Je veux que ma langue
s'attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n'élève Jérusalem,
au sommet de ma joie.
Nous venons d'entendre ce psaume en entier : c'est donc l'un des plus courts du psautier ; mais il est d'une telle densité qu'il a pu être choisi par les premiers chrétiens comme psaume
privilégié de la nuit pascale : cette nuit-là, les nouveaux baptisés, remontant de la cuve baptismale, chantaient le psaume 22 en se dirigeant vers le lieu de leur
Confirmation et de leur première
Eucharistie. On en est venu à l'appeler le « psaume de
l'
initiation
chrétienne ».
Si les Chrétiens ont pu y déchiffrer le
mystère de la vie baptismale, c'est parce que déjà, pour Israël,
ce psaume exprimait de manière privilégiée le
mystère de la vie dans l'Alliance, de la vie dans l'intimité de
Dieu. Ce
mystère est celui du choix
de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté ; chaque génération s'émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée : « Interroge donc
les jours du début, ceux d'avant toi, depuis le jour où Dieu créa l'humanité sur terre, interroge d'un bout à l'autre du monde ; est-il rien arrivé d'aussi grand ? A-t-on rien entendu de pareil
?... A toi, il t'a été donné de voir ... » (Dt 4, 32...35) A ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d'entrer le premier dans l'intimité de Dieu, bien sûr pas pour en jouir
égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres.
Pour dire le bonheur du croyant, notre psaume 22 se réfère à deux expériences, celle d'un lévite (un
prêtre) et celle d'un pèlerin ; le peuple d'Israël est comme un
lévite heureux d'être consacré au service de Dieu et qui chante de tout son coeur : «
Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ;
j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours ».
Vous connaissez l'institution des lévites ; d'après le livre de la Genèse, Lévi était l'un des douze fils de Jacob, les mêmes qui
ont donné leurs noms aux douze tribus d'Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n'a pas reçu
de territoire, car elle est vouée au service du culte. On dit que c'est Dieu lui-même qui est leur héritage ; image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « Tu
es, Seigneur, le lot de mon coeur, tu es mon héritage ; en toi, Seigneur, j'ai mis mon bonheur, toi mon seul partage » (psaume 15 / 16). Les lévites habitent dispersés dans les villes des
autres tribus, vivant des dîmes qui leur sont versées. A Jérusalem, ils sont consacrés au service du Temple.
Deuxième image, Israël se dépeint aussi sous les traits d'un pèlerin venu au Temple pour offrir un sacrifice d'action de
grâce. Pendant son
pèlerinage vers le Temple, il est comme une brebis : son
berger c'est Dieu ; on retrouve là un thème habituel dans la
Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient
couramment appelés les bergers du peuple et Israël en faisait autant. Le roi idéal était souvent décrit comme un « bon berger » plein de sollicitude et de fermeté pour protéger son
troupeau.
Mais ce qui était particulier en Israël c'est qu'on affirmait très fort que le seul vrai roi d'Israël c'est Dieu ; les rois de la terre ne sont que ses « lieutenants » (au sens étymologique de
« tenant lieu »). De la même manière, le vrai bon berger d'Israël c'est Dieu, un berger attentif aux besoins véritables de son troupeau : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ;
sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. » Le
prophète Ezéchiel, par exemple, a longuement développé cette
image.
Réciproquement, l'image du peuple d'Israël comme le troupeau de Dieu est très souvent développée dans l'Ancien Testament : « oui, il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu'il conduit, le
troupeau guidé par sa main. » (Ps 94-95 ). Ce psaume est une méditation sur l'Exode et la sortie d'Egypte : c'est là qu'on a fait l'expérience première de la sollicitude de Dieu ; sans lui, on
ne s'en serait jamais sortis ! C'est lui qui a rassemblé son peuple comme un troupeau et lui a permis de survivre malgré tous les obstacles.
Si bien que, lorsque Jésus a tranquillement affirmé « Je suis le Bon
Pasteur », cela a fait l'effet d'une bombe ! Car, sous cette phrase
anodine pour nous, ses interlocuteurs ont entendu : « Je suis le Roi-Messie, le vrai roi d'Israël », ce qui leur paraissait quand même bien audacieux.
Je reviens à notre psaume : on sait bien qu'un
pèlerinage peut parfois être périlleux : en chemin, le
pèlerin rencontre peut-être des ennemis (« tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » v.5) ; il frôlera peut-être même la mort (« Si je traverse les ravins de la mort » v.4) ; mais quoi
qu'il arrive, il ne craint rien, Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure ».
Arrivé au Temple, le pèlerin accomplit le sacrifice d'action de
grâce pour lequel il est venu, puis il prend part au repas rituel
qui suivait toujours le sacrifice d'action de
grâce. Ce repas prend les allures d'une joyeuse festivité entre
amis avec une « coupe débordante » dans l'odeur des « parfums » (v. 5).
On comprend que les premiers chrétiens aient trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur expérience croyante : Jésus lui-même est le vrai berger (Jn 10) : par le
Baptême, il les tire du ravin de la mort, les
fait revivre en les menant vers les eaux tranquilles ; la table préparée, la coupe débordante disent le repas eucharistique ; le parfum sur la tête désigne la
confirmation.
Une fois de plus, les Chrétiens découvrent avec émerveillement à quel point Jésus n'abolit pas, n'annule pas l'expérience croyante de son peuple, mais au contraire l'accomplit, lui donne toute
sa dimension.
DEUXIEME LECTURE - Ephésiens 2, 4 - 10
Frères,
4 Dieu est riche en
miséricorde ;
à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5 nous qui étions des morts par suite de nos fautes,
il nous a fait revivre avec le Christ :
c'est bien par
grâce que vous êtes
sauvés.
6 Avec lui, il nous a ressuscités ;
avec lui, il nous a fait régner aux cieux, dans le Christ Jésus.
Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus,
7 il voulait montrer, au long des âges futurs,
la richesse infinie de sa
grâce.
8 C'est bien par la
grâce que vous êtes sauvés,
à cause de votre foi.
Cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu.
9 Cela ne vient pas de vos actes, il n'y a pas à en tirer orgueil.
C'est Dieu qui nous a faits,
10 il nous a créés en Jésus Christ,
pour que nos actes soient vraiment bons,
conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous
et que nous devons suivre.
Une fois de plus, on est émerveillés de la cohérence de toute la
Bible ! C'est dans cette même lettre aux Ephésiens, un peu plus haut,
que Paul a déployé cette fresque extraordinaire du dessein bienveillant de Dieu qui est pour lui la clé de lecture de toute l'histoire humaine. Ici, il ne fait que continuer et développer cette
méditation. Nous connaissons bien cette phrase « Dieu nous a fait connaître le
mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu'il a d'avance
arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement : réunir l'univers entier sous un seul chef, le Christ, (littéralement « récapituler en Christ »), ce qui est dans les cieux et ce
qui est sur la terre ».
Dans le texte d'aujourd'hui, Paul reprend, développe les deux idées maîtresses de cette phrase : premièrement, le dessein de Dieu est bienveillant, deuxièmement, son projet est de tout réunir
en Jésus-Christ.
Premièrement, le dessein de Dieu est bienveillant : le vocabulaire de Paul est extrêmement répétitif ; cette insistance est évidemment intentionnelle : « Dieu est riche en
miséricorde »... « le grand amour dont il
nous a aimés »... « le don de Dieu »... « sa bonté pour nous »... « la richesse infinie de sa
grâce », et le mot «
grâce » revient trois fois dans ces quelques lignes. La richesse
de la
miséricorde de Dieu n'est
pas une découverte de Paul ou du Nouveau Testament : Paul l'a apprise dans son catéchisme juif ; c'était justement la grande découverte du peuple d'Israël : « Comme la tendresse du père pour
ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour celui qui le craint » (Psaume 102/103, 13).
Mais, on le sait bien, un amour peut être méconnu : la méprise sans cesse renaissante de l'homme sur les intentions de Dieu est l'un des thèmes majeurs de l'Ancien Testament ; la juxtaposition
des deux récits de création dans le livre de la
Genèse en est un exemple : premier récit (Gn 1), ce merveilleux
poème, scandé par le refrain « Et Dieu vit que cela était bon », parce que le projet de Dieu n'était que bon, son dessein bienveillant ; deuxième récit (Gn 2-3), l'homme n'a pas su résister à
la tentation du soupçon : peut-être après tout les intentions de Dieu n'étaient-elles pas si généreuses que cela ? Peut-être était-il inquiet des trop grands progrès de l'humanité ?
Notre malheur, c'est que cette méfiance nous détourne de Dieu et donc de notre source de vie ; Dieu avait bien prévenu (le fruit de l'arbre de la connaissance de ce qui rend l'homme heureux ou
malheureux n'est pas à notre portée), mais sa mise en garde elle-même a été mal interprétée. Paul y revient très souvent : cet homme soupçonneux, détourné de Dieu n'est qu'un vieil homme,
proche de la mort ; il n'a même pas la force de revenir à la source, de se rapprocher de Dieu. Il faut que Dieu lui-même l'attire à lui : comme le dit Jésus lui-même dans l'évangile de Jean, «
Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour
juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 16, 17= évangile de ce dimanche). C'est cela le grand amour dont il nous a aimés. Je reviens à Paul : dans un autre passage
de la lettre aux Ephésiens, il conclut : «
Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous
l'influence des convoitises trompeuses ; il vous faut être renouvelés par la transformation spirituelle de votre intelligence et revêtir l'homme nouveau créé selon Dieu dans la justice
et la
sainteté qui viennent de la
vérité. » (Eph 4, 22-24).
Deuxièmement, le projet de Dieu est de tout réunir en Jésus-Christ. Paul emploie à plusieurs reprises les expressions « avec lui » et « en lui »... « Dieu nous a fait renaître avec le Christ
»... « Avec lui, il nous a ressuscités ; avec lui, il nous a fait régner aux cieux »... « Il nous a créés en Jésus-Christ »... « Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus »...
C'est un
mystère proprement
insondable pour nous, et pourtant c'est le centre même de notre foi : l'humanité est appelée à ne faire plus qu'un en Christ, c'est notre vocation ultime ; il faut bien reconnaître que nous en
sommes encore loin ; et pourtant toutes les expressions de Paul sont au passé, ce qui veut dire que, dans une certaine mesure au moins, cette solidarité, cette réunion est déjà accomplie.
Quelques versets plus bas, Paul continue sur ce thème de l'Homme Nouveau : « Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les
réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la Croix ; là, il a tué la haine. Il est venu annoncer la paix à vous qui étiez loin et la paix à ceux qui étaient proches. Et
c'est
grâce à lui que les uns et les
autres, dans un seul esprit, nous avons l'accès auprès du Père » (Ep 2, 15-18).
Enfin Paul précise : « C'est bien par la
grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient
pas de vous, c'est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos actes, il n'y a pas à en tirer orgueil. » Cela aussi, l'Ancien Testament l'avait découvert : il suffit d'écouter Moïse parler au
peuple dans le Livre du Deutéronome « Si le SEIGNEUR s'est attaché à vous et s'il vous a choisis, ce n'est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples, car vous êtes le moindre de
tous les peuples... mais c'est que le SEIGNEUR vous aime... » (Dt 7, 7) ; ou bien encore : « Reconnais que ce n'est pas parce que tu es juste que le SEIGNEUR ton Dieu te donne ce bon pays en
possession, car tu es un peuple à la nuque raide » (Dt 9, 6). Et enfin Isaïe : « Tu vaux cher à mes yeux, tu as du poids et moi, je t'aime. » (Is 43, 4).
Au fond, il faudrait modifier le proverbe : on dit volontiers « c'est la foi qui sauve »... en réalité, dit Paul, « c'est la
grâce qui sauve ». Nous n'y sommes pour rien. Donc, cessons, une
bonne fois de parler de mérites ! Mais, comme chacun sait, les cadeaux, on est libre de les accepter ou non... La foi, c'est cela, peut-être : tout simplement, accueillir librement et
humblement le don gratuit de Dieu.
***
N.B. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent que les lettres aux Ephésiens et aux Colossiens ne sont peut-être pas de la main de Paul lui-même mais d'un
disciple plus tardif qui aurait repris et développé sa réflexion
théologique en parfaite fidélité à l'
apôtre.
EVANGILE - Jean 3, 14 - 21
14 De même que le serpent de bronze
fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé,
15 afin que tout homme qui croit
obtienne par lui la vie éternelle.
16 Car Dieu a tant aimé le monde
qu'il a donné son Fils unique :
ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas,
mais il obtiendra la vie éternelle.
17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
18 Celui qui croit en lui échappe au jugement,
celui qui ne veut pas croire est déjà jugé,
parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19 Et le jugement, le voici :
quand la lumière est venue dans le monde,
les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière,
parce que leurs oeuvres étaient mauvaises.
20 En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière :
il ne vient pas à la lumière,
de peur que ses oeuvres ne lui soient reprochées ;
21 mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière,
afin que ses oeuvres soient reconnues
comme des oeuvres de Dieu.
Commençons par l'épisode du serpent de bronze ; cela se passe dans le désert du Sinaï pendant l'Exode à la suite de Moïse. Les Hébreux sont assaillis par des serpents venimeux, et comme ils n'ont
pas la conscience très tranquille (parce qu'une fois de plus ils ont « récriminé », « murmuré », comme dit souvent le livre de l'Exode), ils sont convaincus que c'est une punition du Dieu de
Moïse ; ils vont donc supplier Moïse d'intercéder pour eux : « Le peuple vint trouver Moïse en disant : Nous avons
péché en critiquant le SEIGNEUR et en te critiquant ; intercède
auprès du SEIGNEUR pour qu'il éloigne de nous les serpents ! Moïse intercéda pour le peuple et le SEIGNEUR lui dit : Fais faire un serpent brûlant (c'est-à-dire venimeux) et fixe-le à une hampe :
quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve. Moïse fit un serpent d'airain et le fixa à une hampe ; et lorsqu'un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d'airain et
il avait la vie sauve. » (Nb 21, 7-9).
A première vue, nous sommes en pleine magie, en fait, c'est juste le contraire : Moïse transforme ce qui était jusqu'ici un acte magique en acte de foi ; la coutume d'adorer un dieu guérisseur
existait bien avant Moïse : ce dieu était représenté par un serpent de bronze enroulé autour d'une perche ; une fois de plus, comme il l'a fait pour des quantités de
rites, Moïse ne brusque pas le peuple, il ne part pas en guerre contre
leurs coutumes ; il leur dit : « Faites bien tout comme vous avez l'habitude de faire, mais ne vous trompez pas de dieu,
il n'existe qu'un seul Dieu, celui
qui vous a libérés d'Egypte. Faites-vous un serpent, et regardez-le : (en langage biblique, «
regarder » veut dire « adorer ») ;
mais sachez que celui qui vous guérit, c'est le Seigneur, ce n'est pas le serpent. Quand vous regardez le serpent, que votre adoration s'adresse au Dieu de l'Alliance et à personne d'autre,
surtout pas à un objet sorti de vos mains ».
Jésus reprend cet exemple à son propre compte : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, afin que tout homme qui
croit obtienne par lui la vie éternelle ». De la même manière qu'il suffisait de lever les yeux avec foi vers le Dieu de l'Alliance pour être guéri physiquement, désormais, il suffit de lever les
yeux avec foi vers le Christ en croix pour obtenir la guérison spirituelle.
C'est le même Jean qui dira, au moment de la crucifixion du Christ : « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Ils «
lèveront les yeux », cela veut dire « ils croiront en Lui, ils reconnaîtront en lui l'amour même de Dieu ». Une fois de plus, Jean insiste sur la foi : car
nous restons libres ; face à la proposition d'amour de Dieu, notre réponse peut être celle de l'accueil (ce que Jean appelle la foi) ou du
refus ; comme il le dit dans le Prologue de son évangile, « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et
le monde ne l'a pas reconnu. Il est venu dans son propre bien et les siens ne l'ont pas accueilli. Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir
enfants de Dieu. » (Jn 1, 9-12).
Dans le texte d'aujourd'hui, Jésus lui-même reprend ce thème avec force : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il
obtiendra la vie éternelle. » A noter que le mot « croire » revient cinq fois dans ce passage.
Mais en même temps que Jésus fait un rapprochement entre le serpent de bronze élevé dans le désert et sa propre élévation sur la croix, il manifeste le saut formidable entre l'Ancien Testament et
le Nouveau Testament. Jésus accomplit, certes, mais tout en lui prend une nouvelle dimension. Tout d'abord, dans le désert, seul le peuple de l'Alliance était concerné ; désormais, en Jésus,
c'est tout homme, c'est le monde entier, qui est invité à croire pour vivre. Deux fois il répète « Tout homme qui croit en lui obtiendra la vie éternelle ». Ensuite, il ne s'agit plus de guérison
extérieure, il s'agit désormais de la conversion de l'homme en profondeur ; quand Jean, au moment de la crucifixion du Christ, écrit : « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé »
(Jn 19, 37), il cite une phrase du
prophète Zacharie qui dit bien en quoi consiste cette
transformation de l'homme, ce
salut que Jésus nous apporte : « Ce jour-là, je répandrai sur la maison de David et sur l'habitant de
Jérusalem, un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui qu'ils ont transpercé » (Za 12, 10). L'esprit de bonne volonté et de supplication, c'est tout le
contraire des récriminations (ou des murmures) du désert, c'est l'homme enfin convaincu de l'amour de Dieu pour lui.
Visiblement, pour la première génération chrétienne, la croix était regardée non comme un instrument de supplice, mais comme la plus belle preuve de l'amour de Dieu. Comme dit Paul, « Nous
prêchons un
Messie crucifié, scandale pour
les Juifs, folie pour les païens... Mais ce
Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de
Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1, 23-25). Il y a donc deux manières de regarder la croix du Christ : elle est, c'est vrai,
la preuve de la haine et de la cruauté de l'homme, mais elle est bien plus encore l'emblème de la douceur et du pardon du Christ ; il accepte de la subir pour nous montrer jusqu'où va l'amour de
Dieu pour l'humanité. La croix est le lieu même de la manifestation de l'amour de Dieu : « Qui m'a vu a vu le Père » (Jn 14, 9). Sur le Christ en croix, nous lisons la tendresse de Dieu, quelle
que soit la haine des hommes. Et cet amour est contagieux : en le regardant, nous nous mettons à le refléter.