Je suis, chaque
dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France",
permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un
thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou
indirectement)
Version audio (le lien sera inopérant dans un premier
temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.
PREMIERE LECTURE - Actes 1, 15... 26
En ces jours-là,
les frères étaient réunis au nombre d'environ cent vingt.
Pierre se leva au milieu de l'assemblée et dit :
16 « Frères, il fallait que l'Ecriture s'accomplisse :
Par la bouche de David,
l'
Esprit Saint avait d'avance parlé
de Judas,
qui en est venu à servir de guide
aux gens qui ont arrêté Jésus,
17 ce Judas qui pourtant était l'un de nous
et avait reçu sa part de notre
ministère.
20 Il est écrit au livre des
Psaumes :
Que sa charge passe à un autre.
21 Voici ce qu'il faut faire :
il y a des hommes qui nous ont accompagnés
durant tout le temps où le Seigneur Jésus
a vécu parmi nous,
22 depuis son
baptême
par Jean
jusqu'au jour où il nous a été enlevé.
Il faut donc que l'un d'entre eux devienne avec nous
témoin de sa
résurrection. »
23 On en présenta deux :
Joseph Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias.
24 Puis l'assemblée fit cette prière :
« Toi, Seigneur, qui connais le coeur de tous les hommes,
montre-nous lequel des deux tu as choisi
25 pour prendre place dans le
ministère des
Apôtres,
que Judas a déserté
en partant vers son destin. »
26 On tira au sort, et le sort tomba sur Matthias,
qui fut dès lors associé aux onze
Apôtres
« En ces jours-là » : il s'agit des jours qui précèdent la
Pentecôte ; nous avons donc là un témoignage sur un moment
tout proche encore de la
Résurrection de Jésus, très peu de temps après l'
Ascension. Il est clair, déjà, que c'est Pierre
qui mène les affaires ; ce qui est bien normal puisque c'est à lui que Jésus a confié ses brebis, comme il disait. Le moment est venu, estime Pierre, d'organiser la communauté : et là, on voit
à quel point Pierre allie l'esprit de décision, l'initiative et le souci de fidélité à son Seigneur. Du côté de l'esprit de décision, on note sa fermeté : il dit très clairement ce qu'il faut
faire : « Voici ce qu'il faut faire »... « il faut que l'un d'entre eux devienne avec nous témoin de sa
résurrection ».
Du côté de la fidélité, et cela ne nous étonne pas de la part d'un Juif, c'est dans l'Ecriture qu'il puise son inspiration : « Il est écrit au livre des
psaumes : Que sa charge passe à un autre ». Ensuite, les critères de
choix du candidat sont bien évidemment inspirés du souci de fidélité : on cherche quelqu'un qui ait accompagné les
apôtres depuis le début de la vie publique de Jésus, son
baptême par Jean-Baptiste, jusqu'à
l'
Ascension. Jusqu'ici, dans les
évangiles, nous n'avions jamais entendu le nom de Joseph Barsabbas, surnommé Justus, ni celui de Matthias ; mais nous découvrons ici que le cercle des très proches de Jésus était plus large que
les douze
apôtres. Pierre le dit
clairement : « Il y a des hommes qui nous ont accompagnés durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis son
baptême par Jean jusqu'au jour où il nous a été enlevé ».
Bienheureuse exigence de Pierre : c'est sur elle que nous pouvons fonder notre propre certitude de foi. Le témoignage rendu à la
résurrection du Christ l'a été par des hommes qui avaient
le droit d'en parler parce qu'ils avaient bien connu Jésus du début à la fin de sa vie publique. Chose étonnante, Pierre n'émet pas d'autre exigence que celle-là, il ne parle pas des qualités
de caractère ou des vertus de celui qu'on recherche : ce qui prime, c'est sa fidélité à suivre Jésus depuis le début, pour être à même de parler de lui. Voilà qui devrait rassurer ceux d'entre
nous qui se trouvent dépourvus de qualités : apparemment, ce n'est pas le plus important ! Le plus important est d'être un simple témoin de la
résurrection du Christ ! C'est bien la mission que Jésus
leur a confiée : au moment de les quitter, il leur avait dit : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans
toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8). On peut penser aussi à cette phrase de Jésus qui légitime tous nos engagements : « Vous me rendrez témoignage,
vous qui êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15, 27).
Pierre a indiqué la route à suivre, mais il ne décide pas tout seul : cela se déroule en trois temps ; à sa demande, on présente deux candidats : qui désigne ce « on » ? Le texte ne le dit pas,
mais ce n'est pas Pierre en tout cas ; ensuite, l'assemblée (les cent vingt cités par Luc au début du texte) se met en prière : « Toi, Seigneur, qui connais le coeur de tous les hommes,
montre-nous lequel des deux tu as choisi... » ; enfin, le recours au tirage au sort manifeste la place que l'on veut laisser à l'
Esprit Saint dans ce choix : dans la mentalité de l'époque,
tirer au sort, c'est remettre le choix dans les mains de Dieu.
Chose curieuse, le nom de Matthias ne sera plus jamais mentionné dans les Actes des
Apôtres : si donc, Luc raconte un peu longuement son entrée dans
le groupe des Douze, ce n'est pas à cause de la personnalité de Matthias, mais parce que cette volonté de Pierre de reconstituer le groupe après la défection de Judas lui paraît symbolique :
est-ce parce que douze est le nombre des tribus d'Israël ? Luc ne le dit pas. Peut-être, tout simplement, faut-il voir là une fois encore le souci de Pierre de rester fidèle aux dispositions de
Jésus lui-même : Jésus avait choisi douze
apôtres, l'un des douze, Judas, a abandonné, on le remplace.
Je reviens sur l'abandon de Judas : il avait pourtant reçu, comme les autres
Apôtres, une part du
ministère, car il faisait partie des douze choisis par Jésus
après une nuit de prière : « En ces jours-là, Jésus s'en alla dans la montagne pour prier et il passa la nuit à prier Dieu ; puis, le jour venu, il appela ses
disciples et en choisit douze auxquels il donna le nom d'
apôtres : Simon, auquel il donna le nom de
Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélémy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d'Alphée, Simon qu'on appelait le zélote, Judas fils de Jacques et Judas Iscarioth qui devint
traître. » (Lc 6, 12-15).
Cela veut dire que, même choisi par Jésus, dans un choix inspiré par l'Esprit-Saint, on reste libre. Judas, choisi comme les autres après une nuit de prière, est resté libre de trahir. Pierre a
cette formule amère : « Judas a déserté sa place », une place qu'il a tenue pourtant jusqu'au soir du
jeudi saint ; c'est au cours du repas de la Cène que Jésus a
dit : « Le Fils de l'homme s'en va selon ce qui a été fixé. Mais malheureux cet homme par qui il est livré ! » (Luc 22, 22). Et encore « La main de celui qui me livre se sert à table avec moi.
» (Lc 22, 21). Chez Luc, ceci se passe après le récit de l'institution de l'
Eucharistie ; ce qui veut dire que Judas a participé avec les
autres
apôtres au repas de la Nouvelle
Alliance. Mais il ne faut pas s'attarder sur le passé : « Il faut, dit Pierre, que sa charge passe à un autre » : parce que l'urgence de la mission est telle qu'on ne peut laisser des places
vides !
******
Complément
La phrase de Pierre nous surprend peut-être : « Par la bouche de David, l'
Esprit Saint avait d'avance parlé de Judas... » ; l'expression
« Par la bouche de David » désigne les
psaumes ; elle prouve deux choses : premièrement que Pierre, comme
ses contemporains, attribue les
psaumes à
David ; ce n'est plus le cas aujourd'hui : parce qu'on a mille traces dans les
psaumes d'une composition échelonnée sur plusieurs siècles ;
deuxièmement, cela prouve également qu'au tout début de l'Eglise, les
psaumes étaient fréquemment cités dans les discussions théologiques.
Cela revient à dire qu'ils étaient très certainement souvent priés pour être si bien connus. Sur ce point, nous aurions beaucoup à faire pour retrouver cet usage aujourd'hui.
PSAUME 102 (103), 1-2. 11-12. 19.22
1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n'oublie aucun de ses bienfaits !
11 Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint :
12 aussi loin qu'est l'Orient de l'Occident,
il met loin de nous nos
péchés.
19 Le SEIGNEUR a son trône dans les cieux :
sa royauté s'étend sur l'univers.
22 Toutes les oeuvres du SEIGNEUR, bénissez-le,
sur toute l'étendue de son empire !
Vous vous rappelez la visite de Pierre chez le centurion romain Corneille ; nous en avons lu le récit dans les Actes des
Apôtres, dimanche dernier. Pierre avait entendu Corneille chanter
la gloire de Dieu et il en avait déduit que l'Esprit-Saint était là ; ou, pour le dire autrement, la preuve de la présence de l'Esprit sur quelqu'un, c'est qu'il est dans l'action de
grâce. « Tous les croyants qui accompagnaient
Pierre furent stupéfaits, eux qui étaient Juifs, de voir que même les païens avaient reçu à profusion le don de l'
Esprit Saint. Car on les entendait dire des paroles
mystérieuses et chanter la gloire de Dieu. »
Pas étonnant donc, qu'en écho au livre des Actes des
Apôtres, que nous lisons encore ce dimanche et qui est tout rempli
de la présence de l'Esprit, nous soyons invités à chanter ce psaume 102/103 qui est d'un bout à l'autre un chant d'action de
grâce pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez
le peuple d'Israël) a été comblé par Dieu.
Effectivement, d'un bout à l'autre, ce psaume rayonne d'action de
grâce : cela se voit déjà au seul fait qu'il comporte vingt-deux
versets (la
liturgie de ce dimanche ne
nous en propose que six, mais en réalité il en comporte vingt-deux). Or vous le savez bien, l'alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres ; donc on dit de ce psaume qu'il est « alphabétisant »
; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d'avance qu'il s'agit d'un psaume d'action de
grâce pour l'Alliance.
Bien sûr cela commence dès le premier verset : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son Nom très saint, tout mon être ! » Pour commencer, on est frappés par le « parallélisme » entre les deux
lignes de ce verset qui se répondent comme en écho ; et cela se répète tout au long de ce psaume ; l'idéal pour le chanter serait l'alternance ligne par ligne ; il a peut-être, d'ailleurs, été
composé pour être chanté par deux choeurs alternés. Ce parallélisme, ce "balancement", nous le rencontrons souvent dans la
Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages
en prose ; je ne m'y étends pas.
Ici, en particulier, il y a un double parallélisme qui est intéressant : d'abord « Bénis le SEIGNEUR »... « Bénis son NOM très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on
dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la
Bible, c'est la personne.
[1]
Deuxième parallèle, toujours dans ce premier verset : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être » : les mots « âme » et « tout mon être » sont mis en parallèle :
parce que, dans la mentalité biblique, quand on dit « l'âme », il s'agit de l'être tout entier.
[2]
Enfin, je voudrais attirer votre attention également sur la construction de l'ensemble de ce psaume : pour cela je vous lis sa première et sa dernière strophe qui ont été tronquées ici :
première strophe : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son Nom très saint, tout mon être ! Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, n'oublie aucun de ses bienfaits ! » ; dernière strophe : « Messagers
du SEIGNEUR, bénissez-le, invincibles porteurs de ses ordres, attentifs au son de sa parole ! Bénissez-le, armées du SEIGNEUR, serviteurs qui exécutez ses désirs ! Toutes les oeuvres du
SEIGNEUR, bénissez-le, sur toute l'étendue de son empire ! Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ! »
Première remarque : il est encadré au début et à la fin par une même phrase « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme » : première inclusion qui dit bien le sens général du psaume.
Deuxième remarque : maintenant, je compare la première et la dernière strophes en entier : première strophe : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, bénis son Nom très saint, tout mon être ! Bénis le
SEIGNEUR, ô mon âme, n'oublie aucun de ses bienfaits ! » Nous savons bien que celui qui parle ici à la première personne du singulier est le peuple d'Israël tout entier : ce « JE » est
collectif. Donc première strophe, l'invitation à la prière s'adresse à Israël ; dernière strophe : « Messagers du SEIGNEUR, bénissez-le, invincibles porteurs de ses ordres, attentifs au son de
sa parole ! Bénissez-le, armées du SEIGNEUR, serviteurs qui exécutez ses désirs ! Toutes les oeuvres du SEIGNEUR, bénissez-le, sur toute l'étendue de son empire ! » Les messagers de Dieu, ce
sont les anges ; on imagine, comme dans les tableaux de Fra Angelico, les Anges embouchant leurs trompettes... « Toutes les oeuvres du SEIGNEUR », c'est la création tout entière, l'univers
visible et invisible.
Nous avons donc là encore une inclusion : la première strophe est une invitation à la louange des serviteurs de Dieu sur la terre ; la dernière strophe est une invitation à la louange des
serviteurs de Dieu dans le ciel, puis, en définitive à la totalité de l'univers. Voilà de quoi nous habiller le coeur pour chanter ce psaume à notre tour !
Troisième remarque sur la construction de ce psaume : la strophe du milieu (dans notre lecture d'aujourd'hui) est aussi celle qui est au centre du psaume : « Comme le ciel domine la terre, fort
est son amour pour qui le craint : aussi loin qu'est l'Orient de l'Occident, il met loin de nous nos
péchés. » Cette phrase est au centre du psaume comme elle est
au centre de la foi d'Israël, de sa merveilleuse découverte du vrai visage de Dieu : un Dieu dont nous n'avons rien à craindre parce qu'il nous aime sans cesse et nous pardonne, parce que, sans
cesse, il met loin de nous nos
péchés ; la « crainte » a définitivement changé de
signification ; elle est devenue simple obéissance confiante de l'enfant.
Je reviens sur les mots Orient et Occident ; pour la mentalité biblique, ils sont bien les points cardinaux de la géographie, mais pas seulement ; parce que c'est à l'Est que le soleil se lève,
l'Orient évoque la lumière et particulièrement celle de la vérité ; le mot « orienter » vient de là ; et, par contraste, l'Occident évoque l'erreur et le
péché. Dans la phrase « Aussi loin qu'est l'Orient de
l'Occident, il met loin de nous nos
péchés », on entend cette distance qui sépare la lumière des
ténèbres, la vérité de l'erreur ; loin, loin de nos erreurs passées, Dieu nous attire vers sa lumière et sa vérité.
Désormais ce qui est au centre de l'action de
grâce d'Israël, c'est le pardon sans cesse renouvelé de Dieu. La
seule vraie conversion qui nous est demandée, c'est de croire que Dieu est amour.
Pour terminer, vous savez que cette symbolique de l'Orient et l'Occident se retrouvait dans la
liturgie du
Baptême des premiers siècles : les baptisés se tournaient vers
l'Occident pour renoncer au mal, puis faisaient demi-tour sur place : pour bien signifier que, désormais, ils tournaient résolument le dos à l'erreur ; ils se tournaient alors vers l'Orient
(d'où vient la lumière) pour prononcer leur profession de foi et ensuite entrer dans le baptistère.
******
Notes
[1] - Dire le Nom de quelqu'un c'est le connaître. Et c'est bien pour cela que les Juifs ne s'autorisent jamais à prononcer le NOM de Dieu, parce qu'ils ne prétendent
pas "connaître" Dieu. Encore aujourd'hui, les Bibles écrites en hébreu ne transcrivent pas les voyelles qui
permettraient de prononcer le NOM. Il est donc transcrit uniquement avec les quatre consonnes YHVH, ce qu'on appelle le "tétragramme". Et quand le lecteur voit ce mot, aussitôt il le remplace
par un autre (Adonaï) qui signifie "le SEIGNEUR" mais qui ne prétend pas définir Dieu. (Voir la note sur la directive pontificale au début de ce volume page 000)
[2] - A la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l'homme comme l'addition de deux composants différents, étrangers l'un à l'autre, l'AME et le CORPS. Mais les progrès
des sciences humaines, au vingtième siècle, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Dans la mentalité biblique, au contraire, on a une conception beaucoup plus unifiée
et quand on dit "l'âme", il s'agit de l'être tout entier. "Bénis le Seigneur, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être".
DEUXIEME LECTURE - 1 Jean 4, 11-16
11 Mes bien-aimés,
puisque Dieu nous a tant aimés,
nous devons aussi nous aimer les uns les autres.
12 Dieu, personne ne l'a jamais vu.
Mais, si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous,
et son amour atteint en nous sa perfection.
13 Nous reconnaissons
que nous demeurons en lui,
et lui en nous,
à ce qu'il nous donne part à son Esprit.
14 Et nous qui avons vu,
nous attestons
que le Père a envoyé son Fils
comme Sauveur du monde.
15 Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu,
Dieu demeure en lui,
et lui en Dieu.
16 Et nous, nous avons reconnu et nous avons cru
que l'amour de Dieu est parmi nous.
Dieu est Amour :
celui qui demeure dans l'amour
demeure en Dieu,
et Dieu en lui.
La phrase centrale de ce texte, c'est : « Le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde. » Le raisonnement de Jean est le suivant : 1) « Dieu est Amour » ; 2) Jésus est venu dans le monde
pour révéler aux hommes le visage d'amour du Père ; 3) ceux qui croient en lui, reçoivent l'Esprit de Dieu, entrent dans la communion d'amour du Père, du Fils et de l'Esprit ; 4) ils deviennent
à leur tour des sources d'amour, comme leur Père. Alors on peut dire que Jésus est le Sauveur du monde : car, enfin, les hommes deviennent ce pour quoi ils sont créés, images et ressemblance de
Dieu.
Pour s'imprégner de ce raisonnement, il faut le reprendre pas à pas : d'abord, premier point, « Dieu est Amour » ; nous ne réalisons pas à quel point cette phrase est absolue ; pour Jean, les
deux mots « Dieu » et « Amour » sont deux synonymes ; on peut toujours remplacer l'un par l'autre ! Dieu est Amour... et l'Amour est Dieu. Cela veut dire que tout amour vient de Dieu : aucun
amour humain ne vient de l'homme seulement ; tout amour humain est dans l'homme une parcelle, une manifestation de l'amour de Dieu. Voilà une nouvelle fantastique et qui peut modifier notre
regard sur l'amour humain ! Dimanche dernier, nous lisions déjà dans cette même lettre de Jean : « L'amour vient de Dieu et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu.
Qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu, puisque Dieu est Amour. » (1 Jn 4, 8). C'était donc le premier point de la méditation de Saint Jean.
Deuxième point, Jésus est venu habiter parmi nous pour nous faire découvrir cela justement, que Dieu est Amour. Désormais, en Jésus, les hommes ont vu Dieu et ont pu constater de leurs yeux
qu'il n'est qu'Amour. Il suffit de rappeler quelques phrases de l'évangile de Jean : « Personne n'a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a dévoilé. » (Jn 1,
18)... « Nul n'a vu le Père, si ce n'est celui qui vient de Dieu. Lui a vu le Père. » (Jn 6, 46)... « Celui qui m'a vu a vu le Père » (Jn 14, 9).
Troisième point, ceux qui acceptent de croire en Jésus, de reconnaître en lui le visage d'amour du Père, se mettent par le fait même au diapason de l'Esprit de Dieu, ils deviennent une demeure
pour l'Esprit d'amour ; c'est une véritable renaissance, celle dont Jésus parlait à Nicodème. Le même évangile de Jean dit que nous sommes « enfants » de Dieu : « A ceux qui l'ont reçu, à ceux
qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu. » (Jn 1, 12). Saint
Paul le dit, lui aussi, à sa manière, dans la lettre aux Romains : « L'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l'
Esprit Saint qui nous a été donné. » (Rm 5, 5...8). Et le
Christ est venu dans le monde, justement, pour que l'Esprit d'amour soit répandu sur la terre.
On peut relire le début de la
Bible à cette
lumière-là ; car dès les premiers chapitres de la
Bible, l'enjeu de la vie humaine est bien situé : l'auteur inspiré dit
bien que Dieu a créé l'homme « à son image et à sa ressemblance ». Et donc, si Dieu est Amour, nous sommes faits pour aimer.
Quatrième point, parce qu'ils sont remplis de l'Esprit d'amour, les croyants deviennent à leur tour des sources d'amour : Saint Paul dit que nous sommes désormais « héritiers de Dieu » : cela
veut dire que nous pouvons puiser dans les trésors de Dieu. Et, bien sûr, on pense à cette phrase de l'évangile de Jean : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive celui qui
croit en moi... De son sein couleront des fleuves d'eau vive... Il désignait ainsi l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. » (Jn 7, 37-38).
Mais il nous faut bien l'assistance de l'Esprit ! Tous les jours, nous mesurons notre difficulté à aimer vraiment ; mais après tout, ce n'est pas étonnant ! Si l'amour est la caractéristique de
Dieu, rien d'étonnant à ce qu'il ne nous soit pas naturel ! Si, réellement, Dieu est Amour et l'Amour est Dieu, cela revient à dire que l'amour dépasse les limites humaines, qu'il est surhumain
; ce que nous savons bien !
Alors, ce texte de Jean devrait nous déculpabiliser : cessons d'avoir honte de ne pas savoir aimer ; simplement, il suffit de puiser dans l'amour de Dieu pour le donner aux autres. Alors on
comprend pourquoi Jean insiste tant sur le verbe « demeurer » : « Dieu est Amour, celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui. » Nous ne pouvons aimer que dans la mesure où
nous sommes habités par Dieu. Ce qui est possible si nous restons fermement greffés sur Jésus-Christ.
Conclusion, on peut donc dire que Jésus est le sauveur du monde. C'est-à-dire : il est celui qui va permettre au monde d'accomplir sa vocation ; il est clair que le monde est perdu parce qu'il
ne vit pas dans l'amour, ou si vous préférez qu'il ne vit pas d'amour. Jésus est venu habiter parmi nous pour nous transformer, pour nous faire découvrir que Dieu est Amour, et nous permettre
de vivre de cet amour. L'évangile de Jean dit plusieurs fois que Jésus est le sauveur du monde : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique pour que tout homme qui croit en lui
ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 16-17).
EVANGILE Jean 17, 11b - 19
A l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père,
les yeux levés au ciel, il priait ainsi :
11 « Père saint, garde mes
disciples
dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage,
pour qu'ils soient un, comme nous-mêmes.
12 Quand j'étais avec eux,
je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné.
J'ai veillé sur eux, et aucun ne s'est perdu,
sauf celui qui s'en va à sa perte
de sorte que l'Ecriture soit accomplie.
13 Et maintenant que je viens à toi,
je parle ainsi, en ce monde,
pour qu'ils aient en eux ma joie,
et qu'ils en soient comblés.
14 Je leur ai fait don de ta parole,
et le monde les a pris en haine
parce qu'ils ne sont pas du monde,
de même que moi je ne suis pas du monde.
15 Je ne demande pas que tu les retires du monde,
mais que tu les gardes du Mauvais.
16 Ils ne sont pas du monde,
comme moi je ne suis pas du monde.
17 Consacre-les par la vérité :
ta parole est vérité.
18 De même que tu m'as envoyé dans le monde,
moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
19 Et pour eux je me consacre moi-même,
afin qu'ils soient eux aussi consacrés par la vérité. »
A la différence de Matthieu et de Luc, l'évangile de Jean ne rapporte pas le Notre Père, mais ce que nous lisons ici est tout-à-fait dans la même ambiance : « Père Saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as
donné en partage » fait écho à « Notre Père qui es aux cieux, que ton NOM soit sanctifié... » Et à la fin de ce texte, « Je ne te demande pas de les retirer du monde, mais que tu les gardes du
Mauvais » fait écho à « Ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du Mal ». Quant à la phrase « Que ta volonté soit faite », elle n'est pas dite ici, mais Jésus n'a que cela en tête,
l'accomplissement du projet de Dieu. Le projet de Dieu, c'est que le monde créé tout entier devienne lieu d'amour et de vérité : lente transformation, on pourrait dire germination, à laquelle
tous les croyants sont invités à coopérer. Ainsi, les croyants ne quittent pas le monde, ils sont dans le monde, ils y travaillent de l'intérieur ; mais s'ils veulent le transformer, cela veut
dire qu'ils savent en permanence rester libres, se maintenir à distance des conduites du monde qui ne sont pas conformes au mode de vie du royaume qu'ils veulent instaurer. Mgr Coffy disait « les
croyants ne vivent pas une autre vie que la vie ordinaire, mais ils vivent autrement la vie ordinaire. » Il ne s'agit donc pas de mépriser le monde, notre vie quotidienne, les gens que nous
rencontrons, les soucis matériels, l'argent et toutes les réalités humaines ; il s'agit au contraire d'habiter ce monde pour le transformer de l'intérieur. Le Père Teilhard de Chardin disait « on
ne convertit que ce qu'on aime. »
A l'heure où Jésus fait cette dernière grande prière, ce projet de Dieu est en train de franchir une étape décisive : lui, Jésus, sait bien que son destin est scellé ; curieusement, il ne prie
pas pour lui-même, il prie pour ceux à qui il passe le relais. « De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. » Une seule chose compte, que le monde soit
sauvé. Saint Jean revient souvent sur ce thème dans son évangile : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3, 17) ;
au moment de la guérison de l'aveugle-né, Jean fait remarquer que le nom de la piscine, Siloé, signifie « envoyé », manière de dire que Jésus est « envoyé » pour ouvrir les yeux des hommes. C'est
une constante dans toute l'histoire biblique : depuis Abraham, en passant par Moïse et par tous les prophètes, chaque fois qu'un homme ou un groupe (ou aussi bien le
peuple d'Israël) est choisi par Dieu, ce n'est jamais pour son propre bénéfice solitaire, c'est toujours pour être envoyé en mission au service des autres. Et l'Eglise, à son tour, celle qui
commence fragilement son existence le soir du Jeudi-Saint autour de Jésus, et tout autant celle d'aujourd'hui, n'a pas d'autre raison d'exister que sa mission dans le monde.
Dans cette grande prière de Jésus pour ses disciples, trois mots reviennent sans cesse, qui sont les trois
maîtres-mots de notre mission désormais : fidélité, unité, vérité. Premièrement, la fidélité : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné en partage...
Quand j'étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m'as donné ». Cette fidélité, pour Jésus, consistait à être parmi les hommes le reflet fidèle du Père ; désormais, en
l'absence de Jésus, ce sont les croyants qui sont appelés à être les fidèles reflets du Père. Deuxième maître-mot, « unité » : « garde-les... pour qu'ils soient UN comme nous-mêmes » ; et nous
avons tous en tête, bien sûr, la phrase qui suit tout juste le texte d'aujourd'hui : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi,
afin que le monde croie que tu m'as envoyé. » (Jn 17, 21). Ce qui veut dire que l'unité n'est pas un but en soi ! Nous n'avons pas à la rechercher pour elle-même ; l'objectif, ce n'est pas
l'unité d'abord, c'est que le monde croie. Nos divisions, nos querelles mangent nos énergies et sont un contre-témoignage scandaleux. Comment être témoins dans le monde de la Trinité d'amour si tous ceux qui invoquent la
Trinité ne s'aiment pas entre eux ?
En revanche, si l'objectif commun de tous les croyants était que le monde croie, cet objectif commun serait le meilleur chemin de notre unité. Rien de tel pour se découvrir frères que d'avoir un
projet commun au service des autres.
Troisième maître-mot de la mission que nous confie Jésus, la « vérité ». « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité ». Au début de l'histoire biblique, le mot « consacrer » signifiait «
mettre à part », retirer du monde ; désormais, avec l'incarnation du Christ, le mot « consacrer » a changé de sens. Il
signifie « participer à la sainteté
de Dieu », et cela est accordé aux croyants, non pas pour qu'ils désertent le monde, mais pour qu'ils l'habitent à la manière de Dieu. Cette participation à la sainteté de Dieu est le fruit en nous de la Parole de vérité :
nous ne croyons sûrement pas assez à l'efficacité de la Parole de Dieu, et, bien souvent, nous lui substituons nos propres paroles. Erreur : la parole de Dieu est Vérité, la nôtre n'est
qu'approximation, balbutiement, (quand elle n'est pas défiguration) du Tout-Autre que nos pauvres mots ne peuvent pas dire.
Enfin, au centre de ce passage très solennel et si dense, Jésus parle de joie ! Au moment même où il prévoit les affrontements inévitables (les disciples seront persécutés comme le Maître), « Je leur ai fait don de
ta Parole et le monde les a pris en haine », au moment d'affronter pour lui-même les heures terribles, il parle quand même de joie ! Il ose dire : « Maintenant que je viens à toi, je parle ainsi,
en ce monde, pour qu'ils aient en eux ma joie, et qu'ils en soient comblés. »