Je
suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.
Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France",
permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en
Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est
cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté)
Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame
PREMIERE LECTURE - Ben Sirac 3, 17-18. 20. 28-29
17 Mon fils, accomplis toute chose dans l'humilité,
et tu seras aimé plus qu'un bienfaiteur.
18 Plus tu es grand, plus il faut t'abaisser :
tu trouveras
grâce devant le Seigneur.
20 La puissance du Seigneur est grande,
et les humbles lui rendent gloire.
28 La condition de l'orgueilleux est sans remède,
car la racine du mal est en lui.
29 L'homme sensé médite les maximes de la sagesse ;
l'idéal du sage, c'est une oreille qui écoute.
Bienveillance de Dieu pour les hommes.
Ce texte s'éclaire si on en commence la lecture par la fin : « L'homme sensé médite les maximes de la sagesse ; l'idéal du sage, c'est une oreille qui
écoute. » Quand on dit « sagesse » dans la Bible, on veut dire l'art de vivre heureux. Etre un « homme sensé, un
homme sage », c'est l'idéal de tout homme en Israël et du peuple tout entier : ce peuple tout petit, né plus tard que beaucoup de ses illustres voisins (si l'on considère qu'il mérite
véritablement le nom de peuple au moment de la sortie d'Egypte) a ce privilège (grâce à la Révélation dont il a bénéficié) de savoir que « Toute sagesse vient du Seigneur » (Si 1, 1) : dans le
sens que Dieu seul connaît les mystères de la vie et le secret du bonheur. C'est donc au
Seigneur qu'il faut demander la sagesse : dans sa souveraine liberté, il a choisi Israël pour être le dépositaire de ses secrets, de sa sagesse.* Pour dire cela de manière imagée , Ben Sirac,
l'auteur de notre lecture de ce dimanche, fait parler la sagesse elle-même comme si elle était une personne : « Le Créateur de toutes choses m'a donné un ordre, Celui qui m'a créée a fixé ma
demeure. Il m'a dit : En Jacob, établis ta demeure, en Israël reçois ton patrimoine. » (Si 24, 8). Israël est ce peuple qui recherche chaque jour la sagesse : « Devant le Temple, j'ai prié à
son sujet et jusqu'au bout je la rechercherai. » (Si 51, 14). Si l'on en croit le psaume 1, il y trouve son bonheur : « Heureux l'homme qui récite la loi du Seigneur jour et nuit. » (Ps 1,
2).
Il récite « jour et nuit », cela veut dire qu'il est tendu en permanence ; « Qui cherche trouve » dira plus tard un autre Jésus : encore faut-il
chercher, c'est-à-dire reconnaître qu'on ne possède pas tout, qu'on est en manque de quelque chose. Ben Sirac le sait bien : il a ouvert à Jérusalem, vers 180 av.J.C., ce que nous appellerions
aujourd'hui une école de théologie (une beth midrash). Pour faire sa publicité, il disait : « Venez à moi, gens sans instruction, installez-vous à mon école ». (Si 51, 23). Ne s'inscrivaient,
bien sûr, que des gens qui étaient désireux de s'instruire. Si l'on croit tout savoir, on ne juge pas utile d'apprendre par des cours, des conférences, des livres. Au contraire, un véritable
fils d'Israël ouvre toutes grandes ses oreilles ; sachant que toute sagesse vient de Dieu, il se laisse instruire par Dieu : « L'homme sensé médite les maximes de la sagesse ; l'idéal du sage,
c'est une oreille qui écoute. » Le peuple d'Israël a si bien retenu la leçon qu'il récite plusieurs fois par jour « Shema Israël », Ecoute Israël (Dt 6, 4).
On voit bien ce qu'il y faut d'humilité ! Au sens d'avoir l'oreille ouverte pour écouter les conseils, les consignes, les commandements. A l'inverse,
l'orgueilleux, qui croit tout comprendre par lui-même, ferme ses oreilles. Il a oublié que si la maison a les volets fermés, le soleil ne pourra pas y entrer ! C'est de simple bon sens. « La
condition de l'orgueilleux est sans remède, car la racine du mal est en lui. » dit Ben Sirac (verset 28). En somme, l'orgueilleux est un malade incurable : parce qu'il est « plein de lui-même
», comme on dit, il a le coeur fermé, comment Dieu pourrait-il y entrer ? La parabole du pharisien et du publicain (Lc 18) prend ici une
résonance particulière. Etait-ce donc si admirable, ce qu'a fait le publicain ? Il s'est contenté d'être vrai. Dans le mot « humilité », il y a « humus » : l'humble a les pieds sur terre ; il
se reconnaît fondamentalement petit, pauvre par lui-même ; il sait que tout ce qu'il a, tout ce qu'il est vient de Dieu. Et donc il compte sur Dieu, et sur lui seul. Il est prêt à accueillir
les dons et les pardons de Dieu... et il est comblé. Le pharisien qui n'avait besoin de rien, qui se suffisait à lui-même, est reparti comme il était venu ; le publicain, lui, est rentré chez
lui, transformé. « Toute sagesse vient du Seigneur ; avec lui elle demeure à jamais », dit Ben Sirac, et il continue « Dieu l'accorde à ceux qui l'aiment, lui. » (Si 1, 10). Et plus loin,
faisant parler Israël : « Pour peu que j'aie incliné l'oreille, je l'ai reçue, et j'ai trouvé pour moi une abondante instruction. » (Si 51, 16). Isaïe dit la joie de ces humbles que Dieu comble
: « De plus en plus les humbles se réjouiront dans le Seigneur, et les pauvres gens exulteront à cause du Saint d'Israël. » (Is 29, 19). Ce qui nous vaut une lumineuse parole de Jésus, ce que
l'on appelle sa « jubilation » : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. » (Mt 11, 25 // Lc
10, 21).
Avec ceux-là, les humbles, Dieu peut faire de grandes choses : il en fait les serviteurs de son projet. C'est ainsi, par exemple, qu'Isaïe décrit
l'expérience du Serviteur de Dieu : « Matin après matin, il (le Seigneur) me fait dresser l'oreille, pour que j'écoute comme les disciples ; le Seigneur Dieu m'a ouvert l'oreille. Et moi, je
ne me suis pas cabré, je ne me suis pas rejeté en arrière ». Cette vocation est, bien sûr, une mission confiée au service des autres : « Le Seigneur m'a donné une langue de disciple :
pour que je sache soulager l'affaibli, il a fait surgir une parole. » (Is 50, 4-5). On comprend alors où se ressourçait Moïse qui fut un si grand et infatigable serviteur du projet de Dieu ; le
livre des Nombres nous dit son secret : « Moïse était un homme très humble, plus qu'aucun autre homme sur la terre... » (Nb 12, 3). Jésus, lui-même, le Serviteur de Dieu par excellence, confie
: « je suis doux et humble de coeur » (Mt 11, 29). Et quand Saint Paul, à son tour, décrit son expérience spirituelle, il peut dire : « S'il faut s'enorgueillir, je mettrai mon orgueil dans ma
faiblesse... Le Seigneur m'a déclaré : Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la
faiblesse. » (2 Co 11, 30 ; 12, 9).
En définitive, l'humilité est plus encore qu'une vertu. C'est un minimum vital, une condition préalable !
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* La sagesse est l'art de vivre, l'art et la manière d'être heureux ; et ce qui est valable pour les individus l'est tout autant pour le peuple dans son
ensemble et pour l'humanité tout entière.
L'Ancien et le Nouveau Testament, avant et depuis Jésus-Christ.Celles et ceux qui ont suivi
et qui suivent Jésus Christ.Bienveillance de Dieu pour les hommes.Vérité de foi
inaccessible à la seule raison humaine.Récit allégorique servant à présenter un enseignement et à en faciliter la compréhension.
PSAUME 67 (68), 4-5, 6-7, 10-11
4 Les justes sont en fête, il exultent ;
devant la face de Dieu ils dansent de joie.
5 Chantez pour Dieu, jouez pour son nom .
Son nom est le Seigneur ; dansez devant sa face.
6 Père des orphelins, défenseur des veuves,
tel est Dieu dans sa sainte demeure ;
7 A l'isolé, Dieu accorde une maison ;
aux captifs, il rend la liberté.
10 Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse,
et quand il défaillait, toi, tu le soutenais.
11 Sur les lieux où campait ton troupeau,
tu le soutenais, Dieu qui es bon pour le pauvre.
Une toute petite phrase qui n'a l'air de rien donne bien le ton de l'ensemble : « Son Nom est le Seigneur » : ce fameux Nom révélé à Moïse qui dit la présence permanente de Dieu au milieu des
siens. Et parce qu'il les entoure en tout temps de sa sollicitude, chacun des versets que nous chantons ici peut se lire à plusieurs niveaux.
C'est à la fois la richesse et la complexité de ce psaume, qu'on puisse le chanter à toute époque en se sentant concerné ! Je vais essayer de faire entendre (au moins un peu) ces divers niveaux
de lecture possibles.
« Les justes sont en fête, il exultent ; devant la face de Dieu ils dansent de joie. Chantez pour Dieu, jouez pour son nom. Son nom est le Seigneur ; dansez devant sa face. » On ne peut manquer
d'évoquer, bien sûr, la danse de David, lors du transfert de l'arche à Jérusalem. Mais, plus profondément,
c'est de la joie du peuple libéré d'Egypte qu'il
s'agit ici ; rappelons-nous le chant de Moïse lui-même après le passage de la mer ; puis Myriam avait pris le relais : « La prophétesse Myriam, soeur d'Aaron (et de Moïse), prit
en main le tambourin ; toutes les femmes sortirent à sa suite, dansant et jouant du tambourin. Et Myriam leur entonna : Chantez le Seigneur, il a fait un coup d'éclat. Cheval et cavalier, en
mer il les jeta ! » Puis vinrent les multiples interventions de Dieu au cours de l'Exode : autant de raisons, désormais, pour chanter et danser. Dans les versets de ce dimanche, c'est ce qui
transparaît le plus : «
Aux captifs, il rend la liberté. Tu répandais sur ton héritage une pluie généreuse, et quand il
défaillait, toi, tu le soutenais. Sur les lieux où campait ton troupeau, tu le soutenais, Dieu qui es bon pour le pauvre. »
Mais, bien sûr, plusieurs niveaux de lecture se superposent.
Nous savons bien déjà que toute allusion à la libération vise toujours à la fois la première
libération, celle de la sortie d'Egypte, mais aussi le retour de l'Exil à Babylone, et encore toutes les autres libérations, c'est-à-dire chaque fois que les individus ou le peuple tout entier
progressent vers plus de justice et de liberté. Enfin, et peut-être surtout, celle qu'on attend encore, la libération définitive de toutes les chaînes de toute sorte. « Aux captifs, il rend la
liberté. » Nous, Chrétiens, bien sûr, nous pensons ici à la Résurrection du Christ et à la nôtre.
Une autre réminiscence de l'Exode, dans nos versets d'aujourd'hui, se prête également à des lectures que l'on pourrait dire « superposées » : « Tu répandais sur ton héritage (ton peuple) une
pluie généreuse. » Il s'agit de la manne, bien sûr, d'abord. Le livre de l'Exode raconte : « Le Seigneur dit à Moïse : Du haut du ciel, je vais faire pleuvoir du pain pour vous. Le peuple
sortira pour recueillir chaque jour la ration quotidienne... Le matin, une couche de rosée entourait le camp. La couche de rosée se leva ; alors, sur la surface du désert, il y avait quelque
chose de fin, de crissant, quelque chose de fin tel du givre, sur la terre. Les fils d'Israël regardèrent et se dirent l'un à l'autre : Man hou ? (« Qu'est-ce que c'est ? »), car ils ne
savaient pas ce que c'était. Moïse leur dit : C'est le pain que le Seigneur vous donne à manger. » ( Ex 16, 4. 13-15).
Il s'agit aussi, très probablement, de la pluie bénéfique, celle pour laquelle on prie si souvent là-bas, car elle conditionne toute vie. Sans la « pluie généreuse », le pays de la promesse ne
ruisselle pas « de lait et de miel ».
Il y a eu dans le passé des sécheresses (et donc des famines) mémorables : pour commencer, on connaît l'histoire de Joseph et la terrible succession des sept années de sécheresse qui ont amené
ses frères, les fils de Jacob, puis Jacob lui-même à descendre en Egypte. Ensuite, il y eut, au temps du
prophète Elie (1 R 17-18), cette sécheresse qui fut l'occasion
d'une grande confrontation entre Elie lui-même et la reine Jézabel, une païenne, adoratrice de Baal, le prétendu dieu de la fécondité, de l'orage et de la pluie. « Tu répandais sur ton héritage
(ton peuple) une pluie généreuse. » : peut se lire « Toi seul as toujours répandu tes bienfaits sur le peuple de l'Alliance.
On connaît encore une autre famine célèbre, cette fois au temps de l'Empire Romain, sous l'empereur Claude ; on sait qu'à cette occasion, les communautés chrétiennes de l'ensemble du bassin
méditerranéen (dans les régions non touchées par la famine) furent sollicitées de venir en aide financièrement aux sinistrés. (Ce qui valut à la communauté de Corinthe un petit rappel à l'ordre
de saint Paul pour le manque d'empressement des Corinthiens à ouvrir leurs porte-monnaie, 2 Co chapitres 8 et 9).
A notre tour, nous Chrétiens avons bien aussi motif de rendre
grâce ; la manne, notre pain de chaque jour, nous est offerte en
Jésus-Christ, véritable pain vivant descendu du ciel : « Moi, je suis le pain de la vie. Au désert, vos pères ont tous mangé la manne, et ils sont morts. Mais ce pain-là, qui descend du ciel,
celui qui en mange ne mourra pas. Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée
pour que le monde ait la vie. » (Jn 6, 48-51). Oui, vraiment : « Les justes sont en fête, il exultent ; devant la face de Dieu ils dansent de joie. Chantez pour Dieu, jouez pour son nom . Son
nom est le Seigneur ; dansez devant sa face. »
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* On se souvient que c'était l'objet du songe des sept vaches grasses et des sept vaches maigres (Gn 41).
Bienveillance de Dieu pour les hommes.Personne inspirée par Dieu pour être son porte
parole.Centre de la foi et de l'espérance chrétienne.
DEUXIEME LECTURE - Hébreux 12, 18-19. 22-24a
Frères,
18 quand vous êtes venus vers Dieu,
il n'y avait rien de matériel comme au Sinaï,
pas de feu qui brûle,
pas d'obscurité, de ténèbres, ni d'ouragan,
19 pas de son de trompettes,
pas de paroles prononcées par cette voix
que les fils d'Israël demandèrent à ne plus entendre.
22 Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion
et vers la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste,
vers des milliers d'anges en fête
23 et vers l'assemblée des premiers-nés
dont les noms sont inscrits dans les cieux.
Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous les hommes,
et vers les âmes des justes arrivés à la perfection.
24 Vous êtes venus vers Jésus,
le médiateur d'une Alliance nouvelle.
La lettre aux Hébreux s'adresse très probablement à des Chrétiens d'origine juive ; son objectif clairement avoué est donc de situer correctement la Nouvelle Alliance par rapport à la Première
Alliance.
Car, avant Jésus-Christ, on était dans le régime de la Première Alliance, alors que, désormais, nous sommes dans le régime de la Nouvelle Alliance. Avec la venue du Christ, sa vie terrestre, sa
Passion, sa mort et sa
Résurrection, tout ce qui a précédé est considéré par les
Chrétiens comme une étape nécessaire dans l'histoire du salut, mais révolue pour eux. Révolue, peut-être mais pas annulée pour autant. Qui veut situer correctement la Nouvelle Alliance par
rapport à la première Alliance devra donc manifester à la fois continuité et radicale nouveauté.
En faveur de la continuité, on entend ici des mots très habituels en Israël : Sinaï, feu, obscurité, ténèbres, ouragan, trompettes, Sion, Jérusalem, les noms inscrits dans les cieux, juge et
justice, alliance... Ce vocabulaire évoque toute l'expérience spirituelle du peuple de l'Alliance ; il est très familier aux auditeurs de cette prédication. Prenons le temps de relire quelque
textes de l'Ancien Testament puisqu'ils sont la source : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d'un cor très
puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. Le mont Sinaï n'était que fumée,
parce que le Seigneur y était descendu dans le feu ; sa fumée monta, comme la fumée d'une fournaise et toute la montagne trembla violemment. La voix du cor s'amplifia : Moïse parlait et Dieu
lui répondait par la voix du tonnerre. » (Ex 19, 16-19). « Tout le peuple percevait les voix, les flamboiements, la voix du cor et la montagne fumante ; le peuple vit, il frémit et se tint à
distance... Mais Moïse approcha de la nuit épaisse où Dieu était. » (Ex 20, 18. 21). Et le livre du Deutéronome commente : « En ce jour-là, vous vous êtes approchés, vous vous êtes tenus debout
au pied de la montagne : elle était en feu, embrasée jusqu'en plein ciel, dans les ténèbres des nuages et de la nuit épaisse. » (Dt 4, 11).
La mémoire d'Israël est nourrie de ces récits ; ils sont les titres de gloire du peuple de l'Alliance.
La surprise que nous réserve ce texte de la lettre aux Hébreux, c'est qu'il semble déprécier cette expérience mémorable ; car, désormais, l'Alliance a été complètement renouvelée ; nous l'avons
vu un peu plus haut : Moïse approchait de Dieu alors que le peuple était tenu à distance : « le peuple vit, il frémit et se tint à distance... Mais Moïse approcha de la nuit épaisse où Dieu
était. » Et quelques versets auparavant, le peuple s'était vu interdire l'accès de la montagne.
Au contraire, désormais, les baptisés sont établis dans une véritable relation d'intimité avec Dieu. L'auteur décrit cette nouvelle expérience spirituelle comme l'entrée paisible dans un
nouveau monde de beauté, de fête : « Mais vous êtes venus vers la montagne de Sion et vers la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, vers des milliers d'anges en fête et vers l'assemblée
des premiers-nés dont les noms sont inscrits dans les cieux. Vous êtes venus vers Dieu, le juge de tous les hommes, et vers les âmes des justes arrivés à la perfection. Vous êtes venus vers
Jésus, le médiateur d'une Alliance nouvelle. »
Dès l'Ancien Testament, on le sait, la
crainte de Dieu avait changé de sens : au temps du Sinaï, elle était de la peur devant les démonstrations
de puissance ; une peur telle que le peuple demandait même à « ne plus entendre la voix de Dieu » ; et puis, peu à peu les relations du peuple avec Dieu avaient évolué et la crainte s'était
transformée en confiance filiale. Pour ceux qui ont connu Jésus, c'est plus beau encore : ils ont découvert en lui le vrai visage du Père : «
Vous n'avez
pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père. Cet Esprit
lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. » (Rm 8, 15-16). Jésus joue donc pleinement son rôle de « médiateur d'une Alliance nouvelle » puisqu'il permet à tous les
baptisés d'approcher de Dieu, de devenir des «
premiers-nés » (au sens de « consacrés »). L'antique promesse faite à Moïse et au peuple d'Israël,
au pied du Sinaï, est enfin réalisée : « Si vous entendez ma voix et gardez mon Alliance, vous serez ma part personnelle parmi tous les peuples - puisque c'est à moi appartient toute la terre -
et vous serez pour moi un royaume de
prêtres (de consacrés) et une nation sainte. » (Ex 19, 4). Ce que
l'auteur de notre lettre traduit : « Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la
grâce » (He 4, 16).
Bienveillance de Dieu pour les hommes.Chrétien qui a reçu le sacrement de l'Ordre pour
être signe du Christ pasteur.Centre de la foi et de l'espérance chrétienne.
EVANGILE - Luc 14, 1a. 7 - 14
1 Un jour de sabbat,
Jésus était entré chez un des pharisiens
pour y prendre son repas.
7 Remarquant que les invités choisissaient les premières places,
il leur dit cette
parabole :
8 « Quand tu es invité à des noces,
ne va pas te mettre à la première place,
car on peut avoir invité
9 quelqu'un de plus important que toi.
Alors, celui qui vous a invités, toi et lui,
viendrait te dire :
Cède-lui ta place,
10 Et tu irais, plein de honte, prendre la dernière place.
Au contraire, quand tu es invité,
va te mettre à la dernière place.
Alors, quand viendra celui qui t'a invité, il te dira :
Mon ami, avance plus haut,
et ce sera pour toi un honneur
11 aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi.
Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé. »
12 Jésus disait aussi à celui qui l'avait invité :
« Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner,
n'invite pas tes amis, ni tes frères,
ni tes parents, ni de riches voisins ;
sinon, eux aussi t'inviteraient en retour,
13 et la politesse te serait rendue.
Au contraire, quand tu donnes un festin,
invite des pauvres, des estropiés,
14 des boiteux, des aveugles ;
et tu seras heureux,
parce qu'ils n'ont rien à te rendre :
cela te sera rendu à la
résurrection des justes. »
Récit allégorique servant à présenter un enseignement et à en faciliter la compréhension.Centre
de la foi et de l'espérance chrétienne.
Dans l'évangile de saint Luc, on trouve souvent des scènes de repas : chez Simon le pharisien (7, 36) ; chez Marthe et Marie (10, 38) ; à nouveau chez un pharisien (11, 37) ; chez Zachée (19) ;
le repas pascal (22). L'importance que Jésus attachait aux repas faisait même dire aux gens malveillants « Voilà un glouton et un ivrogne » (Lc 7, 34). Trois de ces repas se déroulent chez des
pharisiens et deviennent occasion de désaccord.
Au cours du premier, chez Simon (Luc 7, 36), une femme de mauvaise réputation était venue se jeter aux pieds de Jésus et, contre toute attente, il l'avait donnée en exemple ; le second (Lc 11,
37) fut également l'occasion d'un grave malentendu, cette fois parce que Jésus avait omis de se laver les mains avant de passer à table : le débat avait très mal tourné et Jésus en avait profité
pour prononcer une diatribe sévère. Si bien que Luc conclut l'épisode en disant : « Quand ils furent sortis de là, les scribes et les pharisiens se mirent à s'acharner contre lui et à lui
arracher des réponses sur quantité de sujets, lui tendant des pièges pour s'emparer de ses propos » (Lc 11, 53).
Le texte que nous lisons aujourd'hui raconte un troisième repas chez un pharisien : Luc le situe un jour de sabbat. On sait l'importance du sabbat dans la vie du peuple d'Israël : de ce jour de
repos («
shabbat » en hébreu signifie cesser toute activité), le peuple élu avait fait un jour de fête et de joie en l'honneur de son Dieu. Fête de
la création du monde,
fête de la libération du peuple tiré d'Egypte... en attendant la grande fête du Jour où Dieu renouvellera la Création
tout entière. A l'époque de Jésus, la fête était toujours là, et un repas solennel marquait ce jour : repas qui était souvent l'occasion de recevoir des coreligionnaires ; mais les interdits
rituels de la Loi s'étaient tellement multipliés que le respect des prescriptions avait occulté chez certains l'essentiel : la
charité fraternelle. Ce jour-là, au début du repas, une scène qui
ne figure pas dans notre lecture liturgique est à l'origine des conversations : Jésus guérit un malade souffrant d'hydropisie (oedèmes) ; c'est l'occasion de nouvelles discussions autour de la
table, parce que Jésus est accusé d'avoir enfreint la règle du repos du sabbat.
Il ne faut pas nous étonner de ce que nous rapporte ainsi l'évangile, concernant les relations entre Jésus et les pharisiens, mélange de sympathie et de sévérité extrême de part et d'autre.
Sympathie, car les pharisiens étaient des gens très bien. Rappelons-nous que le mouvement religieux «
Pharisien » est né vers 135 av.J.C. d'un
désir de conversion ; son nom qui signifie « séparé » traduit un choix : le refus de toute compromission politique, de tout laisser-aller dans la pratique religieuse ; deux problèmes à l'ordre du
jour en 135. Au temps du Christ, leur ferveur n'est pas entamée, ni leur courage : sous Hérode le Grand (39-4 av J.C.), six mille d'entre eux qui refusaient de prêter serment de fidélité à Rome
et à Hérode ont été punis de fortes amendes. Le maintien de leur identité religieuse repose sur un très grand respect de la tradition : ce mot « tradition » ne doit pas être entendu de manière
péjorative ; la tradition, c'est la richesse reçue des pères : tout le long labeur des anciens pour découvrir le comportement qui plaît à Dieu se transmet sous forme de préceptes qui régissent
les plus petits détails de la vie quotidienne. Est-ce en soi criticable ? Et les consignes des pharisiens, mises par écrit après 70 (ap. J.C.) ressemblent fort, pour certaines, à celles de Jésus
lui-même. (Or ils n'ont certainement pas copié ce qu'ils appelaient « l'hérésie chrétienne »).
Le Pharisianisme (en tant que mouvement) est donc tout à fait respectable. Et Jésus ne l'attaque jamais. Il ne refuse pas non plus de leur parler (à preuve, ces repas ; voir aussi Nicodème, Jn
3). Mais le plus bel idéal religieux peut avoir ses écueils : la rigueur d'observance peut engendrer une trop bonne conscience et rendre méprisant pour ceux qui n'en font pas autant. Plus
profondément, vouloir être « séparé » n'est pas sans ambiguïté ; quand on sait que le dessein de Dieu est un projet de rassemblement dans l'amour. Ces déviances ont inspiré quelques paroles dures
de Jésus : elles visent ce que l'on appelle le « Pharisaïsme » ; de cela tous les mouvements religieux de tous les temps sont capables : la
parabole de la paille et de la poutre
est là pour nous le rappeler.
A première vue, les conseils donnés par Jésus au cours du repas sur le choix des places et le choix des invités pourraient donc se limiter à des règles de bienséance et de philanthropie. En
Israël comme ailleurs, les sages ont écrit de très belles maximes sur ces sujets ; par exemple, dans le livre des Proverbes : « Ne fais pas l'arrogant devant le roi et ne te tiens pas dans
l'entourage des grands. Car mieux vaut qu'on te dise : Monte ici ! que de te voir humilié devant un notable. » (Pr 25, 6-7) ; et dans celui de Ben Sirac : « Quand un puissant t'invite, reste à
l'écart et son invitation n'en sera que plus pressante. Ne te précipite pas, de peur d'être repoussé, ne te tiens pas trop loin, de peur d'être oublié. » (Si 13, 9-10).
Mais le propos de Jésus va beaucoup plus loin : à la manière des
prophètes, il cherche avec véhémence, à ouvrir les yeux des
Pharisiens avant qu'il ne soit trop tard ; trop de contentement de soi peut conduire à l'aveuglement. Précisément parce que les pharisiens étaient des gens très bien, de fidèles pratiquants de la
religion juive, Jésus démasque chez eux le risque du mépris des autres ; or Jésus a toujours devant les yeux la venue du Royaume : pour y entrer, il faut, a-t-il dit souvent, se faire comme de
petits enfants (cf Lc 9, 46-48 ; Mt 18, 4). La conversion qui conduit au Royaume n'est possible que si l'homme se reconnaît faible devant Dieu : à preuve la
parabole du pharisien et du publicain
(Lc18, 10-14).
Les pharisiens risquent d'être fort loin de l'accueil des pauvres et des estropiés qui est le signe principal du Royaume : « Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles
retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Lc 7, 22). Ceux qui
accueillent et respectent ces humbles sans attendre de retour participeront avec eux, dit Jésus, à la
résurrection promise. C'est ce que souligne Saint Jacques
dans sa lettre : « Mes frères, ne mêlez pas des cas de partialité à votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus Christ. » (Jc 2, 1).