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8 septembre 2014 1 08 /09 /septembre /2014 23:56
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

 

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

PREMIÈRE LECTURE – Nombres 21, 4 – 9

 

4 Au cours de sa marche à travers le désert,
le peuple d’Israël, à bout de courage,
5 récrimina contre Dieu et contre Moïse :
« Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ?
Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert,
où il n’y a ni pain ni eau ?
Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! »
6 Alors le SEIGNEUR envoya contre le peuple
des serpents à la morsure brûlante,
et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël.
7 Le peuple vint vers Moïse et lui dit :
« Nous avons péché,
en récriminant contre le SEIGNEUR et contre toi.
Intercède auprès du Seigneur
pour qu’il éloigne de nous les serpents. »
8 Moïse intercéda pour le peuple,
et le SEIGNEUR dit à Moïse :
« Fais-toi un serpent,
et dresse-le au sommet d’un mât :
tous ceux qui auront été mordus,
qu’ils le regardent et ils vivront ! »
9 Moïse fit un serpent de bronze
et le dressa au sommet d’un mât.
Quand un homme était mordu par un serpent,
et qu’il regardait vers le serpent de bronze,
il conservait la vie !


Le Livre de l’Exode et celui des Nombres racontent plusieurs épisodes assez semblables : le peuple arraché à l’Égypte et à l’esclavage par Moïse est en marche vers la Terre Promise ; mais une fois passée l’exaltation de la libération et du miracle de la Mer Rouge, il faut bien affronter le quotidien dans le désert ; (nos voyages modernes en autocars touristiques dans le Sinaï n’ont qu’un très lointain rapport avec cette laborieuse traversée, il faut bien le dire !) Le désert, par définition, est un lieu totalement inhospitalier et il faudrait une foi bien accrochée dans son guide pour le suivre sans états d’âme ! Tout le problème est là ; ils étaient esclaves en Égypte, ce qui veut dire qu’ils étaient sédentaires, donc probablement pas du tout entraînés à la longue marche à pied pour la plupart ; et puis, un maître d’esclaves, les nourrit au moins un minimum, pour qu’ils aient assez de forces pour travailler ; les Hébreux ne mouraient donc pas de faim là-bas ; de loin, les oignons d’Égypte apparaissent comme un luxe ! Dans le désert, c’est fini ! Il va falloir se débrouiller avec les moyens du bord ; et ceux-ci ont dû se montrer plus d’une fois terriblement décevants !

Les mauvais jours, inévitablement, on s’est demandé pourquoi on était là ; on imagine sans peine les crises de découragement chaque fois qu’on a eu faim, soif, ou simplement peur : peur de ne jamais arriver, peur des affrontements avec d’autres tribus nomades, peur aussi d’affronter des animaux du désert pas tous inoffensifs. Ce Moïse, pensait-on, n’avait pas bien calculé les risques… Il y avait la manne, pourtant, mais à la longue, on finissait par s’en lasser.

L’épisode du serpent de bronze se situe l’un de ces mauvais jours : on pourrait raconter le drame en quatre actes ; acte 1, le texte nous dit « Le peuple était à bout de courage et se mit à récriminer contre Dieu et Moïse : pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Acte 2, « Alors le SEIGNEUR envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante (autrement dit venimeux) et beaucoup moururent » ; acte 3, le peuple se repent : « Nous avons péché contre le SEIGNEUR et contre toi. S’il te plaît, intercède pour nous, que le Seigneur éloigne ces serpents ». Acte 4, Dieu donne à Moïse cette consigne qui nous étonne un peu : fabrique un serpent (la tradition dit qu’il était de bronze), fixe-le au sommet d’une perche ; tous ceux qui auront été mordus n’auront qu’à le regarder, ils seront guéris. »

Évidemment, aujourd’hui, nous ne dirions pas que les serpents sont une punition ; cette séquence : le peuple se conduit mal, donc Dieu punit, alors le peuple se repent, et Dieu passe l’éponge, nous paraît un peu surprenante ; nous avons eu plus de trois mille ans pour découvrir que les choses sont moins simples ; mais, à l’époque, c’est tout spontanément qu’on a dit « Dieu nous punit » ; justement, il est très intéressant de voir comment Moïse s’y prend ; il n’entre pas dans la discussion « est-ce que, oui ou non, les serpents sont une punition de Dieu ? » Et d’ailleurs, quand on rencontre quelqu’un qui est dans la maladie ou le deuil, s’il est convaincu que tout cela vient de Dieu, la première urgence n’est peut-être pas de le dissuader.

L’objectif de Moïse, c’est de convertir ce peuple toujours soupçonneux, toujours méfiant à une attitude de foi, c’est-à-dire de confiance, quelles que soient les difficultés rencontrées. Plus que tous les serpents du monde, c’est le manque de foi qui ralentit ce peuple dans sa marche vers la liberté ; car Moïse a bien entendu : il ne s’agit pas d’une simple crise de découragement ; la phrase « pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Etait-ce pour nous faire mourir dans le désert ? » est une véritable mise en cause de Dieu et de Moïse, le même soupçon qui revient toujours (comme à Massa et Meriba) : quelque chose comme « au fond, Dieu et toi, Moïse, vous dites que vous voulez nous sauver, mais en réalité, vous voulez notre mort ».

Or Moïse sait déjà que la vraie vie, c’est de connaître Dieu, c’est-à-dire de lui faire confiance à tout moment. Alors il va prouver à ce peuple encore et toujours soupçonneux que Dieu ne demande qu’à le sauver. Pour éduquer son peuple à cette attitude de foi, Moïse s’appuie sur une pratique qui existait déjà ; la coutume d’adorer un dieu guérisseur existait bien avant lui : ce dieu était représenté par un serpent de bronze enroulé autour d’une perche ; nos caducées en sont peut-être la trace. C’était ni plus ni moins une pratique magique : il suffit de regarder un objet magique, un fétiche et tout s’arrange ; ce que va faire Moïse consiste à transformer ce qui était jusqu’ici un acte magique en acte de foi ; une fois de plus, comme il l’a fait pour des quantités de rites, il ne brusque pas le peuple, il ne part pas en guerre contre leurs coutumes ; il leur dit « faites bien tout comme vous avez l’habitude de faire, mais moi je vais vous dire ce que cela signifie. Faites-vous un serpent, et regardez-le : (en langage biblique, « regarder » veut dire « adorer ») ; mais sachez que celui qui vous guérit, c’est le Seigneur, ce n’est pas le serpent ; ne vous trompez pas de dieu, il n’existe qu’un seul Dieu, celui qui vous a libérés d’Égypte. Quand vous regardez le serpent, que votre adoration s’adresse au Dieu de l’Alliance et à personne d’autre, surtout pas à un objet sorti de vos mains ».

Quand le Livre de la Sagesse, des siècles plus tard, médite cet événement, c’est comme cela qu’il l’interprète : « Quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous ». (Sg 16, 7).
—————————————-
Compléments

- Soit dit en passant, la lutte contre l’idolâtrie, la magie et toutes les pratiques de divination remplit toute l’histoire biblique ; et d’ailleurs, on peut parfois se demander si nous en sommes complètement sortis ? Car chassez le naturel, il revient au galop ! Ce serpent de bronze qui devait conduire le peuple à la vraie foi est redevenu un objet magique ; c’est pour cette raison que, plus tard, le roi Ezéchias le supprimera définitivement : « Ezéchias fit disparaître les hauts lieux, brisa les stèles, coupa le poteau sacré, et mit en pièces le serpent de bronze que Moïse avait fait, car les fils d’Israël avaient brûlé de l’encens devant lui jusqu’à cette époque ». (2 R 18, 4).


PSAUME – 77 (78) , 3-4, 34 – 39

 

3 Nous avons entendu et nous savons
ce que nos pères nous ont raconté :
4 et nous redirons à l’âge qui vient
les titres de gloire du SEIGNEUR.

34 Quand Dieu les frappait, ils le cherchaient,
ils revenaient et se tournaient vers lui :
35 ils se souvenaient que Dieu est leur rocher
et le Dieu Très-Haut, leur rédempteur.

36 Mais de leur bouche ils le trompaient,
de leur langue ils lui mentaient.
37 Leur cœur n’était pas constant envers lui ;
ils n’étaient pas fidèles à son alliance.

38 Et lui, miséricordieux,
au lieu de détruire, il pardonnait.
39 Il se rappelait : ils ne sont que chair,
un souffle qui s’en va sans retour.


Le psaume 77/78 est bien plus long que ce que nous venons d’entendre, mais nous en avons ici un bon résumé : c’est toute l’histoire d’Israël qui est là, une histoire qui s’écrit entre deux acteurs, au long des siècles, dans la succession des générations. Le Dieu fidèle face à un peuple qui se reconnaît inconstant.

Inconstant parce qu’oublieux : Israël est très conscient de l’importance du souvenir ; « Nous avons entendu ce que nos pères nous ont raconté, nous le redirons à l’âge qui vient ». Pour que la foi se transmette, hier comme aujourd’hui, il faut trois conditions : premièrement, quelqu’un a vécu un événement de salut, une expérience de salut, et peut dire « Dieu m’a sauvé » ; deuxièmement, il partage son expérience, il témoigne ; troisièmement, sa communauté se souvient, garde ce témoignage. On pourrait dire que la foi est une expérience de salut partagée en communauté. Cela suppose donc une vie de communauté… (et c’est là peut-être que le bât nous blesse ?)

Le peuple juif sait depuis toujours que la foi n’est pas un bagage intellectuel, mais une expérience commune : l’expérience des dons et des pardons de Dieu. Ce psaume exprime tout cela : il rappelle en soixante-douze versets son expérience de salut ; la grande expérience qui a fondé la foi d’Israël c’est celle de la libération d’Égypte, c’est pour cela que ce psaume est émaillé d’allusions à l’Exode dans le Sinaï. Et les pères ont raconté cette expérience à leurs fils qui l’ont à leur tour racontée à leurs fils et ainsi de suite. Encore faut-il que les fils veuillent bien écouter et adhérer : notre traduction « nous avons entendu » est trop faible, elle ne rend pas la force de l’expression biblique ; « écouter », « entendre », dans la Bible, c’est adhérer de tout son cœur à la Parole de Dieu. Évidemment, si une génération néglige son devoir de transmission, la chaîne est rompue.

Les pères ont bien été obligés également d’avouer à leurs fils qu’ils avaient souvent récriminé contre Dieu ; malgré toutes ses actions répétées de salut à l’égard de son peuple, Dieu n’avait bien souvent rencontré que de l’ingratitude. Après chaque intervention de Dieu, on commence, bien sûr, par chanter, danser, s’extasier ; et puis les jours passent et on oublie ; et si une nouvelle difficulté survient, on trouve que ce Dieu est bien absent ou inactif. Et à ce moment-là, on est tenté d’aller chercher du secours auprès d’autres dieux, comme par exemple le veau d’or.

C’est de cela que parle le psaume quand il accuse le peuple d’infidélités, d’inconstance. « De leur bouche, ils le trompaient, de leur langue ils lui mentaient, leur cœur n’était pas constant envers lui, ils n’étaient pas fidèles à son Alliance. » Ce qui est visé, ici, c’est l’idolâtrie qui a été la cible de tous les prophètes.

Pourquoi ? On peut être sûr que si les prophètes s’attaquent si violemment à l’idolâtrie, c’est parce que celle-ci fait le malheur de l’humanité. Parce que tant que l’humanité n’aura pas découvert Dieu, non pas tel que nous l’imaginons, je devrais dire tel que nous le caricaturons, mais tel qu’Il est, elle ne pourra pas progresser dans sa marche vers le bonheur.

Toute idole nous fait reculer sur le chemin de la liberté ; c’est même cela la définition d’une idole : ce qui nous empêche d’être libres ; quand Marx disait « La religion est l’opium du peuple », il disait crûment quel pouvoir, je devrais dire quelle dictature, quelle manipulation, une religion quelle qu’elle soit, peut exercer sur l’humanité. La superstition, le fétichisme, la sorcellerie nous empêchent d’être libres et d’apprendre à exercer librement nos responsabilités, parce qu’ils nous font vivre dans un régime de peur. Tout culte d’idole, qu’elle soit de bois ou de plâtre (on voit encore au vingt-et-unième siècle des processions de ce genre !), nous détourne du Dieu vivant et vrai : or seule la vérité peut faire de nous des hommes libres ; le culte excessif d’une personne ou d’une idéologie, fait aussi de nous des esclaves : il suffit de penser à tous les intégrismes, les fanatismes qui nous défigurent. L’argent, lui aussi peut fort bien devenir une idole…

Dans d’autres versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce dimanche, le psaume a une image très parlante, celle d’un arc faussé : le cœur d’Israël devrait être comme un arc tendu vers son Dieu, mais il est faussé ; je prends un exemple : un adolescent (ou une adolescente) oublie parfois toute l’affection dont il a été l’objet, les sourires que ses parents lui ont prodigués, la patience, les veilles, les soins de toute sorte, les fatigues… et de la meilleure foi du monde, il (ou elle) peut dire « moi, mes parents ne m’ont jamais aimé »… de toute évidence, son regard est faussé et son discours aussi !

Mais c’est au sein de cette ingratitude même qu’Israël a fait la plus belle expérience, celle du pardon de Dieu. Le psaume le dit bien : « Leur cœur n’était pas constant envers lui ; ils n’étaient pas fidèles à son alliance. Et lui, miséricordieux, au lieu de détruire, il pardonnait. Il se rappelait : ils ne sont que chair, un souffle qui s’en va sans retour. » Cette description de ce qu’on pourrait appeler la douce pitié de Dieu prouve que ce psaume a été écrit à une époque où la Révélation du Dieu d’amour avait déjà profondément pénétré la foi d’Israël.

En revanche, vous avez peut-être été choqués par la mention des châtiments attribués à Dieu : « Quand Dieu les frappait, ils le cherchaient, ils revenaient et se tournaient vers lui. » A l’époque où ce psaume a été composé, on attribuait encore généralement à Dieu la responsabilité de tous les événements heureux ou malheureux. Nous savons aujourd’hui que nos malheurs ne sont jamais des châtiments de Dieu (même si cette explication nous tente encore parfois parce que nous n’en avons pas d’autre) ; mais il nous reste encore du chemin à faire pour être définitivement en paix avec lui. Quand la guerre à l’idolâtrie et à tous les esclavages de toute sorte sera définitivement gagnée, nous serons enfin des êtres libres et responsables et nous pourrons marcher main dans la main avec notre Dieu.
—————————————-
Complément

- La grande assemblée de Sichem organisée par Josué avait ce but : rafraîchir la mémoire de ce peuple sujet de tant de sollicitude, mais qui a si souvent tendance à l’oublier (Jos 24 : voir au vingtième dimanche ordinaire B) : après avoir rappelé aux tribus rassemblées toute l’œuvre de Dieu depuis Abraham, il leur a dit : « Choisissez maintenant qui vous voulez servir : soit le SEIGNEUR, soit une idole. » Et les tribus ont fait le bon choix ce jour-là, quitte à l’oublier bien vite !

- La transmission de la foi est ainsi comme une course de relais : « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu », disait saint Paul aux Corinthiens (1 Co 11, 23).

- La liturgie est le lieu privilégié de ce témoignage et de ce « rafraîchissement de la mémoire » : mémoire au sens de gratitude née de l’expérience


DEUXIÈME LECTURE – Philippiens 2, 6 – 11

 

6 Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu,
n’a pas jugé bon de revendiquer
son droit d’être traité à l’égal de Dieu.
7 Mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
8 Reconnu comme un homme à son comportement,
il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant
jusqu’à mourir et à mourir sur une croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout.
Il lui a conféré le Nom
qui surpasse tous les noms
10 afin qu’au nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l’abîme,
tout être vivant tombe à genoux.
11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est le Seigneur »
pour la gloire de Dieu le Père.


Nous lisons ce passage de saint Paul chaque année pour la fête des Rameaux, cette fois-ci c’est pour la fête de la Croix Glorieuse : ce qui veut bien dire que ces deux célébrations ont un point commun : qui est le lien très étroit entre la souffrance du Christ et sa gloire, ou si vous préférez entre l’abaissement de la croix et l’exaltation de la résurrection.

Paul fait très clairement ce rapprochement : « le Christ s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir et à mourir sur une croix… C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout. » « C’est pourquoi » dit bien qu’il y a un lien très fort ; le problème est de savoir comment. Une chose est sûre : il ne faut à aucun prix lire ces phrases de Paul en termes de récompense : comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Or, presque inévitablement, nous faisons cette lecture-là, c’est notre tendance immédiate, spontanée ; j’ai dit « tendance », je devrais dire tentation, parce que c’est complètement contraire à toute la Révélation. Dieu est amour, nous le disons très facilement, mais nous n’en tirons pas toujours les conséquences ! L’amour ne connaît pas les calculs, le donnant-donnant, ou alors ce n’est pas de l’amour ; même nous, humains qui ne savons pas très bien aimer, nous savons cela, que l’amour est gratuit !

Et donc, toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, est contraire à la « grâce » de Dieu… Curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; à la fois nous parlons sur tous les tons de la « grâce » de Dieu, et en même temps, nous en parlons en termes que j’appellerais « arithmétiques », nous sommes toujours tentés de parler de mérites. La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont peu à peu découvert. La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Chaque fois que nous parlons en termes de donnant-donnant, nous défigurons Dieu. Et donc, si comme nous dit Paul, Jésus a beaucoup souffert puis a été glorifié, ce n’est pas parce qu’en souffrant il aurait accumulé suffisamment de mérites pour acquérir le droit d’être récompensé.

Donc, je crois que, pour être fidèle à ce texte, il faut le lire en termes de gratuité. Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Une évidence qui est sous-jacente à toutes ses lettres, parce qu’il l’a expérimentée lui-même. C’est une évidence telle qu’il ne la reprécise pas.

Je reprends le texte : « Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu » ; il est clair que Paul fait ici allusion à quelqu’un d’autre qui a revendiqué d’être traité à l’égal de Dieu ; évidemment c’est à Adam et Ève qu’il pense ; très certainement, Paul nous offre ici un commentaire du récit de l’épisode du Paradis terrestre : le tentateur avait dit « vous serez comme des dieux », et il avait expliqué que pour le devenir, il suffit de désobéir à Dieu ; ce qu’ils ont fait ; Ève a tendu la main vers le fruit défendu, elle l’a saisi, le grec dit « elle l’a revendiqué ». Mais, parce qu’elle traite les dons de Dieu comme des proies à saisir, elle s’en exclut elle-même. Le récit de la Genèse dit de manière imagée que l’arbre de la vie lui devient désormais inaccessible. Jésus, au contraire, ne considère pas les dons de Dieu comme des proies à saisir, il fait confiance à son Père pour les lui donner, en temps voulu. Jésus-Christ n’a été qu’accueil (ce que saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été qu’accueil du don de Dieu et non revendication, il a pu se laisser combler par son Père, parce qu’il était complètement offert, disponible au don de Dieu.

Revenons à cette phrase : « lui qui était de condition divine n’a pas jugé bon de revendiquer » : ne lisons surtout pas « bien qu’il soit de condition divine… » ; c’est justement parce qu’il est de condition divine, il sait ce que c’est que l’amour gratuit : il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu… Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau : parce que le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est vraiment cela, nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait, en un mot nous traiter comme des dieux : ce projet est absolument gratuit, ce qui évidemment n’a rien d’étonnant, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, j’ai envie de dire tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire.

Etre traité à l’égal de Dieu, c’est donc bien ce que Dieu compte faire ! Et c’est bien cela qui est donné à Jésus en définitive. Paul nous dit qu’il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : le nom de « Seigneur » : c’est le nom de Dieu ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs. Quand Paul dit : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »… il fait allusion à une phrase du prophète Isaïe : « Devant moi tout genou fléchira et toute langue prêtera serment » ( Is 45, 23 ).

L’hymne se termine par « toute langue proclame Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père » : en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, en acceptant de mourir pour révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »… puisque Dieu, c’est l’amour.


ÉVANGILE – Jean 3, 13 – 17

 

13 Nul n’est monté au ciel
sinon celui qui est descendu du ciel,
le Fils de l’homme.
14 De même que le serpent de bronze
fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
15 afin que tout homme qui croit
obtienne par lui la vie éternelle.
16 Car Dieu a tant aimé le monde
qu’il a donné son Fils unique :
ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas,
mais il obtiendra la vie éternelle.
17 Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde
non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.


Première surprise de ce texte : visiblement, il est question de la Croix du Christ, et Jésus emploie pour en parler un langage extrêmement positif, on pourrait dire « glorieux » : d’une part, il emploie le mot « élevé » ; « il faut que le Fils de l’Homme soit élevé » ; et, d’autre part, cette croix qui est d’abord à nos yeux un instrument de supplice, de douleur, doit nous est présentée comme une preuve de l’amour de Dieu : « Dieu a tant aimé le monde ». Comment l’instrument de torture d’un innocent peut-il être glorieux ?

Deuxième surprise, c’est le rapprochement avec le serpent de bronze ; si Jésus emploie cette image du serpent de bronze, c’est qu’elle était très connue de ses interlocuteurs ; mais l’ennui, c’est que cet épisode nous est à peu près inconnu, et de toute façon pas très compréhensible, parce que très loin de notre culture actuelle.

Je vous rappelle donc très rapidement l’épisode du serpent de bronze ; (que ceux qui ont lu le commentaire de la première lecture ne m’en veuillent pas) ; cela se passe dans le désert du Sinaï pendant l’Exode à la suite de Moïse. Les Hébreux sont assaillis par des serpents venimeux, et comme ils n’ont pas la conscience très tranquille, (parce qu’une fois de plus ils ont « récriminé », comme dit souvent le livre de l’Exode) ils sont convaincus que c’est une punition du Dieu de Moïse ; ils vont donc supplier Moïse d’intercéder pour eux : « Le peuple vint trouver Moïse en disant : Nous avons péché en critiquant le SEIGNEUR et en te critiquant ; intercède auprès du SEIGNEUR pour qu’il éloigne de nous les serpents ! »

Le texte raconte que Moïse intercéda pour le peuple et le Seigneur lui dit : Fais faire un serpent brûlant (c’est-à-dire venimeux) et fixe-le à une hampe : quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve. Moïse fit un serpent d’airain et le fixa à une hampe ; et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent d’airain et il avait la vie sauve. (Nb 21, 7 – 9).

A première vue, nous sommes en pleine magie, en fait, c’est juste le contraire. Je m’explique : la coutume d’adorer un dieu guérisseur existait bien avant Moïse : ce dieu était représenté par un serpent de bronze enroulé autour d’une perche ; une fois de plus, comme il l’a fait pour des quantités de rites, Moïse ne brusque pas le peuple, il ne part pas en guerre contre leurs coutumes ; il leur dit « faites bien tout comme vous avez l’habitude de faire, mais ne vous trompez pas de dieu : il n’existe qu’un seul Dieu, celui qui vous a libérés d’Égypte. Faites-vous un serpent, et regardez-le : (en langage biblique, « regarder » veut dire « adorer ») ; mais sachez que celui qui vous guérit, c’est le Seigneur, ce n’est pas le serpent. Quand vous regardez le serpent, que votre adoration s’adresse au Dieu de l’Alliance et à personne d’autre, surtout pas à un objet sorti de vos mains ». Moïse a donc transformé ce qui était jusqu’ici un acte magique en acte de foi.

Jésus reprend cet exemple à son propre compte : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’Homme soit élevé, afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle ».

De la même manière que, dans le désert, il suffisait de lever les yeux avec foi vers le Dieu de l’Alliance pour être guéri physiquement, désormais, il suffit de lever les yeux avec foi vers le Christ en croix pour obtenir la guérison intérieure.

Comme souvent dans l’évangile de Jean revient le thème de la foi : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. »
Mais en même temps que Jésus fait un rapprochement entre le serpent de bronze élevé dans le désert et sa propre élévation sur la croix, il manifeste le saut formidable entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Jésus accomplit, certes, mais tout en lui prend une nouvelle dimension.

D’abord, dans le désert, seul le peuple de l’Alliance était concerné ; désormais, en lui, c’est tout homme, c’est le monde entier, qui est invité à croire pour vivre. Deux fois Jésus répète « Tout homme qui croit en lui obtiendra la vie éternelle ».

Ensuite, il ne s’agit plus de guérison extérieure, il s’agit désormais de la conversion de l’homme en profondeur ; au moment de la crucifixion du Christ, Jean écrit : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37), c’est une phrase du prophète Zacharie ; je vous la rappelle, parce qu’elle nous dit bien en quoi consiste cette transformation de l’homme, ce salut que Jésus nous apporte : « Ce jour-là, je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem, un esprit de bonne volonté et de supplication. Alors ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé » (Za 12, 10). L’esprit de bonne volonté et de supplication, c’est tout le contraire des récriminations du désert, c’est l’homme enfin convaincu de l’amour de Dieu pour lui.

Il y a donc deux manières de regarder la croix du Christ : elle est, c’est vrai, la preuve de la haine et de la cruauté de l’homme, mais elle est bien plus encore l’emblème de la douceur et du pardon du Christ : il accepte de la subir pour nous montrer jusqu’où va l’amour de Dieu pour l’humanité. La croix, c’est le lieu même de la manifestation de l’amour de Dieu : « Qui m’a vu a vu le Père » avait dit Jésus à l’apôtre Philippe. Sur le Christ en croix, nous lisons la tendresse de Dieu, quelle que soit la haine des hommes. C’est pour cela qu’on peut dire que la croix est glorieuse : parce qu’elle est le lieu où se manifeste l’amour parfait, c’est-à-dire Dieu lui-même.

Que voyons-nous en effet quand nous nous tournons vers la croix ? Un Dieu assez grand pour accepter de se faire tout petit, assez grand pour continuer sa vie parmi les hommes malgré les incompréhensions et la haine, assez grand pour ne pas fuir devant ses bourreaux, assez grand pour pardonner du haut de la Croix, justement. Ceux qui acceptent de plier le genou devant cette grandeur-là sont pour toujours transformés.
————————————–
Complément

- Voir Jn 1, 12 : « Ceux qui croient en son nom, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. »

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique A, La Croix glorieuse (14 septembre 2014)

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