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1 mars 2016 2 01 /03 /mars /2016 01:02

 Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • donnant des explications historiques ;

  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "Josué", "Jésus", "Targum", "regarder vers", "lever les yeux vers" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante,c'est que nous ne les avons pas compris."

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Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 5 mars 2016).

En bas de page, vous avez désormais les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV.

PREMIÈRE LECTURE – Livre de Josué 5, 10- 12


Après le passage du Jourdain,
10 les fils d’Israël campèrent à Guilgal
et célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du mois,
vers le soir, dans la plaine de Jéricho.
11 Le lendemain de la Pâque, en ce jour même,
ils mangèrent les produits de cette terre :
des pains sans levain et des épis grillés.
12 À partir de ce jour, la manne cessa de tomber,
puisqu’ils mangeaient des produits de la terre.
Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël,
qui mangèrent cette année-là
ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan.


Tout le monde sait que Moïse n’est pas entré en Terre Promise ; il est mort au mont Nebo (c’est-à-dire au niveau de la Mer Morte du côté que nous appellerions aujourd’hui la rive Jordanienne) : mais, ne le plaignons pas, il est entré ainsi tout de suite dans la véritable Terre Promise ; ce n’est donc pas lui qui a fait entrer le peuple d’Israël sur sa terre, c’est son serviteur et successeur, Josué.
Et tout le livre de Josué est le récit de cette entrée du peuple en Terre Promise, depuis la traversée du Jourdain. S’il a fallu le traverser, c’est parce que les tribus d’Israël sont entrées dans le pays par l’Est. Ceci dit, la Bible ne fait jamais de l’histoire pour de l’histoire ; ce qui l’intéresse, ce sont les leçons de l’histoire ; on ne sait pas qui a écrit le livre de Josué, mais l’objectif est assez clair : si l’auteur du livre rappelle l’œuvre de Dieu en faveur d’Israël, c’est pour exhorter le peuple à la fidélité.
Dans le texte d’aujourd’hui, c’est plus vrai que jamais ; sous ces quelques lignes un peu rapides, c’est un véritable sermon qui se cache ! Un sermon qui tient en deux points : ce qu’il ne faudra jamais oublier, c’est premièrement, Dieu nous a libérés d’Égypte ; deuxièmement, si Dieu nous a libérés d’Égypte, c’était pour nous donner cette terre comme il l’avait promis à nos pères. La grande leçon c’est que nous recevons tout de Dieu ; et quand nous l’oublions, nous nous mettons nous-mêmes dans des situations sans issue.
C’est pour cela que le texte fait des parallèles incessants entre la sortie d’Égypte, la vie au désert et l’entrée en Canaan. Par exemple, au chapitre 3 du livre de Josué, la traversée du Jourdain est racontée très solennellement comme la répétition du miracle de la Mer Rouge. Ici, dans notre texte de ce dimanche, l’auteur insiste sur la Pâque : il dit « ils célébrèrent la Pâque, le quatorzième jour du mois, vers le soir » : la célébration de la Pâque avait marqué la sortie d’Égypte et le miracle de la Mer Rouge ; cette fois-ci, la nouvelle Pâque suit l’entrée en Terre promise et le miracle du Jourdain.
Ces parallèles sont évidemment intentionnels. Le message de l’auteur, c’est que d’un bout à l’autre de cette incroyable aventure, c’est le même Dieu qui agissait pour libérer son peuple, en vue de la Terre Promise. La méditation du livre de Josué suit de très près ici celle du Deutéronome. D’ailleurs, « JOSUÉ », ce n’est pas son nom, c’est un surnom donné par Moïse : au début, il s’appelait simplement « Hoshéa » (ou « Osée » si vous préférez) qui signifie « Il sauve »… Son nouveau nom, « JOSUÉ » (« Yeoshoua ») contient le nom de Dieu ; il signifie donc plus explicitement que c’est Dieu et Dieu seul qui sauve ! Effectivement, Josué a bien compris que ce n’est pas lui-même, pauvre homme qui, seul, peut sauver, libérer son peuple !
Dans le même esprit, le Psaume 114/115 reprend à sa manière le parallèle entre les deux traversées miraculeuses de la mer Rouge et du Jourdain : « La mer voit et s’enfuit, le Jourdain retourne en arrière ; qu’as-tu, mer, à t’enfuir ? Jourdain, à retourner en arrière ? Tremble, terre, devant la face du Maître, devant la face du Dieu de Jacob. » Désormais la célébration annuelle de la Pâque sera le mémorial, non seulement de la nuit de l’Exode, mais aussi de l’arrivée en Terre Promise : ces deux événements n’en font qu’un seul ; c’est toujours la même œuvre de Dieu pour libérer son peuple !
La deuxième partie du texte d’aujourd’hui est un peu surprenante, tellement le texte est laconique ; apparemment, il n’est question que de nourriture, mais là encore, il s’agit de beaucoup plus que cela : « Le lendemain de la Pâque, ils mangèrent les produits de cette terre : des pains sans levain et des épis grillés. À partir de ce jour, la manne cessa de tomber, puisqu’ils mangeaient les produits de la terre. Il n’y avait plus de manne pour les fils d’Israël, qui mangèrent cette année-là ce qu’ils récoltèrent sur la terre de Canaan. » Ce changement de nourriture est significatif, il fait penser à un sevrage : une page de l’histoire est tournée, une nouvelle vie commence ; on dit quelque chose d’analogue pour les enfants petits : ils passent progressivement (sur le plan de l’alimentation ) de ce que l’on appelle le premier âge, à un deuxième puis un troisième et un quatrième âges…
Ici, on a un phénomène analogue : la période du désert est terminée, avec son cortège de difficultés, de récriminations, de solutions-miracle aussi ! Désormais, Israël est arrivé sur la Terre donnée par Dieu : il ne sera plus nomade, il va devenir sédentaire, il sera un peuple d’agriculteurs ; il mangera les produits du sol. Peuple adulte, il est devenu responsable de sa propre subsistance.
Autre leçon : à partir du moment où le peuple a les moyens de subvenir lui-même à ses besoins, Dieu ne se substitue pas à lui : il a trop de respect pour notre liberté. Mais on n’oubliera jamais la manne et on retiendra la leçon : à nous de prendre exemple sur la sollicitude de Dieu pour ceux qui ne peuvent pas (pour une raison ou une autre) subvenir à leurs propres besoins ; le Targum du Livre du Deutéronome (c’est-à-dire la traduction en araméen qui était lue dans les synagogues à partir du sixième siècle avant notre ère, parce que de nombreux Juifs ne comprenaient plus l’hébreu1) (à propos de Dt 34, 6) le dit très bien : « Dieu nous a enseigné à nourrir les pauvres pour avoir fait descendre le pain du ciel pour les fils d’Israël » ; sous-entendu à nous d’en faire autant.
Pour finir, ne l’oublions pas : en hébreu, Josué et Jésus, c’est le même nom ; les premiers Chrétiens ont évidemment fait le rapprochement ! Du coup, la traversée du Jourdain, entrée en Terre Promise, la terre de liberté, faisait mieux comprendre le Baptême dans le Jourdain : il signe notre entrée dans la véritable terre de liberté !
——————————
Note
1 – Après le retour de l’Exil à Babylone, Cyrus, nouveau maître du Moyen Orient a imposé sa langue, l’araméen, comme langue commune pour tout son empire. On a désormais pris l’habitude dans les synagogues en Israël de traduire le texte biblique hébreu en araméen. C’est cette traduction, agrémentée parfois de commentaires, que l’on appelle le « Targum »


PSAUME – 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7


2 Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
3 Je me glorifierai dans le SEIGNEUR :
que les pauvres m’entendent et soient en fête !

4 Magnifiez avec moi le SEIGNEUR,
exaltons tous ensemble son Nom.
5 Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ;
de toutes mes frayeurs, il me délivre.

6 Qui regarde vers lui resplendira,
sans ombre ni trouble au visage.
7 Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend :
il le sauve de toutes ses angoisses.


Une fois de plus, vous avez remarqué le parallélisme : chaque verset est construit en deux lignes qui se répondent ; l’idéal serait de le chanter à deux chœurs alternés, ligne par ligne.
Il est important de noter aussi que ce psaume 33/34 est alphabétique : non seulement il comporte vingt-deux versets, vingt-deux étant le nombre de lettres de l’alphabet hébreu, mais en plus, il est ce qu’on appelle en poésie un acrostiche : dans la Bible en hébreu, l’alphabet est écrit verticalement dans la marge en face du psaume, une lettre devant chaque verset, dans l’ordre… et chaque verset commence par la lettre qui lui correspond dans la marge ; ce procédé, assez fréquent dans les psaumes, indique toujours qu’on se trouve en présence d’un psaume d’action de grâces pour l’Alliance ; ceci ne nous étonne pas en réponse à la première lecture de ce même dimanche ! Vous avez en mémoire les petites phrases du livre de Josué qui, sous couvert de nous raconter une histoire, étaient en fait une invitation à l’action de grâce pour toute l’œuvre de Dieu en faveur d’Israël.
D’ailleurs, le vocabulaire de l’action de grâce est omniprésent dans ce psaume, dès les premiers versets retenus aujourd’hui ! Il suffit de lire cette foison de mots : « bénir, louange, glorifier, fête, magnifier, exalter, resplendir » ! « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le SEIGNEUR… Magnifiez avec moi le SEIGNEUR, exaltons tous ensemble son Nom… Qui regarde vers lui resplendira, sans ombre ni trouble au visage. »
Au passage, vous avez entendu une autre particularité du vocabulaire biblique : « Qui regarde vers lui resplendira » ; l’expression « regarder vers », on trouve aussi parfois « lever les yeux vers » est l’expression de l’adoration rendue à celui qu’on reconnaît comme Dieu.

C’est toute l’expérience d’Israël qui parle ici, témoin de l’œuvre de Dieu : un Dieu qui « répond, délivre, entend, sauve… » ; « Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre… Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend : il le sauve de toutes ses angoisses. »
Cette attention de Dieu pour celui qui souffre, nous l’avons lue dans le passage très fort du chapitre 3 de l’Exode, dans le récit du buisson ardent : « Oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple… son cri est parvenu jusqu’à moi… je connais ses souffrances… ». C’était notre première lecture du troisième dimanche de Carême, dimanche dernier.
Dans sa propre histoire, Israël est lui-même ce pauvre qui a fait l’expérience de la miséricorde de Dieu : quand il chante le psaume 33/34 (« Un pauvre crie ; le SEIGNEUR entend : il le sauve de toutes ses angoisses »), il parle d’abord de lui. Mais ce psaume l’invite aussi à élargir les horizons, car il dit bien « Un pauvre crie », c’est-à-dire n’importe quel pauvre, n’importe où sur la planète.
Du coup, Israël découvre sa vocation : elle est double
Premièrement, il doit être le peuple qui enseigne à tous les humbles du monde la confiance ! La foi apparaît alors comme un dialogue entre Dieu et l’homme : l’homme crie sa détresse vers Dieu … Dieu l’entend … Dieu le libère, le sauve, vient à son secours … et l’homme reprend la parole, cette fois pour rendre grâce : si on y réfléchit, la prière comprend toujours ce double mouvement de demande, et de louange… d’abord la demande et la réponse de Dieu : « Je cherche le SEIGNEUR, il me répond ; de toutes mes frayeurs, il me délivre… » Puis l’action de grâce : « Magnifiez avec moi le SEIGNEUR, exaltons tous ensemble son Nom. »
Le deuxième aspect de la vocation d’Israël, (et la nôtre, désormais) c’est de seconder l’œuvre de Dieu, d’être son instrument ; de même que Moïse ou Josué ont été les instruments de Dieu libérant son peuple et l’introduisant dans la Terre promise, Israël est invité à être lui-même l’oreille ouverte aux pauvres et l’instrument de la sollicitude de Dieu pour eux.
Ceci nous permet peut-être de mieux entendre cette fameuse béatitude de la pauvreté : exprimée chez Luc par la phrase : « Heureux, vous les pauvres : le royaume de Dieu est à vous. » (Lc 6, 20) et ici : « que les pauvres m’entendent et soient en fête ! » (Ce qui prouve une fois de plus que Jésus était profondément inséré dans les manières de parler et le vocabulaire de ses pères en Israël).
J’y entends au moins deux choses : premièrement, « réjouissez-vous, Dieu n’est pas sourd, il va intervenir » ; deuxièmement, « il a choisi des instruments sur cette terre pour venir à votre secours. » La vocation d’Israël au long des siècles sera de faire retentir ce cri, je devrais dire cette polyphonie mêlée de souffrance, de louange et d’espoir. Et aussi de tout faire pour soulager les innombrables formes de pauvreté.
Il n’y a qu’une sorte de pauvreté dont il ne faudra jamais se débarrasser, celle du cœur : le réalisme de ceux qui acceptent de se reconnaître tout-petits, et qui osent appeler Dieu à leur secours. Comme dit saint Matthieu « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ».
Il reste que la sollicitude de Dieu n’est pas une baguette magique qui ferait disparaître tout désagrément, toute souffrance de nos vies… Au désert, derrière Moïse, ou en Canaan derrière Josué, le peuple n’a pas été miraculeusement épargné de tout souci ! Mais la présence de Dieu l’accompagnait en toutes circonstances pour lui faire franchir les obstacles ; dans sa leçon sur la prière, l’évangile de Luc nous dit exactement la même chose : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe, on ouvrira. Quel père, parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu de poisson ? Ou encore, s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc, vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le prient. » (Luc 11, 9-13).


DEUXIÈME LECTURE – Deuxième lettre de saint Paul aux Corinthiens  5, 17-21


Frères,
17 si quelqu’un est en Jésus-Christ,
il est une créature nouvelle.
Le monde ancien s’en est allé,
un monde nouveau est déjà né.
18 Tout cela vient de Dieu :
il nous a réconciliés avec lui par le Christ,
et il nous a donné le ministère
de la réconciliation.
19 Car c’est bien Dieu
qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui ;
il n’a pas tenu compte des fautes,
et il a déposé en nous la parole de la réconciliation.
20 Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ,
et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel.
nous le demandons au nom du Christ,
laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 Celui qui n’a pas connu le péché,
Dieu l’a pour nous identifié au péché,
afin qu’en lui,
nous devenions justes de la justice même de Dieu.


La difficulté de ce texte, c’est qu’on peut le comprendre de deux manières. Tout se joue peut-être sur la phrase qui est au centre : Dieu « effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés ». Cela peut vouloir dire deux choses : soit, première hypothèse, depuis le début du monde, Dieu fait le compte des péchés des hommes. Mais, dans sa grande miséricorde, il a quand même accepté d’effacer ce compte à cause du sacrifice de Jésus-Christ. C’est ce qu’on appelle « la substitution ». Jésus aurait porté à notre place le poids de ce compte trop lourd. Soit, deuxième hypothèse, Dieu n’a jamais fait le moindre compte des péchés des hommes et le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Comme disait déjà le psaume 102/103 bien avant la venue du Christ, « Dieu met loin de nous nos péchés ».
Or tout le travail de la révélation biblique consiste justement à nous faire passer de la première hypothèse à la deuxième. Nous allons donc nous poser trois questions : premièrement Dieu tient-il des comptes avec nous ? Deuxièmement, peut-on parler de « substitution » pour la mort du Christ ? Troisièmement, si Dieu ne fait pas de comptes avec nous, si on ne peut pas parler de « substitution » à propos de la mort du Christ, alors comment comprendre ce texte de Paul ?
Tout d’abord, Dieu fait-il des comptes avec nous ? Un Dieu comptable, c’est une idée qui nous vient assez spontanément à l’esprit : probablement parce que nous sommes un peu comptables nous-mêmes à l’égard des autres ? Cette idée était incontestablement celle du peuple élu au début de l’histoire de l’Alliance ; rien d’étonnant : pour que l’homme découvre Dieu tel qu’il est vraiment, il faut que Dieu se révèle à lui. Et nous voyons, dimanche après dimanche, le travail de la Révélation biblique.
Commençons par Abraham : Dieu n’a jamais parlé de péché avec lui ; il lui a parlé d’Alliance, de Promesse, de bénédiction, de descendance : on ne trouve le mot « mérite » nulle part. La Bible note « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et cela lui fut compté comme justice » (Gn 15, 6). La foi, la confiance, c’est la seule chose qui compte. Nos comportements suivront. Dieu n’en fait pas des comptes : ce qui ne veut pas dire que nous pouvons désormais faire n’importe quoi ; nous gardons notre entière responsabilité dans la construction du royaume. Ou encore, rappelons-nous les révélations successives de Dieu à Moïse, en particulier, le « SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein d’amour » ; et puis David qui a découvert (à l’occasion de son péché justement) que le pardon de Dieu précède même nos repentirs. Ou encore cette magnifique phrase où Isaïe nous dit que Dieu nous surprendra toujours parce que ses pensées ne sont pas nos pensées, précisément parce qu’il n’est que pardon pour les pécheurs. (Is 55, 6-8)
Impossible de tout citer, mais l’Ancien Testament, déjà, avait compris que Dieu est tendresse et pardon et n’oublions pas que le peuple d’Israël a appelé Dieu « Père » bien avant nous. La fable de Jonas par exemple a été écrite justement pour qu’on n’oublie pas que Dieu s’intéresse au sort de ces païens de Ninivites, les ennemis héréditaires de son peuple.
Deuxième question, peut-on parler de « substitution » pour la mort du Christ ? Évidemment, si Dieu ne tient pas des comptes, si donc nous n’avons pas de dette à payer, nous n’avons pas besoin que Jésus se substitue à nous ; d’autre part, quand les textes du Nouveau Testament parlent de Jésus, ils parlent de solidarité, mais pas de substitution ; et d’ailleurs, si quelqu’un pouvait agir à notre place, où serait notre liberté ? Jésus n’agit pas à notre place ; il ne se substitue pas à nous ; il n’est pas non plus notre représentant ; Jésus est notre frère aîné, le « premier-né » comme dit Paul, notre pionnier, il ouvre la voie, il marche à notre tête ; il se mêle aux pécheurs en demandant le Baptême de Jean ; sur la Croix il acceptera de mourir du fait de la haine des hommes : il se rapproche ainsi de nous pour que nous puissions nous rapprocher de lui.
Troisième question : mais alors, comment comprendre notre texte de Paul d’aujourd’hui ? Première conviction, Dieu n’a jamais fait le moindre compte des péchés des hommes ; deuxième conviction, le Christ est venu dans le monde pour nous le prouver. Comme il l’a dit à Pilate « Je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ». C’est-à-dire pour nous montrer que Dieu est depuis toujours Amour et Pardon. Quand Paul dit « il effaçait pour tous les hommes le compte de leurs péchés », c’est dans nos têtes qu’il efface nos fausses idées sur un Dieu comptable.
La question rebondit : pourquoi Jésus est-il mort ? Le Christ est venu pour témoigner de ce Dieu d’amour auprès de ses contemporains ; il a essuyé le refus de cette révélation ; et il a accepté de mourir d’avoir eu trop d’audace, d’avoir été trop gênant pour les autorités en place qui savaient mieux que lui qui était Dieu. Il est mort de cet orgueil des hommes qui s’est mué en haine sans merci.
Au sein même de ce déchaînement d’orgueil, il a subi l’humiliation ; au sein de la haine, il n’a eu que des paroles de pardon. Voilà le vrai visage de Dieu enfin exposé au regard des hommes. « Qui m’a vu a vu le Père » (dit-il à Philippe, Jn 14, 9).
On comprend mieux alors la phrase : « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes, afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu. » Sur le visage du Christ en croix, nous contemplons jusqu’où va l’horreur du péché des hommes ; mais aussi jusqu’où vont la douceur et le pardon de Dieu. Et de cette contemplation peut jaillir notre conversion. « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » disait déjà Zacharie (Za 12,10), repris par saint Jean (Jn 19, 37). Alors nos cœurs de pierre pourront enfin devenir des cœurs de chair, comme disait Ezéchiel, c’est-à-dire, pleins de douceur et de pardon comme lui. À nous maintenant de devenir à notre tour les ambassadeurs de son message.


ÉVANGILE – selon saint Luc 15 , 1-3 . 11-32


1 Les publicains et les pécheurs
venaient tous à Jésus pour l’écouter.
2 Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs
et il mange avec eux ! »
3 Alors Jésus leur dit cette parabole :

11 « Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père :
Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.
Et le père leur partagea ses biens.
13 Peu de jours après,
le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait,
et partit pour un pays lointain,
où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
14 Il avait tout dépensé,
quand une grande famine survint dans ce pays,
et il commença à se trouver dans le besoin.
15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,
qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre
avec les gousses que mangeaient les porcs,
mais personne ne lui donnait rien.
17 Alors, il rentra en lui-même et se dit :
Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance,
et moi, ici je meurs de faim !
18 Je me lèverai, j’irai vers mon père,
et je lui dirai :
Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
19 Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.
Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.
20 Il se leva et s’en alla vers son père.
Comme il était encore loin,
son père l’aperçut et fut saisi de compassion ;
il courut se jeter à son cou
et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit :
Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils…
22 Mais le père dit à ses serviteurs :
Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,
mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
23 allez chercher le veau gras, tuez-le,
mangeons et festoyons,
24 car mon fils que voilà était mort,
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé.
Et ils commencèrent à festoyer.
25 Or le fils aîné était aux champs.
Quand il revint et fut près de la maison,
il entendit la musique et les danses.
26 Appelant un des serviteurs,
il s’informa de ce qui se passait.
27 Celui-ci répondit :
Ton frère est arrivé,
et ton père a tué le veau gras,
parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.
28 Alors le fils aîné se mit en colère,
et il refusait d’entrer.
Son père sortit le supplier.
29 Mais il répliqua à son père :
Il y a tant d’années que je suis à ton service
sans avoir jamais transgressé tes ordres,
et jamais tu ne m’as donné un chevreau
pour festoyer avec mes amis.
30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu
après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,
tu as fait tuer pour lui le veau gras !
31 Le père répondit :
Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Il fallait festoyer et se réjouir ;
car ton frère que voilà était mort, `
et il est revenu à la vie ;
il était perdu,
et il est retrouvé. »


La clé de ce passage est peut-être bien dans les premières lignes : d’une part des gens qui se pressent pour écouter Jésus : ce sont ceux qui de notoriété publique sont des pécheurs (Luc dit « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter ») ; de l’autre des gens honnêtes, qui, à chaque instant et dans les moindres détails de leur vie quotidienne, essaient de faire ce qui plaît à Dieu : des Pharisiens et des scribes ; il faut savoir que les Pharisiens étaient réellement des gens très bien : très pieux et fidèles à la Loi de Moïse ; ceux-là ne peuvent qu’être choqués : si Jésus avait un peu de discernement, il verrait à qui il a affaire ! Or, dit toujours saint Luc « cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » Plus grave encore, les Pharisiens étaient très conscients de la sainteté de Dieu et il y avait à leurs yeux incompatibilité totale entre Dieu et les pécheurs ; donc si Jésus était de Dieu, il ne pourrait pas côtoyer des pécheurs.
Alors Jésus raconte cette parabole pour les faire aller plus loin, pour leur faire découvrir un visage de Dieu qu’ils ne connaissent pas encore, le vrai visage de leur Père : car nous avons l’habitude de parler de la parabole de l’enfant prodigue… Mais, en fait, le personnage principal dans cette histoire, c’est le père, le Père avec un P majuscule, bien sûr. Ce Père a deux fils et ce qui est frappant dans cette histoire, c’est que ces deux fils ont au moins un point commun : leur manière de considérer leur relation avec leur père. Ils se sont conduits de manière très différente, c’est vrai, mais, finalement, leurs manières d’envisager leur relation avec leur père se ressemblent !… Il est vrai que le fils cadet a gravement offensé son père, l’autre non en apparence, mais ce n’est pas si sûr… car l’un et l’autre, en définitive, font des calculs. Celui qui a péché dit « je ne mérite plus » ; celui qui est resté fidèle dit « je mériterais bien quand même quelque chose ». L’un et l’autre envisagent leur attitude filiale en termes de comptabilité.
Le Père, lui, est à cent lieues des calculs : il ne veut pas entendre parler de mérites, ni dans un sens, ni dans l’autre ! Il aime ses fils, c’est tout. Il n’y a rien à comptabiliser. Le cadet disait « donne-moi ma part, ce qui me revient… » Le Père va beaucoup plus loin, il dit à chacun « tout ce qui est à moi est à toi ». Il ne laisse même pas le temps au fautif d’exprimer un quelconque repentir, il ne demande aucune explication ; il se précipite pour faire la fête « car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ».
Elle est bien là la leçon de cette parabole : avec Dieu, il n’est pas question de calcul, de mérites, d’arithmétique : or c’est une logique que nous abandonnons très difficilement ; toute la Bible, dès l’Ancien Testament est l’histoire de cette lente, patiente pédagogie de Dieu pour se faire connaître à nous tel qu’il est et non pas tel que nous l’imaginons. Avec lui il n’est question que d’amour gratuit… Il n’est question que de faire la fête chaque fois que nous nous rapprochons de sa maison.
Deux remarques pour terminer : d’abord un lien avec la première lecture qui est tirée du livre de Josué : elle nous rappelle que le peuple d’Israël a été nourri par la manne pendant sa traversée du désert ; mais ici il n’y a pas de manne pour le fils qui refuse de vivre avec son père ; il s’en est coupé lui-même. Deuxième remarque ; dans la parabole de la brebis perdue, dans ce même chapitre 15 de Luc, le berger va aller chercher lui-même et rattraper sa brebis perdue, mais le père ne va pas faire revenir son fils de force, il respecte trop sa liberté.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique C, 4e dimanche de Carême (6 mars 2016)

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