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18 juin 2018 1 18 /06 /juin /2018 21:30

Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 23 juin 2018).

En bas de page, vous avez les versions vidéo des commentaires, trouvées sur KTO TV. Attention, ces vidéos peuvent être celle-d'il y a 3 ans et ne pas correspondre tout à fait aux commentaires écrits cette année.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE  49, 1 - 6

 

1               Écoutez-moi, îles lointaines !       
                 Peuples éloignés, soyez attentifs !    
                 J’étais encore dans le sein maternel  
                 quand le SEIGNEUR m’a appelé ;  
                 j’étais encore dans les entrailles de ma mère
                 quand il a prononcé mon nom.
2               Il a fait de ma bouche une épée tranchante,        
                 il m’a protégé par l’ombre de sa main ;        
                 il a fait de moi une flèche acérée,     
                 il m’a caché dans son carquois.
3               Il m’a dit : 
                 « Tu es mon serviteur, Israël,
                 en toi je manifesterai ma splendeur. »
4               Et moi, je disais :
                  « Je me suis fatigué pour rien,         
                 c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. »   
                 Et pourtant, mon droit subsistait aux yeux du SEIGNEUR,          
                 ma récompense auprès de mon Dieu.
5               Maintenant, le SEIGNEUR parle,           
                 lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère  
                 pour que je sois son serviteur,           
                 que je lui ramène Jacob,        
                 que je lui rassemble Israël.    
                 Oui, j’ai de la valeur aux yeux du SEIGNEUR,      
                 c’est mon Dieu qui est ma force.
6               Et il dit :    
                 « C’est trop peu que tu sois mon serviteur   
                 pour relever les tribus de Jacob,        
                 ramener les rescapés d’Israël :          
                 je fais de toi la lumière des nations,
                 pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
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LE MESSAGE D’ISAÏE AUX EXILÉS

Au sixième siècle av. J.-C., le peuple d’Israël a connu la terrible épreuve de la déportation : les armées de Nabuchodonosor ont tout détruit sur leur passage et la majorité des survivants a pris le chemin d’un exil qui devait durer cinquante ans.

Pendant toute cette période de souffrance et d’angoisse, les prêtres et les prophètes d’Israël ont uni leurs forces pour soutenir la foi et l’espérance de leurs compagnons d’infortune. Une bonne manière de le faire consistait à convaincre ce peuple qu’il avait encore un rôle à tenir ; ce rôle est exprimé ici par le titre de « serviteur de Dieu ». Il faut savoir que ce titre de serviteur est le plus beau que l’on puisse décerner à quelqu’un dans l’Ancien Testament. Dans un autre passage, le même Isaïe, celui qui prêchait pendant l’Exil dit cette très belle phrase : « Toi, Israël, mon serviteur, toi que j’ai choisi, descendance d’Abraham, mon ami… je t’ai choisi et non pas rejeté, ne crains pas car je suis avec toi, n’aie pas ce regard anxieux, car je suis ton Dieu. » (Is 41, 8… 10).

Dans notre texte d’aujourd’hui, Dieu parle à son serviteur comme il avait parlé à Jérémie le jour où il l’avait appelé. Voici comment Jérémie raconte sa vocation : « La parole du SEIGNEUR s'adressa à moi : Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t'ai consacré. » (Jr 1, 4-5). Ici, Isaïe dit au nom du groupe des déportés d’Israël : « J’étais encore dans le sein maternel quand le SEIGNEUR m’a appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. » Cela revient à dire que la mission du peuple en exil est une mission de prophète, de porte-parole de Dieu. Et cette parole que le serviteur doit annoncer ne sera peut-être pas toujours facile à dire puisqu’elle ressemble à une épée ou à une flèche : « Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé par l’ombre de sa main ; il a fait de moi une flèche acérée, il m’a caché dans son carquois. » On sait bien que les prophètes ont parfois dû faire preuve de courage pour remplir leur rôle de témoins de la volonté de Dieu ! Après de nombreux prophètes de l’Ancien Testament, saint Jean Baptiste en est à son tour un bon exemple !

Et comment le peuple en exil aura-t-il l’occasion d’être prophète ? De deux manières peut-être. Tout simplement d’abord en résistant à la tentation d’idolâtrie : à Babylone, on était plongé dans une société polythéiste ; or ce peuple était le grand vainqueur ! On était tenté de se demander si ses divinités n’étaient pas plus puissantes que le Dieu d’Israël. Certains s’éloignaient donc peut-être de la religion d’Israël. Le petit noyau fidèle, ce qu’on appelait le Reste est donc appelé à ramener spirituellement ses frères vers le Seigneur : « Maintenant, le SEIGNEUR parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. »

ISRAËL, PROPHÈTE DE DIEU            

On voit donc que dans ce texte, le mot Israël peut être employé dans deux sens un peu différents : au sens large c’est l’ensemble des déportés qui porte le titre de serviteur de Dieu ; dans un sens plus restreint, c’est le noyau fidèle, le Reste, dont la foi n’a pas chancelé, malgré les années d’exil et de captivité, qui est chargé de ramener les autres dans la communauté des croyants.

Il y aura ensuite une deuxième manière d’être prophètes, une manière passive, si j’ose dire. Car, et c’est la deuxième annonce d’Isaïe dans ce texte, le retour des déportés au pays ne fait aucun doute. Parce que le Dieu fidèle ne peut pas abandonner son peuple, donc il le sauvera inévitablement tôt ou tard. Et, à ce moment-là, les autres nations seront témoins de cette œuvre de salut de Dieu et donc elles sauront que Dieu est sauveur, elles mettront leur confiance en lui. Et, ainsi, elles seront sauvées à leur tour.

              C’est le sens de la phrase « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai » : on pourrait traduire : « En toi, mon serviteur, je serai manifesté, reconnu, révélé ». C’est-à-dire ma présence sera manifestée à travers toi. C’est en ce sens-là qu’Israël aura été prophète du salut de Dieu.

              Ce souci du salut de toutes les nations est dit très fortement dans ce texte, comme une sorte de parallèle (on dit une inclusion) au début et à la fin. Pour commencer, le prophète s’adresse à elles dès les premiers mots : « Écoutez-moi, îles lointaines ! Peuples éloignés, soyez attentifs ! » Et, à la fin de ce passage, il insiste en précisant au peuple sa vocation : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les rescapés d’Israël : je vais faire de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

Car, Isaïe le sait, le projet de Dieu est un projet de salut, de bonheur, et il concerne l'humanité tout entière « jusqu’aux extrémités de la terre ».

Dernière remarque : être lumière pour les nations, être l’instrument de Dieu « pour que son salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre », c’était exactement la vocation du Messie, telle qu’on l’entrevoyait depuis des siècles ; seulement ici, le Messie n’est pas présenté comme un roi ; il est présenté comme un serviteur, ce qui n’est pas la même chose ! Cela veut dire qu’avec Isaïe au temps de l’Exil à Babylone, au moment où justement, on n’a plus de roi, l’attente du Messie prend désormais un autre visage.

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Compléments

 - Voir Ga 1, 15 : « celui qui m'a mis à part depuis le sein de ma mère et m'a appelé par sa grâce… »

- C’est la première fois que la parole de Dieu (ou de son prophète) est comparée à une épée tranchante, mais, par la suite, cette image a été reprise plusieurs fois : dans le livre de la Sagesse (Sg 18, 15), dans la lettre aux Hébreux (He 4, 12) et deux fois dans l’Apocalypse (Ap 1, 16 ; 19, 15).

He 4,12 : « Vivante, en effet, est la parole de Dieu, énergique et plus tranchante qu'aucun glaive à double tranchant. Elle pénètre jusqu'à diviser âme et esprit, articulations et moelles. Elle passe au crible les mouvements et les pensées du cœur. »

 - «  Tu es mon serviteur, Israël, en toi je me glorifierai » : C’est une nouvelle théologie qui est dite là par Isaïe, dans cette phrase. Cette théologie qui apparaît ici sera reprise à l’avenir par d’autres prophètes.

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PSAUME  138 ( 139 ), 1-3a, 13-14b, 14c-15

Le commentaire de ce psaume a été complètement remanié pour l’émission 2018

Ci-dessous, je donne d’abord celui-ci (2018) ; puis ensuite (pour ceux que cela intéresse)  le commentaire d’une année ancienne où j’avais replacé les quelques versets du jour dans l’ensemble du psaume 138/139. Pour cette année 2018, j’ai préféré me focaliser sur les quelques versets retenus par la liturgie du jour.

 

1                Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais :
2                tu sais quand je m'assois, quand je me lève ;
                  de très loin, tu pénètres mes pensées ;
3                tous mes chemins te sont familiers.

13              C'est toi qui as créé mes reins,    
                  tu m'as tissé dans le sein de ma mère.
14              Je reconnais devant toi le prodige,         
                  l'être étonnant que je suis.

                  Étonnantes sont tes œuvres,       
                  toute mon âme le sait.
15              Mes os n'étaient pas cachés pour toi       
                  quand j'étais façonné dans le secret.

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PSAUME  138 ( 139 ), 1-3a, 13-14b, 14c-15 (commentaire 2018)

LE MYSTÈRE DE L’ÉLECTION D’ISRAËL

On peut, bien sûr, imaginer que Jean-Baptiste a fait cette expérience mystique décrite par ce psaume : celle de la présence permanente, douce et irrésistible de son Dieu ; mais, encore une fois, le psaume n’a pas été écrit pour un homme particulier, fût-il Jean-Baptiste.

Car, ici, dans le psaume 138/139, une fois de plus, c’est le peuple d’Israël tout entier qui parle. Lui qui ne conçoit nul orgueil mais infinie reconnaissance de l’œuvre de Dieu à son égard. Jérémie le dit très bien : « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier » (Jr 18, 6).

« Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais : tu sais quand je m'assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées ; tous mes chemins te sont familiers. » Le nom même de Dieu, SEIGNEUR (YHVH) révélé à Moïse promettait cette vigilance ; depuis toujours Dieu a conduit ce petit peuple ; il a commencé par le faire naître : « C’est toi qui as créé mes reins, tu m’as tissé dans le sein de ma mère… Mes os n'étaient pas cachés pour toi quand j'étais façonné dans le secret. » Plus tard, Osée commentait : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Égypte j’ai appelé mon fils... C’est moi qui avais appris à marcher à Éphraïm, les prenant par le bras... Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. » (Os 11, 1... 4).

Ce lien très privilégié entre Dieu et le peuple d’Israël a pris au cours du temps le nom d’élection, au sens de choix délibéré : « Tu es un peuple consacré au SEIGNEUR ton Dieu : c’est toi qu’il a choisi pour être son peuple, son domaine particulier parmi tous les peuples de la terre.  C’est uniquement à tes pères que le SEIGNEUR ton Dieu s’est attaché par amour. Après eux, entre tous les peuples, c’est leur descendance qu’il a choisie, ce qu’il fait encore aujourd’hui avec vous » (Dt 7,6 ; 10,15).

À l’origine, dans la pensée d’Israël, cela n’excluait pas que d’autres peuples aient leurs propres dieux protecteurs. Israël n’était pas encore monothéiste : il était « monolâtre » (on dit également « hénothéiste ») c’est-à-dire qu’il ne rendait de culte qu’à un seul Dieu, le Dieu du Sinaï, celui qui l’avait libéré d’Égypte. Il ne devint réellement « monothéiste » que pendant l’Exil à Babylone (au sixième siècle avant notre ère). Ce fut alors un nouveau saut dans la foi, la découverte de l’universalisme : si Dieu était le Dieu unique, alors, il était également celui de tous les peuples.

 

UNE ÉLECTION QUI EST UNE MISSION

L’élection d’Israël n’était pas dénoncée pour autant et l’on trouve sous la plume du prophète Isaïe des phrases magnifiques en ce sens : « Toi, Israël, mon serviteur, Jacob que j’ai choisi, descendance d’Abraham mon ami : aux extrémités de la terre je t’ai saisi, du bout du monde je t’ai appelé ; je t’ai dit : Tu es mon serviteur, je t’ai choisi, je ne t’ai pas rejeté. Ne crains pas : je suis avec toi ; ne sois pas troublé : je suis ton Dieu. Je t’affermis ; oui, je t’aide, je te soutiens de ma main victorieuse. » (Is 41,8-10). C’est le même Isaïe qui sut faire comprendre à ses contemporains que leur élection prenait désormais un autre visage, celui d’une vocation au service des autres peuples : être auprès d’eux le témoin de Dieu. C’est le sens, entre autres des quatre textes que l’on appelle « Les Chants du Serviteur  » : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. » (Is 49,6).

Car si Dieu a fait des prodiges en faveur de son peuple (« Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. »), c’est pour que toute l’humanité en profite.

Cette vocation est exigeante, on ne le sait que trop. On en devine le poids derrière des versets comme celui-ci  : « Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais : tu sais quand je m’assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées. » Impossible d’échapper à l’exigence et au regard perspicace de Dieu. Affronté à l’idolâtrie, le peuple a continuellement dû choisir le rude chemin de la fidélité.

C’est le sort de tout prophète, peut-être, et Israël a souvent médité l’expérience de Jérémie qui est un bon exemple sur ce point ; on trouve chez lui exactement les mêmes accents : il a connu cette présence de Dieu dès l’enfance : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, avant que tu ne sortes de son ventre, je te connaissais. » (Jr 1, 5). Mais il a aussi connu la solitude et l’incompréhension ; devant l’insuccès de sa prédication, il en appelle au jugement de Dieu : « Toi, SEIGNEUR, tu es juste ! Mais je veux quand même plaider contre toi...  Toi, SEIGNEUR, tu me connais, tu me vois et tu examines mes pensées : elles sont avec toi. »  (Jr 12, 3).

Jean-Baptiste a certainement connu cette expérience forte et douce à la fois : de l’émerveillement d’être choisi pour être serviteur de Dieu mais aussi des exigences rudes parfois que cela comporte inévitablement.

Car, dans la Bible, jamais aucune vocation, aucun appel n’est pour l’intérêt égoïste de celui qui est appelé. C’est même l’un des critères d’une vocation authentique : toute vocation est toujours pour une mission au service des autres. Celle de Jean-Baptiste, on la connaît : annoncer celui qui était plus grand que lui, puis le jour venu, s’effacer, lui qui disait : « Il faut qu’il croisse et que je diminue ».

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PSAUME  138 ( 139 ), 1-3a, 13-14b, 14c-15 (ancien commentaire)

 

              On peut, bien sûr, imaginer que Jean-Baptiste a fait cette expérience mystique décrite par ce psaume : celle de la présence permanente, douce et irrésistible de son Dieu ; mais, encore une fois, le psaume n’a pas été écrit pour un homme particulier, fût-il Jean-Baptiste. Nous commencerons donc par là. Il y a peut-être bien plusieurs manières de lire ce psaume 138/139 : le découpage liturgique en a privilégié une, évidente, qui est l’admiration du croyant pour la Création. « Étonnantes sont tes œuvres, toute mon âme le sait. » On entend résonner ici le psaume 8, tout aussi émerveillé : « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme (pour) que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ; tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toutes choses à ses pieds. » Nous sommes bien ici dans la même veine : « Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. » Oui, mais... Il y a plus grand encore que la création de l’homme ; il y a la création du peuple : car, ici, dans le psaume 138/139, une fois de plus, il s’agit du peuple d’Israël tout entier. Lui qui ne conçoit nul orgueil mais infinie reconnaissance de l’œuvre de Dieu à son égard. Jérémie le dit très bien : « Vous êtes dans ma main, gens d’Israël, comme l’argile dans la main du potier » (Jr 18, 6) ; l’image du potier étant, pour Jérémie, comme on sait, l’image privilégiée du créateur.

              À lire donc, ce psaume, de cette deuxième manière, c’est-à-dire comme l’histoire du peuple, alors tous les versets s’agencent de façon lumineuse. Mais il faut déborder le découpage liturgique ; c’est ce que nous allons faire ici ; à commencer par un verset que nous connaissons bien et qui est peut-être la clé de l’ensemble : « Ta main me conduit, ta droite me saisit, tu as posé sur moi ta main. » Le nom même de Dieu (YHVH) révélé à Moïse promettait cette vigilance ; depuis toujours Dieu a conduit ce petit peuple ; il a commencé par le faire naître, disions-nous : « C’est toi qui as créé mes reins, tu m’as tissé dans le sein de ma mère. » Plus tard, Osée commentait : « Quand Israël était jeune, je l’ai aimé et d’Égypte j’ai appelé mon fils... C’est moi qui avais appris à marcher à Éphraïm, les prenant par le bras... Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. » (Os 11, 1... 4).

              Cette présence de Dieu ne s’est jamais démentie : le verset 5 (« Tu me devances et me poursuis, tu m’enserres, tu as mis la main sur moi ») est la reconnaissance que, depuis toujours, Dieu connaît, Dieu accompagne l’histoire de son peuple ; l’opposition « tu me devances, tu me poursuis » figurant l’avenir et le passé. Autre manifestation de la présence de Dieu, la colonne de feu qui n’abandonna jamais le peuple dans sa marche difficile ; et cela nous vaut un autre verset merveilleux « la ténèbre n’est pas ténèbre devant toi, la nuit comme le jour est lumière » (v. 12). Dans tout ceci, Dieu poursuivait un projet, on le sait bien, un projet qui nous dépasse : « Que tes pensées sont pour moi difficiles, Dieu, que leur somme est imposante ! » (v. 17). Il faut citer ici le psaume 39/40 : « Qu’ils sont grands, Seigneur mon Dieu, les projets et les miracles que tu as faits pour nous ! Tu n’as pas d’égal. Je voudrais l’annoncer, le répéter, mais il y en a trop à dire. » (Ps 39/40, 6). Car si Dieu a fait des prodiges en faveur de son peuple (« Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis. »), c’est pour que toute l’humanité en profite.

              Et on se souvient que le geste de poser la main (v. 5) est un geste de consécration ; c’est dire la vocation d’Israël. Cette vocation qui consiste à témoigner du Dieu unique au milieu des nations. Comme le disait André Chouraqui : « Le peuple de l’Alliance est destiné à devenir le futur instrument de l’Alliance des peuples. »

              Cette vocation est exigeante, on ne le sait que trop. On en devine le poids derrière des versets comme celui-ci  : « Tu me scrutes, SEIGNEUR, et tu sais : tu sais quand je m’assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées. » Impossible d’échapper à l’exigence et au regard perspicace de Dieu. Affronté à l’idolâtrie, le peuple a continuellement dû choisir le rude chemin de la fidélité. C’est le sort de tout prophète, peut-être, et Israël a souvent médité l’expérience de Jérémie qui est un bon exemple sur ce point ; on trouve chez lui exactement les mêmes accents : il a connu cette présence de Dieu dès l’enfance : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, avant que tu ne sortes de son ventre, je te connaissais. » (Jr 1, 5). Mais il a aussi connu la solitude et l’incompréhension ; devant l’insuccès de sa prédication, il en appelle au jugement de Dieu : « Toi, SEIGNEUR, tu es juste ! Mais je veux quand même plaider contre toi...  Toi, SEIGNEUR, tu me connais, tu me vois et tu examines mes pensées : elles sont avec toi. »  (Jr 12, 3) :  chez Jérémie, ce n’est  plus seulement de l’émerveillement, c’est une plaidoirie, manière de dire à Dieu : « Reconnais que je te suis resté fidèle ».

         Jean-Baptiste a certainement connu cette expérience forte et douce à la fois : de l’émerveillement d’être choisi pour être serviteur de Dieu mais aussi des exigences rudes parfois que cela comporte inévitablement. Il a certainement dit plus d’une fois les derniers versets de ce psaume qui sont une prière pour la persévérance, et que nous pouvons faire nôtre à notre tour : « Dieu ! scrute-moi et connais mon cœur ; éprouve-moi et connais mes soucis. Vois donc si je prends le chemin périlleux, et conduis-moi sur le chemin de toujours. »

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LECTURE DU LIVRE DES ACTES DES APÔTRES 13, 22 - 26

 

              En ces jours-là,
              dans la synagogue d’Antioche de Pisidie,          
              Paul disait aux Juifs :
22          « Dieu a, pour nos pères, suscité David comme roi,       
              et il lui a rendu ce témoignage :   
              J’ai trouvé David, fils de Jessé,   
              c’est un homme selon mon cœur  
              qui réalisera toutes mes volontés.
23          De la descendance de David,      
              Dieu, selon la promesse,
              a fait sortir un sauveur pour Israël ;         
              c’est Jésus,
24          dont Jean le Baptiste a préparé l’avènement       
              en proclamant avant lui un baptême de conversion        
              pour tout le peuple d’Israël.
25          Au moment d’achever sa course, 
              Jean disait :           
              Ce que vous pensez que je suis,   
              Je ne le suis pas.    
              Mais le voici qui vient après moi, 
              et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds.
26          Vous, frères, les fils de la lignée d’Abraham,     
              et ceux parmi vous qui craignent Dieu,   
              c’est à nous que la parole de salut a été envoyée. »
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QUAND PAUL BROSSE LA LONGUE HISTOIRE DU SALUT

         Ceci se passe au cours du premier voyage missionnaire de Paul en Anatolie, plus précisément à Antioche de Pisidie, c’est-à-dire à peu près exactement au centre de ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie.

         Paul et Barnabé se rendent à la synagogue le samedi matin pour la célébration du shabbat ; la célébration se déroule comme d’habitude : il y a des prières, des psaumes, et des lectures. Et, comme d’habitude, également, lorsqu’il y a des hôtes de passage, les responsables de la synagogue leur proposent de prendre la parole.1

         Alors, Paul prend la parole, effectivement, car il a vraiment quelque chose à dire, on s’en doute, mais ce n’est peut-être pas ce qu’attendaient les chefs de la synagogue ! Car Paul entreprend aussitôt un grand discours pour expliquer que Jésus de Nazareth est le Messie qu’on attendait.

         Malheureusement, aujourd’hui, nous n’avons entendu qu’une partie de sa démonstration : je vous résume l’ensemble. Il brosse une grande fresque du projet de Dieu, depuis Abraham jusqu’à Jésus. Il raconte le séjour de son peuple en Égypte, et le miracle de la sortie d’Égypte ; puis le séjour au désert pendant quarante ans et l’entrée en terre promise ; il rappelle la période des Juges puis la naissance de la monarchie. C’est ici que commence notre lecture d’aujourd’hui : « Dieu a, pour nos pères, suscité David comme roi ».

         J’ai dit : « Paul raconte » ; mais en fait, il fait beaucoup plus que raconter comme s’il s’agissait tout simplement de rappeler une histoire passée. En réalité, Paul choisit ses mots très soigneusement pour évoquer ce qui fait la mémoire de ce peuple, la foi de ce peuple. Car la foi d’Israël est d’abord et avant tout la mémoire de l’œuvre de Dieu depuis les origines, la mémoire de la sollicitude de Dieu pour son peuple. Chacune des phrases de Paul fait partie des professions de foi habituelles qu’on se répète en famille et dans les célébrations. Par exemple, pour dire la sortie miraculeuse d’Égypte, le fameux soir du passage de la mer, Paul emploie l’expression « À la force de son bras, Dieu les a fait sortir d’Égypte. » Pour nous, cela ne signifie peut-être rien d’extraordinaire, mais pour tout Juif, cela évoque aussitôt les récits épiques de cette sortie et le fameux cantique de Moïse et de Myriam. Et, à ce moment-là, chacun dans l’assistance, est plein d’émotion et de reconnaissance pour la sollicitude extraordinaire que Dieu a déployée pour son peuple à chacune des étapes de cette longue histoire.

         Arrivé à David, Paul emploie également une expression très particulière : « Dieu a, pour nos frères, suscité David comme roi, et il lui a rendu ce témoignage : J’ai trouvé David, fils de Jessé ; c’est un homme selon mon cœur qui réalisera toutes mes volontés. »

Pour tous les assistants, cela rappelle d’abord le choix de David, huitième fils de Jessé, par le prophète Samuel, au grand étonnement de tout le monde. Mais c’était le choix de Dieu car David n’était pas comme ses sept frères, il était, lui, un homme « selon le cœur de Dieu ». Et la phrase suivante : « Il réalisera toutes mes volontés » est le rappel de la fameuse promesse faite à David ; lorsque le jeune roi avait pensé à construire à Jérusalem un temple pour l’arche d’Alliance, Dieu lui avait fait savoir par le prophète Natan que ce n’était pas son affaire ; Dieu ne lui avait rien demandé.

« DE LA DESCENDANCE DE DAVID, DIEU A FAIT SORTIR UN SAUVEUR POUR ISRAËL »

En revanche, dans le même temps, le prophète avait annoncé à David : « C’est moi, Dieu, qui te construirai une maison » au sens de dynastie. Et, peu à peu, au long des siècles, on avait compris que la fidélité de Dieu à cette dynastie se réaliserait un jour pleinement par la venue au monde d’un roi qui apporterait enfin à tous et à chacun la paix, la justice, le bonheur. Ce roi idéal, on l’appelait le Messie. « Il réalisera toutes mes volontés », cela veut dire : par lui, par sa dynastie, s’accomplira ma volonté de salut.

         Voilà où Paul veut en venir ; il continue : « De la descendance de David, Dieu, selon la promesse, a fait sortir un sauveur pour Israël : c’est Jésus. » Le but de ce long discours de Paul, de cette grande rétrospective, c’est de replacer la venue du Messie-Jésus dans l’ensemble du grand projet de Dieu ; car c’est le meilleur argument pour convaincre ses contemporains. Ils ne pourront croire en Jésus de Nazareth et devenir Chrétiens que s’ils sont convaincus que Jésus accomplit vraiment ce qu’on appelle les Écritures, c’est-à-dire le projet de Dieu, les promesses de Dieu.

         Paul sait bien que c’est une réelle difficulté pour ses contemporains, comme cela a été pendant longtemps une difficulté pour lui-même ; c’est pour cela qu’il prend grand soin d’évoquer à chaque instant le long déroulement du projet de Dieu dans l’histoire de son peuple. Dans ce long cheminement de l’histoire du salut, Jean-Baptiste a sa place : Paul dit : « Le sauveur pour Israël, c’est Jésus dont Jean-Baptiste a préparé l’avènement en proclamant avant lui un Baptême de conversion pour tout le peuple d’Israël. »

         La vocation de Jean-Baptiste est donc claire : il a été le « Précurseur », l’annonciateur ; et Paul rappelle la phrase de Jean-Baptiste : « Ce que vous pensez que je suis, (c’est-à-dire le Messie), Je ne le suis pas. Mais le voici qui vient après moi, et je ne suis pas digne de retirer les sandales de ses pieds. »

           Pour finir, rendons à Jean-Baptiste l’hommage que Jésus lui-même lui a rendu en public : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? Un roseau agité par le vent ? Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu d’habits élégants ? Mais ceux qui sont vêtus d’habits somptueux et qui vivent dans le luxe se trouvent dans les palais des rois. Alors, qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le déclare, et plus qu’un prophète. Il est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager en avant de toi ; il préparera ton chemin devant toi. Je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, aucun n’est plus grand que Jean. » (Lc 7, 24-28).

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Note

1 - C’est ce qui s’est passé pour Jésus, on s’en souvient, à la synagogue de Nazareth, quelques années plus tôt ; Luc 4. Luc raconte : « Après la lecture de la Loi et des prophètes, les chefs de la synagogue envoyèrent quelqu’un pour leur dire : Frères, si vous avez un mot d’exhortation pour le peuple, prenez la parole. »

Complément

- Nous sommes ici à Antioche de Pisidie ; un peu plus tard, à Éphèse, Paul fera cette même mise au point : « Jean donnait un baptême de conversion et il demandait au peuple de croire en celui qui viendrait après lui, c’est-à-dire en Jésus. » (Ac 19,  4).

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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT LUC 1, 57 - 66. 80

 

57           Quand fut accompli le temps où Élisabeth devait enfanter,       
               elle mit au monde un fils.
58           Ses voisins et sa famille apprirent
               que le Seigneur lui avait montré la grandeur de sa miséricorde, 
               et ils se réjouissaient avec elle.
59           Le huitième jour, ils vinrent pour la circoncision de l'enfant.     
               Ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père.
60           Mais sa mère prit la parole et déclara :     
               « Non, il s’appellera Jean. »
61           On lui dit :
               « Personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! »
62           On demandait par signes au père comment il voulait l’appeler.
63           Il se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit :          
               « Son nom est Jean. »       
               Et tout le monde en fut étonné.
64           À l’instant même sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia :           
               il parlait et il bénissait Dieu.
65           La crainte saisit alors tous les gens du voisinage,
               et, dans toute la région montagneuse de Judée
               on racontait tous ces événements.
66           Tous ceux qui les apprenaient
               les conservaient dans leur cœur et disaient :
               « Que sera donc cet enfant ? »
               En effet, la main du Seigneur était avec lui.
80           L'enfant grandissait          
               et son esprit se fortifiait.
               Il alla vivre au désert
               jusqu'au jour où il se fit connaître à Israël.
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L’HISTOIRE DE LA LONGUE MISÉRICORDE DE DIEU POUR SON PEUPLE

         Dès les premières lignes de son évangile, Luc prévient son lecteur supposé, Théophile, qu’il entreprend un récit ordonné des événements ; effectivement, les deux premiers chapitres, dont nous lisons un extrait ce dimanche, sont particulièrement structurés : deux annonciations (l’ange Gabriel chez Zacharie, puis chez Marie), deux naissances (celle de Jean-Baptiste, celle de Jésus), deux circoncisions. Le tout émaillé de trois discours, ou plutôt trois cantiques d’action de grâces, le Magnificat (chant de Marie), le Bénédictus (celui de Zacharie), et le « Nunc dimittis » (celui de Syméon : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix »). Clairement, Luc nous propose de faire un parallèle entre Jean-Baptiste et Jésus.

         Ces deux naissances qui pourraient bien n’avoir d’autre portée que familiale sont en réalité l’accomplissement des grandes promesses de Dieu pour l’humanité : avant même que les trois cantiques ne le proclament, tous les détails du texte et le vocabulaire choisi par Luc nous mènent à cette découverte.

         Tout avait commencé par l’annonce à Zacharie, dont le nom, ne l’oublions pas, signifie « Dieu se souvient ». Alors qu’il officiait à l’intérieur du temple de Jérusalem, l’ange Gabriel lui annonce la naissance prochaine d’un fils : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta prière a été exaucée. Ta femme Élisabeth t’enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jean. » Cette annonce avait de quoi surprendre Zacharie, car non seulement, lui et sa femme, Élisabeth, avaient largement passé l’âge d’avoir des enfants, mais, de surcroît, l’ange précisait que le garçon serait porteur d’une vocation exceptionnelle : « Il sera grand devant le Seigneur... Il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère. Il ramènera beaucoup de fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; et il marchera par-devant sous le regard de Dieu, avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener le cœur des pères vers leurs enfants. » Zacharie qui était prêtre reconnaissait probablement là les expressions mêmes du prophète Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères... » (Ml  3, 23-24).

         Mais l’homme est libre ; tout ceci était très cohérent, mais encore fallait-il faire confiance à l’ange et à travers lui, à la parole de Dieu ; moins bien inspiré que ne le sera Marie, quelque temps plus tard, Zacharie demande une preuve : « À quoi le saurai-je ? Car je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge. » L’ange lui répond : « Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu. J’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. » Et vous savez que, de ce jour, Zacharie s’est retrouvé muet, incapable d’annoncer la bonne nouvelle en laquelle il n’avait pas su croire.

         Tout ceci explique le texte d’aujourd’hui : « Quand arriva le moment où Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils. Ses voisins et sa famille apprirent que le Seigneur lui avait prodigué sa miséricorde, et ils se réjouissaient avec elle. » La miséricorde dont parlent les voisins, c’est une naissance accordée à une femme stérile. Mais Luc nous invite à replacer cet événement dans la longue miséricorde de Dieu pour son peuple : le même mot  (« eleos » qui veut dire miséricorde, bonté, amour, tendresse) revient quatre fois dans les cantiques de Zacharie et de Marie : « Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (1, 50) ; « il se souvient de son amour » (1, 54) ; « Il a montré sa miséricorde envers nos pères » (1, 72) ; « Telle est la tendresse du cœur de notre Dieu » (1, 78).

         Arriva le jour où l’enfant devait être circoncis et où il devait recevoir son nom : deux coutumes qui inscrivent le nouveau-né dans la longue suite des fidèles de l’Alliance conclue par Dieu avec Abraham. Voici ce que Dieu avait dit au patriarche : « Toi, tu garderas mon alliance, et après toi, les générations qui descendront de toi. Voici mon alliance que vous garderez entre moi et vous, c’est-à-dire ta descendance après toi : tous vos mâles seront circoncis... ce qui deviendra le signe de l’alliance entre moi et vous. Seront circoncis à l’âge de huit jours tous vos mâles de chaque génération. (Gn 17, 9-12). Et on sait l’importance que revêt pour l’homme biblique l’imposition du nom ; quand Dieu donne lui-même un nom, c’est pour une révélation et une mission : le nom de Jean (« Yo-hanan ») avait été précisé par l’ange et signifiait « Dieu a fait grâce ». Zacharie, toujours privé de la parole, en est réduit à communiquer par écrit ; mais à peine a-t-il accompli cet acte de foi, il retrouve la parole et se met à chanter ce que nous appelons le « Benedictus ». Notre lecture de ce dimanche l’annonce seulement : « Zacharie se fit donner une tablette sur laquelle il écrivit : Son nom est Jean. Et tout le monde en fut étonné. À l’instant même sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia : il parlait et il bénissait Dieu. »

         « Et tout le monde en fut étonné », dit Luc : il emploie ici un mot (« Thaumazô ») qui traduit plutôt l’émerveillement ; on le retrouve à plusieurs reprises dans ce même évangile pour exprimer le sentiment de spectateurs mis en présence de quelque chose qui dépasse leur entendement, particulièrement devant les événements qui paraissent avoir une dimension divine ; ce mot apparaît plusieurs fois accompagné du mot « crainte ». Par exemple, lors de la tempête apaisée « Saisis de crainte, ils s’émerveillèrent et ils se disaient entre eux : Qui donc est-il pour qu’il commande même aux flots et qu’il lui obéissent ? » (Lc 8, 25) ; ici, on trouve également, un peu plus bas, le mot « crainte » : « La crainte saisit alors les gens du voisinage, et dans toute la montagne de Judée on racontait tous ces événements. Tous ceux qui les apprenaient en étaient frappés. » En réalité, il faudrait traduire « Tous ceux (les gens du voisinage) qui les apprenaient les écoutaient dans leur cœur ». Cette insistance sur l’écoute du cœur est intéressante, en regard du manque de foi de Zacharie : manière de nous dire que les petits sont ceux qui accueillent le plus facilement l’évangile.

 

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, année liturgique B, Nativité de saint Jean Baptiste (24 juin 2018)

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