Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 juin 2023 1 19 /06 /juin /2023 15:02
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE JÉRÉMIE   20,10-13

     Moi Jérémie,
10 j’entends les calomnies de la foule :
     « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer,
     celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. »
     Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent :
     « Peut-être se laissera-t-il séduire...
     Nous réussirons,
     et nous prendrons sur lui notre revanche ! »
11 Mais le SEIGNEUR est avec moi, tel un guerrier redoutable :
     mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas.
     Leur défaite les couvrira de honte,
     d’une confusion éternelle, inoubliable.
12 SEIGNEUR de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste,
     toi qui vois les reins et les cœurs,
     fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras,
     car c’est à toi que j’ai remis ma cause.
13 Chantez le SEIGNEUR, louez le SEIGNEUR :
     il a délivré le malheureux de la main des méchants.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LES CONFIDENCES DE JÉRÉMIE 

Ce passage fait partie de ce qu’on appelle les « Confessions de Jérémie », on pourrait dire les « Confidences de Jérémie » ; là il dévoile le plus intime de lui-même : et les quelques lignes d’aujourd’hui nous résument bien ses sentiments ; sa vie est un continuel paradoxe : ce qui fait sa joie la plus profonde, sa raison de vivre, son assurance... est aussi la source de toutes ses souffrances ; c’est la Parole de Dieu. Elle n’est pas nommée ici mais elle est sous-entendue. C’est parce qu’il proclame la Parole de Dieu « à temps et à contre-temps » (comme dit saint Paul) qu’il est persécuté ; mais c’est cette même Parole qui lui donne la force de continuer.

On dit souvent que « Nul n’est prophète en son pays », cela s’applique parfaitement à Jérémie. Il a été un très grand prophète mais c’est seulement après sa mort qu’on s’en est aperçu. De son vivant, sa parole était trop dérangeante. Il précise lui-même très exactement la date de sa prédication : « De la treizième année du règne de Josias jusqu’à la déportation de Jérusalem », ce qui veut dire de 627 à 587 avant J.-C. Quarante années, au cours desquelles il a vu se succéder plusieurs rois à Jérusalem : mais bien peu l’ont écouté

Que lui reprochait-on ? Simplement d’avoir le courage de dire la vérité. Et la vérité n’était pas brillante : du haut en bas de l’échelle sociale, les infidélités à l’Alliance se multipliaient dans tous les domaines. Voici un exemple de sa prédication :

« Ils sont tous adultères, une bande de traîtres (9,1) ... « Du plus petit jusqu’au plus grand, ils sont tous assoiffés de profits ; du prophète jusqu’au prêtre, ils s’adonnent tous au mensonge. » (8,10). Traduisez : la corruption et l’amour de l’argent ont gangrené toute la société ; la religion n’est plus que de façade.

Comme on peut s’y attendre, ce genre de rappels à l’ordre n’est pas du goût de tout le monde. D’autant plus qu’il sait être cinglant : « Un Éthiopien peut-il changer de peau, une panthère, changer de pelage ? Et vous pourriez faire le bien, vous, les habitués du mal ? » (Jr 13,23). Où l’on voit qu’il a le sens des formules. Il passe donc une bonne partie de sa vie à hurler, provoquer, injurier. Il fait aussi quelquefois des choses étranges pour alerter le roi, la cour, les prêtres, tous les responsables qui entraînent le peuple vers sa ruine.

LE COURAGE DE LA VÉRITÉ

Sur le plan politique, il essaie d’ouvrir les yeux de ses compatriotes et ose prédire ce qui est l’évidence, à savoir que Nabuchodonosor ne fera bientôt qu’une bouchée de la ville de Jérusalem. Et, pour se faire comprendre, il accomplit un geste spectaculaire : il casse en public une cruche toute neuve sortant de la main du potier pour annoncer le sort qui attend Jérusalem : elle va être réduite en miettes (Jr 19,1-11).

Mais, au lieu de l’écouter, on l’accuse de complot avec l’ennemi : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, on le sait bien.

En lisant le livre de Jérémie, on pense inévitablement à cette phrase du psaume 68/69 : « Le zèle de ta maison me dévorera » (que saint Jean a citée bien plus tard à propos de Jésus) ; elle résume tout-à-fait bien la vie de Jérémie ; mais rien ni personne n’a pu le détourner de sa mission. On peut se demander quel fut son secret : la conscience d’être en mission, tout simplement. Et les croyants savent que Dieu leur donnera toujours les forces nécessaires à l’accomplissement de celle qui est la leur. Il suffit d’aller à la source.

Le deuxième secret est là : Jérémie se savait trop petit pour la tâche, et ne cherchait donc pas ses forces en lui-même, mais en Dieu.

« Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » disait Paul (2 Co 12,10) : c’est-à-dire « lorsque j’expérimente et reconnais ma propre faiblesse, je vais chercher la force où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu ». De fait, Jérémie a expérimenté la présence de Dieu au cœur de toutes ses épreuves : « Je suis avec toi pour te délivrer », lui avait-il promis, au jour de sa vocation (Jr 1,19).

Reste cette prière étonnante du prophète : « SEIGNEUR, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause. » Cela m’inspire trois remarques : premièrement, le désir de revanche est bien humain et le prophète reste un homme comme les autres ; sa mission particulière ne le rend pas insensible ou surhumain. Deuxièmement, il ne cherche pas à prendre sa revanche lui-même, il s’en décharge sur Dieu ; c’est déjà un progrès par rapport à la vengeance directe. L’idéal du pardon de toutes les offenses sans condition n’est apparu que plus tard en Israël, dans la prédication du deuxième Isaïe. Troisièmement, au-delà d’une revanche personnelle, ce qu’il appelle de tous ses vœux, c’est le triomphe de la vérité. Comme tout vrai prophète, il sait déjà que l’amour de Dieu sera plus fort que tout, et parviendra un jour à supprimer tout mal de la terre. C’est cela qu’il appelle la « revanche » de Dieu, le triomphe éternel de Dieu sur les forces du mal..
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

PSAUME 68 (69)

8       C'est pour toi que j'endure l'insulte,
         que la honte me couvre le visage :
9       je suis un étranger pour mes frères,
         un inconnu pour les fils de ma mère.
10     L'amour de ta maison m'a perdu ;
         on t'insulte et l'insulte retombe sur moi

14     Et moi je te prie, SEIGNEUR :
         c'est l'heure de ta grâce ;
         dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi,
         par ta vérité sauve-moi.
17     Réponds-moi, SEIGNEUR,
         car il est bon, ton amour ;
         dans ta grande tendresse, regarde-moi.

33     Les pauvres l'ont vu, ils sont en fête :
         « Vie et joie à vous qui cherchez Dieu ! »
34     Car le SEIGNEUR écoute les humbles,
         il n'oublie pas les siens emprisonnés.
35     Que le ciel et la terre le célèbrent,
         les mers et tout leur peuplement !         
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

L’AMOUR DE TA MAISON M’A PERDU

C’est bien parce que le psalmiste est convaincu que « Le SEIGNEUR écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés » qu’il ose dire tout ce qui précède. Car ce psaume est justement le cri de détresse d’un malheureux, d’un humilié, peut-être d’un emprisonné. Apparemment, il s’agit d’un croyant persécuté pour sa foi, puisqu’il dit : « C’est pour toi (sous-entendu toi-Dieu) que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage… L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte et l’insulte retombe sur moi ».

La persécution est malheureusement une situation bien connue en Israël : d’une part, les prophètes ont tous été persécutés au sein même de leur peuple : ce fut le cas avec Jérémie (nous l’entendons dans la première lecture de ce dimanche), et on en dirait autant de tous les autres. D’autre part, et surtout, le peuple lui-même a été persécuté par les autres peuples. Si on y réfléchit, il n’est pas étonnant que le peuple choisi par Dieu pour être son prophète subisse le même sort que les prophètes individuels.

Mais pourquoi un prophète ne meurt-il presque jamais dans son lit ? Pourquoi faut-il qu’il subisse la honte et les insultes ? De la même manière Jésus dira : « Il fallait que le Fils de l’homme souffrît... » Pourquoi est-ce inévitable ? Tentons une réponse : on peut dire qu’un prophète est un peu l’interprète de Dieu (on dit qu’il est la « bouche de Dieu »), puisqu’il proclame sa Parole. Or on sait bien que « nos pensées ne sont pas les pensées de Dieu et que ses chemins ne sont pas nos chemins », et qu’il y a la même distance entre nos pensées et celles de Dieu qu’entre la terre et le ciel ! comme dit Isaïe (Is 55,8-9). Si donc le prophète se fait l’écho fidèle des pensées de Dieu, il est sans cesse en contradiction avec à peu près tout le monde ; il est condamné à être sans cesse à contre-courant. Sa parole, parfois sa simple présence, est un appel à la justice, à la sainteté (c’est-à-dire concrètement l’amour des frères), au partage, toutes choses dont nous n’avons guère envie. Écouter de belles paroles, c’est facile, mais les prophètes ne se contentent pas de dire de belles paroles, ils appellent à changer de vie, ce qui est autrement plus dérangeant. La prédication des véritables prophètes ressemble à un projecteur braqué sur les recoins de notre vie et tout spécialement sur notre attitude envers les autres. Dans bien des cas, nous préférons éteindre la lumière.

Par moments, cette hostilité submerge le prophète : Moïse a eu ses moments de découragement ; Élie a supplié de mourir ; Jérémie a regretté d’être né ; voici quelques lignes de lui qui éclairent la première lecture de ce dimanche : « Maudit soit le jour où je suis né ! Le jour où ma mère m’a enfanté, qu’il ne soit pas béni ! Maudit soit l’homme qui annonça à mon père cette nouvelle qui le combla de joie : « Il t’est né un fils, un garçon !... Maudit soit le jour qui ne m’a pas fait mourir dès le ventre : ma mère serait devenue mon tombeau, et son ventre me porterait toujours. Pourquoi donc suis-je sorti du ventre ? Pour voir peine et tourments, et mes jours s’achever dans la honte ? » (Jr 20,14…18). (Au passage, on ne peut que remarquer la parenté de ce texte avec le livre de Job ; ce qui n’a rien d’étonnant puisque le personnage de Job représente le peuple d’Israël dans ses moments de détresse).

Je reviens à notre psaume : celui qui parle se compare à un noyé qui est en train de perdre pied : il n’a plus la force de remonter ; je vous lis les premiers versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce jour : « Sauve-moi, mon Dieu : les eaux montent jusqu’à ma gorge ! J’enfonce dans la vase du gouffre, rien qui me retienne ; je descends dans l’abîme des eaux, le flot m’engloutit ». (Là on croit entendre les paroles de Jonas).

LE SEIGNEUR ÉCOUTE LES HUMBLES, IL N'OUBLIE PAS LES SIENS EMPRISONNÉS

Mais même au fond du gouffre, un vrai prophète ne perd pas confiance : la Parole qui lui cause tant de malheurs est en même temps son soutien ; et notre psaume, après toute une série de lamentations se transforme en prière pour se terminer en action de grâce, déjà, car il est sûr, malgré tout, d’être exaucé. Commençons par la prière : « Et moi, je te prie, SEIGNEUR, c’est l’heure de ta grâce... Tire-moi de la boue, sinon je m’enfonce : que j’échappe à ceux qui me haïssent, à l’abîme des eaux. Que les flots ne me submergent pas, que le gouffre ne m’avale, que la gueule du puits ne se ferme pas sur moi ». Là on croirait entendre Jérémie en personne, lui qui a été jeté un jour dans un puits pour avoir tenu sur le Temple des propos qui n’ont pas plu : il a osé dire « Est-elle à vos yeux une caverne de bandits, cette Maison sur laquelle mon nom est invoqué ? » (Jr 7,11). 

Entre parenthèses, Jésus a tenu à son tour à peu près les mêmes propos en chassant les vendeurs du Temple et quand saint Jean raconte cet épisode, il cite justement une phrase de notre psaume d’aujourd’hui : « L’amour de de ta maison fera mon tourment. » (Jn 2,17).

Enfin ce psaume se termine par une prière d’action de grâce : c’est une donnée permanente de la prière juive que la supplication et l’action de grâce soient toujours étroitement mêlées. Ici, le psalmiste chante déjà victoire : non seulement lui-même sera sauvé, mais le peuple entendra enfin la voix de son Dieu et le bonheur pour tous pourra s’installer : « Je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce. Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX ROMAINS   5,12-15

     Frères,
12 nous savons que par un seul homme,
     le péché est entré dans le monde,
     et que par le péché est venue la mort ;
     et ainsi, la mort est passée en tous les hommes,
     étant donné que tous ont péché.
13 Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde,
     mais le péché ne peut être imputé à personne
     tant qu’il n’y a pas de loi.
14 Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse,
     la mort a établi son règne,
     même sur ceux qui n’avaient pas péché
     par une transgression semblable à celle d’Adam.
     Or, Adam préfigure celui qui devait venir.
15 Mais il n'en va pas du don gratuit comme de la faute.
     En effet, si la mort a frappé la multitude
     par la faute d’un seul,
     combien plus la grâce de Dieu
     s’est-elle répandue en abondance sur la multitude,
     cette grâce qui est donnée en un seul homme,
     Jésus Christ.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

VIVRE À LA MANIÈRE D’ADAM OU À LA MANIÈRE DE JÉSUS-CHRIST

Paul aborde ici un thème sur lequel il revient souvent : c’est la comparaison entre Adam et Jésus-Christ. Et s’il les compare, c’est pour les opposer. Ce faisant, il n’oppose pas deux individus, mais deux types de comportement. Car Paul ne lit pas le récit de la Genèse comme un récit historique du passé, mais comme une méditation sur la situation humaine de tous les temps ; une méditation sous forme d’image, une sorte de parabole. Le comportement à la manière d’Adam conduit à la mort spirituelle ; le comportement à la manière de Jésus-Christ nous conduit à la vie. Précisons tout de suite que chez saint Paul, comme dans le livre de la Genèse, il s’agit bien de vie et de mort spirituelles, et non pas de vie et de mort biologiques ; quand saint Paul dit « par le péché est venue la mort », il parle de la mort spirituelle ; la mort biologique au terme d’une existence bien remplie ne posait pas de problème aux hommes de la Bible, elle leur paraissait normale.

Je reviens à Adam et Jésus-Christ ; entre ces deux comportements, où est la différence ? Le projet de Dieu, lui, ne change pas ; d’après le livre de la Genèse, Dieu a commandé à l’homme : « Remplissez la terre et soumettez-la. » (Gn 1,28). Le programme est tracé. Donc, quand l’humanité a des rêves fous de puissance, de bonheur, de maîtrise de l’univers, elle ne fait là que répondre à sa vocation ; si Dieu a insufflé ces aspirations en nous, c’est pour les combler ; seulement voilà, lui seul peut le faire.

Le livre de la Genèse, encore, le dit par une image : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec la poussière prise du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7). Vivant non pas seulement au sens biologique, mais vivant de la vie de Dieu : car je note que les animaux qui sont bien vivants, pourtant, n’ont pas en eux ce souffle de Dieu. Voilà le projet de Dieu : faire vivre les hommes de sa vie. Manière de dire que l’homme n’est « un être vivant », pour reprendre l’expression même de la Genèse, que tant qu’il reste suspendu au souffle de Dieu ; cette relation est donc vitale pour nous. Et c’est en vivant de la vie même de Dieu que l’humanité accède peu à peu au destin magnifique prévu pour elle. Quand le serpent tentateur suggère à la femme qu’elle et son mari pourraient « devenir comme des dieux », il ne fait que dire le vrai projet de Dieu. Souhaiter « devenir comme des dieux », ce n’est pas mal en soi : encore une fois, ce désir d’infini qui habite le cœur de l’homme est sain.

Là où le serpent trompe l’homme et la femme, c’est en leur faisant croire qu’ils vont y arriver par leurs propres forces, en désobéissant à Dieu, en chipant le fruit de l’arbre interdit. L’image du texte de la Genèse est très suggestive ; car, en désobéissant à Dieu, l’homme et la femme se détournent de lui et donc coupent eux-mêmes le lien vital qui les rattachait à lui. Désormais, privés du souffle vital de Dieu, ils ne seront plus des vivants spirituellement.

COMPORTEMENTS DE VIE ET COMPORTEMENTS DE MORT

Adam, c’est l’humanité qui cherche sa vie ailleurs qu’en Dieu : évidemment, c’est faire fausse route ! Au lieu de faire confiance à Dieu, l’homme se comporte comme un voleur, il cherche à saisir comme une proie les attributs de Dieu, mais ce faisant, il coupe lui-même la relation vitale qui le rattache à Dieu. C’est de cela qu’il est question quand on parle de « péché mortel » ou de « péché originel qui a entraîné la mort ».

À cette attitude folle, Paul oppose celle du Christ ; comme il le dit dans la lettre aux Philippiens : « Lui qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu ». (Ph 2,6). L’amour de son Père, Jésus le reçoit ; ou, pour le dire autrement, il n’est qu’accueil pour l’amour du Père, il baigne dedans, si l’on peut dire, et c’est pour cela qu’on dit qu’il est sans péché. Comme dit saint Jean « il est plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14). Et, grâce à lui, les Adam que nous sommes, nous pouvons être réintégrés dans l’amour du Père : nous retrouvons là, une fois de plus, ce mystère du Christ, l’Homme-Dieu, pleinement homme, pleinement Dieu. En lui, la relation d’amour est tissée entre Dieu et l’humanité. Il est à la fois Dieu qui attire l’humanité à lui (« Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » ; Jn 12,32) ... et en même temps l’Homme (au sens de l’Humanité) qui se laisse combler par Dieu.

Voilà donc les deux comportements que Paul oppose : ou bien nous acceptons de vivre suspendus au souffle de Dieu, et nous accueillons de lui la relation qui nous fait vivre et grandir spirituellement ; c’est la manière de Jésus-Christ ; ou bien nous voulons chercher notre bonheur en dehors de lui, (c’est ce que Paul appelle la manière d’Adam) et nous récoltons la mort spirituelle, puisque la vie n’est pas en notre pouvoir. Chercher notre bonheur en-dehors de Dieu, c’est un leurre, une folie.

Donc, quand Paul dit : « La grâce de Dieu s’est répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée1 en un seul homme, Jésus-Christ », il veut dire que Jésus-Christ a instauré entre Dieu et nous cette relation d’amour qui est vitale pour nous, et qui nous comble parce que nous sommes faits pour elle. Comme dit saint Augustin « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ». Saint Jean dit la même chose, mais autrement : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Or, en langage biblique, connaître et aimer c’est la même chose. La vie éternelle, celle qui est commencée depuis notre Baptême, c’est donc de vivre dans l’amour de Dieu, tout simplement, dans sa grâce qui nous environne à tout instant.

C’est bien le moment de chanter le psaume de ce dimanche : « Vie et joie à vous qui cherchez Dieu !
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

1 - « La grâce nous a été donnée » (verset 15) : la grâce n'est pas une chose, c'est une relation, la relation d'amour entre Dieu et l'humanité. Il est toujours très difficile de ne pas parler de la grâce comme d'un objet que l'on possède ; et il ne faudrait pas que l’expression « la grâce nous a été donnée » nous pousse à considérer justement la grâce comme un objet qu’on se transmettrait ; ce n’est certainement pas l’idée de Paul : grâce est synonyme d’amour de Dieu et nous savons bien qu’un amour n’est pas un objet, il est la relation qui unit les deux personnes qui s’aiment.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU   10, 26-33

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses Apôtres :
26 « Ne craignez pas les hommes ;
     rien n’est voilé qui ne sera dévoilé,
     rien n’est caché qui ne sera connu.
27 Ce que je vous dis dans les ténèbres,
     dites-le en pleine lumière ;
     ce que vous entendez au creux de l’oreille,
     proclamez-le sur les toits.
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps
     sans pouvoir tuer l’âme ;
     craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne
     l’âme aussi bien que le corps.
29 Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ?
     Or, pas un seul ne tombe à terre
     sans que votre Père le veuille.
30 Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés.
31 Soyez donc sans crainte :
     vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux.
32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes,
     moi aussi je me déclarerai pour lui
     devant mon Père qui est aux cieux.
33 Mais celui qui me reniera devant les hommes,
     moi aussi je le renierai
     devant mon Père qui est aux cieux. »

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

VOUS SEREZ HAÏS DE TOUS À CAUSE DE MON NOM

Il suffit d’entendre l’insistance de Jésus à dire « Ne craignez pas » pour penser que les disciples avaient de bonnes raisons d’être inquiets ! Effectivement, après leur avoir annoncé qu’il les envoyait en mission (c’était notre évangile de dimanche dernier), il ne leur a pas caché que l’entreprise était risquée. Voici, chez saint Matthieu, les phrases qui précèdent notre évangile d’aujourd’hui : « Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups… Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux tribunaux et vous flagelleront dans leurs synagogues. Vous serez conduits devant des gouverneurs et des rois à cause de moi… Vous serez détestés de tous à cause de mon nom. » Et c’est ici que commence notre texte d’aujourd’hui. Jésus poursuit en disant : » Ne les craignez pas... ».

Les apôtres sont donc prévenus et pourtant Jésus les invite à avoir l’audace de témoigner quand même. Son argument pour les encourager, c’est : la Vérité est irrésistible. Rien n’arrêtera la Révélation. « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. »
Tout au long de l’Ancien Testament, Dieu découvre à l’homme ses secrets par la parole des prophètes et la réflexion des sages. Mais toutes ces choses « cachées depuis la fondation du monde » (Mt 13,35 ; Ps 77/78,2) ne deviennent lumineuses qu’au moment de la venue du Christ : c’est ce que dit Paul aux Corinthiens : « Jusqu’à ce jour, en effet, le même voile (qui cachait le visage de Moïse)* demeure quand on lit l’Ancien Testament ; il n’est pas retiré car c’est dans le Christ qu’il disparaît. » (2 Co 3,14). Dans le Christ apparaît en pleine lumière le dessein bienveillant de Dieu : « Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler » (Mt 11,27).

Les disciples, témoins de cette levée du voile, ne peuvent que crier ce qu’ils ont vu, entendu, touché : « Ce qui était depuis le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de Vie... nous vous l’annonçons à vous aussi... et nous écrivons cela afin que notre joie soit parfaite. » (1 Jn 1,1...4). Jean ici parle de la joie de l’apôtre qui se laisse porter par le dynamisme de la Révélation.

Mais comme Jésus le leur avait prédit, il leur a fallu surmonter la persécution, à commencer par celle de leurs frères juifs. Quand Matthieu écrit son évangile, la persécution des chrétiens par les Juifs est une réalité et l’évangile d’aujourd’hui a certainement pour but de fortifier leur détermination. À notre tour, si nous sommes croyants aujourd’hui, c’est bien parce qu’ils ont tenu bon et qu’ils ont surmonté leurs premières craintes.

RIEN NE POURRA NOUS SÉPARER DE L’AMOUR DE DIEU

Jésus leur avait dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la Géhenne l’âme aussi bien que le corps ». En disant « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps », Jésus envisage les périls corporels bien réels auxquels s’exposent les disciples. Ils risquent effectivement la mort : « Le frère livrera son frère à la mort, et le père, son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort » (Mt 10,21). « L’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu. » (Jn 16,2). Le « ne craignez pas » signifie sans doute : « N’ayez pas peur de rester fidèles même au risque de la mort », la mort biologique, s’entend.

La seule crainte autorisée, c’est de manquer à la mission qu’il nous a confiée d’annoncer l’évangile : « Craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la Géhenne l’âme aussi bien que le corps ». C’est-à-dire le Tentateur qui vous poussera à la désertion. Car le mot « périr » vise un autre danger bien plus grave, celui de la mort spirituelle, la rupture avec celui qui est le maître de notre destinée. Il est bien évident que Dieu veut nous garder de ce danger-là. Et, pour encourager ses disciples, Jésus les invite à la confiance ; il leur rappelle qu’ils sont sans cesse dans la main de Dieu : « Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. » Et il continue : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. »

Il s’agit de se déclarer publiquement et en actes, solidaires du Christ ; ne faire qu’un avec lui. Il ne s’agit pas d’un calcul, mais d’une relation d’amour : par notre baptême, nous avons été greffés sur Jésus-Christ, nous sommes inséparables de Lui ; et avec lui, nous demeurons dans l’intimité de la Trinité. Comme le dit saint Paul, « Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le  Christ Jésus notre Seigneur. » (Ro 8,39).

La deuxième phrase « Celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux » dit seulement que nous restons toujours libres de nous éloigner et de dire comme saint Pierre au moment de l’arrestation du Christ : « Je ne connais pas cet homme » (Mt 26,72). Mais nous savons bien que celui qui s’éloigne à la manière de Pierre peut toujours revenir ; et, comme à Pierre, le Christ lui dira simplement « M’aimes-tu ? » (Jn 21,15).
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Note

*Lorsque Moïse descendit du Sinaï, portant les tables de la Loi, après sa rencontre de quarante jours et quarante nuits avec Dieu, son visage rayonnait. Mais son éclat éblouissait les Israélites. Alors, il mit un voile sur son visage. (Ex 34,29-35).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 25 06 2023, 12e dimanche du temps ordinaire A

Partager cet article

Repost0

commentaires