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8 juillet 2007 7 08 /07 /juillet /2007 17:40
Il nous a été annoncé, il y a quelques jours, que le déficit de la Sécu, en 2007, avoisinerait les 12 milliard d'euros (200 euros par Français).
Chaque fois qu'une annonce similaire est faite, ou qu'on nous annonce une diminution des remboursements, une hausse des cotisations, la découverte d'une fraude, etc..., je ne peux m'empêcher de penser avec admiration à Frédéric Bastiat, qui, il y a près de 160 ans, imaginait ce qu'il adviendrait si l'Etat s'avisait de créer la Sécurité Sociale ! Voici ce texte prophétique, extrait des "Harmonies Economiques", au chapitre XIV ("Des salaires") :

" Toujours est-il que j'ai vu surgir spontanément des sociétés de secours mutuels, il y a plus de vingt-cinq ans, parmi les ouvriers et les artisans les plus dénués, dans les villages les plus pauvres du département des Landes.

Le but de ces sociétés est évidemment un nivellement général de satisfaction, une répartition sur toutes les époques de la vie des salaires gagnés dans les bons jours. Dans toutes les localités où elles existent, elles ont fait un bien immense. Les associés s'y sentent soutenus par le sentiment de la sécurité, un des plus précieux et des plus consolants qui puissent accompagner l'homme dans son pèlerinage ici-bas. De plus, ils sentent tous leur dépendance réciproque, l'utilité dont ils sont les uns pour les autres; ils comprennent à quel point le bien et le mal de chaque individu ou de chaque profession deviennent le bien et le mal communs; ils se rallient autour de quelques cérémonies religieuses prévues par leurs statuts; enfin ils sont appelés à exercer les uns sur les autres cette surveillance vigilante, si propre à inspirer le respect de soi-même en même temps que le sentiment de la dignité humaine, ce premier et difficile échelon de toute civilisation.

Ce qui a fait jusqu'ici le succès de ces sociétés, — succès lent à la vérité comme tout ce qui concerne les masses, — c'est la liberté, et cela s'explique.

Leur écueil naturel est dans le déplacement de la Responsabilité. Ce n'est jamais sans créer pour l'avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu'on soustrait l'individu aux conséquences de ses propres actes[5]. Le jour où tous les citoyens diraient: « Nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d'ouvrage, » il serait à craindre qu'on ne vît se développer, à un point dangereux, le penchant naturel de l'homme vers l'inertie, et que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux. Les secours mutuels impliquent donc une mutuelle surveillance, sans laquelle le fonds des secours serait bientôt épuisé. Cette surveillance réciproque, qui est pour l'association une garantie d'existence, pour chaque associé une certitude qu'il ne joue pas le rôle de dupe, fait en outre la vraie moralité de l'institution. Grâce à elle, on voit disparaître peu à peu l'ivrognerie et la débauche, car quel droit aurait au secours de la caisse commune un homme à qui l'on pourrait prouver qu'il s'est volontairement attiré la maladie et le chômage, par sa faute et par suite d'habitudes vicieuses ? C'est cette surveillance qui rétablit la Responsabilité, dont l'association, par elle-même, tendait à affaiblir le ressort.

Or, pour que cette surveillance ait lieu et porte ses fruits, il faut que les sociétés de secours soient libres, circonscrites, maîtresses de leurs statuts comme de leurs fonds. Il faut qu'elles puissent faire plier leurs règlements aux exigences de chaque localité.

Supposez que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu'il s'attribuera. Son premier soin sera de s'emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable[6]. « Car, dira-t-il, n'est-il pas bien naturel et bien juste que l'État contribue à une œuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire ? » Première injustice: Faire entrer de force dans la société, et par le côté des cotisations, des citoyens qui ne doivent pas concourir aux répartitions de secours. Ensuite, sous prétexte d'unité, de solidarité (que sais-je ?), il s'avisera de fondre toutes les associations en une seule soumise a un règlement uniforme.

Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l'institution quand sa caisse sera alimentée par l'impôt; quand nul, si ce n'est quelque bureaucrate, n'aura intérêt à défendre le fonds commun; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un plaisir de les favoriser; quand aura cessé toute surveillance mutuelle, et que feindre une maladie ce ne sera autre chose que jouer un bon tour au gouvernement ? Le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, est enclin à se défendre; mais, ne pouvant plus compter sur l'action privée, il faudra bien qu'il y substitue l'action officielle. Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On verra des formalités sans nombre s'interposer entre le besoin et le secours. Bref, une admirable institution sera, dès sa naissance, transformée en une branche de police.

L'État n'apercevra d'abord que l'avantage d'augmenter la tourbe de ses créatures, de multiplier le nombre des places à donner, d'étendre son patronage et son influence électorale. Il ne remarquera pas qu'en s'arrogeant une nouvelle attribution, il vient d'assumer sur lui une responsabilité nouvelle, et, j'ose le dire, une responsabilité effrayante. Car bientôt qu'arrivera-t-il ? Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu'ils administrent, qu'ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s'accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d'un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la Société. Ils n'admettront pas pour elle l'impossibilité de payer, et ne seront jamais contents des répartitions. L'État se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là, rencontrant l'opposition des commissions de finances, il se trouvera engagé dans des difficultés inextricables. Les abus iront toujours croissant, et on en reculera le redressement d'année en année, comme c'est l'usage, jusqu'à ce que vienne le jour d'une explosion. Mais alors on s'apercevra qu'on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d'un ministre ou d'un préfet même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d'avoir perdu jusqu'à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice. "

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commentaires

T
Oui d'abord songer à abolir le monopole et ensuite privatiser la sécu qui serait bcp mieux gérée et traiterait avec plus d'égards nos artères.
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A
Remarquable esprit visionnaire que celui de Bastiat. Comme pas mal de libéraux, il est et reste ma référence. Dans ce texte, Bastiat met aussi en exergue le piteux niveau de réflexion des Français depuis 150 ans, puisqu'aucun esprit éclairé n'a depuis su, ni pu tirer la sonnette d'alarme et convaincre ses concitoyens du grand péril à collectiviser à l'échelle nationale la protection sociale.Au lieu de cela, nous enchaînons les rustines et autres patchs correctifs sur un système dont les fondements sont mauvais.La Sécu a vécu !
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A
Mr Jallas Je trouve le titre de votre article innaprorié, "Deficit de la secu 12 milliard en 2007" se perd dans les innombrables articles sur le sujet...Un titre comme "Le deficit de la SECU etait deja prevu il y a plus de 150 ans" aurait eté plus accrocheur et plus proche du sujet...En tout cas tres bon article
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T
Très bonne remarque, dont je vous remercie. J'ai complété le titre dans le sens que vous m'avez indiqué.
T
On croirait que le Bastiat a fait un voyage dans le futur aujourd'hui et est revenu 160 ans en arrière pour écrire cela!!<br /> Je n'ai jamais lu Bastiat, je pense que c'est l'original, mais c'est incroyable comment ce type savait analyser le comportement humain et des institutions!!<br /> Si tout le monde pouvait penser comme ça à l'ENA, on en serait pas la aujourd'hui!!
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A
Baleze le Bastiat c'etait un géni !!!!!!!!!C'est incroyable comment il a pu voir si claire il y a 160 ans !!!! sa fait presque froid dans le dos ...
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