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20 septembre 2011 2 20 /09 /septembre /2011 07:43

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Ezéchiel 18, 25 - 28

Parole du SEIGNEUR tout-puissant
Je ne désire pas la mort du méchant,
25 et pourtant vous dites :
« La conduite du SEIGNEUR est étrange. »
Ecoutez donc, fils d'Israël :
est-ce ma conduite qui est étrange ?
N'est-ce pas plutôt la vôtre ?
26 Si le juste se détourne de sa justice,
se pervertit, et meurt dans cet état,
c'est à cause de sa perversité qu'il mourra.
27 Mais si le méchant se détourne de sa méchanceté
pour pratiquer le droit et la justice,
il sauvera sa vie.
28 Parce qu'il a ouvert les yeux,
parce qu'il s'est détourné de ses fautes,
il ne mourra pas, il vivra.

Pour comprendre cette prédication d'Ezéchiel, il faut se rappeler le contexte : Ezéchiel fait partie des habitants de Jérusalem déportés à Babylone par les armées de Nabuchodonosor, en 597 av.J.C. C'est la catastrophe : on a vécu toutes les atrocités d'une guerre, et maintenant, à Babylone, loin du pays, la fameuse Terre Promise, qui devait ruisseler de lait et de miel, disait-on... loin de Jérusalem détruite, loin du Temple saccagé, la population décimée, on a tout perdu.

La tentation est grande de se révolter contre Dieu ; les exilés se plaignent et disent « La conduite du SEIGNEUR est étrange », ce qui signifie en clair : « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? »
Car, à l'époque, on est convaincu qu'il y a un lien entre notre comportement bon ou mauvais et les événements de notre vie, heureux ou malheureux. Les bons sont toujours récompensés, les méchants sont toujours punis. Or cette génération dans la tourmente n'est pas pire que les précédentes. Et on a quand même bien l'impression qu'on paie tout le poids du passé, les fautes accumulées des générations précédentes, comme si le vase de la colère de Dieu avait tout d'un coup débordé. Et on se met à répandre le dicton : « Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils en ont été agacées » (Ez 18, 2). Traduisez : Dieu n'est pas juste, on ne voit pas pourquoi notre génération paie pour toutes celles qui l'ont précédée.

Voilà dans quel contexte Ezéchiel prend la parole. Et il nous offre ici toute une méditation sur la justice de Dieu. Elle tient en quatre points.

Premier point : le dicton sur les raisins verts est faux. Quelques lignes avant le texte d'aujourd'hui, Dieu a fait dire par son prophète : « Par ma vie, dit Dieu, vous ne répéterez plus ce dicton en Israël ». Au contraire, chacun est rétribué pour sa propre conduite. « Si le méchant se détourne de sa méchanceté, s'il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il a ouvert les yeux, parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Evidemment, dans l'autre sens, « Si le juste se détourne de sa justice... il mourra à cause de sa perversité. » Mais cela ne doit pas nous inquiéter, aucun de nous n'est concerné, car aucun de nous n'oserait se prétendre juste ! Le premier point, c'est donc que personne n'est jamais puni pour la faute d'un autre.

C'est évidemment une étape très importante dans la découverte de la justice de Dieu, mais ce n'est qu'une étape : car Ezéchiel raisonne dans une logique de récompense / punition, ce que l'on appelle « la logique de rétribution ». Plus tard, en particulier avec le livre de Job (dans la partie centrale du livre), on reconnaîtra qu'il n'y a pas de mesure automatique entre nos actions, bonnes ou mauvaises, et ce qui nous arrive de bon ou de mauvais... que les bons ne sont pas forcément récompensés et les méchants punis. On découvrira qu'on ne paie jamais rien, ni pour d'autres, ni pour soi-même... parce que Dieu ne punit jamais.

Plus tard encore, on découvrira que Dieu n'est pas la cause directe de tout ce qui nous arrive. Pour l'instant, avec Ezéchiel, on cesse d'accuser Dieu de nous faire payer les fautes de nos parents. C'est déjà un grand pas.

Deuxième leçon de ce texte : un avenir est toujours possible ; rien n'est jamais définitivement joué. Cette leçon-là est capitale !... Pour nous encore aujourd'hui, d'ailleurs. Car effectivement, tant qu'on croit que tout est joué d'avance, on est tenté de s'abandonner au désespoir ; or Ezéchiel, comme tout bon prophète, n'a pas de pire ennemi que le découragement. C'est pourquoi il faut prendre au sérieux cette phrase : « si le méchant se détourne de sa méchanceté, s'il se met à pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie. Parce qu'il a ouvert les yeux, parce qu'il s'est détourné de ses fautes, il ne mourra pas, il vivra ». Et dans tout ce chapitre 18, Ezéchiel revient plusieurs fois sur ce thème : il est toujours temps de changer de conduite ou de chemin, pour reprendre une image biblique. Se convertir, étymologiquement, en hébreu, cela veut dire « faire demi-tour ». Au passage, vous avez remarqué que la conversion se traduit immanquablement dans la conduite à l'égard des autres : pour le méchant, se détourner de sa méchanceté, c'est se mettre à pratiquer le droit et la justice.

La troisième leçon de ce texte découle directement de la précédente : c'est un appel à la conversion. Le dernier verset de ce chapitre d'Ezéchiel, c'est « Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt... Revenez donc (dans le sens de « convertissez-vous » ) et vivez ! »

Quatrième leçon de ce texte : même dans le malheur, vivre au plein sens du terme, c'est-à-dire en union avec Dieu, est toujours possible. Ezéchiel parle beaucoup de vie et de mort. Mais il vise autre chose que la vie et la mort physiques. Les exilés, d'ailleurs, parlaient de leur exil comme d'une situation de mort ; ils disaient : « Nos révoltes et nos péchés sont sur nous, nous pourrissons à cause d'eux, comment pourrons-nous vivre ? » (Ez 33, 11). A leurs yeux, privés de tout ce qui faisait leur vie et en particulier la pratique de leur foi, l'exil était une situation de non-vie, une espèce de mort larvée... Ezéchiel ne leur promet pas tout de suite le retour, mais il leur dit : « La vraie vie, c'est l'intimité avec Dieu » et cela, c'est possible partout. « Convertissez-vous et vivez ! »

Quatre leçons donc dans ce texte, toutes éminemment positives. C'est à cela que l'on reconnaît les prophètes !

******
Complément
- Entre nous, il faut bien reconnaître que, même aujourd'hui, au vingt-et-unième siècle, cette phrase « Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu pour mériter une telle punition ? » nous vient spontanément à la bouche quand le malheur nous arrive. On se rappelle l'histoire de l'aveugle-né chez Saint Jean : en le voyant, les disciples de Jésus lui ont posé la question classique : « Qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » (Jn 9), en d'autres termes « A qui la faute ? ».

PSAUME 24 (25) 4 - 9

4 SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies,
fais-moi connaître ta route.
5 Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
car tu es le Dieu qui me sauve.

6 Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse,
ton amour qui est de toujours.
7 Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse,
dans ton amour, ne m'oublie pas.

8 Il est droit, il est bon, le SEIGNEUR,
lui qui montre aux pécheurs le chemin.
9 Sa justice dirige les humbles,
il enseigne aux humbles son chemin.

Un avenir est toujours possible, disait Ezéchiel dans la première lecture ; on peut toujours changer de conduite, on n'est jamais définitivement condamné. C'est pour cela qu'il est toujours temps de dire à Dieu « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route ».

C'est un pécheur qui parle, un pécheur qui désire changer de chemin, c'est-à-dire se convertir, un pécheur qui sait que c'est toujours possible parce qu'il est confiant dans la miséricorde de Dieu : « Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin, Il enseigne aux humbles son chemin »... sous-entendu c'est la seule chose qui nous est demandée, non pas la vertu, mais l'humilité. Le mot « humbles », ici, traduit le mot hébreu « anavim » très fréquent dans la Bible : il s'agit de ceux qu'on appelle aussi les « pauvres de Dieu » (ce que nous appelons les « pauvres de coeur »), c'est-à-dire tous ceux qui se reconnaissent démunis, pauvres, impuissants ; on dit aussi « les dos courbés ». C'est chacun de nous, quand nous en sommes réduits à prier en disant seulement « prends pitié » ; ici la supplication est une demande de conversion puisqu'il s'agit d'un pécheur conscient de ses égarements « SEIGNEUR, enseigne-moi tes chemins ».

Ce thème du chemin est typique des psaumes pénitentiels : la Loi de Dieu, (les commandements), est considérée comme le code de la route en quelque sorte ; ce pécheur qui demande pardon, est conscient de s'être égaré, d'avoir pris un sens interdit ; et il demande à être remis sur le droit chemin. On sait que se « convertir » en hébreu, se dit « faire demi-tour ». Ici, dans les quelques versets proposés pour ce vingt-sixième dimanche, il y a déjà les mots « voies », « route », « chemin », et le verbe « dirige-moi ». « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve... Le SEIGNEUR montre aux pécheurs le chemin. Sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin ».

Le pécheur qui parle ici n'est pas tout seul : il s'agit du peuple tout entier ; ce psaume 24/25 a été certainement composé pour des célébrations pénitentielles au Temple de Jérusalem : mais, là encore, son rapprochement avec le texte d'Ezéchiel proposé pour ce vingt-sixième dimanche va nous permettre de mieux comprendre un aspect de la prière juive. C'est cette imbrication permanente du « Je » et du « Nous ».

Comme tous les psaumes, celui-ci parle à la première personne du singulier, « JE », mais il faut l'entendre comme un JE collectif, au nom du peuple tout entier. Il n'y a pas moins individualiste que le peuple de la Bible ! Et d'ailleurs, ce psaume 24/25, précisément, après avoir parlé tout le temps à la première personne du singulier, termine en disant « Libère Israël, ô mon Dieu, de toutes ses angoisses ».

Parce qu'on a un sens très fort de la solidarité qui unit tous les membres d'une même famille, d'une même tribu, dans l'espace et dans le temps, on trouve normal d'invoquer le Dieu des pères, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob... A travers les générations, une véritable solidarité unit le patriarche à ses lointains descendants, et réciproquement. On trouve donc parfaitement normal aussi que l'Alliance conclue avec Noé, avec Abraham, avec Moïse concerne leurs descendants, le peuple tout entier.

Aujourd'hui, nous mettons plutôt l'accent sur l'individu, la dimension du bonheur personnel ; au point que notre société en arrive à donner parfois l'impression d'être polarisée sur la défense des droits individuels, au détriment des valeurs communautaires. Au début de l'histoire biblique, au contraire, tout était centré sur le peuple : ce n'est que progressivement qu'on a découvert l'importance de l'individu.

C'est certainement l'une des réussites de la pensée biblique que d'avoir su donner sa place à l'individu sans nier la communauté. C'est ainsi par exemple que le livre du Deutéronome et les textes prophétiques mêlent toujours le « tu » et le « vous » : « Voici le commandement, les lois et les coutumes que le SEIGNEUR votre Dieu a ordonné de vous apprendre à mettre en pratique dans le pays où vous allez passer pour en prendre possession, afin que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu, toi, ton fils et ton petit-fils, en gardant tous les jours de ta vie toutes ses lois et ses commandements que je te donne, pour que tes jours se prolongent. Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à les mettre en pratique : ainsi, tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te l'a promis le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait et de miel » (Dt 6, 1 - 3).

Il ne s'agit évidemment pas d'un défaut de style, surtout dans ce texte, l'un des plus vénérables de l'Ancien Testament, puisqu'il est l'introduction du fameux « Shema Israël » (« Ecoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le Seigneur UN »).

Mais il y a là un moyen saisissant de dire à quel point notre destin personnel est lié à celui de la communauté. Nous sommes profondément solidaires les uns des autres, nous le savons bien ; et les progrès des communications, la mondialisation de l'économie, dont on parle tant, nous le prouvent tous les jours. Pour autant, nous ne sommes pas fondus dans un grand tout et chacun de nous garde une marge de liberté et de responsabilité.

Pour revenir au psaume 24/25, ce pécheur à la fois humble et confiant, c'est donc inséparablement, chacun de nous, individuellement, ET la communauté croyante tout entière.

Dernière remarque : le psaume présente une série de variations sur le thème du souvenir et de l'oubli. « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse... Oublie les révoltes... Ne m'oublie pas ». C'est à la fois de l'audace et de l'humilité ! Au fond, on prie Dieu d'avoir une mémoire sélective : « Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse » et au contraire « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, ton amour qui est de toujours ». C'est l'audace que permet l'Alliance avec le Dieu de tendresse et de fidélité, lent à la colère et plein d'amour ». Décidément on n'avait pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Père !

DEUXIEME LECTURE - Philippiens 2, 1 - 11

Frères,
1 s'il est vrai que dans le Christ on se réconforte les uns les autres,
si l'on s'encourage dans l'amour,
si l'on est en communion dans l'Esprit,
si l'on a de la tendresse et de la pitié,
2 alors, pour que ma joie soit complète,
ayez les mêmes dispositions,
le même amour,
les mêmes sentiments ;
recherchez l'unité.
3 Ne soyez jamais intrigants ni vantards,
mais ayez assez d'humilité
pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
4 Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de lui-même,
mais aussi des autres.
5 Ayez entre vous les dispositions
que l'on doit avoir dans le Christ Jésus :
6 lui qui était dans la condition de Dieu,
il n'a pas jugé bon de revendiquer
son droit d'être traité à l'égal de Dieu ;
7 mais au contraire, il se dépouilla lui-même
en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,
8 il s'est abaissé lui-même
en devenant obéissant jusqu'à mourir,
et à mourir sur une croix.
9 C'est pourquoi Dieu l'a élevé au-dessus de tout ;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms,
10 afin qu'au nom de Jésus,
aux cieux, sur terre et dans l'abîme,
tout être vivant tombe à genoux,
11 et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est le Seigneur »,
pour la gloire de Dieu le Père.

Il est rare que nous entendions ce texte en entier ; chaque année, aux Rameaux (et à la fête de la Croix glorieuse), nous lisons la deuxième partie, qui est une contemplation du mystère du Christ, mais la première partie nous est moins familière ; pour autant il faut bien lire ces deux parties ensemble, car elles sont très liées. Première partie, Paul nous dit comment on vit « dans le Christ », comme il dit ; deuxième partie, il contemple la vie du Christ lui-même. (Pour la deuxième partie, se reporter au commentaire du dimanche des Rameaux, « L'intelligence des Ecritures » tome 1).

Dans la première partie, (celle que nous commentons ici), Paul nous dit comment on vit « dans le Christ » : il emploie deux fois cette formule, au début et à la fin de ce passage : au début « s'il est vrai que dans le Christ ... » et à la fin « Ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir dans le Christ Jésus » ; et entre les deux, il dresse toute une énumération de ces dispositions. Cette formule « Dans le Christ » doit certainement être prise dans un sens très fort : depuis notre Baptême, nous appartenons au Christ, nous faisons partie de lui en quelque sorte ; et cette nouvelle identité qui est commune à tous les baptisés surmonte toutes nos diversités ; désormais, nous portons le même nom de famille : ce nom, c'est « CHRETIEN ». Et quand nous rencontrons des Chrétiens, dorénavant, c'est ce sentiment de commune appartenance qui surpasse (ou devrait surpasser) tous les autres.
Comme dans ces grandes réunions de famille, où nous savons que chacun de ceux que nous rencontrons est d'abord un cousin ; dans tout rassemblement où l'on peut éprouver le même sentiment d'appartenance commune, on a une idée de ce que Paul veut dire ici. Et c'est ce sentiment très fort d'appartenance commune qui nous inspire les dispositions dont parle Paul ; réconfort, amour, communion, tendresse, pitié : au passage, on peut noter que ce sont tous les attributs de Dieu dans l'Ancien Testament.

On retrouve ici un écho de la formule que nous connaissons bien, et qui se trouve dans la deuxième lettre aux Corinthiens « La grâce de Jésus-Christ notre Seigneur, l'amour de Dieu le Père et la communion de l'Esprit-Saint soient avec vous tous » (2 Co 13, 13). (C'est aussi la formule liturgique du début de l'Eucharistie).

Ce mystère d'amour et de communion, nous y avons été plongés au jour de notre Baptême : il reste à le vivre au quotidien : « Pour que ma joie soit complète, dit Paul, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments... » Un peu comme s'il nous disait « Faites honneur à votre famille, au Nom que vous portez ».

Cela va loin : « Estimez les autres supérieurs à vous-mêmes ». Curieuse phrase : est-ce que chacun de nous doit systématiquement se dévaloriser ? Sûrement pas : le but n'est certainement pas de faire des comparaisons de supériorité ou d'infériorité, c'est totalement contraire à la Bonne Nouvelle d'un Royaume qui ignore toute comptabilité ! Le but n'est pas non plus de se regarder soi-même, fût-ce pour s'humilier ; le but, au contraire, c'est de regarder l'autre avec comme une sorte d'a priori, un regard systématiquement admiratif. Et de regarder en lui, non pas ce qu'il a, mais ce qu'il est. Les différences physiques, culturelles, sociales, crèvent les yeux. Mais tout cela n'est que de l'avoir.

Or Paul a bien introduit son propos par l'expression « dans le Christ », ce qui veut dire qu'il ne se situe pas dans le domaine de l'avoir, mais de l'être : « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Ga 3, 27). Ce que Paul nous dit, c'est « chaque fois que vous rencontrez un autre baptisé, ne regardez que ce qu'il est » ; il est membre du Corps du Christ ... il achève, dans sa chair, (c'est-à-dire dans sa vie quotidienne) ce qui manque à la passion du Christ, comme dit Saint Paul dans la lettre aux Colossiens (Col 1, 24), (c'est-à-dire lui aussi contribue à sa façon à la construction du Royaume)... il est, lui aussi, le Temple de l'Esprit, il a sa vocation propre, différente de la mienne, indispensable au plan de Dieu, et sans mon admiration, sans mes encouragements, il ne pourra pas la remplir.

Or la seule chose qui compte, c'est la mission de chacun et de la communauté tout entière : pour sa mission, mon voisin est meilleur que moi, il est même le seul capable ; pour cette mission, il est rempli de l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire d'une capacité d'amour infinie ; tout cela vaut bien que je l'admire. Dans le texte de dimanche dernier, Paul disait aux Philippiens « Quant à vous, menez une vie digne de l'évangile » ; aujourd'hui, il vient de nous dire ce qu'est une vie digne de notre vocation chrétienne. Ce sont là des conseils que Paul donne à des chrétiens, des baptisés ; mais il va de soi que nous devrions porter ce même regard positif sur tout homme ...
Dernière remarque : ce texte de Paul dit bien à la fois que le Royaume est déjà là ET en même temps qu'il nous reste à y collaborer, par toute notre vie quotidienne : déjà, le dessein de Dieu de réunir « dans le Christ » l'humanité tout entière est accompli en Jésus-Christ et en chacun de nous qui sommes greffés sur lui par notre Baptême ; et en même temps il s'accomplit au quotidien dans la mesure où nous laissons cette réalité intime de notre appartenance au Christ transfigurer nos relations avec les autres, baptisés ou non.

EVANGILE Matthieu 21, 28 - 32

Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens :
28 « Que pensez-vous de ceci ?
Un homme avait deux fils.
Il vint trouver le premier et lui dit :
« Mon enfant, va travailler aujourd'hui à ma vigne. »
29 Il répondit : « Je ne veux pas. »
Mais ensuite, s'étant repenti, il y alla.
30 Abordant le second, le père lui dit la même chose.
Celui-ci répondit : « Oui, Seigneur ! »
et il n'y alla pas.
31 Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »
Ils lui répondent : « Le premier ».
Jésus leur dit :
« Amen, je vous le déclare :
les publicains et les prostituées
vous précèdent dans le royaume de Dieu.
32 Car Jean Baptiste est venu à vous, vivant selon la justice,
et vous n'avez pas cru à sa parole ;
tandis que les publicains et les prostituées y ont cru.
Mais vous, même après avoir vu cela,
vous ne vous êtes pas repentis
pour croire à sa parole. »

A première vue, on ne saisit pas le lien entre la parabole des deux fils et le discours de Jésus sur les publicains et les prostituées ; et pourtant il est clair que ce discours est dans le droit fil de la parabole, il en est au moins une application. Car Jésus enchaîne sans transition de l'une à l'autre. Il commence par la parabole : comme la semaine dernière avec les ouvriers de la onzième heure, on est dans une vigne ; des deux fils sollicités d'y aller, le premier refuse et finit quand même par s'y rendre ; le deuxième s'empresse de dire oui... et n'en fait rien. Et Jésus pose une question apparemment trop simple aux chefs des prêtres et aux anciens : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? »

Si Jésus leur pose cette question, ce n'est évidemment pas pour le plaisir de jouer à qui trouvera la bonne réponse ! C'est pour leur ouvrir les yeux. Car sans la moindre transition il leur dit : vous, chefs des prêtres et anciens, c'est-à-dire ce qu'il y a de mieux intentionné au monde, vous êtes comme le deuxième fils : il dit « Oui, oui, papa », mais il ne va pas à la vigne. Tandis que vous voyez, il y a des gens beaucoup moins recommandables, mais qui sont plus prêts que vous à entendre l'appel du père.

Les publicains et les prostituées sont des pécheurs publics, c'est entendu ; et ce n'est pas de cela que Jésus les complimente ; ils sont comme le premier fils ; ils ont commencé par refuser de travailler à la vigne ; jusque-là rien d'admirable ! Seulement voilà : Jean-Baptiste les a touchés, et ils ont écouté sa parole et ils se sont convertis. Ce n'est pas parce qu'ils sont pécheurs qu'ils entrent dans le Royaume ; mais parce qu'ils se sont convertis. Tandis que vous, les professionnels de la religion, vous ne vous êtes pas repentis, vous ne vous êtes pas convertis.

Arrivés là, on se demande évidemment en quoi les chefs des prêtres et les anciens ne se sont pas convertis ; en quoi avaient-ils besoin de se convertir, de changer de vie ? Ou plus exactement, peut-on penser que des gens qui suivaient fidèlement la Loi donnée par Moïse, et donc par Dieu, avaient besoin de se convertir ?

La réponse est peut-être dans le contexte : au début de ce chapitre 21, Matthieu a raconté l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et les foules ont reconnu en lui le Messie. Elles ont lancé pour lui l'acclamation réservée au roi descendant de David : « Hosanna au fils de David ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 1 Mais cet accueil que lui ont réservé les petites gens ne s'est pas répété chez les prêtres et les anciens ; bien au contraire. Peu après, alors qu'il enseignait dans le Temple, ils sont venus lui demander : « En vertu de quelle autorité te permets-tu d'enseigner ? Qui t'a donné cette autorité ? » Sous-entendu : qui t'envoie ? Dieu ? ou toi-même, plutôt ?

Comme souvent, Jésus n'a pas répondu directement : il voulait que ses interlocuteurs trouvent tout seuls ; et donc il leur a renvoyé une autre question, mais qui avait trait à Jean-Baptiste, celle-là. « Le Baptême de Jean, d'où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » Et eux n'ont pas osé répondre, de peur de se déjuger eux-mêmes, eux qui avaient préféré ignorer Jean-Baptiste. Alors Jésus leur propose cette parabole des deux fils pour aider leur prise de conscience ; c'est comme un ultime appel qu'il leur adresse. Jésus n'a pas de préférence pour les uns ou pour les autres. Il veut le salut de tous et s'il semble parfois malmener certains de ses interlocuteurs, c'est que le temps presse.

Mais au fait, que disait Jean-Baptiste ? Il disait « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d'échapper à la colère qui vient ? Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion ; et ne vous avisez pas de dire en vous-mêmes : Nous avons pour père Abraham ». C'était peut-être bien là le problème des autorités religieuses : une espèce de suffisance qui permet de ne pas se remettre en question. Alors que les publicains et les prostituées, parce qu'ils se savaient pécheurs et qu'ils avaient très vif le sentiment de leur indignité, de leur pauvreté, étaient peut-être plus aptes à se convertir ; peut-être avaient-ils les oreilles et le coeur plus prêts à s'ouvrir ?

Les oreilles et le coeur ouverts, c'est le propre du croyant. Jésus insiste sur le mot « croire » : « Jean-Baptiste est venu à vous, vivant selon la justice et vous n'avez pas cru à sa parole ; tandis que les publicains et les prostituées y ont cru. Mais vous, même après avoir vu cela, vous ne vous êtes pas repentis pour croire à sa parole ». La difficulté, justement, pour les chefs des prêtres et les anciens, c'était d'ajouter foi à la parole de Jean-Baptiste, puis de Jésus, c'est-à-dire deux individus sans légitimité, à leurs yeux.

Et c'est bien là le fond du problème : dans cette expression « à leurs yeux ». Cela veut dire que, pour eux, la cause est entendue, ils savent ce qu'il en est des choses de Dieu et ils ne peuvent plus voir autre chose que leurs propres certitudes. C'est bien ce que Jésus leur reproche : « Même après avoir VU Jean-Baptiste vivant selon la justice... Même après avoir VU la conversion des pécheurs... vous n'avez pas voulu croire ».

Si Jésus propose une parabole à ses interlocuteurs, c'est pour les amener à ouvrir les yeux justement ; or le temps presse de plus en plus puisque nous sommes déjà à la veille de la Passion. Cette parabole des deux fils va encore plus loin que celle que nous entendions la semaine dernière, celle des ouvriers de la onzième heure ; dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, Jésus disait à ses interlocuteurs : vous vous considérez comme des ouvriers de la première heure et vous me trouvez bien indulgent pour les retardataires... Dans la parabole des deux fils, il va jusqu'à remettre en cause leur attitude religieuse : êtes-vous sûrs seulement d'être allés travailler à ma vigne ? Ce que mon Père attend, ce sont des fruits de justice.

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Note
1 - L'acclamation « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! » est une citation du Psaume 117/118, 26

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