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7 février 2012 2 07 /02 /février /2012 09:35

marie-nolle-thabut.jpgJe suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

PREMIERE LECTURE - Lévitique 13, 1-2. 45-46

1 Le SEIGNEUR dit à Moïse et à son frère Aaron :
2 « Quand un homme aura sur la peau
une tumeur, une inflammation ou une tache,
qui soit une marque de lèpre,
on l'amènera au prêtre Aaron
ou à l'un des prêtres ses fils.
45 Le lépreux atteint de cette plaie
portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre,
il se couvrira le haut du visage jusqu'aux lèvres,
et il criera : Impur ! Impur !
46 Tant qu'il gardera cette plaie, il sera impur.
C'est pourquoi il habitera à l'écart,
sa demeure sera hors du camp. »

Le livre du Lévitique n'est pas des plus faciles : il représente vingt-sept chapitres de réglementation souvent très minutieuse ; il n'y est question que du sacerdoce, et des règles à observer dans le culte aussi bien que dans la vie quotidienne pour rester dans l'Alliance avec Dieu. On est visiblement en présence d'un courant théologique particulier, très clérical : dans lequel les prêtres (les lévites, ce que l'on appelle le milieu sacerdotal) sont les intermédiaires privilégiés entre Dieu et le peuple. Rien à voir avec le livre du Deutéronome que nous lisions pour le quatrième dimanche, qui relève visiblement d'un autre courant théologique, dans lequel ce sont les prophètes qui sont les porte-parole de Dieu.

Mais après l'Exil, alors qu'il n'y avait plus ni roi ni prophète en Israël, les prêtres ont normalement et heureusement assumé la responsabilité de la survie spirituelle et même politique du peuple de l'Alliance. Car pour eux, et c'est ce qui fait la beauté profonde de ce livre, si on veut bien dépasser la première impression pour lire entre les lignes, l'Alliance proposée par Dieu à Israël est un honneur et une nécessité vitale : le Dieu Saint (c'est-à-dire le Tout-Autre) propose une véritable communion d'amour à ce petit peuple ; il est donc de la plus haute importance pour les fils d'Israël de rester dignes de la rencontre avec le Dieu Saint.
Nous lisons rarement le Livre du Lévitique, mais, pour ce dimanche, il nous est proposé pour introduire l'évangile qui rapporte un cas de guérison de la lèpre par Jésus. Nous ne pouvons pas comprendre l'importance de ce miracle si nous ne connaissons pas le contexte dans lequel Jésus a agi : car les prescriptions de la loi du Lévitique concernant les lépreux étaient encore en vigueur de son temps.

Ces prescriptions nous paraissent rudes : quand on a le malheur d'être malade, c'est évidemment une souffrance supplémentaire d'être un exclu. Or c'était très strict ; dès que quelqu'un présentait des signes d'une maladie de peau évolutive du type de la lèpre, il devait aussitôt se présenter au prêtre qui procédait à un examen en règle et qui décidait s'il fallait déclarer cette personne impure ; la déclaration d'impureté était une véritable mise à l'écart de toute vie religieuse, et donc à l'époque, de toute vie sociale. Car, être impur, c'était être inapte au culte et se voir privé de tout contact avec les autres membres du peuple saint qui doivent tout faire pour préserver leur pureté. Ainsi exclu de la communauté des vivants, le lépreux lui-même portait son propre deuil (vêtements déchirés, cheveux en désordre) : « Le SEIGNEUR dit à Moïse et à son frère Aaron : Quand un homme aura sur la peau une tumeur, une inflammation ou une tache, qui soit une marque de lèpre, on l'amènera au prêtre Aaron ou à l'un des prêtres ses fils. Le lépreux atteint de cette plaie portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre, il se couvrira le haut du visage jusqu'aux lèvres, et il criera : Impur ! Impur ! Tant qu'il gardera cette plaie, il sera impur. C'est pourquoi il habitera à l'écart, sa demeure sera hors du camp. »
Job en était un bon exemple (voir le texte que nous lisions dimanche dernier) : atteint de la lèpre, il en avait tiré lui-même les conséquences et s'était installé sur la décharge publique (Jb 2, 8) : il ne faisait en cela qu'observer cette législation du livre du Lévitique.
Quand le malade pouvait se considérer comme guéri, il se présentait de nouveau devant le prêtre, lequel procédait à un deuxième examen très approfondi et déclarait la guérison et donc le retour à l'état de pureté et à la vie normale. Cette réintégration du malade guéri s'accompagnait de nombreux rites dits de purification : aspersions, bains, sacrifices.

Pourquoi la lèpre prenait-elle une telle importance dans la vie sociale ? Probablement parce que c'est une maladie éminemment contagieuse, que personne ne savait encore soigner. La sagesse imposait donc la prudence pour préserver le reste de la population. On a là encore une preuve de la hiérarchie des priorités qui avait cours en Israël : le bien-être de l'individu doit céder le pas devant l'intérêt collectif.

A noter que, à l'époque actuelle, pour préserver une population d'un risque de contamination bactérienne, on n'hésitera pas à prescrire une mise en quarantaine des personnes déjà atteintes. Certains écoliers sont prudemment interdits d'école lorsqu'il y a soupçon de méningite, par exemple. S'il s'agit d'animaux (peste aviaire, vache folle ou autre), on procèdera à des abattages systématiques. Notre vingt-et-unième siècle gère ainsi ce qu'il pense être un indispensable principe de précaution. Conscient pourtant que la personne mise en quarantaine subit une réelle exclusion, le pouvoir politique n'hésite pas à édicter de telles mesures, au nom de l'intérêt commun.
Par ailleurs, spontanément on pensait que la maladie est toujours la conséquence d'un péché. Car Dieu est juste, nul n'en doute, et, à l'époque, on avait une conception pour ainsi dire arithmétique de la justice : les hommes bons sont récompensés à proportion de leurs mérites et les méchants sont punis selon une juste évaluation de leurs péchés. Cette loi que l'on appelle parfois la « logique de rétribution » ne souffrait, pensait-on, aucune exception. Au point que, devant une personne malade, on déduisait automatiquement qu'elle avait péché. Il y avait donc, là encore, une autre contagion à éviter. C'est pour cela, d'ailleurs, que le lépreux devait s'adresser au prêtre (et non au médecin !) pour déclarer la maladie aussi bien que la guérison.

Il faut croire qu'au temps de Jésus les choses n'avaient guère changé puisque les lépreux engendraient encore la même répulsion et les mêmes mesures d'exclusion. Il a fallu un long travail de la Révélation pour découvrir que le Dieu miséricordieux est attiré par la misère (c'est le sens même du mot « miséricordieux »), et que nul n'est exclu, ce que Jésus est venu prouver par ses paroles et par ses actes.

****

Complément
La lèpre fut longtemps considérée comme une maladie irrémédiablement incurable à tel point que les cas de guérison apparaissaient comme des miracles. A cet égard, l'exemple du général syrien, Naaman, est révélateur. Quand il s'était découvert lépreux, il était allé au palais de Damas, demander à son roi d'intervenir en sa faveur auprès du roi d'Israël ; car le bruit courait qu'il y avait là-bas un prophète guérisseur (il s'agit d'Elisée). Ce qui nous intéresse aujourd'hui dans l'histoire de Naaman, c'est la réaction du roi d'Israël qui prouve à quel point la lèpre passait alors pour un fléau sans recours. Quand il reçut la lettre du roi de Damas lui disant « Je t'envoie mon serviteur, le général Naaman, pour que tu le guérisses de sa lèpre », le roi d'Israël fut pris de panique. Le livre des Rois raconte : « Après avoir lu la lettre, le roi déchira ses vêtements et dit : Suis-je Dieu, capable de faire mourir et de faire vivre, pour que celui-là m'envoie quelqu'un pour le délivrer de sa lèpre ? Sachez donc et voyez : il me cherche querelle ! » (2 R 5, 7). Traduisez : bien sûr, je n'ai aucun espoir de sauver Naaman et le roi de Damas m'en voudra et je vais vers une catastrophe ; il est en train de se forger un prétexte pour pouvoir m'attaquer. (Voir le commentaire de cet épisode au vingt-huitième dimanche du Temps Ordinaire de l'année C, volume 6, page...)

PSAUME 101 (102), 2-3. 4-5. 6.13. 20-21

2 SEIGNEUR, entends ma prière :
que mon cri parvienne jusqu'à toi !
3 Ne me cache pas ton visage
le jour où je suis en détresse !
4 Mes jours s'en vont en fumée,
mes os comme un brasier sont en feu ;
5 mon coeur se dessèche comme l'herbe fauchée,
j'oublie de manger mon pain.
6 A force de crier ma plainte,
ma peau colle à mes os.
13 Mais toi, SEIGNEUR, tu es là pour toujours ;
d'âge en âge on fera mémoire de toi.
20 Des hauteurs, son sanctuaire, le SEIGNEUR s'est penché ;
du ciel, il regarde la terre
21 pour entendre la plainte des captifs
et libérer ceux qui devaient mourir.

Nous n'entendons ce dimanche que quelques versets du psaume 101/102, il est beaucoup plus long que cela, puisqu'il comporte vingt-neuf versets, mais cet extrait est bien représentatif de l'ensemble : le psaume tout entier répète d'un bout à l'autre les deux mêmes choses avec autant de force : un appel au secours et la certitude que cet appel est entendu. Tout compte fait, ce sont deux aspects bien caractéristiques de la foi juive en toutes circonstances. Car, dans la Bible, le croyant ne doute jamais que son Dieu l'accompagne à tout instant et entend sa prière.

Qui est ce plaignant dans le psaume 101 ? Le tout premier verset, ce qu'on appelle la « suscription », précise : « Prière du malheureux qui défaille et se répand en plaintes devant le SEIGNEUR ». Cela ne dit pas vraiment qui est ce malheureux : nous verrons tout à l'heure qu'il s'agit en fait du peuple tout entier, une fois de plus.
Mais commençons par écouter sa plainte, elle est d'un réalisme poignant : car celui qui parle sait admirablement trouver les mots pour décrire sa souffrance : « Mes jours s'en vont en fumée, mes os comme un brasier sont en feu ; mon coeur se dessèche comme l'herbe fauchée, j'oublie de manger mon pain. A force de crier ma plainte, ma peau colle à mes os. » On croit entendre ici Job le lépreux : « Mes os collent à ma peau et à ma chair » (Jb 19, 20) et on sait quelle répulsion inspirait cette maladie : « Tous mes intimes m'ont en horreur, même ceux que j'aime se sont tournés contre moi. » Si bien que dès qu'une marque suspecte, qui pouvait ressembler à de la lèpre, apparaissait, on devait trembler devant les autres : « Tu m'as creusé des rides qui témoignent contre moi, ma maigreur m'accuse et me charge. » (Jb 16, 8). Et le malade sait bien qu'on parle dans son dos, on suppute sur l'évolution de la maladie, on se dit « tu as vu, il dépérit à vue d'oeil, ses os qu'on ne voyait pas deviennent saillants. » (Jb 33, 21).

Voici quelques autres versets du psaume 101/102 : « Je ressemble au choucas du désert, je suis comme le hibou des ruines. Je reste éveillé et me voici, comme l'oiseau solitaire sur un toit... Comme pain je mange de la cendre, et je mêle des larmes à ma boisson... Mes jours s'en vont comme l'ombre, et je me dessèche comme l'herbe. »
Celui qui s'exprime dans ce psaume est donc en pleine détresse ; mais qui est ce plaignant ? Le découpage des versets d'aujourd'hui ne permet pas de répondre ; en revanche, si on lit le psaume en entier, c'est on ne peut plus clair ; il s'agit du peuple d'Israël lui-même, appelé ici tout simplement « Sion ». Car, en réalité, l'évocation d'une maladie terrible n'est ici qu'une métaphore, une comparaison pour évoquer le grand drame vécu par le peuple d'Israël tout entier. Qu'il s'agisse du peuple, c'est une évidence lorsqu'on lit les versets 14 et 15 : « Tu te lèveras par amour pour Sion, car il est temps d'en avoir pitié : oui, le moment est venu ! Tes serviteurs tiennent à ses pierres, et sa poussière leur fait pitié. » Quant à savoir de quel malheur il s'agit, on le comprend à l'évocation de la poussière et des ruines : ce psaume est écrit à un moment où Jérusalem est détruite et l'on demande au Seigneur de la relever. Cela explique des versets comme ceux-ci : « Tous les jours mes ennemis m'outragent... Par ton indignation et ton courroux tu m'as soulevé et rejeté. » (versets 9 et 11).

Et d'ailleurs la comparaison avec l'herbe fanée, qui revient deux fois dans ce psaume, nous mettait déjà sur la voie ; Isaïe l'avait employée au moment de l'exil à Babylone ; il disait : « le peuple, c'est de l'herbe » (Is 40) ; en écho, notre psaume se plaint : « mon coeur se dessèche comme l'herbe fauchée ».
Le malheureux qui s'exprime dans ce psaume, c'est donc le peuple d'Israël, exilé et prisonnier à Babylone, qui ne rêve que de rentrer au pays et de reconstruire Jérusalem.

Mais en même temps, puisqu'on ne perd jamais la foi, on anticipe sur la reconstruction de la Ville Sainte : « Les nations craindront le nom du SEIGNEUR, et tous les rois de la terre, sa gloire : quand le SEIGNEUR rebâtira Sion... » (versets 16-17). Car cela ne fait pas de doute : depuis la Révélation du buisson ardent, ce peuple sait, de toute certitude, sans aucune hésitation possible que Dieu entend nos prières : il est silencieux, peut-être, mais il n'est pas sourd. Et dans les moments les plus difficiles, le rôle des prophètes, justement, est de raviver l'espérance. On supplie : « SEIGNEUR, entends ma prière : que mon cri parvienne jusqu'à toi ! Ne me cache pas ton visage le jour où je suis en détresse ! » Mais on sait déjà que Dieu entend notre prière et on affirme : « Toi, SEIGNEUR, tu es là pour toujours ; d'âge en âge on fera mémoire de toi. » C'est pour cela que, déjà, on peut anticiper sur le relèvement de Jérusalem : « Tu te lèveras par amour pour Sion, car il est temps d'en avoir pitié... Des hauteurs, son sanctuaire, le SEIGNEUR s'est penché ; du ciel, il regarde la terre pour entendre la plainte des captifs et libérer ceux qui devaient mourir. »

Le plus beau peut-être c'est que l'on se réjouit d'avance que le salut accordé au peuple élu soit une occasion de faire découvrir aux autres la grandeur de Dieu : « Les nations craindront le nom du SEIGNEUR... quand le SEIGNEUR rebâtira Sion... On publiera le nom du SEIGNEUR dans Sion et sa louange dans Jérusalem, quand se réuniront peuples et royaumes pour servir le SEIGNEUR. »

DEUXIEME LECTURE - Première Lettre de Paul aux Corinthiens 10, 31 - 11, 1

Frères,
10, 31 tout ce que vous faites :
manger, boire, ou n'importe quoi d'autre,
faites-le pour la gloire de Dieu.
32 Ne soyez un obstacle pour personne,
ni pour les Juifs, ni pour les païens,
ni pour l'Eglise de Dieu.
33 Faites comme moi :
en toutes circonstances je tâche de m'adapter à tout le monde ;
je ne cherche pas mon intérêt personnel,
mais celui de la multitude des hommes,
pour qu'ils soient sauvés.
11, 1 Prenez-moi pour modèle ;
mon modèle à moi, c'est le Christ.

Il y a au moins deux leçons dans ce texte : une affirmation théologique, d'abord, qui devrait nous faire voir notre vie quotidienne sous un autre jour ; et ensuite une leçon de comportement.

L'affirmation théologique est la suivante : parce que Dieu n'a pas dédaigné de se faire homme, aucun des aspects de votre vie n'est méprisable ; Dieu vous a ressemblé en tout, vous pouvez lui ressembler en tout. Car agir « pour sa gloire », cela veut dire que chacun de nos gestes, même les plus ordinaires, peut être un point de ressemblance avec Dieu. Nous ne pourrons plus jamais dire que l'un quelconque de nos gestes « manger, boire, ou n'importe quoi d'autre » serait comme on dit « bassement ordinaire » ! Plus rien n'est méprisable ou indigne ; chacune de nos actions peut être digne de Dieu. Depuis que le Verbe s'est fait chair, comme dit Saint Jean, nous savons que toute notre vie dans la chair peut être révélation de Dieu ; quand on parle du « mystère de l'Incarnation », on devrait dire la « merveille de l'Incarnation ». Voilà donc la grande nouvelle : nos gestes les plus ordinaires peuvent être religieux, vécus avec Dieu ; seulement, si l'on en croit Paul, ces mêmes gestes peuvent aussi devenir des obstacles pour les autres : « Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l'Eglise de Dieu. »

Il s'agit ici, encore une fois, du problème posé à la conscience des nouveaux Chrétiens par la coutume païenne de sacrifier des viandes aux idoles : de telles viandes se retrouvaient ensuite (au moins en partie) sur le marché : un chrétien pouvait-il en manger ? (Sur ce problème, cf le commentaire de 1 Corinthiens 9, 22 « J'ai partagé la faiblesse des plus faibles », cinquième Dimanche du Temps Ordinaire de l'année B, supra, page 000). La question s'inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste qui est celui de la liberté : les chapitres 6 à 11 de cette première lettre aux Corinthiens traitent de ce problème du comportement chrétien. Deux fois Paul répète : « Tout est permis, mais tout ne convient pas. » (6, 12 ; 10, 23). « Tout est permis », c'est une manière de dire que celui qui croit en Jésus-Christ ne vit pas sous un régime d'obligations et d'interdits ; pour Paul lui-même, élevé dans le plus grand respect et même l'amour de la loi juive, c'est une découverte capitale. Tous les commandements compliqués, précis, minutieux, concernant la circoncision, les ablutions, le sabbat, tout cela est aboli : Dieu ne demande rien, n'exige rien de tout cela. Plus personne ne peut nous imposer des obligations au nom de Dieu, sauf une, celle d'aimer. Quand il était Juif, Paul croyait être agréable à Dieu en observant fidèlement les six cent-treize commandements énumérés par les docteurs de la Loi ; une fois devenu Chrétien, il découvre que nous ne sommes plus « sous la Loi », comme il dit, mais « sous la grâce » (Rm 6, 14).

Bien sûr, la liberté n'est pas la licence de faire n'importe quoi ! « Tout est permis, mais tout ne convient pas » dit Paul. Premièrement, il ne s'agit pas de s'affranchir de la loi juive pour retomber dans un autre régime d'obligations ; dans la lettre aux Galates, il insiste : « C'est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » (Ga 5, 1). Deuxièmement, il reste un commandement, un seul, mais qui doit guider toute notre vie, le commandement d'aimer. Saint Augustin a résumé la doctrine de Paul en une maxime qui devrait nous accompagner toujours : « Aime et fais ce que tu veux ». Cela veut dire que nous sommes libres de prendre des initiatives, libres d'inventer le comportement qui nous paraît le meilleur dans chaque circonstance de notre vie, mais qu'une seule préoccupation doit nous guider dans nos choix, le souci des autres : « Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l'Eglise de Dieu. » On pourrait traduire « Ne risquez pas de choquer ». Dans les versets qui précèdent tout juste ceux d'aujourd'hui, Paul a dit : « Tout est permis, mais tout n'édifie pas. » (10, 23) : au sens de « tout est permis, mais tout ne construit pas (sous-entendu la communauté) ; il y a des comportements qui sèment la zizanie, et donc détruisent.

On se rappelle que dans cette même lettre aux Corinthiens, Paul parle de l'utilisation des dons de chacun en donnant un seul critère « Que tout se fasse pour l'édification (au sens de construction) commune. » (1 Co 14, 26). Ici, il dit exactement la même chose sous une autre forme : « Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui d'autrui. » (1 Co 10, 24).

Suit un conseil un peu surprenant : « Faites comme moi... (et quelques lignes plus loin) Prenez-moi pour modèle » ; ce n'est pas de l'orgueil de la part de l'apôtre, évidemment, mais le conseil avisé de celui qui a déjà affronté les difficultés ; lui qui est Juif mais de culture grecque, et qui a fait le chemin du Judaïsme au Christianisme sait bien que l'évangélisation passe par le respect de chacun dans sa différence : « Faites comme moi : en toutes circonstances je tâche de m'adapter à tout le monde ; je ne cherche pas mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu'ils soient sauvés. Prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi, c'est le Christ. » Or, que fait le Christ ? Il accueille tous les hommes, même les exclus, comme le lépreux (dans l'évangile de ce dimanche).

Accueillir sans mépris, s'adapter sans se renier, voilà deux beaux mots d'ordre pour notre comportement quotidien ; encore nous faut-il apprendre à discerner au jour le jour en quoi consiste concrètement cette liberté : l'Esprit Saint nous a été donné pour cela.

EVANGILE - Marc 1, 40 - 45

40 Un lépreux vient trouver Jésus ;
il tombe à ses genoux et le supplie :
« Si tu le veux, tu peux me purifier. »
41 Pris de pitié devant cet homme,
Jésus étendit la main,
le toucha et lui dit :
« Je le veux, sois purifié. »
42 A l'instant même,
sa lèpre le quitta
et il fut purifié.
43 Aussitôt Jésus le renvoya
avec cet avertissement sévère :
44 « Attention, ne dis rien à personne,
mais va te montrer au prêtre.
Et donne pour ta purification
ce que Moïse prescrit dans la Loi :
ta guérison sera pour les gens un témoignage. »
45 Une fois parti,
cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle,
de sorte qu'il n'était plus possible à Jésus
d'entrer ouvertement dans une ville.
Il était obligé d'éviter les lieux habités,
mais de partout on venait à lui.

C'est le premier voyage missionnaire de Jésus : jusqu'ici, il était à Capharnaüm, que les évangélistes présentent comme sa ville d'élection en quelque sorte, au début de sa vie publique ; Jésus y avait accompli de nombreux miracles et il avait dû s'arracher en disant : « Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j'y proclame aussi l'évangile. » Et Marc ajoute : « Il alla par toute la Galilée ; il prêchait dans leurs synagogues et chassait les démons. » Nous sommes donc quelque part en Galilée, hors de Capharnaüm, quand un lépreux s'approche de lui.

Il y a en fait dans ce récit deux histoires au lieu d'une : la première, celle qui saute aux yeux, à première lecture, est le récit du miracle ; le lépreux est guéri, il retrouve sa peau saine, et, du même coup, sa place dans la société. Mais en même temps que ce récit de miracle débute ici une tout autre histoire, bien plus longue, bien plus grave, celle du combat incessant que Jésus a dû mener pour révéler le vrai visage de Dieu. Car, en prenant le risque de toucher le lépreux, Jésus a posé un geste audacieux, scandaleux même.

C'est certainement là-dessus que Marc veut attirer notre attention car les mots « purifier » et « purification » reviennent quatre fois dans ces quelques lignes : c'est dire que c'était un souci du temps ; la pureté, on le sait, était la condition pour entrer en relation avec le Dieu Saint ; tous les membres du peuple élu étaient donc très vigilants sur ce sujet. Et le livre du Lévitique (dont nous lisons un extrait en première lecture de ce dimanche) comporte de nombreux chapitres concernant toutes les règles de pureté ; Marc lui-même le rappelle plus loin, dans la suite de son évangile : « Les Pharisiens, comme tous les juifs, ne mangent pas sans s'être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens ; en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions ; et il y a beaucoup d'autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés : lavage rituel des coupes, des cruches et des plats. » (Mc 7, 3-4).

Cette recherche de pureté entraînait logiquement l'exclusion de tous ceux que l'on considérait comme impurs ; et malheureusement, à la même époque, on croyait spontanément que le corps est le miroir de l'âme et la maladie, la preuve du péché ; et donc, tout naturellement, on cherchait, par souci de pureté, à éviter tout contact avec les malades : c'est ce que nous avons entendu dans la première lecture « le lépreux, homme impur, habitera à l'écart, sa demeure sera hors du camp. » (Lv 13). Ce qui veut dire que quand Jésus et ce lépreux passent à proximité l'un de l'autre, ils doivent à tout prix s'éviter ; ce qui veut dire aussi, et qui est terrifiant, si on y réfléchit, que, du temps de Jésus, on pouvait être un exclu au nom même de Dieu.

Le lépreux n'aurait donc jamais dû oser approcher Jésus et Jésus n'aurait jamais dû toucher le lépreux : l'un et l'autre ont transgressé l'exclusion traditionnelle, et c'est de cette double audace que le miracle a pu naître.

Le lépreux a probablement eu vent de la réputation grandissante de Jésus puisque Marc a affirmé un peu plus haut que « sa renommée s'était répandue partout, dans toute la région de Galilée. » Il s'adresse à Jésus comme s'il était le Messie : « Il tombe à ses genoux et le supplie : Si tu le veux, tu peux me purifier. » D'une part, on ne tombe à genoux que devant Dieu ; et d'autre part, à l'époque de Jésus, on attendait avec ferveur la venue du Messie et on savait qu'il inaugurerait l'ère de bonheur universel ; dans les « cieux nouveaux et la terre nouvelle » promis par Isaïe, il n'y aurait plus larmes ni cris (Is 65, 19), ni voiles de deuil (Is 61, 2). C'est bien cela que le lépreux demande à Jésus, la guérison promise pour les temps messianiques. Et Jésus répond exactement à cette attente : (littéralement) « Je veux, sois purifié. »

Jésus s'affirme donc ici d'entrée de jeu comme celui qu'on attendait ; plus tard, il dira aux disciples de Jean-Baptiste : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Mt 11, 4-5). Pauvre, ce lépreux l'est vraiment : et de par sa maladie, et de par son attitude empreinte d'humilité : « Si tu veux, tu peux me guérir ». Il suffit de cet élan de foi pour que Jésus puisse agir.

Mais ce miracle de Jésus est aussi le premier épisode de son long combat contre toutes les exclusions : car cette Bonne Nouvelle qu'il annonce et que le lépreux va s'empresser de colporter, c'est que désormais personne ne peut être déclaré impur et exclu au nom de Dieu. La description du monde nouveau dans lequel « les lépreux sont purifiés » est vraiment une « Bonne Nouvelle » pour les pauvres : non seulement les malades et autres lépreux sont guéris, mais ils sont « purifiés » au sens de « amis de Dieu ».

Ce qui veut dire que si l'on veut ressembler à Dieu, être comme le Dieu qui « entend la plainte des captifs et libère ceux qui doivent mourir » (Ps 101/102), il ne faut exclure personne, mais bien au contraire, se faire proche de tous. Ressembler au Dieu saint, ce n'est pas éviter le contact avec les autres, quels qu'ils soient, c'est développer nos capacités d'amour. C'est très exactement l'attitude de Jésus ici, vis-à-vis du lépreux (Mc 1, 40). Et Paul (dans la deuxième lecture de ce dimanche) nous invite tout simplement à imiter le Christ : « Prenez-moi pour modèle, mon modèle à moi, c'est le Christ. » (1 Co 11, 1).

Il reste que, pour aller jusqu'au bout du commandement d'amour (« Tu aimeras ton prochain comme toi-même »), Jésus a transgressé la lettre de la Loi : il vient de poser un geste d'une extraordinaire liberté, mais tout le monde n'est pas prêt à comprendre ; d'où la consigne de silence qu'il impose au lépreux purifié : « Aussitôt Jésus le renvoya avec cet avertissement sévère : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre. » Dès le début de sa vie publique, le combat qui va le mener à la mort est ébauché.


La Passion est déjà évoquée dans ces lignes : Jésus rabaissé plus bas qu'un lépreux, souillé de sang et de crachats, exclu plus qu'aucun autre, exécuté en dehors de la Ville Sainte, sera le Bien-Aimé du Père, l'image même de Dieu : le « Pur » par excellence.
******
Jésus était ce que nous appelons aujourd'hui un « pratiquant », puisque nous l'avons vu à la synagogue de Capharnaüm pour la célébration du sabbat. Cela ne l'empêche pas de désobéir à la Loi qui interdisait d'approcher le lépreux.

 

L'intelligence des écritures

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commentaires

M
Pour le besoin de la cause, je désire vous rencontrer , j'ai vous ai laissé des messages à braveras Radio Notre Dame mais sans succès.
Répondre