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17 juin 2013 1 17 /06 /juin /2013 12:47

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement). 

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps ; avant, cliquer sur le lien éventuel figurant sur le titre de chaque lecture), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.


PREMIERE LECTURE - Zacharie 12, 10...13, 1

Parole du Seigneur :
« En ce jour-là,
12, 10 je répandrai sur la maison de David
et sur les habitants de Jérusalem
un esprit qui fera naître en eux bonté et supplication.
Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé ;
ils feront une lamentation sur lui comme sur un fils unique ;
ils pleureront sur lui amèrement comme sur un premier-né.
11 En ce jour-là, il y aura grande lamentation dans Jérusalem.

13, 1 En ce jour-là,
il y aura une source
qui jaillira pour la maison de David
et les habitants de Jérusalem :
elle les lavera de leur péché et de leur souillure. »

Ce texte nous transporte vers l'an 300 avant notre ère. A cette époque-là, plusieurs nouveaux écrits circulent chez les Juifs en Israël. On remarque, en particulier, un groupe de morceaux choisis qui parlent surtout du Messie à venir. Ils le présentent d'une manière inhabituelle : ce ne sera pas un roi triomphant, mais humble, doux et modeste. Ils vont même jusqu'à laisser entendre qu'il souffrira injustement de la main même de ceux qu'il voudra sauver.

Ces écrits sont anonymes. Pour éviter de les égarer on les annexe au livre du prophète Zacharie qui existe depuis déjà 200 ans et qui comporte 8 chapitres. L'addition formera ce que nous appelons les chapitres 9 à 14.

J'en viens au texte de ce dimanche, extrait donc de cette dernière partie du livre de Zacharie, puisqu'il se trouve aux chapitres 12 et 13. Il nous décrit une scène étrange : elle se passe à Jérusalem, les acteurs sont la famille royale des descendants de David et les habitants de la Ville Sainte. Au centre de la scène, un condamné, supplicié.

Curieusement, ceux qui le contemplent et se lamentent sur lui sont justement ses bourreaux. « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé », dit Zacharie. Et voilà qu'il se passe une chose incroyable : le cœur des bourreaux est tout transformé : Dieu les remplit de tendresse et de bonté : « Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit qui fera naître en eux bonté et supplication ».

Si je comprends bien, le message de Zacharie est le suivant : le Messie sera d'abord transpercé (c'est-à-dire méconnu, rejeté, tué) ; mais ensuite, les yeux de son peuple s'ouvriront et ils le reconnaîtront comme le Messie. Et alors, ils regretteront amèrement leur conduite, ils le pleureront, ils porteront le deuil : les expressions « ils feront une lamentation sur lui comme sur un fils unique, ils pleureront sur lui amèrement comme sur un premier-né ; il y aura grande lamentation dans Jérusalem... » sont des allusions aux habitudes du deuil ; et bien sûr, le rejet du Messie sera compris après coup comme le meurtre de l'être le plus précieux.

Et alors avec les yeux, ce sont les coeurs qui s'ouvriront : Ezéchiel avait dit quelque chose de semblable : « Je vous donnerai un coeur neuf, et je mettrai en vous un esprit neuf ; j'enlèverai de votre corps le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair » (Ez 36, 26) : quand Zacharie parle de bonté et supplication, de lamentation, de larmes amères, il dit bien que les coeurs de pierre se sont enfin brisés : ils sont devenus des coeurs de chair. Et au fur et à mesure que nos coeurs de pierre se brisent, pour laisser la place au coeur de chair qui est en chacun de nous, nous découvrons nos complicités : tout ce que nous laissons faire par indifférence, ou par lâcheté ; c'est Ezéchiel encore qui dit : « Le dégoût vous montera au visage à cause de vos péchés et de vos abominations » (Ez 6, 9 ; 20, 43 ; 36, 31). Quand on est adultes et conséquents, on ne peut pas s'en « laver les mains », à la Pilate. « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé » : même ceux qui n'ont pas physiquement participé au meurtre découvriront leur complicité. Et alors il y aura grande lamentation dans Jérusalem tout entière, c'est-à-dire dans le peuple tout entier.

Reste la dernière phrase du texte : « En ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure ». Mystérieusement, on a bien l'impression que la conversion du peuple sera le fruit de cette mort injuste. Qu'il faudra que le Messie aille jusque-là pour que les yeux, (pour que le coeur) de son peuple s'ouvrent... N'est-ce pas cela exactement que Jésus ressuscité voulait faire comprendre aux disciples d'Emmaüs quand il leur disait : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela ? »

Au fond, j'entends là que le péché, la souillure c'était justement ce coeur de pierre, ces yeux fermés, le refus de reconnaître nos complicités. Mais le meurtre injuste du Messie fera jaillir une source, un torrent qui emportera tout, qui balaiera tout. Saint Jean, qui, visiblement, connaissait bien le livre de Zacharie, dira plus tard « un fleuve d'eau vive ».

Voilà donc un texte qui nous concerne au plus haut point : car l'une des questions que nous nous posons souvent, c'est « On dit que Jésus est le Sauveur... De quoi Jésus nous sauve-t-il ? Et comment ? » Or, les premiers Chrétiens se la posaient tout comme nous ; et spontanément, ils sont allés chercher la réponse dans ce texte de Zacharie. La réponse est double : premièrement, de quoi Jésus nous sauve-t-il ? Il nous sauve de la haine, de la violence, de l'égoïsme qui sont l'origine de tous nos maux. Pour reprendre l'expression d'Ezéchiel, il change nos coeurs de pierre en coeurs de chair. Zacharie parle « d'un esprit qui fera naître en nous bonté et supplication ».

Deuxièmement, comment Jésus nous sauve-t-il ? Réponse : en livrant son corps transpercé à nos regards. C'est de Zacharie que Saint Jean a repris dans le récit de la Passion la fameuse phrase « Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé ». Et Zacharie continue : « En ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure ».

Il restera à nous demander si ce salut est bien accompli, alors que l'humanité continue à vivre dans la haine, la violence, les égoïsmes et les désordres de toute sorte ? Que répondre sinon que Dieu nous a créés libres : à nous d'accepter de lever les yeux. Il ne nous convertira pas de force.

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Cette dernière partie du livre de Zacharie était très populaire au temps des premiers Chrétiens. Les évangiles, tous spécialement dans les récits de la Passion y font référence.

PSAUME 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 8-9

2 Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.

3 Je t'ai contemplé au sanctuaire,
j'ai vu ta force et ta gloire.
4 Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !

5 Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
6 Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.

8 Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
9 Mon âme s'attache à toi,
ta main droite me soutient.

« Mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi... » Tout ce psaume est écrit à la première personne du singulier ; mais, comme toujours dans les psaumes, ce singulier est collectif : c'est le peuple d'Israël tout entier qui peut dire « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube » ...

Et quand il dit « dès l'aube », il veut dire depuis l'aube des temps, car depuis toujours, le peuple d'Israël est en quête de son Dieu. « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » : en Israël, ces expressions sont très réalistes : la terre désertique, assoiffée, qui n'attend que la pluie pour revivre, c'est une expérience habituelle, très suggestive.

Depuis l'aube de son histoire, Israël a soif de son Dieu, une soif d'autant plus grande qu'il a expérimenté la présence, l'intimité proposée par Dieu. Il va jusqu'à dire « Mon âme s'attache à toi », ce qui est une expression très forte : littéralement il faudrait traduire : « mon âme adhère à toi, mon âme est suspendue... accrochée à toi, elle se presse contre toi ».

Pour exprimer son expérience de relation à Dieu, le peuple élu se compare à un lévite : les lévites, (c'est-à-dire les membres de la tribu de Lévi) étaient par naissance consacrés au service du Temple de Jérusalem et ils y passaient le plus clair de leur temps. Il faut donc lire ce psaume en décodant les images : Israël est comme un lévite. Nous avons déjà eu des occasions de le voir, les psaumes sont toujours des prières collectives, mais ils se présentent comme le cri d'un individu isolé : c'est une mise en scène qu'on appelle le revêtement du psaume ; il faut alors lire : Israël est comme l'individu qu'on met en scène (ici un lévite).

On ne s'étonne pas, par conséquent, de rencontrer dans ce psaume de multiples allusions très concrètes à la vie quotidienne d'un lévite dans le temple de Jérusalem. Je les reprends :

« Je t'ai contemplé au sanctuaire » : seuls les lévites avaient accès à la partie sainte du Temple... « toute ma vie, je vais te bénir » ; effectivement toute la vie du lévite était consacrée à la louange de Dieu... « lever les mains en invoquant ton nom » : là nous voyons le lévite en prière, les mains levées... « comme par un festin je serai rassasié » : certains sacrifices étaient suivis d'un repas de communion pour tous les assistants, et d'autre part, vous savez que les lévites recevaient pour leur nourriture une part de la viande des sacrifices ...

Enfin l'allusion la plus flagrante c'est « je crie de joie à l'ombre de tes ailes » : voilà une expression qu'on ne peut comprendre que si on connaît les secrets de l'intérieur du Temple : là, dans le lieu le plus sacré, le « Saint des Saints », se trouvait l'Arche d'Alliance ; pour nous, il n'est pas très facile de nous représenter l'Arche d'Alliance : quand nous disons Arche aujourd'hui, nous risquons de penser à une oeuvre architecturale imposante : les Parisiens penseraient peut-être à ce qu'ils appellent la Grande Arche de la Défense... Pour Israël, c'est tout autre chose !

Il s'agit de ce qu'ils ont de plus sacré : un petit coffret de bois précieux, recouvert d'or, qui abritait les tables de la Loi. Sur ce coffret, veillaient deux énormes statues de chérubins. Les « Chérubins » n'ont pas été inventés par Israël : le mot vient de Mésopotamie. C'étaient des êtres célestes, à corps de lion, et face d'homme, et surtout des ailes immenses. En Mésopotamie, ils étaient honorés comme des divinités... en Israël au contraire, on prend bien soin de montrer qu'ils ne sont que des créatures : ils sont représentés comme des protecteurs de l'Arche, mais leurs ailes déployées sont considérées comme le marchepied du trône de Dieu.

Ici, le lévite en prière dans le Temple, à l'ombre des ailes des chérubins se sent enveloppé de la tendresse de son Dieu depuis l'aube jusqu'à la nuit.

En réalité, ce lévite c'est Israël tout entier qui, depuis l'aube de son histoire et jusqu'à la fin des temps, s'émerveille de l'intimité que Dieu lui propose : et donc, à un deuxième niveau, c'est l'expérience du peuple qui affleure dans ce psaume : par exemple « mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » est certainement une allusion au séjour dans le désert après la sortie d'Egypte et à l'expérience terrible de la soif à Massa et Meriba (Ex 17).

« Je t'ai contemplé au sanctuaire » est une allusion aux manifestations de Dieu au Sinaï, le lieu sacré où le peuple a contemplé son Dieu qui lui offrait l'Alliance... « J'ai vu ta force et ta gloire » : dans la mémoire d'Israël, cela évoque les prodiges de Dieu pendant l'Exode pour libérer son peuple de l'esclavage en Egypte.

Toutes ces évocations d'une vie d'Alliance, d'intimité sans ombre sont peut-être la preuve que ce psaume a été écrit dans une période moins lumineuse ! A un moment où il faut s'accrocher aux souvenirs du passé pour garder l'espérance. Car tout n'est pas si rose : la preuve, les derniers versets (que nous n'avons pas lus aujourd'hui), disent fortement, violemment même, l'attente de la disparition du mal sur la terre... Ce qui prouve bien que les croyants sont affrontés à la souffrance. Israël attend la pleine réalisation des promesses de Dieu, les cieux nouveaux, la terre nouvelle où il n'y aura plus ni larmes ni deuil.

Dans la première lecture de ce dimanche, Zacharie annonçait la profonde transformation du coeur de l'homme : enfin les yeux et les coeurs s'ouvriront quand ils accepteront de lever les yeux sur le Messie transpercé. Le psaume 62/63 répond en écho : oui, ce jour béni viendra ; vous, peuple élu, en avez déjà un avant-goût ; en attendant sa venue pleine et définitive, recherchez l'intimité avec Dieu, attachez vous à lui, seule sa présence peut combler vos coeurs. « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube : mon âme a soif de toi... Je t'ai contemplé au sanctuaire, j'ai vu ta force et ta gloire. Ton amour vaut mieux que la vie : tu seras la louange de mes lèvres ! »

DEUXIEME LECTURE - Galates 3, 26 - 29

Frères,
26 en Jésus Christ,
vous êtes tous fils de Dieu
par la foi.
27 En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ,
vous avez revêtu le Christ ;
28 il n'y a plus ni Juif ni païen,
il n'y a plus ni esclave ni homme libre,
il n'y a plus l'homme et la femme,
car tous, vous ne faites plus qu'un
dans le Christ Jésus.
29 Et si vous appartenez au Christ,
c'est vous qui êtes la descendance d'Abraham ;
et l'héritage que Dieu lui a promis,
c'est à vous qu'il revient.

On sait que Paul s'adresse ici à la communauté chrétienne de Galatie à un moment où elle traverse une grave querelle. La phrase « Il n'y a plus ni Juif ni païen, ni esclave ni homme libre, il n'y a plus l'homme et la femme... » n'en prend que plus de relief.

« Vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus », chaque jour qui passe nous démontre le contraire... Nous ne connaissons que trop de clivages, de racismes de toute sorte, tout aussi douloureux, tout aussi tenaces que ceux qui déchiraient les Galates... C'est là que nous sentons cruellement le fossé qui sépare l'espoir de la réalité. Et pourtant Paul insiste.

S'il insiste, justement, c'est pour nous inviter à dépasser les apparences : ce que nous appelons la réalité concrète n'est faite que de différences de sexe, de race, d'origine sociale... (et j'en oublie)... mais, nous dit Paul, ce ne sont que des apparences. Bien plus forte que toutes ces apparences, il y a notre unité profonde parce que, les uns et les autres, nous sommes greffés sur Jésus-Christ. Un même sang, une même sève coule dans nos veines, pourrait-on dire.

« Vous tous, que le Baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ. » L'image du vêtement est superbe : le manteau du Christ nous enveloppe tous et il recouvre toutes nos particularités qui en deviennent accessoires ; comment ne pas penser à cette phrase du Père Teilhard de Chardin : « Dès l'origine des Choses un Avent de recueillement et de labeur a commencé... Et depuis que Jésus est né, qu'Il a fini de grandir, qu'Il est mort, tout a continué de se mouvoir, parce que le Christ n'a pas achevé de se former. Il n'a pas ramené à Lui les derniers plis de la Robe de chair et d'amour que lui forment ses fidèles ... » (Ecrits de guerre - 1916).

Concrètement, si Paul insiste, c'est parce que la question se pose : le texte lui-même dit bien où se situaient les problèmes... quand Paul dit « il n'y a plus ni Juif ni païen » cela veut bien dire qu'entre les Chrétiens d'origine juive et ceux qui étaient d'anciens païens, il y avait de sérieuses difficultés ; de la même manière, les deux propositions suivantes : « il n'y a plus ni esclave ni homme libre » et « il n'y a plus l'homme et la femme » laissent deviner quelles divisions Paul appelle les Galates à surmonter.

Notons au passage qu'on ne peut pas accuser Paul de misogynie : « Il n'y a plus l'homme et la femme » dit-il ; traduisez « il n'y a plus que des baptisés » ; vous êtes des fidèles du Christ, c'est cela seul qui compte. Voilà votre dignité : même s'il subsiste dans la société des différences de rôle entre hommes et femmes, même si dans l'Eglise les mêmes responsabilités ne vous sont pas confiées, au regard de la foi, vous êtes avant tout des baptisés. « Il n'y a plus ni esclave ni homme libre » : là encore, cela ne veut pas dire que Paul préconise la révolution ; mais quel que soit le rang social des uns et des autres, vous aurez pour tous la même considération car tous vous êtes des baptisés. Vous ne regarderez pas avec moins de respect et de déférence celui qui vous paraît moins haut placé sur l'échelle sociale : la recommandation vaut bien encore pour nous aujourd'hui !

Je reviens sur la première distinction que Paul invite les Galates à dépasser : « Il n'y a plus ni Juif ni païen » ; on connaît le problème qui a empoisonné les premières communautés chrétiennes : la querelle que les anciens Juifs devenus Chrétiens faisaient aux Chrétiens non-Juifs, c'est-à-dire des gens qui jusqu'ici étaient des païens, des non-circoncis ; il était facile de les culpabiliser : tant qu'ils ne se pliaient pas aux règles de la religion juive, ils ne faisaient pas partie du peuple élu.

La question qui se cachait par derrière était en fin de compte : est-ce que la foi suffit ? Ou bien faut-il en outre pratiquer la loi juive, en particulier la circoncision ? Paul répond : Abraham non plus n'était pas encore circoncis (pas plus que les Galates) quand il a entendu les Promesses de Dieu ; et parce qu'il mit sa confiance en Dieu, il fut considéré comme juste : « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et pour cela le SEIGNEUR le considéra comme juste. » (Gn 15, 6). Or l'une des promesses visait toutes les familles de la terre : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » (Gn 12, 3). Toutes les familles de la terre, dont vous, les Galates.

Mais Paul va encore plus loin : non seulement les Galates bénéficient de la bénédiction promise à toutes les familles de la terre, mais mieux encore, ils sont des descendants d'Abraham, ils deviennent membres du peuple de la promesse ; biologiquement, c'est impossible ; mais spirituellement ils le sont devenus par leur Baptême. Par le Baptême, les chrétiens sont intégrés à Jésus-Christ, et par lui, ils sont intégrés à la descendance d'Abraham : « Vous tous que le Baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » : et il faut entendre le mot « unis » au sens très fort ; notre nom même de Chrétiens, qui signifie « du Christ », dit bien que nous lui appartenons. Unis à lui, qui est le fils parfait du Père, nous sommes intégrés à la descendance d'Abraham, le croyant. « Si vous appartenez au Christ, c'est vous qui êtes la descendance d'Abraham, le croyant. »

Circoncis ou non, puisque nous sommes croyants, nous sommes donc les descendants d'Abraham, une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel, ou les grains de sable de la mer, comme Dieu le lui avait promis... nous sommes ses héritiers. Le Code de Droit canonique en tire les conséquences quand il affirme « Entre tous les fidèles, du fait de leur régénération dans le Christ, il existe quant à la dignité et à l'activité, une véritable égalité... » (Canon 208).

Concrètement, quotidiennement, les inégalités et les divisions subsistent quand même parmi nous ; et toute notre vie est tiraillée entre notre destin, notre vocation de baptisés et la lourdeur des divisions qui ont bien l'air de nous coller à la peau. Mais si l'on prend Paul au sérieux, chaque fois que nous constatons que nous vivons encore sous un régime de discriminations entre nous, nous devrions nous dire que nos façons de faire sont périmées : parce que, depuis notre Baptême, nous sommes tous unis au Christ, greffés sur le Christ : au fond, ici aussi, nous devrions nous dire « qu'il ne faut pas séparer ce que Dieu a uni ».

EVANGILE - Luc 9, 18 - 24

18 Un jour, Jésus priait à l'écart.
Comme ses disciples étaient là,
il les interrogea :
« Pour la foule, qui suis-je ? »
19 Ils répondirent :
« Jean-Baptiste ;
pour d'autres, Elie ;
pour d'autres, un prophète d'autrefois qui serait ressuscité. »
20 Jésus leur dit :
« Et vous, que dites-vous ?
Pour vous qui suis-je ? »
Pierre prit la parole et répondit :
« Le Messie de Dieu. »
21 Et Jésus leur défendit vivement
de le révéler à personne,
22 en expliquant :
« Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup,
qu'il soit rejeté
par les Anciens, les chefs des prêtres et les scribes,
qu'il soit tué,
et que le troisième jour, il ressuscite. »
23 Jésus disait à la foule :
« Celui qui veut marcher à ma suite,
qu'il renonce à lui-même,
qu'il prenne sa croix chaque jour, et qu'il me suive.
24 Car celui qui veut sauver sa vie
la perdra ;
mais celui qui perdra sa vie pour moi
la sauvera. »
 
Jésus vient de guérir ceux qui en avaient besoin et de multiplier le pain pour nourrir la foule. Et c'est juste à ce moment-là qu'il pose à ses disciples la question de confiance. « Qui suis-je ? » Et il la pose en deux temps ; la foule, d'abord, que pense-t-elle de moi ? Et vous, mes disciples ? Certainement il y a là une pédagogie de sa part : il veut faire faire à ses disciples le pas de la foi. Pour la foule, qui suis-je ? Et la réponse est celle de n'importe qui ; et pour vous ? Et là, il sollicite leur engagement personnel.

Commençons par les opinions de la foule : certains croient que Jésus n'est autre que Jean-Baptiste ressuscité, d'autres le prennent pour Elie, enfin d'autres pensent qu'il est un autre prophète ressuscité. Première remarque, l'idée de résurrection était répandue déjà puisqu'on l'envisage pour Jean-Baptiste et pour des prophètes ; une fraction du peuple juif, au moins, était donc prête à entendre le message de Résurrection du matin de Pâques.

Deuxième remarque : cette question intervient après la multiplication des pains : Elie aussi avait opéré un miracle du pain, rappelez-vous l'histoire de la veuve de Sarepta... Or le prophète Malachie avait bien annoncé que Elie reviendrait : « Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le Jour du Seigneur... Il ramènera le coeur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères... » (Ml 3, 23). Prendre Jésus pour Elie revenu, pourquoi pas ? Mais, dans le récit de la Transfiguration qui suit tout de suite chez Luc notre texte d'aujourd'hui, Pierre, Jacques et Jean verront Elie auprès de Jésus transfiguré : cela les aidera à reconnaître que Jésus n'est pas le prophète Elie revenu sur terre.

Apparemment, la foule s'interroge sur Jésus, mais les avis sont partagés : peut-être Jean-Baptiste, qu'Hérode Antipas (le fils d'Hérode le Grand) vient de faire exécuter, est-il ressuscité ? Quelques versets plus haut, Luc racontait qu'Hérode lui-même ne savait pas quoi penser à ce sujet : « Hérode le Tétrarque apprit tout ce qui se passait et il était perplexe, car certains disaient que Jean (le Baptiste) était ressuscité des morts, d'autres qu'Elie était apparu, d'autres qu'un prophète d'autrefois était ressuscité. Hérode dit : « Jean, je l'ai fait moi-même décapiter. Mais quel est celui-ci, dont j'entends dire de telles choses ? » (Lc 9, 7-9).

Maintenant, c'est au tour des disciples de risquer une réponse à la question « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Le premier, Pierre prend la parole et dit « Le Messie de Dieu », c'est-à-dire celui qui a reçu l'onction, celui qui est habité par l'Esprit de Dieu et qui vient instaurer le Royaume de Dieu. Et d'ailleurs, pour Pierre la multiplication des pains en est la preuve : le Royaume de Dieu est déjà là.

Ce qui est quand même curieux, c'est que Jésus a posé cette question ; mais dès que Pierre donne la bonne réponse, il lui interdit de la répéter ! « Il leur défendit vivement de le répéter à personne... ». Et alors il s'explique ; son explication revient à dire : oui, tu as raison au moins sur un point, je suis bien le Messie... mais attention, le Messie n'est pas exactement comme vous croyez ! Et il annonce un Messie souffrant : « Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les Anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu'il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite ». Plus tard, les Chrétiens reliront les prophéties d'Isaïe (Is 53 sur le Serviteur souffrant) et de Zacharie (sur le mystérieux transpercé ; cf la première lecture de ce dimanche) qui, effectivement, annonçaient les souffrances du Messie ; mais au temps du Christ, bien peu pouvaient accepter cette éventualité. Le Messie était davantage attendu comme un chef de guerre triomphant qui libérerait le peuple juif de l'occupation romaine. Là encore, l'attitude de Jésus est donc pédagogique : d'une part, il veut inciter les disciples à s'engager dans la foi, à se démarquer des opinions de la foule, mais d'autre part, il veut leur ouvrir les yeux sur sa véritable mission : une mission de service et non de puissance ; et cette révélation-là, visiblement la foule n'est pas encore prête à la recevoir. Il ne faut donc pas lui dire trop vite qu'on a reconnu le Messie, la foule risquerait de s'enflammer, si j'ose dire, de faire un contresens sur le mystère de Jésus.

Dans cette annonce de sa Passion, Jésus dit ce fameux « Il faut »... comme il dira plus tard aux disciples d'Emmaüs, après la Résurrection « Il fallait »... Ce n'est certainement pas une exigence que Dieu aurait posée comme s'il faisait des comptes de mérites ! ... C'est là que ce texte de Luc résonne étonnamment avec la lecture de Zacharie que nous lisons en première lecture : à propos de Zacharie, je vous disais : Il faudra que le Messie aille jusque-là... Alors seulement s'ouvriront les coeurs des hommes, lorsqu'ils « lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé ».

Enfin, Jésus avertit ceux qui le suivent qu'ils doivent, eux aussi, emprunter ce chemin de renoncement : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu'il prenne sa croix chaque jour » : cette expression vise les difficultés, les épreuves de la mission d'évangélisation. Logiquement, s'ils se conduisent comme le maître, les disciples ne seront pas mieux traités que lui ! Comme lui, ils devront accepter ce qu'on peut appeler la « logique du grain de blé » (pour reprendre une image de Saint Jean) : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi, la sauvera ».

Vous l'avez remarqué, ces dernières phrases s'adressent en réalité à la foule et non plus seulement aux disciples ; l'invitation est donc très large : ne nous demandons pas d'où vient cette foule alors que dans les versets précédents, Jésus était seul avec ses disciples... Luc nous suggère ainsi qu'il n'y a pas d'autre condition préalable pour suivre Jésus : seulement être prêt à s'engager dans la mission d'annonce du Royaume sans jamais espérer de triomphe spectaculaire mais en acceptant l'enfouissement du grain de blé.

L'intelligence des écritures

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