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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 05:13

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.


Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus importants ou enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement). 

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps ; avant, cliquer sur le lien éventuel figurant sur le titre de chaque lecture), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

 

A Jérusalem,
12 par les mains des Apôtres,
beaucoup de signes et de prodiges
se réalisaient dans le peuple.
Tous les croyants, d'un seul coeur,
se tenaient sous la colonnade de Salomon.
13 Personne d'autre n'osait se joindre à eux ;
cependant, tout le peuple faisait leur éloge,
14 et des hommes et des femmes de plus en plus nombreux
adhéraient au Seigneur par la foi.
15 On allait jusqu'à sortir les malades sur les places,
en les mettant sur des lits et des brancards :
ainsi, quand Pierre passerait,
il toucherait l'un ou l'autre de son ombre.
16 Et même, une foule venue des villages voisins de Jérusalem
amenait des gens malades ou tourmentés par des esprits mauvais.
Et tous, ils étaient guéris.
 
Cette description d'une communauté idéale nous paraît presque trop belle ! Après vingt siècles, nos communautés chrétiennes en sont parfois si loin... Il y a comme cela, dans le livre des Actes des Apôtres, quatre petits tableaux, des résumés de la vie des tout débuts de l'Eglise, de quoi nous faire rêver. N'en déduisons pas que tout était rose pour les premiers Chrétiens ; nous aurons l'occasion au cours des dimanches qui viennent de voir qu'ils ont rencontré des difficultés de toute sorte ; et ils étaient des hommes, nos premiers chrétiens, pas des surhommes. Pourquoi Luc, l'auteur des Actes des Apôtres, a-t-il émaillé son livre de ces tableaux trop beaux ? En retenant de préférence les réussites des premières communautés, il veut peut-être nous encourager à avancer dans le même sens : car une communauté fraternelle est une condition indispensable de l'annonce de la Bonne Nouvelle ; or la seule chose qui compte, c'est que la Bonne Nouvelle soit annoncée. Et ce qui a frappé Luc, c'est que rien n'a pu empêcher l'Eglise naissante de se développer : la contagion de la Bonne Nouvelle s'est répandue irrésistiblement. Jésus les avait prévenus : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 8). C'est exactement ce qui s'est réalisé progressivement.

Pour l'instant, nous sommes encore à Jérusalem, ce qui veut dire que la résurrection du Christ est encore proche dans le temps : plus précisément, nous sommes au Temple de Jérusalem, sous la colonnade de Salomon ; tout le mur Est du Temple était en fait une colonnade bordant une allée couverte très large ; c'était un lieu de passage et de rencontre, accessible à tous, parce qu'il ne faisait pas partie des enceintes réservées aux Juifs. Cette remarque de Luc « Tous les croyants, d'un seul coeur, se tenaient sous la colonnade de Salomon » est très révélatrice : elle prouve que, dans un premier temps, après la mort et la Résurrection de Jésus, les Apôtres n'ont pas tout de suite cessé de fréquenter le Temple : ils sont Juifs et ils le restent ! Leur foi juive n'est d'ailleurs que plus forte après tous ces événements : puisque, à leurs yeux, les promesses de l'Ancien Testament sont enfin accomplies. Le fossé entre les Chrétiens et les Juifs qui ne reconnaissent pas Jésus comme le Messie ne se creusera que peu à peu. Mais on sent un peu déjà dans le texte d'aujourd'hui l'amorce de cette séparation : « Tous les croyants (sous-entendu Chrétiens), d'un seul coeur, se tenaient sous la colonnade de Salomon. Personne d'autre n'osait se joindre à eux ». Cela veut dire qu'ils formaient déjà un groupe à part au sein du peuple juif.

Dans la deuxième partie du texte de ce dimanche, Luc fait, de toute évidence, un parallèle avec les débuts de la prédication de Jésus, quelques années auparavant. A propos des Apôtres, il écrit : « une foule venue des villages voisins de Jérusalem amenait des gens malades ou tourmentés par des esprits mauvais. Et tous, ils étaient guéris. » Le même Luc écrivait dans son évangile à propos de Jésus : « Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades de toutes sortes les lui amenaient ; et lui, imposant les mains à chacun d'eux, les guérissait. Des démons aussi sortaient d'un grand nombre... » (Lc 4, 40-41). Or, quand le prophète Isaïe annonçait la venue du Messie, il disait : « Alors, les yeux des aveugles verront, et les oreilles des sourds s'ouvriront. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. » (Is 35, 5-6). Et quand les disciples de Jean-Baptiste sont venus demander à Jésus : « es-tu vraiment le Messie ? », Jésus a répondu dans les mêmes termes : « allez dire à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. » (Lc 7, 22-23). En insistant sur les guérisons opérées par Pierre et les Apôtres, Luc veut donc nous dire : c'est bien la même oeuvre du Messie qui continue ; les apôtres ont pris le relais.

Alors on comprend où il veut en venir ; il fait l'histoire des Apôtres dans le but bien précis de dire à sa communauté : à vous de prendre le relais des Apôtres maintenant, le Christ compte sur vous ! Grâce à ce témoignage des apôtres, « des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéraient au Seigneur par la foi ». Ils adhèrent au Seigneur, non aux apôtres... mais au Seigneur PAR les apôtres. L'évangélisation du monde ne se fait pas toute seule ! Ou, pour le dire autrement, l'évangélisation a besoin d'évangélisateurs ! Luc nous dit encore une fois : « A bon entendeur, salut ! »

A relire d'un peu plus près encore ces versets, on remarque une chose : Saint Luc n'attribue pas d'abord ces conversions nombreuses aux miracles opérés par les apôtres : « Tous les croyants, d'un seul coeur, se tenaient sous la colonnade de Salomon. Personne d'autre n'osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge et des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéraient au Seigneur par la foi. »

Du coup, on peut se demander : le jour où on pourra dire de nos communautés paroissiales « qu'elles n'ont qu'un seul coeur », peut-être ce jour-là, des hommes et des femmes de plus en plus nombreux adhéreront-ils au Seigneur...? C'est bien le souhait du Seigneur : « C'est à l'amour que vous aurez les uns pour les autres que l'on vous reconnaîtra pour mes disciples. » (Jn 13, 35). Cela n'est pas au-dessus de nos forces : les premiers Chrétiens étaient des hommes et des femmes comme nous ! Dans d'autres passages du livre des Actes, on en a largement la preuve : les désaccords, les disputes, et autres tentations n'ont pas manqué !

Faut-il en déduire que les miracles non plus ne sont pas au-dessus de nos forces ? Saint Pierre et les autres apôtres n'étaient pas des surhommes ; Pierre lui-même dira à Corneille qui s'agenouillait devant lui : « Relève-toi. Je ne suis qu'un homme, moi aussi ». C'est peut-être seulement la foi qui nous manque ?

PSAUME 117 (118), 1. 4, 22-26b, 27a. 29

1 Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon !
Eternel est son amour !
4 Qu'ils le disent, ceux qui craignent le SEIGNEUR :
Eternel est son amour !

22 La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs
est devenue la pierre d'angle :
23 c'est là l'oeuvre du SEIGNEUR,
la merveille devant nos yeux.

24 Voici le jour que fit le SEIGNEUR,
qu'il soit pour nous jour de fête et de joie !
25 Donne, SEIGNEUR, donne le salut !
Donne, SEIGNEUR, donne la victoire !

26 Béni soit au nom du SEIGNEUR celui qui vient !
27 Dieu, le SEIGNEUR, nous illumine.
29 Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon !
Eternel est son amour !

Nous avons déjà chanté ce psaume 117 (118 dans la Bible) pendant la nuit pascale et le jour même de Pâques. Et chaque dimanche ordinaire, il fait partie de l'Office des Laudes dans la liturgie des Heures (ou le Bréviaire si vous préférez). Pas étonnant : pour les Juifs, ce psaume concerne le Messie ; pour nous, Chrétiens, quand nous célébrons la Résurrection du Christ, nous reconnaissons en lui le Messie attendu par tout l'Ancien Testament, le roi véritable, le vainqueur de la mort.

C'est donc à ce double niveau de l'attente juive et de la foi chrétienne que je vous propose de l'entendre.

Le sens de ce psaume dans la foi juive :

C'est un psaume de louange : il commence d'ailleurs par le mot « Alleluia » qui signifie « louez Dieu » et qui donne bien le ton de l'ensemble ; ensuite, il comporte vingt-neuf versets et sur cet ensemble de vingt-neuf versets, il y a plus de trente fois le mot « SEIGNEUR » (les fameuses quatre lettres du nom de Dieu en hébreu) ou au moins Yah, qui en est la première syllabe... et ce sont autant de phrases de louange pour la grandeur de Dieu, l'amour de Dieu, l'oeuvre de Dieu pour son peuple... Une vraie litanie !

Ce psaume de louange est chanté pour accompagner un sacrifice d'action de grâce au cours de la fête des tentes, cette fête très importante qui dure huit jours en automne. Je commence par vous raconter le déroulement de la fête des tentes : le rite le plus visible pour des étrangers se situe hors du Temple : pendant toute cette semaine, on habite - même en ville - dans des huttes de branchage, les « Tentes » ou « Tabernacles », (d'où le nom de cette fête) en mémoire des tentes du désert et aussi de la protection de l'ombre de Dieu, pendant l'Exode ; d'autres rites se déroulent à l'intérieur du Temple : des célébrations de toute sorte (dont le point commun est le re-nouvellement de l'Alliance), au cours desquelles chaque pèlerin brandit des rameaux en les agitant. Plus exactement, il s'agit d'un petit bouquet soigneusement lié, le bouquet de « loulav » composé d'une palme, d'une branche de myrte, d'une branche de saule et d'un cédrat (sorte de petit citron). Enfin, pendant certains offices, on fait une immense procession autour de l'autel en agitant ces bouquets de loulav et en chantant des psaumes entre-coupés de « Hosanna » qui signifie à la fois « Dieu sauve » et « Dieu, sauve-nous ». Il y a également des rites de libation d'eau et une grande illumination du Temple le soir du dernier jour : Saint Jean y fait allusion.

C'est une fête pleine de ferveur et de joie car elle anticipe la venue du Messie : on rend grâce pour le salut déjà accompli et on accueille le salut qui vient, qui ne saurait tarder (le Messie). C'est le sens de l'acclamation « Béni soit celui qui vient au nom du SEIGNEUR ».

Dans les quelques versets retenus pour la liturgie de ce dimanche, nous ne retrouvons pas tous les éléments de la fête des tentes, mais nous avons ressenti la joie qui habite les croyants : « Voici le jour que fit le SEIGNEUR, jour de fête et jour de joie »... « Rendez grâce au SEIGNEUR : il est bon ! Eternel est son amour ! »

Cette bonté du Seigneur, le peuple d'Israël l'a expérimentée tout au long de son histoire. Pour le dire, le psaume raconte l'histoire d'un roi qui vient d'affronter une guerre sans merci et qui a remporté la victoire ; et ce roi vient rendre grâce à son Dieu de l'avoir soutenu. Il dit par exemple : « On m'a poussé, bousculé pour m'abattre, mais le SEIGNEUR m'a défendu »... « Toutes les nations m'ont encerclé : au nom du SEIGNEUR, je les détruis » et encore : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j'annoncerai les oeuvres du SEIGNEUR ». C'est donc un individu qui parle ici, un roi qui a miraculeusement échappé à toutes les attaques des pays qui l'assaillaient ; mais, en réalité, nous savons qu'il faut lire entre les lignes : c'est l'histoire du peuple d'Israël. De nombreuses fois au cours de son histoire, il a frôlé l'anéantissement ; mais à chaque fois le Seigneur l'a relevé et il chante dans cette grande fête des tentes : « Non, je ne mourrai pas, je vivrai, et j'annoncerai les oeuvres du SEIGNEUR ». Ce rôle de témoin des oeuvres du Seigneur, c'est la vocation propre d'Israël ; et c'est dans la conscience même de cette vocation qu'il a puisé la force de survivre à toutes ses épreuves au long de l'histoire.

Et maintenant, quelques mots sur le sens de ce psaume pour les Chrétiens :

Tout d'abord, on remarque la parenté entre la fête juive des tentes et l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, que nous commémorons dans la fête des Rameaux.

Mais surtout, la jubilation qui court dans ce psaume convient au Ressuscité du matin de Pâques ! Il est ce roi victorieux : les évangélistes, chacun à sa manière, nous l'ont présenté comme le roi véritable : pour n'en citer qu'un, par exemple, Matthieu a construit l'épisode de la visite des Mages de manière à bien nous faire comprendre que le véritable roi n'est pas celui que disent les historiens (c'est-à-dire Hérode) mais l'enfant de Bethléem... ou bien Jean, dans le récit de la Passion, nous présente bien Jésus comme le vrai roi des Juifs...

En méditant le mystère de ce messie rejeté, méprisé, crucifié, les apôtres ont découvert un nouveau sens à ce psaume : Jésus est cette pierre angulaire, rejetée par les bâtisseurs et qui devient la pierre maîtresse1... Rejeté par son peuple, il est devenu la pierre de fondation de l'Israël nouveau.

Il est vraiment « celui qui vient au nom du SEIGNEUR » comme dit le psaume : l'expression même a été employée lors de son entrée solennelle à Jérusalem.

Enfin, on se souvient que ce psaume était chanté à Jérusalem à l'occasion d'un sacrifice d'action de grâce ; Jésus, lui, vient d'accomplir LE sacrifice d'action de grâce par excellence ! Il est l'Israël nouveau qui rend grâce à Dieu son Père : c'est même ce qui caractérise Jésus : toute son attitude envers son Père n'est qu'action de grâce et c'est cela justement qui inaugure entre Dieu et l'humanité l'Alliance nouvelle : celle où l'humanité n'est que réponse d'amour à l'amour du Père.

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Note

1 - la pierre angulaire : pour cette expression, voir le commentaire de ce psaume 117 (118) pour le dimanche de Pâques.

DEUXIEME LECTURE - Apocalypse 1, 9...19

9 Moi, Jean,
votre frère et compagnon
dans la persécution, la royauté et l'endurance avec Jésus,
je me trouvais dans l'île de Patmos
à cause de la parole de Dieu
et du témoignage pour Jésus.
10 C'était le jour du Seigneur ;
je fus inspiré par l'Esprit,
et j'entendis derrière moi une voix puissante,
pareille au son d'une trompette.
11 Elle disait :
« Ce que tu vois, écris-le dans un livre
et envoie-le aux sept Eglises
qui sont en Asie Mineure. »
12 Je me retournai pour voir qui me parlait.
Quand je me fus retourné,
je vis sept chandeliers d'or ;
13 et au milieu d'eux comme un fils d'homme,
vêtu d'une longue tunique ;
une ceinture d'or lui serrait la poitrine.

17 Quand je le vis,
je tombai comme mort à ses pieds,
mais il posa sur moi sa main droite, en disant :
« Sois sans crainte.
Je suis le Premier et le Dernier,
18 je suis le Vivant :
j'étais mort,
mais me voici vivant pour les siècles des siècles,
et je détiens les clefs de la mort et du séjour des morts.
19 Ecris donc ce que tu auras vu :
ce qui arrive maintenant,
et ce qui arrivera ensuite. »

Pendant six dimanches de suite, nous allons lire en deuxième lecture des passages de l'Apocalypse de Saint Jean : c'est une chance qui nous permettra de faire un peu connaissance avec l'un des textes les plus attachants du Nouveau Testament ; livre difficile à première vue, il nous demande un effort mais nous serons vite récompensés. Aujourd'hui donc, premier contact. Le mot « Apocalypse » vient du grec : cela signifie « révélation », « dévoilement » au sens de « retirer un voile » ; il s'agit pour Jean de nous révéler le mystère de l'histoire du monde, mystère caché à nos yeux. Parce qu'il s'agit de nous révéler ce que nos yeux ne voient pas spontanément, le livre se présente sous forme de visions : par exemple, le verbe « voir » est employé cinq fois dans le simple passage d'aujourd'hui !

Ce mot « d'Apocalypse » malheureusement n'a pas eu de chance : il est devenu presque un épouvantail, ce qui est le pire des contresens ! Car, à sa manière, l'Apocalypse est, comme tous les autres livres bibliques, une Bonne Nouvelle. Toute la Bible, dès l'Ancien Testament, est le dévoilement du mystère du « dessein bienveillant de Dieu », (comme dit la Lettre aux Ephésiens), le projet d'amour de Dieu pour l'humanité. Les Apocalypses sont un genre littéraire particulier, mais comme tous les autres livres bibliques, elles n'ont pas d'autre message que l'amour de Dieu et la victoire définitive de l'amour sur toutes les formes du mal. Si nous ne sommes pas convaincus de cela en ouvrant les Apocalypses, et en particulier celle de Jean, mieux vaut ne pas les ouvrir ! Nous risquons de les lire de travers !

Ce qui fait l'une des difficultés de ce genre littéraire, ce sont les visions souvent fantastiques et difficiles à décrypter, pour nous tout au moins. Tout est là : ce n'était pas difficile pour les destinataires, c'est difficile pour nous qui ne sommes plus dans leur situation. Pourquoi parler sous forme de visions ? Pourquoi ne pas parler en clair ? Ce serait tellement plus simple... non, justement ; l'Apocalypse de Saint Jean, comme tous les livres du même genre (il y a eu plusieurs apocalypses écrites par des auteurs différents entre le deuxième siècle av. JC et le deuxième siècle ap. JC), est écrite en temps de persécution ; on le lit bien ici : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution... je me trouvais dans l'île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage pour Jésus. » A Patmos, Jean ne fait pas du tourisme, il y a été exilé.

Parce qu'on est en pleine persécution, une Apocalypse est un écrit qui circule sous le manteau, pour remonter le moral des troupes ; le thème majeur, c'est la victoire finale de ceux qui actuellement sont opprimés. Le discours, en gros, c'est : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage ; Christ a vaincu le monde : regardez, il est vainqueur. Il a vaincu la mort. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Le vrai roi, c'est le Christ ; ceci, Jean le dit dès la première phrase : « Moi, Jean, votre frère et compagnon dans la persécution, la royauté et l'endurance avec Jésus. »

Evidemment, un tel discours ne peut pas être trop explicite, puisque le danger est grand de le voir saisi par le persécuteur ; alors on raconte des histoires d'un autre temps et des visions fantasmagoriques, tout ce qu'il faut pour décourager la lecture par des non-initiés. Par exemple, Saint Jean dit tout le mal possible de Babylone, qu'il appelle « la grande prostituée ». Pour qui sait lire entre les lignes, il s'agit évidemment de Rome. Le message de toute Apocalypse, c'est celui-là : les forces du mal pourront se déchaîner, elles ne l'emporteront pas !

C'est ce qui explique le triste contresens que nous faisons souvent sur le mot « Apocalypse » : car on y trouve effectivement la description du mal déchaîné, mais on y trouve bien plus encore l'annonce de la victoire de Dieu et de ceux qui lui seront restés fidèles.

Je reviens à l'Apocalypse de Saint Jean : puisqu'elle fait partie du Nouveau Testament, son personnage central est bien évidemment Jésus-Christ : il est au centre de toutes les visions.

Dans la lecture de ce dimanche, cette victoire du Christ nous est présentée dans une vision grandiose : c'est un dimanche, également, c'est-à-dire le jour où l'on célèbre la Résurrection du Christ. Jean a l'impression de revivre comme une nouvelle Pentecôte : une voix puissante comme une trompette, le souffle de l'Esprit... il est saisi... au milieu de sept chandeliers d'or, un être de lumière lui apparaît ; un « fils d'homme » ; dans le vocabulaire du Nouveau Testament, le fils de l'homme est l'une des expressions pour dire le Messie ; pour Jean, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, c'est le Christ. Alors, comme tout homme mis soudainement en présence de Dieu, Jean tombe à ses pieds et il s'entend dire « Sois sans crainte »... et il entend les paroles de victoire : « Je suis » (le nom même de Dieu)... « Je suis le Premier et le Dernier... Je suis le Vivant... le victorieux de la mort... je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. »

Et comme toujours, ce genre de vision est vocation, pour une mission au service de ses frères : « Ecris ce que tu auras vu... » sous-entendu va encourager tes frères ; le passé, le présent, l'avenir m'appartiennent : on entend résonner ici la promesse du Christ : « Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra » (Jn 11, 25).

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Note

1 - Les exégètes s'entendent pour dire que l'Apocalypse de Jean a été écrite sous le règne de l'empereur Domitien (81-96). Or cet empereur ne s'est pas livré à une persécution systématique des Chrétiens. Le climat d'insécurité dans lequel vit la communauté de Jean vient peut-être d'une part des exigences du culte impérial promu par Domitien et d'autre part de l'opposition des Juifs restés réfractaires au christianisme. C'est ce qui semble ressortir des lettres aux sept Eglises.

Compléments

Dans l'Ancien Testament, le message du livre de Daniel était de type apocalyptique : écrit vers 165 av.J.C. pour encourager ses frères persécutés par le roi grec Antiochus Epiphane, Daniel n'attaquait pas directement le problème : il racontait les actes d'héroïsme accomplis par des Juifs fidèles sous la persécution de Nabuchodonosor quatre cents ans plus tôt ; ce n'était qu'une leçon d'histoire, en apparence ; mais, pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair.

Un exemple de texte de style « apocalyptique » dans l'histoire récente : au temps de la domination russe sur la Tchécoslovaquie, une jeune actrice tchèque a composé et joué de nombreuses fois dans son pays une pièce sur Jeanne d'Arc : franchement l'histoire de Jeanne d'Arc boutant les Anglais hors de France au quinzième siècle n'était pas le premier souci des Tchèques ; et si le scénario tombait entre les mains du pouvoir occupant, ce n'était pas trop compromettant ; mais pour qui savait lire entre les lignes, le message était clair : ce que la jeune fille de dix-neuf ans a su faire, avec l'aide de Dieu, nous le pouvons nous aussi.

EVANGILE - Jean 20, 19-31

C'était après la mort de Jésus,
19 le soir du premier jour de la semaine.
Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient,
car ils avaient peur des Juifs.
Jésus vint, et il était là au milieu d'eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m'a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle
et il leur dit :
« Recevez l'Esprit Saint.
23 Tout homme à qui vous remettrez ses péchés,
ils lui seront remis ;
tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés,
ils lui seront maintenus. »
24 Or, l'un des Douze, Thomas
(dont le nom signifie : "Jumeau")
n'était pas avec eux, quand Jésus était venu.
25 Les autres disciples lui disaient :
"Nous avons vu le Seigneur !"
Mais il leur déclara :
« Si je ne vois pas
dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous,
si je ne mets la main dans son côté,
non, je n'y croirai pas. »
26 Huit jours plus tard,
les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient
alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d'eux.
Il dit :
« La paix soit avec vous ! »
27 Puis il dit à Thomas :
« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d'être incrédule,
sois croyant. »
28 Thomas lui dit alors :
« Mon Seigneur et mon Dieu ! »
29 Jésus lui dit :
« Parce que tu m'as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
30 Il y a encore beaucoup d'autres signes
que Jésus a faits en présence des disciples
et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre.
31 Mais ceux-là y ont été mis
afin que vous croyiez
que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu,
et afin que, par votre foi, vous ayez la vie en son nom.
 

C'est la première fois que Jésus Ressuscité rencontre ses disciples. Ils ont encore dans la tête les derniers mots qu'il a prononcés sur la croix : « Tout est achevé ». C'est ainsi que se termine le récit de la Passion dans l'évangile de saint Jean. Il me semble que cette phrase « Tout est achevé », c'est-à-dire « le projet de Dieu est accompli » devient à ce moment-là une évidence pour Jean, et c'est dans cet esprit qu'il vit cette première rencontre avec le Ressuscité.

Par exemple, comme par hasard, cela se passe à Jérusalem ! La ville faite pour la paix, comme son nom l'indique (Yerushalaïm : dans ce nom, il y a le mot hébreu « shalom ») et Jésus y annonce et y donne sa paix ; il dit « Shalom » et parce qu'il est Dieu, et enfin reconnu comme tel, sa Parole est efficace, créatrice. Réellement, sa paix s'accomplit...

Dire cela aujourd'hui ne relève-t-il pas de l'inconscience ? de l'utopie ? Au contraire, il est plus que jamais urgent d'y croire ! Mais la paix ne vient pas d'un coup de baguette magique ! Elle exige des coeurs prêts à l'accueillir.

Jean a certainement en tête toutes les promesses des prophètes, par exemple Isaïe : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné... le prince de la paix... » (Is 9) ; ou encore Jérémie : « Moi, dit Dieu, je sais les projets que j'ai formés à votre sujet, projets de prospérité (de « shalom ») et non de malheur... » (Jr 29, 11) ;

Et les disciples sont dans la joie : Jean se souvient de la parole du Christ, le dernier soir : « Vous êtes maintenant dans l'affliction ; mais je vous verrai à nouveau, votre coeur alors se réjouira, et cette joie, nul ne vous la ravira » (Jn 16, 22).

Ensuite, « C'était le soir du premier jour de la semaine » : au temps de Jésus, en Palestine, ce premier jour de la semaine, c'est-à-dire le dimanche, était un jour comme les autres, un jour de travail comme les autres... en revanche, le septième jour, le samedi était jour de repos, de prière, de rassemblement, le shabbat. Or, c'est un lendemain de shabbat que Jésus est ressuscité, et, plusieurs fois de suite, il s'est montré vivant à ses apôtres après sa résurrection, chaque fois le premier jour de la semaine : si bien que pour les Chrétiens, le premier jour de la semaine, le dimanche, a pris un sens particulier. Ce « premier jour de la semaine » leur paraît à eux être le premier jour des temps nouveaux : comme la semaine de sept jours des Juifs rappelait les sept jours de la Création, cette nouvelle semaine qui a commencé par la Résurrection du Christ a été comprise par les Chrétiens comme le début de la nouvelle Création.

Si bien que quand Jean écrit « C'était le soir du premier jour de la semaine », ce n'est pas seulement une précision matérielle qu'il nous donne : c'est plutôt comme un clin d'oeil ; quand il écrit son évangile, il y a déjà à peu près cinquante ans que les faits se sont passés... cinquante ans que les Chrétiens se réunissent chaque dimanche pour fêter la résurrection de Jésus. Le clin d'oeil, c'est « vous comprenez pourquoi on se rassemble chaque dimanche ? » Et d'ailleurs, notre mot français vient du latin « dies dominicus » qui veut dire « Jour du Seigneur ». Chaque dimanche, nous annonçons que le Jour du Seigneur, le Jour de la Création Nouvelle est enfin venu. Le « dessein bienveillant » de Dieu est accompli.

C'est précisément ce jour-là, le premier jour de la semaine que le Christ donne l'Esprit à ses disciples, comme le prophète Ezéchiel l'avait annoncé : « Je mettrai en vous mon propre Esprit ». Jésus « souffle » sur ses disciples et dit « Recevez l'Esprit Saint » ; Jean a repris intentionnellement le mot du livre de la Genèse (Gn 2, 7) : comme Dieu a insufflé à l'homme l'haleine de vie, Jésus inaugure la création nouvelle en insufflant à l'homme son esprit. En écho, la quatrième prière eucharistique rend grâce pour le don de l'Esprit, « le premier don fait aux croyants ».

Dans la Bible, l'Esprit est toujours donné pour une mission, et effectivement, Jésus est venu pour confier à ses disciples leur mission : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie ». A Pilate, trois jours avant, il a dit « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37) et Pilate avait posé la question « Qu'est-ce que la vérité ? » Jésus confie à ses disciples la mission d'annoncer à leur tour au monde la vérité, la seule dont les hommes aient besoin pour vivre : « Dieu est Père, il est Amour, il est pardon et miséricorde ».

« Je vous envoie » : on se rappelle que les disciples étaient verrouillés : il leur dit « je vous envoie », c'est-à-dire, il n'est plus question de rester verrouillés ! La mission est urgente, le monde meurt de ne pas savoir la vérité ; il est, comme dit Jésus, « maintenu dans son péché », c'est-à-dire dans son éloignement d'avec Dieu. Il n'y a pas d'autre mission en définitive que de réconcilier les hommes avec Dieu : tout le reste en découle.

« Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis. Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » On pourrait traduire : « Allez annoncer que les péchés sont remis, c'est-à-dire pardonnés. Soyez les ambassadeurs de la réconciliation universelle. Et, si vous n'y allez pas, cette Nouvelle de la Réconciliation ne sera pas annoncée : le Père vous confie cette mission urgente et indispensable. »

« Comme le Père m'a envoyé... » : on a ici, de la bouche même de Jésus-Christ un résumé de toute sa mission ; c'est comme s'il nous disait : « Le Père m'a envoyé pour annoncer la réconciliation universelle, pour annoncer que les péchés sont pardonnés. Que Dieu ne tient pas des comptes des péchés des hommes ... annoncer une seule chose : que Dieu est Amour et Pardon. A votre tour, je vous envoie pour la même mission.» Le premier péché, celui qui est la racine de tous les autres, c'est de ne pas croire à l'amour de Dieu : vous donc, je vous envoie, allez annoncer à tous les hommes l'amour de Dieu.

Reste la phrase « Tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » : être maintenu dans son péché, c'est vivre hors de l'amour de Dieu. Il dépend de vous, dit Jésus, que vos frères connaissent l'amour de Dieu et en vivent ... Le projet de Dieu ne sera définitivement accompli que quand vous, à votre tour, aurez accompli votre mission... « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

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Complément

« C'était le soir du premier jour de la semaine » : dans la lecture juive du récit de la Création, ce premier jour était appelé « Jour UN » au sens de « premier jour » mais aussi « jour unique », parce que d'une certaine manière il englobait tous les autres, comme la première gerbe de la récolte annonce toute la moisson... Et le peuple juif attend encore le Jour Nouveau qui sera le jour de Dieu, lorsqu'il renouvellera la première Création. 

 

L'intelligence des écritures

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commentaires

O
The Sundays and the speeches attract us with the quality. This is very true in as the case of the Marie-Noëlle is said. Giving the historical explanation means that is the best part of the talk that I love to listen.
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