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16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 09:00

marie-nolle-thabut.jpg Je suis, chaque dimanche, impressionné par la qualité des commentaires de Marie-Noëlle Thabut sur les textes que nous propose la liturgie du jour.

 

Ces commentaires, trouvés sur le site "Eglise catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde. Notamment, en

  • donnant des explications historiques ;

  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Evangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté, directement ou indirectement)

 

Version audio (le lien sera inopérant dans un premier temps), trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame

 

PREMIERE LECTURE - 2 Samuel 5 , 1 - 3

1 Toutes les tribus d'Israël vinrent trouver David à Hébron
et lui dirent :
« Nous sommes du même sang que toi !
2 Dans le passé, déjà, quand Saül était notre roi,
tu dirigeais les mouvements de l'armée d'Israël,
et le Seigneur t'a dit :
Tu seras le pasteur d'Israël mon peuple,
tu seras le chef d'Israël. »
3 C'est ainsi que tous les anciens d'Israël
vinrent trouver le roi à Hébron.
Le roi David fit alliance avec eux, à Hébron, devant le Seigneur.
Ils donnèrent l'onction à David
pour le faire roi sur Israël.

Un mot sur la ville d'Hébron d'abord : on l'appelle aussi Qiryat-Arba ; c'est une ville des montagnes de Judée ; elle se trouve à 1000 m d'altitude, à environ quarante kilomètres au Sud de Jérusalem. Elle est très importante encore aujourd'hui pour les croyants des trois religions parce que c'est là qu'Abraham a acheté un tombeau pour Sara, à la caverne de Makpéla. Et donc c'est là, à Hébron, que reposent plusieurs des patriarches (des ancêtres du peuple élu, si vous préférez) : Abraham et Sara, Isaac et Rébecca, Jacob et sa première femme, Léa et enfin Joseph, dont le corps a été ramené d'Egypte jusque-là.

Un peu d'histoire maintenant, pour comprendre le texte d'aujourd'hui : le texte est un peu compliqué à première vue parce que David est appelé roi et en même temps on voit les anciens d'Israël qui viennent le trouver à Hébron pour leur demander de devenir leur roi : en fait, David est déjà reconnu comme roi par une partie du peuple, mais une partie seulement. Et ce jour-là, à Hébron, il est devenu le roi de l'ensemble des douze tribus.
Alors, comment en est-on arrivés là ? Vous savez que les fils d'Israël sont entrés en Palestine vers 1200 av. J.C., après la mort de Moïse. Pendant un peu plus d'un siècle, les douze tribus ont vécu indépendantes ; pas complètement tout de même parce qu'elles gardaient entre elles un lien très fort : celui de leur histoire commune, et surtout la reconnaissance du même Dieu qui les avait fait « monter d'Egypte », comme on disait. Pendant la période qu'on appelle des « Juges », quand un danger menaçait une tribu, un chef temporaire, qu'on appelait un « juge », prenait la direction des opérations jusqu'à ce que le danger soit écarté. Les « juges » en question assuraient les fonctions de gouverneur, parfois même de prophète ; c'était le cas de Samuel justement, celui dont le livre que nous lisons aujourd'hui porte le nom.

Mais il n'était pas question d'avoir un roi, les tribus n'étaient pas assez unies pour cela et puis Dieu seul était le roi d'Israël. Mais peu à peu, une idée de fédération est née et l'envie les a pris d'avoir un roi, comme tous les autres peuples. Au moment où il a fallu songer à assurer la succession de Samuel lui-même qui semble avoir acquis une très large autorité, la question s'est reposée et ils ont demandé à Samuel de choisir un roi pour lui succéder. Samuel a très mal pris la chose parce qu'il y voyait un acte d'insoumission envers Dieu, mais rien n'y a fait.

Samuel a tout fait pour les dissuader (relisez le chapitre 8 du livre de Samuel), mais il a eu beau parler, il a bien fallu en arriver là. Ce premier roi d'Israël fut Saül. Il a régné une vingtaine d'années, environ de 1030 à 1010 av. J. C. Après un début glorieux, la fin de son règne est triste, il perd peu à peu la raison, il désobéit aux ordres du prophète Samuel : de son vivant il est désavoué et Samuel, sur ordre de Dieu, choisit déjà David, le petit berger de Bethléem pour être son successeur. David a donc reçu l'onction d'huile une première fois de la main de Samuel, à Bethléem ; mais il n'est pas roi pour autant : dans un premier temps, c'est encore Saül le roi en titre. On connaît la suite : David, dont on sait les talents de musicien, est appelé au service de Saül pour le distraire ; puis, peu à peu, ses attributions augmentent quand on découvre ses talents de chef de guerre. De plus, il conquiert l'affection de tous et, en particulier, noue une grande amitié avec Jonathan, le fils de Saül.

Le roi décline, un jeune à qui tout réussit est entré à la cour : cela ne peut que mal tourner ; Saül devient mortellement jaloux et cherche à plusieurs reprises à se débarrasser de ce rival : David, lui, reste toujours d'une parfaite loyauté à son roi, parce qu'il respecte en lui le roi choisi par Dieu.

Après la mort de Saül, il y a une querelle de succession : le pays se divise en deux : David est reconnu comme roi, mais seulement par une partie du peuple, la tribu de Juda, dans le Sud, dont il est originaire. Il règne à Hébron. Au Nord, en revanche, c'est encore un fils de Saül qui règnera quelque temps, sept ans et demi, nous dit la Bible : après des quantités d'intrigues, de complots, de meurtres dans le royaume du Nord, le fils de Saül est assassiné et c'est à ce moment-là que les tribus du Nord, privées de roi se tournent vers David. Avec le texte d'aujourd'hui, nous assistons donc à la scène du ralliement des tribus du Nord : « Toutes les tribus d'Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent : Nous sommes du même sang que toi ! Dans le passé, déjà, quand Saül était notre roi, tu dirigeais les mouvements de notre armée... Et le Seigneur t'a dit : Tu seras le pasteur d'Israël mon peuple... Le roi David fit alliance avec les Anciens d'Israël, à Hébron devant le Seigneur et eux donnèrent l'onction à David pour le faire roi ».

Voilà donc les douze tribus enfin réunies sous la houlette d'un unique pasteur, à la fois choisi par Dieu et reconnu par ses frères comme un des leurs. Sa désignation par Dieu est manifestée par l'onction qui lui est faite avec l'huile sainte et désormais il porte le titre de « Messie » qui veut dire justement le « frotté d'huile ». Cette onction d'huile est le signe que Dieu l'a choisi et que l'Esprit de Dieu est avec lui ; et c'est Dieu qui lui a fixé sa tâche : être un pasteur, un berger pour son peuple. Bel idéal pour un roi !

On sait bien ce qu'il en est ! Cet idéal d'un roi, à la fois issu de son peuple et choisi par Dieu, qui soit un pasteur c'est-à-dire uniquement préoccupé d'offrir à son troupeau l'unité et la sécurité, restera malheureusement tout au long de l'histoire d'Israël un rêve. Mais la foi dans les promesses de Dieu l'emportera toujours sur les déceptions de l'histoire : on continuera d'attendre celui qui porterait dignement le nom de Messie. En grec, la traduction du mot « Messie », c'est le mot « Christos », Christ... Mille ans après David, un de ses lointains descendants qu'on appellera souvent « Fils de David » inaugurera enfin ce règne définitif : il dira de lui-même « Je suis le bon pasteur »... Dans l'Eucharistie de chaque dimanche, c'est lui qui nous dit « Vous êtes du même sang que moi ».

PSAUME 121 ( 122 ) , 1... 7

1 Quelle joie quand on m'a dit :
« Nous irons à la maison du Seigneur ! »
2 Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem !

3 Jérusalem, te voici dans tes murs ! Ville où tout ensemble ne fait qu'un !
4 C'est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur, là qu'Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur.

5 C'est là le siège du droit, le siège de la maison de David.
6 Appelez le bonheur sur Jérusalem :
7 « Que la paix règne dans tes murs ! »

« Maintenant notre marche prend fin devant tes portes, Jérusalem ! » C'est un pèlerin qui parle : son groupe vient d'arriver aux portes de la ville sainte, enfin ! Nous sommes après l'Exil à Babylone : le Temple détruit, dévasté, profané par les troupes de Nabuchodonosor, a été reconstruit vers 515 av.J.C. La ville aussi a été rebâtie : notre pèlerin constate avec joie : « Jérusalem, te voici dans tes murs ! » Et il continue « ville où tout ensemble ne fait qu'un » ; il parle de l'assemblage des constructions, bien sûr ; mais aussi de l'unité du peuple autour de cette ville où l'on s'assemble pour renouveler l'Alliance avec Dieu. Une promesse commune, un destin commun maintiennent ce peuple dans l'unité.

Et si Dieu a ordonné de venir régulièrement en pèlerinage à Jérusalem, c'est pour maintenir justement l'unité du peuple dans la ferveur et la joie de l'Alliance. Car ce pèlerinage, comme tous les autres, obéit à un ordre de Dieu : « C'est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur, c'est là qu'Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur ». Le mot « tribus » est un rappel de l'Exode ; le mot « monter » également : Jérusalem est située sur la hauteur, il faut y monter, c'est vrai ; mais le mot « monter » est aussi une allusion à la libération d'Egypte : quand on parle de cette libération, on dit « Dieu nous a fait monter du pays d'Egypte ».

Désormais on monte à Jérusalem en pèlerinage : et on « monte » vraiment : le pèlerinage se fait à pied, parfois de très loin, dans la fatigue, la chaleur, la soif, mais aussi la ferveur du coude à coude et des difficultés surmontées ensemble ; (nos parcours en autocar, de Jéricho à Jérusalem, par exemple, ne peuvent pas assurer, de la même manière cette cohésion du groupe et cette ferveur commune). Quand le pèlerin de notre psaume s'exclame « Maintenant, notre marche prend fin ! », il exprime tout à la fois l'émerveillement devant le spectacle de la ville et le soulagement d'être arrivés, enfin!... Donc, on monte à Jérusalem, comme les tribus sont montées du pays d'Egypte, sous la conduite de Moïse, puis de Josué, grâce à la protection du Dieu libérateur. Dans le verset : « c'est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur », l'expression « tribus du Seigneur », elle aussi, est un rappel de l'Alliance, au moins pour deux raisons : d'abord l'emploi du nom « Seigneur » : c'est le fameux Nom révélé à Moïse dans le buisson ardent ; quant à la préposition « du » (« les tribus du Seigneur »), elle dit l'appartenance qui est justement caractéristique de l'Alliance : l'une des formules de l'Alliance, on pourrait dire presque dire sa devise, était « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ».

Et si l'on monte à Jérusalem, chaque année pour la fête des tentes, c'est pour se retremper dans la ferveur de l'Alliance au cours des multiples célébrations qui en déploieront tous les aspects. Mais le point commun de toutes ces célébrations, ce sera l'action de grâce au Dieu d'Israël pour son Alliance et sa fidélité. « C'est là que montent les tribus, les tribus du Seigneur, c'est là qu'Israël doit rendre grâce au nom du Seigneur. » « Rendre grâce au nom du Seigneur » c'est précisément la vocation d'Israël ; tant que l'humanité tout entière n'aura pas reconnu son Seigneur, c'est le rôle d'Israël au milieu des nations d'être le peuple de l'action de grâce. En même temps, on donne l'exemple, en quelque sorte, en attendant le jour béni où toutes les nations seront ici rassemblées. Il faut relire le magnifique texte d'Isaïe où Israël et les nations sont évoqués tour à tour : manière de montrer à quel point le destin d'Israël et celui des nations sont imbriqués ; si Israël a été choisi, ce n'est pas pour son bénéfice propre, c'est pour être au milieu du monde le témoin de Dieu : « Il arrivera dans l'avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : Venez à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins et nous marcherons sur ses routes. Oui, c'est de Sion que vient l'instruction, et de Jérusalem la parole du Seigneur. » (Is 2, 2-3).

« C'est là le siège du droit, le siège de la maison de David » : là, c'est toute l'espérance attachée à la famille de David qui est redite ; on se souvient de la promesse faite à David par le prophète Natan : « Lorsque tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j'élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de toi-même et j'établirai fermement sa royauté... » (2 S 7, 16). Depuis cette promesse, on attend le roi idéal qui gouvernera selon le coeur de Dieu, c'est-à-dire selon le droit et la justice. Quand ce psaume est chanté après l'exil à Babylone, il n'y a plus de roi sur le trône de David, mais la promesse demeure car Dieu ne peut se renier lui-même, comme dira Saint Paul ; et si on rappelle solennellement cette promesse dans les célébrations, c'est pour raviver l'espérance : le jour de Dieu viendra ; ce jour-là, il y aura de nouveau un roi sur le trône de David, un roi juste...

Un roi qui permettra enfin à Jérusalem d'accomplir sa vocation : « ville de la paix ». Car le souhait adressé à Jérusalem « Que la paix règne dans tes murs ! » n'est pas seulement un voeu pieux, une phrase gentille comme on peut s'en dire en se retrouvant. C'est le cri du coeur : le peuple d'Israël sait qu'il a vocation à être déjà sur cette terre le témoin de la paix que seul Dieu peut donner. Des siècles plus tard, nous fêtons celui qui a inauguré le règne tant espéré par des générations de pèlerins de la ville sainte : « règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d'amour et de paix », comme le dit la superbe préface de la fête du Christ-Roi. C'est déjà cette espérance qui soulève les pèlerins, dès le début du pèlerinage : « Quelle joie quand on m'a dit : Nous irons à la maison du Seigneur ».

DEUXIEME LECTURE - Colossiens 1 , 12 - 20

Frères,
12 rendez grâce à Dieu le Père
qui vous a rendus capables
d'avoir part, dans la lumière,
à l'héritage du peuple saint.
13 Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres,
il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé,
14 par qui nous sommes rachetés
et par qui nos péchés sont pardonnés.
15 Lui, le Fils, il est l'image du Dieu invisible,
le premier-né par rapport à toute créature,
16 car c'est en lui que tout a été créé
dans les cieux et sur la terre,
les êtres visibles
et les puissances invisibles :
tout est créé par lui et pour lui.
17 Il est avant tous les êtres,
et tout subsiste en lui.
18 Il est aussi la tête du corps,
c'est-à-dire de l'Eglise.
Il est le commencement,
le premier-né d'entre les morts,
puisqu'il devait avoir en tout la primauté.
19 Car Dieu a voulu que dans le Christ,
toute chose ait son accomplissement total.
20 Il a voulu tout réconcilier par lui et pour lui,
sur la terre et dans les cieux,
en faisant la paix par le sang de sa croix.

Ce texte est à la fois magnifique et terriblement difficile ; mais nous pressentons bien qu'il va très loin dans la contemplation du mystère de notre foi : il résonne comme un credo, une synthèse du mystère du Christ tel que Paul et ses disciples* ont pu le découvrir. On a là une grande fresque du projet de Dieu et l'affirmation que cette oeuvre de Dieu est accomplie en Jésus-Christ. Tout a été créé en lui ET tout a été recréé, réconcilié en lui. Jésus-Christ est vraiment le centre du monde et de l'histoire.

D'abord une remarque, tout ce qui est dit du projet de Dieu est dit au passé : « Il vous a rendus capables... Il nous a arrachés au pouvoir des ténèbres... Il nous a fait entrer dans le royaume de son Fils bien-aimé »... et à la fin du texte : « Dieu a voulu que dans le Christ, toute chose ait son accomplissement total...Dieu a voulu tout réconcilier par lui et pour lui... » Manière de dire que ce projet de Dieu est conçu de toute éternité.
En revanche, tout ce qui concerne le Christ est dit au présent : « En lui nous sommes rachetés, en lui nous sommes pardonnés... Il est l'image du Dieu invisible, Il est avant tous les êtres... Il est la tête du corps qui est l'Eglise... Il est le commencement, le premier-né d'entre les morts »... Ce mystère du Christ se déploie en chacun de nous tout au long de notre histoire humaine.

« Il est l'image du Dieu invisible » : c'est peut-être la clé de la pensée de Paul : à la première création, Dieu a fait l'homme à son image et à sa ressemblance ; la vocation de tout homme, c'est d'être l'image de Dieu. Or le Christ est l'exemplaire parfait, si l'on ose dire, il est véritablement l'homme à l'image de Dieu : en contemplant le Christ, nous contemplons l'homme, tel que Dieu l'a voulu. « Voici l'homme » (Ecce homo) dit Pilate à la foule, sans se douter de la profondeur de cette déclaration !

Mais, en Jésus, nous contemplons également Dieu lui-même : dans l'expression « image du Dieu invisible » appliquée à Jésus-Christ, il ne faudrait pas minimiser le mot « image » : il faut l'entendre au sens fort ; en Jésus-Christ, Dieu se donne à voir ; ou pour le dire autrement, Jésus est la visibilité du Père : « Qui m'a vu a vu le Père » dira-t-il lui-même à Philippe (dans l'évangile de Jean : Jn 14, 9). Un peu plus bas dans cette même lettre, Paul dit encore : « En Christ habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2 , 9). Il réunit donc en lui la plénitude de la créature et la plénitude de Dieu : il est à la fois homme et Dieu. En contemplant le Christ, nous contemplons l'homme... en contemplant le Christ, nous contemplons Dieu.

Reste à savoir pourquoi le sang de la croix du Christ, comme dit Saint Paul, nous réconcilie avec Dieu. Et là, le problème, semble-t-il, c'est que ce texte peut être lu de deux manières : première manière, mais qui donne de Dieu une idée complètement fausse : Dieu aurait voulu que Jésus souffre beaucoup pour mériter l'effacement de nos péchés... Mais il faut tourner résolument le dos à des explications de ce genre ; on sait bien qu'il ne s'agit pas de payer une dette à Dieu. Deuxième manière de comprendre ce texte, et c'est celle que je vous propose : c'est la haine des hommes qui tue le Christ, mais, par un mystérieux retournement, cette haine est transformée par Dieu en un instrument de réconciliation, de pacification.

A l'échelle humaine, nous avons parfois des exemples de cet ordre : je pense à des hommes comme Itzak Rabin, Martin Luther King, Gandhi, Sadate... Ils ont prêché la paix, l'égalité entre les hommes, et cela leur a coûté la vie ; ils ont été victimes de la haine des hommes ; mais, paradoxalement, leur mort a inauguré un progrès de la paix et de la réconciliation. Un témoignage d'amour et de pardon, qui va parfois jusqu'au sacrifice de sa vie, est un ferment de paix. Parce qu'il nous montre le chemin, il attendrit notre coeur, si nous voulons bien.

Mais cela ne suffit pas à réconcilier l'humanité tout entière avec Dieu car ils ne sont que des hommes. Jésus, lui, est l'homme - Dieu : il est à la fois le Dieu qui pardonne et l'humanité qui est pardonnée ; ce qui nous réconcilie, c'est que le pardon accordé par le Christ à ses bourreaux, est le pardon même de Dieu. C'est Dieu qui pardonne... par pure miséricorde de sa part. Désormais, nous savons, parce que nous l'avons vu de nos yeux, jusqu'où va l'amour et le pardon de Dieu. C'est pour cela que nous avons des crucifix dans nos maisons. Ajoutons que seul Jésus, parce qu'il est Dieu, peut nous transmettre l'Esprit de Dieu pour que nous devenions capables de pardonner à notre tour.

Comme dit Saint Paul, il a plu à Dieu de nous pardonner à travers Jésus-Christ : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui et sur la terre et dans les cieux en faisant la paix par le sang de sa croix ». Au jour du Vendredi-Saint sur le Calvaire, celui que nous appelons « le bon larron » fut le premier bénéficiaire de cette réconciliation (c'est l'évangile de cette fête du Christ-Roi).

Ce n'est pas magique pour autant, on ne le sait que trop : cette Nouvelle Alliance inaugurée en Jésus-Christ est offerte mais nous demeurons libres de ne pas y adhérer ; pour nous, baptisés, elle devrait être un sujet sans cesse renouvelé d'émerveillement et d'action de grâce ; c'est pourquoi Paul commençait sa contemplation par : « Rendez grâce à Dieu le Père qui vous a rendus capables d'avoir part, dans la lumière, à l'héritage du peuple saint ». Il s'adressait à ceux qu'il appelle « les saints », c'est-à-dire les baptisés. L'Eglise, par vocation, c'est le lieu où l'on rend grâce à Dieu. Ne nous étonnons pas que notre réunion hebdomadaire s'appelle « Eucharistie » (littéralement en grec « action de grâce »).

****
* Personne, aujourd'hui, ne sait dire avec certitude si cette lettre émane de Paul ou d'un de ses très proches disciples.

EVANGILE - Luc 23 , 35 - 43

On venait de crucifier Jésus,
35 et le peuple restait là à regarder.
Les chefs ricanaient en disant :
« Il en a sauvé d'autres :
qu'il se sauve lui-même,
s'il est le Messie de Dieu, l'Elu ! »
36 Les soldats aussi se moquaient de lui.
S'approchant pour lui donner de la boisson vinaigrée,
37 ils lui disaient :
« Si tu es le roi des Juifs,
sauve-toi toi-même ! »
38 Une inscription était placée au-dessus de sa tête :
« Celui-ci est le roi des Juifs. »
39 L'un des malfaiteurs suspendus à la croix
l'injuriait :
« N'es-tu pas le Messie ?
Sauve-toi toi-même, et nous avec ! »
40 Mais l'autre lui fit de vifs reproches :
« Tu n'as donc aucune crainte de Dieu !
Tu es pourtant un condamné, toi aussi !
41 Et puis, pour nous, c'est juste :
après ce que nous avons fait,
nous avons ce que nous méritons.
Mais lui, il n'a rien fait de mal. »
42 Et il disait :
« Jésus, souviens-toi de moi
quand tu viendras inaugurer ton Règne. »
43 Jésus lui répondit :
« Amen, je te le déclare :
aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »



Trois fois retentit la même interpellation à Jésus crucifié : « Si tu es... » ; « Si tu es le Messie » ricanent les chefs... « Si tu es le roi des Juifs », se moquent les soldats romains ... « Si tu es le Messie » injurie l'un des deux malfaiteurs crucifiés en même temps que lui. Au passage, on note que chacun interpelle Jésus à partir de sa situation personnelle : les chefs religieux du peuple juif attendent le Messie, l'Elu de Dieu... et à leurs yeux, il en a bien peu l'air. Les soldats romains, membres de l'armée d'occupation ricanent sur ce prétendu roi, si mal défendu... Quant au malfaiteur, il attend quelqu'un qui le sauve de la mort : lui aussi en appelle au Messie.
Ces trois interpellations ressemblent étrangement au récit des Tentations dans le désert, au début de la vie publique de Jésus (Luc 4) : trois interpellations, là aussi... par le diable cette fois : « Si tu es le Fils de Dieu... » : « Si tu es le Fils de Dieu, change donc ces pierres en pain »... « Si tu es le Fils de Dieu... jette-toi en bas, Dieu donnera ordre à ses anges de te garder »... et la troisième tentation concerne justement le titre de roi : « Je te donnerai toute la gloire des royaumes de la terre, si tu te prosternes devant moi ».

Dans ces deux étapes de la vie du Christ (telle qu'elle est rapportée par saint Luc), la question est au fond la même : quel est le rôle du Messie ? Est-ce un chef politique ou religieux ? Quelqu'un qui a tout pouvoir pour tout arranger ? Un roi tout-puissant ? Si c'est cela, Jésus ne répond évidemment pas à ce schéma : ce condamné, crucifié comme un malfaiteur n'a pas grand chose apparemment d'un roi de l'univers. Il ne répond rien d'ailleurs à ces mises en demeure de montrer enfin son pouvoir. Dans l'épisode des Tentations, à chacune des provocations du diable, Jésus avait répondu par une phrase de l'Ecriture. « Il est écrit : l'homme ne se nourrit pas seulement de pain »... « Il est écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu »... « Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, c'est à lui seul que tu rendras un culte ». L'Ecriture était sa référence pour résister ; et on peut bien penser que, tout au long de sa vie terrestre, chaque fois qu'il a affronté des tentations concernant sa mission de Messie, c'est la référence à l'Ecriture qui lui a permis de tenir le cap.

Sur la croix, au contraire, Jésus ne répond pas, il ne dit rien tout au long de cette scène de provocations. Et pourtant l'interpellation est de taille : Messie, il l'est et il le sait ; or le Messie est celui qui sauvera le monde : il devrait donc bien se sauver lui-même ! Cela, c'est notre logique humaine, c'est la logique de ses interlocuteurs. Et c'est de cela qu'il meurt : il meurt de n'avoir pas été conforme à leur logique, à leur idée du Messie. Mais Jésus sait, lui, que Dieu seul sauve ; il attend son propre salut de Dieu seul. D'ailleurs son nom le dit bien : « Jésus » cela veut dire « C'est Dieu qui sauve ». Il n'a donc rien à ajouter, rien à répondre ; il attend dans la confiance ; il sait que Dieu ne l'abandonnera pas à la mort. Les Tentations sont une fois pour toutes surmontées : il est resté fidèle à sa mission, il ne s'est pas dérobé aux conséquences. Le voilà livré totalement aux mains des hommes : que pourrait-il répondre de plus à ses adversaires ?

En revanche, cet épisode des injures est encadré dans l'évangile de Luc par deux paroles de Jésus, deux paroles de pardon : la deuxième, nous venons de l'entendre, c'est la phrase adressée à celui que nous appelons « le bon larron » ; la première est rapportée par Luc juste avant le passage d'aujourd'hui : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». Parole humaine et divine à la fois ; puisqu'il est l'homme-Dieu : le pardon accordé par le Christ à ses bourreaux est le pardon même de Dieu. En Jésus, homme et Dieu, c'est Dieu qui pardonne... nous sommes réconciliés, il nous suffit d'accueillir cette réconciliation. C'est très exactement ce que fait celui qui nous est donné en exemple, le « bon larron » : il reconnaît Jésus comme le Messie, il l'appelle au secours... prière d'humilité et de confiance... Il lui dit « Souviens-toi », ce sont les mots habituels de la prière que l'on adresse à Dieu : à travers Jésus, c'est donc au Père qu'il s'adresse : « Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras inaugurer ton règne » ; on a envie de dire « Il a tout compris ». Et Jésus lui répond : « Amen, je te le déclare : aujourd'hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ». « Aujourd'hui » : l'attitude de vérité et d'humilité de cet homme qui n'était sûrement pas un enfant de choeur (comme on dit) est la seule condition pour que ce jour soit l'aujourd'hui du salut pour lui.

Au-delà même des Tentations au désert, on se souvient d'un autre homme (Adam), dans un autre jardin, qu'on appelait Eden, le lieu du bonheur, le lieu de délices ; il avait été créé pour être le roi de la création : « Dominez la terre et soumettez-la » ; il était libre mais il n'était pas tout-puissant : il dépendait de Dieu. Mais il a voulu être « comme un dieu ».
« Si tu es le Fils de Dieu » : au fond c'est toujours la même histoire ; Adam s'est trompé : il a cru qu'être fils de Dieu, on le décidait soi-même... il a cru le diable qui disait « vous serez comme des dieux » et il a été chassé du Paradis ; Jésus, au contraire, dont le nom veut dire « C'est Dieu qui sauve », Jésus a attendu le salut de Dieu seul... il nous ouvre les portes du Paradis.

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