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13 février 2024 2 13 /02 /février /2024 21:27
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE JOËL  2,12-18

12 Maintenant – oracle du SEIGNEUR –
     revenez à moi de tout votre cœur,
     dans le jeûne, les larmes et le deuil !
13 Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements,
     et revenez au SEIGNEUR votre Dieu,
     car il est tendre et miséricordieux,
     lent à la colère et plein d’amour,
     renonçant au châtiment.
14 Qui sait ? Il pourrait revenir,
     il pourrait renoncer au châtiment,
     et laisser derrière lui sa bénédiction :
     alors, vous pourrez présenter offrandes et libations
     au SEIGNEUR votre Dieu.
15 Sonnez du cor dans Sion :
     prescrivez un jeûne sacré, annoncez une fête solennelle,
16 réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte,
     rassemblez les anciens,
     réunissez petits enfants et nourrissons !
     Que le jeune époux sorte de sa maison,
     que la jeune mariée quitte sa chambre !
17 Entre le portail et l’autel,
     les prêtres, serviteurs du SEIGNEUR,
     iront pleurer et diront :
     « Pitié, SEIGNEUR, pour ton peuple,
     n’expose pas ceux qui t’appartiennent
     à l’insulte et aux moqueries des païens !
     Faudra-t-il qu’on dise :
     “Où donc est leur Dieu ?” »

18 Et le SEIGNEUR s’est ému en faveur de son pays,
     il a eu pitié de son peuple.
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« REVENEZ AU SEIGNEUR DE TOUT VOTRE CŒUR »

Le livre du prophète Joël est très court (il comporte en tout soixante-treize versets répartis en quatre chapitres) ; on le situe généralement vers l’an 600 av. J.-C., c’est-à-dire juste avant l’Exil à Babylone. Trois thèmes s'entremêlent constamment : la perspective de fléaux terrifiants (dont on ne sait s'ils sont réels ou supposés), des appels vibrants au jeûne et à la conversion, et l'annonce du salut accordé par Dieu. C'est le deuxième thème qui nous est proposé ici pour l'entrée en Carême.

L’appel à la conversion débute de manière très solennelle par la formule « Parole du SEIGNEUR » qui, comme toujours chez les prophètes, invite à prendre très au sérieux ce qui va suivre. Et ce qui suit, c’est le mot : « Revenez » qui est le grand mot du langage pénitentiel. Dieu dit à son peuple « Revenez vers moi » et le peuple supplie son Dieu : « Reviens », c’est-à-dire « accorde-nous ton pardon ».

Ce retour vers Dieu doit se faire « dans le jeûne, les larmes et le deuil ! » C’est là encore une expression consacrée ; mais les prophètes ont toujours appris au peuple à ne pas se contenter de manifestations extérieures ; Joël n’y manque pas : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au SEIGNEUR votre Dieu. » Déjà le premier Isaïe y insistait : « Vos solennités, je les déteste (dit Dieu), elles me sont un fardeau, je suis las de les supporter. Quand vous étendez les mains, je me voile les yeux, vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous. Otez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice... » (Is 1,14-17).

Et le psaume 50/51 exprime dans une image particulièrement suggestive ce qu’est la véritable conversion, lorsqu’il affirme : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé, tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » Ceux qui ont lu Ézéchiel savent ce que veut dire ici le psalmiste : il faut briser nos cœurs de pierre pour qu’apparaisse enfin le cœur de chair. Joël est bien dans cette ligne quand il dit : « Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ».

 

« LE SEIGNEUR DÉBORDE DE ZÈLE POUR SON PEUPLE »

Tous ces efforts de jeûne et de conversion avaient pour but, apparemment, sous la plume de Joël, d’échapper à un châtiment mérité : « Revenez au SEIGNEUR votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux... Qui sait ? Il pourrait revenir, il pourrait renoncer au châtiment... Pitié, SEIGNEUR, pour ton peuple, n’expose pas ceux qui t’appartiennent à l’insulte et aux moqueries des païens ! Faudra-t-il qu’on dise : Où donc est leur Dieu ? »

Et Joël termine sa harangue en annonçant que le pardon est déjà accordé ; la traduction liturgique dit : « Le SEIGNEUR s’est ému en faveur de son pays, il a eu pitié de son peuple », mais le texte originel est encore plus fort : « Le SEIGNEUR déborde de zèle pour son pays, il a pitié de son peuple. »

Il restera à découvrir que cette douce pitié de Dieu est pour tous les hommes et ce sera le rôle du livre de Jonas ; curieusement, d’ailleurs, on découvre une très grande parenté entre les deux livres. Dans un style haut en couleurs, la fable de Jonas raconte la conversion de Ninive, la ville impie : « Jonas avait à peine marché une journée en proférant cet oracle : Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous, que déjà ses habitants croyaient en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu’aux petits. La nouvelle parvint au roi de Ninive. Il se leva de son trône, fit glisser sa robe royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur la cendre, proclama l’état d’alerte et fit annoncer dans Ninive : Par décret du roi et de son gouvernement, interdiction est faite aux hommes et aux bêtes, au gros et au petit bétail, de goûter à quoi que ce soit ; interdiction est faite de paître et interdiction est faite de boire de l’eau. Hommes et bêtes se couvriront de sacs et ils invoqueront Dieu avec force. Chacun se convertira de son mauvais chemin et de la violence qui reste attachée à ses mains. Qui sait ! Peut-être Dieu se ravisera-t-il, reviendra-t-il sur sa décision et retirera-t-il sa menace ; ainsi nous ne périrons pas. Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. » (Jon 3,4-10). Le secret de Dieu, c’est qu’il « déborde de zèle », comme dit Joël, pour tous les hommes, y compris ces mécréants de Ninivites.

Quelques siècles plus tard, Paul dira : « En ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5,8).
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PSAUME 50 (51)

3   Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
     selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4   Lave-moi tout entier de ma faute,
     purifie-moi de mon offense.

5   Oui, je connais mon péché,
     ma faute est toujours devant moi.
6   Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
     ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.

12 Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
     renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
     ne me reprends pas ton esprit saint.

14 Rends-moi la joie d'être sauvé ;
     que l'esprit généreux me soutienne.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
     et ma bouche annoncera ta louange.
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LA GRANDE DÉCOUVERTE DE DAVID

« Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. » Le peuple d’Israël est en pleine célébration pénitentielle au Temple de Jérusalem. Il se reconnaît pécheur, mais il sait aussi l’inépuisable miséricorde de Dieu. Et d’ailleurs, s’il est réuni pour demander pardon, c’est parce qu’il sait d’avance que le pardon est déjà accordé.

Cela avait été, rappelez-vous, la grande découverte du roi David : David avait fait venir au palais sa jolie voisine, Bethsabée ; (au passage, il ne faut pas oublier de préciser qu’elle était mariée avec un officier, Urie, qui était à ce moment-là en campagne). C’est d’ailleurs bien grâce à son absence que David avait pu convoquer la jeune femme au palais ! Quelques jours plus tard, Bethsabée avait fait dire à David qu’elle attendait un enfant de lui. Et, à ce moment-là, David avait organisé la mort au champ d’honneur du mari trompé pour pouvoir s’approprier définitivement sa femme et l’enfant qu’elle portait.

Or, et c’est là l’inattendu de Dieu, quand le prophète Nathan était allé trouver David, il n’avait pas d’abord cherché à obtenir de lui une parole de repentir, il avait commencé par lui rappeler tous les dons de Dieu et lui annoncer le pardon, avant même que David ait eu le temps de faire le moindre aveu. (2 S 12). Il lui avait dit en substance : « Regarde tout ce que Dieu t’a donné... eh bien, sais-tu, il est prêt à te donner encore tout ce que tu voudras ! »

Et, mille fois au cours de son histoire, Israël a pu vérifier que Dieu est vraiment « le SEIGNEUR miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté » selon la révélation qu’il a accordée à Moïse dans le désert (Ex 34,6).

Les prophètes, eux aussi, ont répercuté cette annonce et les quelques versets du psaume que nous venons d’entendre sont pleins de ces découvertes d’Isaïe et d’Ézéchiel. Isaïe, par exemple : « Moi, Dieu, je suis tel que j’efface, par égard pour moi, tes révoltes, que je ne garde pas tes fautes en mémoire » (Is 43,25).

Cette annonce de la gratuité du pardon de Dieu nous surprend parfois : cela paraît trop beau, peut-être ; pour certains, même, cela semble injuste : si tout est pardonnable, à quoi bon faire des efforts ? C’est oublier un peu vite, peut-être, que nous avons tous sans exception besoin de la miséricorde de Dieu ; ne nous en plaignons donc pas ! Et ne nous étonnons pas que Dieu nous surprenne, puisque, comme dit Isaïe, « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées. » Et justement, Isaïe précise que c’est en matière de pardon que Dieu nous surprend le plus.
 

« MOI, DIEU, JE NE GARDE PAS TES FAUTES EN MÉMOIRE »

 Cela nous renvoie à la phrase de Jésus dans la parabole des ouvriers de la onzième heure : « Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon ? » (Mt 20,15). On peut penser également à la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15) : lorsqu’il revient chez son père, pour des motifs pourtant pas très nobles, Jésus met sur ses lèvres une phrase du psaume 50 : « Contre toi et toi seul j’ai péché », et cette simple phrase renoue le lien que le jeune homme ingrat avait cassé.

Face à cette annonce toujours renouvelée de la miséricorde de Dieu, le peuple d’Israël, parce que c’est lui qui parle ici comme dans tous les psaumes, se reconnaît pécheur : l’aveu n’est pas détaillé, il ne l’est jamais dans les psaumes de pénitence ; mais le plus important est dit dans cette supplication « pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché ... » Et Dieu qui est toute miséricorde, c’est-à-dire comme aimanté par la misère, n’attend rien d’autre que cette simple reconnaissance de notre pauvreté. Vous savez d’ailleurs, que le mot pitié est de la même racine que le mot « aumône » : littéralement, nous sommes des mendiants devant Dieu. 

Alors il nous reste deux choses à faire : tout d’abord, remercier tout simplement pour ce pardon accordé en permanence ; la louange que le peuple d’Israël adresse à son Dieu, c’est sa reconnaissance pour les bontés de Dieu dont il a été comblé depuis le début de son histoire. Ce qui montre bien que la prière la plus importante dans une célébration pénitentielle, c’est la parole de reconnaissance des dons et pardons de Dieu : il faut commencer par le contempler, lui, et ensuite seulement, cette contemplation nous ayant révélé le décalage entre lui et nous, nous pouvons nous reconnaître pécheurs. Notre rituel de la réconciliation le dit bien dans son introduction : « Nous confessons l’amour de Dieu en même temps que notre péché ».

Et le chant de reconnaissance jaillira tout seul de nos lèvres, il suffit de laisser Dieu nous ouvrir le cœur : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange » ; certains ont reconnu ici la première phrase de la Liturgie des Heures, chaque matin, qui est tirée de ce psaume 50/51. À elle seule, elle est toute une leçon : la louange, la reconnaissance ne peuvent naître en nous que si Dieu ouvre nos cœurs et nos lèvres.

Deuxième chose à faire et que Dieu attend de nous : pardonner à notre tour, sans délai, ni conditions... et c’est tout un programme !
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS 5, 20-6,2

     Frères,
5,20 nous sommes les ambassadeurs du Christ,
     et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel :
     nous le demandons au nom du Christ,
     laissez-vous réconcilier avec Dieu.
21 Celui qui n’a pas connu le péché,
     Dieu l’a pour nous identifié au péché,
     afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.
6,1 En tant que coopérateurs de Dieu,
     nous vous exhortons encore
     à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui.
2   Car il dit dans l’Écriture :
     Au moment favorable je t’ai exaucé,
     au jour du salut je t’ai secouru.

     Le voici maintenant le moment favorable,
     le voici maintenant le jour du salut.

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 « LAISSEZ-VOUS RÉCONCILIER AVEC DIEU »
 

« Laissez-vous réconcilier avec Dieu », dit Paul ; mais qui dit réconciliation dit querelle ; de quelle querelle s’agit-il ? Quand on sait que les hommes de l’Ancien Testament ont découvert justement que Dieu n’est pas en querelle avec les hommes. Le psaume 102/103 par exemple : « Le Seigneur n’est pas toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses... Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés... Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière. » Ou encore Isaïe : « Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme malfaisant, ses pensées. Qu’il retourne vers le SEIGNEUR qui lui manifestera sa tendresse, vers notre Dieu, qui pardonne abondamment. » (Is 55,7). Et enfin le livre de la Sagesse : « Tu as pitié de tous parce que tu peux tout, et tu détournes les yeux des péchés des hommes pour les amener au repentir... Tu les épargnes tous, car ils sont à toi, Maître qui aimes la vie... Ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous. » (Sg 11,23... 12,16).

Les hommes de la Bible en ont fait l’expérience : à commencer par David ; Dieu n’ignorait pas qu’il avait du sang sur les mains (après le meurtre d’Urie, le mari de Bethsabée, 2 S 12), et pourtant il envoie le prophète Nathan lui dire en substance : « Tout ce que tu as, je te l’ai donné, et si ce n’est pas encore assez, je suis prêt à te donner encore tout ce que tu voudras. » Dieu n’ignorait pas non plus que Salomon ne devait son trône qu’à la suppression de ses rivaux ; et pourtant, il écoute sa prière à Gabaon et l’exauce bien au-delà de ce que le jeune roi avait osé lui demander (1 R 3). Mieux encore, le Nom même de Dieu, le « Miséricordieux » veut bien dire qu’il nous aime d’autant plus que nous sommes misérables.

Dieu n’est donc pas en querelle avec l’homme ; mais pourtant Paul parle de réconciliation, car depuis que le monde est monde (Paul dit « depuis Adam », c’est la même chose), l’homme fait des procès à Dieu. Le génie du texte de la Genèse (Gn 2-3) est d’attribuer au serpent la paternité de la phrase accusatrice contre Dieu : « Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 3,4). Autrement dit, Dieu est jaloux des hommes et ne leur veut pas du bien. Ce qui est sous-entendu par l’auteur de la Genèse, c’est que ce soupçon n’est pas naturel à l’homme (puisque c’est la voix du serpent), on peut donc l’en guérir. C’est bien ce que Paul dit ici : « C’est Dieu lui-même qui vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu. »

« NOUS SOMMES LES AMBASSADEURS DU CHRIST »

Et qu’a fait Dieu pour ôter de nos cœurs cette querelle, ce soupçon ? « Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché des hommes » : Jésus, lui, n’a pas connu le péché, pas un instant, il n’a été en querelle avec son Père ; ailleurs, Paul dit : « Il s’est fait obéissant » (Phi 2,8), c’est-à-dire confiant même à travers la souffrance et la mort. Il a essayé de faire partager aux hommes cette confiance et cette révélation d’un Dieu qui n’est qu’amour, pardon, secours des petits.

Et, suprême paradoxe, c’est pour cela qu’il a été considéré comme un blasphémateur, et mis au rang des pécheurs, et exécuté comme un maudit (Dt 21,23). Cet aveuglement des hommes s’est abattu sur lui, et Dieu a laissé faire parce que c’était le seul moyen de nous faire toucher du doigt jusqu’où peut aller son « zèle pour son peuple », comme dit le prophète Joël (dans la première lecture). Jésus a subi dans sa chair le péché même des hommes, leur violence, leur haine, leur refus de la révélation d’un Dieu d’amour. Sur le visage du Christ en croix, nous contemplons jusqu’où va l’horreur de ce péché des hommes ; mais aussi jusqu’où vont la douceur et le pardon de Dieu. Et de cette contemplation peut jaillir notre conversion, notre « justification » dirait Paul. « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » disait déjà Zacharie (Za 12,10), repris par saint Jean (Jn 19,37). Découvrir en Jésus pardonnant à ses bourreaux l’image même de Dieu (« Qui m’a vu a vu le Père » Jn 14,9), c’est entrer dans la réconciliation proposée par Dieu.

Il nous reste la tâche de l’annoncer au monde : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ », dit Paul qui se considère comme envoyé en mission d’ambassade auprès de ses frères. À notre tour de relayer cette mission ; et c’est probablement le sens de la citation de Paul à la fin du texte : « Car il dit dans l’Écriture : Au moment favorable, je t’ai exaucé, au jour du salut je suis venu à ton secours. »

Paul reprend ici une phrase du prophète Isaïe qui disait à ses contemporains exilés à Babylone que leur mission était d’annoncer que l’heure du salut de Dieu était arrivée. Et cette mission d’Israël était comparée à une levée d’écrou, tellement nos fausses idées sur Dieu nous emprisonnent.

À son tour, le Christ a confié à son Église la mission d’annoncer au monde la rémission des péchés.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 6, 1-6. 16-18

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples :
1   « Ce que vous faites pour devenir des justes,
     évitez de l’accomplir devant les hommes
     pour vous faire remarquer.
     Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous
     auprès de votre Père qui est aux cieux.

2   Ainsi, quand tu fais l’aumône,
     ne fais pas sonner la trompette devant toi,
     comme les hypocrites qui se donnent en spectacle
     dans les synagogues et dans les rues,
     pour obtenir la gloire qui vient des hommes.
     Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
3   Mais toi, quand tu fais l’aumône,
     que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
4   afin que ton aumône reste dans le secret ;
     ton Père qui voit dans le secret
     te le rendra.

5   Et quand vous priez,
     ne soyez pas comme les hypocrites :
     ils aiment à se tenir debout
     dans les synagogues et aux carrefours
     pour bien se montrer aux hommes
     quand ils prient.
     Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
6   Mais toi, quand tu pries,
     retire-toi dans ta pièce la plus retirée,
     ferme la porte,
     et prie ton Père qui est présent dans le secret ;
     ton Père qui voit dans le secret
     te le rendra.

16 Et quand vous jeûnez,
     ne prenez pas un air abattu,
     comme les hypocrites :
     ils prennent une mine défaite
     pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent.
     Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
17 Mais toi, quand tu jeûnes,
     parfume-toi la tête et lave-toi le visage ;
18 ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes,
     mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ;
     ton Père qui voit au plus secret
     te le rendra. »
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« NE SOYEZ PAS COMME CEUX QUI SE DONNENT EN SPECTACLE... »

Nous avons là deux petits extraits du discours sur la montagne qui occupe l'ensemble des chapitres 5 à 7 de saint Matthieu ; tout le discours est articulé autour d'un noyau central qui est le Notre Père (6,9-13) ; c'est lui qui donne sens à tout le reste ; les recommandations que nous lisons aujourd'hui ne sont donc pas seulement des conseils d'ordre moral. Il y va du sens même de la foi : toutes nos démarches s'enracinent dans cette découverte que Dieu est Père ; ainsi prière, aumône et jeûne sont notre chemin pour nous rapprocher du Dieu-Père ; jeûner c'est apprendre à nous décentrer de nous-mêmes, prier c'est nous centrer sur Dieu, faire l'aumône, c'est nous centrer sur nos frères.

Par trois fois, Jésus reprend des formulations semblables qui semblent polémiques : « Ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle... » Il faut avoir en tête la très grande importance des attitudes religieuses dans la société juive de l’époque ; avec le risque inévitable d’attacher trop de prix aux manifestations extérieures ; et sans doute certains personnages en vue n’y échappaient-ils pas !

Ainsi parfois Matthieu a-t-il retenu les reproches de Jésus à ceux qui s’attachaient plus à la longueur de leurs franges qu’à la miséricorde et à la fidélité (Mt 23,5s). Ici, au contraire, Jésus invite ses disciples à une opération-vérité : « Si vous voulez vivre comme des justes, évitez d’agir devant les hommes pour vous faire remarquer. » La justice était le grand souci des croyants : et si Jésus cite la recherche de la justice à deux reprises dans les Béatitudes (dans ce même discours), c’est parce que ce mot, cette soif étaient familiers à ses auditeurs. « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés » (5,6). « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux » (5,10).

La vraie « justice » au sens biblique consiste à être en harmonie avec le projet de Dieu et non à accumuler des pratiques, si nobles soient-elles. La fameuse phrase du livre de la Genèse « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et pour cela le SEIGNEUR le considéra comme juste. » (Gn 15,6) nous a appris que la justice est d’abord justesse, au sens d’un instrument de musique, accord profond avec la volonté de Dieu.

PRIÈRE, JEUNE, AUMÔNE, TROIS CHEMINS DE JUSTICE

Ainsi les trois pratiques, prière, jeûne, aumône sont-elles des chemins de justice. Par la prière, nous laissons Dieu nous ajuster à son projet ; nous disons « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Et nous attendons de lui qu’il nous enseigne les vrais besoins du Royaume ; Jésus fait précéder l’apprentissage du Notre Père de cette autre recommandation : « Quand vous priez, ne rabâchez pas comme les païens ; car votre Père sait ce dont vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez. » (6,7-8).

Le jeûne est bien dans la même ligne : cessant de poursuivre ce que nous croyons nécessaire à notre bonheur, et qui risque peu à peu de nous accaparer, nous apprenons la liberté et recherchons les véritables priorités ; car « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute Parole qui sort de la bouche de Dieu », disait Jésus en jeûnant lui-même (Mt 4,4).

Quant à l’aumône, elle est le fruit de notre ajustement à la volonté de Dieu, puisqu’elle fait de nous des miséricordieux ; le mot « aumône » est de la même famille que « eleison » ; faire l’aumône, c’est ouvrir nos cœurs à la pitié. Car Dieu veut le bonheur de tous ses enfants : la justice au sens de l’harmonie avec Lui comporte donc inévitablement une dimension de justice sociale. La parabole du jugement dernier, dans le même évangile de Matthieu (25,31-46) le confirme : « Venez, les bénis de mon Père… Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger... et les justes s’en iront à la vie éternelle. »

Les conduites que Jésus fustige (« ne soyez pas comme ceux qui se donnent en spectacle ») vont à l’inverse : elles sont une manière subtile de rester centrés sur nous. Le drame, c’est qu’elles ferment notre cœur à l’action transformante de l’Esprit. Nous resterons avec notre suffisance et notre pauvreté.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 14 02 2024, Mercredi des Cendres B

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