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17 février 2024 6 17 /02 /février /2024 22:23
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA GENÈSE   9, 8-15

 

8   Dieu dit à Noé et à ses fils :
9   « Voici que moi, j'établis mon alliance avec vous,
     avec votre descendance après vous,
10 et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous :
     les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre,
     tout ce qui est sorti de l'arche.
11 Oui, j'établis mon alliance avec vous :
     aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge,
     il n'y aura plus de déluge pour ravager la terre. »
12 Dieu dit encore :
     « Voici le signe de l'alliance que j'établis entre moi et vous,
     et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous,
     pour les générations à jamais :
13 je mets mon arc au milieu des nuages,
     pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre.
14 Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre,
     et que l'arc apparaîtra au milieu des nuages,
15 je me souviendrai de mon alliance qui est entre moi et vous
     et tous les êtres vivants :
     les eaux ne se changeront plus en déluge,           
     pour détruire tout être de chair. »
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L’ARC EN CIEL, SYMBOLE DE L’ALLIANCE

Dans la Bible, le récit du Déluge et de l’Arche de Noé occupe quatre chapitres. Or notre lecture d’aujourd’hui n’en a retenu que quelques lignes qui sont les dernières parce que ce sont les plus importantes. C’est l’Alliance que Dieu propose à Noé et, à travers lui, à toute l’humanité.

Dans ces quelques lignes, il y a cinq fois le mot « Alliance » : « J’établis mon Alliance avec vous » dit Dieu ; une promesse qui ne figure nulle part ailleurs que dans la Bible : un véritable pacte entre Dieu et les hommes, un projet bienveillant de Dieu sur l’humanité : voilà une idée que l’homme n’a jamais trouvée tout seul : il a fallu la Révélation biblique.

Et cette Alliance perpétuelle entre Dieu et les hommes est symbolisée par l’image extraordinaire de l’arc en ciel. Évidemment l’arc-en-ciel existait depuis bien longtemps quand l’auteur de la Genèse a écrit son texte : mais quelle magnifique inspiration ! Cet arc-en-ciel qui semble unir ciel et terre, qui coïncide avec le retour de la lumière après la tristesse de la pluie, c’est un beau symbole pour l’Alliance entre Dieu et l’humanité ; sans compter le jeu de mots qui est valable en hébreu comme en français : dans les deux langues, c’est le même mot qui désigne l’arc en ciel et l’arc de tir qui servait alors pour la guerre : l’image qui nous est suggérée, c’est Dieu qui laisse son arme posée au mur.

Le message de l’auteur biblique, ici, c’est : chaque fois que vous voyez un arc-en-ciel, souvenez-vous que Dieu est l’ami des hommes. J’ai bien dit « l’auteur biblique ». Il parle d’Alliance entre Dieu et les hommes, il parle d’arc-en-ciel. Mais c’est l’Esprit Saint qui l’inspire. Ailleurs on ne parle pas encore de la même manière. Car la Bible n’est pas le seul livre à parler du Déluge, mais elle est le seul à en parler de cette manière.

Je m’explique : la Bible n'est pas la première à avoir raconté une histoire de déluge : le récit du livre de la Genèse a été écrit entre 1 000 et 500 av. J.-C. Or, bien avant, vers 1 600 av. J.-C., en Mésopotamie circulaient deux légendes (celles d'Atra-Hasis et de Gilgamesh), qui racontent également un déluge : les récits du déluge, celui de la Bible et ceux de Babylone, se ressemblent beaucoup ; si bien qu’il paraît évident que l'auteur biblique connaissait les récits babyloniens. L'histoire est à peu près la même : un héros (qui s’appelle Atra-Hasis ou bien Outnapishtim en Babylonie, Noé dans la Bible) est averti par la divinité d’un déluge imminent. Il construit un bateau et y fait monter toute sa famille et des spécimens de tous les animaux ; les écluses du ciel s'ouvrent et le déluge engloutit la terre ; lorsque la pluie cesse, le bateau s'arrête et le capitaine lâche des oiseaux qui partent en reconnaissance pour voir où en est l'asséchement de la terre. Quand la terre est redevenue habitable, le héros quitte l'arche avec sa famille et offre un sacrifice.

L’EXPLICATION DU DÉLUGE À BABYLONE ET DANS LA BIBLE

Il y a donc d'énormes ressemblances entre le récit biblique et ses ancêtres babyloniens ; mais il y a aussi des différences, et ce sont elles qui nous intéressent. C'est là que l'on peut déchiffrer la Révélation.

En ce qui concerne la cause du déluge, pour commencer, partout à cette époque, on est persuadé que Dieu est la cause première de tous les événements ; donc, dans les récits babyloniens et biblique, il ne fait aucun doute que le déluge a été commandé par la divinité ; mais ce n'est pas pour les mêmes raisons : à Babylone, on raconte que les dieux sont fatigués par les hommes qu'ils avaient créés pour leur bon plaisir et leur service, et qui, en fin de compte, troublent leur tranquillité ; dans la Bible, le message est tout différent : les hommes ne sont pas les jouets des caprices de Dieu ; c'est leur conduite mauvaise qui a contrecarré le projet initial ; voilà ce que dit la Bible : « Le SEIGNEUR vit que la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal et le SEIGNEUR se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : J’effacerai sur la surface du sol l’homme que j’ai créé... Mais Noé trouva grâce aux yeux du SEIGNEUR ».

Ce qui veut dire que, pour l’auteur biblique, premièrement, les hommes sont responsables de leur destin ; deuxièmement, Dieu n’engloutit pas les innocents avec les coupables.

Autre différence, à la fin du voyage, le déluge une fois terminé, dans l’épopée de Gilgamesh, le héros babylonien est emmené au ciel et devient lui-même une divinité : il échappe définitivement au sort de l’humanité. La Bible entrevoit tout autre chose : Noé reste un homme avec lequel Dieu renouvelle son projet de la Création. L’auteur emploie les mêmes mots pour Noé et pour Adam : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre... » (Gn 9, 2 et Gn 1, 28). Et Dieu plante définitivement son arc dans les nuages pour faire Alliance avec l’humanité.
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PSAUME  24 (25), 4-5ab, 6-7, 8-9

4   SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies,
     fais-moi connaître ta route.
5   Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi,
     car tu es le Dieu qui me sauve.

6   Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse,
     ton amour qui est de toujours.
7   Oublie les révoltes, les péchés de ma jeunesse,
     dans ton amour, ne m'oublie pas.

8   Il est droit, il est bon, le SEIGNEUR,
     lui qui montre aux pécheurs le chemin.
9   Sa justice dirige les humbles,
     il enseigne aux humbles son chemin.
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TU ES LE DIEU QUI ME SAUVE

Le psaume 24/25 est l'un de ceux qui nous sont proposés le plus souvent par la liturgie : ce qui veut dire qu'il doit être pour nous le modèle de la prière par excellence. Effectivement, on y trouve rassemblés les thèmes majeurs de la prière et de la foi d'Israël. Dans les quelques versets d'aujourd'hui, j'en retiens au moins trois :

Dieu nous sauve, Dieu nous enseigne, Dieu nous aime. Et c’est parce qu’il nous aime qu’il nous sauve et nous enseigne.

Premier thème : le Dieu qui sauve ; c’est le premier article du credo d’Israël, et le verbe « sauver » dans la foi juive, est synonyme de « libérer ». Dieu a libéré son peuple de l’esclavage en Égypte, d’abord ; il l’a libéré de l’Exil à Babylone, ensuite : deux expériences de salut, de libération, accompagnées l’une et l’autre d’un formidable déplacement géographique ; le don de la terre Promise, la première fois, puis le retour à Jérusalem, après l’Exil à Babylone.

Mais il y a d’autres esclavages, et donc d’autres libérations, dont voici la plus importante : Dieu en se révélant progressivement à son peuple, l’a, par le fait même, libéré des idoles ; or le pire esclavage au monde est celui de l’idolâtrie. Parce que, même en prison ou en esclavage, on peut encore arriver à garder sa liberté intérieure ; mais quand on est sous la coupe d’une idole, il n’y a plus de liberté intérieure.

Ne serait-ce pas même la définition d’une idole : ce qui occupe nos pensées au point de prendre la première place dans notre vie, et en définitive, de penser à notre place !

Ce Dieu libérateur invite ceux qui croient en lui à être à leur tour des libérateurs ; en ce début de Carême, il n’est pas inutile de nous rappeler le fameux texte d’Isaïe : « Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras : devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas. Alors ta lumière poindra comme l’aurore... ta justice marchera devant toi et la gloire du SEIGNEUR sera ton arrière-garde. » (Is 58,6-8).

IL ENSEIGNÉ AUX HUMBLES SON CHEMIN

Deuxième thème de la foi d’Israël : la Loi est un cadeau de Dieu ; c’est la conséquence de la découverte que Dieu nous libère ; la Loi est donnée à Israël pour lui enseigner à vivre en peuple libre et à devenir à son tour libérateur. « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies... Dirige-moi par ta vérité, enseigne-moi... Le SEIGNEUR enseigne aux humbles son chemin... Il montre aux pécheurs le chemin, sa justice dirige les humbles ».

Après avoir dicté la Loi à Moïse, Dieu lui a dit, comme une confidence : « Si seulement leur cœur était décidé à me craindre et à observer tous les jours tous mes commandements, pour leur bonheur et celui de leurs fils, à jamais ! » (Dt 5,29) et Moïse a dit au peuple : « Vous veillerez à agir comme vous l’a ordonné le SEIGNEUR votre Dieu sans vous écarter ni à droite ni à gauche. Vous marcherez toujours sur le chemin que le SEIGNEUR votre Dieu vous a prescrit afin que vous restiez en vie, que vous soyez heureux et que vous prolongiez vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession » (Dt 5,32-33).

On notera au passage l’image du chemin : « SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route... Le Seigneur montre aux pécheurs le chemin, il enseigne aux humbles son chemin. » Et le verbe « diriger » évoque bien lui aussi l’image d’un chemin : « Dirige-moi par ta vérité... Sa justice dirige les humbles ».

L’image du chemin est typique des psaumes pénitentiels : parce que le péché, au fond, c’est une fausse route. Celui qui parle ici et qui demande à Dieu de lui indiquer le bon chemin (« SEIGNEUR, enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route... ») est un pécheur qui sait d’expérience qu’il a bien du mal par lui-même à rester sur le droit chemin. En français aussi, soit dit en passant, on emploie l’image du chemin pour désigner notre conduite morale, puisqu’on parle du « droit chemin ». Et, en hébreu, le mot « conversion » signifie « demi-tour ». Dans la Bible, le pécheur qui se convertit fait un véritable demi-tour ; il tourne le dos aux idoles, quelles qu’elles soient, qui le faisaient esclave et il se tourne vers Dieu qui le veut libre. Au fond, le véritable examen de conscience, ce pourrait être celui qui nous fait découvrir ce qui nous empêche d’être libres pour aimer Dieu et nos frères.

 

RAPPELLE-TOI, SEIGNEUR, TA TENDRESSE DE TOUJOURS

Troisième thème de la foi d’Israël : Dieu est Amour, il n’est que Don et Pardon. « Rappelle-toi, SEIGNEUR, ta tendresse, ton amour qui est de toujours » ; on reconnaît là un écho de la définition que Dieu a donnée de lui-même à Moïse dans le Sinaï : « Dieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté... » (Ex 34,6). Ce qui veut dire, une fois encore, qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour accueillir cette révélation. L’amour de Dieu est de toujours, l’Ancien Testament le sait très bien : après l’expérience de la libération d’Égypte, après la découverte de ce Dieu qui propose son Alliance à son peuple, on a pu réfléchir en termes neufs sur l’acte créateur de Dieu ; et, du coup, la conception du peuple d’Israël sur la création s’est mise à différer considérablement de celle des autres peuples. Désormais, on a compris que l’acte créateur de Dieu est un acte d’amour ; si Dieu a créé l’humanité, ce n’est pas pour satisfaire ses caprices ou son désir d’avoir des esclaves, comme on croyait en Mésopotamie, c’est par amour.

Un amour qui s’étend à l’humanité de tous les pays et de toutes les époques : c’est ce qu’exprime le récit du Déluge, qui est notre première lecture de ce premier dimanche de Carême. En Israël, quand on pense à l’Alliance proposée par Dieu à son peuple élu, on n’oublie jamais qu’elle s’inscrit dans un cadre plus large qui est l’Alliance de Dieu avec toute l’humanité.

Enfin, puisqu’il est Amour, Dieu n’attend rien en retour : l’amour est toujours gratuit, ou alors ce n’est pas de l’amour ! Il suffit de se laisser combler. Décidément ce psaume 24/25 est tout indiqué pour entrer en Carême !
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE PIERRE    3, 18-22

 

     Bien-aimés,
18 le Christ, lui aussi,
     a souffert pour les péchés,
     une seule fois,
     lui, le juste, pour les injustes,
     afin de vous introduire devant Dieu ;
     il a été mis à mort dans la chair,
     mais vivifié dans l'Esprit.
19 C'est en lui qu'il est parti proclamer son message
     aux esprits qui étaient en captivité.
20 Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir,
     au temps où se prolongeait la patience de Dieu,
     quand Noé construisit l'arche,
     dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes,
     furent sauvées à travers l'eau.
21 C'était une figure du baptême
     qui vous sauve maintenant :
     le baptême ne purifie pas de souillures extérieures,
     mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite,
     et il sauve par la résurrection de Jésus Christ,
22 lui qui est à la droite de Dieu,
     après s’en être allé au ciel,           
     lui à qui sont soumis les anges,
     ainsi que les Souverainetés et les Puissances.
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LE CHRIST A ACCEPTÉ DE SOUFFRIR

On sait peu de choses sur les circonstances de la rédaction de cette lettre, adressée par saint Pierre à des chrétiens d’Asie Mineure, ce que nous appelons aujourd’hui la Turquie ; on suppose qu'il s'agit d'une période de persécution, puisque Pierre dit « le Christ a souffert lui aussi. »

Ce qui explique les encouragements prodigués à plusieurs reprises par l'apôtre ; par exemple : « Au cas où vous auriez à souffrir pour la justice, heureux êtes-vous... Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte (sous-entendu devant les tribunaux). » (1 P 3,14-15). Et c’est là que commence notre texte d’aujourd’hui par les mots « Car le Christ est mort pour les péchés, une fois pour toutes... »  Traduisez : votre espérance s’appuie sur la mort et la résurrection du Christ, c’est cet événement pascal qui doit vous donner toutes les audaces.

En évoquant la souffrance du Christ, Pierre applique à Jésus l’image du Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 53) : « Lui, le juste, il a souffert pour les injustes... » Pierre n’a pas besoin d’en dire plus : car, un peu plus haut, dans cette même lettre, il a longuement développé ce thème : « Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous suiviez ses traces. Lui qui n’a pas commis de péché et dans la bouche duquel il ne s’est pas trouvé de tromperie ; lui qui, insulté, ne rendait pas l’insulte, dans sa souffrance ne menaçait pas, mais s’en remettait au juste Juge ; lui qui, dans son propre corps a porté nos péchés sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice ; lui dont les meurtrissures vous ont guéris. Car vous étiez égarés comme des brebis, mais maintenant vous vous êtes tournés vers le berger et le gardien de vos âmes. » (1 P 2,21-24).

Ses lecteurs, visiblement familiers de l’Ancien Testament, comprennent très bien l’allusion. Celui que le prophète Isaïe appelle le « Serviteur » est un envoyé de Dieu : il est persécuté, mais la vision de ses souffrances convertit le cœur de son peuple. Alors ce Serviteur éliminé injustement est reconnu juste et connaît un véritable triomphe : « Il est haut placé, élevé, exalté à l’extrême » disait Isaïe (53,1). Là encore, Pierre fait l’application à Jésus-Christ : « Dans sa chair, il a été mis à mort, dans l’esprit (c’est-à-dire par l’Esprit), il a été rendu à la vie... (il est ressuscité), il est monté au ciel, au-dessus des anges et de toutes les puissances invisibles, à la droite de Dieu. »

Et tout ceci, c’était pour nous, « afin de nous introduire devant Dieu » comme dit Pierre. Et l’expression « pour nous » est à entendre au sens le plus large possible : c’est-à-dire que, tous, qui que nous soyons, pouvons bénéficier de cette œuvre du Christ : « Il est mort pour les injustes ». Même ceux qui, au temps de Noé, n’avaient pas été dignes de monter dans l’Arche, même ceux-là ont entendu désormais le message du salut : « Il est allé proclamer son message à ceux qui étaient prisonniers de la mort. Ceux-ci, jadis, s’étaient révoltés au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche. »

 

SON EXEMPLE PEUT TRANSFORMER NOS CŒURS

Donc, s’il fallait résumer le début de ce passage, on pourrait dire : le Christ est mort pour tous une fois pour toutes. Reste à savoir comment nous entrons dans ce salut offert : en acceptant de nous attacher au Christ, de nous greffer sur lui pour qu’il nous transforme à son image. Concrètement, Pierre nous dit que cette transformation s’opère « par le Baptême ».  Reprenant l’exemple de Noé, il dit : « Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre de personnes, huit en tout, furent sauvées à travers l’eau. C’était une image du Baptême qui vous sauve maintenant... » Il veut dire ici que les baptisés sont comme Noé sortant à l’air libre après le Déluge ; Noé, parce qu’il était un homme au cœur droit, a pu entendre et accepter la proposition d’Alliance de Dieu : « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous... » (Gn 9,9 : notre première lecture). À notre tour, sortant des eaux du Baptême, nous pouvons entrer dans la Nouvelle Alliance : il nous suffit d’être prêts à nous « engager envers Dieu avec une conscience droite ». « Être baptisé, ce n’est pas être purifié de souillures extérieures, mais s’engager envers Dieu avec une conscience droite, et participer ainsi à la résurrection de Jésus Christ. »

On retrouve ici en filigrane un autre thème cher à Pierre, celui de la pierre d’achoppement : pour celui qui croit, Jésus-Christ est un rocher sur lequel il s’appuie ; pour celui qui refuse de croire, Jésus-Christ est la pierre d’achoppement, le rocher qui fait tomber. L’eau joue le même rôle : cause de mort pour ceux qui refusent de croire, cause de vie pour les baptisés. L’eau a noyé les contemporains de Noé... elle a noyé les Égyptiens (au temps de Moïse) ; la même eau a porté le bateau de Noé et a protégé le peuple en se retirant devant lui et en faisant des remparts de part et d’autre de son passage. La même eau peut faire de nous des frères de Jésus-Christ, par le Baptême : il nous suffit de croire, avec une « conscience droite ».

Désormais, nous sommes comme Noé : il a été sauvé, mis à part, en quelque sorte, pour être le signe et le témoin de la volonté de Dieu de faire Alliance avec l’humanité tout entière ; à notre tour, baptisés, nous sommes signes et témoins de l’Alliance universelle. Pierre insiste sur cette universalité de la proposition d’Alliance de Dieu : c’est pour cela qu’il note le chiffre « huit » : « Quand Noé construisit l’arche... un petit nombre de personnes, huit en tout, furent sauvées à travers l’eau. » Huit, dès l’Ancien Testament, était le chiffre de la Création nouvelle, puisque la première Création (Gn 1) se déroulait en sept jours. Ces huit personnes (Noé, sa femme, et les trois couples de ses enfants) étaient ceux par qui Dieu reprenait son projet de création. Ce n’était encore qu’une image : la véritable re-création commence avec la résurrection du Christ, et la nouvelle humanité naît dans les eaux du Baptême : c’est pour cela que de nombreux baptistères chrétiens des premiers siècles ou des clochers d’églises sont octogonaux.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MARC   1,12-15

 

     En ce temps-là,
     Jésus venait d'être baptisé
12  Aussitôt l'Esprit le pousse au désert
13 et, dans le désert,
     il resta quarante jours,
     tenté par Satan.
     Il vivait parmi les bêtes sauvages,
     et les anges le servaient.
14 Après l'arrestation de Jean,
     Jésus partit pour la Galilée
     proclamer l’Évangile de Dieu ;
15 il disait : « Les temps sont accomplis :
     le règne de Dieu est tout proche.
     Convertissez-vous
     et croyez à l’Évangile. »
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LES TENTATIONS DE JÉSUS

Chaque année, le premier dimanche de Carême, nous lisons le récit des Tentations chez l'un des trois évangélistes synoptiques ; cette année, nous les lisons dans saint Marc, c'est-à-dire dans la version la plus discrète possible : « Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt, l’Esprit le pousse au désert. Et dans le désert il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient. »

Marc ne nous précise pas quelles tentations Jésus a dû affronter, mais la suite de son évangile nous permet de les deviner : ce sont toutes les fois où il a dû dire non ; parce que les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes, et que, homme lui-même, il était entouré d’hommes, il a dû faire sans cesse le choix de la fidélité à son Père.

L’épisode qui nous vient tout de suite à l’esprit, c’est ce qui s’est passé près de Césarée de Philippe : « En chemin, Jésus interrogeait ses disciples : Qui suis-je, au dire des hommes ? Ils lui dirent Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, l’un des prophètes. Et lui leur demandait : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Prenant la parole, Pierre lui répond : Tu es le Christ. Alors il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne. » (Mc 8,27-30).

Cette sévérité même est certainement déjà signe d’un combat intérieur. Et tout de suite après, Marc enchaîne « Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’Homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite. » (Ce qui, évidemment, cadrait mal avec le titre glorieux qui venait de lui être décerné par Pierre). Et vous connaissez la suite : « Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander. Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre ; il lui dit : Retire-toi ! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes. » Il y a là, dans la bouche de Jésus l’aveu de ce qui fut la plus forte peut-être des tentations : celle d’échapper aux conséquences tragiques de l’annonce de l’évangile.

Tentation terriblement subtile : car elle s’accommode parfaitement bien d’un beau discours ; c’est au moment même où Pierre vient de faire la plus belle déclaration, le plus bel examen de théologie (!), qu’il est pour le Christ occasion de tentation.

Jusqu’à la dernière minute, à Gethsémani, il aura la tentation de reculer devant la souffrance : « Mon âme est triste à en mourir... Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14,34-36) Il est bien clair ici que sa volonté doit faire effort pour s’accorder à celle de son Père.

Jésus a eu certainement, on vient de le voir, la tentation de ne pas souffrir ; il a connu aussi celle de réussir ; là encore, son entourage l’y poussait ; le succès pouvait bien devenir un piège : « Tout le monde te cherche » (Mc 1,37), lui disaient ses disciples à Capharnaüm ; je vous rappelle le contexte ; le matin du sabbat à la synagogue, d’abord, où il avait délivré un possédé, puis la journée au calme chez Simon et André, où il avait guéri la belle-mère de Pierre ; le soir tous les alentours étaient là, qui avec son malade, qui avec son possédé ; et il avait guéri de nombreux malades ; la nuit suivante, avant l’aube, il était sorti à l’écart pour prier ; déception à la maison quand le jour s’était levé : s’il était parti ?

« Tout le monde te cherche »... Il avait dû s’arracher : « Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’Évangile : car c’est pour cela que je suis sorti. » (Mc 1,38). Pour cela et pas pour autre chose... Elle est là, la tentation : se laisser détourner de sa mission.

 

LE CHOIX DE LA FIDÉLITÉ

Cela a commencé très tôt, certainement, quand il a fallu affronter les moqueries de quelques proches ; toute vocation au service des autres impose des arrachements ; sa propre famille a parfois été un obstacle à sa mission : « Les gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient il a perdu la tête » (Mc 3,21).

Cette souffrance de l'incompréhension traduit une autre sorte de tentation, celle de convaincre par des actes spectaculaires : « Les Pharisiens vinrent et se mirent à discuter avec Jésus ; pour lui tendre un piège, ils lui demandent un signe qui vienne du ciel. Poussant un profond soupir, Jésus dit : Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? En vérité, je vous le déclare, il ne sera pas donné de signe à cette génération... Et les quittant, il remonta dans la barque et il partit sur l’autre rive. » (Mc 8,11-12). Très certainement, quand Jésus décide brusquement de fausser compagnie à ses interlocuteurs du moment, que ce soient ses amis ou ses adversaires, c'est qu'il a un choix à faire.

Ce choix est celui de la fidélité à sa mission : qu'il soit le Messie, tout le monde y pense depuis le début ; mais le problème c'est qu'une fois encore, les pensées de Dieu ne sont pas les nôtres ; par exemple, on attendait, on espérait un Messie politiquement puissant, qui chasserait l'occupant romain et restaurerait la liberté politique d'Israël ; Jésus a dû sans cesse prêcher la seule grandeur de l'amour ; c’est pour cela qu’à plusieurs reprises, il impose le secret à ceux qui ont entrevu son mystère (que ce soit à la Transfiguration ou ailleurs) : il ne veut pas laisser son entourage s'engager sur une fausse piste.  

On ne s’étonne pas non plus qu’il ait vécu paisiblement au désert pendant quarante jours (chiffre symbolique) au milieu des bêtes sauvages : car c'est bien ainsi que le prophète Isaïe avait défini l'harmonie qui règnera dans la création nouvelle : « Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau. » (Is 11). Marc nous dit ici : Jésus est l'homme véritablement libre par rapport à toutes les tentations, le premier-né de l'humanité nouvelle.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 18 02 2024 1er dimanche de Carême B

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