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31 octobre 2022 1 31 /10 /octobre /2022 17:29
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • donnant des explications historiques ;
  • donnant le sens passé de certains mots ou expressions dont la signification a parfois changé depuis ou peut être mal comprise (aujourd'hui, "saint", "lever son âme", "lever les yeux", "pur", "mains innocentes" ; je consacre une double page de mon blog à recenser tous ces mots ou expressions) ;
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE L’APOCALYPSE DE SAINT JEAN   7, 2 - 4. 9 - 14

     Moi, Jean,
2   j’ai vu un ange
     qui montait du côté où le soleil se lève
     avec le sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ;
     d’une voix forte, il cria aux quatre anges
     qui avaient reçu le pouvoir de faire du mal à la terre et à la mer :
3   « Ne faites pas de mal à la terre,
     ni à la mer, ni aux arbres,
     avant que nous ayons marqué du sceau
     le front des serviteurs de notre Dieu. »
4   Et j’entendis le nombre
     de ceux qui étaient marqués du sceau :
     ils étaient cent quarante-quatre mille,
     de toutes les tribus des fils d’Israël.

9   Après cela, j’ai vu :
     et voici une foule immense,
     que nul ne pouvait dénombrer,
     une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.
     Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,
     vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.
10 Et ils s’écriaient d’une voix forte :
     « Le salut appartient à notre Dieu,
     qui siège sur le Trône,
     et à l’Agneau ! »
11 Tous les anges se tenaient debout autour du Trône,
     autour des Anciens et des quatre Vivants ;
     se jetant devant le Trône, face contre terre,
     ils se prosternèrent devant Dieu.
12 Et ils disaient :
     « Amen !
     Louange, gloire, sagesse et action de grâce,
     honneur, puissance et force
     à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Amen ! »
13 L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :
     « Ces gens vêtus de robes blanches,
     qui sont-ils ? et d’où viennent-ils ? »
14 Je lui répondis :
     « Mon seigneur, toi, tu le sais. »
     Il me dit :
     « Ceux-là viennent de la grande épreuve ;
     ils ont lavé leurs robes,
     ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »
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LA FOULE DES BAPTISÉS

« Moi, Jean, j’ai vu » il s’agit donc d’une vision : « Moi, Jean, j’ai vu un ange qui montait du côté où le soleil se lève », et un peu plus loin : « Après cela, j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer ». Nous sommes prévenus : la description qui va suivre, et qui, ici, est superbe, grandiose, est d’ordre mystique : il n’est pas question de la prendre au pied de la lettre ; pour la comprendre, il faut nous laisser prendre, elle nous emporte dans un autre monde.

Lorsque l’apôtre Jean raconte la vision qu’il a eue à Patmos, ses auditeurs comprennent fort bien ce qu’il veut leur dire ; pour nous c’est moins clair ; je vais donc reprendre les éléments les uns après les autres.

Jean nous décrit une immense procession composée de deux foules distinctes : la première est composée de cent quarante-quatre mille personnes, (bien sûr, c’est un chiffre symbolique) qu’il appelle les serviteurs de Dieu. Ils sont marqués du « sceau qui imprime la marque du Dieu vivant ». C’est le Baptême*. Voici donc le peuple des baptisés : c’est à eux que Jean adresse son Apocalypse.

Il décrit ensuite une autre foule : c’est une foule immense, innombrable, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Vous notez au passage qu’il y a quatre termes dans cette énumération : le chiffre quatre dans ce genre de textes évoque le monde créé, le cosmos et donc aussi l’humanité (peut-être en référence aux quatre points cardinaux). Cette foule de « toutes nations, tribus, peuples et langues » représente donc l’humanité. Ils sont en vêtements blancs, ce qui veut dire qu’ils ont revêtu la robe des noces ; ensuite, ils se tiennent debout devant le Trône et devant l’Agneau, avec des palmes à la main. La position debout (qui est la posture du ressuscité), la robe nuptiale, les palmes de la victoire, tout nous dit qu’ils sont sauvés.

Et d’ailleurs, ils le proclament : « Le salut appartient (sous-entendu est donné par) à notre Dieu qui siège sur le Trône, et à l’Agneau ! »

Et pourtant les membres de cette deuxième foule ne sont pas marqués du sceau du Baptême. Qui les a introduits dans le salut ? La foule des cent quarante-quatre mille justement. Les cent quarante-quatre mille, je vous ai dit que ce sont les baptisés, les contemporains de saint Jean. Or ils sont à ce moment précis affrontés à une terrible persécution, celle de l’empereur Domitien à la fin du premier siècle.

ET LA FOULE INNOMBRABLE DES HOMMES SAUVÉS

Je crois que le message de l’Apocalypse aux chrétiens persécutés est le suivant : tenez bon ; votre témoignage portera ses fruits. Dans votre épreuve se trouve le salut de tous les hommes. Grâce à vous, grâce à vos souffrances endurées dans « la grande épreuve » (v. 14) de la persécution, la foule innombrable des nations sera sauvée.

Évidemment, on peut se poser deux questions : tout d’abord, pourquoi la souffrance des uns entraîne-t-elle le salut des autres ? D’autre part, pourquoi Jean parle-t-il ainsi dans un langage tellement codé que nous avons du mal à le déchiffrer. Pourquoi ne parle-t-il pas en clair ?

À propos de la souffrance des uns qui entraîne le salut des autres, c’est le grand mystère dont le prophète Isaïe parlait dans les chants du serviteur souffrant : il disait que le cœur du bourreau ne peut être touché que par la prise de conscience de la douleur de ses victimes. « Reconnu juste, mon serviteur dispensera la justice », disait Isaïe (Is 53). Zacharie reprenait la même méditation lorsqu’il disait : « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Za 12,10) et ce jour-là leur cœur sera enfin changé. Et l’évangéliste Jean lui-même a précisément repris cette phrase dans le récit de la mort du Christ. Ici, Jean dit la même chose à ses frères persécutés : dans vos souffrances, se trouve le salut de vos frères.

Pourquoi saint Jean ne parle-t-il pas en clair ? C’est tout le problème du style de son discours, il s’agit de ce que l’on appelle une « Apocalypse » ; c’est-à-dire que c’est un écrit clandestin qui circule sous le manteau, à la barbe des autorités ; ici, il s’agit des autorités romaines, à la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Ce livre s’adresse donc à des croyants qui vivent sous la menace perpétuelle de la persécution ; et donc, il se présente comme tous les messages de réseaux de résistance, avec un langage codé, compréhensible par les seuls initiés. C’est la première caractéristique de ce genre littéraire : tous les écrits apocalyptiques rapportent des visions et emploient des images et des nombres symboliques.

La deuxième caractéristique des Apocalypses, c’est leur thème. Dans toutes les périodes sombres de l’histoire d’Israël, Dieu a suscité des prophètes dont la mission était de réveiller l’espérance ; en période de persécution, le discours tenu pour réveiller les énergies consiste à dire : apparemment vous êtes vaincus, on vous écrase, on vous persécute, on vous élimine ; et vos persécuteurs sont florissants : mais ne perdez pas courage. Les forces du mal ne peuvent rien contre vous ; elles sont déjà vaincues. Les vrais vainqueurs en définitive, c’est vous, les croyants, à l’image du Christ lui-même ; il est l’Agneau apparemment vaincu, égorgé, mais en réalité, il a vaincu le monde, il a vaincu la mort. **

Alors, on comprend le titre de ce livre « Apocalypse » qui signifie « lever le voile » ; une « apocalypse » est toujours une « révélation », un « dévoilement » au sens de « retirer un voile ». Cet écrit lève le voile de l’apparence (à savoir la domination triomphante de Rome) et il annonce, il révèle la victoire de Dieu et de son Christ sur toutes les forces du mal, si terrifiantes soient-elles.

Nous retrouvons ces deux caractéristiques dans le texte d’aujourd’hui.
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Complément

-  C’était l’usage dans l’armée romaine de marquer les recrues d’un signe sur le front ; de la même manière, le baptisé était devenu soldat du roi des cieux. Le sceau protecteur était également un thème connu de l’Ancien Testament (Ex 12,7 ; Ez 9,4).

- Apocalypse : Jean voit la victoire des pauvres et des petits, non pas comme une revanche mais comme le dévoilement de la victoire de Dieu sur les forces du mal.
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PSAUME 23 (24)

1   Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,
     la terre et tous ses habitants !
2   C'est lui qui l'a fondée sur les mers
     et la garde inébranlable sur les flots.

3   Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
     et se tenir dans le lieu saint ?
4   L'homme au cœur pur, aux mains innocentes,
     qui ne livre pas son âme aux idoles.          

5   Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction,
     et de Dieu son Sauveur, la justice.
6   Voici le peuple de ceux qui le cherchent
     qui recherchent la face de Dieu !
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QUI PEUT GRAVIR LA MONTAGNE DU SEIGNEUR ?

Comme dans tout psaume, nous sommes au temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’approche ; à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (Vous vous souvenez que le Temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ».

C’est le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint, Saint le SEIGNEUR, Dieu de l’univers » proclament les séraphins pendant l’extase de la vocation d’Isaïe... (Is 6,3) et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir », comme dit Isaïe, en sa compagnie. Vous voyez combien ce psaume consonne avec la fête de tous les saints. Ils ont « gravi la montagne du SEIGNEUR », ils sont admis en présence du Dieu saint et ils chantent désormais le chant d’Isaïe, celui auquel nous unissons nos voix chaque dimanche, comme le dit la préface de la Toussaint : juste avant de chanter ce que nous appelons le Sanctus, le prêtre dit « C’est pourquoi avec cette foule immense que nul ne peut dénombrer, avec tous les anges du ciel, nous voulons te chanter... »

Le psaume continue : « l’homme au cœur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; nous retrouvons là une expression que nous connaissons bien : « Je lève les yeux vers toi, mon Seigneur » ; même chose dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » : « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.

UN CŒUR PUR, ENTIÈREMENT TOURNÉ VERS DIEU

« L’homme au cœur pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens  qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le cœur pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.

« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.

Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au cœur pur, aux mains innocentes... qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. « L’homme au cœur pur, aux mains innocentes, (c’est celui) qui ne livre pas son âme aux idoles. »

Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener tout au long de l’histoire d’Israël pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; depuis la sortie d’Égypte (vous vous rappelez l’épisode du veau d’or), et jusqu’à l’Exil à Babylone et même au-delà ; il faut dire qu’à toutes les époques, Israël a été en contact avec une civilisation polythéiste ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. Au passage, il faut noter que l’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.

Effectivement, c’est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; bien sûr, à un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au cœur pur deviendra peu à peu un homme au cœur de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.

En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés... Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ». La dernière phrase « Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu ! » est peut-être une bonne définition de la pauvreté de cœur dont parle Jésus dans les Béatitudes : « Heureux les pauvres de cœur : le Royaume des cieux est à eux ! »
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT JEAN    3, 1 - 3

     Bien-aimés,
1   voyez quel grand amour nous a donné le Père
     pour que nous soyons appelés enfants de Dieu
     - et nous le sommes.
     Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas :
     C’est qu'il n'a pas connu Dieu.
2   Bien-aimés,
     dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
     mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
     Nous le savons : quand cela sera manifesté,
     nous lui serons semblables
     car nous le verrons tel qu'il est.
3   Et quiconque met en lui une telle espérance
     se rend pur comme lui-même est pur.
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L’URGENCE D’OUVRIR LES YEUX

 « Mes bien-aimés, voyez... » : Jean nous invite à la contemplation ; parce que c’est la clé de notre vie de foi : savoir regarder ; toute l’histoire humaine est celle d’une éducation du regard de l’homme ; « ils ont des yeux pour voir et ne voient pas », disaient les prophètes : voilà le drame de l’homme. Et que faut-il voir au juste ? L’amour de Dieu pour l’humanité, son dessein bienveillant, comme dirait saint Paul ; saint Jean ne parle que de cela dans ce que nous venons d’entendre.

Je reprends ces deux points : la thématique du regard, et le projet de Dieu contemplé par Jean. Sur le premier point, le regard, ce thème est développé dans toute la Bible ; et toujours dans le même sens : savoir regarder, ouvrir les yeux, c’est découvrir le vrai visage du Dieu d’amour ; à l’inverse, le regard peut être faussé ; je ne vous citerai qu’un texte.

Je veux parler de la fameuse histoire d’Adam et Ève dans le jardin d’Éden : c’est bien une affaire de regard ; le texte est admirablement construit : il commence par planter le décor : un jardin avec des quantités d’arbres ; « Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. » (Gn 2,9). Puis Dieu permet de manger des fruits de tous les arbres du jardin, (y compris donc de l’arbre de vie) et il interdit un seul fruit, celui de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. C’est alors que le serpent intervient pour poser une question apparemment innocente, de simple curiosité, à la femme. « Vraiment, vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ? » Vous l’avez peut-être remarqué, le seul fait d’avoir prêté l’oreille à la voix du serpent, a déjà un peu faussé le regard de la femme. Puisque désormais c’est l’arbre litigieux qu’elle voit au milieu du jardin et non plus l’arbre de la vie, ce qui est juste le contraire de la vérité. Cela a l’air anodin, mais l’auteur le note exprès, évidemment : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n’en mangerez pas... » Alors le serpent, pour séduire Ève, lui promet « non, vous ne mourrez pas (sous-entendu si vous mangez le fruit interdit), mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, possédant la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux. »  Et le texte continue, toujours sur cette thématique du regard : « Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. » Vous avez remarqué, en une seule phrase, l’accumulation des mots du vocabulaire du regard. Vous connaissez la suite : la femme prend un fruit, le donne à l’homme et ils en mangent tous les deux ; alors le texte note : « leurs yeux à tous deux s’ouvrirent... » mais pour voir quoi ? « et ils virent qu’ils étaient nus » ; non, ils ne sont pas devenus comme des dieux, comme le Menteur le leur avait prédit, ils ont seulement commencé à vivre douloureusement leur nudité, c’est-à-dire leur pauvreté fondamentale.

Vous vous demandez quel lien je vois entre ce premier texte de la Bible et celui de saint Jean que nous lisons aujourd’hui ? Tout simplement le récit sur Adam et Ève a toujours été considéré comme donnant la clé du malheur de l’humanité : et Jean, au contraire, nous dit « voyez », c’est-à-dire « sachez voir, apprenez à regarder ». Non, Dieu en donnant un interdit à l’homme n’était pas jaloux de l’homme, il n’y a que des langues de vipère pour insinuer une telle monstruosité. C’est bien le thème majeur de saint Jean : « Dieu est amour » et la vraie vie, pour l’homme, c’est de ne jamais en douter. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent » dit Jésus, dans l’évangile de Jean. (Jn 17,3).

UNE MULTITUDE DE FILS

Dans notre texte d’aujourd’hui, Jean nous dit à sa manière cette réalité que nous devons apprendre à regarder : « Voyez quel grand amour nous a donné le Père : il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu » ; saint Paul, dans la lettre aux Éphésiens, dit : « Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ, ainsi l’a voulu sa bienveillance. » (Ep 1,5). C’est ce qu’il appelle le « dessein bienveillant de Dieu » qui consiste à réunir toute l’humanité en un seul être, dont la tête est Jésus-Christ et dont nous sommes les membres. Jean ne dit pas autre chose : Jésus est le Fils par excellence et nous qui sommes ses membres, nous sommes appelés, c’est logique, enfants de Dieu. Et il continue : « et nous le sommes » ; c’est déjà devenu une réalité par notre Baptême qui nous a greffés sur Jésus-Christ, qui a fait de nous ses membres. Paul dit exactement la même chose « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27).

Comme dit encore Jean dans le Prologue de son évangile : » À ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12). Ceux-là, dès maintenant, sont conduits par l’Esprit de Dieu et cet Esprit leur apprend à traiter Dieu comme leur Père : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’esprit de son Fils qui crie Abba, Père ! » (Ga 4,4). C’est cela le sens de l’expression « connaître le Père » chez saint Jean ; c’est le reconnaître comme notre Père, plein de tendresse et de miséricorde, comme disait déjà l’Ancien Testament.

En attendant, il y a ceux qui ont cru en Jésus-Christ et ceux qui, encore, s’y refusent. Car tout ceci apparaît lumineux pour les croyants ; mais c’est totalement incompréhensible et, pire, incroyable ou dérisoire, voire même scandaleux pour c’est un thème habituel chez Jean : « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu » au sens de « reconnu ». les non-croyants ; comme dit Jean : « Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : puisqu’il n’a pas découvert Dieu. » Traduisez : parce qu’il n’a pas encore eu le bonheur d’ouvrir les yeux. À ceux qui ne le connaissent pas encore, c’est-à-dire qui ne voient pas encore en lui leur Père, il nous appartient de le révéler par notre parole et par nos actes. Alors, quand le Fils de Dieu paraîtra, l’humanité tout entière sera transformée à son image. On comprend pourquoi Jésus disait à la Samaritaine « Si tu savais le don de Dieu ! »
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 5, 1-12a

     En ce temps-là,
1   voyant les foules,
     Jésus gravit la montagne. 
     Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent de lui.
2   Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait.
     Il disait :
3   « Heureux les pauvres de cœur,
     car le royaume des Cieux est à eux.
4   Heureux ceux qui pleurent :
     car ils seront consolés.
5   Heureux les doux,
     car ils recevront la terre en héritage.
6   Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice,
     car ils seront rassasiés.
7   Heureux les miséricordieux,
     car ils obtiendront miséricorde.
8   Heureux les cœurs purs,
     car ils verront Dieu.
9   Heureux les artisans de paix,
     car ils seront appelés fils de Dieu.
10 Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,
     car le royaume des Cieux est à eux !
11 Heureux êtes-vous si l'on vous insulte,
     si l'on vous persécute
     et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous,
     à cause de moi.
12 Réjouissez-vous, soyez dans l'allégresse,
     car votre récompense est grande dans les cieux !" »
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LE DON DES LARMES

Commençons par ce qui risque de nous choquer : « Heureux ceux qui pleurent ». Qui d’entre nous oserait dire une chose pareille devant quelqu’un qui pleure ? Et souvenons-nous que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » comme si c’était une chance de pleurer ! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur !

Tout d’abord, il faut s’entendre sur le mot « heureux » : les auditeurs de Jésus le connaissaient bien car il était très habituel dans l’Ancien Testament. Contrairement à ce que nous imaginons, ce n’est pas un constat de bonheur du genre « tu en as de la chance ! », c’est un encouragement à tenir bon. André Chouraqui le traduisait « En marche » : sous-entendu, « Tu es bien parti. Tu es bien en marche vers le royaume. » On peut l’entendre aussi comme « Tiens bon, garde le cap ». Adressée à des gens qui pleurent, cela voudrait dire : « Ne vous laissez pas décourager, ne changez pas de ligne de vie pour autant ».

Ensuite, sans parler des larmes de bonheur, évidemment, il y a des larmes qui sont bénéfiques : celles du repentir de saint Pierre, par exemple, dont parle le Pape Benoît XVI dans son livre sur Jésus. C’est là que l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu. Il y a également celles que nous versons lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance ou le chagrin des autres. Dans ces cas-là, nous sommes sur le bon chemin, nos cœurs de pierre sont en train de devenir des cœurs de chair, pour reprendre l’expression du prophète Ézéchiel. On pourrait dire la même chose lorsque nous pleurons devant la cruauté de certains, devant ce que j’appellerais la dureté du monde.1

Enfin, il y a là très certainement, de la part de Jésus l’annonce que le temps du Messie est venu, le temps où s’instaurera le bonheur promis à l’humanité.

Je reviens à la première béatitude : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ». Il me semble que cette béatitude-là contient toutes les autres, qu’elle est le secret de toutes les autres. Évidemment, ce n'est pas une idéalisation de la pauvreté matérielle : la Bible présente toujours la pauvreté comme un mal à combattre ; mais d'abord, il faut bien dire que ce n'étaient pas les gens socialement influents, importants qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus ! On lui a assez reproché de frayer avec n'importe qui !

Deuxièmement, le mot « pauvres » dans l’Ancien Testament n’a pas toujours un rapport avec le compte en banque : les « pauvres » au sens biblique (les « anavim ») ce sont ceux qui n’ont pas le cœur fier ou le regard hautain, comme dit un psaume ; on les appelle « les dos courbés » : ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d’eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler. Nous retrouvons ici sous la plume de Matthieu un écho de la parabole du pharisien et du publicain : le pharisien pourtant extrêmement vertueux ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son cœur était plein de lui-même ; le publicain, notoirement pécheur, se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, alors il était comblé.

HEUREUX LES PAUVRES, LES RICHESSES DE DIEU SONT À VOUS

La qualité dont il s’agit ici, c’est « l’esprit de pauvreté », c’est-à-dire la qualité de « celui qui a pour refuge le nom du SEIGNEUR », comme le dit Sophonie, celui qui a besoin de Dieu, celui qui reçoit tout de Dieu comme un cadeau : celui qui prie humblement « Kyrie eleison », Seigneur prends pitié. Et qui attend de Dieu et de lui seul tout ce dont il est question dans les autres Béatitudes : être capable de miséricorde, c’est-à-dire de pardon et de compassion, être artisan de paix, être doux, ou non-violent, être affamé et assoiffé de justice ; car tout cela est cadeau ; et nous ne pouvons mettre véritablement ces talents au service du Royaume que quand nous les recevons dans cet esprit. Au fond, la première Béatitude, c’est celle qui nous permet de recevoir toutes les autres. Heureux, les pauvres : mettez votre confiance en Dieu : Il vous comblera de ses richesses ... SES richesses... » Heureux » ...  cela veut dire « bientôt on vous enviera » !

Tous ceux qui attendent tout de Dieu, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche : « Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira », dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les « purs » au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.

Alors, effectivement, ces béatitudes sont, comme leur nom l’indique, des bonnes nouvelles ; quelques lignes avant cet évangile des Béatitudes, Matthieu disait : « Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume ». La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Mais ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Dieu se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » disait Jésus à ses disciples.

De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller : il nous dit la présence du Royaume là où nous ne l’attendions pas : la pauvreté du cœur, la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution... Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces : notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.

Autre bonne nouvelle : de cela nous sommes tous capables !
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Note

1 – D’après Ézéchiel, seront marqués d’un signe spécial au Jour du Jugement, ceux qui auront pleuré devant les douleurs et les méfaits du monde (Ez 9,4).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 1 11 2022, Tous les saints C

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26 octobre 2022 3 26 /10 /octobre /2022 23:35
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE   11,22 - 12 ,2

11, 22  Seigneur, le monde entier est devant toi
       comme un rien sur la balance,
       comme la goutte de rosée matinale
       qui descend sur la terre.
23   Pourtant, tu as pitié de tous les hommes,
       parce que tu peux tout.
       Tu fermes les yeux sur leurs péchés,
       pour qu'ils se convertissent.
24   Tu aimes en effet tout ce qui existe,
       tu n'as de répulsion envers aucune de tes œuvres ;
       si tu avais haï quoi que ce soit,
       tu ne l'aurais pas créé.
25   Comment aurait-il subsisté,
       si tu ne l'avais pas voulu ?
       Comment serait-il resté vivant,
       si tu ne l'avais pas appelé ?
26   En fait, tu épargnes tous les êtres,
       parce qu'ils sont à toi,
       Maître qui aimes les vivants,
12, 1    toi dont le souffle impérissable les anime tous.
2     Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu,
       tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent,
       pour qu'ils se détournent du mal,
       et croient en toi, Seigneur.
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UNE MINUSCULE GOUTTE DE ROSÉE

Il est superbe ce texte ! Tout entier rédigé à la deuxième personne, comme une prière : ce n’est pas une méditation sur Dieu, c’est une parole adressée à Dieu, une parole de gratitude ; et ce genre littéraire tout à fait particulier nous donne un texte très émouvant. Plutôt que « gratitude », il faudrait dire « reconnaissance » au double sens du terme ; dans la « reconnaissance », il y a deux choses : il y a d’abord la connaissance et parce qu’il y a la connaissance, il peut y avoir la gratitude ; Israël a reçu ce privilège extraordinaire de la Révélation et donc d’une certaine connaissance et reconnaissance de Dieu. Or le livre de la Sagesse est un texte très tardif (il a été écrit seulement dans les années 50 av. J.-C.) ; cela veut dire qu’il vient au terme de l’histoire biblique et qu’il a bénéficié de toute la maturation de la foi d’Israël ; on ne s’étonne donc pas d’y trouver une sorte de synthèse de toutes les découvertes que le peuple élu a faites au long des siècles.

Le texte que nous lisons ici est une hymne adressée au Dieu créateur : « Le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre ». Images superbes pour dire notre petitesse devant Dieu : l’univers entier et l’humanité comme une minuscule goutte de rosée face à la grandeur de Dieu ! Spontanément, cette conscience de la puissance de Dieu et de notre propre impuissance pourrait nous remplir de peur : historiquement, c’est certainement le premier sens de l’expression « crainte de Dieu ». Mais Dieu s’est révélé progressivement à Israël comme celui dont il ne faut pas avoir peur.

Car la première découverte d’Israël, on le sait bien, ou si l’on préfère, le premier article du credo d’Israël c’est « Dieu libère son peuple », Dieu accompagne son peuple dans son entreprise de libération, et cela gratuitement, sans aucun mérite du peuple, simplement par amour. La foi d’Israël est née de cette expérience vécue de l’Alliance avec ce Dieu qui libère, le Dieu de l’Exode, le « Dieu de tendresse et de fidélité », comme il s’est révélé lui-même à Moïse. Et donc, quand Israël réfléchit sur l’œuvre de la Création, il l’envisage à partir de son expérience et il en déduit que la Création est elle aussi une œuvre d’amour. Alors la peur n’est plus de mise : dans la foi, Israël garde une grande conscience de sa petitesse, mais il sait que la puissance de Dieu n’est qu’amour. Et alors, petit à petit, l’expression « crainte de Dieu » a changé de sens. Désormais, cette conscience de notre petitesse alimente une grande confiance.

Cette Révélation progressive accordée à Israël tout au long de son expérience d’Alliance avec Dieu affleure à plusieurs reprises dans ce passage d’aujourd’hui. En voici quelques traces : par exemple, nous lisons dans le livre de la Sagesse : « Tu aimes tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes œuvres ; si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé. Comment aurait-il subsisté si tu ne l’avais pas voulu ?... Maître qui aimes les vivants »*...

MAÎTRE QUI AIMES LES VIVANTS 

Il y a là un écho du merveilleux poème de la Création, au premier chapitre de la Genèse avec cette phrase qui revient comme un refrain « Dieu vit que cela était bon ». D’un bout à l’autre, ce poème de la Genèse affirme que Dieu aime ses créatures.

« Maître qui aimes les vivants », cela veut dire aussi que la mort n’aura pas le dernier mot : c’est cette découverte que Dieu aime la vie et les vivants qui a progressivement amené Israël à croire à la résurrection des morts. « Toi, dont le souffle impérissable anime tous les êtres » : là encore il y a une résonance avec la Genèse, mais avec le chapitre 2 cette fois, le deuxième récit de création : « Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2,7). Magnifique image pour dire que l’homme vit suspendu au souffle de Dieu.

Mais surtout, ce qui suscite la gratitude du croyant, c’est que l’amour du Créateur résiste à toutes nos infidélités ; sa puissance n’est pas domination : pour nous, elle est soutien et relèvement ! C’est cela la vraie puissance : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout ». On sait bien que le pardon demande beaucoup plus de force que la vengeance ; un peu plus loin le livre de la Sagesse le dit très clairement : « Il fait montre de sa force, celui dont le pouvoir absolu est mis en doute... (mais toi, Dieu) ta maîtrise sur tous te fait user de clémence envers tous » (Sg 12,16-17)**. Si Dieu pardonne, c’est parce qu’il aime la vie et les vivants justement, et c’est pour qu’on vive : « Tu as pitié de tous les hommes parce que tu peux tout... Tu fermes les yeux sur leurs péchés POUR qu’ils se convertissent... Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent POUR qu’ils se détournent du mal et croient en toi. » On entend là un écho du livre d’Ézéchiel : « Je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive » (Ez 33,11).

Autre écho : le livre de la Sagesse dit « Ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis » ; le livre du Deutéronome comparait la patiente pédagogie de Dieu envers son peuple à celle d’un père « Comme un homme éduque son fils, ainsi le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation. » (Dt 8,5). Force est bien d’admettre que Dieu n’a pas fini de déployer sa patience à notre égard, que sa pédagogie n’est pas terminée, qu’il reste beaucoup à faire pour que nous soyons vraiment détournés du mal... mais il a toute la patience qu’il faut. Comme dit saint Pierre, « Pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour » (2 P 3,8).
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Compléments

- * Sg 11,26 : « Maître qui aimes les vivants » : cela veut dire que les solutions de mort sont contraires au projet de Dieu.

- ** Dans le film « La liste de Schindler », il y a un moment très intense où le héros du film, Schindler, est en face du chef du camp de concentration : le chef du camp a le pouvoir de vie et de mort sur les prisonniers et, à cet instant précis, il a envie de tuer un jeune garçon. Schindler lui explique qu’il serait beaucoup plus grand en usant de son pouvoir pour faire vivre que pour faire mourir.
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PSAUME 144 (145), 1-2,8-9,10-11,13cd-14

1   Je t'exalterai, mon Dieu, mon Roi,
     je bénirai ton nom toujours et à jamais !
2   Chaque jour je te bénirai,
     je louerai ton nom toujours et à jamais !   

8   Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
     lent à la colère et plein d'amour ;
9   la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
     sa tendresse pour toutes ses œuvres.   

10 Que tes œuvres, SEIGNEUR, te rendent grâce
     et que tes fidèles te bénissent !
11 Ils diront la gloire de ton règne,
     ils parleront de tes exploits.   

13 Le SEIGNEUR est vrai en tout ce qu'il dit,
     fidèle en tout ce qu'il fait.
14 Le SEIGNEUR soutient tous ceux qui tombent,
     il redresse tous les accablés.
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UN PSAUME ALPHABÉTIQUE

On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le Livre de la Sagesse résumait en quelques versets toute la foi d’Israël : la découverte d’un Dieu qui accompagne son peuple, depuis l’aube de la Création et tout au long de son histoire ; le psaume 144/145 redit la même chose dans un autre style mais avec le même émerveillement.

Cela commence par la forme du psaume qui est alphabétique : que l’on se reporte à une Bible ou à un livre de prières en hébreu, c’est clairement indiqué ; non seulement le psaume 144/145 comporte vingt-deux versets, autant que de lettres dans l’alphabet hébreu, mais surtout chaque verset commence réellement par l’une des lettres de l’alphabet hébreu, dans l’ordre alphabétique ; c’est ce qu’on appelle un acrostiche ; nous savons déjà que ce n’est pas un hasard : nous avons acquis le réflexe : en face d’un psaume alphabétique, nous savons d’avance qu’il s’agit d’une action de grâce pour l’Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de aleph à tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu ».

On ne s’étonne pas que ce psaume figure dans la prière juive de chaque matin : pour le Juif croyant, depuis la première aube du monde, Dieu accompagne son peuple, chaque matin jusqu’à l’aube du JOUR définitif, celui du monde à venir, celui de la Création renouvelée... Si je vais un peu plus loin dans la spiritualité juive, le Talmud (c’est-à-dire l’enseignement des rabbins des premiers siècles de notre ère), affirme que celui qui récite ce psaume trois fois par jour, « peut être assuré d’être un fils du monde à venir ». Car la prière est un véritable apprentissage : répétée inlassablement, pourvu que ce soit du fond du cœur, elle nous convertit insensiblement. Parce que ces mots ont été inspirés par l’Esprit Saint, ils nous font peu à peu entrer dans la pensée de Dieu. On se souvient que le livre du Deutéronome nous disait que Dieu éduque l’homme comme un père éduque son fils (Dt 8,5). La prière est l’une des méthodes de cette pédagogie.

Si on regarde d’un peu plus près les huit versets précis qui ont été retenus pour ce dimanche, il me semble premièrement qu’on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis... et, deuxièmement qu’ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche... Nous retrouvons la contemplation du livre de la Sagesse sur le Dieu d’Amour et de pardon à la fois créateur et libérateur

« Seigneur, tu aimes tout ce qui existe », disait le livre de la Sagesse ; le psaume répond en écho : « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse pour toutes ses œuvres. » Il faut noter dans ces deux textes du livre de la Sagesse et du psaume 144/145 cette même insistance sur l’universalisme de l’amour et du projet de Dieu : la tendresse et la pitié du SEIGNEUR dont le peuple élu a eu le premier la Révélation, elles sont POUR TOUS ! Et cela, c’est une énorme découverte pour l’humanité... une découverte que nous devons au peuple élu... il ne faudrait jamais l’oublier. C’est un thème que nous avons rencontré très souvent dans l’Ancien Testament : Dieu aime toute l’humanité, et son projet d’amour, son « dessein bienveillant » concerne toute l’humanité.

TU FERMES LES YEUX SUR LES PÉCHÉS DES HOMMES

Autre convergence, le livre de la Sagesse insistait sur le pardon de Dieu : « Tu as pitié de tous les hommes, parce que tu peux tout... Tu fermes les yeux sur les péchés des hommes, pour qu’ils se convertissent » ; le psaume, lui, reprend la fameuse révélation de Dieu à Moïse, « Le SEIGNEUR est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. » (Ex 34,6). C’est le meilleur résumé qu’on puisse donner de toute la révélation biblique. Le pardon accordé à Zachée dans l’évangile de ce dimanche s’en fera l’écho, dans le Nouveau Testament cette fois.

Un autre accent de ce psaume insiste sur la royauté de Dieu : « Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi... Tes fidèles diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits ». Et l’affirmation de la royauté de Dieu revient à plusieurs reprises dans d’autres versets. Mais ce n’est pas un roi comme ceux que l’on connaît sur la terre. Imaginez un roi à la fois tout-puissant et bon : parce qu’il serait tout-puissant, il aurait les moyens de faire à son gré le bonheur ou le malheur de ses sujets ; mais parce qu’il serait bon il ne ferait que leur bonheur... on en rêve.

Et justement, Dieu est ce roi à la fois tout-puissant et bon, sa puissance est celle de l’amour ; c’est la découverte qu’Israël a faite au long de son histoire. Quand on parle des exploits de ce roi pas comme les autres, il s’agit toujours de son œuvre pour son peuple : nous savons bien que le mot « exploit » dans la Bible est toujours une référence à la libération d’Égypte : Dieu a libéré son peuple... et d’ailleurs, je ne devrais pas dire « Dieu A LIBÉRÉ » comme si c’était du passé... la foi d’Israël, c’est que « Dieu libère aujourd’hui son peuple, et ce depuis la première libération, et même depuis la Création ».

Pour terminer, si l’on se reporte au texte complet de ce psaume, on découvre une parenté très grande entre ce texte et celui du Notre Père : or on sait que le Notre Père était une prière juive avant d’être chrétienne. Par exemple, le Notre Père s’adresse à Dieu non seulement comme à un Père (« Notre Père... donne-nous... pardonne-nous... délivre-nous du mal... »), un Père qui est le Dieu de tendresse et de pitié dont parle ce psaume... Mais le Notre Père s’adresse également à Dieu comme à un roi : « Que ton Règne vienne » ... En répétant régulièrement cette phrase, nous apprenons peu à peu à désirer vraiment que vienne le Règne de Dieu pour le bonheur et le salut de toute l’humanité. Le psaume disait quelque chose d’équivalent : « Que tes fidèles te bénissent ! Ils diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits. »

Comme le dit le Talmud, en disant ce psaume de tout notre cœur, nous nous préparons à être « les fils du monde à venir ».
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS    1,11-2,2

     Frères,
1, 11    nous prions pour vous à tout moment,
     afin que notre Dieu vous trouve dignes
     de l'appel qu'il vous a adressé ;
     par sa puissance, qu'il vous donne d'accomplir
     tout le bien que vous désirez,
     et qu'il rende active votre foi.
12 Ainsi, le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous,
     et vous en lui,
     selon la grâce de notre Dieu
     et du Seigneur Jésus Christ.
2, 1      Frères, nous avons une demande à vous faire
     à propos de la venue de notre Seigneur Jésus Christ
     et de notre rassemblement auprès de lui :
2   si l'on nous attribue une inspiration,
     une parole ou une lettre
     prétendant que le jour du Seigneur est arrivé,
     n'allez pas aussitôt perdre la tête,
     ne vous laissez pas effrayer.
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DEUXIÈME VOYAGE MISSIONNAIRE DE PAUL

Si Paul juge utile de dire aux Thessaloniciens « je prie continuellement pour vous », c’est que les choses ne sont pas si simples ; Thessalonique est l’une des premières communautés fondées par Paul et la première en Grèce ; on se souvient que son premier voyage missionnaire avait été pour la Turquie ; et c’est au cours de son deuxième voyage qu’il a abordé en Grèce, d’abord à Philippes puis à Thessalonique. Partout Paul et ses compagnons de voyage adoptaient la même ligne de conduite : en bons Juifs pratiquants, ils se rendaient à la synagogue le matin du sabbat (donc le samedi matin) et là, après la lecture traditionnelle de l’Ancien Testament, ils prenaient la parole pour annoncer que le Messie attendu dans l’Ancien Testament était bel et bien venu en la personne de Jésus de Nazareth, crucifié, mort et ressuscité à Jérusalem, environ vingt ans auparavant.

Et partout les choses se passaient à peu près de la même façon : un certain nombre de leurs auditeurs les croyaient et demandaient à être baptisés ; mais au fur et à mesure que leur succès grandissait, ils se faisaient des ennemis de plus en plus farouches ; qui venaient les contredire puis les chasser ou les faire emprisonner, sous prétexte qu’avec ces nouvelles idées, les chrétiens semaient la révolution. Et un jour ou l’autre, il fallait quitter la ville en laissant sur place de tout nouveaux baptisés qu’on avait eu plus ou moins le temps de former. À Thessalonique, les choses se sont passées exactement de cette manière et, si l’on en croit le livre des Actes des Apôtres, Paul n’a pu y rester que le temps de trois sabbats, c’est-à-dire au maximum trois semaines. Au bout de ces trois semaines, il a été obligé de fuir Thessalonique pour éviter d’être emprisonné. Trois semaines pour une conversion, c’est quand même peu ! Il est vrai qu’il a suffi d’un instant à Paul lui-même sur le chemin de Damas pour être complètement retourné, converti au vrai sens du terme, par Jésus-Christ, mais ensuite, il avait été enseigné longuement dans la foi par d’autres chrétiens.

Les chrétiens tout frais de Thessalonique ont donc eu trois semaines pour se convertir... mais après cette prédication sûrement enthousiasmante de Paul, ils se sont quand même retrouvés un peu seuls face à leurs frères juifs qui refusaient cette conversion... Et, comme toujours en pareil cas, tant qu’une nouvelle religion n’est pas reconnue comme une véritable religion, elle est traitée de secte ; les premiers chrétiens ont vécu cela. Voilà donc la première difficulté à laquelle s’affrontent les premiers convertis de Thessalonique : à peine baptisés, les voilà laissés seuls à eux-mêmes ; Paul a dû repartir et eux restent face aux Juifs, leurs proches, leurs amis d’hier, devenus tout d’un coup des persécuteurs. Rude épreuve pour leur foi toute neuve. Paul a donc une première bonne raison de leur dire « je prie continuellement pour vous ».

NE PAS CESSER DE TRAVAILLER À LA VENUE DU RÈGNE DE DIEU

Il en a aussi une autre, d’un tout autre ordre ; la deuxième difficulté de cette jeune communauté, trop vite laissée à elle-même, c’est de ne plus trop bien savoir où elle en est, de « perdre la tête » comme dit Paul : puisque maintenant, on connaît le Messie, puisque le Royaume de Dieu est arrivé avec la Résurrection du Christ, puisque nous sommes dans les derniers temps, alors on laisse tout tomber ; il paraît que certains en abandonnaient leur travail ; sans aller jusque-là, d’autres se font trop facilement l’écho des bruits les plus divers concernant de prétendus événements ou révélations sur la fin du monde ; cela risque d’égarer les plus fragiles.

Paul les met en garde : « Frères, nous avons une demande à vous faire à propos de la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui : si l’on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n’allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer ». Le texte du Concile Vatican II sur la Révélation (« Dei Verbum » - la Parole de Dieu) reprend le même thème pour les chrétiens d’aujourd’hui : « Aucune révélation publique n’est à attendre avant la manifestation glorieuse de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Ne nous laissons donc pas effrayer par quiconque, ne perdons pas la tête, mais attendons en confiance l’accomplissement du projet de Dieu : et si nous en croyons Paul, à la suite d’ailleurs de toute la révélation biblique : « Selon la grâce de notre Dieu et du Seigneur Jésus Christ, le nom de notre Seigneur Jésus sera glorifié en vous, et vous en lui. » (2 Th 1,12).

Attendre en confiance ne veut pas dire pour autant rester passifs ; c’est très exactement ce que veut dire Paul ; il est on ne peut plus clair. C’est Dieu qui a l’initiative : il a un projet sur nous, il nous a appelés. « Que notre Dieu vous trouve dignes de l’appel qu’il vous a adressé » ; la formule est superbe ; elle dit l’honneur et la responsabilité qui sont les nôtres de par notre Baptême. Il n’est donc pas question de rester inactifs, au contraire. Paul continue sa prière : « Par sa puissance, que Dieu vous donne d’accomplir tout le bien que vous désirez, et qu’il rende active votre foi. » C’est nous qui accomplissons, mais c’est Dieu qui nous donne l’énergie pour le faire. C’est bien ce qui s’est passé pour Zachée : c’est Jésus qui a pris l’initiative de s’inviter chez lui, manière de lui proposer l’Alliance avec Dieu au cœur même de sa vie concrète peu conforme à l’Alliance ; ce faisant, Jésus lui manifestait qu’on n’est jamais perdu pour Dieu. Alors Zachée a pu, dans un deuxième temps, changer de comportement et conformer sa vie au projet de Dieu. Avis aux Thessaloniciens et à nous-mêmes : Dieu nous appelle, à nous d’y répondre dans notre vie concrète, il n’y a pas de temps à perdre.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   19,1-10

     En ce temps-là,
1   entré dans la ville de Jéricho, Jésus la traversait.
2   Or il y avait un homme du nom de Zachée ;
     il était le chef des collecteurs d'impôts,
     et c'était quelqu'un de riche.
3   Il cherchait à voir qui était Jésus,
     mais il ne le pouvait pas à cause de la foule,
     car il était de petite taille.
4   Il courut donc en avant
     et grimpa sur un sycomore
     pour voir Jésus qui allait passer par là.
5   Arrivé à cet endroit,
     Jésus leva les yeux et lui dit :
     « Zachée, descends vite :
     aujourd'hui il faut que j'aille demeurer ta maison. »
6   Vite, il descendit,
     et reçut Jésus avec joie.
7   Voyant cela, tous récriminaient :
     « Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur. »
8   Zachée, debout, s’adressa au Seigneur :
     « Voici, Seigneur :
     je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens,
     et si j'ai fait du tort à quelqu'un,
     je vais lui rendre quatre fois plus. »
9   Alors Jésus dit à son sujet :
     « Aujourd'hui, le salut est arrivé pour cette maison,
     car lui aussi est un fils d'Abraham.
10 En effet, le Fils de l'homme est venu chercher et sauver
     ce qui était perdu. »
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ZACHÉE, LE PUBLICAIN

Quelques lignes auparavant, Jésus a eu cette phrase terrible : « Oui, il est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » (Lc 18,25). Alors ses auditeurs lui ont aussitôt posé la question qui nous vient spontanément aux lèvres : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Et Jésus a répondu : « Ce qui est impossible pour les hommes est possible pour Dieu. » L’histoire de Zachée vient nous en apporter la preuve.

Jéricho, c’est, paraît-il, la ville la plus basse du monde, à moins trois cents mètres d’altitude : dans la vallée du Jourdain, un peu au Nord de la Mer Morte ; de là à Jérusalem, il y a trente-cinq kilomètres de montée dans un paysage désertique superbe. Ce jour-là, Jéricho était bruyante, les gens étaient dans la rue pour voir passer le prophète et la petite troupe de disciples qui le suivait ; il y avait donc la foule, Jésus ... et ce Zachée perché dans le sycomore ; Zachée le publicain, responsable des impôts, ce qui signifiait pour tout le monde qu’il était à la fois collaborateur avec l’ennemi, l’occupant romain, et soupçonné de voler allègrement ses compatriotes. C’est justement chez lui, Zachée, que Jésus s’invite ; Luc nous raconte que la foule est horrifiée que Jésus aille manger chez un pécheur ; mais ces gens sont logiques : selon la loi juive, on ne doit pas frayer avec les impurs, or Zachée est rendu impur du seul fait de son contact avec les Romains qui sont des païens. Si Jésus était vraiment le prophète qu’on prétend, il respecterait la Loi. Mais c’est la logique des hommes et une fois de plus, l’Écriture nous montre que la logique de Dieu n’est pas la nôtre.

Zachée, donc, reçoit Jésus avec joie, nous dit Luc, et les choses auraient pu en rester là ; mais alors il se passe quelque chose : « Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : Voici, Seigneur... » Arrêtons-nous là : Zachée vient de reconnaître Jésus comme le Seigneur... et c’est cela être sauvé. Le changement de comportement de Zachée ne viendra qu’ensuite, il en sera la suite logique, évidente. Le salut, c’est d’abord Jésus reconnu et accueilli comme présence de Dieu... Une Présence offerte à tous, mais ce sont les petits, ceux qui se reconnaissent en situation de précarité qui l’accueillent.

« Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » : il y a deux fois le mot « aujourd’hui » dans ce passage ; première fois, Jésus dit « Aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison » ; Jésus fait le premier pas, mais Zachée est encore tout à fait libre : il ne va certainement pas refuser de recevoir le prophète, puisqu’il est grimpé sur le sycomore pour le voir...

Mais cette rencontre inespérée avec Jésus aurait pu rester une simple rencontre, qui serait devenue avec le temps un bon souvenir. Zachée pouvait en rester là. Il était libre de recevoir Jésus très poliment comme un hôte de marque, sans s’engager lui-même en profondeur, sans que cela change quoi que ce soit à sa vie.

ZACHÉE, LE FILS DE LA PROMESSE

Il était libre aussi d’en faire tout autre chose, de saisir la proposition de Jésus et d’en faire l’aujourd’hui du salut pour lui. Et, on l’aura remarqué, c’est seulement quand, librement, Zachée a annoncé sa décision de changer de vie que Jésus parle de salut ; reprenons le texte : « Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : voici, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Alors, et alors seulement, Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. »

Au fond, la leçon est la même que dans la parabole du pharisien et du publicain de dimanche dernier, ou dans l’histoire du bon larron : Zachée, comme le bon larron, comme le publicain, est « justifié » (selon le mot de Jésus à propos du publicain), parce qu’il a ouvert les yeux, il a fait la vérité.

Quand il ajoute « Zachée aussi est un fils d’Abraham », Jésus ne cherche certainement pas là à nous donner une précision d’état-civil ! Il rappelle seulement la promesse qui lie pour toujours Dieu à la descendance d’Abraham : on pourrait traduire « fils de la promesse » : « Aujourd’hui le Salut est arrivé chez Zachée, car lui aussi est un fils de la promesse ». Les honnêtes gens qui étaient là, scandalisés que Jésus fréquente ce collaborateur de Zachée, ce malhonnête, ce vendu... ces honnêtes gens ne doivent pas oublier que le salut est toujours offert à tous parce que Dieu, lui, est toujours fidèle à sa promesse. Comme dit saint Paul, « Si nous manquons de foi, (Dieu,) lui, reste fidèle, car il ne peut se rejeter lui-même » (2 Tm 2,13). C’est le même Luc, d’ailleurs, qui nous rapporte le Magnificat : « Il se souvient de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (Lc 1,55).

On retrouve ici le double accent que nous avions déjà noté dans la parabole du pharisien et du publicain : le salut est « cadeau », le publicain « est justifié » (sous-entendu il ne se justifie pas lui-même). Mais il n’est pas passif pour autant : il « est justifié » parce qu’il accueille le salut donné par Dieu ; c’est la même chose ici. Le salut est don de Dieu, cadeau de Dieu ; ce n’est pas Zachée qui est la cause de son salut, et pourtant son attitude d’accueil est indispensable pour que le salut advienne « aujourd’hui » pour lui.

Comment ne pas faire le rapprochement avec le nom même de la ville de Zachée, Jéricho, la première ville de la Terre Promise conquise par les tribus d’Israël ; ils ont toujours considéré cette conquête comme un don de Dieu et non comme une victoire due à leurs propres forces. Décidément, nous dit saint Luc, le salut est toujours un cadeau. Jéricho, c’est aussi pour Jésus, (dont le nom signifie Dieu sauve) la dernière étape de la montée à Jérusalem où s’accomplira le salut de l’humanité tout entière. Certainement, en choisissant de s’inviter chez Zachée, Jésus ne cherche pas à donner une leçon : simplement, il révèle qui est Dieu, irrésistiblement attiré par ceux qui sont en train de se perdre.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 30 10 2022, 31e dimanche du temps ordinaire C

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16 octobre 2022 7 16 /10 /octobre /2022 21:14
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 22 octobre 2022).

LECTURE DU LIVRE DE BEN SIRA LE SAGE   35, 15b-17.20-22a

15 Le Seigneur est un juge
     qui se montre impartial envers les personnes.
16 Il ne défavorise pas le pauvre,
     il écoute la prière de l’opprimé.
17 Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin,
     ni la plainte répétée de la veuve.

20 Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli,
     sa supplication parviendra jusqu’au ciel.
21 La prière du pauvre traverse les nuées ;
     tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable.
     Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui,
22 ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice.
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DIEU NE JUGE PAS SUR LA MINE

Quelques mots, d’abord, sur le livre de Ben Sira que nous lisons trop rarement : Ben Sira s’appelait Jésus lui aussi ; il a ouvert une école de sagesse à Jérusalem vers 180 av. J.-C. ; c’est pour cela qu’on l’appelle souvent  Ben Sira le Sage ; à cette époque le pays des Juifs était sous domination grecque depuis la conquête d’Alexandre en 332 : l’occupant grec du moment était libéral (cela n’a pas toujours été le cas : on connaît la persécution d’Antiochus Épiphane au temps des Maccabées, vers 165 av. J.-C)... pour l’instant, quand Ben Sira prend la plume, l’atmosphère est paisible ; le pouvoir en place respecte les coutumes et la religion juives. Mais, paradoxalement, et c’est ce qui pousse Ben Sira à écrire, ce libéralisme ambiant n’a pas que des avantages, cette apparence paisible cache un danger : le contact entre ces deux civilisations grecque et juive met en péril la pureté de la foi juive : on risque de tout mélanger. Car la religion juive est aux antipodes de la philosophie et de la mythologie grecques. Notre époque moderne en donne un peu une idée : nous aussi vivons dans une ambiance de tolérance qui nous conduit à une sorte d’indifférentisme religieux : comme le disait René Rémond, tout se passe comme s’il y avait un libre service des idées et des valeurs et nous faisons chacun le choix de ce qui nous convient dans ce super-marché.

L’un des objectifs de Ben Sira est donc de transmettre la foi dans son intégrité si bien qu’on a avec l’ensemble de son livre une présentation de la foi juive dans sa pureté, telle qu’on la conçoit vers les années 180 avant notre ère. Or les années 180, c’est déjà presque la fin de l’Ancien Testament : la réflexion de Ben Sira vient donc au terme de la longue évolution de la foi d’Israël. Car la foi juive n’est pas une spéculation philosophique, elle est l’expérience d’une Alliance avec le Dieu vivant. C’est à travers les œuvres de Dieu qu’on a découvert peu à peu son vrai visage : non pas une idée inventée par les hommes, mais une Révélation progressive et, il faut bien le dire, surprenante. Car « Dieu est Dieu et non pas homme » comme dit le prophète Osée (Os 11,9).

En particulier, et c’est le thème de notre passage d’aujourd’hui, il ne juge pas selon les apparences : on entend là bien sûr comme un écho de ce que disait le prophète Samuel à Jessé, le père du petit berger David : « Les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le cœur. » (1 S 16,7). En écho, Ben Sira dit : « Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. » Il va même jusqu’à employer une image superbe dans un autre verset de ce même chapitre : « Les larmes de la veuve coulent sur les joues de Dieu » (Si 35,18 selon le texte hébreu)*... belle manière de dire cette tendresse penchée sur nos misères. Pour que nos larmes coulent sur les joues d’un autre, il faut que cet autre soit particulièrement proche, tout contre nous, même ! C’est bien le sens du mot miséricorde : dire que Dieu est miséricordieux, c’est dire qu’il vibre à nos malheurs (en hébreu, le sens exact du mot miséricorde, c’est « des entrailles qui frémissent »)

LA PRIÈRE NAÎT DE LA PRÉCARITÉ

Le pauvre, l’opprimé, l’orphelin, la veuve : les quatre situations énumérées ici sont les quatre situations-type de pauvreté dans la société de l’Ancien Testament ; ce sont ces quatre catégories de personnes défavorisées que la Loi protège : aujourd’hui, on dirait que ce sont les situations-type de précarité. Il n’empêche que, même si la loi protège les plus faibles, (la loi est toujours faite pour cela !), notre regard n’est pas toujours très favorable pour les personnes en situation de précarité ; spontanément, nous sommes souvent plus attirés par les personnes mieux établies socialement.

Ben Sira nous dit : vous, c’est plus fort que vous, vous jugez souvent sur la mine. Dieu, lui, ne fait pas de différence entre les hommes ; ce qu’il regarde, c’est le cœur : « Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, et sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Ben Sira ne dit pas pour autant que Dieu « préfère » les pauvres ! L’amour parfait n’a pas de préférence ! Mais il est vrai que c’est peut-être dans nos jours de pauvreté que nous sommes les mieux placés pour prier ! Ou, pour le dire autrement, que nos dispositions sont les meilleures : « La prière du pauvre atteint les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. » Il faut certainement entendre le mot « inconsolable » au sens fort. Une autre traduction dit d’ailleurs « La prière de l’humble traverse les nues et elle ne se repose pas tant qu’elle n’a pas atteint son but » ; une prière qui ne se repose pas : nous retrouvons ici l’insistance des textes de la semaine dernière quand Jésus donnait une veuve en exemple à ses apôtres : on se souvient de cette veuve obstinée de l’évangile qui poursuivait le juge pour obtenir son dû.

Quand on est vraiment dans une situation de pauvreté, de besoin, quand on n’a plus d’autre recours que la prière, alors vraiment, on prie de tout son cœur, on est réellement complètement tendu vers Dieu ; et alors notre cœur s’ouvre et enfin il peut y entrer. Car le mot « prière » et le mot « précarité » sont de la même famille. C’est peut-être la clé de la prière : on ne prie vraiment que quand on a pris conscience de sa pauvreté, de sa précarité. Encore faut-il être disposé à servir Dieu de tout son cœur ; il y a au milieu de notre texte d’aujourd’hui une toute petite phrase pleine de sous-entendus : « Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Elle vise ceux qui croient acquérir des mérites aux yeux de Dieu à coups de cérémonies et de sacrifices de toute sorte ; Ben Sira leur rappelle toute la prédication des prophètes : le plus beau, le plus riche des sacrifices, la plus belle cérémonie ne remplacent pas les dispositions du cœur. « Ce qui plaît au Seigneur, c’est (d’abord) qu’on se tienne loin du mal », dit Ben Sira un peu plus haut (Si 35,5). À l’inverse, ceux qui se sentent démunis devant Dieu ne doivent pas s’inquiéter car « Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes ».
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Complément

1- L'étude du contexte éclaire davantage encore le passage que nous lisons ici ; dans les versets précédents, Ben Sira a parlé du culte et des sacrifices en rappelant trois choses :

- la Loi vous commande d'offrir des sacrifices, donc faites-le, et, si vous le pouvez, soyez généreux.
- Mais ce qui plaît au Seigneur, c’est d’abord « qu’on se tienne loin du mal » (Si 35,5).
- Ne croyez pas vous faire « bien voir » en présentant de riches présents (Si 35,11) ... « CAR Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes » (notre premier verset d’aujourd’hui).

2-Pour une raison inconnue, la liturgie omet les versets 18 et 19, pourtant bien beaux ! Les voici : « Les larmes de la veuve ne coulent-elles pas sur ses joues, et son cri n’accuse-t-il pas celui qui la fait pleurer ? »
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PSAUME  33 (34), 2-3, 16.18, 19.23

2   Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps,
     sa louange sans cesse à mes lèvres.
3   Je me glorifierai dans le SEIGNEUR :
     que les pauvres m'entendent et soient en fête !

16 Le SEIGNEUR regarde les justes,
     il écoute, attentif à leurs cris.
18 Le SEIGNEUR entend ceux qui l'appellent :
     de toutes leurs angoisses, il les délivre.

19 Il est proche du cœur brisé,
     il sauve l'esprit abattu.
23 Le SEIGNEUR rachètera ses serviteurs :
     pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.
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LE SEIGNEUR EST PROCHE DU CŒUR BRISÉ 

Voilà encore un psaume alphabétique : chaque verset commence par une lettre de l’alphabet, dans l’ordre : le premier verset par A, le deuxième par B, et ainsi de suite. Manière d’affirmer une fois de plus que le seul chemin du bonheur, la seule sagesse, c’est de faire confiance à Dieu, de remettre toute notre vie entre ses mains, de A à Z (de Aleph à Tav en hébreu). Il est donc un parfait écho à notre première lecture de ce dimanche, tirée du livre de Ben Sira ; puisque tout l’objectif de ce livre est de stimuler la foi des Juifs du deuxième siècle, parfois tentés d’écouter les voix de la sagesse grecque.

Autre écho, nous retrouvons dans ces quelques versets quelque chose que nous avons entendu dans la première lecture : cette même découverte d’un Dieu proche de l’homme et, en particulier, de l’homme qui souffre. « Le SEIGNEUR est proche du cœur brisé » : c’est très certainement l’une des grandes découvertes de la Bible, un Dieu bien différent de ce que l’on croyait spontanément ; un Dieu qui veut le bonheur de l’homme, un Dieu que la douleur de l’homme ne laisse pas indifférent ; nous lisons dans le livre de Ben Sira que « nos larmes coulent sur sa joue »... Il fallait bien une Révélation pour nous faire découvrir ce Dieu-là.

Rappelons-nous sur quel terreau est née la foi de Moïse : tous les peuples de cette région avaient bien des idées sur la question mais il ne venait à l’idée de personne qu’un Dieu puisse n’être que bienveillant. En Mésopotamie, par exemple, la terre d’origine d’Abraham, on imaginait une quantité de dieux, rivaux entre eux, jaloux les uns des autres et surtout jaloux des hommes : l’idée que Dieu puisse être jaloux si l’humanité trouvait le moyen de l’égaler est justement récusée par l’auteur du livre de la Genèse : et c’est ce qu’insinue le serpent quand il dit à Ève : ‘Dieu est jaloux de toi’... l’Esprit-Saint qui inspire l’écrivain biblique lui a fait découvrir que cette idée d’un Dieu jaloux est une tentation, un soupçon dans lequel il ne faut pas se laisser aller sous peine de nous détruire nous-mêmes. Et c’est bien pour cela que la phrase est mise dans la bouche du serpent pour nous faire comprendre que le soupçon à l’égard de Dieu empoisonne nos vies, c’est du venin.

Et, au long des siècles de l’histoire biblique, grâce en particulier aux prophètes, le peuple d’Israël a approfondi cette découverte d’un Dieu qui aime l’homme comme un père aime son enfant, qui accompagne l’homme sur tous ses chemins ; face à l’incroyant qui demande « le SEIGNEUR est-il au milieu de nous ? » (c’était la question du peuple affronté à l’épreuve de la soif à Massa et Meriba) le croyant affirme « Oui, le SEIGNEUR est avec nous », il est « l’Emmanuel » (littéralement en hébreu « Dieu-avec-nous »). Et plus encore, quand les chemins sont rudes, le croyant ose dire que Dieu est proche de l’homme qui souffre, tellement proche que « nos larmes coulent sur la joue de Dieu », comme dit Ben Sira (Si 35,18).

LE SOCLE DE LA FOI D’ISRAËL : LE BUISSON ARDENT

Rappelons-nous l’épisode du buisson ardent au chapitre 3 du livre de l’Exode : « Le SEIGNEUR dit (à Moïse) : J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. » Quels que soient les coups, le croyant sait que le SEIGNEUR l’entend crier, et son angoisse peut disparaître : « Le SEIGNEUR entend ceux qui l’appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre ». Il reste que c’est facile à dire quand tout va bien ... et moins facile dans les jours de douleur ; les premiers versets de ce psaume sont bien difficiles à dire à certains jours : « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le SEIGNEUR : que les pauvres m’entendent et soient en fête ! » Il reste aussi que, malgré nos prières et nos cris vers Dieu, les coups ne cessent pas toujours, pas tout de suite, il faut bien le reconnaître ; cette présence attentive, « attentionnée », cette sollicitude de Dieu penché sur notre souffrance, n’est pas un coup de baguette magique ; beaucoup d’entre nous ne le savent que trop.

Mais reprenons l’épisode du buisson ardent : quand Dieu dit à Moïse « J’ai vu la misère de mon peuple en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups... Oui, je connais ses souffrances... », il suscite en même temps chez Moïse l’élan nécessaire pour entreprendre la libération du peuple. La foi qui inspire ce psaume, c’est justement celle-là : premièrement, la certitude que le SEIGNEUR est proche de nous, dans la souffrance, ‘qu’il est de notre côté’ si l’on peut dire. Deuxièmement, que, en réponse à notre cri, Dieu suscite en nous et dans nos frères l’élan nécessaire pour modifier la situation, pour nous aider à passer le cap et, parfois même à faire reculer le mal. Soutenus par son Esprit, nous pouvons vaincre l’angoisse et traverser l’épreuve en tenant sa main.

Le peuple d’Israël, et c’est lui, d’abord, qui parle dans ce psaume, a vécu de nombreuses fois cette expérience : de la souffrance, du cri, de la prière et chaque fois, il peut en témoigner, Dieu a suscité les prophètes, les chefs dont il avait besoin pour prendre son destin en main. Si les premiers versets effectivement, sont un cri de louange « Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres », cette louange s’appuie sur toute une expérience qui est dite ensuite ; en fait, il faudrait lire « Je bénirai le SEIGNEUR... je me glorifierai dans le SEIGNEUR... CAR le SEIGNEUR regarde les justes, il entend les pauvres... » 

Dans les quelques versets que nous lisons ce dimanche, c’est toute l’œuvre de Dieu en faveur de son peuple qui est rappelée : « Il entend, il délivre, il regarde, il est attentif, il est proche, il sauve, il rachète... » Et ce n’est pas un hasard non plus si Dieu est appelé « le SEIGNEUR » c’est-à-dire ces fameuses quatre lettres « YHVH » qui révèlent Dieu justement comme une présence permanente auprès de son peuple tout au long de son histoire.

Dernière remarque, en reprenant le texte : « Le SEIGNEUR entend ceux qui l’appellent... il écoute, attentif à leurs cris. » Cela veut dire que, dans l’épreuve, la souffrance, la douleur, il est non seulement permis mais recommandé de crier.
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE  4, 6-8.16-18 

     Bien-aimé,
6   je suis déjà offert en sacrifice,
     le moment de mon départ est venu.
7   J’ai mené le bon combat,
     j’ai achevé ma course,
     j’ai gardé la foi.
8   Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice :
     le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là,
     et non seulement à moi,
     mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour
     sa Manifestation glorieuse.

16 La première fois que j’ai présenté ma défense,
     personne ne m’a soutenu :
     tous m’ont abandonné.
     Que cela ne soit pas retenu contre eux.
17 Le Seigneur, lui, m’a assisté.
     Il m’a rempli de force
     pour que, par moi,
     la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout
     et que toutes les nations l’entendent.
     J’ai été arraché à la gueule du lion ;
18 le Seigneur m’arrachera encore
     à tout ce qu’on fait pour me nuire.
     Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste.
     À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
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LE BON COMBAT

On a des raisons de supposer que les lettres à Timothée ne seraient pas réellement, ou pas entièrement, des écrits de Paul, mais peut-être d’un disciple quelques années plus tard ; en revanche, tout le monde s’accorde à reconnaître que les lignes que nous lisons aujourd’hui sont de lui, et même qu’elles sont le testament de Paul, son dernier adieu à Timothée.

Paul est dans sa prison à Rome, il sait maintenant qu’il n’en sortira que pour être exécuté ; le moment du grand départ est arrivé ; ce départ, il le dit par le mot (analuein) qu’on emploie en grec pour dire qu’on largue les amarres, qu’on lève l’ancre, ou encore qu’on replie la tente.

Il sait qu’il va paraître devant Dieu, et il fait son bilan : se retournant en arrière, (au cinéma on dirait qu’il fait un flashback), il reprend une comparaison qui lui est très habituelle, celle du sport : la vie d’un apôtre est comme une course de fond ; il a tenu jusqu’au bout de la course, il n’a pas déclaré forfait, donc il sait qu’il recevra la récompense du vainqueur ; (il dit textuellement « la couronne du vainqueur » parce que la récompense à l’époque, à Rome, était une couronne de lauriers). Je reprends ses paroles : « Le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice... »

Seulement, cette course de l’apôtre, et même du chrétien, est tout à fait particulière : quand Paul dit, « Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice... », ne pensons pas qu’il se vante, comme s’il se croyait meilleur que tout le monde : cette couronne-là, tous les coureurs, entendez tous les apôtres, y ont droit ; ce n’est donc pas de la prétention, mais il sait ce que Ben Sira nous a appris : que Dieu ne fait pas de différence entre les hommes, qu’il regarde le cœur. Et il ajoute : « Le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. » Le juge impartial, celui qui sait voir les dispositions du cœur, sait que Paul et tant d’autres ont désiré avec amour l’avènement du Christ. Tous, ils recevront la couronne de gloire.

Au passage, on remarque, encore une fois sous la plume de Paul, le mot « manifestation » du Christ ; nous l’avons déjà rencontré plusieurs fois chez lui : la manifestation totale et définitive du Christ a vraiment été l’horizon sur lequel il a toujours fixé les yeux, vers lequel il a couru toute sa vie.

Il ne voit pas pourquoi il se vanterait d’ailleurs, car la force de courir, il ne l’a pas trouvée en lui-même, c’est le Christ qui la lui a donnée : « Le Seigneur m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. »

LE SEIGNEUR M’A REMPLI DE FORCE

Au fond, si j’entends bien, il suffit d’attendre tout de Dieu : c’est lui qui donne la force de courir (pour reprendre l’image de Paul), et c’est lui aussi qui donne la récompense à tous les coureurs à la fin de la course.

Cette course de l’évangélisation n’est donc pas une compétition ; chacun à notre place, à notre rythme, il nous suffit de désirer avec amour la manifestation du Christ ; dans sa lettre à Tite, Paul définissait  les chrétiens, justement, comme ceux qui attendent cette manifestation du Christ : il disait : « Nous attendons la bienheureuse espérance et la manifestation de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ » ; c’est une phrase que nous redisons  à chaque Messe : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur ».

Paul attendait donc tout de Dieu, et apparemment, il ne pouvait plus attendre grand-chose des hommes : « La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. »  Comme le Christ sur la Croix, comme Étienne, lors de son exécution, il pardonne. Mais c’est dans cet abandon même qu’il a expérimenté la présence, la force de son Seigneur. Il est ce pauvre dont parlait Ben Sira, ce pauvre que Dieu entend, ce pauvre dont les larmes coulent sur les joues de Dieu.

Les deux dernières phrases sont surprenantes : il est clair qu’il ne se fait aucune illusion sur son sort, il sait que le grand départ approche… et pourtant il dit « J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. » Ce n’est donc certainement pas de la mort physique qu’il parle, puisqu’il attend son exécution d’un jour à l’autre. Il sait qu’il n’y échappera pas ; il parle d’un autre danger, beaucoup plus grave à ses yeux, celui dont il remercie le Seigneur de l’avoir préservé... Il faut relire le début du texte : « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » ou un peu plus bas : « Le Seigneur m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. » Déclarer forfait, abandonner la course, c’était le plus grand danger et là encore, il ne voit pas de raison de se vanter, puisque sa fidélité il la doit à la force que le Seigneur lui a donnée.

Il sait ce qui l’attend, oui mais ce n’est peut-être pas ce que nous croyons : il va mourir, c’est certain, mais il sait que cette mort n’est que biologique ; elle n’est qu’une traversée pour entrer dans la gloire : « Il me sauvera et me fera entrer au ciel, dans son Royaume »... et déjà il entonne le cantique de la gloire qu’il chantera en naissant à la vraie vie : « À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen. »
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC    18, 9-14

     En ce temps-là,
9   à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes
     et qui méprisaient les autres,
     Jésus dit la parabole que voici :
10 « Deux hommes montèrent au Temple pour prier.
     L’un était pharisien,
     et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts).
11 Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même :
     ‘Mon Dieu, je te rends grâce
     parce que je ne suis pas comme les autres hommes
     – ils sont voleurs, injustes, adultères –,
     ou encore comme ce publicain.
12 Je jeûne deux fois par semaine
     et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
13 Le publicain, lui, se tenait à distance
     et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ;
     mais il se frappait la poitrine, en disant :
     ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’
14 Je vous le déclare :
     quand ce dernier redescendit dans sa maison,
     c’est lui qui était devenu un homme juste,
     plutôt que l’autre.
     Qui s’élève sera abaissé ;
     qui s’abaisse sera élevé. »
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UN PUBLICAIN PENAUD

Une petite remarque préliminaire avant d'entrer dans le texte : Luc nous a bien dit qu'il s'agit d'une parabole... n'imaginons donc pas tous les pharisiens ni tous les publicains du temps de Jésus comme ceux qu'il nous présente ici ; aucun pharisien, aucun publicain ne correspondait exactement à ce signalement ; Jésus, en fait, nous décrit deux attitudes différentes, très typées, schématisées, pour faire ressortir la morale de l'histoire ; et il veut nous faire réfléchir sur notre propre attitude : nous allons découvrir probablement que nous adoptons l'une ou l'autre suivant les jours.

Venons-en à la parabole elle-même : dimanche dernier, Luc nous avait déjà donné un enseignement sur la prière ; la parabole de la veuve affrontée à un juge cynique nous apprenait qu'il faut prier sans jamais nous décourager ; aujourd'hui, c'est un publicain qui nous est donné en exemple ; quel rapport, dira-t-on, entre un publicain, riche probablement, et une veuve pauvre ? Ce n'est certainement pas le compte en banque qui est en question ici, ce sont les dispositions du cœur : la veuve est pauvre et elle est obligée de s'abaisser à quémander auprès du juge qui s'en moque éperdument ; le publicain, lui, en a peut-être plein les poches, mais sa mauvaise réputation est une autre sorte de pauvreté. 

Les publicains étaient mal vus et pour certains d’entre eux, au moins, il y avait de quoi : n’oublions pas qu’on était en période d’occupation ; les publicains étaient au service de l’occupant : c’étaient des « collaborateurs » ; de plus, ils servaient le pouvoir romain sur un point très sensible chez tous les citoyens du monde, et à toutes les époques : les impôts. Le pouvoir romain fixait la somme qu’il exigeait et les publicains la versaient d’avance ; ensuite, ils avaient pleins pouvoirs pour se rembourser sur leurs concitoyens... les mauvaises langues prétendaient qu’ils se remboursaient plus que largement. Quand Zachée promettra à Jésus de rembourser au quadruple ceux qu’il a lésés, c’est clair ! Donc quand le publicain, dans sa prière, n’ose même pas lever les yeux au ciel et se frappe la poitrine en disant « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis » il ne dit peut-être que la stricte vérité. Apparemment, ne dire que la stricte vérité, être simplement vrai devant Dieu, c’est cela et cela seulement qui nous est demandé. Être vrai devant Dieu, reconnaître notre précarité, voilà la vraie prière. Quand il repartit chez lui, « il était devenu juste », nous dit Jésus.

UN PHARISIEN CONTENT

Les pharisiens, au contraire, méritaient largement leur bonne réputation : leur fidélité scrupuleuse à la Loi, leur ascèse pour certains (jeûner deux fois par semaine, ce n’est pas rien et la Loi n’en demandait pas tant !), la pratique régulière de l’aumône traduisaient assez leur désir de plaire à Dieu. Et tout ce que le pharisien de la parabole dit dans sa prière est certainement vrai : il n’invente rien ; seulement voilà, en fait, ce n’est pas une prière : c’est une contemplation de lui-même, et une contemplation satisfaite ; il n’a besoin de rien, il ne prie pas, il se regarde. Il fait le compte de ses mérites et il en a beaucoup. Or nous avons souvent découvert dans la Bible que Dieu ne raisonne pas comme nous en termes de mérites : son amour est totalement gratuit. Il suffit que nous attendions tout de lui.

On peut imaginer un journaliste à la sortie du Temple avec un micro à la main ; il demande à chacun des deux ses impressions : Monsieur le publicain, vous attendiez quelque chose de Dieu en venant au Temple ? - OUI... - Vous avez reçu ce que vous attendiez ? - Oui et plus encore- répondra le publicain. - Et vous Monsieur le Pharisien ? - Non je n’ai rien reçu. -... Un petit silence et le pharisien ajoute : Mais... je n’attendais rien non plus.

QUI S’ABAISSE SERA ÉLEVÉ 

La dernière phrase du texte dit quelque chose du même ordre : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » : il ne faut certainement pas déduire de cette phrase que Jésus veuille nous présenter Dieu comme le distributeur de bons ou de mauvais points, le surveillant général de notre enfance, dont on avait tout avantage à être bien vu. Ici, tout simplement, Jésus fait un constat, mais un constat très profond : il nous révèle une vérité très importante de notre vie. S’élever, c’est se croire plus grand qu’on est ; dans cette parabole, c’est le cas du pharisien : et il se voit en toute bonne foi comme quelqu’un de très bien ; cela lui permet de regarder de haut tous les autres, et en particulier ce publicain peu recommandable. Luc le dit bien : « Jésus dit une parabole à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres ». Cela peut nous arriver à tous, mais justement, c’est là l’erreur : celui qui s’élève, qui se croit supérieur, perd toute chance de profiter de la richesse des autres ; vis à vis de Dieu, aussi, son cœur est fermé : Dieu ne forcera pas la porte, il respecte trop notre liberté ; et donc nous repartirons comme nous sommes venus, avec notre justice à nous qui n’a apparemment rien à voir avec celle de Dieu. Cela veut dire que le mépris pour les autres, quels qu’ils soient, nous met en grand danger ! Le mépris nous rabaisse, en somme.

S’abaisser, c’est se reconnaître tout petit, ce qui n’est que la pure vérité, et donc trouver les autres supérieurs ; Paul dit dans l’une de ses lettres « considérez tous les autres comme supérieurs à vous-mêmes » ; c’est vrai, sans chercher bien loin, tous ceux que nous rencontrons ont une supériorité sur nous, au moins sur un point... et si nous cherchons un peu, nous découvrons bien d’autres points. Et nous voilà capables de nous émerveiller de leur richesse et de puiser dedans ; vis-à-vis de Dieu, aussi, notre cœur s’ouvre et Il peut nous combler. Pas besoin d’être complexés : si on se sait tout petit, pas brillant, c’est là que la grande aventure avec Dieu peut commencer. Au fond, cette parabole est une superbe mise en images de la première béatitude : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 23 10 2022, 30e dimanche du temps ordinaire C

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11 octobre 2022 2 11 /10 /octobre /2022 13:32
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 15 octobre 2022).

LECTURE DU LIVRE DE L’EXODE   17, 8-13

     En ces jours-là,
     le peuple d’Israël marchait à travers le désert.
8   Les Amalécites survinrent et attaquèrent Israël à Rephidim.
9   Moïse dit alors à Josué :
     « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites.
     Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline,
     le bâton de Dieu à la main. »
10 Josué fit ce que Moïse avait dit :
     il mena le combat contre les Amalécites.
     Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline.
11 Quand Moïse tenait la main levée,
     Israël était le plus fort.
     Quand il la laissait retomber,
     Amalec était le plus fort.
12 Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ;
     on prit une pierre, on la plaça derrière lui,
     et il s’assit dessus.
     Aaron et Hour lui soutenaient les mains,
     l’un d’un côté, l’autre de l’autre.
     Ainsi les mains de Moïse restèrent fermes
     jusqu’au coucher du soleil.
13 Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée.
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L’ÉPREUVE DE LA FOI

Les Amalécites étaient des tribus qui vivaient dans le désert du Néguev : la Bible les cite de nombreuses fois, tout au long de l'histoire de l'installation du peuple élu en Palestine, et toujours comme des opposants à la pénétration des tribus israélites ; et leurs descendants seront encore de farouches ennemis au temps des rois Saül et David. Si bien que le nom même d'Amalec est devenu le type de l'ennemi héréditaire.

Rien d'étonnant quand on sait que Amalec lui-même, le père de la tribu, serait le petit-fils d'Ésaü, le frère jumeau et rival de Jacob. La rivalité entre Jacob et Ésaü1 (qu'on appelle aussi Édom) s'est reportée sur leurs descendants et, de génération en génération, en Israël, on se transmet la haine des Édomites, et surtout de ceux qui sont considérés comme les pires de tous, les Amalécites.

Voici donc, dès le livre de l’Exode, les Amalécites qui se présentent comme les premiers adversaires du peuple élu dans le désert. L’auteur ne donne pas beaucoup de détails sur cette première bataille : il dit simplement « Le peuple d’Israël marchait à travers le désert. Les Amalécites survinrent et l’attaquèrent à Rephidim. » Mais le livre du Deutéronome apporte quelques indications complémentaires : « Souviens-toi de ce que t’a fait subir Amalec, sur la route, quand vous êtes sortis d’Égypte. Il t’a rejoint sur la route et a massacré tous ceux qui traînaient à l’arrière, alors que tu étais fourbu, exténué. Il n’a pas craint Dieu ! » (Dt 25,17-18) traduisez : les Amalécites sont arrivés par surprise et se sont attaqués à ceux qui avaient le plus de mal à suivre. Alors Moïse dit à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites ». C’est donc une histoire de légitime défense. Nous n’aurons pas d’autres détails sur le déroulement du combat ou les mouvements de troupes ; en revanche, le récit se concentre sur la relation entre le peuple et son Dieu à l’occasion de cette première bataille : c’est l’épreuve du feu, mais c’est surtout l’épreuve de la foi d’Israël. Il va combattre pour survivre, mais son Dieu sera avec lui.

Nous sommes à Rephidim : au fait, ce nom, nous le connaissons déjà, car dans les versets qui précèdent ce passage, c’est le fameux épisode de Massa et Meriba ; nous en avons reparlé tout récemment à l’occasion du psaume 94/95. Massa et Meriba, cela se passait justement à Rephidim et le surnom Massa et Meriba (qui veut dire contestation et querelle) signifie que, là, le peuple a gravement douté de Dieu. Et, désormais, quand on sera tenté de douter de la protection de Dieu, on se souviendra de Massa et Meriba : « Aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme à Meriba, comme au jour de Massa, dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit ». (Ps 94/95,7-8).

Massa et Meriba, c’était l’épreuve de la soif, une épreuve si dure que le peuple a été jusqu’à penser que Dieu l’avait abandonné... mais non, et l’eau a coulé du rocher, et le peuple a retrouvé confiance en son Dieu. Cette fois, et toujours à Rephidim, le voici affronté à l’attaque des Amalécites. Il va falloir lutter pour sa survie. Et aussitôt Moïse ne doute pas que Dieu viendra à son secours pour le délivrer.

LES MAINS LEVÉES VERS LE CIEL

Il dit à Josué : « Moi, je me tiendrai sur le sommet de la colline, le bâton de Dieu à la main ». Et c’est ce bâton, en quelque sorte, qui tient le premier rôle dans ce récit. Ce bâton n’est pas magique par lui-même, mais il rend visible l’œuvre de Dieu. C’est par lui que Moïse a accompli des quantités de prodiges aux yeux du Pharaon et de la cour d’Égypte, qu’il a écarté les eaux de la Mer des Joncs, qu’il a fait couler l’eau du rocher, à Massa et Meriba, justement. Encore une fois, ce bâton n’est pas magique par lui-même, la preuve, c’est que Moïse se met en prière, mais ce bâton levé est devenu un symbole : il rappelle à tous que c’est Dieu qui agit. Si la bataille est à peine décrite, si le bâton est au centre du récit, c’est précisément pour bien montrer où est l’essentiel.

L’essentiel, c’est la présence de Dieu qui accompagne son peuple, comme il l’avait promis dès le début en révélant son nom à Moïse, ce fameux nom qui dit la présence de Dieu. Le texte est très sobre et en même temps très suggestif. Moïse, Aaron et Hour sont au sommet de la colline, pendant que le peuple se bat sous la direction de Josué dans la plaine. Josué se bat de toute son âme, et Moïse prie de toute son âme. Le combattant et le priant se complètent. Si Moïse abandonne son poste de prière, Josué perd ses moyens. On ne peut pas dire plus clairement que c’est Dieu qui agit, mais qu’il y faut notre participation. Les mains levées de Moïse sont le symbole de toute la prière humaine. Elles disent la confiance, la certitude du croyant que son Dieu ne l’abandonne jamais. Récemment, nous l’avons lu dans la lettre à Timothée, Paul disait : « Je recommande que partout les hommes prient les mains levées vers le ciel... » C’est Dieu qui agit : ces mains levées le disent bien puisqu’elles restent immobiles et qu’elles semblent renvoyer la responsabilité vers le ciel ; mais en même temps, elles sont levées : le croyant ne baisse pas les bras ; les mains du combattant, les mains levées du priant sont notre petite participation à l’œuvre de Dieu.

Mais il arrive que le priant, exténué, physiquement ou moralement, n’ait plus la force de « lever les mains » vers le ciel : alors il est bon de trouver des frères pour soutenir nos mains défaillantes ; normalement, c’est le rôle de nos communautés.
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Note

1 - On se souvient des deux fils d'Isaac, les frères jumeaux et en même temps rivaux Ésaü et Jacob ; Ésaü aurait dû être l'héritier des promesses divines, mais Jacob avait réussi à tromper son père aveugle en se faisant passer pour son frère et avait usurpé la place.

Complément

- De tout temps, de hommes et des femmes ont consacré leur vie à la prière ; ce texte vient nous révéler que la prière n'est pas passivité ou inaction ; bien au contraire, mystérieusement, la prière de quelques-uns est source de force pour tous. Elle est un rappel vivant de la Présence de Dieu sans cesse agissant au milieu de nous.
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PSAUME 120 (121)

1   Je lève les yeux vers les montagnes :
     D'où le secours me viendra-t-il ?
2   Le secours me viendra du SEIGNEUR
     qui a fait le ciel et la terre.

3   Qu'il empêche ton pied de glisser,
     qu'il ne dorme pas, ton gardien.
4   Non, il ne dort pas, ne sommeille pas,
     le gardien d'Israël.

5   Le SEIGNEUR, ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage,
     se tient près de toi.
6   Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper,
     ni la lune, durant la nuit.

7   Le SEIGNEUR te gardera de tout mal,
     il gardera ta vie.
8   Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour,
     maintenant, à jamais.
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LA LONGUE MARCHE D’ISRAËL

On sait que les psaumes sont avant tout la prière du peuple d'Israël tout entier, ce peuple en marche vers son Dieu depuis l'aube de son histoire. Lorsque le psaume dit « JE », il faut entendre le NOUS » collectif du peuple élu. Cette longue marche était vécue de manière plus intense encore à l'occasion des trois pèlerinages annuels à Jérusalem. Ils faisaient partie des commandements de Dieu et représentaient un temps fort pour tous les participants, c'est-à-dire normalement tous les hommes en bonne santé. Les femmes et les enfants suivaient s'ils le pouvaient.

Quinze psaumes ont été composés spécialement pour accompagner cette démarche : ce sont les psaumes 119 à 133 dans la liturgie, c’est-à-dire 120 à 134 dans nos Bibles. On les appelait les « Psaumes des montées » car le verbe « monter » était le mot consacré pour parler des pèlerinages ; pour deux raisons au moins : tout simplement, d’abord, parce que Jérusalem est sur la hauteur, ensuite sur un plan symbolique, parce que la démarche du pèlerinage représente, pour le croyant, une réelle montée spirituelle.

Ces quinze psaumes ont donc des points communs : ils comparent tous l’histoire du peuple d’Israël à un long pèlerinage. Pour cette raison, on y entend de nombreuses allusions à la réalité concrète du pèlerinage : la fatigue et la prière du pèlerin, la soif d’arriver, l’amour du Temple, l’amour de Jérusalem. Et surtout la joie profonde, la confiance qui habitent le peuple croyant.

Notre psaume d’aujourd’hui est donc l’un de ceux-là : un pèlerin prend le chemin de Jérusalem : il a déjà le cœur et les yeux tournés vers la colline du Temple (« je lève les yeux vers les montagnes »), mais il sait que ce long chemin vers Jérusalem est semé d’embûches de toutes sortes ; les pistes ne sont pas nos routes goudronnées d’aujourd’hui, elles sont parfois glissantes ou pierreuses, le pied peut glisser ; on peut aussi affronter de bien plus grands dangers : les bêtes sauvages ou, plus redoutables encore, les bandes de brigands. Si Jésus a pu situer dans ce décor la parabole du Bon Samaritain, c’est-à-dire l’histoire d’un homme dépouillé et roué de coups par des bandits, c’est que cela arrivait régulièrement. « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie » : ceux qui restent au pays rassurent celui qui prend la route.

LE SEIGNEUR TE GARDERA, AU DÉPART, COMME AU RETOUR

Un autre danger, que nous imaginons mal ici, c’est le soleil pendant le jour, la lune pendant la nuit. En plein jour, il faut marcher des heures sous le soleil brûlant ; la nuit, si on dort à la belle étoile, les rayons de lune sont nocifs. Là encore, on encourage le pèlerin : « Le SEIGNEUR, ton gardien, ton ombrage, se tient près de toi. Le soleil, pendant le jour, ne pourra te frapper, ni la lune, durant la nuit ». Tous ces dangers, il faudra les affronter tout autant au retour qu’à l’aller : mais « Le SEIGNEUR te gardera, au départ, comme au retour ». On peut compter sur lui, car il est le maître du monde : c’est lui et lui seul qui a fait le ciel et la terre. « Le secours me vient du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre » : dans ce verset, il y a une pointe contre les faux dieux ; ils ne sont que statues inertes de bois ou de pierre ; ils ne peuvent rien pour l’homme. Ils dorment d’un sommeil éternel, puisqu’ils ne sont que des objets façonnés de main d’homme. Tandis que, lui, le SEIGNEUR, veille sans cesse : « Non, il ne dort pas, il ne sommeille pas, le gardien d’Israël ».

Quand il prend la route de Jérusalem, le croyant se met en marche vers son Dieu et vers lui seul : il se détourne résolument des idoles. C’est cela qu’on appelle la conversion.

On voit bien comment cette comparaison du peuple à un groupe de pèlerins est suggestive. Chaque jour, depuis des millénaires, Israël, comme un pèlerin, prend la route en décidant de placer sa confiance résolument en Dieu seul : « Je lève les yeux, vers les montagnes : d’où le secours me viendra-t-il ? »… « Le secours me viendra du SEIGNEUR qui a fait le ciel et la terre. » Ce n’est pas un hasard si Dieu est appelé dans ce psaume « le gardien d’Israël ». Car ce peuple a reçu la Révélation du Dieu vivant, créateur du ciel et de la terre, et a fait l’expérience de sa présence. Le nom même de Dieu, le fameux nom en quatre lettres, (YHVH) dit justement que Dieu est sans cesse présent à son peuple. Une présence très intime, inséparable qui est exprimée très fortement en hébreu. Notre traduction dit « Le SEIGNEUR ton gardien, le SEIGNEUR, ton ombrage, se tient près de toi » : en hébreu, près de toi est dit « à ta main droite » et André Chouraqui commentait : « le SEIGNEUR est uni à toi comme tu l’es à ton être même ».

On se rappelle la colonne qui accompagnait la marche du peuple dans le désert ; colonne de nuée pendant le jour, pour abriter du soleil, colonne de feu pendant la nuit pour guider la marche.

Jésus-Christ, à son tour, a pu chanter ce psaume en toute vérité. Alors qu’il prenait résolument le chemin de Jérusalem, comme dit saint Luc, il se répétait : « Le SEIGNEUR te gardera de tout mal, il gardera ta vie. Le SEIGNEUR te gardera, au départ et au retour, maintenant, à jamais. » Depuis le matin de Pâques, ce retour dont parle le psaume, nous l’appelons « Résurrection ».
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE   3, 14 - 4, 2

          Bien-aimé,
3,14   demeure ferme dans ce que tu as appris :
          de cela tu as acquis la certitude,
          sachant bien de qui tu l’as appris.
3,15   Depuis ton plus jeune âge, tu connais les Saintes Écritures :
          elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse,
          en vue du salut par la foi
          que nous avons en Jésus Christ.
3,16   Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ;
          elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal,
          redresser, éduquer dans la justice ;
3,17   grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli,
          équipé pour faire toute sorte de bien.

4,1     Devant Dieu,
          et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts,
          je t’en conjure,
          au nom de sa Manifestation et de son Règne :
4,2     proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps,
          dénonce le mal,
          fais des reproches, encourage,
          toujours avec patience et souci d’instruire.
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L’ÉCRITURE, NOTRE SOURCE

Dimanche dernier, nous lisions dans la deuxième lettre à Timothée une Hymne en l’honneur du Christ : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ».  Aujourd’hui, on pourrait dire que nous lisons une hymne en l’honneur de l’Écriture. Entendons-nous bien, ce que saint Paul appelle l’Écriture, c’est ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament. Plusieurs fois, déjà, dans les lettres à Timothée, nous avons deviné un conflit persistant dans la communauté d’Éphèse où se trouve Timothée ; et c’est même à cause de ce conflit que Paul avait demandé à Timothée de rester à Éphèse ; il faut pouvoir compter sur de fidèles gardiens de la Parole.

Les premières lignes du texte d’aujourd’hui, « Demeure ferme dans ce que tu as appris » sous-entendent que d’autres ne sont pas restés fidèles à l’enseignement reçu et qu’ils fourvoient les autres. Si bien qu’on peut résumer ce passage en trois phrases : premièrement, il faut se ressourcer dans l’Écriture. Deuxièmement, il faut proclamer la Parole. Troisièmement, cette proclamation doit se faire dans le souci d’édifier la communauté.

Premièrement, il faut se ressourcer dans l’Écriture, au vrai sens du mot « ressourcer » : l’Écriture est pour nous une source. L’expression « Demeure dans ce que tu as appris » dit bien que la foi n’est pas un objet qu’on possède mais un milieu vital, une « demeure » au sens de saint Jean. Timothée a puisé dans cette source de l’Écriture depuis son enfance : son père était grec et païen, mais sa mère, Eunice, et sa grand-mère maternelle, Loïs, étaient Juives : elles l’ont introduit dans l’Ancien Testament ; et quand sa mère s’est convertie au christianisme, elle n’a pas cessé bien sûr de fréquenter l’Écriture. D’autres maîtres encore ont initié Timothée, et Paul insiste sur cet aspect communautaire de l’accès à l’Écriture. On ne découvre pas l’Écriture tout seul mais en Église. Une fois de plus, nous retrouvons chez Paul le thème de la transmission de la foi, ce qu’on appelle en théologie la « Tradition » : tradere, en latin, veut dire « transmettre » : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis » (sous-entendu je n’ai rien inventé) dit Paul dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 11,23) ; l’apôtre est un envoyé au service d’une parole qui n’est pas la sienne. Dans la foi, aucun de nous n’est un fondateur, un innovateur, nous sommes les maillons d’une chaîne. Évidemment, il est vital que cette transmission soit fidèle. Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul a dit à Timothée : « Ce que tu m’as entendu dire en présence de nombreux témoins, confie-le à des hommes dignes de foi qui seront capables de l’enseigner aux autres, à leur tour. » (2 Tm 2,2).

OSER PROCLAMER LA PAROLE

Je reviens à notre texte. La phrase suivante est très importante : Paul affirme : « Les Saintes Écritures ont le pouvoir de te communiquer la sagesse, en vue du salut par la foi que nous avons en Jésus Christ. » Il veut dire par là que l’Ancien Testament mène tout droit à Jésus-Christ. Pour Paul, comme pour les premiers apôtres, recrutés par Jésus parmi les Juifs, c’était une évidence. On se souvient qu’au cours de son procès à Jérusalem, Paul soutenait que c’était précisément parce qu’il était Juif qu’il était devenu chrétien.

Paul continue : « Toute l’Écriture est inspirée par Dieu » ; avant d’être un dogme affirmé par l’Église, cette phrase était donc déjà la foi d’Israël. Ce qui explique le respect dont sont entourés depuis toujours les Livres sacrés dans toutes les synagogues. « Grâce à elle (l’Écriture), l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien. » Voilà donc l’équipement du chrétien : l’Écriture dans la fidélité à l’enseignement reçu : « Demeure ferme dans ce que tu as appris : de cela tu as acquis la certitude, sachant bien de qui tu l’as appris. »  L’équipement du chrétien, c’est donc l’Écriture ET la tradition pour être capable de transmettre à son tour.

Pour transmettre, et c’est le deuxième conseil de Paul à Timothée, il faut oser proclamer la Parole ; voilà la première peut-être même la seule tâche d’un responsable d’Église. L’enjeu est grave et Paul emploie une formule presque étonnante : « Devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa manifestation et de son règne : proclame la Parole... »

Une fois de plus, Paul fait référence à la manifestation du Christ, et à son Règne : l’accomplissement du projet de Dieu est vraiment l’horizon que Paul ne quitte jamais des yeux. Et d’ailleurs en grec, Paul dit « Proclame le Logos », le mot qui, chez Jean, désigne le Verbe, Jésus lui-même. Traduisez, si nous prenons au sérieux la manifestation et le règne du Christ, nous devons inlassablement proclamer la Parole. Toute la vie de Paul, depuis sa conversion, a été consacrée à cette tâche : « Annoncer l’Évangile est une nécessité qui s’impose à moi : malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9,16).

Mais il faut du courage pour proclamer la Parole, il faut accepter d’être mal reçu : « Interviens à temps et à contre-temps, dénonce le mal ; fais des reproches, encourage » ; c’est-à-dire n’hésite pas à juger ce que tu vois... Il termine en disant dans quel climat on doit le faire (et c’est le troisième point) : avec patience et souci d’instruire. Là encore nous retrouvons une insistance toujours présente chez Paul, le souci de ce qui édifie la communauté ; c’est la seule chose qui compte.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   18,1-8

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples une parabole
     sur la nécessité pour eux
     de toujours prier sans se décourager :
     « Il y avait dans une ville
     un juge qui ne craignait pas Dieu
     et ne respectait pas les hommes.
     Dans cette même ville,
     il y avait une veuve qui venait lui demander :
     ‘Rends-moi justice contre mon adversaire.’
     Longtemps il refusa ;
     puis il se dit :
     ‘Même si je ne crains pas Dieu
     et ne respecte personne,
     comme cette veuve commence à m’ennuyer,
     je vais lui rendre justice
     pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.’ »
     Le Seigneur ajouta :
     « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
     Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus,
     qui crient vers lui jour et nuit ?
     Les fait-il attendre ?
     Je vous le déclare :
     bien vite, il leur fera justice.
     Cependant, le Fils de l’homme,
     quand il viendra,
     trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
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QUAND LE FILS DE L’HOMME VIENDRA

Tout ceci se passe dans une ambiance qu’on pourrait qualifier de fin du monde ! Luc nous a dit un peu plus haut que Jésus est sur le « chemin de Jérusalem » : il marche vers sa passion, sa mort et sa résurrection ; les disciples ne savent pas très bien ce qui va se passer à Jérusalem, mais ils pressentent un dénouement tragique et mystérieux. Peu de temps auparavant, ils ont imploré Jésus « Augmente en nous la foi », ce qui traduisait bien leur détresse. Et juste avant cette parabole d’aujourd’hui, Jésus a parlé longuement de la venue du Fils de l’homme.

Le Fils de l’homme, c’est celui qu’on attend justement pour la fin du monde ; on connaît l’origine de cette expression : dans le livre de Daniel (au chapitre 7), le prophète raconte qu’il a eu la vision d’un homme (qu’il appelle un « fils d’homme ») qui vient sur les nuées du ciel ; il est admis près du trône de Dieu et il reçoit la royauté sur toute la création ; une royauté éternelle et universelle. Daniel précise que ce « fils d’homme » est en réalité un être collectif, un peuple qu’il appelle « le peuple des Saints du Très-Haut ». Les lecteurs de Daniel ont compris que cette vision se réalisera à la fin du monde. Dieu règnera enfin sur toute la création et le Fils de l’homme règnera avec lui.

Jésus se présente souvent dans les évangiles comme le Fils de l’homme ; cela intrigue forcément ses interlocuteurs qui savent que le Fils de l’homme est un être collectif, le peuple des Saints du Très-Haut, enfin installé dans la gloire de Dieu ; ils ne savent peut-être pas quoi penser quand Jésus parle ainsi, mais ils entendent ce message de victoire définitive. Or, depuis qu’il a annoncé ouvertement sa Passion, Jésus multiplie l’usage de cette expression, le Fils de l’homme, toujours en parlant de lui, comme pour les rassurer sur l’issue des événements. Ce qui prouve au passage qu’ils avaient bien besoin d’être rassurés.

On est donc dans une atmosphère de fin du monde ; d’ailleurs le thème du jugement (« Dieu fera justice à ses élus ») est bien dans la même note ; maintenant, si nous allons regarder, dans l’évangile de Luc, le contexte de cette parabole, nous trouvons l’évangile de la guérison des dix lépreux que nous avions lu dimanche dernier : la guérison des dix était le signe que le Règne de Dieu était déjà commencé ; en même temps, les disciples avaient touché du doigt le mystère du salut rejeté par ceux auxquels il était offert en premier (ici les neuf lépreux qui n’avaient pas reconnu le Christ) : le mystère de la Croix se profilait déjà à l’horizon ; mais la conversion du Samaritain (le seul lépreux revenu se prosterner devant Jésus) préfigurait l’entrée de tous, même des païens, dans ce royaume.

Les Pharisiens ont fort bien compris tous ces enjeux puisque, aussitôt après la guérison des dix lépreux, ils ont demandé à Jésus quand donc viendrait le Royaume de Dieu, et Jésus a répondu par tout un discours sur la venue du Fils de l’homme.

TOUJOURS PRIER SANS SE DÉCOURAGER

Et voilà que Jésus a quitté ce ton grave pour raconter ce qui semble à première vue une petite histoire : l’histoire de cette veuve qui poursuit le juge de ses réclamations jusqu’à ce qu’elle obtienne ce qu’elle attend ;  et pourtant elle aurait toutes les raisons de se décourager : sa cause semble bien perdue d’avance, puisqu’elle a eu la malchance de tomber sur un juge qui se moque éperdument de la justice. Mais elle s’obstine parce que sa cause est juste, elle n’en doute pas un instant. C’est elle que Jésus nous donne en exemple ; l’exemple de l’humilité d’abord : si elle importune le juge, c’est parce qu’elle est dans le besoin ; la première condition pour participer au Royaume de Dieu, c’est de reconnaître notre pauvreté ; on retrouve là la première béatitude : « Heureux, vous  les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Luc 6) ; l’exemple de la persévérance ensuite : dans notre attente du Royaume, à nous d’être aussi tenaces que cette veuve obstinée. Notre cause est encore plus juste que celle de la veuve puisque c’est la cause même de Dieu.

Le rapprochement avec la première lecture de ce dimanche est très suggestif : dans la plaine Josué livrait un combat difficile contre les Amalécites qui avaient attaqué le peuple par surprise ; pendant ce temps, au sommet de la colline, Moïse, obstinément priait, sûr d’obtenir le secours de Dieu ; et soutenu par ses aides, il  avait tenu bon jusqu’au coucher du soleil. La force de Moïse était dans sa certitude que Dieu voulait le salut de son peuple.

Des siècles plus tard, les premiers chrétiens affrontés à des difficultés et des persécutions trouvent le Royaume bien long à venir ; ils sont tentés par le découragement ; eux aussi doivent se souvenir que Dieu veut leur salut. Luc leur rappelle cette parabole dans laquelle Jésus avait fait l’éloge de l’obstination.

Croire, c’est refuser de baisser les bras ; et la dernière phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » est une mise en garde, valable pour tous les chrétiens de tous les temps : ‘Attention, si vous n’êtes pas vigilants, vous aurez cessé de croire’.

Les chrétiens, ceux du temps du Christ, comme ceux d’aujourd’hui, sont donc invités à ‘ne pas baisser les bras’. Jésus sait bien que, dès le matin de sa Résurrection, ce premier matin de la venue du Fils de l’homme et jusqu’à sa venue totale et définitive, la foi sera toujours un combat, une épreuve d’endurance. Il ne manquera pas d’oiseaux de malheur pour semer le doute, il ne manquera pas de maîtres du soupçon. Cette attente du Royaume paraît tellement interminable... Dieu est-il vraiment au milieu de nous ? L’exemple de cette pauvre veuve vient à point nommé : nous sommes aussi démunis qu’elle ; tâchons d’être aussi obstinés.
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Complément

- Luc écrirait-il à une communauté menacée par le découragement ? On pourrait le croire, à entendre la dernière phrase « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Curieuse phrase : « Le Fils de l’homme, quand il viendra », c’est une affirmation, une certitude ; mais la deuxième partie de la phrase « trouvera-t-il la foi sur la terre ? » qui semble a priori bien pessimiste est en fait une mise en garde, un appel à la vigilance. Il est clair en tout cas que ce texte est une leçon sur la foi : puisque la dernière phrase pose cette question sur la foi et que la première phrase dit justement en quoi consiste la foi : « Il faut toujours prier sans se décourager ». On a donc là une inclusion ; et entre les deux, l’exemple qui nous est proposé est celui d’une veuve traitée injustement, mais qui ne lâche pas prise.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 16 10 2022, 29e dimanche du temps ordinaire C

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4 octobre 2022 2 04 /10 /octobre /2022 23:58
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 8 octobre 2022).

LECTURE DU DEUXIÈME LIVRE DES ROIS    5,14-17

     En ces jours-là,
     le général syrien Naaman, qui était lépreux,
14 descendit jusqu’au Jourdain et s’y plongea sept fois,
     pour obéir à la parole d’Élisée, l’homme de Dieu ;
     alors sa chair redevint semblable à celle d’un petit enfant :
     il était purifié !
15 Il retourna chez l’homme de Dieu avec toute son escorte ;
     il entra, se présenta devant lui et déclara :
     « Désormais, je le sais :
     il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël !
     Je t’en prie, accepte un présent de ton serviteur. »
16 Mais Élisée répondit :
     « Par la vie du SEIGNEUR que je sers,
     je n’accepterai rien. »
     Naaman le pressa d’accepter, mais il refusa.
17 Naaman dit alors :
     « Puisque c’est ainsi,
     permets que ton serviteur emporte de la terre de ce pays
     autant que deux mulets peuvent en transporter,
     car je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice
     à d’autres dieux qu’au SEIGNEUR Dieu d’Israël. »
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NAAMAN CHEZ LE PROPHÈTE ÉLISÉE

La lecture de ce dimanche commence au moment où le général Naaman, apparemment doux comme un mouton, se plonge dans l’eau du Jourdain, sur l’ordre du prophète Élisée ; mais il nous manque le début de l’histoire : je vous la raconte : Naaman est un homme important, un général Syrien ; il a fait une très belle carrière militaire en Syrie, et il est bien vu du roi d’Aram (l’actuelle Damas) ; évidemment, pour le peuple d’Israël, il est un étranger, à certaines époques même, un ennemi ; mais surtout pour ce qui nous intéresse ici, il est un païen : il ne fait pas partie du peuple élu. Enfin, plus grave encore, il est lépreux, ce qui veut dire que d’ici peu, tout le monde le fuira ; pour lui donc, c’est une véritable malédiction.

Heureusement pour lui, sa femme a une petite esclave israélite (enlevée quelque temps auparavant au cours d’une razzia) : laquelle dit à sa maîtresse « Tu sais quoi ? À Samarie, il y a un grand prophète ; lui, pourrait sûrement guérir Naaman. » Dans un cas pareil, on est prêt à tout ! La nouvelle circule vite : l’esclave dit à sa maîtresse, qui dit à son mari Naaman, qui dit au roi d’Aram : le prophète de Samarie peut me guérir. Et comme Naaman est bien vu, le roi écrit une lettre d’introduction à son homologue, le roi de Samarie. La lettre dit quelque chose comme : ‘Je te recommande mon ami et loyal serviteur, mon général en chef des armées, Naaman ; il est atteint de la lèpre. Je te demande de faire tout ce qui est en ton pouvoir pour le guérir’ (sous-entendu, envoie-le à ton grand prophète et guérisseur, Élisée, dont la réputation est venue jusqu’à nous). Et là il se passe quelque chose de très intéressant : c’est que, comme bien souvent, on ignore les trésors qu’on a à sa portée... Le roi d’Israël reçoit cette lettre et il ne lui vient pas à l’idée que le petit prophète Élisée est capable de guérir qui que ce soit ! Du coup, il est pris de panique : qu’est-ce qui lui prend au roi de Syrie d’exiger que je fasse des miracles ? Il cherche un prétexte pour me faire la guerre, ou quoi ? 

Heureusement encore, en Israël aussi, le bouche à oreille existe. Élisée apprend l’histoire, et il dit au roi : ‘On va voir ce qu’on va voir... Dis à Naaman de se présenter chez moi... et il va savoir qui est le vrai Dieu’. Naaman se présente donc chez Élisée avec toute son escorte et des cadeaux plein ses bagages pour le guérisseur, et il attend à la porte du prophète ; en fait, c’est un simple serviteur qui entrebâille la porte et se contente de lui dire : ‘Mon maître te fait dire que tu dois aller te plonger sept fois de suite dans l’eau du Jourdain et tu seras purifié’. C’est déjà un drôle d’accueil pour un général mais en plus, franchement, on se demande à quoi çà rime de se plonger dans le Jourdain : pas besoin de faire un tel voyage ! Des fleuves en Syrie, il y en a et des bien plus beaux que son petit Jourdain...

Naaman est furieux ! Et il reprend le chemin de Damas. Heureusement, il est bien entouré : ses serviteurs lui disent : ‘Tu t’attendais à ce que le prophète te demande des choses extraordinaires pour être guéri... tu les aurais faites... il te demande une chose ordinaire... tu peux bien la faire aussi !’ Au passage, on voit que les serviteurs ont du bon ; la Bible ne manque jamais une occasion de le faire remarquer... En tout cas, dans le cas présent, Naaman les écoute... et c’est là que commence la lecture d’aujourd’hui.

LA DÉCOUVERTE DE NAAMAN

Donc, Naaman, redevenu quelqu’un comme tout le monde, obéit tout simplement à un ordre tout simple... il se plonge sept fois dans le Jourdain, comme on le lui a dit et il est guéri. C’est tout simple à nos yeux et aux yeux de ses serviteurs, mais pour un grand général d’une armée étrangère, c’est cette obéissance même qui n’est pas simple ! La suite du texte le prouve. Voilà Naaman guéri ; il n’est pas un ingrat ; il retourne chez Élisée pour lui dire deux choses : la première, c’est « Désormais, je le sais : il n’y a pas d’autre Dieu, sur toute la terre, que celui d’Israël » ... (et un peu plus tard, il ira jusqu’à lui dire : quand je serai dans mon pays, c’est à lui désormais que j’offrirai des sacrifices). Soit dit en passant, l’auteur de ce passage en profite pour donner une petite leçon à ses compatriotes : quelque chose comme ‘vous bénéficiez depuis des siècles de la protection du Dieu unique, et bien, dites-vous que les bontés de Dieu sont aussi pour les étrangers et puis, vous que Dieu a choisis parmi tous, vous continuez pourtant à être tentés par l’idolâtrie... cet étranger, lui, a compris bien plus vite que vous d’où lui vient sa guérison’.

La deuxième chose que Naaman dit à Élisée, c’est je vais te faire un cadeau pour te remercier. Mais Élisée refuse énergiquement : on n’achète pas les dons de Dieu. Décidément Naaman va de surprise en surprise : la première fois qu’il s’est présenté chez Élisée, il avait tout prévu : Élisée le recevrait, le guérirait et en échange, lui, Naaman offrirait des cadeaux dignes de son rang, on serait quittes. Mais rien ne s’est passé comme prévu.

Enfin, on se demande pourquoi Naaman souhaite emporter un peu de la terre d’Israël ? Il justifie sa demande en disant : « Je ne veux plus offrir ni holocauste ni sacrifice à d'autres dieux qu'au SEIGNEUR Dieu d'Israël. » Cela s’explique par le fait que, à l’époque du prophète Élisée, la croyance largement répandue chez tous les peuples voisins d’Israël était que les divinités règnent sur des territoires. Pour pouvoir offrir des sacrifices au Dieu d’Israël, Naaman se croit donc obligé d’emporter de la terre sur laquelle règne ce Dieu

Cela inspire trois remarques : premièrement, Naaman n’a même pas rencontré le prophète : car ce n’est pas le prophète qui guérit, c’est Dieu. Deuxièmement, il n’y a pas eu de geste spectaculaire ou magique, mais la chose la plus banale qui soit pour un homme de ces pays-là : se plonger dans le fleuve...  et c’est dans ce geste banal fait par obéissance qu’il a rencontré la puissance de Dieu : celui-ci ne nous demande pas des choses extraordinaires, mais seulement notre confiance. Troisièmement, il n’y a pas eu de cadeau de remerciement : la seule manière de manifester à Dieu notre reconnaissance, c’est de reconnaître ce qui nous vient de lui. Quant au prophète, le serviteur de Dieu, il ne demande rien pour lui ; ce que Jésus traduira plus tard : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
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Compléments

- Le rôle des serviteurs : on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Sans les serviteurs, la petite esclave d’abord, ses conseillers ensuite, jamais Naaman n’aurait été guéri. En fait, on aurait dû y penser : pas étonnant que les petits soient les mieux placés pour nous enseigner le chemin de l’humilité.

- La terre : à l’époque du prophète Élisée, on l’a vu, la croyance largement répandue chez tous les peuples voisins d’Israël est que les divinités règnent sur des territoires. Mais, en Israël au contraire, on expérimente déjà depuis plusieurs siècles que Dieu accompagne son peuple sur tous ses chemins.
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PSAUME  97 (98),1-4

1   Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
     car il a fait des merveilles ;
     par son bras très saint, par sa main puissante,
     il s'est assuré la victoire.   

2   Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
     et révélé sa justice aux nations :
3   il s'est rappelé sa fidélité, son amour,
     en faveur de la maison d'Israël.

     La terre tout entière a vu
     la victoire de notre Dieu.
4   Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
     Sonnez, chantez, jouez !
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DIEU D’AMOUR ET DE FIDÉLITÉ

La première lecture de ce dimanche raconte comment Naaman, un général syrien, donc païen, a été guéri par le prophète Élisée et du coup il a découvert le Dieu d’Israël. Naaman serait donc tout-à-fait bien placé pour chanter ce psaume dans lequel il est question de l’amour de Dieu et pour les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu (ceux que la Bible appelle les « nations ») et pour Israël. Je vous relis le verset 2 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. » Mais vient aussitôt le verset 3 : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël », ce qui est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël », la relation tout-à-fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers.

Derrière ces mots, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi (« Dieu d’amour et de fidélité »). Cette phrase veut dire : oui, Israël est bien le peuple choisi, le peuple élu ; mais la phrase précédente (et ce n’est peut-être pas un hasard si elle est placée avant), rappelle bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné. Son rôle c’est d’annoncer l’amour de Dieu POUR TOUS les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance.

Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; si on regarde d’un peu plus près, on remarque la construction en « inclusion » de ces deux versets 2 et 3. Pour mémoire, une inclusion est un procédé de style qu’on trouve souvent dans la Bible. C’est un peu comme un encadré, dans un journal ou dans une revue ; bien évidemment le but est de mettre en valeur le texte écrit dans le cadre. Dans une inclusion, c’est la même chose : le texte central est mis en valeur, « encadré » par deux phrases identiques, une avant, l’autre après... Ici, la phrase centrale parle d’Israël, le peuple élu, et elle est encadrée par deux phrases qui parlent des nations : première phrase : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations » ... la deuxième phrase, elle, concerne Israël : « il s’est rappelé sa fidélité, son amour en faveur de la maison d’Israël »... et voici la troisième phrase : « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». On n’y trouve pas le mot « nations » mais il est remplacé par l’expression « la terre tout entière ». La phrase centrale sur ce qu’on appelle « l’élection d’Israël » est donc encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. Traduisez : L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière.

POUR ISRAËL ET POUR TOUTE L’HUMANITÉ

Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre. Naaman, le général syrien, païen, en est un précurseur.

Une deuxième insistance de ce psaume c’est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu. Par exemple, on chante au temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR. » Mais quand je dis « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire... Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations... La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».

La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Égypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Égypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’en a fait sortir (d’Égypte) à main forte et à bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Égypte ; on la retrouve par exemple dans le livre du Deutéronome et dans les psaumes. La formule « il a fait des merveilles » est aussi un rappel de la libération d’Égypte.

Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !

Désormais les chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment envers et contre tous les événements apparemment contraires que le Règne de Dieu, c’est-à-dire de l’amour est déjà commencé.
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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE   2,8-13

     Bien-aimé,
8   souviens-toi de Jésus Christ,
     ressuscité d’entre les morts,
     le descendant de David :
     voilà mon évangile.
9   C’est pour lui que j’endure la souffrance,
     jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur.
     Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu !
10 C’est pourquoi je supporte tout
     pour ceux que Dieu a choisis,
     afin qu’ils obtiennent, eux aussi,
     le salut qui est dans le Christ Jésus,
     avec la gloire éternelle.
11 Voici une parole digne de foi :
     Si nous sommes morts avec lui,
     avec lui nous vivrons.
12 Si nous supportons l’épreuve,
     avec lui nous régnerons.
     Si nous le rejetons,
     lui aussi nous rejettera.
13 Si nous manquons de foi,
     lui reste fidèle à sa parole,
     car il ne peut se rejeter lui-même.
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DE DEUX CHOSES L’UNE…

De deux choses l’une… Ou Jésus est ressuscité, ou il ne l’est pas. Longtemps, Paul a refusé de croire aux affirmations des disciples de Jésus ; cela lui apparaissait comme une invention. À ses yeux, donc, il fallait à tout prix empêcher cette fable de se propager. Mais, depuis l’événement du chemin de Damas, Paul ne peut plus en douter : oui, Jésus est ressuscité, il l’a vu de ses yeux. Et alors la face du monde est changée : en ressuscitant Jésus, Dieu l’a reconnu comme son envoyé, il a authentifié ses paroles et ses actes : Jésus-Christ, vainqueur de la mort, l’est également de toutes les forces du mal. Et donc, le monde nouveau est déjà né : à nous de nous y engager par nos paroles et par toute notre vie. Avec le Christ, nous pouvons vaincre à notre tour les forces du mal.

Paul va désormais consacrer toutes ses forces à annoncer l’évangile et c’est bien à cette tâche qu’il convie Timothée, sans lui cacher qu’il rencontrera des oppositions ; tous ces dimanches-ci, nous lisons des extraits des deux lettres à Timothée et plusieurs fois, on a bien senti un climat de conflit, sans que Paul précise clairement de quoi il s’agit ; mais à plusieurs reprises il engage Timothée à garder courage, à combattre le beau combat de la foi, il lui rappelle qu’il a reçu un esprit non de peur mais de force et il lui conseille de combattre ses contradicteurs par la douceur. La Résurrection est donc le cœur de la foi chrétienne ; mais si, en milieu juif, la foi en la résurrection de la chair était chose acquise pour un grand nombre de personnes, en milieu grec, au contraire, cette affirmation était dure à entendre ; on se rappelle l’échec de la prédication de Paul à Athènes : on parlait de lui en disant « Que veut donc dire cette jacasse1 ? » C’est pour avoir clamé un peu trop haut, un peu trop fort, la foi en la résurrection dans un monde peu disposé à l’entendre que Paul a connu la prison à plusieurs reprises. « Souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d’entre les morts… voilà mon Évangile. C’est pour lui que j’endure la souffrance, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. » Et il ne se fait pas d’illusion : Timothée, lui aussi, aura à souffrir pour affirmer sa foi ; quelques versets plus haut, Paul lui disait : « Prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile ».

Paul est enchaîné, mais cela n’empêche pas la vérité de se propager ; il a transmis le flambeau à Timothée qui le transmettra à d’autres à son tour. Ailleurs il lui dit : « Ce que tu as appris de moi, confie-le à des hommes fidèles, qui seront eux-mêmes capables de l’enseigner encore à d’autres ». On peut bien enchaîner un homme, on peut le forcer à se taire, mais on n’enchaîne pas la vérité. Tôt ou tard, elle brillera en pleine lumière. Paul dit « Je suis enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu ! ».

ON N’ENCHAÎNE PAS LA PAROLE DE DIEU !

Jésus avait dit quelque chose d’analogue : un jour où la foule l’acclamait parce qu’elle l’avait fugitivement reconnu comme le Messie, on lui avait dit « fais taire ces gens » ... Jésus avait répondu « S’ils se taisent, ce sont les pierres qui crieront ». Rien n’empêchera la vérité d’éclater.

Paul continue : « Je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent eux aussi le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle. » Nous retrouvons là les paroles de notre chant : « Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts ; il est notre salut, notre gloire éternelle ». Nous sommes ces élus qui avons obtenu par notre baptême le salut, la gloire éternelle du Christ. Les versets suivants sont très probablement une hymne que l’on chantait pour les cérémonies de baptême. La formule « Voilà une parole digne de foi » introduit manifestement un texte déjà connu : « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons, si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. » C’est le mystère du baptême, tel que Paul l’a développé dans la lettre aux Romains au chapitre 6. Par le baptême, nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ, nous avons été greffés sur lui, plus rien ne peut nous séparer de lui. Passion, mort et Résurrection du Christ sont liées : c’est le même événement, celui qui a ouvert une ère nouvelle dans l’histoire de l’humanité.

Enfin, les deux dernières phrases peuvent paraître contradictoires à première vue : : « Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera... Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ». Ces derniers mots ne nous surprennent pas ; nous savons que « fidélité, c’est le nom même de Dieu : si nous manquons de foi, lui il demeure toujours fidèle, nous n’en doutons pas. Mais alors la phrase précédente vient-elle dire le contraire ? « Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. » Ce qu’elle dit, en fait, c’est notre liberté... que Dieu ne force jamais : si nous le refusons sciemment, il ne nous contraint pas. Dans l’Évangile, quand il appelle quelqu’un, c’est toujours « Si tu veux… ». Il y a une différence entre le rejeter et manquer de foi : le rejeter, c’est refuser sciemment son projet d’amour ; et lui nous aime assez pour respecter notre refus (c’est le sens de l’expression « lui aussi nous rejettera ») ; manquer de foi, ce n’est pas refuser le projet, c’est l’accepter mais avoir du mal à garder le cap. Heureusement « chaque fois que nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même ».
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Note

1 - Jacasse (littéralement « ramasse-miettes ») étant le nom d’un oiseau nuisible et bavard, on appliquait ce sobriquet à des philosophes de pacotille qui grappillaient leurs idées n’importe où.

Compléments

--» On n’enchaîne pas la vérité » : au cours du procès de Pierre et de Jean devant le Sanhédrin, le pharisien Gamaliel avait dit équivalemment la même chose : « Si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. Ne risquez donc pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » (Ac 5,38-39).

--Il faut entendre le mot « évangile » dans son sens étymologique, c’est-à-dire « bonne nouvelle ». Pour Paul, la grande nouvelle du christianisme tient en une phrase : « Jésus Christ est ressuscité ». Et du coup, on comprend mieux contre quels adversaires Paul se bat tout au long de ces deux lettres à Timothée. Qui sont ces contradicteurs ? Paul ne le dit pas vraiment... sauf ici justement peut-être. Car, quelques versets plus bas, Paul citera deux personnes, Hyménée et Philétos, qui nient la résurrection de la chair ; on se souvient que, dans la première lettre aux Corinthiens, Paul avait déjà été affronté à la même querelle ; à ses yeux, c’est très grave : tout l’édifice de la foi repose sur la résurrection du Christ. Voici quelques versets de la première lettre aux Corinthiens, au chapitre 15 : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité ; et si Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu aussi, votre foi aussi est sans contenu. » (1 Co 15,13-14).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC    17, 11-19

     En ce temps-là,
11 Jésus, marchant vers Jérusalem,
     traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
12 Comme il entrait dans un village,
     dix lépreux vinrent à sa rencontre.
     Ils s'arrêtèrent à distance
13 et lui crièrent :
     « Jésus, maître,
     prends pitié de nous. »
14 À cette vue, Jésus leur dit :
     « Allez vous montrer aux prêtres. »
     En cours de route, ils furent purifiés.
15 L'un d'eux, voyant qu'il était guéri,
     revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus
     en lui rendant grâce.
     Or, c'était un Samaritain.
17 Alors Jésus prit la parole en disant :
     « Tous les dix n'ont-ils pas été purifiés ?
     Les neuf autres, où sont-ils ?
18 Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger
     Pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
19 Jésus lui dit :
     « Relève-toi et va :
     ta foi t'a sauvé. »
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L’HEURE DU SALUT POUR TOUS LES HOMMES

Jésus est en route vers Jérusalem ; il sait que ce voyage le conduit à sa passion, sa mort et sa résurrection ; on peut penser que si Luc tient à nous parler de son itinéraire, c'est parce que ce qu'il va nous raconter maintenant a un lien direct avec le mystère du salut que le Christ apporte à l'humanité.

Donc Jésus traverse la région située entre la Samarie et la Galilée ; dix lépreux viennent à sa rencontre, mais ils restent à distance : la Loi leur interdit de s’approcher de quiconque ; ils sont contagieux à tous points de vue ; la lèpre est une maladie très contagieuse et d’autre part, elle était, à l’époque, considérée comme le signe de la malédiction divine, car on croyait qu’elle était le signe du péché. Nos dix lépreux s’arrêtent donc à distance de Jésus et, de loin, ils crient vers lui. Ce cri et le titre « Maître » qu’ils décernent à Jésus sont à la fois l’aveu de leur faiblesse et de la confiance qu’ils mettent en lui. Jésus ne bouge pas, ne se rapproche pas d’eux. Déjà une fois Luc (chap. 5,12) avait raconté la guérison d’un lépreux par Jésus : l’homme était près de lui, Jésus avait tendu la main et l’avait touché pour le guérir ; cette fois, dans l’épisode des dix lépreux, c’est de loin que Jésus dit aux malades : « Allez vous montrer aux prêtres » ; se montrer aux prêtres, c’était la démarche que les lépreux devaient faire pour que leur guérison soit officiellement reconnue. Cet ordre de Jésus est donc en soi une promesse de guérison.

On peut rapprocher l’attitude de Jésus dans l’épisode des dix lépreux de celle du prophète Élisée envers Naaman dans la première lecture ; Élisée non plus n’avait pas fait un geste, il avait simplement fait dire par son serviteur : « Va te baigner sept fois dans l’eau du Jourdain et tu seras purifié. » Dans les deux cas, effectivement, l’obéissance à l’ordre reçu apporte aux lépreux la guérison. Dans l’épisode qui nous occupe, les lépreux se mettent en marche pour aller rencontrer le prêtre ; et c’est en marchant qu’ils voient leur lèpre disparaître ; réellement, leur confiance les a sauvés. La maladie avait rapproché ces dix hommes ; dans la guérison, ils vont révéler le fond de leur cœur : ils ne sont plus dix lépreux, dix exclus ; ils sont neuf bons Juifs et un Samaritain, c’est-à-dire plus ou moins un hérétique. Tout hérétique qu’il est, le Samaritain sait que la vie, la guérison viennent de Dieu ; alors il rebrousse chemin, il fait demi-tour et cette fois, purifié, il peut s’approcher de Jésus : Luc dit « il glorifie Dieu à pleine voix » et aussi « il se jette face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce » ce qui est une attitude réservée à Dieu.

Ce Samaritain vient de rencontrer le Messie et il le reconnaît. Implicitement, il vient également de reconnaître que pour rendre véritablement gloire à Dieu, ce n’est plus vers le temple de Jérusalem qu’il faut se tourner, mais vers Jésus lui-même. Faire demi-tour, c’est précisément le sens du mot « conversion ». Et Jésus reconnaît publiquement cette conversion du Samaritain : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé ».

HEUREUX LES PAUVRES DE CŒUR

« Et les neuf autres ? » demande Jésus. Eux n’ont pas fait demi-tour ; ils ont pourtant rencontré le Messie, eux aussi... mais ils ne l’ont pas reconnu... Ou, en tout cas, ils ont considéré comme plus urgent de se mettre en règle avec la Loi en continuant leur chemin vers le Temple et les prêtres. Jésus leur avait dit d’aller se montrer aux prêtres, ils y vont sans même prendre le temps de l’action de grâce.

C’est un thème fréquent des Évangiles : le salut est pour tous les hommes et, bien souvent, ce ne sont pas ceux qui s’en croient les plus proches qui l’accueillent le mieux ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reconnu » dit saint Jean. L’Ancien Testament insistait déjà très fort sur ce qu’on appelle l’universalité du salut ; nous l’avons d’ailleurs entendu dans le psaume 97/98 de ce dimanche. Et la première lecture rapportait la conversion du général Syrien Naaman, lui aussi un étranger. Plus haut, dans le même évangile de Luc, Jésus a d’ailleurs commenté cet événement pour reprocher à ses compatriotes leur aveuglement à son sujet : il a commencé par constater « Aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays » puis il a ajouté : « Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien ». Et à ces mots toute la synagogue s’était mise en colère (Luc 4,24-27). Et plus tard, dans les Actes des Apôtres, Luc insistera sur le refus opposé à l’évangile par toute une partie du peuple d’Israël en contraste avec le succès de la prédication chez les païens.

 C’est une question qui troublait les premières générations chrétiennes ; quand Luc écrit son Évangile, par exemple, la jeune communauté chrétienne se divise sur un problème de fond : faut-il nécessairement être Juif pour être baptisé ? Ou bien peut-on admettre des non-Juifs, des païens, au baptême ? Le récit de la guérison d’un Samaritain, d’un hérétique, et plus encore le récit de sa conversion profonde venaient à point nommé pour rappeler trois vérités à ne pas oublier : premièrement, le salut inauguré par Jésus-Christ dans sa passion, sa mort et sa Résurrection est offert à tous les hommes sans exception. Deuxièmement, rendre grâce à Dieu, c’est la vocation du peuple élu, mais parfois ce sont des étrangers considérés comme hérétiques qui le font le mieux. Troisièmement, ce sont bien souvent les pauvres qui ont le cœur le plus ouvert à la rencontre de Dieu. Pour le dire autrement : sur le chemin de Jérusalem, c’est-à-dire du salut, Jésus entraîne tous les hommes qui le veulent bien. Quelle que soit leur race, leur religion, il suffit qu’ils soient prêts à faire demi-tour.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 09 10 2022, 28e dimanche du temps ordinaire C

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26 septembre 2022 1 26 /09 /septembre /2022 16:07
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 1er octobre 2022).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE HABACUC   1, 2-3 ; 2, 2-4

1,2  Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je appeler,
       sans que tu entendes ?
       crier vers toi : « Violence ! »,
       sans que tu sauves ?
1,3  Pourquoi me fais-tu voir le mal
       et regarder la misère ?
       Devant moi, pillage et violence ;
       dispute et discorde se déchaînent.
2,2  Alors le SEIGNEUR me répondit :
       Tu vas mettre par écrit une vision,
       clairement, sur des tablettes,
       pour qu’on puisse la lire couramment.
2,3  Car c’est encore une vision pour le temps fixé ;
       elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas.
       Si elle paraît tarder, attends-la :
       elle viendra certainement, sans retard.
2,4  Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite,
       mais le juste vivra par sa fidélité.

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L’AUDACE DU PROPHÈTE HABACUC         

Le prophète Habacuc n’est plus très à la mode aujourd’hui, mais il l’était certainement à l’époque du Nouveau Testament, puisqu’il y est cité plusieurs fois. Par exemple, la première phrase de la Vierge Marie dans le Magnificat est visiblement inspirée d’une phrase d’Habacuc : « Je bondis de joie dans le SEIGNEUR, j’exulte en Dieu, mon Sauveur » (Ha 3,18) ; c’est de lui également que saint Paul a retenu et cité à plusieurs reprises une phrase si importante pour lui, qui fait partie de notre lecture d’aujourd’hui : « Le juste vivra par sa fidélité » (Rm 1,17 ; Ga 3,11) ; ce petit livre vaut donc la peine d’être ouvert ; ce n’est qu’un tout petit livre en effet, trois chapitres seulement, d’environ vingt versets chacun, mais quelle palette de sentiments ! De la complainte à la violence, de l’appel au secours à l’exultation pure ; ses cris de détresse font penser à Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? » Mais l’espérance ne le quitte jamais : quand saint Pierre invite ses lecteurs à la patience, lui aussi reprend une expression inspirée d’Habaquq : « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse... » (2 P 3,9). 

Les premiers versets ressemblent au livre de Job : « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je appeler sans que tu entendes ? crier vers toi : Violence ! sans que tu sauves ! » C’est un cri de détresse, d’appel au secours, devant le déchaînement de la violence ; mais aussi et surtout le cri de la détresse suprême, celle du silence de Dieu. Ce cri-là est toujours d’actualité. Et ici, comme dans le livre de Job, comme dans beaucoup de psaumes, la Bible ose dire des phrases presque impertinentes, où l’homme se permet de demander des comptes à Dieu. « Combien de temps, SEIGNEUR, vais-je appeler ? »

La violence dont parle Habacuc ici, c’est celle de l’ennemi du moment, Babylone. Il l’appelle « Les Chaldéens », traduisez les armées de Nabuchodonosor. Nous sommes vers 600 avant Jésus-Christ : l’ennemi numéro un, il n’y a pas longtemps encore, c’étaient les Assyriens de Ninive. Mais ils ont été écrasés à leur tour par Babylone qui est désormais la puissance montante au Moyen-Orient. Depuis que le monde est monde, les mêmes horreurs de la guerre se répètent ; on les devine ici : « Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. »

Mais Habacuc ne perd pas la foi pour autant. Dans un autre verset, il ajoute : « Je vais guetter ce que Dieu me dira. » (Ha 2,1). Dans cette expression, il y a au moins deux choses : d’abord c’est le guet du veilleur, assuré que l’aube viendra ; c’est le thème du psaume 129/130 : « Mon âme attend le Seigneur, plus qu’un veilleur n’attend l’aurore ». Et ce verbe « attendre » veut dire attendre tout de Lui. Dans la phrase « Je vais guetter ce que Dieu me dira », la première chose, c’est donc la confiance ; la deuxième chose, c’est la conscience que son interpellation est un peu osée : le prophète Habacuc a demandé des comptes à Dieu et il s’attend à être rappelé à l’ordre.

DEMEURER DANS LA CONFIANCE

Or, chose intéressante, Habacuc ne se fait pas rappeler à l’ordre. La réponse de Dieu ne lui fait aucun reproche ; il l’invite seulement à la patience et à la confiance ; les heures de victoire de l’ennemi ne dureront pas toujours : « Le SEIGNEUR me répondit : Tu vas mettre par écrit une vision, clairement sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment. C’est encore une vision pour le temps fixé ; elle tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, sans retard. » Pour l’instant, Habacuc ne décrit pas la vision elle-même, ce sera l’objet du chapitre suivant ; mais, on s’en doute déjà, il s’agit de la libération de ceux qui, actuellement, sont opprimés.

Pour autant, Dieu n’a pas vraiment répondu à la question ; il n’a pas dit pourquoi, à certains moments, il semble devenu sourd à nos prières. Il a seulement réaffirmé une fois de plus qu’il ne nous abandonne jamais... Si bien que le message d’Habacuc semble bien être : dans les épreuves, même les plus terribles, la seule voie possible pour le croyant c’est de garder confiance en Dieu : accepter de ne pas comprendre, mais ne pas accuser Dieu. Toute autre attitude nous détruit : la méfiance à l’égard de Dieu ne nous fait que du mal. C’est probablement l’un des sens de la formule finale de ce texte : « Le juste vivra par sa fidélité » ou, pour le dire autrement, c’est la confiance en Dieu qui nous fait vivre ; le soupçon ou la révolte nous détruit. En revanche, il est permis de crier notre souffrance : si la Bible (dans le livre de Job, comme dans les psaumes), nous fait lire les cris de détresse et même les reproches faits à Dieu, c’est qu’un croyant a le droit de crier sa détresse, son impatience de voir cesser la violence qui l’écrase.

Reprenons la dernière phrase : « Celui qui est insolent n’a pas l’âme droite, mais le juste vivra par sa fidélité ». L’insolent, c’est Babylone qui s’enorgueillit de ses conquêtes et qui croit fonder sur elles une prospérité durable ; le juste, lui, sait que Dieu seul fait vivre. À ce sujet, l’exemple le plus célèbre dans l’histoire d’Israël, c’est Abraham : quand il a quitté son pays, sa famille, sur un simple appel de Dieu, il ne savait pas bien où Dieu le conduisait, vers quelle destinée. Quand, encore sur un appel de Dieu, Abraham s’apprêtait à offrir son fils unique, il ne comprenait pas, mais il a continué de faire confiance à celui qui lui a donné ce fils... Et, là encore, sa foi les a fait vivre, lui et son fils (Gn 22). Le texte biblique dit de lui « Abraham eut foi dans le SEIGNEUR et le SEIGNEUR estima qu’il était juste » (Gn 15,6).

Dernière remarque : quand Habacuc parle de Babylone, il dit « les Chaldéens » (entre parenthèses, c’est l’Irak d’aujourd’hui) mais, souvenons-nous, Abraham lui-même était un Chaldéen... or Abraham est qualifié de « juste » par la confiance qu’il a manifestée envers Dieu alors que les Chaldéens, ses compatriotes, quelques siècles plus tard, sont traités d’insolents qui n’ont pas l’âme droite. On peut en déduire que la justice n’est pas une affaire d’origine, de race, ou de circoncision, donc de religion, mais seulement d’attitude du cœur. Nous ferions peut-être bien de nous en souvenir quand nous rencontrons des croyants d’autres religions ...
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Compléments

- « Tu vas mettre par écrit la vision, bien clairement sur des tablettes » : on écrivait sur des tablettes les textes que l’on souhaitait conserver ; on peut comprendre ici comme une insistance de Dieu : « Mes petits enfants, n’oubliez jamais ». Dieu est silencieux, mais il n’est pas absent, il reste à nos côtés

- « Je vais guetter ce que Dieu me dira. » (Ha 2,1) : Le rôle du prophète est d’être un guetteur. Ézéchiel emploie le même mot pour dire sa vocation : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël ; lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part » (Ez 3,17 // 33,7).
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PSAUME  94  (95),1-2,6-7ab,7d-8a.9

1   Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR,
     acclamons notre Rocher, notre salut !
2   Allons jusqu'à lui en rendant grâce,
     par nos hymnes de fête acclamons-le !

6   Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
     adorons le SEIGNEUR qui nous a faits.
7   Oui, il est notre Dieu :
     nous sommes le peuple qu'il conduit.

     Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ?
8   « Ne fermez pas votre cœur comme au désert
9   où vos pères m'ont tenté et provoqué,
     et pourtant ils avaient vu mon exploit. »
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IL EST JUSTE ET BON DE TE RENDRE GRÂCE

Nous sommes au temple de Jérusalem, les pèlerins se pressent sur les marches du temple pour une grande célébration ; « Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR, acclamons notre Rocher, notre salut ».  

« Notre Rocher », cette formule, à elle toute seule, est une profession de foi : Israël a choisi de s’appuyer sur Dieu et sur lui seul, comme aux premiers jours de l’Alliance. La Bible compare souvent l’histoire du peuple d’Israël à des fiançailles avec son Dieu. Après l’élan et les promesses, sont venues les questions, les infidélités. Dieu, lui, restait toujours fidèle, et après chaque orage, chaque infidélité, Israël revenait toujours, comme une fiancée repentante et reconnaissante pour l’Alliance toujours offerte. « Allons jusqu’à lui en rendant grâce ». Le mot hébreu, ici, c’est « tôdah » : il désigne un moment précis du culte de l’Alliance, le sacrifice de tôdah, qui exprime à la fois toute cette palette de sentiments : la reconnaissance, l’action de grâce, la louange, le repentir, le désir d’aimer... En hébreu moderne, « merci » se dit encore « tôdah ».

Un mot français caractériserait bien ce psaume : le mot « reconnaissance » ; reconnaître Dieu, connaître qui Il est, connaître ce que nous sommes, et alors la reconnaissance nous envahit.

Reconnaître Dieu, d’abord : notre Créateur mais plus encore, notre libérateur. « Adorons le SEIGNEUR qui nous a faits » ... Nous lui devons la vie, mais surtout d’être un peuple : « Il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit... » Cette expression est un rappel de l’Exode : « Nous sommes son peuple », c’est la formule même qui désigne l’Alliance ; chaque fois qu’on rencontre cette formule dans la Bible, c’est un rappel très explicite de l’Alliance : « Je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » ...

Tout semble si simple : si simple de faire confiance à ce Dieu qui nous conduit et nous protège, à ce Dieu qui nous a délivrés de l’esclavage en Égypte. C’est si simple tant qu’il n’y a pas de problème. Mais quand viennent les épreuves, viennent les doutes. C’est dans l’épreuve justement que se vérifie notre confiance.

« Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » C’est très exactement la question de confiance qui est posée : « écouter », dans la Bible, veut dire justement « faire confiance » ; « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? », cela veut dire, « aujourd’hui, lui ferez-vous confiance, quoi qu’il arrive ? Comme Abraham, n’oubliez pas que seule la confiance en Dieu vous fera vivre... rappelez-vous la phrase d’Habacuc dans la première lecture : Le juste vivra par sa fidélité ».

AUJOURD’HUI ÉCOUTEREZ-VOUS SA PAROLE ?

« Écouter sa parole » c’est aussi le contraire de « fermer son cœur » : je reprends le psaume « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, (le texte hébreu dit comme à Meriba, comme au jour de Massa), où vos pères m’ont tenté et provoqué... et pourtant ils avaient vu mon exploit » ... (Massa et Meriba, justement, cela veut dire tentation et provocation) ... et là le psaume rappelle un épisode très célèbre de l’histoire du peuple pendant l’Exode dans le désert du Sinaï après la sortie d’Égypte. L’exploit, c’est cela précisément, la sortie d’Égypte ; le peuple a reconnu là, dans sa libération miraculeuse, l’exploit de Dieu ; mais à peine fini le cantique de la victoire, après la traversée de la Mer, les difficultés de la vie au désert ont commencé et alors la confiance du peuple a été mise à rude épreuve.

L’épisode de Massa et Meriba est resté célèbre dans la mémoire d’Israël comme l’exemple type de notre tentation de soupçonner Dieu dès la première difficulté. Je vous rappelle cette histoire. Cela se passait à Rephidim en plein désert ; après la traversée de la Mer des Joncs, Israël s’est retrouvé libre, certes, mais dans le désert... avec tout ce que cela comporte : faim, soif, dangers de toute sorte... Saurait-il faire confiance à son libérateur ? Si Dieu a pris la peine de libérer son peuple de l’esclavage, ce n’est pas pour le laisser mourir dans le désert...

Mais, dès la première soif, dès le premier manque, cela a mal tourné. Le peuple s’est mis à regretter son esclavage : sa liberté toute neuve était bien peu confortable : en Égypte, on était esclaves, peut-être, mais on survivait... et puis de loin, maintenant, l’Égypte n’apparaissait plus aussi terrible ; l’éloignement atténue les mauvais souvenirs, c’est connu.

Dans le désert, le peuple a eu soif : cet épisode de Massa et Meriba est raconté au chapitre 17 du livre de l’Exode. En voici juste quelques lignes : « Là, le peuple souffrit de la soif. Il récrimina contre Moïse et dit : ‘Pourquoi nous as-tu fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux ?’ » (Ex 17,3).

Cette dernière phrase a deux sens, je crois : d’abord ils disent à Moïse ‘tu t’es bien mal débrouillé, c’est POUR en arriver là ?’ Mais le deuxième sens est bien pire : ‘Peut-être après tout était-ce une machination POUR qu’on meure tous ici, dans ce désert ?’ Si on avait voulu se débarrasser d’eux, ce désert c’était l’idéal... et on s’est mis à faire un véritable procès d’intention à Moïse et à Dieu. Après tout ‘Le SEIGNEUR, il est avec nous ? Ou contre nous ?’ Et la révolte a grondé au point que Moïse a dit à Dieu : « Si cela continue, ils vont me lapider ! »

Alors Dieu intervient et l’eau jaillit du rocher (nous retrouvons l’expression Dieu, mon Rocher) ... Mais il eût été plus juste de faire confiance. Dans la souffrance, nous l’avons vu avec le livre d’Habacuc dans la première lecture, nous pouvons crier, supplier, interpeller Dieu... mais jamais douter de lui... Massa et Meriba, ces deux mots signifient ce soupçon qui risque à tout instant de resurgir.

Chaque jour, ce psaume, qui est le premier de chaque matin dans la Liturgie des Heures, nous rappelle le choix de la confiance sans cesse à refaire : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, comme au jour de tentation et de défi, où vos pères m’ont tenté et provoqué, et pourtant ils avaient vu mon exploit » : chaque jour est un jour neuf, aujourd’hui, se décider à faire confiance est de nouveau possible.

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LECTURE DE LA DEUXIÈME LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE  1, 6-8. 13-14

     Bien-aimé,

6   je te le rappelle, ravive le don gratuit de Dieu,

     ce don qui est en toi depuis que je t’ai imposé les mains.

7   Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné,

     mais un esprit de force, d’amour et de pondération.

8   N’aie donc pas honte de rendre témoignage à notre Seigneur,

     et n’aie pas honte de moi, qui suis son prisonnier ;

     mais, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances

     liées à l’annonce de l’Évangile.

13 Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides

     que tu m’as entendu prononcer

     dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus.

14 Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté,

     avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous.

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LE DON GRATUIT DE DIEU : L’ESPRIT SAINT

Quand Paul écrit sa deuxième lettre à Timothée, il est en prison à Rome, peu avant son exécution ; il dit lui-même qu’il est « enchaîné comme un malfaiteur » et il demande à Timothée de ne pas rougir de lui, comme d’autres l’ont fait. Il sait très bien qu’il n’en a plus pour longtemps et il se sent très seul. Cette deuxième lettre à Timothée est donc une sorte de testament. Timothée va avoir à prendre la relève et Paul lui fait des recommandations dans ce sens.

Il faut savoir que, pour des raisons de style, de vocabulaire et même de contenu, on pense généralement que les lettres à Timothée seraient non pas de Paul mais de l’un de ses disciples après sa mort. La communauté concernée traversait une crise grave (des faux docteurs s’étaient introduits et, avec eux, des querelles et des discussions interminables) : alors un disciple de Paul aurait pris la plume pour remettre son petit monde dans le droit chemin, en se réclamant de l’exemple de Paul qui faisait encore autorité. Nous n’avons pas les moyens, par nous-mêmes, de trancher cette question difficile ; et pour être fidèles à l’enseignement de ces lettres, n’allons pas à notre tour nous perdre en discussions interminables. Pour des raisons de commodité de langage, nous continuerons donc à parler de Paul et de Timothée.

D’ailleurs, qu’il s’agisse de Paul et de Timothée ou de leurs disciples futurs n’a plus guère d’importance pour nous aujourd’hui, ce qui compte c’est le contenu de ces lettres : il s’agit des recommandations faites à un jeune responsable chrétien, elles nous concernent donc au plus haut point.

La première recommandation est peut-être la plus importante : « Ravive le don gratuit de Dieu » ; ce don de Dieu, si nous lisons la suite du texte, c’est bien évidemment l’Esprit-Saint. « Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, dit Paul, mais un esprit de force, d’amour et de pondération. » Et, visiblement, Timothée va avoir besoin de tout cela ! Paul, enchaîné pour l’Évangile, ne le sait que trop bien. Ce don de l’Esprit, Timothée l’a reçu par l’imposition des mains : les mots « confirmation » et « ordination » n’existaient pas encore, mais on sait que, dès le début de l’Église, le geste de l’imposition des mains signifiait le don de l’Esprit. Dans le cas présent, on sait de quoi il s’agit par la première lettre à Timothée : « Ne néglige pas le don de la grâce en toi, qui t’a été donné au moyen d’une parole prophétique, quand le collège des Anciens a imposé les mains sur toi. » (1 Tm 4,14). Il s’agit ici de la célébration au cours de laquelle Timothée a été ordonné comme ministre (on dirait aujourd’hui prêtre) au service de la communauté.

Formule étonnante : « Ravive le don gratuit de Dieu » ; c’est donc que les dons de Dieu peuvent s’étioler en nous ! Ailleurs Paul dit « N’éteignez pas l’Esprit » ... Là encore, nous pouvons entendre un message très encourageant : nous portons en nous le feu de l’Esprit et même si nous avons l’air de l’avoir plus ou moins recouvert de cendre, il est encore en nous, il couve sous la cendre... Rien ne peut l’éteindre. On a là un écho au mot « aujourd’hui » que nous avons entendu dans le psaume 94/95 : chaque jour est un jour neuf où nous pouvons laisser jaillir en nous l’Esprit que nous avons reçu. Chaque jour, nous pouvons ranimer, raviver la flamme.

LA FOI, NOTRE PRÉCIEUX HÉRITAGE

Cet esprit, comme dit Paul, n’est pas un esprit de peur, mais un esprit de force, d’amour, de maîtrise de soi (selon la Traduction Œcuménique de la Bible). Ce n’est donc pas en nous qu’il faut chercher force, amour et maîtrise de soi : c’est dans cette source inépuisable que Dieu a installée au plus intime de nous-mêmes au jour de notre baptême. Timothée, le premier, qui passait pour bien jeune et bien chétif, a su déployer des trésors de foi et de persévérance en puisant dans cette source de l’Esprit. D’ailleurs, Paul dit bien : « Avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile » ; ces souffrances dont il parle, c’est la persécution inévitable ; mais Paul ne dit pas « rassemble tes forces », il dit « avec la force DE DIEU ».

Ici, nous retrouvons un thème cher à Paul : celui de la transmission de la foi ; Paul a transmis à Timothée ce dépôt précieux, que Timothée doit transmettre à son tour et ainsi de suite : « Tiens-toi au modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer dans la foi et dans l’amour qui est dans le Christ Jésus. Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous. » Ailleurs, dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul écrivait : « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis. » (1 Co 11,23).

Cela fait penser à une course de relais dans laquelle les coureurs se transmettent un objet-témoin... à ceci près que cet objet, justement, est inchangé d’un bout à l’autre de la course ; alors que le dépôt de la foi, lui, s’exprime inévitablement dans des termes différents au long des siècles. Car la foi n’est pas un objet, justement, un objet bien ficelé, bien emballé, auquel personne ne pourrait toucher...

Paul rappelle donc à Timothée l’enseignement solide qu’il lui a donné, à charge pour Timothée de le transmettre à son tour. Solidité, ici, ne veut pas dire « rigidité » : être fidèle à la foi reçue commande au contraire de l’approfondir sans cesse et parfois de la reformuler au fur et à mesure que « l’Esprit-Saint conduit l’Église vers la vérité tout entière » selon l’expression de Jésus lui-même dans l’évangile de Jean. Et d’ailleurs l’expression de Paul « Garde le dépôt de la foi avec l’aide de l’Esprit Saint » ouvre bien la porte à des formulations nouvelles à condition que ce soit un développement fidèle au dépôt reçu. Car Paul ne dit pas « répète fidèlement ce que je t’ai enseigné sans changer une virgule » il dit « Garde le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint » ; ce qui indique bien que la vraie fidélité ne se contente pas seulement de répéter. Les évangélisateurs ne sont pas des perroquets. La foi c’est un art de vivre en présence de Dieu, dans la confiance.

Tout le problème, évidemment, est de savoir si cette transmission est vraiment fidèle. Bien des querelles au long des siècles sont nées des divergences entre les chrétiens sur le contenu du dépôt de la foi. Mais, en fait, nous ne sommes pas nous-mêmes les garants de cette fidélité : c’est l’Esprit-Saint qui est le gardien suprême du dépôt de la foi. Pour transmettre fidèlement le flambeau aux générations suivantes, il nous suffit donc de « réveiller », raviver, en nous le don de Dieu, le feu de l’Esprit que rien ne peut éteindre.

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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC    17, 5-10

 

5          En ce temps-là,

            les Apôtres dirent au Seigneur :

            « Augmente en nous la foi ! »

6          Le Seigneur répondit :

            « Si vous aviez de la foi,

            gros comme une graine de moutarde,

            vous auriez dit à l’arbre que voici :

            ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’,

            et il vous aurait obéi.

7            Lequel d’entre vous,

              quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes,

              lui dira à son retour des champs :

              ‘Viens vite prendre place à table’ ?

8            Ne lui dira-t-il pas plutôt :

              ‘Prépare-moi à dîner,

              mets-toi en tenue pour me servir,

              le temps que je mange et boive.

              Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ?

9            Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur

              d’avoir exécuté ses ordres ?

10          De même vous aussi,

              quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné,

              dites :

              ‘Nous sommes de simples serviteurs :

              nous n’avons fait que notre devoir’ »

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COMPTER SUR LA PUISSANCE DE DIEU

Voilà bien des versets qui se suivent et ne se ressemblent pas ! Il semble qu’il y ait deux parties dans ce texte : première partie, un dialogue entre Jésus et ses apôtres sur la foi, avec cette formule un peu terrible de Jésus : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi. » Deuxième partie, une espèce de parabole sur le serviteur, et elle encore se termine par une formule très forte de Jésus : « Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »

Pour commencer, il faut se répéter que Jésus ne cherche certainement pas à nous décourager ; et que, d’autre part, si ces versets se suivent d’aussi près, sans aucune coupure, dans l’évangile de Luc, c’est qu’il y a un lien entre eux. Reprenons le texte au début : « Les apôtres dirent au Seigneur » ; le mot « apôtre » signifie « envoyé » : c’est donc un dialogue entre le Christ et ses envoyés ; cela veut dire que cette phrase de Jésus concerne les activités d’évangélisation ; les apôtres, les envoyés disent à celui qui les envoie « Augmente en nous la foi » ; cette prière, c’est la nôtre bien souvent. Quand nous prenons conscience de notre faiblesse, de notre impuissance, et qu’il nous semble que si nous étions plus riches de foi, nous serions plus efficaces. Mais comment harmoniser ceci avec la phrase de Paul : « J’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien » (1 Co 13,2) ? Dans son langage à lui, Jésus répond qu’il ne s’agit pas de chercher à évaluer notre foi, le problème n’est pas là. Il s’agit de compter sur la puissance de Dieu ; c’est lui qui agit, ce n’est pas notre foi, petite ou grande. Jésus accentue volontairement le paradoxe : la graine de moutarde était considérée comme la plus petite de toutes les graines, et le grand arbre dont il parle (en grec, sycomore) était réputé indéracinable. La phrase de Jésus veut donc dire : « Pas besoin d’avoir beaucoup de foi, rien qu’une graine de moutarde, minuscule, suffirait pour faire des choses apparemment impossibles » : on peut traduire « Quand vous agissez au nom de l’évangile, souvenez-vous que rien n’est impossible à Dieu ».  

On connaît le slogan « le mot impossible n’est pas français » ; après cette lecture d’aujourd’hui, il faudrait plutôt dire « impossible n’est pas chrétien ». Concrètement, cela veut dire que rien ne doit nous décourager, qu’aucune situation n’est définitivement perdue ; et donc qu’il n’est pas question de rendre notre tablier, ce qui nous amène tout droit à la parabole du serviteur.

PROFESSION : SIMPLES SERVITEURS 

L’expression employée ici est « simples serviteurs » (selon d’autres traductions, on peut lire « serviteurs inutiles ») : ce qu’on peut traduire « vous n’êtes que des subalternes », c’est-à-dire au service d’une tâche qui vous dépasse. Et heureusement ! Qui de nous se sentirait les reins assez solides pour porter la responsabilité du Royaume de Dieu ? Ces phrases de Jésus ne sont donc pas dures ou inquiétantes, elles sont au contraire encourageantes ! Oui, nous ne sommes que des subalternes, la responsabilité ne repose pas sur nous. Quel soulagement !

Nous ne sommes pas « inutiles » pour autant : si le serviteur était vraiment inutile, aucun maître ne le garderait ! Si Dieu nous prend comme serviteurs, c’est qu’il veut avoir besoin de nous ; si Jésus a choisi des apôtres, si sa parole « les ouvriers de la moisson sont trop peu nombreux » continue à résonner depuis deux mille ans, c’est qu’il veut avoir besoin de notre collaboration. Nous sommes quelconques, mais avec notre petit travail quelconque, il fait sa moisson. Dieu nous associe à son œuvre... Cela peut nous remplir de fierté ! Mais sans nous inquiéter : il nous demande seulement d’être ses serviteurs : le responsable, c’est lui !

 Presque toujours, quand on contacte une maman pour faire le catéchisme, ou des jeunes parents pour aider à la préparation des baptêmes, et on a d’autres exemples sous les yeux... presque chaque fois, la personne contactée commence par dire « mais, je ne suis pas capable ! » Ce qui est la pure vérité ! Aucun de nous n’est capable. Ce sont ceux qui se croiraient capables du Royaume qui seraient dangereux ! Il nous suffit d’un peu de foi... Le Seigneur fera le reste. C’est le sens de la dernière phrase : « Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir’ » ; par-là, Jésus nous suggère deux attitudes : premièrement, il nous invite une fois de plus à sortir de la perspective des mérites ou des récompenses ; mais surtout il nous invite à rester sereins dans l’exercice de notre mission. C’est lui le maître de la moisson, pas nous.

Alors on comprend mieux le lien entre les deux parties de ce texte : le message est bien le même ; il suffit d’un peu de foi, si peu que nous en ayons, cela suffit à Dieu pour faire des miracles. Encore faut-il la mettre à son service.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 02 10 2022, 27e dimanche du temps ordinaire C

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18 septembre 2022 7 18 /09 /septembre /2022 23:03
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 24 septembre 2022).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE AMOS  6,1.4-7

     Ainsi parle le SEIGNEUR de l’univers :
1   Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion,

     et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie.
4   Couchés sur des lits d'ivoire,
     vautrés sur leurs divans,
     ils mangent les agneaux du troupeau,
     les veaux les plus tendres de l’étable ;
5   ils improvisent au son de la harpe,

     ils inventent, comme David, des instruments de musique ;
6   ils boivent le vin à même les amphores,
     ils se frottent avec des parfums de luxe,
     mais ils ne se tourmentent guère du désastre d'Israël !
7   C'est pourquoi maintenant ils vont être déportés,
     ils seront les premiers des déportés ;
     et la bande des vautrés n'existera plus.
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LES FAUSSES SÉCURITÉS

Dans la Bible, Amos est le premier prophète « écrivain », comme on dit, c’est-à-dire qu’il est le premier dont il nous reste un livre. D’autres grands prophètes antérieurs sont restés très célèbres : Élie par exemple ou Élisée, ou Nathan... mais on ne possède pas leurs prédications par écrit. On a seulement des souvenirs de leur entourage. Amos a prêché vers 780-750 av. J.-C. Combien de temps ? On ne le sait pas. Il a certainement été amené à dire des choses qui n’ont pas plu à tout le monde puisqu’il a fini par être expulsé sur dénonciation au roi. Vous vous rappelez que, originaire du Sud, il a prêché dans le Nord à un moment de grande prospérité économique. La semaine dernière, nous avions lu, déjà, un texte de lui, reprochant à certains riches de faire leur richesse au détriment des pauvres. Il suffit de lire le passage d’aujourd’hui pour imaginer le luxe qui régnait en Samarie : « Couchés sur des lits d’ivoire, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe... ils se frottent avec des parfums de luxe... ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël » ... la politique de l’autruche, en somme. Les gouvernants ne savent pas ou ne veulent pas savoir qu’une terrible menace pèse sur eux. « Ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ».

Il est vrai que, a posteriori, l’histoire nous apprend que cette confortable inconscience a été durement secouée quelques années plus tard. « Ils vont être déportés, ils seront les premiers des déportés ; et la bande des vautrés n’existera plus. » C’est très exactement ce qui s’est passé. On n’a pas écouté ce prophète de malheur qui essayait d’alerter le pouvoir et la classe dirigeante, et même on l’a fait taire en se débarrassant de lui. Mais ce qu’il craignait est arrivé.

C’est donc aux riches et aux puissants, aux responsables que le prophète Amos s’adresse ici. Que leur reproche-t-il au juste ? C’est la première phrase qui nous donne la clé : « Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. » Manière de dire : vous êtes bien au chaud, tout contents dans votre confort et même votre luxe... eh bien moi, je ne partage pas votre inconscience, je vous plains. Je vous plains parce que vous n’avez rien compris : vous êtes comme des gens qui se mettraient sous leur couette pour ne pas voir le cyclone arriver. Le cyclone, ce sera l’écroulement de toute cette société, quelques années plus tard, l’écrasement par les Assyriens, la mort de beaucoup d’entre vous et la déportation de ceux qui restent... « Je vous plains », dit sur ce ton-là, c’est quelque chose qu’on n’aime pas entendre !

« Malheur à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie » ... Mais, où est le mal ? Le mal, c’est de fonder sa sécurité sur ce qui passe : quelques succès militaires passagers, la prospérité économique, et les apparences de la piété... pour ne pas déplaire à Dieu et à son prophète. Ils se vantent même de leurs réussites, ils croient en avoir quelque mérite, alors que tout leur vient de Dieu. Or la seule sécurité d’Israël, c’est la fidélité à l’Alliance... C’est la grande insistance de tous les prophètes : rappelez-vous Michée (qui prêchera quelques années plus tard à Jérusalem) : » Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu » (Mi 6,8).

MARCHER HUMBLEMENT AVEC TON DIEU  

C’est juste le contraire à Samarie ; pire encore, ils sont hypocrites : quand ils offrent des sacrifices, ils transforment le repas qui suit en beuverie... car les repas qu'Amos décrit sont probablement des repas sacrés, comme il y en avait après certains sacrifices. Maintenant, ces repas sont sacrilèges, et n’ont plus grand chose à voir avec l’Alliance.

Ce qui fait la difficulté de ce passage, c’est sa concision : car, pour comprendre ces quelques lignes, il faut avoir en tête la prédication prophétique dans son ensemble ; la logique d’Amos, comme celle de tous les prophètes est la suivante : le bonheur des hommes et des peuples passe inévitablement par la fidélité à l’Alliance avec Dieu ; et fidélité à l’Alliance veut dire justice sociale et confiance en Dieu. Dès que vous vous écartez de cette ligne de conduite, tôt ou tard, vous êtes perdus

C’est précisément sur ces deux points que Amos a des choses à redire : la justice sociale, on sait ce qu’il en pense, il suffit de relire le chapitre de la semaine dernière où il reprochait à certains riches de faire leur fortune sur le dos des pauvres ; et dans le texte d’aujourd’hui, les repas de luxe qu’on nous décrit ne profitent évidemment pas à tout le monde ; quant à Dieu, on n’a plus besoin de lui... croit-on ; pire, on fait des simulacres de cérémonie ; comme le dit Isaïe : « Ce peuple s’approche de moi en me glorifiant de la bouche et des lèvres, alors que son cœur est loin de moi » (Is 29,13). Il est probable qu’Amos, ce prophète venu d’ailleurs, puisqu’il venait du Sud, avait le regard d’autant plus aiguisé sur les faiblesses du royaume du Nord ; car au Sud, on ne connaissait pas encore une période aussi faste, et on conservait encore le style de vie des origines d’Israël ; tandis qu’au Nord, nous avons vu la semaine dernière que le règne de Jéroboam II était une période plus brillante. Mais la croissance économique exigeait une grande vigilance dans la transformation de la société. Malheureusement on s’éloignait de plus en plus de l’idéal des origines : au début, la Loi défendait l’égalité entre tous les citoyens et prévoyait donc la distribution égale de la terre entre tous. Or Samarie se couvrait de palais luxueux, construits par certains aux dépens des autres ; quand on s’était bien enrichi, grâce au commerce florissant, par exemple, on avait vite fait d’exproprier un petit propriétaire ; et nous avons vu que certains plus pauvres en étaient réduits à l’esclavage ; c’était notre texte de dimanche dernier.

L’archéologie apporte d’ailleurs sur ce point des précisions très intéressantes : alors qu’au dixième siècle, les maisons étaient toutes sur le même modèle et représentaient des trains de vie tout-à-fait identiques, au huitième siècle, au contraire, on distingue très bien des quartiers riches et des quartiers pauvres. Fini le bel idéal de la Terre sainte, avec une société sans classes.

À bon entendeur, salut : si nous voulons être fidèles aujourd’hui à ce que représentait pour les hommes de la Bible l’idéal de la terre sainte, il nous est bon de relire le prophète Amos.
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N.B. Les exégètes pensent que le verset 1a qui concerne Jérusalem est postérieur ; il serait une adaptation pour Jérusalem d'un texte écrit pour Samarie.
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PSAUME 145 (146), 6c.7, 8.9a, 9bc-10

6   Le SEIGNEUR garde à jamais sa fidélité,
7   il fait justice aux opprimés ;
     aux affamés, il donne le pain ;
     le SEIGNEUR délie les enchaînés.

8   Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles,
     le SEIGNEUR redresse les accablés,
     le SEIGNEUR aime les justes,
9   le SEIGNEUR protège l’étranger.

     Il soutient la veuve et l’orphelin,
     il égare les pas du méchant.
10 D’âge en âge, le SEIGNEUR régnera :
     ton Dieu, ô Sion, pour toujours !
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CHANTE, Ô MON ÂME, LA LOUANGE DU SEIGNEUR !

Cette litanie superbe n’est qu’une partie du psaume 145/146 ; et, malheureusement, la liturgie de ce dimanche ne nous fait pas entendre les Alléluia qui l’encadrent dans le texte hébreu (on l’appelle un « psaume alléluiatique »). C’est dire que nous sommes, comme dimanche dernier, en face d’un psaume de louange. Et la première strophe, c’est « Chante, ô mon âme, la louange du SEIGNEUR ! Je veux louer le SEIGNEUR tant que je vis, chanter mes hymnes pour mon Dieu tant que je dure. »

Qui parle au juste dans ce psaume ? Vous avez entendu : ce sont des opprimés, des affamés, des aveugles, des accablés, des étrangers, des veuves, des orphelins qui reconnaissent la sollicitude de Dieu pour eux. En réalité, c’est le peuple d’Israël qui parle de lui-même : c’est sa propre histoire qu’il raconte et il rend grâce pour la protection indéfectible de Dieu ; il a connu toutes ces situations : l’oppression en Égypte, dont Dieu l’a délivré « à main forte et à bras étendu » comme ils disent ; et aussi l’oppression à Babylone et, là encore, Dieu est intervenu. Israël a connu la faim, aussi, dans le désert et Dieu a envoyé la manne et les cailles.

Ils sont ces aveugles, encore, à qui Dieu ouvre les yeux, à qui Dieu se révèle progressivement, par ses prophètes, depuis des siècles ; ils sont ces accablés que Dieu redresse inlassablement, que Dieu fait tenir debout ; ils sont ce peuple en quête de justice que Dieu guide (« Dieu aime les justes »). C’est donc un chant de reconnaissance qu’ils chantent ici : « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés / Aux affamés, il donne le pain / Le SEIGNEUR délie les enchaînés / Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles / Le SEIGNEUR redresse les accablés / Le SEIGNEUR aime les justes / Le SEIGNEUR protège l’étranger / il soutient la veuve et l’orphelin. »

Ce nom « SEIGNEUR » qui revient si souvent, de manière litanique, c’est la traduction de ce fameux NOM de Dieu en 4 lettres que l’on appelle « Le Tétragramme » : « YHVH » qui dit sa présence agissante et libératrice. Le verset qui précède ceux d’aujourd’hui les résume tous : « Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR (YHVH) son Dieu » : le secret du bonheur, c’est de s’appuyer sur Dieu, c’est-à-dire d’attendre tout de Lui, et de Lui seul. Là on voit bien pourquoi ce psaume a été choisi pour ce dimanche en réponse au texte d’Amos. Surtout, disait Amos aux gens de Samarie, faites attention à bien placer votre confiance : méfiez-vous des fausses sécurités. Dieu seul est digne de confiance.

APPRENDRE À LUI FAIRE CONFIANCE

En écho, je vous relis quelques autres versets de ce psaume : « Ne comptez pas sur les puissants, (ce ne sont que) des fils d’homme qui ne peuvent sauver ! Leur souffle s’en va, ils retournent à la terre ; et ce jour-là, périssent leurs projets. Heureux qui s’appuie sur le Dieu de Jacob, qui met son espoir dans le SEIGNEUR son Dieu ».

Reconnaître notre dépendance fondamentale et la vivre en toute confiance parce que Dieu n’est que bienveillant... C’est la définition de la foi tout simplement. C’est le secret du bonheur, nous disent les prophètes. Je reprends l’épisode de la manne dont je parlais tout à l’heure : vous vous souvenez : en plein désert, ils avaient faim et Dieu avait envoyé la manne ; cette espèce de mince pellicule blanche qui recouvrait le sol... et Moïse avait bien dit : chacun ramasse le nécessaire pour la journée et rien de plus ... les petits malins qui croyaient pouvoir faire des provisions voyaient le surplus se gâter... on était obligé d’en laisser pour les autres et de se contenter de son nécessaire... (on se prend à rêver : si nos sociétés fonctionnaient comme cela ...?)

Mais surtout, plus tard, ils ont compris que de cette manière Dieu leur avait enseigné la confiance : il leur a appris à vivre au jour le jour sans s’inquiéter du lendemain... parce que ce lendemain lui appartient à lui, tout simplement, et pas à nous. Il ne faut jamais perdre de vue l’expérience unique dont les fils d’Israël ont eu le privilège : tout au long de leur combat pour la liberté, ils ont éprouvé à leurs côtés la présence de celui qu’ils ont reconnu comme leur SEIGNEUR. Et c’est lui qui les a emmenés toujours plus loin dans la recherche de la liberté et de la justice pour tous. Et des phrases comme « Le SEIGNEUR fait justice aux opprimés, aux affamés, il donne le pain, Le SEIGNEUR délie les enchaînés, Le SEIGNEUR ouvre les yeux des aveugles, Le SEIGNEUR redresse les accablés, Le SEIGNEUR aime les justes, Le SEIGNEUR protège l’étranger, il soutient la veuve et l’orphelin » résonnent pour eux comme des appels à plus de justice, plus de respect et de défense des petits et des faibles. Il en va pour eux du respect de l’Alliance. Si on y regarde de plus près, on constate que la Loi d’Israël n’a pas d’autre objectif : faire d’Israël un peuple libre, respectueux de la liberté d’autrui. C’est sur ce long chemin de libération que Dieu mène inlassablement son peuple.

À notre tour, il nous est bon de relire ce psaume : non seulement pour reconnaître la simple vérité de l’œuvre de Dieu en faveur de son Peuple, mais aussi pour se donner une ligne de conduite : si Dieu a agi ainsi envers Israël, à notre tour, nous qui sommes héritiers de ce long chemin d’Alliance, nous sommes tenus d’en faire autant pour les autres.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE   6,11-16 

11 Toi, homme de Dieu,
     recherche la justice, la piété, la foi, la charité,
     la persévérance et la douceur.
12 Mène le bon combat, celui de la foi,
     empare-toi de la vie éternelle !
     C’est à elle que tu as été appelé,
     c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi
     devant de nombreux témoins.
13 Et maintenant, en présence de Dieu qui donne vie à tous les êtres,
     et en présence du Christ Jésus
     qui a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation,
     voici ce que je t’ordonne :
14 garde le commandement du Seigneur,
     en demeurant sans tache, irréprochable
     jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ.
15 Celui qui le fera paraître aux temps fixés, c’est Dieu,
     Souverain unique et bienheureux,
     Roi des rois et Seigneur des seigneurs ;
16 lui seul possède l’immortalité,
     habite une lumière inaccessible ;
     aucun homme ne l’a jamais vu,
     et nul ne peut le voir.
     À lui, honneur et puissance éternelle. Amen.
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 OSER AFFIRMER NOTRE FOI

On ne peut pas rêver une synthèse plus complète de tout ce qui fait la foi et la vie du chrétien. En même temps on est surpris par la solennité des formules de Paul : par exemple « En présence de Dieu et en présence du Christ Jésus, voici ce que je t’ordonne ». Pourquoi Paul dessine-t-il cette espèce de fresque ?

À première lecture, on croit entendre les échos de difficultés dans la communauté d’Éphèse où Timothée avait des responsabilités : « Mène le bon combat, celui de la foi ». Un peu plus haut, dans cette même lettre, Paul avait déjà parlé du « combat » pour la foi. Voici un verset du chapitre 1 : « Voici la consigne que je te transmets, Timothée mon enfant, conformément aux paroles prophétiques jadis prononcées sur toi : livre ainsi la bonne bataille, en gardant la foi et une conscience droite ; pour avoir abandonné cette droiture, certains ont connu le naufrage de leur foi » (1 Tm 1,18-19). Il y a donc un combat à mener pour oser affirmer sa foi. L’heure est grave et c’est ce qui explique ce ton solennel : il y va de la fidélité de la jeune communauté chrétienne à son baptême.

Le passage que nous lisons aujourd’hui est encadré par deux textes tout à fait semblables qui précisent encore mieux les choses : les deux dangers à éviter, ce sont premièrement les fausses doctrines, deuxièmement la recherche des richesses. Sur le premier point, il faut croire qu’il y avait de réels problèmes : (en voici un passage) « Timothée, garde le dépôt de la foi. Tourne le dos aux bavardages impies et aux objections de la pseudo-connaissance : en s’y engageant, certains se sont écartés de la foi » (1 Tm 6,20-21). Et, dans le même sens, quelques versets plus haut : « Si quelqu’un donne un enseignement différent, et n’en vient pas aux paroles solides, celles de notre Seigneur Jésus Christ, et à l’enseignement qui est en accord avec la piété, un tel homme est aveuglé par l’orgueil, il ne sait rien, c’est un malade de la discussion et des querelles de mots. De tout cela, il ne sort que jalousie, rivalité, blasphèmes, soupçons malveillants, disputes interminables de gens à l’intelligence corrompue, qui sont coupés de la vérité » (1 Tm 6,3-4). Déjà ce problème était apparu dès le début de la lettre et Paul avait recommandé à Timothée de rester à Éphèse : « Comme je te l’ai recommandé en partant pour la Macédoine, reste à Éphèse pour interdire à certains de donner un enseignement différent ou de s’attacher à des récits mythologiques et à des généalogies interminables : cela ne porte qu’à de vaines recherches, plutôt qu’au dessein de Dieu qu’on accueille dans la foi » (1 Tm 1,3-4).

Sur le deuxième point, il insiste aussi fort : « La racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être attachés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligé à eux-mêmes des tourments sans nombre » (1 Tm 6,10).

EN VUE DE LA MANIFESTATION DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS CHRIST.

Voilà les deux pires dangers pour la foi aux yeux de Paul. Timothée, quant à lui, doit rester fidèlement accroché à celle de son baptême. Ce n’est certainement pas un hasard si Paul insiste sur la profession de foi de Timothée lors de son baptême : « Tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins ». À l’époque de Paul on sait que les baptêmes étaient administrés devant la communauté tout entière, et, dans le déroulement même du baptême, la profession de foi était un moment très important... Un peu plus loin, Paul fait référence au témoignage de Jésus dans sa Passion : « Le Christ Jésus a témoigné devant Ponce Pilate par une belle affirmation » ; sous-entendu, c’est dans le témoignage de Jésus que tu puiseras la force de témoigner à ton tour. Le oui de ton baptême est enraciné dans le oui du Christ à son Père.

Ce oui du baptême, c’est une chose, mais, maintenant, il va falloir être capable de le redire au jour le jour. Apparemment, Timothée va avoir besoin de toutes ses forces et c’est pour cela que Paul multiplie les recommandations : « Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle. C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins. » Les armes de ce combat, ce sont la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance, la douceur ; curieux combat dont l’arme principale est la douceur ; le vrai combat de la foi, si l’on en croit Paul, n’a rien à voir avec des guerres de religion : il se vit dans l’amour, la douceur, la persévérance (littéralement la « constance »). Nous l’avons trop souvent oublié... et pourtant l’histoire de toutes les religions montre que les guerres de religion n’ont jamais converti personne.

Enfin, par trois fois, dans ce texte, Paul rappelle quel est le but sur lequel nous devons toujours garder les yeux fixés : dans d’autres lettres de lui, nous avons déjà remarqué que toute sa pensée est orientée vers l’avenir ; entendons-nous bien, il faut écrire le mot à-venir en deux mots ; cet à-venir, il l’appelle « vie éternelle » ou encore « manifestation » (« épiphanie ») du Christ : « Garde le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache, irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ.... Celui qui le fera paraître aux temps fixés (sous-entendu que Dieu seul connaît), c’est Dieu ».

Paul termine ce passage par une sorte de profession de foi, qui est, précisément, ce que Timothée doit continuer à affirmer contre vents et marées, avec douceur mais avec constance et fermeté : Dieu est « le Souverain unique et bienheureux, le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, lui seul possède l’immortalité, il habite la lumière inaccessible, personne ne l’a jamais vu, personne ne peut le voir ». On ne peut pas dire plus clairement que Dieu est le Tout-Autre : on ne peut pas mettre la main dessus et prétendre le connaître (comme le font les faux docteurs). Ce dernier paragraphe est superbe : on retrouve un thème très cher à l’Ancien Testament, ce qu’on appelle la transcendance de Dieu : Dieu est hors de notre portée, il est le Tout Autre, nous ne l’atteignons pas par nous-mêmes... Mais il se fait proche. C’est Lui qui « fera paraître le Christ au temps fixé ».
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   16,19-31

     En ce temps-là,
     Jésus disait aux pharisiens :
19 « Il y avait un homme riche,
     vêtu de pourpre et de lin fin,
     qui faisait chaque jour des festins somptueux.
20 Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare,
     qui était couvert d’ulcères.
21 Il aurait bien voulu se rassasier
     de ce qui tombait de la table du riche ;
     mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
22 Or le pauvre mourut,
     et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham.
     Le riche mourut aussi,
     et on l’enterra.
23 Au séjour des morts, il était en proie à la torture ;
     levant les yeux, il vit Abraham de loin
     et Lazare tout près de lui.
24 Alors il cria :
     ‘Père Abraham, prends pitié de moi
     et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau
     pour me rafraîchir la langue,
     car je souffre terriblement dans cette fournaise.
25  – Mon enfant, répondit Abraham,
     rappelle-toi :
     tu as reçu le bonheur pendant ta vie,
     et Lazare, le malheur pendant la sienne.
     Maintenant, lui, il trouve ici la consolation,
     et toi, la souffrance.
26 Et en plus de tout cela, un grand abîme
     a été établi entre vous et nous,
     pour que ceux qui voudraient passer vers vous
     ne le puissent pas,
     et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.’
27 Le riche répliqua :
     ‘Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare
     dans la maison de mon père.
28 En effet, j’ai cinq frères :
     qu’il leur porte son témoignage,
     de peur qu’eux aussi ne viennent
     dans ce lieu de torture !’
29 Abraham lui dit :
     ‘Ils ont Moïse et les Prophètes :
     qu’ils les écoutent !
30 – Non, père Abraham, dit-il,
     mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver,
     ils se convertiront.’
31 Abraham répondit :
     ‘S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes,
     quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts :
     ils ne seront pas convaincus.’ »
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QUAND JÉSUS RÉADAPTE UN CONTE POPULAIRE

Elle est doublement terrible cette dernière phrase : « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » ; d’abord elle semble désespérée, comme si rien ne pouvait forcer un cœur de pierre à changer ! Mais elle est plus terrible encore dans la bouche de Jésus : on peut se demander s’il pense à lui-même en disant cela. « Quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts » ...  Et quand Luc écrit son évangile, il ne sait que trop bien que la résurrection du Christ n’a pas converti tout le monde, loin de là, elle en a même endurci plus d’un.

Venons-en à l’histoire du riche et du pauvre Lazare : le riche, finalement, nous ne savons pas grand chose de lui, même pas son nom ; il n’est pas dit qu’il soit spécialement méchant, au contraire, puisqu’il pensera même plus tard à sauver ses frères du malheur dans l’au-delà. Simplement, il est dans son monde, dans son confort, « dans sa tour d’ivoire », pourrait-on dire, comme les Samaritains dont parlait Amos dans la première lecture. Tellement dans sa tour d’ivoire qu’il ne voit même pas à travers son portail, le mendiant qui crève de faim et qui se contenterait bien de ses poubelles.

Le mendiant, lui, a un nom « Lazare » qui veut dire « Dieu aide » et cela, déjà, est tout un programme : Dieu l’aide, non parce qu’il est vertueux, on n’en sait rien, mais parce qu’il est pauvre, tout simplement. Voilà peut-être la première surprise que Jésus fait à ses auditeurs en leur racontant cette parabole : car, en fait, cette histoire, ils la connaissaient déjà, c’était un conte bien connu, qui venait d’Égypte ; les deux personnages étaient un riche plein de péchés et un pauvre plein de vertus : arrivés dans l’au-delà, les deux passaient sur la balance : et on pesait leurs bonnes et leurs mauvaises actions. Et au fond la petite histoire ne dérangeait personne : les bons, qu’ils soient riches ou pauvres, étaient récompensés... les méchants, riches ou pauvres, étaient punis. Tout était dans l’ordre.

Les rabbins, eux aussi, avant Jésus, racontaient une histoire du même genre, elle aussi bien évidemment empruntée à l’Égypte. Le riche était un fils de publicain pécheur, le pauvre un homme très dévot ; eux aussi passaient sur une balance qui pesait soigneusement les mérites des uns et des autres ; très logiquement, le dévot était reconnu plus méritant que le fils du publicain.

LES VRAIS FILS D’ABRAHAM

Jésus bouscule un peu cette logique : il ne calcule pas les mérites et les bonnes actions ; car, encore une fois, il n’est dit nulle part que Lazare soit vertueux et le riche mauvais ; Jésus constate seulement que le riche est resté riche sa vie durant, pendant que le pauvre restait pauvre, à sa porte : c’est dire l’abîme d’indifférence, ou d’aveuglement si vous préférez, qui s’est creusé entre le riche et le pauvre, simplement parce que le riche n’a jamais entrouvert son portail.  

Autre détail qui a son importance dans le récit de Jésus : il n’est pas tout-à-fait exact qu’on ne sait rien du riche ; en fait, on sait comment il était habillé : de pourpre et de lin, ce qui est une allusion évidente aux vêtements des prêtres ! La couleur pourpre qui était primitivement la couleur des vêtements royaux, était devenue la couleur des grands prêtres parce qu’ils servent le roi du monde ; quant au lin c’était le tissu de la tunique du grand prêtre ; là, dans la bouche de Jésus, il y a certainement une petite pointe à l’égard de ses auditeurs : très pieux mais peut-être indifférents à la misère des autres ; Jésus leur dit quelque chose comme « grand-prêtre ou pas, si vous méprisez vos frères, vous ne méritez pas votre titre de fils d’Abraham ».

Car, on l’aura remarqué : Abraham est cité sept fois dans cette page ; c’est donc certainement une clé du texte. Au fond, la question de Jésus c’est « qui est vraiment fils d’Abraham ? » et sa réponse : si vous n’écoutez pas la Loi et les Prophètes, si vous êtes indifférents à la souffrance de vos frères, vous n’êtes pas les fils d’Abraham. Jésus va encore plus loin : le pauvre aurait bien voulu manger les miettes du riche, mais c’étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies ; or les chiens étaient des animaux impurs... ce qui fait que même si le riche pieux s’était donné la peine d’ouvrir son portail, il aurait été choqué de toute façon et il aurait fui cet homme impur léché par les chiens... la leçon de Jésus, là encore, c’est « vous attachez de l’importance aux mérites, vous veillez à rester purs, vous êtes fiers d’être les descendants d’Abraham... mais vous oubliez l’essentiel ». Cet essentiel est dit dans la loi et les prophètes ; et là, nous n’avons que l’embarras du choix, dans le livre d’Isaïe par exemple : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : …partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?... Si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres… » (Isaïe 58,6-7.10). Pas besoin de signes extraordinaires pour nous convertir : nous avons la Loi, les prophètes, les évangiles : à nous de les écouter et d’en vivre !

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 25 09 2022, 26e dimanche du temps ordinaire C

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11 septembre 2022 7 11 /09 /septembre /2022 23:57
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 17 septembre 2022).

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE AMOS   8,4-7

4   Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux
     pour anéantir les humbles du pays,
5   car vous dites :
     « Quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée,
     pour que nous puissions vendre notre blé ?
     Quand donc le sabbat sera-t-il fini,
     pour que nous puissions écouler notre froment ?
     Nous allons diminuer les mesures,
     augmenter les prix et fausser les balances.
6   Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent,
     le malheureux pour une paire de sandales.
     Nous vendrons jusqu’aux déchets du froment ! »
7   Le SEIGNEUR le jure par la Fierté de Jacob :
     Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits.
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LA COLÈRE DU PROPHÈTE AMOS

L'heure est sûrement grave puisque le prophète Amos termine par une formule extrêmement solennelle : « Le SEIGNEUR le jure par la Fierté de Jacob ». Or la « Fierté de Jacob », c’est Dieu lui-même ; car c’est lui qui est (ou qui devrait être) la seule fierté de son peuple ; en d’autres termes, le SEIGNEUR jure par lui-même. On trouve dans la Bible des expressions du même genre, par exemple « Le SEIGNEUR le jure par sa sainteté » ou bien « Par mon Nom, dit le SEIGNEUR ». C’est logique : lorsque les hommes prêtent serment, ils le font au nom de quelqu’un qui les dépasse ; Dieu, lui, ne peut s’engager que par lui-même ! Qui pourrait-il invoquer de plus grand ?

Et à propos de quoi Dieu prête-t-il serment ? » Le SEIGNEUR le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. » Il s’agit des méfaits des gens qui ne cherchent qu’à s’enrichir aux dépens des autres. Amos est un prophète du huitième siècle av. J.-C. à l’époque où la terre d’Israël est partagée en deux royaumes. Petit berger d’un village du Sud, (Téqoa) près de Bethléem, il a été choisi par Dieu pour aller prêcher dans le royaume du Nord qu’on appelle aussi la Samarie, du nom de sa capitale. Nous sommes sous le règne de Jéroboam II, vers 750 av. J.-C. : un règne faste à tout point de vue... du moins, c’est ce que tout le monde pense ; tous sauf un, le prophète Amos justement. La Samarie traverse une période de prospérité économique et, logiquement, c’est le niveau de vie de toute la population qui devrait s’améliorer... mais cette période faste ne profite pas à tout le monde ; au contraire Amos est bien obligé de constater que la richesse ne concerne qu’une catégorie privilégiée... mais, pire, cet enrichissement des uns naît de l’appauvrissement des autres ; tout simplement parce que les produits de première nécessité, le pain quotidien ou les sandales, sont entre les mains de vendeurs peu scrupuleux. Et alors on en arrive au point où des pauvres n’ont plus d’autre solution pour ne pas mourir de faim ou de froid que de se vendre comme esclaves : « Nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. »

Bien sûr, celui qui est lésé peut essayer de s’adresser à la justice ; oui, en théorie ; mais dans la pratique, chaque fois qu’il y a un procès pour des fraudes ou des escroqueries manifestes, les tribunaux prennent systématiquement le parti des riches contre les pauvres ; pourquoi ? Tout simplement parce que les riches paient les juges : Amos le dit très clairement dans son livre : « Ils changent le droit en poison et traînent la justice à terre ». La justice elle-même est faussée, corrompue ; le texte que nous avons entendu est donc l’un de ceux où Amos prend la parole pour annoncer le jugement de Dieu. Et il dresse un véritable réquisitoire : il énonce les faits, puis il rend son verdict. Les faits d’abord : « Vous écrasez les pauvres, vous anéantissez les humbles du pays ; vous dites : quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, que nous puissions vendre notre blé ? » Ce qu’on appelle « la nouvelle lune », c’est le premier jour du mois ; notre calendrier à nous se fonde sur le cycle du soleil, si bien que nous savons à peine quand est la nouvelle lune ou la pleine lune ; en Israël au contraire le calendrier était lunaire ; dans les calendriers lunaires les mois sont de vingt-huit jours : ils débutent avec la nouvelle lune, et la pleine lune est au milieu du mois ; or la nouvelle lune, le premier jour du mois, (on l’appelait la « néoménie »), était un jour férié : ce qui veut dire que aucun travail, aucun déplacement, aucune activité commerciale n’étaient autorisés ; c’était par excellence le jour du repos et de la gratuité, exactement comme le sabbat (chaque samedi).

QUAND TOUTES LES BALANCES DE LA SOCIÉTÉ SONT FAUSSÉES

Ce répit dans les affaires visait à tourner l’homme vers Dieu. Mais ici il semble bien qu’il soit vécu avec impatience, car, désormais, l’homme a un autre maître, l’Argent. Évidemment pour quelqu’un dont le premier souci est de gagner de l’argent, un jour férié est sa bête noire : un jour de manque à gagner ; ce qui explique les reproches d’Amos : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux... car vous dites : quand donc la fête de la nouvelle lune sera-t-elle passée, pour que nous puissions vendre notre blé ? Quand donc le sabbat sera-t-il fini, pour que nous puissions écouler notre froment ? »  Pour autant, Amos ne vise évidemment pas tous les commerçants, comme si la profession tout entière méritait des reproches ; il vise ici des vendeurs malhonnêtes, pour qui commerce rime non pas avec service mais avec prix exorbitants et balances truquées : puisqu’il leur dit « vous avez l’intention de diminuer les mesures, augmenter les prix et fausser les balances ». L’image de la balance faussée est à double sens : très concrètement, d’abord, on voit bien comment un balancier sournoisement tordu peut fausser une mesure ; mais, plus profondément, ce sont toutes les balances de cette société qui sont faussées ; au fond, Amos reproche au peuple de Samarie de vivre sa vie tout entière dans l’injustice : les balances sont faussées, la justice est dévoyée, on continue bien à respecter les jours fériés, mais à contre-cœur et avec une arrière-pensée ; tout est faussé en somme.

Et voici le jugement : « Le SEIGNEUR le jure par la Fierté de Jacob : Non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. » Traduisez « vous qui vous enrichissez injustement, vous oubliez bien facilement vos forfaits et les tribunaux vous suivent, mais le Seigneur vous déclare : ce sont des choses que l’on ne doit pas oublier. Vous ne devez pas vous habituer à l’injustice. » Pour autant, ne faisons pas dire à ce texte ce qu’il ne dit pas : la menace « Jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits » ne veut pas dire que Dieu gardera éternellement en mémoire nos fautes : toute la leçon de l’Ancien Testament sur le pardon de Dieu dit le contraire. Mais Amos prononce sa mise en garde volontairement de la façon la plus solennelle possible, parce qu’il y a là une leçon très grave : la première chose que Dieu demande à son peuple, c’est de vivre dans la justice ; un père de la terre ne supporterait pas que certains de ses enfants soient appauvris par leurs propres frères. À plus forte raison, notre société humaine fondée sur tant d’injustices et de misères de toute sorte, ne peut qu’offenser Dieu. Amos est d’autant plus virulent que, depuis cent ans, le royaume du Nord se vante d’avoir balayé l’idolâtrie en supprimant tous les cultes des divinités qu’on appelle les Baals ; en fait, ce qu’il reproche à ses contemporains, c’est d’être tombés dans une idolâtrie plus pernicieuse encore, celle de l’argent.

Peut-être faudrait-il aujourd’hui des Amos parmi nous ! Mais encore faudrait-il que nous les écoutions ...
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PSAUME  112 (113),1-2,5-6,7-8

1   Alléluia !
     Louez, serviteurs du SEIGNEUR,
     louez le nom du SEIGNEUR!
2   Béni soit le nom du SEIGNEUR,
     maintenant et pour les siècles des siècles !

5   Qui est semblable au SEIGNEUR notre Dieu ?
     Lui, il siège là-haut.
6   Mais il abaisse son regard
     vers le ciel et vers la terre.

7   De la poussière il relève le faible,
     il retire le pauvre de la cendre
8   pour qu'il siège parmi les princes,
     parmi les princes de son peuple.
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QUI EST SEMBLABLE AU SEIGNEUR NOTRE DIEU ? 

Ce psaume est le premier de ceux que Jésus a récités le soir du Jeudi saint. Quand saint Matthieu raconte dans son évangile qu’ils partirent vers le Mont des Oliviers après avoir chanté les psaumes, il s’agit en particulier de ce psaume d’aujourd’hui.

Si on le lit en entier, on s’aperçoit que sa composition est très intéressante ; d’abord, dans le texte hébreu, il commence et il finit par le mot « Alléluia » qui veut dire littéralement « Louez-Dieu ». Ensuite, il comporte deux parties de quatre versets chacune, qui encadrent un verset central ; ce verset central est une interrogation « Qui est semblable au SEIGNEUR notre Dieu ? » Et les deux parties contemplent les deux faces, si j’ose dire, du mystère de Dieu : sa sainteté, d’une part, sa miséricorde, d’autre part. Une fois de plus, nous retrouvons cette double dimension de la Révélation : Dieu s’est fait connaître à la fois comme le TOUT-AUTRE (c’est ce que l’on appelle sa « transcendance » ou sa sainteté, si vous préférez) ET comme le TOUT-PROCHE. Sa sainteté, c’est l’objet de la première partie ; il suffit de regarder d’un peu près le vocabulaire !

Pour manifester à quel point Il est le Tout-Autre, on répète inlassablement le fameux Nom, celui qu’on ne prononce jamais en entier, par respect. Vous savez pourquoi : pour l’homme de la Bible, dire le nom de quelqu’un, c’est déjà d’une certaine manière oser parler de lui, prétendre le connaître intimement ; et qui pourrait prétendre connaître Dieu ? Dieu seul peut parler de lui-même. Si bien que le Nom de Dieu, tel qu’il l’a révélé lui-même en quatre lettres, on ne le prononce jamais. Et vous savez bien que, dans la Bible, quand on rencontre ces fameuses quatre lettres, spontanément le lecteur juif les remplace par le mot hébreu « Adonaï » qui veut dire « Mon SEIGNEUR », mais qui ne prétend pas décrire ni définir Dieu.

Parfois aussi, pour parler de Dieu, on emploie l’expression « LE NOM » et il faut entendre tout le respect, toute la déférence que cela implique. Eh bien, pour glorifier la sainteté de Dieu, les quatre versets de la première partie sont une véritable broderie autour du Nom de Dieu et du verbe « louez ». Je vous la donne en entier : « Alléluia ! Louez, serviteurs du SEIGNEUR, louez le nom du SEIGNEUR ! Béni soit le nom du SEIGNEUR, maintenant et pour les siècles des siècles ! Du levant au couchant du soleil, loué soit le nom du SEIGNEUR ! Le SEIGNEUR domine tous les peuples, sa gloire domine les cieux. » Et la grandeur de Dieu rayonne sur la totalité du temps et de l’espace « Béni soit le Nom du SEIGNEUR maintenant et pour les siècles... Du levant au couchant du soleil, loué soit le Nom du SEIGNEUR ».

Cette insistance traduit également une résolution, une profession de foi, la décision d’abandonner définitivement toute idolâtrie : « Le SEIGNEUR domine tous les peuples, sa gloire domine les cieux. » Dernière remarque pour cette première partie : comme toujours dans les psaumes, c’est le peuple élu qui parle, mais il n’oublie pas le reste de l’humanité : « Le SEIGNEUR domine tous les peuples ».

LE DIEU DE MISÉRICORDE SE PENCHE SUR LES FAIBLES

Puis vient le verset central : « Qui est semblable au SEIGNEUR notre Dieu ? » Sous-entendu la grande découverte, c’est que le Dieu de gloire est tout autant le Dieu de miséricorde : « Lui, il siège là-haut. Mais il abaisse son regard vers le ciel et vers la terre. »

Et la fin de la deuxième partie détaille la miséricorde de Dieu, son action auprès des plus petits, des plus pauvres : « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre ». En particulier, parmi les faibles et les pauvres, on comptait la femme stérile, qui vivait dans la crainte continuelle d’être répudiée et c’est l’objet du dernier verset : « Il installe en sa maison la femme stérile, heureuse mère au milieu de ses fils. » Ici, il y a un jeu de mots car en hébreu, le mot « maison » veut aussi dire « descendance ». Sara, la femme d’Abraham, a connu ce miraculeux renversement de situation ; Rachel également : on imagine sans peine l’éblouissement de celle qui a cru être stérile à tout jamais, et qui se retrouve quelques années plus tard, avec sa maison remplie d’enfants !

La Bible se plaît à noter de tels renversements de situation : car « rien n’est impossible à Dieu », on le sait bien, c’est même le leitmotiv des croyants. Le Magnificat de la Vierge Marie est tout plein de cette certitude confiante : « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais, tous les âges me diront bienheureuse... Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. » Sans oublier que si tout ceci peut s’appliquer aux individus, les psaumes visent d’abord le peuple d’Israël dans son ensemble.

Revenons au soir de la Cène où Jésus a chanté ce psaume avec ses disciples ; nul doute qu’en prenant le chemin du mont des Oliviers le soir du Jeudi saint, il a entendu résonner tout particulièrement le verset « De la poussière il relève le faible » : lui qui partait vers sa Passion et vers sa mort a certainement entendu là une annonce de sa Résurrection ; poussière, nous sommes, à la poussière nous retournons ; mais « de la poussière Dieu relève (entendez il ressuscite) le faible pour qu’il siège parmi les princes »... C’est exactement ce qui s’est passé pour Jésus-Christ, et c’est ce qui nous attend.
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*Note - Ce psaume est le premier des psaumes du « Hallel » qui étaient chantés lors du repas pascal.

Complément

- À propos des renversements de situation : une toute petite étude de vocabulaire est très suggestive. En hébreu, à deux reprises, les mêmes mots sont employés pour parler de Dieu et pour parler des pauvres : malheureusement, notre traduction française ne peut pas toujours rendre toutes ces résonances ; par exemple le verbe « exalter » : une traduction littérale des versets 4a et 7b donnerait : « Que le SEIGNEUR soit exalté sur toutes les nations » / « Du fumier il exalte le pauvre » ; ou encore le verbe « siéger » ou « trôner » : une traduction littérale, là encore, des versets  5b et 8a donnerait : « Lui il trône là-haut » / « Pour qu’il (le pauvre) trône parmi les princes ».
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE   2, 1-8

     Bien-aimé,
1   j’encourage, avant tout,
     à faire des demandes, des prières,
     des intercessions et des actions de grâce
     pour tous les hommes,
2   pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité,
     afin que nous puissions mener notre vie
     dans la tranquillité et le calme,
     en toute piété et dignité.
3   Cette prière est bonne et agréable
     à Dieu notre Sauveur,
4   car il veut que tous les hommes soient sauvés
     et parviennent à la pleine connaissance de la vérité.
5   En effet, il n’y a qu’un seul Dieu,
     il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes :
     un homme, le Christ Jésus,
6   qui s’est donné lui-même
     en rançon pour tous.
     Aux temps fixés, il a rendu ce témoignage,
7   pour lequel j’ai reçu la charge de messager et d’apôtre
     – je dis vrai, je ne mens pas –
     moi qui enseigne aux nations la foi et la vérité.
8   Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient
     en élevant les mains,
     saintement, sans colère ni dispute.
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DIEU VEUT QUE TOUS LES HOMMES SOIENT SAUVÉS

Il y a au milieu de ce texte une phrase qui résume toute la Bible, une phrase de lumière, si j’ose dire ; je vous la rappelle : « Dieu, notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. » Elle est au centre de ce texte, mais elle est aussi au centre de la pensée de Paul, et surtout elle est le centre, la chose la plus importante de l’histoire de l’humanité ; « Dieu, notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés ». Tous les mots comptent : « Dieu veut » : c’est le mystère de sa volonté, ce « dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement », comme dit la lettre aux Éphésiens (1,9-10). La volonté de Dieu est une volonté de salut, et cette volonté de Dieu concerne tous les hommes : « Dieu, notre Sauveur, veut que tous les hommes soient sauvés ». Visiblement, Paul veut insister très fort sur la dimension universelle du projet de Dieu. Je reprends ses expressions : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés... j’encourage, avant tout à faire des demandes, des prières... pour tous les hommes... le Christ Jésus s’est donné lui-même en rançon pour tous ».

Je reprends notre fameuse phrase parce qu’elle nous donne la définition du salut : « Dieu, notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. » On sait bien que dans ce genre de phrase, le mot ET peut être remplacé par « C’EST-A-DIRE » ; il faut donc entendre : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés c’est-à-dire parviennent à la pleine connaissance de la vérité. »

Et qu’est-ce que la vérité ? C’est que Dieu nous aime et est sans cesse auprès de nous pour nous combler de son amour ; être sauvé c’est connaître cette vérité, non pas d’une manière intellectuelle, mais connaître à la manière biblique, c’est-à-dire en vivre, se laisser aimer et combler. Tant que les hommes ne connaissent pas l’amour de Dieu pour eux, tant qu’ils n’en vivent pas, ils sont comme prisonniers. Le Christ est venu justement pour les libérer. D’où l’expression « il s’est donné en rançon » : chaque fois que nous rencontrons ce mot « rançon », nous pouvons le remplacer par le mot « libération ». Le Christ est venu pour annoncer en paroles et en actes l’amour de Dieu pour tous les hommes. Croire à cet amour, vivre de cet amour, c’est être sauvé.

 Alors, la vraie prière, celle que Dieu peut accepter, comme dit Paul, c’est parler à Dieu de son projet, c’est entrer dans son projet, nous en imprégner, pour être capables ensuite de répandre la nouvelle comme une traînée de poudre. Dans ce sens-là, on peut comparer la messe du dimanche à une réunion de chantier, la réunion de chantier du royaume ; dans certains chantiers de construction, on fait le point chaque lundi matin sur l’avancement des travaux ; de la même manière, les chrétiens se réunissent tous les dimanches pour faire le point sur l’avancement du chantier de Dieu. Et à en croire cette lettre à Timothée, le chantier de Dieu, c’est très clair, est à la dimension de l’univers tout entier. C’est bien pour cela que la prière autrefois appelée « prière des fidèles » s’appelle aujourd’hui « prière universelle » ; les deux termes devraient être équivalents.

PARTAGER LE PROJET DE DIEU

« La Prière des fidèles », cela veut dire « la prière de ceux qui ont la foi » : c’est-à-dire ceux qui ont assez de foi pour croire que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». Sûrs de cette foi, sûrs de l’amour de Dieu pour l’humanité tout entière, nous prions le Père : le texte officiel précise bien qu’il s’agit d’une prière de supplication ; mais il ne s’agit pas de mettre Dieu au courant des besoins du monde, comme s’il fallait lui apprendre quelque chose ; il s’agit d’une éducation de notre propre regard : nous apprenons à regarder le monde avec les yeux de Dieu. Les meilleurs outils pour préparer la Prière Universelle, ce sont le Livre de la Parole de Dieu dans une main, et dans l’autre, le journal qui nous tient au courant de l’actualité sur tous les continents. Ainsi armés, nous pourrons entendre l’Esprit nous souffler ce dont le monde a besoin, et dans quel sens orienter nos efforts pour le transformer.

Dernière remarque, on a ici une superbe description de ce qu’était la prière juive bien avant la prière chrétienne ; telle qu’on peut la découvrir dans l’Ancien Testament, elle est faite exactement comme dit saint Paul « de demande, d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes ». On n’a pas attendu le Nouveau Testament ni pour prier, ni pour demander, ni pour rendre grâce ; on n’a pas non plus attendu le Nouveau Testament pour savoir que le projet de Dieu concerne l’humanité tout entière.

Et même la position de la prière les mains levées vers le ciel n’est pas une invention des chrétiens. Il suffit de se rappeler la prière de Moïse, les bras levés, à Rephidim, dans le Sinaï. La prière chrétienne est vraiment la petite sœur, l’héritière de la prière juive. Et d’ailleurs, on trouve dans les catacombes des tombeaux sculptés représentant des hommes en prière dans cette position de Moïse, qu’on appelle la position de l’orant.

Notons que, dans la dernière phrase, l’insistance de Paul n’est pas sur la position à adopter, mais sur l’état d’esprit dans lequel on doit être pour la prière : « Je voudrais qu’en tout lieu, les hommes prient en élevant les mains, saintement, sans colère ni dispute. » Comment entrer dans le projet d’amour de Dieu pour tous si on a le cœur plein de colère et de dispute ? Très certainement, là, on a une trace de difficultés graves, d’oppositions, de dissensions, de persécutions peut-être, dans la communauté à laquelle était destinée cette lettre. On ne peut pas aventurer d’hypothèses précises car on n’est pas très sûr de la date de composition de cette lettre, on n’est même pas sûr qu’elle soit de Paul lui-même, en tout ou en partie. Mais peu importe la date de cette lettre : ce qui compte à toute époque et quelles que soient les difficultés que nous rencontrons, c’est de ne jamais oublier que le projet de salut de Dieu concerne l’humanité tout entière.

L’Esprit Saint avait déjà soufflé aux prophètes de l’Ancien Testament que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité ».
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   16,1-13

     En ce temps-là,
1   Jésus disait à ses disciples :
     « Un homme riche avait un gérant
     qui lui fut dénoncé comme dilapidant ses biens.
2   Il le convoqua et lui dit :
     ‘Qu’est-ce que j’apprends à ton sujet ?
     Rends-moi les comptes de ta gestion,
     car tu ne peux plus être mon gérant.’
3   Le gérant se dit en lui-même :
     ‘Que vais-je faire,
     puisque mon maître me retire la gestion ?
     Travailler la terre ? Je n’en ai pas la force.
     Mendier ? J’aurais honte.
4   Je sais ce que je vais faire,
     pour qu’une fois renvoyé de ma gérance,
     des gens m’accueillent chez eux.’
5   Il fit alors venir, un par un,
     ceux qui avaient des dettes envers son maître.
     Il demanda au premier :
     ‘Combien dois-tu à mon maître ?’
6   Il répondit :
     ‘Cent barils d’huile.’
     Le gérant lui dit :
     ‘Voici ton reçu ;
     vite, assieds-toi et écris cinquante.’
7   Puis il demanda à un autre :
     ‘Et toi, combien dois-tu ?’
     Il répondit :
     ‘Cent sacs de blé.’
     Le gérant lui dit :
     ‘Voici ton reçu, écris 80’.
8   Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête
     car il avait agi avec habileté ;
     en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux
     que les fils de la lumière.
9   Eh bien moi, je vous le dis :
     Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête,
     afin que, le jour où il ne sera plus là,
     ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.
10 Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose
     est digne de confiance aussi dans une grande.
     Celui qui est malhonnête dans la moindre chose
     est malhonnête aussi dans une grande.
11 Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête,
     qui vous confiera le bien véritable ?
12 Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance,
     ce qui vous revient, qui vous le donnera ?
13 Aucun domestique ne peut servir deux maîtres :
     ou bien il haïra l’un et aimera l’autre,
     ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre.
     Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
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LES FILS DE CE MONDE ET LES FILS DE LA LUMIÈRE

Jésus dresse toute une série d’oppositions : comme souvent dans la Bible, on pourrait écrire ce passage en deux colonnes : c'est le fameux thème des deux voies en somme.

Dans la colonne de gauche, on classerait les fils de ce monde, l'Argent malhonnête, ce qui est à autrui, et tout cela n'est qu'une moindre chose, comme dit Jésus, c'est-à-dire sans valeur.

Dans la colonne de droite, au contraire, les fils de lumière que nous sommes, le bien véritable, « ce qui nous revient », c'est-à-dire le Royaume de Dieu, et c'est cela la grande affaire, c'est-à-dire la seule qui compte.

Toutes ces oppositions n’ont qu’un but, nous faire découvrir que l’Argent n’est qu’une tromperie et que consacrer sa vie à « faire de l’argent » comme on dit, c’est faire fausse route. C’est aussi grave que l’idolâtrie que les prophètes ont tellement pourchassée. Dans la phrase « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent », le mot « servir » a un sens religieux, bien sûr. Il n’y a qu’un seul Dieu, ne vous faites pas d’idoles, car toute idolâtrie fait de vous un esclave ; nous avions déjà entendu très fort ce message dans le livre de l’Exode, par la bouche de Moïse, la semaine dernière, dans l’épisode du veau d’or. Dieu seul libère (tout l’Ancien Testament nous l’a appris), les idoles asservissent. Or l’argent peut fort bien devenir une idole, c’est-à-dire devenir une fin en soi et non plus un moyen ; quand on est obsédé par l’envie de gagner de l’argent, on devient vite esclave : bientôt nous n’aurons plus le temps de penser à autre chose ! « Se méfier de ce qu’on possède pour ne pas être possédé », dit la Sagesse populaire, et c’est un bon principe. Justement, le sabbat était fait entre autres pour cela : retrouver une fois par semaine le goût de la gratuité. C’est une manière de rester libre.

L’Argent est malhonnête, c’est-à-dire trompeur, de deux manières : d’abord, il nous fait croire qu’il nous assurera le bonheur, mais viendra bien un jour, pourtant, où il nous faudra tout laisser. Dans la phrase de Jésus « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que le jour où il ne sera plus là... », la formule « il ne sera plus là » est une allusion à la mort. Sans oublier qu’un renversement de situation est toujours possible

VOUS NE POUVEZ PAS SERVIR À LA FOIS DIEU ET L’ARGENT

Ensuite, l’Argent nous trompe quand nous croyons qu’il nous appartient à nous tout seuls. Jésus ne nous pousse pas à mépriser l’argent, mais à le mettre au service du Royaume, c’est-à-dire des autres. Les richesses méritent bien leur nom et il serait stupide et hypocrite de les bouder. Mais nous n’en sommes pas propriétaires pour notre seul usage égoïste, nous en sommes intendants. C’est pour cela que Jésus parle de « bien étranger », c’est parce qu’il ne nous appartient pas. Il est bien vrai « qu’il n’y a pas grand intérêt à être le plus riche du cimetière », comme on dit, mais « il y a grand intérêt à être riche pour en faire profiter les autres ».

Dans la phrase « être digne de confiance pour l’argent malhonnête », le mot « confiance » est très important : Dieu nous fait confiance ; cet argent nous est confié, nous en sommes intendants, responsables ... toutes nos richesses, de tous ordres, nous sont confiées comme à des intendants pour que nous les partagions, pour que nous les transformions en bonheur pour ceux qui nous entourent. Alors on comprend mieux la parabole précédente : cet intendant menacé de licenciement et qui fait une dernière fois des cadeaux avec l’argent de son patron pour se faire des amis qui le lui rendront. Il est parfaitement malhonnête ; mais il a su trouver très vite une solution astucieuse pour assurer son avenir. Et l’astuce, ici, consiste à utiliser pour une fois l’argent comme un moyen et non comme un but.

Ce n’est pas la malhonnêteté que Jésus admire, c’est l’habileté : qu’attendons-nous pour trouver des solutions astucieuses pour assurer l’avenir de tous ?... et il est vrai que l’envie de gagner de l’argent rend des quantités de gens très inventifs ; Jésus voudrait bien que l’ardeur pour la justice ou pour la paix nous rende aussi inventifs ! Le jour où nous consacrerons autant de temps et de matière grise à inventer des solutions de paix, de justice et de partage qu’à gagner de l’argent au-delà du nécessaire, la face du monde sera changée. Et déjà si nous passions autant de temps à parler de solidarité et de partage que nous passons de temps à parler d’argent, bien des choses changeraient, probablement.

Au fond la morale de l’histoire pourrait s’écrire ainsi : Choisissez Dieu, résolument, et mettez au service du Royaume l’habileté que vous mettriez à faire de l’argent. Les fils de la lumière savent que l’Argent n’est qu’une toute petite affaire, c’est le Royaume qui est la grande affaire. Ils ne « servent » pas l’Argent comme on sert une divinité, ils le mettent au service du Royaume.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 18 09 2022, 25e dimanche du temps ordinaire C

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6 septembre 2022 2 06 /09 /septembre /2022 13:52
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 0 septembre 2022).

LECTURE DU LIVRE DE L’EXODE   32, 7...14

     En ces jours-là,
7   le SEIGNEUR parla à Moïse :
     « Va, descends,
     car ton peuple s’est corrompu,
     lui que tu as fait monter du pays d’Égypte.
8   Ils n’auront pas mis longtemps
     à s’écarter du chemin que je leur avais ordonné de suivre !
     Ils se sont fait un veau en métal fondu
     et se sont prosternés devant lui.
     Ils lui ont offert des sacrifices en proclamant :
     ‘Israël, voici tes dieux,
     qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.’ »

9   Le SEIGNEUR dit encore à Moïse :
     « Je vois que ce peuple
     est un peuple à la nuque raide.
10 Maintenant, laisse-moi faire ;
     ma colère va s’enflammer contre eux
     et je vais les exterminer !
     Mais, de toi, je ferai une grande nation. »
11 Moïse apaisa le visage du SEIGNEUR son Dieu
     en disant :
     « Pourquoi, SEIGNEUR,
     ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple,
     que tu as fait sortir du pays d’Égypte
     par ta grande force et ta main puissante ?
13 Souviens-toi de tes serviteurs,
     Abraham, Isaac et Israël,
     à qui tu as juré par toi-même :
     ‘Je multiplierai votre descendance
     comme les étoiles du ciel ;
     je donnerai, comme je l’ai dit,
     tout ce pays à vos descendants,
     et il sera pour toujours leur héritage.’ »
14 Le SEIGNEUR renonça
     au mal qu’il avait voulu faire à son peuple.
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TU N’AURAS PAS D’AUTRES DIEUX EN FACE DE MOI

Je vous rappelle très rapidement le contexte (pour une présentation plus large, voir les compléments) : trois mois après la sortie d'Égypte, Dieu a proposé l'Alliance à Moïse et à son peuple : et le peuple, unanime, a accepté l’Alliance. Et puis, il y a eu l’extraordinaire manifestation de Dieu, dans les éclairs, le tonnerre, le feu, la nuée. Et, de nouveau, le peuple s’est engagé : « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique » (Ex 19,8). Puis Moïse est remonté sur la montagne pour recevoir les tables de la Loi.

L’épisode du veau d’or se situe à ce moment-là : on trouve que Moïse est bien long à redescendre ; on vient de vivre une expérience religieuse extraordinaire, et nous voilà retombés dans le quotidien. On n’entend plus rien, on ne voit plus rien... Où donc est Dieu ? Où donc est Moïse ? Alors la tentation est trop forte ; on exige d’Aaron qu’il fabrique une statue. Quand Moïse, enfin, redescend de la montagne, les tables de la Loi à la main, il est accueilli par les cantiques adressés à la statue !

Clairement, cette fabrication d’une statue a été considérée par Dieu et par Moïse comme une faute. On peut se demander en quoi est-ce mal ? Pour comprendre ce que représentait l’interdiction des idoles, et en quoi la fabrication du veau d’or est une faute, il faut relire les commandements, ce qu’on appelle le Décalogue. La première phrase, on l’oublie souvent, ce n’est pas un commandement, c’est une affirmation : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage » (Ex 20,1). Affirmation qui précède les commandements et les justifie, elle en donne le sens. C’est parce que Dieu a libéré son peuple que, maintenant, il lui donne les commandements : ceux-ci n’ont pas d’autre but que d’indiquer la façon de rester un peuple libre et heureux

Le premier de ces commandements tient en deux points : premièrement, « Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi » ; deuxièmement, tu ne te feras pas d’idoles... C’est très clair : « Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux, pour leur rendre un culte. »

TU NE FERAS AUCUNE IDOLE

Cette interdiction de fabriquer des idoles était très neuve pour ce peuple sorti d’Égypte, où pullulaient des statues de toutes sortes de dieux représentés sous des formes d’animaux. Et d’ailleurs, si les Hébreux à peine sortis d’Égypte ont eu l’idée de fabriquer un veau en or, c’est parce qu’ils en avaient déjà vu ! Par exemple, on a retrouvé sur une fresque de la nécropole de Thèbes un jeune veau d’or représentant le soleil à son lever. Cette interdiction toute nouvelle est donc très exigeante : la preuve, c’est que, irrésistiblement, le peuple désobéit ; ce serait tellement rassurant de pouvoir mettre la main sur Dieu : le toucher, le voir... mais aussi pouvoir s’en éloigner, s’en cacher...

Mais le culte des idoles n’est qu’une fausse piste et Dieu le sait mieux que nous ; d’abord, parce que toute tentative pour représenter Dieu, le Tout-Autre, est inexorablement vouée à l’échec ; on ne peut pas réduire Dieu à une statue, tout simplement parce que Dieu n’est pas à la mesure de l’homme. Ensuite, plus grave encore, toute tentative pour figer Dieu, le fixer, prétendre avoir un quelconque pouvoir sur lui, est une tromperie ; cela conduit immanquablement à la magie, au fétichisme, et aussi au pouvoir exorbitant du clergé puisque ce sont les prêtres qui sont en quelque sorte les servants de l’idole... (entre parenthèses, c’est exactement ce qui se passait en Égypte avec le culte d’Amon).

Le culte des idoles est donc à jamais interdit au peuple qui, le premier, a rencontré le Dieu libérateur. Mieux encore, l’interdiction de fabriquer des idoles fait partie de l’entreprise de libération du peuple de Dieu : pour le dire autrement, cette interdiction signifiait un sens interdit, elle rappelait que l’idolâtrie est une fausse piste, une impasse. La liberté était à ce prix. Car notre liberté authentique exige que nous acceptions cette vérité fondamentale ; alors et alors seulement, nous pouvons entrer avec Dieu dans l’Alliance qu’il nous propose.

LA SOLIDARITÉ DE MOÏSE AVEC SON PEUPLE

Le récit nous présente Dieu en colère et Moïse plaidant pour l’apaiser : Dieu dit à Moïse ‘ton peuple m’a désobéi’ et Moïse supplie ‘Ne te mets pas en colère contre ton peuple’. Évidemment, c’est une façon de parler ! On sait aujourd’hui que Dieu n’est pas sujet à la colère comme n’importe lequel d’entre nous et qu’il n’a pas besoin de paroles d’apaisement pour se calmer. Mais, à l’époque de la sortie d’Égypte, on imaginait encore un Dieu qui ressemble fortement aux hommes avec les mêmes sentiments et les mêmes emportements. Il a fallu des siècles de révélation pour qu’on découvre le vrai visage de Dieu. Au bout du compte, quand la Bible parle de la colère de Dieu, c’est toujours pour exprimer son refus inlassable de nous laisser nous fourvoyer.

Même chose pour le pardon de Dieu : il a fallu des milliers d’années pour que les croyants découvrent que le pardon de Dieu n’est pas conditionné par nos plaidoiries ! La découverte de Dieu est très progressive et ce n’est que très lentement que nos façons de parler de lui évoluent : ce qui est extraordinaire dans ce texte, c’est que déjà le peuple fait l’expérience du pardon de Dieu : un Dieu qui persiste à proposer inlassablement son Alliance après chacune de nos infidélités.

Enfin le peuple gardera toujours en mémoire l’exemple de Moïse : lui, le bénéficiaire des faveurs de Dieu, puisqu’il est le seul à l’avoir rencontré face à face, il ne se désolidarise jamais de son peuple, même quand celui-ci est en faute !
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Compléments

1 - le contexte

Cela se passe pendant l'Exode, c'est-à-dire la marche du peuple hébreu dans le désert après la sortie d'Égypte : une période tellement importante qui a marqué profondément la mémoire du peuple. Il y a d'abord eu la sortie d'Égypte, la libération de l'esclavage égyptien sous la conduite de Moïse, et grâce à la protection miraculeuse de Dieu ; et ce fameux chant de victoire qui a suivi : c'était au chapitre 15 du livre de l'Exode ; et puis, tout de suite après, les premières étapes dans le désert ont été autant d'épreuves non seulement pour l'endurance du peuple, mais surtout pour sa foi : on n'était plus habitué à cette vie nomade et à l'insécurité du désert... le manque d'eau potable, la soif, la faim... à chaque nouvelle épreuve, le peuple se révolte contre Moïse qui les a entraînés dans cette folle aventure, et finalement contre ce Dieu qui a promis sa protection mais qui semble parfois les oublier... Ce Dieu de Moïse est à la fois si proche parfois et si insaisissable.

Et puis, trois mois après la sortie d'Égypte, Dieu a proposé l'Alliance à Moïse et à son peuple : « Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi. Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient ; mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte » (Ex 19,4-6). Et déjà, une première fois, le peuple, unanime, a accepté l’Alliance ; il a répondu : « Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique » (Ex 19,8).

Puis Moïse, sur l’ordre de Dieu, est monté sur la montagne du Sinaï : et le peuple, ébloui et tremblant à la fois, a assisté à une extraordinaire manifestation de Dieu, dans les éclairs, le tonnerre, le feu, la nuée. Quand Moïse est redescendu de la montagne, le peuple a entendu la proclamation des commandements et a solennellement fait Alliance avec Dieu : au pied de la montagne, Moïse a bâti un autel et offert des sacrifices. Et, de nouveau, le peuple s’est engagé : « Toutes ces paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique » (Ex 24,3). Puis Moïse est remonté sur la montagne pour recevoir les tables de la Loi.

L’épisode du veau d’or se situe à ce moment-là : pour la suite, voir plus haut le commentaire § 2.

2 - Je reviens sur l’expression « tête dure » : je n’ai pas eu le temps de l’aborder dans les limites de l’émission ; nous la retrouverons pour la fête de la Trinité (année A). « Tête dure », ce sont les termes de notre traduction liturgique ; mais, en hébreu, l'expression originale est « peuple à la nuque raide » ; au passage d’une langue à l’autre, malheureusement, nous avons perdu la richesse de l'image sous-jacente.

Dans une ci­vi­li­sa­tion es­sen­tiel­le­ment agri­co­le, ce qui était le cas en Is­raël aux temps bibliques, le spec­ta­cle de deux ani­maux at­te­lés par un joug était ha­bi­tuel : nous sa­vons ce qu'est le joug : c'est une piè­ce de bois, très lour­de, très so­li­de, qui at­ta­che deux ani­maux pour la­bou­rer. Le joug pè­se sur leurs nu­ques et les deux ani­maux en vien­nent in­é­vi­ta­ble­ment à mar­cher du mê­me pas.

Les au­teurs bi­bli­ques ont le sens des ima­ges : ils ont ap­pli­qué cet­te ima­ge du joug à l'Alliance en­tre Dieu et Is­raël. Pren­dre le joug était donc sy­no­ny­me de s'attacher à Dieu pour mar­cher à son pas. Mais voi­là, le peu­ple d'Israël se rai­dit sans ces­se sous ce joug de l'Alliance conclue avec Dieu au Si­naï. Au lieu de le consi­dé­rer com­me une fa­veur, il y voit un far­deau. Il se plaint des dif­fi­cul­tés de la vie au dé­sert, et fi­nit mê­me par trou­ver bien fa­de la man­ne quo­ti­dien­ne. Au point que Moïse a connu des jours de dé­cou­ra­ge­ment. Au lieu de se lais­ser en­traî­ner par la for­ce de Dieu, l'attelage de l'Alliance, en ef­fet, est per­pé­tuel­le­ment frei­né par les ré­ti­cen­ces de ce peu­ple à la nu­que rai­de.
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PSAUME 50 (51),3-4,12-13,17.19

3   Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
     selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4   Lave-moi tout entier de ma faute,
     purifie-moi de mon offense.

12 Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
     renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13Ne me chasse pas loin de ta face,
     ne me reprends pas ton esprit saint.          

17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
     et ma bouche annoncera ta louange.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé ;
     tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
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DIEU POURRAIT-IL SE RÉJOUIR DE VOIR NOS CŒURS BRISÉS ?

La dernière phrase de ce psaume peut prêter à d’abominables contresens : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » Dieu pourrait-il se réjouir de voir des cœurs brisés ? Comment concilier cette formule avec d’autres phrases de la Bible ? Par exemple, dans le livre de l’Exode, Dieu se définit lui-même comme le « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Ex 34,6) ; et cette formule, on la retrouve telle quelle dans plusieurs psaumes, par ex. Ps 85/86,15 ; ou encore toutes les affirmations que Dieu est Père et qu’il est amour et pardon... Et ces affirmations, on les trouve dès l’Ancien Testament car on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour découvrir que Dieu est Amour.

Il ne s’agit donc pas d’imaginer que Dieu pourrait trouver une quelconque satisfaction à nous voir souffrir ; penser une chose pareille, c’est lui faire injure : nous qui sommes des parents bien imparfaits, nous ne supportons pas de voir souffrir nos enfants... comment imaginer que le Père par excellence pourrait y prendre plaisir... et si une telle idée nous choque, si j’ose dire, c’est tant mieux !

Et pourtant elle est bien là cette phrase « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » En fait, l’expression « cœur brisé » ne veut pas dire ce que nous croyons : il faut savoir qu’elle n’a pas été inventée par l’auteur du psaume ; on ne peut pas dire exactement quand le psaume 50/51 a été écrit mais il est certain que ses derniers versets au moins ont été écrits très tard, après l’Exil à Babylone : la preuve, c’est qu’ils parlent de la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor et prient pour sa reconstruction, ce qui, évidemment, n’était pas le souci de David ! Voici les derniers versets : « Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem. » Nous sommes donc après le retour de l’Exil à Babylone ; or c’est pendant l’Exil que le prophète Ézéchiel a développé l’expression « cœur de pierre, cœur de chair »… C’est au chapitre 36 d’Ézéchiel : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit neuf ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » (Ez 36,26).

L’auteur de notre psaume reprend l’image d’Ézéchiel : ce qu’il appelle un « cœur brisé », c’est le cœur de chair qui apparaît quand notre cœur de pierre, notre carapace, est enfin brisé : un peu comme la coque dure de l’amande, quand on la casse, laisse apparaître l’amande elle-même qui est bonne. Dans le même sens, Jésus, à son tour, employait l’expression « doux et humble de cœur » : cela se traduit dans notre relation à Dieu et dans notre relation aux autres.

CŒUR DE CHAIR ET NON PLUS CŒUR DE PIERRE

Dans notre relation à Dieu, le cœur de chair, c’est tout le contraire des nuques raides dont parlait Moïse pendant l’Exode (voir supra la première lecture). Dans notre relation aux autres, le cœur brisé, ou le cœur de chair, c’est celui qui est compatissant et miséricordieux, un cœur tendre, aimant.

Si l’image « cœur de pierre, cœur de chair, cœur brisé » est nouvelle au temps d’Ézéchiel, l’affirmation que le sacrifice est avant tout affaire de cœur, elle, ne l’est pas. Car, si la Loi prévoyait bien des sacrifices d’action de grâce, les prophètes étaient depuis bien longtemps passés par là pour critiquer violemment l’attitude un peu facile qui consiste à offrir des sacrifices au Temple sans changer son cœur. C’est Michée qui s’adressait justement à des gens qui cherchaient à plaire à Dieu et se demandaient quelle sorte de sacrifice Dieu préfère, des veaux, des béliers ou encore de l’huile ? « » Comment dois-je me présenter devant le SEIGNEUR ?... Comment m’incliner devant le Très-Haut ? Dois-je me présenter avec de jeunes taureaux pour les offrir en holocaustes ? Prendra-t-il plaisir à recevoir des milliers de béliers, à voir des flots d’huile répandus sur l’autel ? Donnerai-je mon fils aîné pour prix de ma révolte, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? » Rien de tout cela, répondait Michée, dans une phrase superbe : « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu » (Mi 6,6-8).

Visiblement, l’auteur du psaume 50/51 a retenu la leçon des prophètes ; et il la dédie au peuple qui se rend au temple de Jérusalem pour une célébration pénitentielle, et qui, lui aussi, se demande ce qui pourrait plaire à Dieu. Pour célébrer le pardon de Dieu, le peuple se compare au roi David : lui aussi avait péché et pourtant il était le roi, il avait tout reçu de Dieu, il lui devait tout, lui le petit berger de rien du tout, choisi, protégé, comblé par Dieu... Vous vous souvenez de ce qu’on appelle le péché de David : c’est l’histoire de la trop belle Bethsabée que David avait aperçue par la fenêtre ; il l’avait fait venir au palais en l’absence du mari ; un peu plus tard, quand il avait appris que Bethsabée attendait un enfant de lui, David s’était arrangé pour faire tuer sur le champ de bataille le mari gênant, pour pouvoir épouser Bethsabée et reconnaître l’enfant... Après sa faute, David, rappelé à l’ordre par le prophète Nathan, est resté célèbre pour son repentir.

À son tour, le peuple, qui, lui aussi, doit tout à Dieu, se reconnaît pécheur et annonce la miséricorde de Dieu. Et il veut rendre grâce... et c’est là qu’il se demande quelle est la meilleure manière de rendre grâce ; qu’est-ce qui plaît à Dieu ? Le psaume répond : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » La leçon est magnifique et encourageante : plaire à Dieu, au fond, c’est bien facile : il suffit d’aimer.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À TIMOTHÉE  1,12-17

     Bien-aimé,
12 je suis plein de gratitude
     envers celui qui me donne la force,
     le Christ Jésus notre Seigneur,
     car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère,
13 moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent.
     Mais il m’a été fait miséricorde,
     car j’avais agi par ignorance,
     n’ayant pas encore la foi ;
14 la grâce de notre Seigneur a été encore plus abondante,
     avec la foi, et avec l’amour qui est dans le Christ Jésus.
15 Voici une parole digne de foi,
     et qui mérite d’être accueillie sans réserve :
     le Christ Jésus est venu dans le monde
     pour sauver les pécheurs ;
     et moi, je suis le premier des pécheurs.
16 Mais s’il m’a été fait miséricorde,
     c’est afin qu’en moi le premier,
     le Christ Jésus montre toute sa patience,
     pour donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui,
     en vue de la vie éternelle.
17 Au roi des siècles,
     Dieu immortel, invisible et unique,
     honneur et gloire pour les siècles des siècles. Amen.
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IL M’A ÉTÉ FAIT MISÉRICORDE, CAR J’AVAIS AGI PAR IGNORANCE

Ce texte de Paul est, à lui tout seul, une superbe célébration pénitentielle ; rien n’y manque : l’aveu, le repentir, la proclamation de l’amour et du pardon de Dieu, et enfin le départ en mission pour annoncer à la face du monde la miséricorde de Dieu. La première phrase dit bien le sens du texte : « Je suis plein de gratitude » ; et c’est doublement vrai. C’est parce qu’il se reconnaît pécheur pardonné, lui l’ancien persécuteur, qu’il peut accueillir et reconnaître le pardon reçu et qu’il est du coup plein de reconnaissance, d’action de grâce. Et ces quelques lignes débordent littéralement de joie et de reconnaissance : « Il m’a estimé digne de confiance… moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent. » C’est cela l’inouï de l’amour de Dieu : il n’a pas attendu que Paul ait fait ses preuves pour lui confier un ministère. Il lui a fait confiance ; et c’est cette confiance qui a converti Paul et qui désormais le remplit de reconnaissance et d’énergie pour sa mission... « Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force… car il m’a estimé digne de confiance ». Et cet amour et ce pardon que le Christ a prodigués à Paul, nous pouvons être certains qu’il nous les prodigue à nous aussi ; il n’y a pas des traitements différents pour les uns et les autres. Dieu n’est que miséricorde, il ne faut jamais l’oublier : quel que soit notre passé, il est toujours possible d’accueillir son pardon ; à chaque instant il nous fait confiance.

« Il m’a été fait miséricorde, car j’avais agi par ignorance... » : on entend ici en écho la phrase du Christ en croix, « Père, pardonne-leur... ils ne savent pas ce qu’ils font ». Nous devrions toujours penser que ceux qui font le mal le font par ignorance. Pierre dit exactement la même chose aux Juifs de Jérusalem dans les Actes des Apôtres : « Frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs » (Ac 3,17). Paul était d’une parfaite bonne foi quand il persécutait les chrétiens ; il croyait défendre le vrai Dieu, la pureté de la religion juive. Mais sans qu’il s’en aperçoive, il avait fini par se tromper de Dieu. À sa manière, il était devenu à son tour idolâtre, comme les Hébreux, dans le désert, avec leur veau d’or ; il dit lui-même « J’étais blasphémateur », et cette erreur le poussait jusqu’au meurtre, puisque son seul objectif était d’emprisonner et de faire condamner les chrétiens.

Paul est très lucide sur tout cela et d’autant plus émerveillé du pardon reçu ; un pardon accordé gratuitement ; encore une chose très forte dans ces lignes et que l’on retrouve dans l’histoire de David, (dans le psaume 50/51) comme dans celle de l’enfant prodigue (dans l’évangile de Luc), c’est que Dieu n’attend pas notre aveu, notre repentir pour nous pardonner !

AUCUNE NOIRCEUR NE DÉCOURAGE L’AMOUR DE DIEU

Paul sur le chemin de Damas n’avait que haine au cœur pour les chrétiens ; il n’a pas eu le temps de demander pardon qu’il était déjà tout baigné dans la lumière et la grâce du Christ. David a vécu la même expérience : le prophète Nathan venu le trouver après sa faute a commencé par lui renouveler la confiance et la protection et les bienfaits de Dieu avant de lui demander « Alors, pourquoi as-tu fait ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR ? » L’enfant prodigue, quant à lui, n’a pas eu des sentiments bien admirables : c’est seulement la faim qui lui a fait reprendre le chemin de la maison et il n’a même pas eu le temps de réciter en entier sa petite formule toute faite que le Père l’étouffait de baisers et commandait la fête !

L’aveu est utile, pourtant, me direz-vous ; oui, mais non pas pour nous contempler nous ; ce que nous découvre l’aveu, ce n’est pas d’abord notre faiblesse, qui n’est plus à prouver, mais l’immensité de l’amour de Dieu qu’aucune faiblesse, aucune noirceur ne décourage. L’aveu est utile surtout pour nous faire mesurer la grandeur de celui qui nous pardonne (et aussi pour nous éclairer sur les conversions nécessaires) ; ce n’est pas la petitesse du pécheur qui compte, c’est la grandeur de Dieu. D’ailleurs le Rituel du sacrement de pénitence et de réconciliation nous le dit bien : quand il emploie le mot « confesser », il précise : le pénitent confesse d’abord l’amour de Dieu ; et le mot « confesser » veut dire « proclamer ». Donc le pénitent « proclame » d’abord l’amour de Dieu. Et là encore Paul nous donne une leçon : dans cette démarche pénitentielle à laquelle il se livre devant nous, ce n’est pas lui, Paul, qui est au centre, c’est le Christ : le Christ qui lui fait confiance, le Christ qui lui pardonne et lui donne la force, désormais, d’annoncer au monde la générosité de Dieu.

Autre élément très important de l’expérience du croyant, la responsabilité que nous donne le pardon reçu :

« S’il m’a été fait miséricorde, c’est afin qu’en moi le premier, le Christ Jésus montre toute sa patience, pour donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui » ; pour le dire autrement, le pardon reçu ne nous engage qu’à une chose : le faire savoir. C’est une chose qu’il ne faut surtout pas garder secrète, mais qu’il faut crier sur les toits ! Là encore on croit entendre le psaume 50/51 : « SEIGNEUR, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange ! » sous-entendu « annoncera au monde ». Celui qui se reconnaît sauvé devient un témoignage pour le reste du monde : depuis la libération d’Égypte, le peuple libéré est devenu à la face du monde un témoin et une preuve vivante de l’existence de ce Dieu libérateur. De la même manière, Paul, pécheur pardonné, est devenu à la face du monde témoin et preuve vivante du pardon de Dieu accordé à tous les pécheurs : « Voici une parole digne de foi et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs… » Et réellement, ce pardon reçu a ouvert les lèvres de Paul et il annonce au monde la louange de Dieu : précisément, la dernière phrase de ce passage est une pure louange de Dieu : « Au roi des siècles, Dieu immortel, invisible et unique, honneur et gloire pour les siècles des siècles. Amen. »
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N.B. Beaucoup d'exégètes pensent que cette lettre ne serait pas de Paul, et même bien postérieure à sa mort. Cela ne change rien à la leçon : la communauté destinataire est invitée à méditer l'exemple du grand apôtre, le pécheur-pardonné par excellence.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   15, 1-32

     En ce temps-là,
1   les publicains et les pécheurs
     venaient tous à Jésus pour l’écouter.
2   Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui :
     « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs,
     et il mange avec eux ! »
3   Alors Jésus leur dit cette parabole :
4   « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une,
     n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert
     pour aller chercher celle qui est perdue,
     jusqu’à ce qu’il la retrouve ?
5   Quand il l’a retrouvée,
     il la prend sur ses épaules, tout joyeux,
6   et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins
     pour leur dire :
     ‘Réjouissez-vous avec moi,
     car j’ai retrouvé ma brebis,
     celle qui était perdue !’
7   Je vous le dis :
     C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel
     pour un seul pécheur qui se convertit,
     plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
     qui n’ont pas besoin de conversion.
8   Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une,
     ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison,
     et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ?
9   Quand elle l’a retrouvée,
     elle rassemble ses amies et ses voisines
     pour leur dire :
     ‘Réjouissez-vous avec moi,
     car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !’
10 Ainsi je vous le dis :
     Il y a de la joie devant les anges de Dieu
     pour un seul pécheur qui se convertit. »

11 Jésus dit encore :
     « Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père :
     ‘Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.’
     Et le père leur partagea ses biens.
13 Peu de jours après,
     le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait,
     et partit pour un pays lointain
     où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
14 Il avait tout dépensé,
     quand une grande famine survint dans ce pays,
     et il commença à se trouver dans le besoin.
15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays,
     qui l’envoya dans ses champs garder les porcs.
16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre
     avec les gousses que mangeaient les porcs,
     mais personne ne lui donnait rien.
17 Alors il rentra en lui-même et se dit :
     ‘Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance,
     et moi, ici, je meurs de faim !
18 Je me lèverai, j’irai vers mon père,
     et je lui dirai :
     Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
19 Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.
     Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.’
20 Il se leva et s’en alla vers son père.
     Comme il était encore loin,
     son père l’aperçut et fut saisi de compassion ;
     il courut se jeter à son cou
     et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit :
     ‘Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi.
     Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.’
22 Mais le père dit à ses serviteurs :
     ‘Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,
     mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds,
23 allez chercher le veau gras, tuez-le,
     mangeons et festoyons,
24 car mon fils que voilà était mort,
     et il est revenu à la vie ;
     il était perdu,
     et il est retrouvé.’
     Et ils commencèrent à festoyer.

25 Or le fils aîné était aux champs.
     Quand il revint et fut près de la maison,
     il entendit la musique et les danses.
26 Appelant un des serviteurs,
     il s’informa de ce qui se passait.
27 Celui-ci répondit :
     ‘Ton frère est arrivé,
     et ton père a tué le veau gras,
     parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.’
28 Alors le fils aîné se mit en colère,
     et il refusait d’entrer.
     Son père sortit le supplier.
29 Mais il répliqua à son père :
     ‘Il y a tant d’années que je suis à ton service
     sans avoir jamais transgressé tes ordres,
     et jamais tu ne m’as donné un chevreau
     pour festoyer avec mes amis.
30 Mais, quand ton fils que voilà est revenu
     après avoir dévoré ton bien avec des prostituées,
     tu as fait tuer pour lui le veau gras !’
31 Le père répondit :
     ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,
     et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Il fallait festoyer et se réjouir ;
     car ton frère que voilà était mort,
     et il est revenu à la vie ;
     il était perdu,
     et il est retrouvé ! »
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DIEU VEILLE SUR NOUS COMME SUR LA PRUNELLE DE SON ŒIL

« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Dans la bouche des scribes et des Pharisiens, c’est un reproche ; au contraire, pour l’évangéliste et pour nous-mêmes, comme pour Paul dans la lettre à Timothée (notre deuxième lecture), c’est, bien sûr, un sujet d’émerveillement ! Pourquoi ? Parce que nous n’aurions pas l’audace, ni les uns ni les autres, de nous compter parmi les quatre-vingt-dix-neuf justes de la première parabole. Chacun de nous est ce pécheur invité à donner de la joie au ciel par sa conversion. Entendons-nous bien : le mot « conversion » ne signifie pas changement de religion, mais un changement de direction, un véritable demi-tour : nous tournions le dos à Dieu, et nous nous retournons vers lui. Eh bien, nous pouvons nous dire que chaque fois que nous avons pris la décision de faire demi-tour, nous avons donné de la joie au ciel.

La joie est bien la tonalité majeure de ces trois paraboles : la joie de Dieu s’entend. Une fois encore, on est dans la droite ligne de l’Ancien Testament ; là où nous entendions Sophonie parler de « l’exultation» de Dieu : « Le SEIGNEUR ton Dieu est en toi... Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour ; il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête » (So 3,17-18). Pourquoi une telle joie quand nous prenons le chemin de la réconciliation ? Parce que Dieu tient à nous comme à la prunelle de ses yeux. Et l’expression n’est pas trop forte, elle aussi nous vient tout droit de l’Ancien Testament, plus précisément du livre du Deutéronome : « Le SEIGNEUR trouve son peuple au pays du désert... Il l’entoure, il l’élève, il le garde comme la prunelle de son œil » (Dt 32,10).

Il veille, en effet, au point de partir lui-même à la recherche de la brebis perdue, car il sait bien qu’elle ne reviendra pas toute seule ; il veille au point de mettre la maison sens dessus dessous pour retrouver la pièce ; et s’il ne part pas lui-même à la recherche du prodigue, c’est pour respecter sa liberté ; mais il veille, là encore, au point d’attendre sur le pas de la porte l’ingrat qui est parti au loin et de l’accueillir par une fête sans s’interroger sur les véritables sentiments de son fils : car on peut quand même se demander si la contrition du garçon est vraiment parfaite. Et, plus tard, il supplie le fils aîné parce que, pour lui, la fête n’est pas complète s’il en manque un.

Dernière remarque : Jésus fait appel à notre expérience : ‘Lequel d’entre vous n’irait pas chercher sa brebis perdue...?’ Ce qui veut dire que, quelque part, nous lui ressemblons, ce qui n’est pas étonnant. Ne peut-on pas en déduire que chaque fois que nous avons fait la fête pour l’enfant qui revient, chaque fois que nous avons pardonné à l’ami, à l’époux, à l’épouse, (à l’ennemi aussi !), chaque fois que nous avons remué ciel et terre pour essayer d’empêcher quelqu’un de sombrer, physiquement ou moralement, nous avons ressemblé à Dieu ; nous avons été son image : ce qui est, après tout, notre vocation, n’est-il pas vrai ?

N.-B. : la troisième parabole, celle de l'enfant prodigue est proposée pour le quatrième dimanche de Carême, de l’Année C ; on ne trouve donc ici que quelques remarques sur l'ensemble des trois paraboles, puisque, cette fois, elles nous sont proposées en une seule et même lecture.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 11 09 2022, 24e dimanche du temps ordinaire C

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29 août 2022 1 29 /08 /août /2022 00:40
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame (disponible seulement à compter du 3 septembre 2022).

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE   9, 13-18

13 Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ?
     Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?
14 Les réflexions des mortels sont incertaines,
     et nos pensées, instables ;
15 car un corps périssable appesantit notre âme,
     et cette enveloppe d’argile
     alourdit notre esprit aux mille pensées.
16 Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre,
     et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ;
     ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ?
17 Et qui aurait connu ta volonté,
     si tu n’avais pas donné la Sagesse
     et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ?
     C’est ainsi que les sentiers des habitants de la terre
     sont devenus droits ;
18 c’est ainsi que les hommes ont appris ce qui te plaît
     et, par la Sagesse, ont été sauvés.
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QUEL HOMME PEUT DÉCOUVRIR LES INTENTIONS DE DIEU ?

La Sagesse, au sens biblique, c’est la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux, l’art de vivre en quelque sorte. Le peuple d’Israël, comme tous ses voisins, a développé toute une réflexion sur ce sujet, à partir du règne de Salomon, dit-on. Mais l’apport d’Israël, dans ce domaine, est tout à fait original ; il tient en deux points : pour les hommes de la Bible, premièrement, Dieu seul connaît les secrets du bonheur de l’humanité ; et quand l’homme prétend les découvrir par lui-même, il s’engage immanquablement sur des fausses pistes : c’est la leçon du jardin d’Éden. Mais deuxièmement (et très heureusement), Dieu révèle à son peuple d’abord (pour toute l’humanité ensuite) ce secret du bonheur.

C’est exactement le sens du texte que nous lisons ici : premier message, une leçon d’humilité. Isaïe avait déjà dit quelque chose du même genre : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu... Mes chemins ne sont pas vos chemins » (Is 55,8). C’était clair. Le livre de la Sagesse est écrit bien longtemps après le prophète Isaïe, il a un style tout différent, mais il dit la même chose : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ?... Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? » En d’autres termes, par nous-mêmes, il ne faut pas se leurrer, nous sommes à cent lieues d’imaginer ce que Dieu pense... Cela devrait nous rendre modestes : nous croyons facilement que nous avons tout compris et nous risquons de parler avec assurance...  Eh bien non, il faut reconnaître humblement que nous n’avons pas la moindre idée de ce que Dieu pense ! En dehors de ce qu’il nous a dit expressément par la bouche de ses prophètes, bien sûr !

On croit entendre ici comme un écho du livre de Job : « La Sagesse, où la trouver ? L’intelligence, quel est son lieu ? L’homme n’en connaît pas la valeur, elle ne se trouve pas sur la terre des vivants… Dieu en a discerné le chemin ; il a su, lui, où elle était » (Jb 28, 12-13.23). Un peu plus loin, dans ce même livre (chapitres 38 à 41) Dieu rappelle à Job ses limites : à la fin de la démonstration, Job a compris, il s’incline, il avoue : « De fait, j’ai parlé, sans les comprendre, de merveilles hors de ma portée, dont je ne savais rien » (Jb 42,3).

Pour revenir à notre texte du livre de la Sagesse, il est intéressant de constater que cette relativisation des connaissances de l’esprit humain se développe dans le milieu le plus intellectuel qui soit : le livre de la Sagesse a été écrit à Alexandrie qui était certainement à l’époque la capitale de l’intelligence ! Les disciplines scientifiques et philosophiques y étaient très développées et la bibliothèque d’Alexandrie est restée célèbre. C’est à ces grands esprits que l’auteur croyant vient rappeler les limites du savoir humain : « Les réflexions des mortels sont incertaines, et nos pensées instables. »

Petite précision sur le verset 16 : « Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre, et nous trouvons avec effort ce qui est à notre portée ; ce qui est dans les cieux, qui donc l’a découvert ? » À première lecture on croirait que cela veut dire : quand on aura fini de découvrir la terre, on pourra chercher à comprendre ce qui est au ciel ; c’est seulement une question de distance ou de niveau de connaissances. Mais l’auteur du Livre de la Sagesse nous dit en réalité tout autre chose : ce n’est pas seulement une question de niveau de connaissances comme si un jour ou l’autre, on devait atteindre le bon niveau et découvrir les mystères de Dieu au bout de nos raisonnements et de nos recherches. C’est une affaire de nature : nous ne sommes que des hommes, il y a un abîme entre Dieu et nous. De la part de l’auteur inspiré, il y a là une affirmation de ce qu’on appelle la transcendance de Dieu : c’est-à-dire que Dieu est le Tout-Autre.

TU AS DONNÉ LA SAGESSE ET ENVOYÉ D’EN-HAUT TON ESPRIT SAINT

Il faut donc avoir la lucidité de le reconnaître et abandonner nos prétentions orgueilleuses à tout comprendre et tout expliquer : Dieu est le Tout-Autre ; ses pensées ne sont pas nos pensées, comme dit Isaïe, elles sont hors de notre portée ; c’est pourquoi l’on parle de mystères, au sens des secrets de Dieu. Mais précisément, deuxième leçon de ce texte, c’est quand nous reconnaissons notre impuissance que Dieu lui-même nous révèle ce que nous ne découvrons pas tout seuls. Il nous donne son Esprit : « Qui aurait connu ta volonté, si tu n’avais pas donné la Sagesse et envoyé d’en-haut ton Esprit Saint ? » Ce que la lettre aux Éphésiens traduit ainsi : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté... » (Ep 1,9). Pour nous, baptisés, confirmés, ce passage prend un relief particulier ! Les autres lectures de ce dimanche nous diront quels comportements nouveaux nous inspire l’Esprit de Dieu qui nous habite.

Pour le reste, il semble que ce texte développe une conception de l’homme qui n’est pas habituelle dans la Bible ; il décrit l’homme comme un être divisé, composé de deux éléments : un esprit immatériel et une enveloppe matérielle qui le contient : « Un corps périssable appesantit notre âme, et cette enveloppe d’argile alourdit notre esprit aux mille pensées. » Nous ne sommes pas habitués à ce type de langage, apparemment dualiste, dans la Bible qui, habituellement, insiste plutôt sur l’unité de l’être humain. En réalité, si l’auteur du livre de la Sagesse (qui écrit en milieu grec, ne l’oublions pas) utilise un vocabulaire qui ne rebutera pas ses lecteurs grecs, ce n’est pas un dualisme de l’être humain qu’il décrit, mais le combat intérieur qui se livre en chacun de nous et que saint Paul décrit si bien : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas » (Rm 7,19).

En définitive, ce texte apporte sa contribution propre à la grande découverte biblique qui est double : Dieu est à la fois le Tout-Autre ET le Tout Proche. Dieu est le Tout-Autre : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les intentions du Seigneur ? »... En même temps, il se fait le Tout Proche de l’homme : « Tu as donné la Sagesse et envoyé d’en-haut ton Esprit Saint... Ainsi les hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés. »
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PSAUME  89 (90),3-4,5-6,12-13,14.17

3   Tu fais retourner l’homme à la poussière ;
     tu as dit : « Retournez, fils d’Adam ! »
4   À tes yeux, mille ans sont comme hier,
     c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.

5   Tu les as balayés : ce n’est qu’un songe ;
     dès le matin, c’est une herbe changeante :
6   elle fleurit le matin, elle change ;
     le soir, elle est fanée, desséchée.

12 Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :
     que nos cœurs pénètrent la sagesse.
13 Reviens, SEIGNEUR, pourquoi tarder ?
     Ravise-toi par égard pour tes serviteurs.

14 Rassasie-nous de ton amour au matin,
     que nous passions nos jours dans la joie et les chants.
17 Que vienne sur nous la douceur du Seigneur notre Dieu !
     Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains.
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POUR DIEU, MILLE ANS SONT COMME UN JOUR

On ne peut qu’être frappés de l’extraordinaire cohérence entre ce psaume et la première lecture de ce dimanche, qui est un passage du livre de la Sagesse ; le psaume vient nous donner en écho une définition superbe de la sagesse : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours, que nos cœurs pénètrent la sagesse. »

Nous n’avons pas lu la totalité de ce psaume (qui comporte dix-sept versets) mais ceux que nous avons lus nous donnent déjà une bonne idée de l’ambiance générale. En particulier, nous avons ici une formule tout à fait inhabituelle : « Reviens, Seigneur, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs ». Et la phrase qui a été traduite par « pourquoi tarder ? », en hébreu, c’est « jusques à quand ? » Sous-entendu ‘en ce moment, nous sommes malheureux, nous sommes punis pour nos fautes ; pardonne-nous et lève la punition’. C’est une formule typique d’une liturgie pénitentielle. Nous l’avons déjà rencontrée dans le même psaume il y a quelques semaines.

Nous sommes donc dans le cadre d’une cérémonie pénitentielle au temple de Jérusalem. Mais pourquoi le peuple d’Israël demande-t-il pardon ? Les premiers versets nous suggèrent une réponse : « Tu fais retourner l’homme à la poussière ; tu as dit retournez, fils d’Adam ! » Le problème est donc là d’abord, dans la faute d’Adam, c’est-à-dire dans notre condition d’hommes pécheurs. Et tout le psaume médite sur le récit de la faute d’Adam dans le livre de la Genèse. Au commencement Dieu et l’homme étaient face à face : Dieu, créateur, dans son éternité... l’homme, mortel, sa créature, sortie de la poussière, dans sa petitesse...

L’un des premiers versets de notre psaume dit justement « Avant que naissent les montagnes, que tu enfantes la terre et le monde, de toujours à toujours, toi tu es Dieu ». Face à lui, nous, nous ne sommes rien... rien qu’un peu de poussière dans sa main. Et voilà que l’homme s’est pris pour quelque chose... il a osé braver Dieu... il ne lui reste plus qu’à méditer maintenant sur sa véritable condition : « Le nombre de nos années ? Soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux ! Leur plus grand nombre n’est que peine et misère ; elles s’enfuient, nous nous envolons. »

Face à cette petitesse de l’homme il faut réentendre l’affirmation du verset 4 : « À tes yeux, mille ans sont comme hier, c’est un jour qui s’en va, une heure dans la nuit. » Et vous connaissez la reprise que saint Pierre a faite de cette phrase : « Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. » (2 Pi 3,8). Nous voilà remis à notre vraie place, c’est-à-dire toute petite !

Voilà donc pour la prise de conscience ; puis vient la supplication : « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours : que nos cœurs pénètrent la sagesse. Reviens, SEIGNEUR, pourquoi tarder ? Ravise-toi par égard pour tes serviteurs. Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants » (v.12-14).

APPRENDS-NOUS LA VRAIE MESURE DE NOS JOURS

 « Apprends-nous la vraie mesure de nos jours », c’est juste l’inverse du Péché originel : la vraie sagesse, c’est d’être à notre place, toute petite devant Dieu ; le psaume use d’une image qui devrait nous aider à trouver notre juste place : il compare la durée de la vie humaine à celle de l’herbe : « Une herbe changeante, qui fleurit le matin, et qui change, mais le soir, se fane et se dessèche. » Il est bien vrai que notre fragilité, notre précarité devraient nous rendre humbles : et devant un décès inattendu, il nous arrive de dire que nous ne sommes pas grand-chose !

Il ne s’agit pas de s’humilier pour le plaisir, mais d’être lucides tout simplement. Alors nous pourrons être heureux sereinement dans la main de Dieu. « Rassasie-nous de ton amour au matin, que nous passions nos jours dans la joie et les chants » (v.14), ce n’est pas une parole en l’air ! C’est véritablement l’expérience du croyant.

Car, nous avons déjà eu l’occasion de le noter, dans la Bible, la conscience de la petitesse de l’homme n’est jamais humiliante puisqu’on est dans la main de Dieu : c’est une petitesse confiante, filiale. Tellement filiale et assurée de l’amour du Père qu’on peut lui demander en toute confiance : (versets 16-17a) : « Fais connaître ton œuvre à tes serviteurs et ta splendeur à leurs fils. Que vienne sur nous la splendeur du Seigneur notre Dieu. »

La dernière phrase est encore plus audacieuse ! « Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains » : il s’agit peut-être de l’œuvre entreprise avec tant de difficultés au retour de l’Exil, c’est-à-dire la reconstruction du temple de Jérusalem, au milieu d’oppositions de toute sorte. Mais, plus généralement, elle dit bien l’œuvre commune de Dieu et de l’homme dans l’achèvement de la création ; l’homme agit véritablement, il œuvre dans la création, et c’est Dieu qui donne à l’œuvre humaine sa solidité, son efficacité. C’est le commentaire de saint Pierre qui nous permettra le mieux de l’apprécier. Je reprends sa première phrase que je citais tout à l’heure, mais cette fois j’irai plus loin :

Bien-aimés, il est une chose qui ne doit pas vous échapper : pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion… Et dites-vous bien que la longue patience de notre Seigneur, c’est votre salut, comme vous l’a écrit également Paul, notre frère bien-aimé, avec la sagesse qui lui a été donnée » (2 Pi 3,8-9.15). Quand Pierre dit que Dieu fait preuve de patience, il veut dire que Dieu attend notre participation à la construction du royaume ! Alors c’est le cœur plein d’émerveillement que nous pouvons prier : « Consolide pour nous l’ouvrage de nos mains. »
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LECTURE DE LA LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE À PHILÉMON  9b-10.12-17

     Bien-aimé,
9   moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme
     et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus,
10 j’ai quelque chose à te demander pour Onésime,
     mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ.
12 Je te le renvoie,
     lui qui est comme mon cœur.
13 Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi,
     pour qu’il me rende des services en ton nom,
     à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile.
14 Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord,
     pour que tu accomplisses ce qui est bien,
     non par contrainte mais volontiers.
15 S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps,
     c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement,
16 non plus comme un esclave,
     mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé :
     il l’est vraiment pour moi,
     combien plus le sera-t-il pour toi,
     aussi bien humainement que dans le Seigneur.
17 Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi,
     accueille-le comme si c’était moi.
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LA PLAIDOIRIE DE PHILÉMON POUR ONÉSIME

Nous avons lu cet été des extraits de la lettre de Paul aux Colossiens : elle était adressée aux chrétiens de la ville de Colosses en Turquie. Cette fois, nous lisons une lettre adressée à UN Colossien bien précis alors que Paul est en prison, sans qu’on sache exactement où. Ce correspondant est probablement un homme important, dont l’attitude compte aux yeux des autres. Il s’appelle Philémon, il est chrétien. Il a donc le grand privilège de recevoir de Paul une lettre personnelle, pleine de diplomatie, sur un sujet, il faut le dire, très délicat. Ce Philémon avait probablement plusieurs esclaves, l’histoire ne le dit pas ; en tout cas, il en avait un, du nom d’Onésime. Un beau jour, Onésime s’est enfui de chez son maître : ce qui était totalement interdit en droit romain. Un esclave appartenait à son maître comme un objet ; il ne pouvait disposer de lui-même, et la fuite même était sévèrement châtiée.

Au cours de son escapade, Onésime a rencontré Paul, il s’est converti au Christianisme et s’est mis au service de Paul. La situation est très délicate : si Paul garde Onésime auprès de lui, il se fait le complice de son abandon de poste ; normalement, cela ne devrait pas être du goût de Philémon ; si Paul renvoie Onésime à Philémon, les choses risquent d’aller très mal pour l’esclave ; peut-être bien, d’ailleurs, n’est-il pas parti en odeur de sainteté, puisque Paul reconnaît un peu plus loin dans sa lettre que Onésime a peut-être des dettes vis-à-vis de son patron.

Paul a choisi sa position : il renvoie Onésime à son maître, muni d’une lettre de demande de pardon ; il lui reste à convaincre Philémon : il déploie pour cela toutes les richesses de sa persuasion : « Moi, Paul, tel que je suis, un vieil homme et, qui plus est, prisonnier maintenant à cause du Christ Jésus, j’ai quelque chose à te demander »… mais en précisant bien que la décision finale revient à Philémon : « Je te le renvoie (Onésime)… je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom... Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers. »

Paul affirme qu’il ne veut pas forcer la main de Philémon, mais il sait bien ce qu’il veut obtenir : c’est très progressivement qu’il le dévoile ; il commence par demander à Philémon de pardonner la fugue ; puis, plus que le pardon accordé à l’esclave, ce que Paul suggère, c’est une véritable conversion : désormais, puisqu’Onésime est baptisé, il est un frère pour son ancien maître : « S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé. »  Pour finir, Paul va encore plus loin : « Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi. » 

TOUT BAPTISÉ EST D’ABORD UN FRÈRE

On est donc là dans une affaire très personnelle, et pourtant cette toute petite lettre de Paul à Philémon, qui remplit à peine une page, a été conservée au même titre que les autres dans la Bible ; ce qui revient à dire qu’on la reconnaît comme Parole de Dieu, comme Révélation.

On peut se demander pourquoi : si je peux me permettre de risquer une réponse, je dirais trois choses : c’est premièrement, ce que l’Église appelle « l’égale dignité des Baptisés ». Comme le dit Paul dans la lettre aux Galates : « Il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » (Ga 3,28). Autrement dit, il n’y a plus que des Baptisés ; le baptême a fait de nous des frères en Jésus-Christ : et cette union intime en Jésus-Christ supprime toutes les distinctions antérieures. Il y a là un enseignement très fort sur le Baptême : la robe blanche du baptisé est là pour nous rappeler cette transformation intime ; désormais le baptisé n’est pas d’abord noir ou blanc, français ou étranger, patron ou employé, homme ou femme... il est d’abord un frère, un autre membre du Corps du Christ.

Deuxième point fort de cette lettre à Philémon, l’importance du quotidien de nos vies, de nos situations concrètes. Parce que, dans l’histoire d’Onésime, nous sommes presque au niveau du fait divers, on pourrait être tenté de dire : que chacun fasse bien comme il veut. Sur ce point, on pourrait s’interroger sur une phrase qu’on entend souvent : « Chacun fait ce qu’il veut de sa vie ». Je ne suis pas sûre que Jésus la signerait ! Car la lettre de Paul, justement, montre bien que notre manière de mener notre vie fait un tout : on n’est pas chrétien à certaines heures seulement.

Enfin Paul intervient dans un domaine parfaitement régi par la loi pour demander à Philémon de ne pas appliquer à son esclave les peines légales, et tout cela au nom de la charité chrétienne. Il n’empêche que si Philémon punit très sévèrement Onésime, il sera dans son plus parfait bon droit ! Ce qui revient à dire, et c’est là une troisième leçon : on peut être dans son droit et n’être pas selon l’Évangile ! Car nos lois ne sont pas toujours inspirées par l’Évangile ! À l’inverse, on voit dans cette lettre à Philémon que l’Esprit Saint dicte à Paul des comportements tout à fait contraires à la pratique légale de l’esclavage à son époque, mais dictés par la perspective de la création nouvelle.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT LUC   14,25-33

     En ce temps-là,
25 de grandes foules faisaient route avec Jésus ;
     il se retourna et leur dit :
26 « Si quelqu’un vient à moi
     sans me préférer à son père, sa mère, sa femme,
     ses enfants, ses frères et sœurs,
     et même à sa propre vie,
     il ne peut pas être mon disciple.
27 Celui qui ne porte pas sa croix
     pour marcher à ma suite
     ne peut pas être mon disciple.
28 Quel est celui d’entre vous
     qui, voulant bâtir une tour,
     ne commence par s’asseoir
     pour calculer la dépense
     et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ?
29 Car, si jamais il pose les fondations
     et n’est pas capable d’achever,
     tous ceux qui le verront vont se moquer de lui :
30 ‘Voilà un homme qui a commencé à bâtir
     et n’a pas été capable d’achever !’
31 Et quel est le roi
     qui, partant en guerre contre un autre roi,
     ne commence par s’asseoir
     pour voir s’il peut, avec dix mille hommes,
     affronter l’autre qui marche contre lui avec vingt mille ?
32 S’il ne le peut pas,
     il envoie, pendant que l’autre est encore loin,
     une délégation pour demander les conditions de paix.
33 Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas
     à tout ce qui lui appartient
     ne peut pas être mon disciple. »
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LES EXIGENCES DE JÉSUS POUR SES DISCIPLES

Commençons par la phrase de Jésus concernant nos attachements familiaux ; il ne nous dit pas de les compter pour rien désormais : ce serait injustement et inutilement cruel pour ceux qui nous entourent ; et ce serait contraire à tout son enseignement d’amour et tout simplement aux commandements  (« tu honoreras ton père et ta mère ») ; cela veut sans doute dire : ces attachements sont bons, mais ils ne doivent pas être des entraves ; un attachement qui nous empêcherait de suivre le Christ ne serait pas un véritable amour. Désormais, le lien qui nous unit au Christ par le Baptême est plus fort que tout autre lien terrestre. On a vu quelque chose de tout à fait semblable dans la lettre de Paul à Philémon qui est notre deuxième lecture de ce dimanche.

Mais la difficulté de cet évangile est ailleurs : car, à première vue, on ne voit pas très bien le rapport entre les différentes parties ; première phrase de Jésus : « Si quelqu’un vient à moi, sans me préférer à son père, sa mère..., il ne peut pas être mon disciple... »  Ce qui sera repris en écho (en inclusion) dans la dernière phrase : « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » Entre ces deux phrases, deux petites paraboles : celle de l’homme qui veut bâtir une tour, et celle du roi qui part en guerre ; leurs leçons se ressemblent : quand on veut bâtir une tour, il faut commencer par faire ses comptes si on ne veut pas s’embarquer dans une folie ; quant au roi qui envisage une guerre, lui aussi, ferait bien de faire d’abord l’inventaire de ses possibilités : la sagesse consiste à ajuster ses ambitions au niveau de ses moyens ; c’est vrai dans tous les domaines, apparemment. Que d’entreprises avortées parce que lancées trop vite, sans réfléchir ; savoir compter, savoir prévoir, savoir calculer ses risques, c’est la sagesse élémentaire, le secret de la réussite.

On dit « gouverner, c’est prévoir » et ne peut-on penser que l’on devient adulte le jour où, justement, enfin, on a appris à calculer les conséquences de ses actes ?

Mais ceci n’est-il pas contradictoire avec le message des phrases qui encadrent les deux paraboles ? Car elles semblent tenir un langage qui n’a rien de sage et mesuré : première exigence, pour être disciple du Christ, il faut le préférer à tout autre, s’engager corps et âme à sa suite ; pourtant, la sagesse et même la simple justice nous commandent au contraire de respecter les attachements naturels de la famille et de l’entourage... et d’ailleurs, on pourrait bien avoir besoin plus tard, les uns des autres. Deuxième exigence, ensuite, il faut porter résolument sa croix (c’est-à-dire accepter le risque de la persécution) ; troisième exigence enfin, il faut renoncer à tous ses biens. Tout ceci revient à quitter pour lui toutes nos sécurités affectives et matérielles ; est-ce bien prudent ? On est loin apparemment des calculs arithmétiques dont nous parlent les deux paraboles ! 

SA GRÂCE NOUS SUFFIT

Et pourtant, il est bien évident que Jésus ne s’amuse pas à cultiver le paradoxe ; il ne se contredit pas ; à nous de comprendre son message et en quoi les deux petites paraboles éclairent les choix que nous avons à faire pour le suivre. En fait, Jésus dit bien la même chose tout au long de ce passage : il dit « avant de vous lancer (que ce soit à ma suite, ou pour bâtir une tour, ou pour partir en guerre), faites bien vos comptes... seulement voilà, ne vous trompez pas de comptes ! » Celui qui bâtit une tour calcule le prix de revient ; celui qui part en guerre évalue ses forces en hommes et en munitions... celui qui marche à la suite du Christ doit aussi faire ses comptes, mais ce ne sont pas les mêmes ! Il renonce à tout ce qui pourrait l’entraver pour pouvoir mettre au service du Royaume ses richesses de toute sorte, y compris affectives et matérielles. Et, par-dessus tout, il compte sur la puissance de l’Esprit qui ‘continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification’, comme le dit la quatrième prière eucharistique.

On est bien, là aussi, dans une optique de risque calculé ; pour suivre Jésus, il nous dit les risques : savoir tout quitter, accepter l’incompréhension et parfois la persécution, accepter de renoncer à la rentabilité immédiate. Pour être chrétien, le vrai calcul, la vraie sagesse, c’est de ne compter sur aucune de nos sécurités de la terre ; c’est un peu comme s’il nous disait : ‘Acceptez de n’avoir pas de sécurités : ma grâce vous suffit.’ Déjà, la première lecture tirée précisément du livre de la Sagesse nous l’avait bien dit : la sagesse de Dieu n’est pas celle des hommes ; ce qui paraîtrait une folie aux yeux des hommes est la seule sagesse valable aux yeux de Dieu. Avec lui, on est bien toujours dans la logique du grain de blé : il accepte d’être enfoui, mais c’est à ce prix qu’il germe et donne du fruit.

Bienheureux donc ceux qui sauront se désencombrer des fausses précautions… C’est peut-être cela se préparer à passer par la porte étroite dont il était question au vingt-et-unième dimanche (Lc 13,24) ?
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Complément

- Ce que Jésus développe ici, c’est ce qu’on appellerait aujourd’hui le « principe de précaution ». Dans les deux paraboles, c’est évident : « s’asseoir » pour calculer les risques et la dépense relève de la plus élémentaire sagesse.

Dans le troisième cas, celui des disciples, les données du calcul sont toutes différentes. Nous parlions richesses, rapport de forces… Nous savons bien que notre seule richesse est en lui, nos seules forces également. Et même l’évaluation des risques et des enjeux nous échappe : comme dit le livre de la Sagesse : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?  Les réflexions des mortels sont mesquines, et nos pensées, chancelantes ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 04 09 2022, 23e dimanche du temps ordinaire C

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