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23 décembre 2023 6 23 /12 /décembre /2023 00:59
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE 52, 7-10

7   Comme ils sont beaux sur les montagnes,
     les pas du messager,
     celui qui annonce la paix,
     qui porte la bonne nouvelle,
     qui annonce le salut,
     et vient dire à Sion :
     « Il règne, ton Dieu ! »
8   Écoutez la voix des guetteurs :
     ils élèvent la voix,
     tous ensemble ils crient de joie
     car, de leurs propres yeux,
     ils voient le SEIGNEUR qui revient à Sion.
9   Éclatez en cris de joie,
     vous, ruines de Jérusalem,
     car le SEIGNEUR console son peuple,
     il rachète Jérusalem !
10 Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras
     aux yeux de toutes les nations.
     Tous les lointains de la terre
     ont vu le salut de notre Dieu.
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LE SEIGNEUR CONSOLE SON PEUPLE

« Éclatez en cris de joie, ruines de Jérusalem ! » L'expression  « ruines de Jérusalem » nous permet de situer très précisément ce texte d’Isaïe : Jérusalem a été dévastée par les troupes de Nabuchodonosor en 587 av. J.-C. Elles ont commis les horreurs que commettaient toutes les armées victorieuses à l’époque : pillage, destructions, viols, profanations. Des agriculteurs ont été maintenus sur place pour nourrir les occupants ; et ce qui restait d’hommes et de femmes valides ont été emmenés en déportation à Babylone. Cet Exil devait durer cinquante ans, ce qui est considérable ; amplement le temps de se décourager, de croire qu’on ne reverrait jamais le pays.

Et voilà que le prophète annonce le retour ; il a commencé sa prédication par les mots « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Is 40,1). Ici, il reprend exactement le même mot « consoler »  (« le SEIGNEUR console son peuple »), pour dire que Dieu a déjà agi, le retour est pour très bientôt. Et il voit déjà le messager qui ira annoncer la grande nouvelle à Jérusalem et le guetteur qui, du haut des collines de Jérusalem, verra revenir les colonnes de déportés.  

Un messager à pied et un guetteur, voilà deux personnages qu'on a bien du mal à se représenter aujourd'hui ! En ce temps de télécommunications triomphantes (télévision, téléphone portatif, fax...) nous avons un effort d'imagination à faire !

Mais dans le monde antique, il n'y avait pas d'autre moyen qu'un coureur à pied pour annoncer les nouvelles. On connaît le fameux exemple du coureur de Marathon : en 490 av. J.-C., lorsque les Athéniens ont remporté la bataille de Marathon contre les Perses, un coureur s’est précipité à Athènes (qui est à quarante-deux kilomètres de Marathon), pour annoncer la Bonne Nouvelle de la victoire. Il a couru d’un trait les quarante-deux kilomètres et a juste eu le temps de crier victoire avant de s’effondrer. C’est de là que vient notre expression « courir le Marathon ».

À l’époque, lorsque les messagers couraient porter les nouvelles, il y avait dans le même temps des guetteurs postés sur les murailles des villes ou sur les collines alentour pour surveiller l'horizon.

Isaïe imagine le guetteur posté sur le haut des remparts ou sur le mont des oliviers, peut-être, et qui voit déjà voler de colline en colline le messager qui annonce le retour au pays : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut ». Non seulement le peuple est sauvé, mais la ville elle-même va l’être, elle sera rebâtie par ceux qui reviennent. C’est pour cela que les ruines de Jérusalem sont invitées à éclater en cris de joie.

NOTRE MISSION : MESSAGERS QUI ANNONCENT LE SALUT

À l’époque on considérait que les défaites d’un peuple étaient aussi celles de son Dieu. Mais voici que le peuple est délivré, son Dieu a fait preuve de sa puissance, il « a montré la sainteté de son bras » comme dit Isaïe. C’est pour cela que le messager vient dire à la ville sainte : « Il règne, ton Dieu ».

Une fois de plus, Dieu a délivré son peuple comme il l’avait libéré d’Égypte, « à main forte et à bras étendu », comme dit le livre du Deutéronome (Dt 4,34). Et, juste derrière le messager, le guetteur voit déjà le cortège triomphal ; et du haut des remparts, que voit-il ? Qui est en tête du cortège triomphal du retour ? Le Seigneur lui-même !  Le Seigneur revient à Sion. Il marche au milieu de son peuple et désormais, il sera de nouveau là, à Jérusalem, au milieu de son peuple.

Pour dire cette action de Dieu, Isaïe emploie un mot très fort, le mot « racheter ». Dans le langage biblique,  ce mot  « racheter »  signifie  « libérer » : vous connaissez l'institution du « Go'el » : lorsqu'un Israélite a été obligé de se vendre comme esclave ou de vendre sa maison à son créancier pour payer ses dettes, son plus proche parent se présentera au créancier pour libérer son parent débiteur. On dira qu'il « rachète » son parent, qu’il le « revendique »... Bien sûr le créancier ne laissera pas partir son débiteur s’il n’est pas remboursé, mais cet aspect financier n’est pas premier dans l’opération. Ce qui est premier, c’est la libération du débiteur. Isaïe a eu l’audace d’appliquer ce mot de « Go’el » à Dieu : manière de dire à la fois qu’il est le plus proche parent de son peuple et qu’Il le libère.

Autre phrase significative de ce texte et qui traduit une avancée très importante de la pensée juive pendant l’Exil à Babylone : c’est à ce moment-là qu’Israël a découvert l’amour de Dieu pour toute l’humanité et pas seulement pour son peuple. Il a compris que son « élection » est une mission au service du salut de toute l'humanité. C’est ce qui explique la phrase :

« Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » : c’est-à-dire, bientôt, elles reconnaîtront que Dieu est sauveur.  

Pour nous qui relisons ce texte à l’occasion du la fête de Noël, évidemment, cette prédication d’Isaïe prend un sens nouveau ; plus que jamais, nous pouvons dire : « Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » Notre mission, désormais, c’est d’être ces messagers qui annoncent la paix, ces messagers de la bonne nouvelle, qui annoncent le salut, ceux qui viennent dire non seulement à la cité sainte mais au monde entier : « Il est roi, ton Dieu » !
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PSAUME 97 (98), 1-6

1   Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
     car il a fait des merveilles ;
     par son bras très saint, par sa main puissante,
     il s'est assuré la victoire.

2   Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
     et révélé sa justice aux nations ;
3   il s'est rappelé sa fidélité, son amour,
     en faveur de la maison d'Israël.

     La terre tout entière a vu
     la victoire de notre Dieu.
4   Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
     sonnez, chantez, jouez !

5   Jouez pour le SEIGNEUR sur la cithare,
     sur la cithare et tous les instruments ;
6   au son de la trompette et du cor 1,
     acclamez votre roi, le SEIGNEUR !
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LE PEUPLE DE L’ALLIANCE…

 « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu » : c’est le peuple d’Israël qui parle ici et qui dit « notre » Dieu, affichant ainsi la relation tout-à-fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers ; mais Israël a peu à peu compris que sa mission dans le monde est précisément de ne pas garder jalousement pour lui cette relation privilégiée mais d’annoncer l’amour de Dieu pour tous les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance.

Ce psaume dit très bien ce que l’on pourrait appeler « les deux amours de Dieu » : son amour pour son peuple choisi, élu, Israël... ET son amour pour l’humanité tout entière, ce que le psalmiste appelle les « nations » ... Relisons le verset 2 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations » : les « nations », ce sont tous les autres, les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu.  Mais vient aussitôt le verset 3 : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël », ce qui est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ». Derrière cette toute petite phrase, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut  dire : oui, Israël est bien le peuple choisi, le peuple élu ; mais la phrase d’avant, et ce n’est peut-être pas un hasard si elle est placée avant, cette phrase qui parle des nations, rappelle bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné. Comme disait André Chouraqui, « le peuple de l’Alliance est destiné devenir l’instrument de l’Alliance des peuples ».

L’un des grands acquis de la Bible, c’est que Dieu aime toute l’humanité, et pas seulement Israël. Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; si on regarde d’un peu plus près la construction de ces quelques versets, on remarque la disposition en « inclusion » de ces deux  versets 2 et 3 : l’inclusion est un procédé de style qu’on trouve souvent dans la Bible. Une inclusion, c’est un peu comme un encadré, dans un journal ou dans une revue ; bien évidemment le but est de mettre en valeur le texte écrit dans le cadre.

Dans une inclusion, c’est la même chose : le texte central est mis en valeur, « encadré » par deux phrases identiques, une avant, l’autre après... Ici, la phrase centrale, qui parle d’Israël, est encadrée par deux phrases synonymes qui parlent des nations : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations », voilà la première phrase donc, sur les nations ... la deuxième phrase, elle, concerne Israël : « il s’est rappelé sa fidélité, son amour en faveur de la maison d’Israël »... et voici la troisième phrase : « la terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». Le mot « nations » ne figure pas ici, mais il est remplacé par l’expression « la terre tout entière ». La phrase centrale sur ce qu’on appelle «  l’élection d’Israël » est donc encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière et cette construction le manifeste bien.

… AU SERVICE DE L’ALLIANCE DES PEUPLES

Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre.

La première dimension de ce psaume, très importante, c’est donc l’insistance sur ce « les deux amours de Dieu », pour son peuple choisi, d’une part, et pour toute l’humanité, d’autre part. Une deuxième dimension de ce psaume est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu.

Par exemple, on chante au temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR » Mais dire « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire »... « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations »... » La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».

La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Égypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Égypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’a fait sortir d’Égypte à main forte et à bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Égypte. La formule « il a fait des merveilles » (au verset 1 de ce psaume) est aussi un rappel de la libération d’Égypte.

Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !

Désormais les chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment (envers et contre tous les événements apparemment contraires), que le Règne de Dieu, c’est-à-dire de l’amour est déjà commencé.
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Note

1 - Les instruments de musique : c'est par les psaumes, et en particulier le Ps 150 que l'on connaît les instruments de musique de l'époque. Ici déjà, en voici 3 énumérés : cithare, trompette et cor.

Complément : Devant la Crèche, on ne peut pas s’empêcher de penser que, pour l'instant la force divine du bras de Dieu qui libère son peuple repose dans deux petites mains d'enfant.
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LECTURE DE LA LETTRE AUX HÉBREUX  1,1-6

1   À bien des reprises
     et de bien des manières,
     Dieu, dans le passé,
     a parlé à nos pères par les prophètes ;
2   mais à la fin, en ces jours où nous sommes,
     il nous a parlé par son Fils
     qu’il a établi héritier de toutes choses
     et par qui il a créé les mondes.
3   Rayonnement de la gloire de Dieu,
     expression parfaite de son être,
     le Fils, qui porte l’univers
     par sa parole puissante,
     après avoir accompli la purification des péchés,
     s’est assis à la droite de la Majesté divine
     dans les hauteurs des cieux ;
4   et il est devenu bien supérieur aux anges,
     dans la mesure même où il a reçu en héritage
     un nom si différent du leur.
5   En effet, Dieu déclara-t-il jamais à un ange :
     « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? »
     Ou bien encore :
     « Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ? »
6   À l’inverse, au moment d’introduire le Premier-né
     dans le monde à venir,
     il dit :
     « Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. »
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DIEU A PARLÉ À NOS PÈRES PAR LES PROPHÈTES 

 « Dieu a parlé à nos pères par les prophètes » ; à travers cette phrase on devine que les destinataires de la lettre aux Hébreux sont des Juifs devenus chrétiens. L’une des caractéristiques d’Israël, c’est bien cette conviction que Dieu s’est révélé progressivement à ce peuple qu’il a choisi. Parce que Dieu n’est pas à la portée de l’homme, il faut bien qu’il se révèle lui-même. Vous connaissez la fameuse phrase de Paul dans la lettre aux Éphésiens : « Dieu nous dévoile le mystère de sa volonté... » (Ep 1,9). Sous-entendu, nous ne l’aurions pas trouvé tout seuls. Et cette révélation ne pouvait être que progressive, tout comme l’éducation d’un enfant ne se fait pas en un jour. Au contraire, les parents disent à leur enfant progressivement, au fur et à mesure du développement de son intelligence, ce dont il a besoin pour comprendre le monde et la société dans laquelle il vit. C’est exactement comme cela que Moïse explique la pédagogie de Dieu dans le livre du Deutéronome : « Comme un homme éduque son fils, ainsi le SEIGNEUR ton Dieu fait ton éducation. » (Dt 8,5).

Pour cette éducation progressive de son peuple, Dieu a suscité, à chaque époque, des prophètes qui parlaient de sa part, dans des termes qui correspondaient à la mentalité de l'époque. On disait qu'ils  étaient la « bouche de Dieu ». Comme dit l’une des phrases de notre liturgie : « Tu les as formés par les prophètes dans l’espérance du salut. » (Prière Eucharistique N° IV). Parce que Dieu utilise avec son peuple cette pédagogie très progressive, il lui parle « à bien des reprises et de bien des manières » (v.1).

Quand l’auteur de la lettre aux Hébreux prend la plume, ce salut est arrivé : c’est pour cela qu’il coupe l’histoire de l’humanité en deux périodes : avant Jésus-Christ et depuis Jésus-Christ. Avant Jésus-Christ, c’est ce qu’il appelle le passé ; depuis Jésus-Christ, c’est ce qu’il appelle « ces jours où nous sommes », c’est le temps de l’accomplissement. En Jésus-Christ, le monde nouveau est déjà inauguré. Le Christ est en lui-même l’accomplissement du projet de Dieu, ce que nous appelons son « dessein bienveillant ».

Après l’éblouissement et la stupeur de la résurrection du Christ, la conviction des premiers chrétiens s’est forgée peu à peu : oui, Jésus de Nazareth est bien le Messie que le peuple juif attendait, mais il est bien différent de l’idée qu’on s’en était faite à l’avance. L’ensemble du Nouveau Testament médite cette découverte étonnante. Certains attendaient un Messie-roi, d’autres, un Messie-prophète, d’autres, un Messie-prêtre. L’auteur de la lettre aux Hébreux, dans le passage d’aujourd’hui, nous dit : Eh bien, mes frères, Jésus est bien tout cela.

Je vous propose donc une remarque sur chacun de ces trois points : Jésus est le Messie-prophète qu’on attendait, il est le Messie-prêtre, il est le Messie-Roi.

LE CHRIST, PRÊTRE, PROPHÈTE ET ROI

Pour commencer, Il est le Messie - prophète : l’auteur nous dit : « Dieu nous a parlé par son Fils » : Jésus est bien le prophète par excellence ; si les prophètes de l’Ancien Testament étaient la « bouche de Dieu », lui, il est la Parole même de Dieu, la Parole créatrice « par qui Dieu a créé les mondes » (v. 2). Mieux encore, il est le » rayonnement de la gloire de Dieu » (v. 3)1 ; il dira lui-même « qui m’a vu a vu le Père » (il est l’expression parfaite de l’être de Dieu, v. 3).

Ensuite, Il est le Messie - prêtre : c’était le rôle du grand-prêtre d’être l’intermédiaire entre Dieu et le peuple pécheur ; or, en vivant une relation d’amour parfaite avec son Père, une véritable relation filiale, Jésus-Christ restaure l’Alliance entre Dieu et l’humanité. Il est donc le grand-prêtre par excellence, qui accomplit la « purification  des péchés » : cette « purification des péchés », (l’auteur reviendra longuement sur ce thème dans la suite de sa lettre), Jésus l’a opérée en vivant toute sa vie dans une relation parfaitement filiale, comme un parfait dialogue d’amour et « d’obéissance » avec son Père.

Enfin, Il est le Messie - roi : l’auteur lui applique des titres et des prophéties qui concernaient le Messie : on a là l’image du trône royal, « il est assis à la droite de la Majesté divine », et surtout il est appelé « Fils de Dieu » : or c’était le titre qui était conféré au nouveau roi le jour de son sacre. « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré », était l’une des phrases de la cérémonie du sacre (reprise par le psaume 2). Et le prophète Nathan avait annoncé : « Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. » (2 S 7,14). Et, à la différence des rois de la terre, lui, Il est roi sur toute la création, même les Anges : l’auteur nous dit  « il est devenu bien supérieur aux anges, dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si différent du leur. »  (v. 4). Et lorsqu’il dit « Au moment d'introduire le Premier-né dans le monde à venir, il (Dieu) dit : Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu », l’auteur annonce que le Christ est Dieu lui-même ! Puisque Dieu seul a droit à l’adoration des Anges.  

Prêtre, prophète et roi, Jésus l’est donc, c’est pourquoi on peut l’appeler Christ qui veut dire « Messie » ; mais ce texte nous révèle en même temps notre propre grandeur puisque notre vocation est d’être intimement unis à Jésus-Christ, de devenir à notre tour les reflets de la gloire du Père... d’être à notre tour appelés Fils... d’être rois en lui... prêtres en lui... prophètes en lui. Au jour de notre baptême, le prêtre nous a annoncé que, désormais, nous étions membres du Christ, Prêtre, Prophète et Roi.

Et si ce passage nous est proposé dès le jour de Noël, c’est pour que nous sachions déjà déchiffrer le mystère de la crèche à cette profondeur-là. L’enfant qui nous est donné à contempler est porteur de tout ce mystère-là et nous en lui, par lui et avec lui.
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Note sur Hébreux 1,3

Dans l’expression « Rayonnement de la gloire de Dieu », on peut entendre un écho de l’épisode de la Transfiguration de Jésus.

Compléments

On a longtemps cru que la lettre aux Hébreux était de saint Paul. Aujourd’hui, on dit souvent par manière de boutade : « Ce n’est pas une lettre, elle n’est pas de saint Paul, elle ne s’adresse pas aux Hébreux. » Le mot « Hébreux », dans cet écrit, désigne probablement d’anciens Juifs devenus chrétiens. Cela expliquerait ses allusions très fréquentes aux textes bibliques et aux pratiques juives.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT JEAN 1,1-18

1   Au commencement était le Verbe,
     et le Verbe était auprès de Dieu,
     et le Verbe était Dieu.
2   Il était au commencement auprès de Dieu.
3   C’est par lui que tout est venu à l’existence,
     et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
4   En lui était la vie,
     et la vie était la lumière des hommes ;
5   la lumière brille dans les ténèbres,
     et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
6   Il y eut un homme envoyé par Dieu ;
     son nom était Jean.
7   Il est venu comme témoin,
     pour rendre témoignage à la Lumière,
     afin que tous croient par lui.
8   Cet homme n’était pas la Lumière,
     mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
9   Le Verbe était la vraie Lumière,
     qui éclaire tout homme
     en venant dans le monde.
10 Il était dans le monde,
     et le monde était venu par lui à l’existence,
     mais le monde ne l’a pas reconnu.
11 Il est venu chez lui,
     et les siens ne l’ont pas reçu.
12 Mais à tous ceux qui l’ont reçu,
     il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
     eux qui croient en son nom.
13 Ils ne sont pas nés du sang,
     ni d’une volonté charnelle,
     ni d’une volonté d’homme :
     ils sont nés de Dieu.
14 Et le Verbe s’est fait chair,
     il a habité parmi nous,
     et nous avons vu sa gloire,
     la gloire qu’il tient de son Père
     comme Fils unique,
     plein de grâce et de vérité.
15 Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant :
     « C’est de lui que j’ai dit :
     Celui qui vient derrière moi
     est passé devant moi,
     car avant moi il était. »
16 Tous, nous avons eu part à sa plénitude,
     nous avons reçu grâce après grâce ;
17 car la Loi fut donnée par Moïse,
     la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18 Dieu, personne ne l’a jamais vu ;
     le Fils unique, lui qui est Dieu,
     lui qui est dans le sein du Père,
     c’est lui qui l’a fait connaître.
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LA CRÉATION EST LE FRUIT DE L’AMOUR

 « Au commencement » : Jean reprend volontairement le premier mot de la Genèse (« Bereshit ») ; il faut entendre la profondeur de ce mot : ce n'est pas une précision d'ordre chronologique !  Ce qui commence, c'est ce qui commande toute l'histoire humaine, c'est l'origine, le fondement de toutes choses ...

« Au commencement était le VERBE » : tout est mis sous le signe de la Parole, Parole d'Amour, Dialogue... Voilà l'Origine, le commencement de toutes choses... « Et le Verbe était au commencement auprès de Dieu » (v. 2-3) : en grec c'est « pros ton Théon »qui veut dire  littéralement « tourné vers Dieu » ; le Verbe était tourné vers Dieu...  C'est l'attitude du dialogue. Quand on dit « Je t'aime », ou quand on dialogue vraiment avec quelqu'un, on lui fait face ; on est « tourné vers lui » ; quand on lui tourne le dos, qu'on se détourne, le dialogue est rompu ; et il faudra faire demi-tour pour renouer le dialogue.

Ce que saint Jean nous dit ici est capital : la Création tout entière, puisque rien n'a été fait sans le Verbe, (la Création tout entière) est le fruit du dialogue d'amour du Père et du Fils ; et nous, à notre tour, nous sommes créés dans ce dialogue et pour ce dialogue. Nous sommes le fruit d’un dialogue d’amour. Bien sûr, c’est vrai concrètement au niveau de l’acte qui nous a engendrés chacun à la vie. Mais, spirituellement, nous pouvons nous dire que nous sommes le fruit de l’amour de Dieu. La vocation de l'humanité, d'Adam, pour reprendre le mot de la Genèse, c'est de vivre un parfait dialogue d'amour avec le Père.

Mais toute notre histoire humaine, malheureusement, étale le contraire. Le récit de la chute d'Adam et Ève, au deuxième chapitre de la Genèse, nous le dit à sa manière : il montre bien que le dialogue est rompu ; l'homme et la femme se sont méfiés de Dieu, ont soupçonné Dieu d'être mal intentionné à leur égard ; c'est le contraire même du dialogue d'amour ! Nous le savons bien : quand le soupçon traverse nos relations, le dialogue est empoisonné. Et, dans notre vie personnelle, toute l'histoire de notre relation à Dieu pourrait être représentée comme cela : nous sommes tantôt tournés vers lui, tantôt détournés et il nous faut alors faire demi-tour pour qu'il puisse renouer le dialogue... « Demi-tour », c'est exactement le sens du mot « conversion » dans la Bible.

NOTRE AVENIR : ENTRER DANS CE DIALOGUE

Le Christ, lui, vit en perfection ce dialogue sans ombre avec le Père : il vient prendre la tête de l'humanité ; j'ai envie de dire : il est le « OUI » de l'humanité au Père. Il vient vivre ce « OUI » au quotidien ; et alors, par lui, nous sommes réintroduits dans le dialogue primordial : « À tous ceux qui l'ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. ». « Pouvoir devenir enfants de Dieu », c’est retrouver cette relation filiale, confiante, sans ombre. Et le seul but du Christ, c'est que l'humanité tout entière puisse rentrer dans ce dialogue d'amour ; « ceux qui croient en son nom », ce sont ceux qui lui font confiance, qui marchent à sa suite. « Pour que le monde croie » : c'est le souhait ardent de Jésus : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21). Je reprends une phrase de Kierkegaard :  « Le contraire du péché, ce n'est pas la vertu, le contraire du péché, c'est la foi ».

« Croire », c'est faire confiance au Père, savoir en toutes circonstances, quoi qu'il nous arrive, que Dieu est bienveillant, ne jamais soupçonner Dieu, ne jamais douter de l'amour de Dieu pour nous et pour le monde... et du coup, bien sûr, regarder le monde avec ses yeux. 

Regarder le monde avec les yeux de Dieu : « Le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous », cela veut dire qu'il n'y a pas besoin de s'évader du monde pour rencontrer Dieu. C'est dans la  « chair » même, dans la réalité du monde que nous lisons sa Présence. Comme Jean-Baptiste, à notre tour, nous sommes envoyés comme témoins de cette Présence.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 25 12 2023, Nativité du Seigneur B

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22 décembre 2023 5 22 /12 /décembre /2023 22:26
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

PREMIÈRE LECTURE -  Isaïe 9,1-6

9, 1 Le peuple qui marchait dans les ténèbres
       a vu se lever une grande lumière ;
       et sur les habitants du pays de l'ombre,
       une lumière a resplendi.
2     Tu as prodigué la joie,
       tu as fait grandir l'allégresse :
       ils se réjouissent devant toi,
       comme on se réjouit de la moisson,
       comme on exulte au partage du butin.
3     Car le joug qui pesait sur lui,
       La barre qui meurtrissait son épaule,
       le bâton du tyran,
       tu les as brisés
       comme au jour de Madiane.
4     Et les bottes qui frappaient le sol,
       et les manteaux couverts de sang,
       les voilà tous brûlés :
       le feu les a dévorés.
5     Oui, un enfant nous est né,
       un fils nous a été donné !
       Sur son épaule est le signe du pouvoir ;
       son nom est proclamé :
       « Conseiller-merveilleux, Dieu-fort,
       Père-à-jamais, Prince-de la Paix. »
6     Et le pouvoir s’étendra,
       et la paix sera sans fin
       pour le trône de David et pour son règne
       qu’il établira, qu’il affermira
       sur le droit et la justice
       dès maintenant et pour toujours.
       Il fera cela,
       l’amour jaloux du SEIGNEUR de l’univers.
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DANS UN CONTEXTE HISTORIQUE MALHEUREUX…

Pour comprendre le message de ce texte, il faut lire le verset précédent dans le livre d’Isaïe : « Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain et la Galilée des nations. » Cela ne nous permet pas de dater ces paroles du prophète : le texte a-t-il été écrit à l’époque même des événements dont il parle ? Ou beaucoup plus tard ? En revanche, on sait très bien deux choses : 1) à quelle situation politique il fait référence (même si, peut-être, il a été écrit longtemps après)... 2) le sens même de cette parole prophétique, c’est-à-dire « qui vient de Dieu » : comme toute parole prophétique, elle s’applique à raviver l’espérance du peuple.

À l’époque dont il est question, le royaume d’Israël est divisé en deux : vous vous souvenez que David puis Salomon ont été rois de tout le peuple d’Israël ; mais, dès la mort de Salomon, en 933 av.J.C., l’unité a été rompue, (on parle du schisme d’Israël) ;  et il y a eu deux royaumes bien distincts et même parfois en guerre l’un contre l’autre : au Nord, il s’appelle Israël, c’est lui qui porte le nom du peuple élu ; sa capitale est Samarie ; au Sud, il s’appelle Juda, et sa capitale est Jérusalem. C’est lui qui est véritablement le royaume légitime : car c’est la descendance de David sur le trône de Jérusalem qui est porteuse des promesses de Dieu.

Isaïe prêche dans le royaume du Sud, mais, curieusement, tous les lieux qui sont cités ici appartiennent au royaume du Nord : Zabulon, Nephtali, la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, la Galilée, Madiane, ce sont six noms de lieux qui sont au Nord ; Zabulon et Nephtali : ce sont deux des douze tribus d’Israël ; et leur territoire correspond à la Galilée, à l’Ouest du lac de Tibériade ; on est bien au Nord du pays. La route de la mer, comme son nom l’indique, c’est la plaine côtière à l’Ouest de la Galilée ; enfin, ce qu’Isaïe appelle le pays au-delà du Jourdain, c’est la Transjordanie.

Ces précisions géographiques permettent d’émettre des hypothèses sur les événements historiques auxquels Isaïe fait allusion ; car ces trois régions, la Galilée, la Transjordanie et la plaine côtière, ont eu un sort particulier pendant une toute petite tranche d’histoire, entre 732 et 721 av.J.C. On sait qu’à cette époque-là la puissance montante dans la région est l’empire assyrien dont la capitale est Ninive. Or ces trois régions-là ont été les premières annexées par le roi d’Assyrie, Tiglath-Pilézer III, en 732. Puis, en 721, c’est la totalité du royaume de Samarie qui a été annexée (y compris la ville même de Samarie), avant que l’empereur de Babylone ne prenne à son tour le contrôle de la région. 

…UNE ANNONCE DE SALUT

C’est donc très certainement à cette tranche d’histoire qu’Isaïe fait référence. Certains pensent même que l’expression  « Le peuple qui marchait dans les ténèbres » est une allusion aux colonnes des déportés : humiliés, parfois les yeux crevés par le vainqueur, ils étaient physiquement et moralement dans les ténèbres ! C’est à ces trois régions précisément qu’Isaïe promet un renversement radical de situation : « Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zabulon et le pays de Nephtali ; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations ».

Il reste qu’Isaïe prêche à Jérusalem ; et on peut évidemment se demander en quoi ce genre de promesses au sujet du royaume du Nord peut intéresser le royaume du Sud. On peut répondre que le royaume du Sud n’est pas indifférent à ce qui se passe au Nord, au moins pour deux raisons : d’abord, étant donné leur proximité géographique, les menaces qui pèsent sur l’un, pèseront tôt ou tard sur l’autre : quand l’empire assyrien prend possession du Nord, le Sud a tout à craindre. D’autre part, le royaume du Sud interprète le schisme comme un déchirure dans une robe qui aurait dû rester sans couture : il espère toujours une réunification, sous sa houlette, bien sûr.

…GRÂCE À L’AVÈNEMENT D’UN NOUVEAU ROI

Or, justement, ces promesses de relèvement du royaume du Nord résonnent à ce niveau : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre une lumière a resplendi », voilà deux phrases qui faisaient partie du rituel du sacre de chaque nouveau roi. Traditionnellement, l’avènement d’un nouveau roi est comparé à un lever de soleil, car on compte bien qu’il rétablira la grandeur de la dynastie.

C’est donc d’un sacre royal qu’il est question. Et ce nouveau roi assurera à la fois la sécurité du royaume du Sud et la réunification des deux royaumes. Et effectivement, un peu plus bas, Isaïe l’exprime en toutes lettres : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! »... et l’un de ses noms de sacre est  « Prince de la paix » ; le sens de la prophétie est clair : ce qui est sûr, aux yeux d’Isaïe, c’est que Dieu ne laissera pas indéfiniment son peuple en esclavage. Pourquoi cette assurance qui défie toutes les évidences de la réalité ? Simplement parce que Dieu ne peut pas se renier lui-même, comme dira plus tard saint Paul : Dieu veut libérer son peuple contre toutes les servitudes de toute sorte. Cela, c’est la certitude de la foi.

Cette certitude s’appuie sur la mémoire de l’œuvre du Seigneur en faveur de son peuple ; Moïse, déjà, répétait au peuple d’Israël « garde-toi d’oublier » (sous-entendu les interventions de Dieu pour te libérer), car si nous perdons cette mémoire-là, c’est nous qui sommes perdus ; rappelez-vous encore le même Isaïe disant au roi Achaz : « Si vous ne croyez pas, vous ne pourrez pas tenir » (Is 7,9) ; à chaque époque d’épreuve, de ténèbres, la certitude du prophète que Dieu ne manquera pas à ses promesses lui dicte une prophétie de victoire.

 Une victoire qui sera « Comme au jour de Madiane » : une fameuse victoire de Gédéon sur les Madianites était restée célèbre : en pleine nuit, une poignée d’hommes, armés seulement de lumières, de trompettes et surtout de leur foi en Dieu avait mis en déroute le camp des Madianites (Jg 7).

Le message d’Isaïe, c’est : « Ne crains pas. Dieu n’abandonnera jamais la dynastie de David ». On pourrait traduire pour aujourd’hui :  ne crains pas, petit troupeau : c’est la nuit qu’il faut croire à la lumière. Quelles que soient les ténèbres qui recouvrent le monde et la vie des hommes, et aussi la vie de nos communautés, réveillons notre espérance : Dieu n’abandonne pas son projet d’amour sur l’humanité.
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Complément

Il faut savoir qu’au moment où Isaïe formule ces promesses, Achaz, le jeune roi de Jérusalem vient de sacrifier son fils, l’héritier du trône, à une idole, parce qu’il avait peur de la guerre. Ce faisant, il enlevait toute chance à la dynastie royale. Mais c’est sans compter sur la fidélité de Dieu que rien ne peut décourager. La promesse d’un nouvel héritier vient restaurer la descendance de David.
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PSAUME  95 (96)

1   Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
     chantez au SEIGNEUR, terre entière,
2   chantez au SEIGNEUR et bénissez son nom !

     De jour en jour proclamez son salut,
3   racontez à tous les peuples sa gloire,
     à toutes les nations, ses merveilles !

4   Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué,
     redoutable au-dessus de tous les dieux :
5   néant tous les dieux des nations !

     Lui, le SEIGNEUR, a fait les cieux :
6   devant lui, splendeur et majesté,
     dans son sanctuaire, puissance et beauté.

7   Rendez au SEIGNEUR, familles des peuples,
     rendez au SEIGNEUR la gloire et la puissance,
8   rendez au SEIGNEUR la gloire de son nom.

     Apportez votre offrande, entrez dans ses parvis,
9   adorez le SEIGNEUR, éblouissant de sainteté :
     tremblez devant lui, terre entière.

10 Allez dire aux nations : « Le SEIGNEUR est roi ! »
     le monde, inébranlable, tient bon.
     Il gouverne les peuples avec droiture.

11 Joie au ciel ! Exulte la terre !
     Les masses de la mer mugissent,
12 la campagne tout entière est en fête.

     Les arbres des forêts dansent de joie
13 devant la face du SEIGNEUR, car il vient,
     car il vient pour juger la terre.

     Il jugera le monde avec justice,
     et les peuples selon sa vérité !
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DANS L’ATTENTE DU JOUR OÙ L’HUMANITÉ RECONNAÎTRA SON SEIGNEUR

C’est trop dommage de ne lire que quelques versets de ce merveilleux psaume 95/96 (la lecture liturgique ne nous en offre que sept) ; nous l’avons donc transcrit  en entier. Une espèce de frémissement, d’exaltation court sous tous ces versets. Pourquoi est-on tout vibrants ? Alors que, pourtant, on chante ce psaume dans le Temple de Jérusalem dans une période qui n’a rien d’exaltant ! Mais c’est la foi qui fait vibrer ce peuple, ou plutôt c’est l’espérance... qui est la joie de la foi... l’espérance qui permet d’affirmer avec certitude ce qu’on ne possède pas encore.

Car on est en pleine anticipation : le psaume nous transporte déjà à la fin du monde, en ce jour béni où tous les peuples sans exception reconnaîtront Dieu comme le seul Dieu. Le jour, où enfin l’humanité tout entière aura mis sa confiance en lui seul. Imaginons un peu cette scène que nous décrit le psaume : nous sommes à  Jérusalem... et plus précisément dans le Temple ; tous les peuples, toutes les nations, toutes les races se pressent aux abords du Temple, l’esplanade grouille de monde, les marches du parvis du Temple sont noires de monde, la ville de Jérusalem n’y suffit pas... aussi loin que porte le regard, les foules affluent... il en vient de partout, il en vient du bout du monde. Et toute cette foule immense chante à pleine gorge, c’est une symphonie ; que chantent-ils ? « Dieu règne ! » C’est une clameur immense, superbe, gigantesque... Une clameur qui ressemble à l’ovation qu’on faisait à chaque nouveau roi le jour de son sacre, mais cette fois, ce n’est pas le peuple d’Israël qui acclame un roi de la terre, c’est l’humanité tout entière qui acclame le roi du monde : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, redoutable » (toutes ces expressions sont empruntées au vocabulaire de cour »).

En fait, c’est beaucoup plus encore que l’humanité : la terre elle-même en tremble. Et voilà que les mers aussi entrent dans la symphonie : on dirait qu’elles mugissent. Et les campagnes entrent dans la fête, les arbres dansent. A-t-on déjà vu des arbres danser ? Et bien oui, ce jour-là ils dansent ! Bien sûr, si on y réfléchit, c’est normal ! Les mers sont moins bêtes que les hommes ! Elles, elles savent qui les a faites, qui est leur créateur ! Elles mugissent pour Lui, elles l’acclament à leur manière. Les arbres des forêts, eux aussi, sont moins bêtes que les hommes : ils  savent reconnaître leur créateur : parmi des tas d’idoles, de faux dieux, pas d’erreur possible, les arbres ne s’y laissent pas prendre.

PROCLAMER LA BONNE NOUVELLE SUR TOUS LES TOITS

Les hommes, eux, se sont laissé berner longtemps... Il suffit de se rappeler le combat des prophètes contre l’idolâtrie au long des siècles ! On entend ici cette même pointe contre l’idolâtrie « néant les dieux des nations ». Il est incroyable que les hommes aient mis si longtemps à reconnaître leur Créateur, leur Père... qu’il ait fallu leur redire cent fois cette évidence que le Seigneur est « redoutable au-dessus de tous les dieux » ; que « c’est LUI, le SEIGNEUR, (sous-entendu « et personne d’autre ») qui a fait les cieux ».

Mais cette fois c’est arrivé ! Et on vient à Jérusalem pour acclamer Dieu parce qu’enfin on a entendu la bonne nouvelle ; et si on a pu l’entendre c’est parce qu’elle était clamée à nos oreilles depuis des siècles ! Oui, « de jour en jour, Israël avait proclamé son salut »... de jour en jour Israël avait raconté l’œuvre de Dieu, ses merveilles, traduisez son œuvre incessante de libération... de jour en jour Israël avait témoigné que Dieu l’avait libéré de l’Égypte d’abord, puis de toutes les sortes d’esclavage : et le plus terrible des esclavages, c’est de se tromper de Dieu, c’est de mettre sa confiance dans de fausses valeurs, des faux dieux qui ne peuvent que décevoir, des idoles...

Israël a cette chance immense, cet honneur inouï, ce bonheur de savoir et d’être chargé de dire que le SEIGNEUR notre Dieu, l’Éternel  est le seul Dieu, est le Dieu UN ; comme le dit la profession de foi juive, le « shema Israël » : « Écoute Israël, le SEIGNEUR ton Dieu est le SEIGNEUR UN ». C’est le mystère de la vocation d’Israël dont on n’a pas fini de s’émerveiller ; comme le dit le livre du Deutéronome : « À toi, il t’a été donné de voir, pour que tu saches que c’est le SEIGNEUR qui est Dieu : il n’y en a pas d’autre que lui. » Mais le peuple choisi n’a jamais oublié que s’il lui a été donné de voir, c’est pour qu’il le fasse savoir.

Et alors, enfin, la bonne nouvelle a été entendue jusqu’aux extrémités de la terre... et tous se pressent pour entrer dans la Maison de leur Père. Nous sommes là en pleine anticipation ! En attendant que ce rêve se réalise, le peuple d’Israël fait retentir ce psaume pour renouveler sa foi et son espérance, pour puiser la force de faire entendre la bonne nouvelle dont il est chargé.
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DEUXIÈME  LECTURE - Lettre de Paul à Tite  2, 11-14  (3, 4-7 pour la Messe de l'Aurore de Noël)

       Bien-aimé,
2, 11    la grâce de Dieu s'est manifestée
       pour le salut de tous les hommes.
12   C'est elle qui nous apprend à renoncer à l’impiété
       et aux convoitises de ce monde,
       et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable,
       avec justice et piété,
13   attendant que se réalise la bienheureuse espérance :
       la manifestation de la gloire
       de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ.
14   Car il s'est donné pour nous
       afin de nous racheter de toutes nos fautes,
       et de nous purifier
       pour faire de nous son peuple,
       un peuple ardent à faire le bien.

       Bien-aimé,
3, 4 lorsque Dieu, notre Sauveur,
       a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes ;
5     il nous a sauvés,
       non pas à cause de la justice de nos propres actes,
       mais par sa miséricorde.
       Par le bain du baptême, il nous a fait renaître
       et nous a renouvelés dans l'Esprit Saint.
6     Cet Esprit, Dieu l'a répandu sur nous en abondance,
       par Jésus-Christ notre Sauveur,
7     afin que, rendus justes par sa grâce,
       nous devenions en espérance
       héritiers de la vie éternelle.
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PLONGÉS DANS LA GRÂCE DE DIEU PAR LE BAPTÊME

Les Crétois avaient très mauvaise réputation au temps de Paul ; c’est un poète local, Épiménide de Cnossos, au sixième siècle av. J.-C. qui les traitait de « Crétois, perpétuels menteurs, bêtes méchantes, panses malfaisantes ». Et Paul, en le citant, le confirme en disant : « Ce témoignage est vrai » ! C’est pourtant de ces Crétois pleins de défauts que Paul a essayé de faire des chrétiens. Apparemment, il a eu fort à faire. Puis il a laissé à Tite, resté sur place, la mission d’organiser la communauté chrétienne toute neuve.1

Cette lettre à Tite contient donc les conseils du fondateur de la communauté à celui qui en est désormais le responsable. Vous savez que, pour des raisons de style, de vocabulaire et même de vraisemblance chronologique, beaucoup de ceux qui connaissent bien les épîtres pauliniennes pensent que cette lettre à Tite (comme les deux lettres à Timothée, d’ailleurs) aurait été écrite seulement à la fin du premier siècle, c’est-à-dire trente ans environ après la mort de Paul, mais dans la fidélité à sa pensée et pour appuyer son œuvre.

Dans l’incapacité de trancher, nous continuerons à parler de Paul comme s’il était l’auteur, puisque c’est le contenu de la lettre qui nous intéresse. Quelle que soit l’époque à laquelle cette lettre a été rédigée, il faut croire que les difficultés des Crétois persistaient ! À propos de contenu, cette lettre à Tite est particulièrement courte, trois pages seulement et nous lisons ici la fin du chapitre 2 (le début du chapitre 3 est en outre proposé à Noël pour la Messe de l’Aurore et l’ensemble de ces deux textes pour la Fête du Baptême du Seigneur, année C). Tout ce qui précède et ce qui suit cet ensemble consiste en recommandations extrêmement concrètes à l’intention des membres de la communauté, vieux et jeunes, hommes et femmes, maîtres et esclaves. Les responsables ne sont pas oubliés et si Paul insiste sur l’irréprochabilité qu’on doit exiger d’eux, il faut croire que cela n’allait pas de soi ! « Il faut que l’épiscope soit irréprochable en sa qualité d’intendant de Dieu : ni arrogant, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains honteux. Il doit être hospitalier, ami du bien, pondéré, juste, saint, maître de soi, fermement attaché à la Parole... » Une telle avalanche de conseils donne une idée des progrès qui restaient à faire : en général un bon pédagogue ne se hasarde pas à donner des conseils superflus...

LES BAPTISÉS COLLABORENT À L’ŒUVRE DE DIEU

Ce qui est très intéressant pour nous, c’est l’articulation entre tous ces conseils d’ordre moral et le passage qui nous intéresse aujourd’hui et qui est au contraire un exposé théologique sur le mystère de la foi ; mais justement, pour Paul, l’un découle de l’autre ; c’est notre Baptême qui fait de nous des hommes nouveaux. Paul vient de donner toute sa série de conseils et il les justifie par la seule raison que « la grâce de Dieu s’est manifestée », comme il dit. D’ailleurs, pour qui a la curiosité d’aller vérifier dans sa Bible, on s’aperçoit que la lecture du Missel omet un mot très important. Dans la Bible, notre texte commence en réalité par le mot « CAR ». Ce qui donne : (Comportez-vous bien) « Car la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. »

Cela veut dire que la morale chrétienne s’enracine dans l’événement qui est la charnière de l’histoire du monde : la naissance du Christ. Quand Paul dit « la grâce de Dieu s’est manifestée », il faut traduire « Dieu s’est fait homme ». Et désormais, c’est notre manière d’être hommes qui est transformée : « Par le bain du Baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » (3,5). Désormais la face du monde est changée, et donc aussi notre comportement. Encore faut-il nous prêter à cette transformation. Et le monde attend de nous ce témoignage. Il ne s’agit pas de mérites à acquérir (« il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. »), mais de témoignage à porter. Le mystère de l’Incarnation va jusque-là. Dieu veut le salut de toute l’humanité, pas seulement le nôtre ! « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes. » Mais il attend notre collaboration pour cela.

 C’est donc la transformation de l’humanité tout entière qui est au programme, si l’on peut dire ; car le projet de Dieu, prévu de toute éternité, c’est de nous réunir tous autour de Jésus-Christ. Tellement serrés autour de lui que nous ne ferons qu’un avec lui. Réunir, c’est-à-dire surmonter nos divisions, nos rivalités, nos haines, pour faire de nous un seul homme ! Il y a encore du chemin à faire, c’est vrai ; tellement de chemin que les incroyants disent que « c’est une utopie » ; mais les croyants affirment « puisque c’est une promesse de Dieu, c’est une certitude ! » Paul dit bien : « attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. » le mot « attendant » veut bien dire « c’est certain, tôt ou tard, cela viendra. »

Au passage, nous reconnaissons là une phrase que le prêtre prononce à chaque Eucharistie, après le Notre Père : « Nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur ». Ce n’est pas une manière de nous voiler la face sur les lenteurs de cette transformation du monde, c’est un acte de foi : nous osons affirmer que l’amour du Christ aura le dernier mot.

Cette certitude, cette attente sont le moteur de toute liturgie : au cours de la célébration, les chrétiens ne sont pas des gens tournés vers le passé mais déjà un seul homme debout tourné vers l’avenir. Quand viendra la fin du monde, le journaliste de service écrira : « Et ils se levèrent comme un seul homme. Et cet homme avait pour nom Jésus-Christ ».
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Note

Quand a été fondée la communauté chrétienne en Crète ? Il y a deux hypothèses : soit au cours du transfert de Paul à Rome (Ac 27), soit au cours d’un ultime voyage.

Concernant le premier transfert à Rome, d’après les Actes des Apôtres, le bateau qui transportait Paul prisonnier en attente d’un jugement à Rome a fait escale dans un endroit appelé « Beaux Ports » au sud de l’île.

Mais Luc ne parle pas de la naissance d’une communauté à cette occasion, et Tite ne faisait pas partie du voyage. On sait qu’après de nombreuses péripéties, ce voyage s’est terminé comme prévu à Rome où Paul a été emprisonné pendant deux ans dans des conditions très libérales : on pourrait parler plutôt de « résidence surveillée ».

Concernant la deuxième hypothèse, on suppose que cette première captivité romaine s’est soldée par une remise en liberté. Paul aurait alors entrepris un quatrième voyage missionnaire, et c’est au cours de ce dernier voyage qu’il aurait évangélisé la Crète.
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ÉVANGILE : Luc 2,1-14

1   En ces jours-là,
     parut un édit de l'empereur Auguste,
     ordonnant de recenser toute la terre.
2   - Ce premier recensement eut lieu
     lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie.-
3   Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d'origine.
4   Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth,
     vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem.
     Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
5   Il venait se faire recenser avec Marie,
     qui lui avait été accordée en mariage
     et qui était enceinte.
6   Or, pendant qu'ils étaient là,
     le temps où elle devait enfanter fut accompli.
7   Et elle mit au monde son fils premier-né ;
     elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire,
     car il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
8   Dans la même région, il y avait des bergers
     qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs
     pour garder leurs troupeaux.
9   L'ange du Seigneur se présenta devant eux,
     et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière.
     Ils furent saisis d'une grande crainte.
10 Alors l'ange leur dit :
     « Ne craignez pas,
     car voici que je vous annonce une bonne nouvelle,
     qui sera une grande joie pour tout le peuple :
11 Aujourd'hui, dans la ville de David,
     vous est né un Sauveur,
     qui est le Christ, le Seigneur.
12 Et voici le signe qui vous est donné :
     vous trouverez un nouveau-né
     emmailloté et couché dans une mangeoire. »
13 Et soudain, il y eut avec l'ange une troupe céleste innombrable,
     qui louait Dieu en disant :
14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux,
     et paix sur la terre aux hommes, qu'Il aime. »
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DIEU A TELLEMENT AIMÉ LE MONDE QU’IL A DONNÉ SON FILS UNIQUE 

Lorsque le prophète Isaïe annonçait des temps meilleurs au roi Achaz, grâce à la naissance d’un futur roi, il lui disait « Il fera cela, l’amour jaloux du SEIGNEUR de l’univers. » (Is 9,6). Cette phrase résonne en filigrane de tout l’évangile de Luc sur la naissance de Jésus.

Car la nuit de Bethléem résonne d’une merveilleuse annonce : « Paix aux hommes que Dieu aime. » Encore faut-il ne pas l’entendre de travers : le texte ne signifie pas qu’il y a ceux que Dieu aime et les autres ! Il faut évidemment traduire : « Paix aux hommes parce que Dieu les aime. » Tout le projet de Dieu est dit là, une fois de plus. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3,16). Alors, bien sûr, nous n’avons rien à craindre : « Ne craignez pas », disent les anges aux bergers : que peut-on craindre d’un tout petit ? Et si Dieu, tout simplement, avait imaginé de naître sous les traits d’un nourrisson pour que nous quittions à tout jamais nos craintes spontanées à son égard ?

Comme Isaïe, l’Ange annonce la naissance d’un roi : « Aujourd'hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. » Autrement dit, celui que tout le peuple attendait depuis des siècles, est enfin né. Car tout le monde avait en tête la prophétie de Nathan au roi David (2 S 7, voir au quatrième dimanche de l’Avent de l’Année A) : « Le SEIGNEUR t’annonce qu’il te fera lui-même une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté. » (2 S 7,11-12).

D’où l’importance des précisions données par Luc sur les origines du père de l’enfant : « Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. » On savait aussi, à cause de la prophétie de Michée, que le Messie naîtrait à Bethléem : « Et toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël… Il se dressera et il sera leur berger par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du nom du SEIGNEUR, son Dieu… et lui-même, il sera la paix ! » (Mi 5, 1... 4).

L’HÉRITIER DE TOUTES CHOSES NAÎT PARMI LES PAUVRES

C’est donc bien une « bonne nouvelle, une grande joie » qu’annoncent les Anges aux bergers, et l’on comprend que les armées célestes chantent la gloire de Dieu. Mais le plus surprenant, ici, est le contraste entre la grandeur du destin promis au Messie et la petitesse de cet enfant né dans les circonstances les plus modestes. Pour l’instant, « la force du bras de Dieu »* qui libère son peuple, dont parle le psaume 88/89, repose dans deux petites mains d’enfant dans une famille pauvre, parmi tant d’autres ! Et c’est bien cela le plus étrange, peut-être : il n’y a rien de remarquable dans la pauvreté tout-à-fait ordinaire de la crèche ; mais justement, le signe de Dieu est là : c’est dans la banalité quotidienne, voire la pauvreté, que nous le rencontrons. C’est justement cela le mystère de l’Incarnation.

Celui que la lettre aux Hébreux appelle  « l’héritier de toutes choses » (He 1,2) naît parmi les pauvres ; celui que saint Jean appelle « la lumière du monde » est né dans la pénombre d’une étable ; et celui qui est la Parole de Dieu créant le monde a dû être mis au monde comme toute créature et devra, comme tout un chacun, apprendre à parler. Pas étonnant que « les siens ne l’aient pas reconnu » ! Pas étonnant non plus que ce soient les pauvres et les petits qui aient le plus volontiers accueilli son message. Le « Miséricordieux », celui qui est attiré par toute pauvreté a tant pitié de la nôtre qu’en nous invitant à nous pencher sur ce berceau, il nous indique le meilleur moyen de lui ressembler. Ainsi nous est donné le pouvoir de « devenir enfants de Dieu » (Jn 1,12).
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Note

*Ps 88/89,11

Compléments

- « Premier-né » : en langage biblique, cela ne signifie pas qu’il y a eu d’autres enfants après, cela signifie qu’il n’y en a pas eu avant. C’est un terme juridique : le premier-né devait être consacré à Dieu.

- « Bethléem » signifie littéralement « maison du pain » ; le pain de vie est donné au monde.

- Les titres donnés à Jésus : l’empereur se faisait révérer comme Dieu et Sauveur ; en réalité, le seul qui puisse porter ces titres en vérité est le nouveau-né de Bethléem.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 24 12 2023, nuit de Noël B

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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 23:36
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

PREMIÈRE LECTURE - 2 Samuel 7, 1-5.8b-12.14a.16 

1   Le roi David habitait enfin dans sa maison.
     Le SEIGNEUR lui avait accordé la tranquillité
     en le délivrant de tous les ennemis qui l'entouraient.
2   Le roi dit alors au prophète Nathan :
     « Regarde ! J'habite dans une maison de cèdre,
     et l'arche de Dieu habite sous un abri de toile ! »
3   Nathan répondit au roi :
     « Tout ce que tu as l'intention de faire,
     fais-le,
     car le SEIGNEUR est avec toi. »
4   Mais, cette nuit-là,
     la parole du SEIGNEUR fut adressée à Nathan :
5   « Va dire à mon serviteur David :
     Ainsi parle le SEIGNEUR :
     Est-ce toi qui me bâtiras une maison
     pour que j'y habite ?
8   C'est moi qui t'ai pris au pâturage,
     derrière le troupeau,
     pour que tu sois le chef de mon peuple Israël.
9   J'ai été avec toi partout où tu es allé,
     j'ai abattu devant toi tous tes ennemis.
     Je t’ai fait un nom aussi grand
     que celui des plus grands de la terre.
10 Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël,
     je l'y planterai, il s'y établira
     et ne tremblera plus,
     et les méchants ne viendront plus l'humilier,
11 comme ils l'ont fait autrefois
     depuis le jour où j'ai institué des Juges
     pour conduire mon peuple Israël.
     Oui, je t’ai accordé la tranquillité
     en te délivrant de tous tes ennemis.
     Le SEIGNEUR t’annonce
     qu'il te fera lui-même une maison.
12 Quand tes jours seront accomplis
     et que tu reposeras auprès de tes pères,
     je te susciterai dans ta descendance un successeur,
     qui naîtra de toi,
     et je rendrai stable sa royauté.
14 Moi, je serai pour lui un père ;
     et lui sera pour moi un fils.
16 Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi,
     ton trône sera stable pour toujours. »
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PREMIÈRE SURPRISE : LE REFUS DE DIEU

Le roi David avait un projet : construire un temple à Jérusalem pour abriter l’Arche d’Alliance. À première vue, son intention était des plus louables ! Et donc, dans un premier temps, le prophète Nathan consulté lui répond : « Tout ce que tu as l’intention de faire, fais-le, car le SEIGNEUR est avec toi ».

Mais la nuit porte conseil, même aux prophètes. Cette nuit-là, Dieu vient dire à Nathan ce qu’il pense, lui Dieu, de ce projet ; et tout bascule. La réponse de Nathan tient en deux points : d’abord un refus, puis une promesse. Commençons par le refus : il est assez surprenant, il faut bien le dire, « Est-ce toi qui me bâtiras une maison ? » : en bon hébreu, c’est un NON catégorique : « Non, toi, David, tu ne me bâtiras pas une maison. » Pour cela trois arguments très clairs : premièrement, je ne t’ai rien demandé. Deuxièmement, crois-tu que je suis un Dieu qu’on peut installer, fixer quelque part ? Troisièmement, ne cherche pas à renverser les rôles : entre Dieu et David, comme toujours entre Dieu et l’homme, celui qui est en position de bienfaiteur, c’est Dieu. Rappelle-toi les bienfaits de Dieu à ton égard.

Je reprends ces trois arguments du prophète, l’un après l’autre.

Premièrement, je ne t’ai rien demandé : Dieu n’attend pas le moins du monde que David lui bâtisse une maison. Simple tente ou palais princier, nos constructions n’ajoutent rien à la grandeur de Dieu.

D’autre part, le projet de Dieu n’est pas du tout un temple de pierre : sa volonté va beaucoup plus loin que des constructions matérielles ; ce qu’il veut, c’est établir durablement son peuple ; il le redit encore par l’intermédiaire de Nathan : « Je fixerai en ce lieu mon peuple Israël, je l’y planterai, il s’y établira, il ne tremblera plus, et les méchants ne viendront plus l’humilier... » C’est le peuple (et non le roi) qui est au centre du projet de Dieu. Et si Dieu protège le roi, c’est au bénéfice du peuple ; il le redit ici à David : « Je t’ai fait un nom aussi grand que celui des plus grands de la terre… Je t’ai accordé la tranquillité en te délivrant de tous tes ennemis », mais il précise bien que c’est au profit du peuple : il suffit de noter la triple reprise de l’expression « mon peuple Israël » (aux versets 8 à 11).

Deuxièmement, crois-tu que je suis un Dieu qu’on peut installer, fixer quelque part ? Depuis le Sinaï, l’arche d’Alliance a toujours été abritée sous une simple tente de nomade et elle a accompagné le peuple dans tous ses déplacements ; comme un signe visible de la présence permanente de Dieu au milieu de son peuple. Et, depuis l’installation du peuple sur sa terre, cet état de choses n’a pas été remis en question ; (dans d’autres versets qui ne font pas partie de la liturgie de ce dimanche) Dieu envoie Nathan dire à David : « Je ne me suis pas installé dans une maison depuis le jour où j’ai fait monter d’Égypte les fils d’Israël : je cheminais sous une tente... je n’ai jamais réclamé qu’on me construise une maison. » (versets 6-7). Plus tard, ce sera très important de ne pas oublier que, quoi qu’il arrive, Dieu est toujours au milieu de son peuple, même dans les périodes où le temple est détruit, et même encore lorsque le peuple est loin de Jérusalem. (Je veux parler de l’Exil, bien sûr).

Troisièmement, ne cherche pas à renverser les rôles : entre Dieu et David, comme toujours entre Dieu et l’homme, celui qui est en position de bienfaiteur, c’est Dieu. On pourrait traduire : mon ami David, il ne faut pas te tromper :  Dieu seul construit, Dieu seul fait vivre. « Est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ?... C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière le troupeau, pour que tu sois le chef de mon peuple Israël. J’ai été avec toi partout où tu es allé : j’ai abattu devant toi tous tes ennemis. » Autrement dit, c’est David qui est dans la main de Dieu et non l’inverse.

 

DEUXIÈME SURPRISE : LA PROMESSE DE DIEU

Voilà donc pour le refus. Ensuite vient la promesse : elle est double d’ailleurs ; encore une fois la reprise de l’antique promesse de la terre, mais surtout une nouvelle promesse, c’est celle qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui : c’est moi, dit Dieu qui te bâtirai une maison. Évidemment, vous n’imaginez pas Dieu avec une truelle à la main ; l’hébreu comme le français permet un jeu de mots : la maison, c’est l’habitation (la maison familiale ou le palais du roi ou le temple de Dieu), mais on peut dire aussi la maison royale dans le sens de descendance (comme on dit la maison royale de Belgique ou d’Angleterre, par exemple). Dieu dit : Non, tu ne me bâtiras pas une maison (au sens d’habitation), c’est moi, Dieu, qui te bâtirai une maison (au sens de dynastie) : « Le SEIGNEUR t’annonce qu’il te fera lui-même une maison. Quand tes jours seront accomplis et que tu reposeras auprès de tes pères, je te susciterai dans ta descendance un successeur, qui naîtra de toi, et je rendrai stable sa royauté... Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. »

Dans un premier temps, David a entendu dans ces paroles la promesse d’une dynastie et de la consolidation de son royaume. De même que Dieu a choisi un peuple, et qu’il lui a assigné une terre et une ville, il a choisi une dynastie royale pour régner dans cette ville et gouverner son peuple.

Dans un deuxième temps, c’est à cause de cette promesse qu’on a commencé à attendre un Messie. « Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi » a dit Dieu. On en déduit que l’on peut compter sur le soutien indéfectible de Dieu à la dynastie qu’il a choisie ; de là est née l’espérance d’Israël ; depuis ce jour, pour entretenir l’espérance, on se répète en Israël ce mot « toujours ».

Encore aujourd’hui le peuple juif l’attend parce qu’il sait que Dieu est fidèle.
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Complément

« Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils. » (verset 14). C’était une formule de contrat d’alliance, habituellement employée par le suzerain envers son vassal. Elle était prononcée sur le roi le jour de son sacre, d’où le titre de Fils de Dieu porté par le roi. (cf infra, le commentaire du psaume 88/89). Au cours de l’histoire biblique, grâce à la Révélation, le peuple d’Israël, dès l’Ancien Testament, a découvert que la relation de l’homme à Dieu était beaucoup plus belle que celle d’un vassal à son suzerain mais que le peuple des croyants peut dire en vérité « Notre Père ».
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PSAUME 88 (89), 2-3,4-5.27.29

2   L’amour du SEIGNEUR, sans fin je le chante ;
     ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge.
3   Je le dis : c’est un amour bâti pour toujours ;
     ta fidélité est plus stable que les cieux.
4   Avec mon élu, j'ai fait une alliance,
     j'ai juré à David, mon serviteur :
5   j'établirai ta dynastie pour toujours,
     je te bâtis un trône pour la suite des âges.   

27 Il me dira : « Tu es mon Père,
     mon Dieu, mon roc et mon salut ! »
29 Sans fin je lui garderai mon amour,
     mon alliance avec lui sera fidèle.
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L’ALLIANCE DE DIEU AVEC LA DYNASTIE DE DAVID

Dès le début de ce psaume, nous reconnaissons la promesse faite par Dieu à David : « J’établirai ta dynastie pour toujours, je te bâtis un trône pour la suite des âges. » Vous vous rappelez l’histoire : quand David, plein de bonnes intentions, a proposé de construire pour Dieu un temple aussi beau ou même encore plus beau que son propre palais, curieusement, Dieu ne semblait pas du tout intéressé par cette proposition ; par l’intermédiaire du prophète Natan, il a fait une contre-proposition avec ce jeu de mots sur le mot « maison » que l’hébreu permet aussi bien que le français : tu veux me construire une « maison » pour que j’y habite, a dit Dieu, mais ce n’est pas cela qui m’intéresse... C’est moi qui te bâtirai une « maison », au sens de famille royale, de dynastie.

Et c’est Dieu qui prenait l’initiative et qui parlait d’Alliance : « Avec mon élu, j’ai fait une alliance, j’ai juré à David mon serviteur ». Si on y réfléchit, il y a là une grande audace théologique : Dieu est engagé par serment. « J’ai juré à David mon serviteur ».

Cette alliance entre Dieu et David s’exprime dans les mêmes termes que les traités de l’époque entre un suzerain et son vassal : « Il me dira : Tu es mon Père, mon Dieu, mon roc et mon salut ! Et moi, j’en ferai mon fils aîné » : c’est la reprise exacte de la promesse de Dieu par l’intermédiaire du prophète Natan : « Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils, dit Dieu » ; ici « père » veut dire « suzerain », et « fils » veut dire « vassal ». On ne rêve pas encore d’autre relation à Dieu que celle-là ; mais c’est déjà l’assurance de la fidélité sans faille d’un tel suzerain.

Encore un mot sur le titre « fils de Dieu » : primitivement, il était donc seulement synonyme de roi ; c’est le jour de son sacre que le roi le recevait officiellement ; le psaume 2 en porte la trace quand il rapporte la phrase qui était prononcée sur le roi par le prophète le jour du sacre : « Tu es mon fils, aujourd’hui, je t’ai engendré ».

 

Je reviens sur l’expression « J’ai juré à David mon serviteur ». En quoi David est-il le serviteur de Dieu ? Est-il au service de la gloire de Dieu ? Pas du tout. David est au service du peuple de Dieu : c’est l’une des très grandes insistances de tous les textes sur la royauté dans la Bible.

Il suffit de lire la très belle prière que David a formulée après la visite du prophète Natan. Dans le deuxième livre de Samuel, c’est la suite du texte que nous lisons aujourd’hui. Clairement, David avait compris que l’Alliance proposée par Dieu était bien plus profonde, bien plus belle que ce que nous aurions imaginé ; David faisait des rêves de grandeur à l’échelle humaine : un trône stable, durable, une dynastie à perte de vue... Dieu voit bien plus loin, bien plus grand : David proposait un temple grandiose : « Je vais bâtir une maison digne de toi, je vais te rendre gloire »... Dieu répond : « moi, je vais faire ton bonheur et le bonheur de mon peuple »...

 Au fond, c’est toujours pareil ; c’est l’homme qui parle de grandeur, alors que Dieu parle de bonheur ! L’Alliance proposée par Dieu est une alliance pour le bonheur du peuple. Car le véritable bénéficiaire de la promesse de Dieu, on l’a déjà dit, ce n’était pas le roi lui-même, c’était le peuple.

Vous savez la suite : David n’a pas bâti de temple, il s’est contenté d’abriter l’Arche d’Alliance sous une toile de tente comme pendant la longue marche de l’Exode. Mais il a surtout compris une autre leçon, beaucoup plus importante : c’est que le roi n’est que le serviteur du peuple de Dieu.

PEUT-ON ENCORE Y CROIRE ?

Tous les versets que nous avons entendus aujourd’hui insistent donc sur cette promesse de Dieu au roi David ; mais, soyons francs, si, dans ce psaume, on rappelle avec tant de vigueur la promesse, c’est qu’on est en grand danger de ne plus y croire ! Effectivement, après la période de royauté prospère de David, puis Salomon, la Bible raconte que sont venus des jours moins glorieux.

En particulier, pendant l’Exil à Babylone : on avait tout perdu, la terre, le temple, la royauté... quant au peuple, il n’était plus qu’un petit reste... On pouvait bien se demander ce qui subsistait des promesses de Dieu. Pour le dire autrement, que pouvait bien signifier cette promesse faite à David au moment même où on était privé de roi et où le peuple n’était plus qu’un groupe de prisonniers loin de sa terre ? Dans la suite de ce psaume qui est très long, de nombreux versets sont effectivement des rappels de la détresse du peuple pendant l’Exil à Babylone.

Mais n’oublions pas que le peuple de la Bible est croyant ! Et voilà la merveille de la foi : justement parce qu’on avait apparemment tout perdu, sauf la foi, on a relu les vieilles promesses. « J’établirai ta dynastie pour toujours » : dans la foi, on ne peut pas douter de la promesse de Dieu ; forcément elle s’accomplira ; Dieu n’a certainement pas promis cela à la légère... donc, au moment même où il n’y a plus de roi sur le trône de Jérusalem, on continue à espérer : la dynastie de David ne peut pas s’éteindre ; il peut y avoir des jours sombres parce que la promesse de Dieu était assortie d’une condition de fidélité de la part du roi. Or les rois les uns après les autres ont manqué à leurs engagements envers Dieu et envers le peuple. C’est comme cela qu’on explique l’Exil à Babylone. Mais on est convaincus que la promesse de Dieu reste valable : il suffit que l’on retrouve le chemin de la fidélité.

Par conséquent, malgré toutes les apparences contraires, on attend un nouveau roi descendant de David. C’est comme cela qu’est née l’attente du Messie. Et le mot « toujours » a pris alors la dimension d’une espérance invincible. On attend, on attendra aussi longtemps qu’il le faudra : le roi idéal promis par Dieu viendra. C’est ce qui a inspiré la fameuse profession de foi de Maïmonide (12ème siècle) : « Je crois d’une foi parfaite en la venue du Messie et, même s’il tarde à venir, je l’attendrai jusqu’au jour où il viendra ».
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Complément

Pour qui a la curiosité de ne pas se contenter des versets d’aujourd’hui mais de lire ce psaume en entier dans la Bible, il y a de quoi être surpris ! Il y a de tout dans ce psaume : la confiance tranquille pour commencer « L’amour du Seigneur, à jamais je le chante, et sa fidélité d’âge en âge ; je le dis, c’est un amour bâti pour toujours »... et puis une hymne au Dieu de l’univers « C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la mer, quand ses flots se soulèvent, c’est toi qui les apaises ». Car le seul vrai roi sur la terre, on le sait bien, c’est Dieu lui-même.

Mais il y a aussi des cris et des larmes : « Où donc, Seigneur, est ton premier amour, celui que tu jurais à David sur ta foi ? » (verset 50) ; ce qui veut dire qu’on est dans une période où le danger est grand de douter de l’amour de Dieu. Comme s’il avait rompu des fiançailles...

Il y a même presque un procès avec l’accumulation de tous les griefs que le peuple pourrait avoir à l’égard de Dieu : « Tu as méprisé, rejeté ton serviteur ; tu t’es emporté contre ton messie ; tu as jeté à terre et profané sa couronne... tu as brisé l’alliance... tu as mis en joie tous nos ennemis... tu as déversé sur nous la honte... » Et cette litanie se termine par « Combien de temps laisseras-tu flamber le feu de ta colère ? » Cette partie-là du psaume au moins a donc certainement été écrite à partir de l’expérience de l’Exil à Babylone.
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DEUXIÈME LECTURE – Lettre de saint Paul aux Romains 16, 25-27

25 À Celui qui peut vous rendre forts
     selon mon Évangile qui proclame Jésus-Christ :
     révélation d’un mystère
     gardé depuis toujours dans le silence,
26 mystère maintenant manifesté
     au moyen des écrits prophétiques,
     selon l’ordre du Dieu éternel,
     mystère porté à la connaissance de toutes les nations
     pour les amener à l'obéissance de la foi,
27 à Celui qui est le seul sage, Dieu, par Jésus Christ
     à lui la gloire pour les siècles. Amen.
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LE GRAND PROJET DE DIEU AU BÉNÉFICE DE TOUTE L’HUMANITÉ

Nous venons de lire les derniers mots de la lettre aux Romains, la conclusion de cette longue épître très dense, de seize chapitres ; rien d’étonnant donc à ce qu’on y trouve une finale très solennelle. Ici, comme dans le texte grec, ces trois versets ne forment qu’une seule phrase : Paul trace à grands traits toute la fresque de l’histoire humaine dans laquelle se déroule le projet de Dieu. Car c’est le noyau, le thème central de la lettre et aussi de toute la théologie de Paul : ce fameux « dessein bienveillant », conçu depuis toute éternité, révélé progressivement aux hommes, pour le bonheur de l’humanité tout entière.

L’expression « pour les conduire à l’obéissance de la foi » nous surprend peut-être ; en fait, la formule « l’obéissance de la foi » est très biblique dans la forme comme dans le fond ; dans la forme c’est tout simplement un pléonasme : la foi est synonyme d’obéissance, mais au très beau sens du mot « obéissance » dans la Bible, qui veut dire « confiance ». Dans le verbe « Ob-audire », il y a le mot « audire » (écouter) ; dans la Bible, obéir, c’est écouter amoureusement, parce qu’on vit dans la confiance ; c’est tout simplement avoir la foi. « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » (Ps 94/95) signifie « Aujourd’hui ferez-vous confiance à Dieu ? »  Et d’ailleurs, l’expression grecque traduite ici par « obéissance de la foi » signifie en réalité « l’obéissance qu’est la foi ». C’est un thème qui revient tout le temps dans la Bible, y compris dans la fameuse profession de foi juive « Shema Israël » (Écoute Israël, Dt 6,4) : « Écoute », c’est-à-dire, fais confiance ; n’oublie jamais que Dieu t’a libéré et te veut libre toujours ; c’est pourquoi tu peux faire confiance et obéir ; c’est la même chose.

L’ENTRÉE DES NATIONS PAÏENNES DANS LA FOI

Il s’agit donc de conduire à l’obéissance de la foi (c’est-à-dire à la foi tout court, à la confiance) toutes les nations païennes ; voilà encore un thème biblique : le projet de Dieu est universel. On dit souvent que Paul est l’apôtre des nations païennes, mais bien avant lui, l’Ancien Testament affirmait que le salut de Dieu concerne l’humanité tout entière. Ce fut, grâce à la Révélation, bien sûr, l’une des grandes avancées de la pensée biblique, surtout après l’Exil à Babylone ; par exemple, chez Isaïe : « Ma Maison sera appelée Maison de prière pour tous les peuples » (Is 56,7) ; ou chez Jérémie : « Moi, le SEIGNEUR, je suis le Dieu de toute chair » (Jr 32,27), et Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair » (Jl 3,1).

Une fois acquise cette conviction que le projet de Dieu est universel, c’est-à-dire qu’il concerne l’humanité tout entière, et pas seulement un peuple privilégié, alors on a relu dans ce sens la fameuse Parole de Dieu à Abraham « En toi seront bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12).

S’il a fallu le répéter si fort et si souvent, c’est bien parce qu’on avait tendance à l’oublier, peut-être ; mais ne jugeons personne : aujourd’hui encore ce rappel n’est sans doute pas inutile aux chrétiens que nous sommes. saint Paul s’inscrit donc tout à fait dans la même ligne : « Toutes les nations sont associées au même héritage. » dit-il dans la lettre aux Éphésiens (Ep 3,6). Dernière remarque sur ce point : Que les païens soient admis au même héritage, encore une fois, l’Ancien Testament l’avait déjà dit ; ce qui est nouveau ici, bien sûr, c’est la référence à Jésus-Christ : « À Celui qui peut vous rendre forts selon mon Évangile qui proclame Jésus-Christ » (c’est notre lecture d’aujourd’hui, dans la lettre aux Romains) ; et, dans la lettre aux Éphésiens, « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. » Paul appelle cela la révélation du mystère et il emploie ici un mot que nous connaissons bien : « apocalypse » ce qui veut dire littéralement « dévoilement ».

DIEU SE FAIT TOUT PROCHE POUR NOUS RÉVÉLER SON PROJET

La grande découverte de l’Ancien Testament c’est que le Dieu Tout-Autre se fait le Tout-Proche, pour nous révéler son dessein : parce qu’il est le Tout-Autre, son projet n’est pas à la portée de notre intelligence humaine ; mais parce qu’il se fait Tout-Proche, il nous le révèle, il nous le dévoile, ou plus exactement, il nous invite à y entrer, à y participer. Paul est bien l’héritier de toute la méditation biblique ; il s’émerveille devant le Dieu Tout-Autre : dans cette même lettre aux Romains, il s’est écrié : « O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables ! Qui en effet a connu la pensée du Seigneur ? Ou bien qui a été son conseiller ?1... Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire éternellement. Amen. » (Rm 11,33-36).

Il s’émerveille aussi devant le Dieu qui se fait proche au point de nous faire entrer dans son mystère. « Oui, voilà le mystère qui est maintenant révélé ; il était resté dans le silence depuis toujours, mais aujourd’hui il est manifesté. Par ordre du Dieu éternel, et grâce aux écrits des prophètes, ce mystère est porté à la connaissance de toutes les nations pour les amener à l’obéissance de la foi ». Il le dit ici, mais également dans sa première lettre aux Corinthiens : « Ce dont nous parlons, c’est de la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, établie par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. » (1 Co 2,7). Un peu plus tard, la lettre aux Colossiens le dira dans une formule lapidaire : « Le mystère qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui maintenant a été manifesté à ceux qu’il a sanctifiés » (Col 1,26).

Quand Paul écrit : « Le mystère est maintenant manifesté », il parle des temps nouveaux inaugurés par la venue du Christ. Il divise l’histoire humaine en deux temps : avant et après la venue du Christ ; le mystère de Dieu se déploie sur l’ensemble de l’histoire, mais avant il ne se dévoilait que partiellement, progressivement ; désormais, en Jésus-Christ, il est pleinement dévoilé ; il ne nous reste plus qu’à ouvrir les yeux.

Et là encore, nous retrouvons le génie de la construction de Paul : il termine sa lettre par là où il avait commencé (on a là une inclusion ou un parallèle, si vous préférez) ; rappelez-vous les premières lignes de sa lettre : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer la Bonne Nouvelle de Dieu. Cet évangile, que Dieu avait déjà promis par ses prophètes dans les Écritures saintes, concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David, établi selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d’entre les morts : Jésus Christ Notre Seigneur » (Rm 1,2-3).
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Note : La phrase « Qui en effet a connu la pensée du Seigneur ? Ou bien qui a été son conseiller ? » est une citation du prophète Isaïe : Is 40,13.
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ÉVANGILE Luc 1, 26-38

26 En ce temps-là, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu
     dans une ville de Galilée, appelée Nazareth,
27 à une jeune fille vierge,
     accordée en mariage à un homme de la maison de David,
     appelé Joseph ;
     et le nom de la jeune fille était Marie.
28 L'Ange entra chez elle et dit :
     « Je te salue, comblée-de-grâce,
     le Seigneur est avec toi. »
29 À cette parole, elle fut toute bouleversée,
     et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation.
30 L'Ange lui dit alors :
     « Sois sans crainte, Marie,
     car tu as trouvé grâce auprès de Dieu.
31 Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils,
     et tu lui donneras le nom de Jésus.
32 Il sera grand,
     il sera appelé Fils du Très-Haut ;
     le Seigneur Dieu
     lui donnera le trône de David son père ;
33 il règnera pour toujours sur la maison de Jacob,
     et son règne n'aura pas de fin. »
34 Marie dit à l'Ange :
     « Comment cela va-t-il se faire,
     puisque je ne connais pas d’homme ? »
35 L'Ange lui répondit :
     « L'Esprit Saint viendra sur toi,
     et la puissance du Très-haut
     te prendra sous son ombre ;
     c'est pourquoi celui qui va naître sera saint,
     il sera appelé Fils de Dieu.
36 Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente,
     a conçu, elle aussi, un fils
     et en est à son sixième mois,
     alors qu'on l'appelait « la femme stérile ».
37 Car rien n'est impossible à Dieu. »
38 Marie dit alors :
     « Voici la servante du Seigneur ;
     que tout m’advienne selon ta parole. »
     Alors l'Ange la quitta.
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L’HEURE DE L’INCARNATION A SONNÉ

Jusqu’ici personne n’avait entendu parler de Nazareth ! Petit village sans importance d’une province assez mal vue des autorités de Jérusalem ; et pourtant c’est là que l’Ange Gabriel est allé décerner à une toute jeune fille le plus haut compliment qu’une femme ait jamais reçu : « Comblée-de-grâce » ; c’est-à-dire toute baignée de la grâce de Dieu, sans ombre.

Pas étonnant qu’à la fin de la rencontre, celle qui était si bien accordée au projet de Dieu ait répondu spontanément : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Entre ces deux phrases, l’histoire humaine a basculé : l’heure de l’Incarnation a sonné. Désormais, plus rien ne sera jamais comme avant. Toutes les promesses de l’Ancien Testament trouvent ici leur accomplissement. Chacune des paroles de l’Ange vient évoquer ces promesses et détailler l’une des facettes de l’attente du Messie telle qu’elle se développait depuis des siècles.

Tout d’abord, on attendait un roi descendant de David : or ici, on entend un écho de la promesse faite à David par le prophète Natan que nous entendons en première lecture ce dimanche (2 S 7). C’est à partir de cette fameuse promesse que s’est développée toute l’attente messianique. Or ici, c’est le centre des paroles de l’ange Gabriel : « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il régnera pour toujours sur la Maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. »1 (versets 32-33). Autre titre : « Il sera appelé Fils du Très-Haut » : en langage biblique, cela veut dire « roi » ; en écho à la promesse que Dieu avait faite à David, chaque nouveau roi recevait le jour de son sacre le titre de Fils de Dieu.

Marie a tout compris, mais elle se permet de rappeler à l’Ange qu’elle est encore une jeune fille et que donc elle ne peut normalement pas concevoir d’enfant. Ce à quoi l’Ange apporte la réponse que nous connaissons, mais qui, elle aussi, évoque d’autres promesses messianiques, tout en les dépassant infiniment : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint. » On savait que le Messie serait investi de la puissance de l’Esprit Saint pour accomplir sa mission de salut ; Isaïe, par exemple, avait dit : « Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines, sur lui reposera l’Esprit du SEIGNEUR » (Is 11,1-2). Mais l’annonce de l’Ange, ici, va beaucoup plus loin : car l’enfant ainsi conçu sera réellement Fils de Dieu : « celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu ».

LE FILS DE DIEU

Visiblement, saint Luc insiste sur le fait que cet enfant n’a pas de père humain, il est « Fils de Dieu » ; deux preuves dans ce texte : premièrement la remarque de la Vierge « je ne connais pas d’homme » ce qui veut dire « Je suis vierge ». Deuxièmement, la formule « Tu lui donneras le nom de Jésus » est adressée à la mère, ce qui est tout à fait inhabituel et ne s’explique que s’il n’y a pas de père humain : d’habitude, c’était le père qui donnait le nom à l’enfant. Par exemple, on se souvient que, au moment de la naissance de Jean-Baptiste, les proches demandaient à Zacharie, pourtant muet, et non à Élisabeth, de décider du nom de l’enfant.       

L’expression « La puissance du Très-haut te prendra sous son ombre » fait penser à une nouvelle création : on pense évidemment à cette phrase du livre de la Genèse « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre... Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux » (Gn 1,2). Cette présence privilégiée de Dieu sur le Christ est encore suggérée par l’évocation de « l’ombre du Très-Haut » ; déjà elle était le signe de la Présence de Dieu au-dessus de la Tente de la Rencontre, pendant la marche de l’Exode ; le jour de la Transfiguration, la même nuée, la même ombre désignera le Fils de Dieu : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, Écoutez-le ! »

 Face à toutes ces annonces de l’Ange, la réponse de la Vierge est d’une simplicité extraordinaire ! On peut dire qu’on a là un bel exemple « d’obéissance de la foi », comme dit Paul, c’est-à-dire de confiance totale. Elle reprend le mot de tous les grands croyants depuis Abraham : « Me voici » ; Marie répond tout simplement : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Le mot « servante » n’évoque pas ici la servilité, mais la libre disponibilité au projet de Dieu. Il suffit de dire « Oui », car « Rien n’est impossible à Dieu ».

Grâce à ce « oui » de la jeune fille de Nazareth, « Le Verbe se fait chair et il vient habiter parmi nous » ; on entend ici résonner la lumineuse promesse de Sophonie qui annonçait la venue de Dieu au milieu de son peuple : « Pousse des cris de joie, fille de Sion2 ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie, fille de Jérusalem !... Le roi d’Israël, le Seigneur, est en toi. » (So 3,14-15).

Mais tout est encore plus beau que ce que l’on avait pu imaginer. Marie n’aura pas trop de toute sa vie, sûrement, pour « méditer toutes ces choses dans son cœur ».
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Notes

1 – « Son règne n’aura pas de fin » : cette phrase évoque également les paroles du prophète Daniel sur le « fils d’homme » qui devait recevoir une royauté éternelle.

2 - En hébreu, « fille de Sion » désigne Sion, c’est-à-dire le peuple de Dieu (et non pas une femme précise). La promesse de Sophonie s’adressait à ses contemporains. Plus tard, les chrétiens ont considéré que cette parole s’appliquait particulièrement bien à Marie.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 24 12 2023, 4e dimanche de l'Avent B

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11 décembre 2023 1 11 /12 /décembre /2023 23:45
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE 61, 1-2a.10-11

1   L'Esprit du SEIGNEUR Dieu est sur moi
     parce que le SEIGNEUR m'a consacré par l'onction.
     Il m'a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles,
     guérir ceux qui ont le cœur brisé,
     proclamer aux captifs leur délivrance,
     aux prisonniers leur libération,
2    proclamer une année de bienfaits accordée par le SEIGNEUR

 10 Je tressaille de joie dans le SEIGNEUR,
     mon âme exulte en mon Dieu.
     Car il m'a vêtue des vêtements du salut,
     il m'a couverte du manteau de la justice,
     comme le jeune marié orné du diadème,
     la jeune mariée que parent ses joyaux.
11 Comme la terre fait éclore son germe,
     et le jardin, germer ses semences,
     le SEIGNEUR Dieu fera germer la justice et la louange
     devant toutes les nations.
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Il y a deux parties dans ce texte : dans la première, c’est bien Isaïe en personne, en tant que prophète, qui annonce une bonne nouvelle au peuple juif ; tandis que dans la seconde, c’est le peuple lui-même qui se réjouit comme si les promesses de la première partie étaient déjà accomplies : là on est en pleine anticipation ; la première partie, ce sont les versets « L’Esprit du SEIGNEUR Dieu est sur moi... Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle » ; la seconde commence par « Je tressaille de joie dans le SEIGNEUR, mon âme exulte en mon Dieu. »

Je commence par la première partie :

LES DIFFICULTÉS DU RETOUR AU PAYS

« L’Esprit du SEIGNEUR Dieu est sur moi... Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le SEIGNEUR. » C’est le prophète qui parle. Mais de qui parle-t-il ?

Qui sont ces cœurs brisés, ces captifs, ces prisonniers, ces pauvres (littéralement les « dos courbés ») ? Bien sûr, il s’agit des habitants de Jérusalem et du peuple juif tout entier. Mais pourquoi sont-ils si affligés ?

Car, à l’heure où Isaïe leur parle, justement, les habitants de Jérusalem ne sont plus ni prisonniers ni captifs : au contraire, ils sont revenus de l’Exil à Babylone, et ils ont même entrepris les travaux de restauration du Temple de Jérusalem. Je vous rappelle le contexte :

Vous vous souvenez que l’Exil à Babylone a pris fin, tout simplement parce que Babylone, après ses heures de gloire, a été conquise à son tour par Cyrus, roi de Perse ; or, contrairement aux autres empereurs qui ont conquis successivement la région, Cyrus favorise le retour au pays des populations déplacées ; les déportés sont donc revenus. Il est vrai qu’ils ne sont pas un peuple libre pour autant, puisque la terre d’Israël est désormais sous la domination des rois de Perse, Cyrus puis ses successeurs ; mais enfin, on ne peut quand même pas parler de prison ou de captivité au vrai sens du terme.

Seulement, voilà, finalement, ces exilés rentrés au pays sont affreusement déçus du retour : là-bas, à Babylone, ils attendaient leur libération, leur délivrance comme un grand bonheur... Ils espéraient connaître l’éblouissement de celui qui a été dans un cachot aveugle et qui émerge tout d’un coup à la lumière le jour où on lui ouvre la porte. En fait, ils découvrent qu’il existe dans nos vies d’autres prisons, d’autres chaînes, moins matérielles, mais tout aussi oppressantes.

Car au pays, on ne les attendait pas vraiment. Et on leur a mis tous les bâtons possibles dans les roues pour les empêcher de reconstruire le Temple. Il faut dire qu’en leur absence, d’autres populations également déplacées par les vainqueurs ont été installées à Jérusalem, et y ont introduit leur propre religion ; désormais, par le biais des mariages mixtes (entre des Juifs et des étrangères), la religion juive est en minorité. Qui respecte encore la Loi ? Elle est loin, la pureté de la pratique religieuse qu’on espérait restaurer !

D’où l’éternelle question qui renaît à chaque étape difficile : Dieu n’aurait-il pas abandonné son peuple ? Et la réponse toujours renouvelée des prophètes, et ici, en particulier d’Isaïe : Dieu ne peut pas se renier lui-même ; gardez confiance, vous êtes encore et toujours le peuple élu par Dieu pour une mission bien particulière.

Du coup, nous pouvons relire les premiers versets de notre texte d’aujourd’hui : « L’Esprit du SEIGNEUR Dieu est sur moi, (c’est donc Isaïe qui parle) parce que le SEIGNEUR m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la Bonne Nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le SEIGNEUR. » Le premier sens de ce texte, c’est donc : ne vous laissez pas aller au découragement, Dieu ne vous abandonnera jamais.

Reste un mot un peu surprenant dans la bouche d’Isaïe : « Le SEIGNEUR m’a consacré par l’onction. » Il s’agit de l’onction d’huile que recevaient les rois le jour de leur sacre ; celui qui avait reçu l’onction s’appelait désormais un « messie » parce que messie en hébreu veut dire « oint, consacré » ; et cette onction signifiait que le consacré (normalement le roi) avait mission d’apporter le bonheur à son peuple ; et voilà que c’est un prophète qui parle de lui-même dans les termes où l’on parlait des rois. Il dit : « Le SEIGNEUR a fait de moi un Messie ».

C’est la preuve que, à l’époque du troisième Isaïe (auteur de ce texte) alors précisément qu’il n’y a plus de roi sur le trône de David, l’attente juive du Messie évolue ; elle n’est plus seulement l’attente d’un roi, fils de David ; le Messie attendu pourrait bien être un prophète.

 

« JE TRESSAILLE DE JOIE DANS LE SEIGNEUR »

Pour résumer cette annonce d’Isaïe, le bonheur, le vrai, c’est-à-dire la justice, la consolation pour tous va se lever sur Jérusalem ; alors la deuxième partie du texte s’éclaire : c’est Jérusalem (c’est-à-dire le peuple de Dieu) qui parle. Jérusalem qui se réjouit déjà, comme si c’était là : « Je tressaille de joie dans le SEIGNEUR, mon âme exulte en mon Dieu. » Les prophètes usent souvent de ce genre d’anticipations pour montrer à quel point on peut être sûrs des promesses de Dieu.

La fin du texte est très imagée : le manteau de la justice, des bijoux, un diadème : « Le SEIGNEUR m'a vêtue des vêtements du salut, il m'a couverte du manteau de la justice, comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux. » Non seulement, c’est magnifique, mais le message théologique est très important : le manteau de la justice, c’est Dieu qui nous en enveloppe...

Cela veut dire que notre rêve le plus profond, la pureté du cœur, est un cadeau de Dieu. C’est un don gratuit de Dieu, la plus magnifique des parures, le plus beau des bijoux, des diadèmes.

Le texte se termine par ce que j’appellerai la parabole de la semence : « Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le SEIGNEUR Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations. » La germination est une belle image pour soutenir l’espérance : traduisez : confiance, à toute graine, il faut du temps...
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Complément : L’Année sabbatique ou jubilaire

Lorsque Isaïe parle de l’année de bienfaits accordée par le Seigneur, il fait allusion à une coutume bien particulière qui nous est moins familière sans doute, mais que ses contemporains connaissaient très bien ; c’est presque un terme technique : il s’agit de l’année sabbatique ou même jubilaire ; tous les sept ans (l’année sabbatique), les esclaves hébreux devaient être libérés sans contrepartie ; tous les cinquante ans (l’année jubilaire), ce sont tous les habitants qui devaient être libérés, toutes les dettes remises, toutes les propriétés rendues à leurs premiers propriétaires. En un mot, on redécouvrait l’idéal de justice sociale voulu par Dieu pour la Terre sainte.
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MAGNIFICAT DE LA VIERGE MARIE Luc 1, 46b-48, 49-50, 53-54

46 Mon âme exalte le Seigneur,
     exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur.
48 Il s'est penché sur son humble servante ;
     désormais tous les âges me diront bienheureuse.   

49 Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
     Saint est son nom !
50 Son amour s'étend d'âge en âge
     sur ceux qui le craignent.   

53 Il comble de biens les affamés,
     renvoie les riches les mains vides.
54 Il relève Israël, son serviteur,
     il se souvient de son amour.
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LE CHANT DE LA VISITATION

Vous vous rappelez les circonstances dans lesquelles la Vierge Marie a chanté ce que nous appelons le Magnificat. Elle vient de recevoir la visite de l’ange Gabriel qui lui a annoncé la naissance de Jésus et qui lui a révélé la grossesse de sa cousine Élisabeth. Elle est aussitôt partie rendre visite à sa cousine : « En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse en moi. » (Luc 1,39-44). En guise de réponse, Marie entonne le Magnificat.

Une chose assez surprenante à propos du Magnificat : si vous ouvrez votre Bible à cette page de saint Luc, vous trouverez dans la marge des quantités de références à d’autres textes bibliques ; et si vous connaissez les psaumes, vous en avez reconnu des bribes dans presque toutes les phrases du Magnificat. Ce qui veut dire que Marie n’a pas inventé les mots de sa prière. Pour exprimer son émerveillement devant l’action de Dieu, elle a tout simplement repris des phrases prononcées par ses ancêtres dans la foi.

Il y a là, déjà, une double leçon : d’humilité d’abord. Spontanément, pourtant mise devant une situation d’exception, Marie reprend tout simplement les expressions de la prière de son peuple.

De sens communautaire ensuite : on dirait aujourd’hui de sens de l’Église. Car aucune des citations bibliques reprises dans le Magnificat n’a un caractère individualiste ; elles concernent toujours le peuple tout entier. C’est l’une des grandes caractéristiques de la prière juive et maintenant de la prière chrétienne : le croyant n’oublie jamais qu’il fait partie d’un peuple et que toute vocation, loin de le mettre à l’écart, le met au service de ce peuple.

 

LA PRIÈRE DES HOMMES DE LA BIBLE

On retrouve donc dans la prière de Marie les grands thèmes des prières bibliques : j’en retiens au moins quatre :

Premièrement, la joie de la foi

Deuxièmement, l’émerveillement devant la fidélité de Dieu à ses promesses et à son Alliance

Troisièmement, l’action de grâce pour l’œuvre de Dieu

Quatrièmement, la découverte de la prédilection de Dieu pour les pauvres et les petits

Premier thème des prières bibliques, la joie de la foi : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur » ; dans la première lecture de ce troisième dimanche de l’Avent, nous lisons presque la réplique de cette phrase : « Je tressaille de joie dans le SEIGNEUR, mon âme exulte en mon Dieu » (Is 61,10) ; c’est un texte du troisième Isaïe, donc vers 500 av. J.-C. Et cent ans plus tôt, vers 600 av. J.-C., Habacuq avait dit : « Je bondis de joie dans le SEIGNEUR, j’exulte en Dieu, mon Sauveur ! » (Ha 3,18).

Deuxième thème des prières bibliques : l’émerveillement devant la fidélité de Dieu à ses promesses et à son Alliance : chez Michée par exemple : « Tu accordes à Jacob ta fidélité, à Abraham ta faveur, comme tu l’as juré à nos pères depuis les jours d’autrefois. » (Mi 7,20). Et les psaumes y reviennent souvent : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël. » (Ps 97/98,3). « Oui, le SEIGNEUR est bon, éternel est son amour, sa fidélité demeure d’âge en âge » (Ps 99/100,5).

Troisième thème des prières bibliques : l’action de grâce pour l’œuvre de Dieu : Cela, c’est l’un des thèmes majeurs de la Bible, vous le savez bien ; et quand on dit l’œuvre de Dieu, il s’agit toujours de l’unique sujet de toute la Bible, c’est-à-dire son grand projet, son œuvre de libération de l’humanité. Par exemple : « Il est ta louange, il est ton Dieu, lui qui a fait pour toi ces choses grandes et terribles que tu as vues de tes yeux » (Dt 10,21). Ou encore, dans le psaume 110/111 : « Il apporte la délivrance à son peuple, son alliance est promulguée pour toujours. »

Enfin, Quatrième thème des prières bibliques :  la découverte de la sollicitude particulière de Dieu pour les pauvres et les petits : et toujours il intervient pour les rétablir dans leur dignité. « Il s’est penché sur son humble servante, désormais tous les âges me diront bienheureuse », chante Marie. On trouve quelque chose de tout à fait semblable dans le cantique d’Anne, la maman de Samuel : « Mon cœur exulte à cause du SEIGNEUR ; mon front s’est relevé grâce à mon Dieu ! De la poussière, il relève le faible, il retire le malheureux de la cendre pour qu’il siège parmi les princes, et reçoive un trône de gloire. » (1 S 2,1.8). Ce thème du renversement de situation est très cher à la Bible, dès l’Ancien Testament ; par exemple dans le psaume 112/113,7 : « De la poussière il relève le faible, il retire le pauvre de la cendre, pour qu’il siège parmi les princes, parmi les princes de son peuple ».  Ou encore cette phrase superbe du livre de Ben Sirac : « Le Seigneur a renversé les princes de leurs trônes, et installé les doux à leur place. » (Si 10,14).

J’ai parlé de « sollicitude particulière » de Dieu pour les pauvres et les petits. Je n’ai pas parlé de « préférence » de Dieu pour les pauvres. Parce qu’il me semble que l’Amour infini n’a pas de préférences, il est infini pour chacun de nous, grands ou petits. J’ai parlé de « sollicitude particulière pour les pauvres » parce que ce sont ceux qui ont de plus urgents besoins. Mais tous, grands ou petits, nous pouvons compter sur l’Amour infini.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS 5, 16-24

     Frères,
16 soyez toujours dans la joie,
17 priez sans relâche,
18 rendez grâce en toute circonstance :
     c’est la volonté de Dieu à votre égard
     dans le Christ Jésus.
19 N’éteignez pas l’Esprit,
20 ne méprisez pas les prophéties,
21 mais discernez la valeur de toute chose :
     ce qui est bien, gardez-le ;
22 éloignez-vous de toute espèce de mal.
23 Que le Dieu de la paix lui-même
     vous sanctifie tout entiers ;
     que votre esprit, votre âme et votre corps,
     soient tout entiers gardés sans reproche
     pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ.
24 Il est fidèle, Celui qui vous appelle :
     tout cela, il le fera.

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LES YEUX FIXÉS SUR L’HORIZON

Je prends une comparaison : lorsque nous partons en voyage, c’est le but (la destination finale) du voyage qui nous dicte la route à prendre ; pour Paul, le but du voyage chrétien, c’est l’établissement du Royaume de Dieu à la fin des temps. Et, dans toutes ses lettres, on découvre à quel point le retour du Christ est l’horizon de toutes ses pensées.

C’est ce qui justifie toutes les recommandations qu’il donne ici aux Thessaloniciens. Vivre les yeux fixés sur l’horizon (c’est-à-dire l’établissement du Royaume de Dieu), c’est prier, c’est agir, et tout cela dans la joie.

Il ne s’agit pas de n’importe quelle joie bien sûr : il ne s’agit pas d’un optimisme béat, et d’ailleurs, si saint Paul doit préciser « soyez toujours dans la joie », c’est que les Thessaloniciens avaient parfois du mal à rester joyeux ; ce que l’on comprend bien puisque l’on sait qu’ils connaissaient déjà la persécution ; et que Paul a dû quitter précipitamment Thessalonique, après seulement quelques semaines de présence et de prédication parce que la colonie juive le dénonçait au pouvoir romain comme fauteur de troubles.

Aujourd’hui encore, on a parfois du mal à se réjouir quand on pense à toutes les guerres meurtrières qui endeuillent trop de pays tous les jours, au terrorisme et à la persécution religieuse qui fleurit ici ou là, ou aux problèmes économiques et à la vie misérable de tant d’hommes et de femmes sur la planète.

Et pourtant, aux yeux de Paul, la joie est possible et même recommandée : il s’agit de la joie profonde de l’assemblée croyante ; joie d’accueillir la Bonne Nouvelle de la Parole de Dieu ; joie de lire dans nos vies les signes de l’Esprit ; joie d’une vie fraternelle...

 

IL EST FIDÈLE, LE DIEU QUI VOUS APPELLE

Joie de voir naître, lentement peut-être, mais sûrement, le Règne de Dieu. Joie de nous appuyer, non pas sur nos propres forces, mais sur le rocher de la fidélité de Dieu. Vous avez remarqué dans notre texte les derniers mots de Paul : « Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela il l’accomplira » ; dans cette phrase, je lis au moins trois choses :

Premièrement, Il le fera ; c’est-à-dire que le premier artisan du Royaume de Dieu, c’est Dieu lui-même.

Deuxièmement, Il est fidèle : pour des interlocuteurs juifs, c’était leur foi, leur certitude depuis bien longtemps ; parce que leur histoire était justement pleine de l’expérience de cette fidélité de Dieu, quelles que soient les infidélités de son peuple ; mais pour des interlocuteurs non-juifs, c’était une nouvelle extraordinaire que de découvrir que l’histoire tout entière de l’humanité est accompagnée par la fidélité de Dieu ; d’un Dieu qui n’a d’autre but que le bonheur du genre humain tout entier. Rappelez-vous ce que Paul écrit dans la lettre à Timothée : « J’encourage avant tout à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes... Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. » (1 Tm 2,1-4).

Si seulement  tous nos contemporains étaient conscients que Dieu n’a pas d’autre but que le salut et le bonheur de tous les hommes... Il me semble que la face du monde serait changée !

Troisièmement, Dieu vous appelle : cette expression vient contrebalancer ce que j’ai dit plus haut ; d’une part, il est vrai que Dieu est le premier artisan de la venue du Royaume... Mais il nous appelle à y contribuer.

Par la prière, d’abord : vous l’avez entendu dans la lettre à Timothée, mais aussi dans le début du texte d’aujourd’hui : « Priez sans relâche, rendez grâce en toutes circonstances : c’est la volonté de Dieu à votre égard ».          

Par toute notre action, ensuite... parce que prier, ce n’est pas nous débarrasser sur Dieu des tâches qui nous reviennent, c’est puiser dans son Esprit les ressources nécessaires, en force et en imagination, pour accomplir la participation qu’il attend de nous.

N’ÉTEIGNEZ PAS L’ESPRIT

Et c’est bien pour cela que Paul ajoute « N’éteignez pas l’Esprit » : comme on dirait il ne faut pas éteindre un feu, une flamme qui éclaire la nuit ; ce qui signifie que l’Esprit est une flamme qui brûle déjà en nous et dans le monde. Rappelez-vous cette phrase superbe de la quatrième prière eucharistique : « L’Esprit continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ».

Paul fait encore deux recommandations : « Ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose » ; quand on sait à quel point les Grecs étaient friands de manifestations charismatiques (don des langues, prophéties...) on peut comprendre ce double conseil : d’une part, respectez les dons qui se manifestent parmi vous : si quelqu’un prophétise, c’est-à-dire est le porte-parole de Dieu, acceptez de vous laisser interpeller : ne courez pas le risque de refuser d’écouter Dieu lui-même ; mais sachez discerner ; ne suivez pas n’importe qui aveuglément.

Comment reconnaître ce qui vient de l’Esprit Saint ? C’est bien simple : comme il le dira plus tard, dans la lettre aux Corinthiens, ce qui vient de l’Esprit Saint, c’est ce qui édifie la communauté.

Il me semble qu’ici le critère que nous donne Paul, c’est « choisissez ce qui fait avancer le Royaume ».

Comme le disait  Mgr Coffy : « Réintroduire dans nos pensées, nos jugements, nos comportements une référence au Royaume de Dieu qui vient est aujourd’hui une tâche essentielle de l’Église, non pas parce que la culture met l’accent sur le futur - raison non négligeable - mais parce que la fidélité à la Révélation l’exige ». (« Église, signe de salut au milieu des hommes » ; Conférence des Évêques à Lourdes, 1971).
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Complément

Traditionnellement, ce dimanche s’appelait le dimanche de « Gaudete », ce qui veut dire en latin « réjouissez-vous », et les ornements étaient roses. Ce mot « gaudete » est le premier de cette deuxième lecture, tirée de la première lettre de saint Paul aux Thessaloniciens.
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 1, 6-8.19-28

6   Il y eut un homme envoyé par Dieu ;
     son nom était Jean.
7   Il est venu comme témoin,
     pour rendre témoignage à la Lumière,
     afin que tous croient par lui.
8   Cet homme n’était pas la Lumière,
     mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière…

19 Voici le témoignage de Jean,
     quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem
     des prêtres et des lévites pour lui demander :
     « Qui es-tu ? »
20 Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement :
     « Je ne suis pas le Christ. »
21 Ils lui demandèrent :
     « Alors qu’en est-il ?
     Es-tu le prophète Élie ? »
     Il répondit : « Je ne le suis pas.
     – Es-tu le Prophète annoncé ? »
     Il répondit : « Non. »
22 Alors ils lui dirent : « Qui es-tu ?
     Il faut que nous donnions une réponse
     à ceux qui nous ont envoyés.
     Que dis-tu sur toi-même ? »
23 Il répondit :
     « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert :
     Redressez le chemin du Seigneur,
     comme a dit le prophète Isaïe. »

24 Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens.
25 Ils lui posèrent encore cette question :
     « Pourquoi donc baptises-tu,
     si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? »
26 Jean leur répondit :
     « Moi, je baptise dans l’eau.
     Mais au milieu de vous
     se tient celui que vous ne connaissez pas ;
     c’est lui qui vient derrière moi,
     et je ne suis pas digne
     de délier la courroie de sa sandale. »
27 Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain,
     à l’endroit où Jean baptisait.

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DANS L’ATTENTE GÉNÉRALE

Les questions posées à Jean-Baptiste reflètent bien l'état d'esprit qui régnait en Israël au moment de la venue du Christ : visiblement, on attendait le Messie de façon très prochaine ; et dans certains milieux, au moins, cette attente était devenue une impatience, si bien que dans les dernières décennies avant la venue du Christ, on a cru plusieurs fois le reconnaître enfin ; et de toute évidence, Jean-Baptiste jouissait d'une réputation telle qu'on s'est posé la question à son sujet.

Tout le monde attendait, oui, mais tout le monde n’attendait pas la même chose, ou le même personnage : c’est pour cela que les questions se bousculent : « Es-tu le Messie lui-même ? Ou bien Élie ? Ou bien encore le Prophète annoncé ? » Car les promesses de l’Ancien Testament alimentaient l’espérance et l’impatience, mais elles n’étaient pas très claires : certains s’appuyaient en particulier sur les derniers versets du prophète Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le Jour du SEIGNEUR, jour grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères (Ml 3,23-24). Il y avait aussi dans le livre du Deutéronome cette promesse : « Dieu dit à Moïse : Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai. » (Dt 18,18). Très certainement, cette promesse était considérée comme l’une des annonces du Messie. Mais s’appliquait-elle à Jean-Baptiste ?

JE SUIS LA VOIX QUI CRIE

À toutes ces questions, « Es-tu le Messie ? Es-tu Élie ? Es-tu le Prophète annoncé ? » Jean-Baptiste répond par la négative : il n’est ni le Messie, ni Élie, ni le Prophète annoncé, au sens de nouveau Moïse, il n’est qu’une simple voix. Quand il parle de sa mission, il ne se réfère ni à Malachie, ni au Deutéronome, mais à Isaïe : « Je suis la voix qui crie dans le désert : Redressez le chemin du SEIGNEUR, comme a dit le prophète Isaïe. » (Is 40, nous l’avons lu pour le deuxième dimanche de l’Avent).

Chez Isaïe, c’était une annonce de la libération prochaine  du peuple exilé à Babylone : le Seigneur allait venir lui-même prendre la tête de son peuple et le ramener sur sa terre ; par la suite, ce texte avait été relu comme une annonce de la venue du Messie ; c’est bien dans ce sens que Jean-Baptiste le cite : le Messie est proche, lui-même (Jean) est seulement la voix qui l’annonce.

Derrière les dénégations de Jean-Baptiste se profile donc l’affirmation essentielle : le Messie est proche, même si vous ne l’avez pas encore reconnu ; « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas. » Lui-même semble ne pas le connaître encore ; il le dit explicitement quelques versets plus loin : c’est seulement lorsque Jésus s’est présenté à lui pour lui demander le Baptême que Jean-Baptiste a eu la certitude qu’il était le Messie ; je vous rappelle ce passage (dans le même évangile de Jean) : « Je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : « Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit-Saint ». (Jn 1,33).

Ce qui veut dire que Jean-Baptiste a connu ce que nous appelons quelquefois la nuit de la foi : il a commencé à annoncer la présence de Jésus au milieu des hommes avant même de l’avoir reconnu. À cela on reconnaît le vrai prophète : premièrement, il poursuit sa mission, même dans la nuit… car ce qui compte avant tout, c’est que les hommes croient : « Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. » (On retrouve là une très grande insistance de Saint Jean tout au long de son évangile : « afin que tous croient »).

Deuxièmement, il ne nous attire pas vers lui-même, mais vers celui qu’il annonce ; Jean-Baptiste remet bien les choses en place : c’est vers lui que les foules viennent ; mais aussitôt, il les dirige vers le Christ. Il ne se présente pas en porteur de la vérité, mais il tourne les cœurs vers la vérité.

Saint Jean insiste beaucoup sur l’humilité de Jean-Baptiste devant Jésus : « Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. » Il semble qu’il n’était pas inutile peut-être de mettre les choses au point pour les lecteurs de l’évangile ; car on sait par ailleurs (et on le devine ici) que les disciples de Jean-Baptiste ont parfois pris ombrage du succès croissant de Jésus et que, plus tard, parmi les premiers chrétiens, certains auraient eu tendance à inverser les rôles. C’est pour cela que Jean insiste : « Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui. Cet homme n’était pas la Lumière, mais il était là pour rendre témoignage à la lumière... (et Jean continue) Le Verbe était la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1,9).

Un peu plus loin, dans ce même évangile de saint Jean, c’est Jésus lui-même qui dira : » Jean (Baptiste) était la lampe qui brûle et qui brille » (Jn 5,35). Jean-Baptiste est la lampe, il n’est pas la lumière elle-même. Zacharie, son père, ne s’était pas trompé quand il chantait : « Toi aussi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; tu marcheras devant, à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins » (Lc 1,76).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 17 12 2023, 3e dimanche de l'Avent B

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8 décembre 2023 5 08 /12 /décembre /2023 12:21
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

PREMIÈRE LECTURE Isaïe 40,1-5.9-11

1   Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2   Parlez au cœur de Jérusalem.
     Proclamez que son service est accompli,
     que son crime est expié,
     qu'elle a reçu de la main du SEIGNEUR
     le double pour toutes ses fautes.
3   Une voix proclame :
     « Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ;
     tracez droit, dans les terres arides,
     une route pour notre Dieu.
4   Que tout ravin soit comblé,
     toute montagne et toute colline abaissées !
     Que les escarpements se changent en plaine
     et les sommets en large vallée !
5   Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR,
     et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »
9   Monte sur une haute montagne,
     toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
     Élève la voix avec force,
     toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
     Élève la voix, ne crains pas.
     Dis aux villes de Juda :
     « Voici votre Dieu ! »
10 Voici le SEIGNEUR Dieu !
     Il vient avec puissance ;
     son bras lui soumet tout.
     Voici le fruit de son travail avec lui,
     et devant lui, son ouvrage.
11 Comme un berger, il fait paître son troupeau :
     son bras rassemble les agneaux,
     il les porte sur son cœur,
     il mène les brebis qui allaitent.
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 « CONSOLEZ, CONSOLEZ MON PEUPLE »

C’est ici que commence l’un des plus beaux passages du Livre d’Isaïe ; on l’appelle le « Livret de la Consolation d’Israël » car ses premiers mots sont « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette phrase, à elle toute seule, est déjà une Bonne Nouvelle extraordinaire, presque inespérée, pour qui sait l’entendre ! Car les expressions « mon peuple »... « votre Dieu » sont le rappel de l’Alliance.

Or c’était la grande question des exilés. Pendant l’Exil à Babylone, c’est-à-dire entre 587 et 538 avant J.C.  on pouvait se le demander : Dieu n’aurait-il pas abandonné son peuple, n’aurait-il pas renoncé à son Alliance...? Il pourrait bien s’être enfin lassé des infidélités répétées à tous les niveaux. Tout l’objectif de ce Livret de la Consolation d’Isaïe est de dire qu’il n’en est rien. Dieu affirme encore « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu », ce qui était la devise ou plutôt l’idéal de l’Alliance.

Je prends tout simplement le texte dans l’ordre : « Parlez au cœur de Jérusalem. Proclamez que son service est accompli » dit Isaïe ; cela veut dire que la servitude à Babylone est finie ; c’est donc une annonce de la libération et du retour à Jérusalem.

« Que son crime est expié » : en hébreu, littéralement, cela veut dire « couvert » au sens de « recouvert » par le pardon de Dieu… « qu’elle a reçu de la main du SEIGNEUR le double pour toutes ses fautes. » D’après la loi d’Israël, un voleur devait restituer le double des biens qu’il avait volés (par exemple deux bêtes pour une). Parler au passé de cette double punition, c’était donc une manière imagée de dire que la libération approchait puisque la peine était déjà purgée.

Ce que le prophète, ici, appelle les « fautes » de Jérusalem, son « crime », ce sont tous les manquements à l’Alliance, les cultes idolâtres, les manquements au sabbat et aux autres prescriptions de la Loi, et surtout les nombreux manquements à la justice et, plus grave encore que tout le reste, le mépris des pauvres. Le peuple juif a toujours considéré l’Exil comme la conséquence de toutes ces infidélités. Car, à l’époque on pensait encore que Dieu nous punit de nos fautes.

LE RETOUR DE L’EXIL COMME UN NOUVEL EXODE

« Une voix proclame » : nulle part, l’auteur de ce « Livret de la Consolation d’Israël » ne nous dit qui il est ; il se présente comme « la voix qui crie de la part de Dieu » ; nous l’appelons traditionnellement le « deuxième Isaïe ».

« Une voix proclame : Dans le désert, préparez le chemin du SEIGNEUR ». Déjà une fois dans l’histoire d’Israël, Dieu a préparé dans le désert le chemin qui menait son peuple de l’esclavage à la liberté : traduisez de l’Égypte à la Terre promise ; eh bien, nous dit le prophète, puisque le Seigneur a su jadis arracher son peuple à l’oppression égyptienne, il saura aujourd’hui, de la même manière, l’arracher à l’oppression babylonienne.

« Tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu. Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! Que les escarpements se changent en plaine et les sommets en large vallée ! » C’était l’un des plaisirs du vainqueur que d’astreindre les vaincus à faire d’énormes travaux de terrassement pour préparer une voie triomphale pour le retour du roi victorieux. Il y a pire : une fois par an, à Babylone, on célébrait la grande fête du dieu Mardouk, et, à cette occasion, les esclaves juifs devaient faire ces travaux de terrassement : combler les ravins... abaisser les collines et même les montagnes, de simples chemins tortueux faire d’amples avenues... pour préparer la voie triomphale par laquelle devait passer le cortège, roi et statues de l’idole en tête !

Pour ces Juifs croyants, c’était l’humiliation suprême et le déchirement intérieur. Alors Isaïe, chargé de leur annoncer la fin prochaine de leur esclavage à Babylone et le retour au pays leur dit : cette fois, c’est dans le désert qui sépare Babylone de Jérusalem que vous tracerez un chemin... Et ce ne sera pas pour une idole païenne, ce sera pour vous et votre Dieu en tête !

« Alors se révélera la gloire du SEIGNEUR, et tout être de chair verra que la bouche du SEIGNEUR a parlé » : on pourrait traduire « Dieu sera enfin reconnu comme Dieu et tous verront que Dieu a tenu ses promesses. »

« Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion. Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem. » Au passage, vous avez remarqué le parallélisme de ces deux phrases : parallélisme parfait qui a simplement pour but de porter l’accent sur cette Bonne Nouvelle adressée à Sion ou Jérusalem, c’est la même chose : il s’agit évidemment du peuple et non de la ville. Le contenu de cette Bonne Nouvelle suit immédiatement : « Voici votre Dieu ! Voici le SEIGNEUR Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout. Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage. »

« Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent. » Nous retrouvons ici chez Isaïe l’image chère à un autre prophète de la même époque, Ézéchiel.

Ce texte, dans son ensemble, résonnait donc comme une extraordinaire nouvelle aux oreilles des contemporains d’Isaïe, au sixième siècle av. J.-C. Et voilà que cinq ou six cents ans plus tard, lorsque Jean-Baptiste a vu Jésus de Nazareth s’approcher du Jourdain et demander le baptême, il a entendu résonner en lui ces paroles d’Isaïe et il a été rempli d’une évidence aveuglante : le voilà celui qui rassemble définitivement le troupeau du Père... Le voilà celui qui va transformer les chemins tortueux des hommes en chemins de lumière... Le voilà celui qui vient redonner au peuple de Dieu sa dignité... Le voilà celui en qui se révèle la gloire (c’est-à-dire la présence) du SEIGNEUR. Fini le temps des prophètes, désormais Dieu lui-même est parmi nous !
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PSAUME  84 (85)

9   J'écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ?
     Ce qu'il dit, c'est la paix pour son peuple et ses fidèles.
10 Son salut est proche de ceux qui le craignent,
     et la gloire habitera notre terre.

11 Amour et vérité se rencontrent,
     justice et paix s'embrassent ;
12 la vérité germera de la terre
     et du ciel se penchera la justice.

13 Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits,
     et notre terre donnera son fruit.
14 La justice marchera devant lui,
     et ses pas traceront le chemin.
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LES DIFFICULTÉS DU RETOUR D’EXIL

Le psaume 84/85 a été écrit après le retour d’Exil du peuple d’Israël : ce retour tant attendu, tant espéré. Ce devait être un merveilleux recommencement : c’était le retour au pays, d’abord, mais aussi le début d’une nouvelle vie... Dieu effaçait le passé, on repartait à neuf...

La réalité est moins rose. D’abord, on a beau prendre de « bonnes résolutions », rêver de repartir à zéro, on se retrouve toujours à peu près pareils... et c’est très décevant. Les manquements à la Loi, les infidélités à l’Alliance ont recommencé, inévitablement.

Ensuite, il faut dire que l’Exil à Babylone a duré, à peu de chose près, cinquante ans (de 587 à 538 av.J.C.) ; ce sont des hommes et des femmes valides, d’âge mûr pour la plupart, qui ont été déportés et qui ont survécu à la marche forcée entre Israël et Babylone... Cela veut dire que cinquante ans plus tard, au moment du retour, beaucoup d’entre eux sont morts ; ceux qui rentrent au pays sont, soit des très jeunes partis en 587, mais dont la mémoire du pays est lointaine, évidemment, soit des jeunes nés pendant l’Exil.

C’est donc une nouvelle génération, pour une bonne part, qui prend le chemin du retour. Cela ne veut pas dire qu’ils ne seraient ni très fervents, ni très croyants, ni très catéchisés... Leurs parents et grands-parents ont certainement eu à cœur de leur transmettre la foi des ancêtres ; ils sont impatients de rentrer au pays tant aimé de leurs parents, ils sont impatients de reconstruire le Temple et de recommencer une nouvelle vie.

Mais au pays, justement, ils sont, pour la plupart des inconnus, et, évidemment, ils ne reçoivent pas l’accueil dont ils avaient rêvé ; par exemple, la reconstruction du Temple s’est heurtée sur place à de farouches oppositions.

 Dans notre psaume d’aujourd’hui, on ressent bien ce mélange de sentiments : pour l’entendre, il faut nous reporter aux premiers versets de ce psaume, qui n’ont pas été retenus pour la liturgie de ce dimanche.

 Le retour d’Exil est une chose acquise : « Tu as aimé, SEIGNEUR, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob ; tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute ; tu as mis fin à toutes tes colères, tu es revenu de ta grande fureur. » ( v. 2-4). Mais, pour autant, puisque les choses vont mal encore, on se demande si Dieu ne serait pas encore en colère : « Seras-tu toujours irrité contre nous, maintiendras-tu ta colère d’âge en âge ? » (v. 6). Alors on supplie : « Fais-nous voir, SEIGNEUR, ton amour, que nous soit donné ton salut » (v. 8).

 PRIÈRE POUR DEMANDER LA GRÂCE DE LA CONVERSION

 Et on demande la grâce de la conversion définitive : « Fais-nous revenir, Dieu notre salut » (v. 5) ; toute la première partie du psaume joue sur le verbe « revenir » : « revenir » au sens de rentrer au pays après l’exil, c’est chose faite ; « revenir » au sens de « revenir à Dieu », « se convertir »; cela, c’est plus difficile encore ! Et on sait bien que la force, l’élan de la conversion est une grâce, un don de Dieu.

 Une conversion qui exige un engagement du croyant : « J’écoute... que dira le SEIGNEUR Dieu ? » « Écouter », en langage biblique, c’est précisément l’attitude résolue du croyant, tourné vers son Dieu, prêt à obéir aux commandements, parce qu’il y reconnaît le seul chemin de bonheur tracé pour lui par son Dieu. « Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles »  ; mais le compositeur de ce psaume est réaliste ! Il ajoute « Qu’ils (les fidèles) ne reviennent jamais à leur folie ! » (v. 9c).

 La fin de ce psaume est un chant de confiance superbe, j’aurais envie de dire « le chant de la confiance retrouvée », la certitude que le projet de Dieu, le projet de paix pour tous les peuples avance irrésistiblement vers son accomplissement. « La gloire (c’est-à-dire le rayonnement de la Présence de Dieu) habitera notre terre ». « La justice marchera devant lui et ses pas traceront le chemin ». « Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent » : le psaume parle au présent ; il n’est pas dupe, il n’est pas dans le rêve ! Il anticipe seulement ! Il entrevoit le Jour qui vient, celui où, après tant de combats et de douleurs inutiles, et de haines imbéciles, enfin, les hommes seront frères !

 DEPUIS LE JOUR DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST

 Pour les chrétiens, ce Jour est là, il est déjà commencé : il s’est levé au moment où Jésus-Christ s’est levé d’entre les morts, et, à leur tour, les chrétiens ont chanté ce psaume, et pour eux, bien sûr, à la lumière du Christ, il a trouvé tout son  sens.

 Le psaume disait : » Son salut est proche de ceux qui l’aiment » et justement le nom de Jésus veut dire « Dieu-salut » ou « Dieu sauve ».

 Le psaume disait : « La vérité germera de la terre » ; Jésus lui-même a dit « Je suis la Vérité » et le mot « germe », ne l’oublions pas, était l’un des noms du Messie dans l’Ancien Testament.

 Le psaume disait « La gloire habitera notre terre », et saint Jean, dans son Évangile dit « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire qu’il tient du Père » (Jn 1,14).

 Le psaume disait : « J’écoute, que dira le Seigneur Dieu ? » ; Jean appelle Jésus la Parole, le Verbe de Dieu.

 Le psaume disait : « Ce que Dieu dit, c’est la paix pour son peuple » ; lors de ses rencontres avec ses disciples, après sa Résurrection, la première phrase de Jésus pour eux sera « La paix soit avec vous ».

 La paix, cette conquête apparemment impossible pour l’humanité, est pourtant, toute la Bible nous le dit, notre avenir, à condition de ne pas oublier qu’elle est don de Dieu.
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DEUXIÈME LECTURE : 2 Pierre  3,8-14

 8   Bien-aimés,
     il est une chose qui ne doit pas vous échapper :
     pour le Seigneur,
     un seul jour est comme mille ans,
     et mille ans sont comme un seul jour.
9   Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse,
     alors que certains prétendent qu’il a du retard.
     Au contraire, il prend patience envers vous,
     car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre
     mais il veut que tous parviennent à la conversion.
10 Cependant, le jour du Seigneur viendra, comme un voleur.
     Alors les cieux disparaîtront avec fracas,
     les éléments embrasés seront dissous,
     la terre, avec tout ce qu'on a fait ici-bas, ne pourra y échapper.
11 Ainsi, puisque tout cela est en voie de dissolution,
     vous voyez quels hommes vous devez être,
     en vivant dans la sainteté et la piété,
12 vous qui attendez,
     vous qui hâtez l’avènement du jour de Dieu,
     ce jour où les cieux enflammés seront dissous,
     où les éléments embrasés seront en fusion.
13 Car ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur,
     c'est un ciel nouveau et une terre nouvelle
     où résidera la justice.
14 C’est pourquoi, bien-aimés, en attendant cela,
     faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut,
     dans la paix.
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L’IMPATIENCE DES HOMMES ET LA PATIENCE DE DIEU

« Il est une chose qui ne doit pas vous échapper » : si Pierre parle de cette manière, c’est bien justement parce qu’on avait tendance à oublier cette chose qui lui paraît, à lui, si importante ! Cette chose, c’est « Pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour ». Pas étonnant qu’on ait tendance à l’oublier, parce que pour nous c’est inconcevable ! Mille ans ou un jour, pour nous, ce n’est vraiment pas pareil. Nos vies sont sous le signe du temps, nous ne le savons que trop ; mesuré, compté, trop bref, témoin de notre maturation et de notre vieillissement ; témoin aussi de nos efforts et de l’avancée lente, trop lente à nos yeux, mais sûre, du projet de Dieu.

Or Dieu, lui, est hors du temps : on dit qu’il est « Éternel » ; c’est certainement l’un des sens de son nom « JE SUIS » : sous-entendu « Je suis éternellement présent à vos côtés ».

Apparemment, c’est cette lenteur dans l’accomplissement du projet de Dieu qui suscitait l’impatience et les questions des premiers chrétiens, auditeurs de Pierre. Il relève la question « Le Seigneur n’est-il pas en retard pour tenir sa promesse ? » et sa réponse est on ne peut plus directe : « (Non,) Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. »

Cette promesse, Pierre l’explicite avec ses mots à lui : « Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. » Il l’appelle aussi « l’avènement du Jour de Dieu ».

On reconnaît ici au passage une citation du prophète Isaïe : « Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle... » (Is 65,17). Pierre y ajoute une précision qu’il emprunte au prophète Malachie : il annonce une terre nouvelle « où résidera la justice. » Nous retrouverons cette citation de Malachie tout à l’heure.

Face à l’impatience de ses auditeurs, Pierre affirme donc la patience de Dieu ; un peu comme s’il disait, « vous faites preuve d’impatience envers Dieu, mais Dieu fait preuve de patience envers vous ». Bien sûr, les points de vue des hommes et de Dieu sont forcément tout autres. Isaïe l’avait déjà dit et nous devons nous redire souvent cette phrase « Les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées »... Pour nous qui sommes dans le temps, nous trouvons bien longue l’attente du Royaume ; et souvent nous trouvons que le monde ne s’améliore pas bien vite. Dieu, lui, patiente, parce que, dit Pierre, « il veut que tous parviennent à la conversion… il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre » ; manière de réaffirmer encore une fois que le projet de salut de Dieu concerne l’humanité tout entière.

Mais, il est important de le noter, Pierre ne dit pas « C’est pour eux (les récalcitrants, les païens...) qu’il patiente, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre… » Il dit : « il prend patience envers vous » ; c’est peut-être la phrase la plus importante de ce passage : non, Dieu ne tarde pas à accomplir sa promesse, mais il attend avec patience notre contribution à son projet ; ce qui veut dire deux choses :

Premièrement, Dieu a trop de respect pour notre liberté pour nous faire entrer de force dans son Royaume ; donc il patiente.

NOTRE RÔLE DANS LA VENUE DU JOUR DE DIEU

Deuxièmement, et c’est une annonce incroyable, Dieu nous propose de prendre notre part dans la réalisation de son projet de sauver tous les hommes. Il est en notre pouvoir de « hâter » le Jour de Dieu. (André Chouraqui traduisait même « Vous qui attendez et précipitez l’avènement du Jour de Dieu »). Ce qui veut dire qu’il est en notre pouvoir de « hâter » et même comme disait Chouraqui, de « précipiter » le jour de Dieu.

Reprenons le texte d’Isaïe (65,17 cité plus haut) : c’est encore plus beau que ce que nous croyons : « Voici : je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ; ainsi le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu’au secret du cœur. Au contraire c’est un enthousiasme et une exultation perpétuels que je vais créer : en effet, l’exultation que je vais créer, ce sera Jérusalem et l’enthousiasme, ce sera son peuple ». Ce qui nous est proposé, c’est de travailler pour l’enthousiasme et l’exultation de nos frères. Voilà qui donne sens à notre vie et devrait nous redonner du courage.

On attribue à la toute jeune sainte Élisabeth de Thuringe cette phrase : « Je vous disais que nous devons rendre les hommes joyeux ». Sainte Élisabeth avait-elle ou non lu le chapitre 65 d’Isaïe ? En tout cas, elle avait tout compris. Et Isaïe continue, en détaillant la nouvelle vie du Royaume : « On n’y entendra plus retentir ni pleurs ni cris... » et vous connaissez la suite, « il ne se fera ni mal ni destruction sur ma montagne sainte, dit le SEIGNEUR. » (Is 65,25).

Quand Pierre dit : « Bien-aimés, en attendant cela, faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut, dans la paix », il veut dire « vivez déjà selon les valeurs du Royaume, c’est ainsi que vous hâterez sa venue ».

Au milieu de notre passage, Pierre décrit dans des termes impressionnants cette venue du jour de Dieu. On y reconnaît une annonce célèbre du prophète Malachie : « Voici que vient le jour, brûlant comme un four. Tous les arrogants et les méchants ne seront que paille. Le jour qui vient les embrasera, dit le SEIGNEUR, le tout-puissant. Il ne leur laissera ni racines ni rameaux. Pour vous qui craignez mon nom, le Soleil de justice se lèvera portant la guérison dans ses rayons. » (Mal 3,19-20).

Cette description du « Soleil de justice » ne doit pas nous inquiéter, au contraire. Comme toujours, ce jugement annoncé ne coupera pas l’humanité en deux, comme si certains étaient entièrement bons et les autres entièrement mauvais. Il n’y a pas d’homme complètement méchant ou complètement arrogant, mais en chacun de nous, un peu d’arrogance et de méchanceté : c’est cela qui disparaîtra en un clin d’œil, brûlé dans le feu de l’amour de Dieu ; seules subsisteront les semences du royaume : le soleil de justice les fera germer. Voilà pourquoi Pierre a complété la citation d’Isaïe « nous attendons les cieux nouveaux et la terre nouvelle où résidera la justice ».

C’est pour cela aussi que Pierre peut conseiller tranquillement à ses interlocuteurs d’être en paix « Faites tout pour qu’on vous trouve sans tache ni défaut, dans la paix » : nous n’avons rien à craindre d’un soleil qui apporte la guérison dans ses rayons !
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ÉVANGILE  DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MARC  1, 1 - 8

1   Commencement de l’Évangile de Jésus,
     Christ, Fils de Dieu.
2   Il est écrit dans Isaïe, le prophète :
     Voici que j'envoie mon messager en avant de toi,pour ouvrir ton chemin.
3   Voix de celui qui crie dans le désert :
     Préparez le chemin du SEIGNEUR,Rendez droits ses sentiers.
4   Alors Jean, celui qui baptisait, parut dans le désert.        
     Il proclamait un baptême de conversion
     pour le pardon des péchés.
5   Toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem,
     se rendaient auprès de lui,
     et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain,
     en reconnaissant publiquement leurs péchés.
6   Jean était vêtu de poil de chameau,
     avec une ceinture de cuir autour des reins,
     il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
7   Il proclamait :
     « Voici venir derrière moi
     celui qui est plus fort que moi ;
     je ne suis pas digne de m’abaisser
     pour défaire la courroie de ses sandales.
8   Moi, je vous ai baptisés avec de l'eau ;
     lui vous baptisera dans l'Esprit Saint. »
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L’AVÈNEMENT DU NOUVEAU ROI DU MONDE

« Commencement de l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » : en quatre mots tout le mystère de Jésus de Nazareth est dit : cet homme, situé humainement, est Christ, Fils de Dieu : c’est-à-dire à la fois roi, Messie, celui qui accomplit l’attente de son peuple, mais aussi réellement Fils de Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même... et là les attentes du peuple élu ont été non seulement comblées mais largement dépassées. Désormais tout l’évangile de Marc sera le développement de ce premier verset.

« Évangile » : il faudrait entendre ce mot dans toute sa force ! Au sens de « Grande Nouvelle », une grande Nouvelle qui serait excellente. Étymologiquement, c’est exactement le sens du mot « évangile » ; à l’époque, les heureuses grandes nouvelles officielles comme la naissance d’un roi ou une victoire militaire étaient appelées des « évangiles ». La venue de Jésus parmi les hommes est bien la Nouvelle d’un début de Règne, celui de Dieu lui-même.

Matthieu, Marc, Luc et Jean n’ont pas écrit des livres de souvenirs, des biographies de Jésus de Nazareth ; pour eux il s’agit d’une Nouvelle extraordinaire et elle est bonne ! « Croyez à la Bonne Nouvelle » (c’est une autre phrase de Marc) veut dire « croyez que la Nouvelle est Bonne ! » Cette Bonne Nouvelle, les évangélistes ne peuvent pas, ne veulent pas la garder pour eux ; alors ils prennent la plume pour dire au monde et aux générations futures : Celui que le peuple de Dieu attendait est venu : il donne sens à la vie et à la mort, il ouvre nos horizons, illumine nos yeux aveugles, il fait vibrer nos tympans durcis, met en marche les membres paralysés et va jusqu’à relever les morts. Voilà une Bonne Nouvelle !

Contrairement aux récits de Matthieu et de Luc, cette Bonne Nouvelle ne commence pas, chez Marc, par des récits de la naissance ou de l’enfance de Jésus, mais tout de suite par la prédication de Jean-Baptiste :

 Jean, celui qui baptisait, parut dans le désert ». Et Marc cite le prophète Isaïe : « Voici que j'envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du SEIGNEUR, Rendez droits ses sentiers. » 1

 Cette dernière phrase est tirée du deuxième livre d’Isaïe dans ce texte qui commence par ces mots superbes « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Is 40 : première lecture de ce dimanche). En revanche la première phrase « Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin » n’est pas du prophète Isaïe, mais Marc fait ici un rapprochement très intéressant, avec une phrase du prophète Malachie et une autre du livre de l’Exode ; nous y reviendrons plus bas.

« Il était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. » Il est rare que les évangiles décrivent le vêtement et la nourriture de quelqu’un ! Si Marc le fait ici pour Jean-Baptiste, c’est que cela a un sens. Les sauterelles et le miel sauvage sont la nourriture du désert, avec ce que cela signifie d’ascétisme, mais aussi de promesses, puisque c’est au désert que la grande aventure de l’Alliance avec Dieu a commencé : manière de dire « la venue de Jean-Baptiste est votre chance d’un retour au désert, des retrouvailles avec votre Dieu ».

Et voilà pourquoi, je crois, Marc a rapproché les diverses citations que nous avons lues un peu plus haut. Le prophète Malachie écrivait : « Voici, j’envoie mon messager, il aplanira le chemin devant moi » (Ml 3,1) ; nous sommes dans la perspective de la venue du Jour de Dieu ; et dans le livre de l’Exode on trouve « Je vais envoyer un messager devant toi pour te garder en chemin et te faire entrer dans le lieu que j’ai préparé » (Ex 23,20) ; c’est un rappel de la sortie d’Égypte.

Ce que Marc sous-entend ici en quelques mots, c’est que Jean-Baptiste nous achemine de l’Alliance historique conclue dans le désert de l’Exode vers l’Alliance définitive en Jésus-Christ.

Quant au vêtement de poil de chameau, il était celui du grand prophète Élie (2 R 1,8) 2 : c’était même à celà qu’on le reconnaissait de loin ; Jean-Baptiste est donc présenté comme le successeur d’Élie ; on disait d’ailleurs couramment qu’Élie reviendrait en personne pour annoncer la venue du Messie ; on s’appuyait là sur une prophétie de Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Élie, le prophète, avant que ne vienne le jour du SEIGNEUR. » (Ml 3,23).

Pas étonnant, alors, qu’il y ait toute une effervescence autour de Jean-Baptiste : qui sait ? c’est peut-être Élie qui est revenu ; cela voudrait dire que l’arrivée du Messie est imminente. (Entre parenthèses, cette effervescence prouve en tout cas que l’attente du Messie était vive au temps de Jésus). Les foules accourent donc autour de Jean-Baptiste, nous dit Marc, mais lui ne se laisse pas griser par son succès : il sait qu’il n’est qu’une voix, un signe et qu’il annonce plus grand que lui. Il détrompe fermement ceux qui le prennent pour le Messie et il en tire tout simplement les conséquences : Celui que je vous annonce est tellement plus grand que moi que je ne suis même pas digne de me courber à ses pieds pour dénouer la courroie de sa sandale.

LUI VOUS BAPTISERA DANS L’ESPRIT SAINT

Comme Élie, comme tout vrai prophète, Jean-Baptiste prêche la conversion : et tous ceux qui veulent changer de vie, il leur propose un baptême. Il ne s’agit plus seulement de se laver les mains avant chaque repas, comme la religion juive le demandait, il s’agit de se plonger tout entier dans l’eau pour manifester la ferme résolution de purifier toute sa vie : entendez de tourner définitivement le dos à toutes les idoles quelles qu’elles soient. Dans certains couvents du temps de Jean-Baptiste et de Jésus, on allait même jusqu’à prendre un bain de purification par jour pour manifester et entretenir cette volonté de conversion.

Mais Jean-Baptiste précise bien : entre son baptême à lui et celui qu’inaugure le Christ, il y a un monde (au vrai sens du terme) ! « Moi, je vous baptise dans l’eau » : c’est un signe qui montre votre désir d’une nouvelle vie ; le geste du baptiseur et le mouvement du baptisé sont des gestes d’hommes. Tandis que le geste du Christ sera le geste même de Dieu : « Il vous baptisera (plongera) dans l’Esprit Saint ».3 C’est Dieu lui-même qui purifiera son peuple en lui donnant son Esprit.

Ici, c’est notre conception même de la pureté qu’il faut convertir :

Premièrement, la pureté n’est pas ce que nous pensons : spontanément, nous pensons pureté en termes d’innocence, une sorte de propreté spirituelle ; et la purification serait alors de l’ordre du nettoyage, en quelque sorte. Comme si on pouvait laver son âme. En réalité, la pureté au sens religieux a le même sens qu’en chimie : on dit d’un corps qu’il est pur quand il est sans mélange. Le cœur pur, c’est celui qui est tout entier tourné vers Dieu, qui a tourné le dos aux idoles ; (de la même manière que saint Jean, parlant de Jésus dans le Prologue, dit « Il était tourné vers Dieu »).

Deuxièmement, notre purification n’est pas notre œuvre, elle n’est pas à notre portée, elle est l’œuvre de Dieu : pour nous purifier, nous dit Jean-Baptiste, Dieu va nous remplir de l’Esprit-Saint. Nous n’avons qu’à nous laisser faire et accueillir le don de Dieu.
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Notes

1 - « Préparez le chemin du SEIGNEUR » (Is 40,3) : le texte original hébreu et sa traduction en grec ne portent pas exactement la même ponctuation. Voici le texte hébreu : « Une voix crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur » ; et le texte grec (dont dérive notre liturgie) : « Une voix crie : à travers le désert, préparez le chemin du Seigneur. »

2 - Le vêtement de poil de chameau était devenu l’uniforme des prophètes ; il arrivait même que certains charlatans en usent pour se faire passer pour prophètes (Za 13,4).

3 – « Il vous baptisera dans l’Esprit-Saint » : Jean-Baptiste voit dans la venue de Jésus l’accomplissement de la promesse du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair » (Jl 3,1).

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 10 12 2023, 2e dimanche de l'Avent B

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26 novembre 2023 7 26 /11 /novembre /2023 23:58
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ISAÏE 63, 16b-17.19b ; 64,2b-7

63, 16b C’est toi, SEIGNEUR, notre Père ;
       « Notre-Rédempteur-depuis-toujours », tel est ton nom.
17    Pourquoi, SEIGNEUR, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ?
       Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ?
       Reviens, à cause de tes serviteurs,
       des tribus de ton héritage.
19b Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais,
       les montagnes seraient ébranlées devant ta face.
 64, 2b Voici que tu es descendu :
       les montagnes furent ébranlées devant ta face.
3     Jamais on n'a entendu,
       jamais on n’a ouï dire,
       nul œil n'a jamais vu un autre dieu que toi
       agir ainsi pour celui qui l’attend.
4     Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice,
       qui se souvient de toi en suivant tes chemins.
       Tu étais irrité, mais nous avons encore péché,
       et nous nous sommes égarés.
5     Tous, nous étions comme des gens impurs,
       et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés.
       Tous, nous étions desséchés comme des feuilles,
       et nos fautes, comme le vent, nous emportaient.
6     Personne n'invoque plus ton nom,
       nul ne se réveille pour prendre appui sur toi.
       Car tu nous as caché ton visage,
       tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes.
7     Mais maintenant, SEIGNEUR, c’est toi notre Père.
       Nous sommes l'argile, c’est toi qui nous façonnes :
       nous sommes tous l'ouvrage de ta main.
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QUAND ISRAËL APPELAIT DIEU  « NOTRE PÈRE »

Vous voyez que le catéchisme du petit enfant Juif et celui du petit chrétien ont au moins un point commun : les deux affirment que Dieu est Père ! Ce texte d’Isaïe date probablement de cinq cents ans avant le Christ, ce qui veut dire qu’il est vieux de plus de deux mille cinq cents ans ; or il est très clair sur ce point. Il le dit même deux fois : dans le texte tel qu’il nous est proposé par la liturgie, cela forme ce qu’on appelle une « inclusion » ; la première et la dernière ligne sont deux affirmations identiques et elles encadrent tout le texte ; première ligne « C’est toi, SEIGNEUR, notre Père »... dernière ligne « SEIGNEUR, c’est toi notre Père. » Suit l’image du potier : « Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main ».

Image très intéressante, celle du potier, qui dit bien dans quel sens Dieu est Père : il ne s’agit pas d’une paternité charnelle semblable à la paternité humaine ; le potier n’est pas le papa biologique de l’objet qu’il crée ; il en est le créateur, c’est tout autre chose !

Et là, une fois de plus, Israël se démarque des peuples voisins ; car je disais tout-à-l’heure qu’on n’a pas attendu le Nouveau Testament pour appeler Dieu « Père », mais pour être tout-à-fait honnête, on n’a pas attendu non plus l’Ancien Testament ni le peuple hébreu ; les autres peuples aussi invoquaient leur dieu comme leur père ; par exemple, au quatorzième siècle avant notre ère, à Ugarit (en Syrie, au Nord de la Palestine), le dieu suprême s’appelle « El, roi-père » .

Mais le titre de père, chez les autres peuples, a deux significations : premièrement un sens d’autorité ; deuxièmement un sens de paternité charnelle ; la Bible a gardé le premier sens de l’autorité, mais a toujours refusé de considérer Dieu comme un père biologique à la manière humaine. Dieu est le Tout-Autre, sur ce plan-là aussi.

C’est pour cette raison, d’ailleurs, qu’on trouve assez rarement, et seulement tardivement, dans l’Ancien Testament des affirmations péremptoires du genre « Dieu est votre Père » ; pendant trop longtemps, on aurait risqué de se méprendre et de l’imaginer père à la manière humaine, comme les peuples voisins.1

En revanche, on trouve plus tôt et plus souvent le titre de fils appliqué au peuple d’Israël tout entier ; c’est évidemment moins ambigu : on ne risque pas de penser cette filiation d’un peuple entier en termes de sexualité. Par exemple, dès le livre de l’Exode, dans un texte probablement très ancien, on peut lire « Ainsi parle le SEIGNEUR : Mon fils premier-né, c’est Israël » (Ex 4,22 ; premier-né signifiant ici « bien-aimé », « fils de prédilection »). Ce qui fait évidemment penser à l’élection d’Israël.

Deuxième étape, depuis David, le roi est appelé « fils de Dieu » ; vous connaissez la formule du Psaume 2, prononcée le jour du sacre d’un nouveau roi « Tu es mon fils, aujourd’hui, je t’ai engendré ».

Puis, peu à peu, on comprendra que chacun de nous peut se considérer comme fils de Dieu, c’est-à-dire objet de sa tendresse... Vous voyez que notre prière du Notre Père remonte très loin ; tellement loin qu’on trouve pratiquement toutes les phrases du Notre Père dans des prières juives qui étaient récitées dans les synagogues bien avant la naissance de Jésus.

QUAND ISRAËL APPELAIT DIEU  « NOTRE LIBÉRATEUR »

L’autre titre donné à Dieu par Isaïe, c’est celui de « Rédempteur », ce qui veut dire « libérateur » ; chaque fois que nous rencontrons les mots « Rédempteur », « Rédemption », il faut penser « Libérateur », « Libération » ; Le Dieu de l’Ancien Testament est celui qui veut l’homme libre : libre de tout esclavage humain et aussi de toute idolâtrie, car c’est la pire des servitudes.

Pour le dire, Isaïe emploie ici un mot bien précis, le Go’el ; c’est un terme juridique que nous traduisons par « Rédempteur », « Libérateur ». Il s’applique à un parent proche qui vient délivrer une victime.

À plusieurs reprises dans l’Ancien Testament, Dieu est appelé le « Rédempteur », le « racheteur » de son peuple.  Par exemple, on connaît la fameuse profession de foi de Job : « Je sais, moi, que mon Rédempteur (mon libérateur) est vivant. » Bien sûr, quand on applique ce terme de rachat à Dieu, on n’envisage pas une transaction commerciale ; mais on affirme deux choses : premièrement, Dieu est le plus proche parent de son peuple ; deuxièmement Dieu veut l’homme libre.

Quand saint Paul, dans ses lettres, insiste tellement sur la liberté des enfants de Dieu, il est le lointain fils spirituel d’Isaïe.
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Note

1 - C’est pour la même raison que, dans le Nouveau Testament, Jésus tarde à se faire reconnaître comme le Messie : parce que pendant tout un temps il y aurait trop d’ambiguïtés sur le mot.

Compléments

A - Dieu « Rédempteur », c’est-à-dire « libérateur »

La première expérience qu'Israël a faite de Dieu est celle de la libération d’Égypte ; voilà pourquoi Isaïe dit » depuis-toujours » : « ‘Notre-Rédempteur-depuis-toujours’, tel est ton nom ».

Le premier article du Credo des Juifs n’est donc pas « Je crois au Dieu créateur », mais « je crois au Dieu libérateur ». Le centre de la tradition d’Israël, la mémoire qu’on se transmet de génération en génération, c’est « Dieu nous a libérés et a fait Alliance avec nous ». Voilà le centre de la foi et de la prière de ce peuple ; ou, plus exactement, ce qui fait d’Israël un peuple, c’est cette foi commune.

En hébreu, ce mot « Go’el » (que l’on traduit par « rédempteur ») vient d’une racine qui signifie « racheter, revendiquer, mais surtout protéger ». Voici de quoi il s’agit : s’il arrive qu’un Israélite soit obligé de se vendre comme esclave pour payer ses dettes, son plus proche parent sera son « Go’el », son « Rédempteur » ; il ira trouver le créancier pour obtenir la libération de son parent (Lv 25,47-49). De la même manière, si un Israélite est obligé de vendre son patrimoine, le plus proche parent, le « Go’el » exercera un droit de préemption. Bien sûr, le Go’el devra rembourser le créancier, mais l’aspect financier n’est que secondaire ; l’aspect majeur est celui de la libération du débiteur. Pour la simple raison que, au nom du Dieu libérateur, et parce que le peuple de Dieu doit être fait d’hommes libres, un fils d’Israël ne peut pas tolérer de laisser ses proches réduits en esclavage ; d’où l’institution du « Go’el », le « Rédempteur » ou le « Libérateur ».

B - Une prière de repentance

Entre ces deux affirmations que Dieu est notre Père (Is 63,16 et 64,7), Isaïe développe toute une prière adressée à Dieu précisément parce qu’Il est Père : « Reviens... Ah ! Si tu déchirais les cieux... ». Des expressions comme celle-là (« Reviens ») sont typiques des prières de pénitence : même si on sait bien que Dieu n’a pas besoin de revenir ! Il ne risque pas de s’être éloigné. En réalité, c’est un aveu, l’aveu que le peuple s’est éloigné, qu’il est retombé dans ses fautes favorites, en particulier l’idolâtrie, sous une forme ou sous une autre. « Personne n'invoque plus ton nom, nul ne se réveille pour prendre appui sur toi ». Et pourtant, on sait bien que Dieu est le seul Dieu. « Jamais on n'a entendu, jamais on n’a ouï dire, nul œil n'a jamais vu un autre dieu que toi    agir ainsi pour celui qui l’attend ».

Mais Dieu seul peut nous convertir, au vrai sens du terme, nous faire revenir à lui. « Ah ! Si tu déchirais les cieux... » Quelques siècles plus tard, au Baptême de Jésus, les cieux se sont déchirés et au Calvaire, c’est le voile du temple (symbole du firmament) qui s’est déchiré. Dieu a entendu la prière d’Isaïe ; il est intervenu en son Fils pour nous faire revenir à lui.
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PSAUME  79 (80)

2   Berger d'Israël, écoute,
     resplendis au-dessus des Kéroubim !-
3   Réveille ta vaillance
     et viens nous sauver.

15 Dieu de l'univers, reviens !
     Du haut des cieux, regarde et vois :
     visite cette vigne, protège-là,
16 celle qu'a plantée ta main puissante.

18 Que ta main soutienne ton protégé,
     le fils de l'homme qui te doit sa force.
19 Jamais plus nous n'irons loin de toi :
     fais-nous vivre et invoquer ton nom !
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PSAUME POUR CÉLÉBRATION PÉNITENTIELLE

« Jamais plus nous n’irons loin de toi, fais-nous vivre et invoquer ton Nom ». Ce psaume est un véritable cri de détresse : Israël, probablement dans une célébration pénitentielle, lance vers son Dieu une prière de supplication. C’est une prière chantée, très certainement, car elle comprend cinq strophes séparées par des refrains1 ; les strophes sont construites en alternance : tantôt rappels du passé... tantôt appels au secours pour le présent. Quant aux refrains, ils sont une demande de pardon : « Dieu, fais-nous revenir, que ton visage s’éclaire et nous serons sauvés ». Tout ce psaume, et spécialement son refrain, dit l’impatience de voir s’accomplir enfin définitivement ces promesses de salut de Dieu : « Réveille ta vaillance et viens nous sauver ».

Pour garder l’espérance, on s’appuie sur les souvenirs du passé. Dieu a prouvé maintes fois son amour pour son peuple... donc il le sauvera encore. Les souvenirs du passé : ce sont, bien sûr, les débuts de ce peuple avec la sortie d’Égypte, l’Exode, l’entrée en Terre promise, l’Alliance de Dieu avec les douze tribus, la conquête progressive de la Terre... et surtout l’irrésistible ascension de ce peuple parti de rien (au début ce n’était qu’une poignée d’esclaves échappés).

Et cette aventure extraordinaire, ce petit peuple sait bien que c’est à Dieu qu’il la doit, à sa Présence continuelle : c’est lui, réellement, qui a fait naître et grandir son peuple, qui l’a protégé inlassablement au cours du temps.

Cet amour de Dieu pour son peuple, sa sollicitude qu’on a tant de fois expérimentée, on l’exprime par deux images privilégiées dans la Bible, celle du berger, celle du vigneron. Deux figures qui disent, l’une et l’autre, le soin jaloux dont Dieu entoure son Peuple : comme un vigneron soigne sa vigne ; comme un berger veille sur ses brebis pour n’en perdre aucune. « Berger d’Israël... Toi qui conduis ton troupeau... Visite cette vigne qu’a plantée ta main puissante... Que ta main soutienne ton protégé. »

LA SOLLICITUDE DU BERGER ET CELLE DU VIGNERON

Le berger, nous l’avons longuement évoqué la semaine dernière, à l’occasion de la fête du Christ-Roi : nous avons lu en particulier la superbe prédication du prophète Ézékiel : « Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau... ainsi je veillerai sur mes brebis... La brebis perdue, je la chercherai. Celle qui est faible, je lui rendrai des forces. »

Le vigneron, également, est un bel exemple de sollicitude : car la vigne est réputée pour être une culture exigeante. À tel point que, dans une fameuse chanson de noces, la même attention amoureuse était recommandée au jeune époux envers son épouse. Lorsque, à partir du huitième siècle av. J.-C, les prophètes, à commencer par Osée, commencèrent à considérer l’Alliance entre Dieu et son peuple non plus seulement comme un contrat juridique, mais comme un lien d’amour, alors l’image de la vigne s’imposa d’elle-même : Dieu, comme un vigneron, entoure son peuple de soins constants. La vigne est donc devenue une métaphore privilégiée de l’Alliance : et nous avons entendu récemment la prédication d’Isaïe (c’était à l’occasion du vingt-septième dimanche) : « La vigne du SEIGNEUR de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plan qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda » (Is 5,7). Le raisin, lui aussi, offrait matière à réflexion : bon ou mauvais, il symbolisait le comportement du peuple et de ses chefs. Et les prophètes Osée, Isaïe, Jérémie, Ézékiel ont souvent déploré les manquements à l’Alliance comme autant de mauvais fruits : « Moi pourtant, j’avais fait de toi une vigne de raisin vermeil, tout entière d’un cépage de qualité. Comment t’es-tu changée pour moi en vigne méconnaissable et sauvage ? » disait Jérémie (Jr 2,21).

Puis vint l’Exil à Babylone, et le peuple fut comparé à une vigne à l’abandon : « La vigne que tu as prise à l’Égypte... Pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des forêts la ravage et les bêtes des champs la broutent » (c’est l’un des thèmes de notre psaume d’aujourd’hui : Ps 79/80,9-14).

LES « KÉROUBIM », C’EST-À-DIRE LES « CHÉRUBINS »

Dernière remarque : je relève un nom curieux dans ces versets : les « Kéroubim » ; c’est un mot hébreu qui a donné notre mot « Chérubins ». C’est là encore un rappel des temps heureux. L’Arche d’Alliance était un coffret précieux en bois d’acacia, plaqué d’or, qui mesurait cent vingt-cinq centimètres de long et soixante-quinze centimètres de large. Il renfermait les Tables de la Loi données par Dieu à Moïse au Sinaï. Ce coffret était surmonté d’une plaque d’or (qu’on appelait le propitiatoire), et de deux statues de chérubins en bois d’olivier plaqué d’or. Les chérubins étaient des animaux : à corps et pattes de lion, tête d’homme, et des ailes immenses.

Leur rôle était de protéger l’Arche de leurs ailes et on les considérait comme le marchepied du trône invisible de Dieu. Tout au long de l’Exode, l’Arche, abritée sous une tente, a accompagné le peuple ; plus tard, le roi Salomon l’a placée dans le temple de Jérusalem. Bien sûr, on n’a jamais pensé enfermer la présence de Dieu dans une tente ou dans un temple, mais l’Arche était le signe visible, le symbole de cette Présence. « Toi qui sièges au-dessus des Kéroubim... »

Ce rappel, ici, évoque non seulement la splendeur de ce Temple magnifique ; il évoque surtout la Présence du Dieu fidèle qui n’a jamais abandonné son peuple.
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NOTE

La liturgie de ce dimanche ne nous propose que quelques extraits de ce psaume. Voici quelques notes complémentaires

1- Ce psaume est relativement court, mais très dense ; vingt versets seulement, qui sont un véritable résumé de l’histoire d’Israël : ses heures de gloire, ses heures de peine.

Les heures de peine, j’en ai parlé plus haut.

Les heures de gloire : ce sont, bien sûr, les débuts de ce peuple avec la sortie d’Égypte, l’Exode, l’entrée en Terre promise, l’Alliance de Dieu avec les douze tribus, la conquête progressive de la Terre... et surtout l’irrésistible ascension de ce peuple parti de rien (au début ce n’était qu’une poignée d’esclaves échappés). Heures difficiles, certes, mais le temps embellit les souvenirs et puis c’était tellement beau par rapport au présent... et surtout, cette aventure extraordinaire, ce petit peuple sait bien que c’est à Dieu qu’il la doit, à sa Présence continuelle : c’est lui, réellement, qui a fait naître et grandir son peuple, qui l’a protégé avec un soin jaloux. « Berger d’Israël... Toi qui conduis ton troupeau... Visite cette vigne qu’a plantée ta main puissante... Que ta main soutienne ton protégé. »

2- La Septante (la traduction grecque du troisième siècle av.J.C.), a ajouté un mot au premier verset pour situer l'ennemi : il s'agirait de l'Assyrie. Cela nous reporterait donc historiquement, bien avant l'Exil à Babylone, entre le neuvième et le septième siècles av. J.-C. à un moment où l'Assyrie était une formidable puissance en pleine expansion ; c'est elle qui a écrasé le Royaume du Nord (Samarie), en 721... avant d'être écrasée à son tour par Babylone. Mais les commentaires juifs actuels sont d'accord pour attribuer à ce psaume une date beaucoup plus tardive.

On ne sait pas exactement dans quel contexte historique est né ce psaume : en tout cas, c’est évident, dans une période d’épreuves  et de douleur : « SEIGNEUR, Dieu de l’univers, vas-tu longtemps encore opposer ta colère aux prières de ton peuple, le nourrir du pain de ses larmes, l’abreuver de larmes sans mesure ? » Cette épreuve, c’est l’occupation étrangère ; le texte est très clair sur ce point, quand il parle de vigne ravagée par des bêtes féroces, de clôture rompue (il s’agit des frontières). Voici quelques versets que nous n’entendons pas ce dimanche : « Tu fais de nous la cible des voisins, nos ennemis ont vraiment de quoi rire ! ... La vigne que tu as prise à l’Égypte... pourquoi as-tu percé sa clôture ? Tous les passants y grappillent en chemin ; le sanglier des champs la ravage et les bêtes des champs la broutent... La voici détruite, incendiée ». C’est peut-être une allusion aux horreurs du siège de Jérusalem par les troupes de Nabuchodonosor, roi de Babylone, en 587.

3- Le verset 3 cite Éphraïm, Benjamin, Manassé : pourquoi eux ?

« Berger d’Israël, écoute, toi qui conduis Joseph, ton troupeau : resplendis au-dessus des Kéroubim, devant Éphraïm, Benjamin, Manassé ». Éphraïm, Benjamin, Manassé, ce sont les noms de trois tribus d’Israël... trois sur les douze... On peut se demander « pourquoi ces trois-là ? » Et pourquoi est-il question de Joseph, et pas d’un autre ancêtre du peuple, Abraham ou Isaac, par exemple ? Le texte n’en dit pas plus.

Un petit peu de généalogie va nous le faire comprendre : Jacob a eu douze fils de quatre femmes différentes. Les quatre mères, ce sont d’abord ses deux épouses, Léa et Rachel, les deux sœurs, filles de Laban, puis leurs deux servantes, Bilha et Zilpa. Vous vous souvenez du piège dans lequel était tombé Jacob le jour de son mariage ; il avait demandé Rachel en mariage, celle qu’il aimait d’amour tendre... et le beau-père avait fait semblant d’accepter ; mais la fiancée est voilée jusqu’à la nuit de noces ; et le beau-père soucieux de caser d’abord Léa, la fille aînée, en avait profité pour marier Léa et non Rachel. Cruelle déception sous la tente au petit matin...  et Jacob n’avait pu obtenir Rachel qu’en second ! Heureusement que la polygamie existait encore, en un sens ! Rachel a eu deux fils, Joseph et Benjamin ; et Joseph, fils de Rachel, a eu aussi deux fils, Éphraïm et Manassé. Ces quatre noms, Joseph, Benjamin, Éphraïm et Manassé, ce sont donc les descendants nés de l’amour de Jacob et Rachel. Ils sont les fils de la tendresse.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE L’APÔTRE PAUL AUX  CORINTHIENS 1, 3-9

     Frères,
3   À vous la grâce et la paix,
     de la part de Dieu notre Père
     et du Seigneur Jésus Christ.
4   Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet,
     pour la grâce qu'il vous a donnée dans le Christ Jésus ;
5   en lui vous avez reçu toutes les richesses,
     toutes celles de la Parole
     et de la connaissance de Dieu.
6   Car le témoignage rendu au Christ
     s'est établi fermement parmi vous.
7   Ainsi aucun don de grâce ne vous manque,
     à vous qui attendez
     de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ.
8   C'est lui qui vous fera tenir fermement jusqu'au bout,
     et vous serez sans reproche
     au jour de notre Seigneur Jésus Christ.
9   Car Dieu est fidèle,
     lui qui vous a appelés à vivre en communion
     avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.
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L’AVENT COMME UNE REMISE EN PERSPECTIVE

En cherchant une image qui puisse nous aider à entrer dans ce texte de Paul, il m’est venu celle de la boussole : quoi qu’il arrive, une boussole digne de ce nom, vous indiquera toujours le Nord ; irrésistiblement, elle y revient toujours ; pour Paul, un chrétien est comme une boussole : il est tourné vers l’Avenir... et il faut écrire A-Venir en deux mots.

Si Paul prend la plume pour écrire aux Corinthiens, c’est parce qu’ils avaient un peu perdu le Nord sur certains points justement. Alors il leur rappelle ce qui fait à ses yeux la première caractéristique des chrétiens, l’attente : « Vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ ». Les chrétiens ne sont pas tournés vers le passé mais vers l’avenir.

Bien sûr, si cette lecture nous est proposée pour le premier dimanche de l’Avent, c’est parce que, précisément, l’Avent est le temps où nous redécouvrons toutes les dimensions de l’Attente chrétienne, où nous nous remettons dans la perspective de l’A-Venir que Dieu nous promet. 

 À un premier niveau, l’Avent est d’abord le Temps de préparation à Noël ; nous serons invités à commémorer un événement historique : la venue du Christ dans l’histoire des hommes. L’Avent est le temps de la préparation de cet anniversaire. Et donc, chaque année, à pareille époque, nous relisons dans la Bible les annonces des prophètes, les promesses de Dieu : promesses de salut, c’est-à-dire de bonheur. Le même thème revient sans cesse sous des formes différentes : « Réjouissez-vous... Le Seigneur vient vous sauver »... Parfois, les promesses se précisent : c’est Isaïe qui dit « La Vierge enfantera », ou Jérémie (23,5) « Je ferai naître chez David un germe de justice »...

Mais l’histoire du salut ne s’arrête pas à la crèche de Bethléem. Cette attente, nous la vivons encore aujourd’hui pour notre propre compte. Nous venons de célébrer la Fête du Christ-Roi, et nous avons eu raison : oui, le Christ est  Roi... DÉJÀ par sa mort et sa Résurrection, car DÉJÀ la vie a vaincu la mort, DÉJÀ l’amour a vaincu l’indifférence et la haine. Mais son Royaume n’est pas encore pleinement réalisé : il suffit de lire les journaux, d’écouter la radio ou de regarder la télévision, ou plus simplement de regarder en nous et autour de nous, pour en être convaincus !

Le Christ sera pleinement roi lorsque, en chacun de ses frères, l’amour sera roi. C’est cela que nous attendons en même temps que le retour du Christ. Nous attendons la manifestation définitive de sa victoire à la tête de l’humanité : une humanité tout entière enfin libérée de l’esclavage du péché et de la mort. Nous sommes le peuple porteur de cette espérance. Même quand le mal, la haine, la violence, le racisme semblent mener l’histoire du monde, nous croyons, nous sommes sûrs que le Mal n’aura pas le dernier mot.  Selon un mot du Père Joseph Templier « La défaite du Mal est programmée et elle est définitive ». Si bien qu’il faut savoir lire les textes de ces dimanches de l’Avent à trois niveaux :

premier niveau : l’attente du Messie dans le peuple juif, depuis David, jusqu’à la naissance de Jésus à Bethléem.

deuxième niveau : le salut déjà accompli en Jésus-Christ : celui que Jésus inaugure par sa mort et sa résurrection ; l’humanité est enfin capable dans l’un des siens (Jésus) d’être pleinement accordée à l’Amour et à la volonté du Père ; c’est-à-dire de vivre à plein et exclusivement les valeurs de l’amour, du partage, de la solidarité, de la douceur, du pardon.

troisième niveau : notre attente du Jour de Dieu, du déploiement définitif et universel de la victoire de Christ, du royaume de Dieu. Ce Jour-là, c’est l’humanité tout entière qui vivra ces valeurs qu’incarnait Jésus-Christ. Et nous savons que ce n’est pas seulement un beau rêve, puisque Jésus nous a montré que cela était possible.

Par exemple, quand Paul dit à ses frères de Corinthe « À vous la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ », ce n’est pas une simple formule de politesse ni même un souhait affectueux ; il parle comme toujours dans la perspective du projet de Dieu. La « grâce et la paix », c’est une manière de dire le projet de Dieu : la grâce, c’est l’attribut même de Dieu, on pourrait traduire « amour », « don gratuit », présence aimante de Dieu. Être dans la grâce, c’est être en communion avec Dieu ; la paix en est la conséquence à notre échelle. Or le projet de Dieu, c’est précisément cela : faire entrer définitivement l’humanité tout entière dans la communion d’amour de la Trinité.

Et saint Paul, ici, se situe aux trois niveaux dont je parlais tout-à-l’heure : on les lit très clairement dans ce passage :

LE CHEMIN DE LA GRÂCE

premier niveau : ce projet de Dieu, grâce et paix, est prévu de toute éternité ; et tout au long de l’histoire biblique, le peuple élu en a pris de mieux en mieux conscience.

deuxième niveau : la grâce est déjà donnée, ce projet de Dieu est déjà inauguré en Jésus-Christ ; saint Paul dit aux Corinthiens « Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet, pour la grâce qu’il vous a donnée (c’est au passé) dans le Christ Jésus ; en lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la Parole et toutes celles de la connaissance de Dieu. »

troisième niveau : « À vous la grâce et la paix... à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ. C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout... » En d’autres termes, il vous aidera à ne pas perdre le Nord, ou à le retrouver si vous l’aviez momentanément perdu. Et pour alimenter le courage de ses Corinthiens (et le nôtre), Paul ajoute : « Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion avec son Fils, Jésus-Christ notre Seigneur ».

L’Avent, c’est donc un temps très dynamique ! C’est le moment par excellence où nous nous rappelons sans cesse la fidélité de Dieu à son projet pour y puiser la force de le faire avancer chacun à notre mesure.
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Complément

Au verset 7, le mot qui a été traduit « Vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus-Christ » est dans le texte grec « attendant la révélation (apocalupsis) de notre Seigneur Jésus-Christ ».
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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT  MARC 13,33-37

     En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
33 « Prenez garde, restez éveillés :
     car vous ne savez pas
     quand ce sera le moment.
34 C’est comme un homme parti en voyage :
     en quittant sa maison,
     il a donné tout pouvoir à ses serviteurs,
     fixé à chacun son travail,
     et demandé au portier de veiller.
35 Veillez donc,
     car vous ne savez pas
     quand vient le maître de la maison,
     le soir ou à minuit,
     au chant du coq ou le matin
36 S’il arrive à l'improviste,
     il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.
37 Ce que je vous dis là,
     je le dis à tous :
     Veillez ! »
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PRENEZ GARDE, VEILLEZ

Dans le passage qui précède tout juste celui-ci, Jésus vient de parler à ses disciples de ce qu’il appelle « la venue du Fils de l’homme » et il a ajouté « Ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. » (Mc 13,32).

Et il en déduit pour ses disciples ce que nous venons d’entendre : si lui, le Fils, comme il se nomme lui-même, ne connaît pas l’heure de sa venue, nous la connaissons encore moins ; et donc, il ajoute : « Prenez garde, veillez (au sens de « restez éveillés »), car vous ne savez pas quand ce sera le moment ». On a bien l’impression que cela veut dire « vous pourriez vous laisser surprendre ».

La suite du texte va tout à fait dans ce sens : « Vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin » : le « chant du coq », c’est très probablement une allusion au reniement de Pierre (on sait que Marc était très proche de Pierre) ; cette phrase est une mise en garde : si vous n’êtes pas attentifs au jour le jour, il peut vous arriver de me renier sans y prendre garde.

Quelques heures avant cette défaillance de Pierre, Jésus, à Gethsémani, avait dit aux trois  apôtres qui l’accompagnaient : « Veillez et priez afin de ne pas entrer au pouvoir de la tentation » (Mc 14,38). Et il avait ajouté : « L’esprit est plein d’ardeur, mais la chair est faible »... Manière de dire à quel point nous sommes perpétuellement écartelés entre les valeurs du Royaume et le retour à l’égoïsme, l’indifférence, la lâcheté. C’est pour cela qu’il faut prier sans cesse, pour ne pas lâcher la main de Dieu.

Voilà qui éclaire notre texte d’aujourd’hui : « veiller » veut dire « prier » ; non pas prier le Père de réaliser son Royaume lui-même, tout seul, sans nous. Ce n’est pas son projet. Mais prier pour être remplis de son Esprit qui nous fera entrer dans le projet du Père. Alors nous pourrons regarder le monde, qui est la matière première du Royaume, avec les yeux de Dieu si j’ose dire. Et alors, nous deviendrons capables d’agir dans le sens du Royaume.

Vous connaissez la leçon de Luc sur la prière : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Quel père parmi vous, si son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu de poisson ? Ou encore s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent. »

Oui, le Jour et l’heure sont le secret de Dieu... » Nul ne les connaît sinon le Père », comme dit Jésus ; mais ce n’est pas une raison pour s’inquiéter, l’Esprit est avec nous. Encore faut-il le prier, c’est-à-dire le désirer ; il ne nous envahira pas contre notre gré.

Du coup, cela éclaire en quoi consiste la tentation : « Veillez et priez afin de ne pas entrer au pouvoir de la tentation », dit Jésus ; et dans le texte d’aujourd’hui, il s’est comparé à un maître de maison qui part en voyage : « Il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l’autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l’ordre de veiller. » La tentation, en quelque sorte, c’est de dormir, c’est-à-dire de négliger la maison ; or on est tout à la fin de l’évangile de Marc, à quelques jours de la fête de la Pâque, c’est-à-dire juste avant la Passion ; tout comme la parabole du jugement dernier chez Matthieu, que nous lisions pour la fête du Christ-Roi ; il me semble que la leçon est la même : avec Matthieu, nous avions compris que « veiller » veut dire « veiller sur » nos frères, afin que grandisse le Royaume dans lequel tout homme sera roi. Marc, lui, a pris une autre image : il dit « votre mission, c’est de veiller sur la maison » !

GARDIENS DE LA MAISON DE DIEU

Nous voilà promus gardiens de la maison de Dieu ! Nous sommes ces serviteurs, ce portier. Voilà la Bonne Nouvelle extraordinaire qui nous sera répétée tout au long de l'Avent : nos vies, si modestes soient-elles, peuvent contribuer à la gestation de l'humanité nouvelle ; c'est ce qui fait notre grandeur. Il a « fixé à chacun son travail » : cela veut dire que chacun d’entre nous a un rôle à jouer, son rôle. Et un rôle efficace puisqu’en partant « il a donné tout pouvoir à ses serviteurs » !

C'est peut-être bien l'une des raisons pour lesquelles personne, pas même le Fils (tant qu'il était parmi nous) ne connaît l'heure de l'avènement définitif du Royaume : c'est que nous avons notre part dans sa construction.

Et il me semble que c’est le message le plus urgent que nous devrions transmettre à nos jeunes ; cela suppose, évidemment, que nous n’attendions pas l’avènement du Royaume de Dieu comme on attend le train, mais que notre attente soit active !

Mais notre problème, justement, c’est que, bien souvent, nous restons passifs, ou pire, nous oublions que nous attendons quelque chose, ou plutôt Quelqu’un ! Et alors, nous occupons le temps à autre chose ; mais occuper le temps à autre chose, quand il s’agit du Royaume de Dieu, évidemment, c’est grave. Et c’est pour cela que Jésus met ses apôtres en garde. Et saint Pierre, qui a certainement avoué son reniement à Marc, ne le sait que trop.

Voilà donc notre raison de vivre : et quel programme ! Portiers de la maison de Dieu : il nous revient d’y faire entrer tous les hommes. Sans oublier la leçon de la parabole des talents : le maître de maison nous fait confiance, il nous confie ses trésors. La seule réponse digne de l’honneur qu’il nous fait consiste à lui faire confiance en retour et à nous retrousser les manches ! Ce n’est pas le moment de nous occuper à autre chose !

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 3 12 2023, 1er dimanche de l'Avent B

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25 novembre 2023 6 25 /11 /novembre /2023 00:02
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE ÉZÉKIEL 34, 11-12.15-17

11 Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu.
     Voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis,
     et je veillerai sur elles.
12 Comme un berger veille sur les brebis de son troupeau
     quand elles sont dispersées,
     ainsi je veillerai sur mes brebis,
     et j'irai les délivrer dans tous les endroits
     où elles ont été dispersées
     un jour de nuages et de sombres nuées.
15 C'est moi qui ferai paître mon troupeau,
     et c'est moi qui le ferai reposer,
     - oracle du SEIGNEUR Dieu.
16 La brebis perdue, je la chercherai ;
     l'égarée, je la ramènerai.
     Celle qui est blessée, je la panserai.
     Celle qui est malade, je lui rendrai des forces.
     Celle qui est grasse et vigoureuse,
     je la garderai, je la ferai paître selon le droit.
17 Et toi, mon troupeau,
     - ainsi parle le SEIGNEUR Dieu-,
     voici que je vais juger entre brebis et brebis,
     entre les béliers et les boucs.
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UN TROUPEAU À LA DÉBANDADE

Imaginez un troupeau de brebis en transhumance et une épaisse nappe de brouillard qui s’abat tout d’un coup sur les prés. Si le berger n’est pas attentif, ce qui était un troupeau n’en sera bientôt plus un : les brebis mal guidées vont se perdre l’une après l’autre, elles seront bientôt toutes dispersées sur la montagne.

C’est l’image qui vient à l’esprit du prophète Ézékiel à propos du peuple d’Israël au moment de l’Exil à Babylone. On est en pleine tentation de découragement, on risque de penser que le peuple de Dieu n’est plus le peuple de Dieu, et même plus un peuple du tout. Va-t-il être rayé de la carte ?

Mais notre prophète est un prophète, justement. Et donc il sait que Dieu est fidèle à son Alliance, que Dieu n’abandonne jamais son peuple, son troupeau. « C’est moi qui ferai paître mon troupeau » dit Dieu.

La première grande annonce de ce texte, la Bonne Nouvelle, est là : ‘Vous êtes encore le troupeau de Dieu’. Car il reste fidèle à son Alliance en toutes circonstances.

« J’IRAI MOI-MÊME À LA RECHERCHE DE MES BREBIS » DIT DIEU

Deuxième Bonne Nouvelle qui en découle aussitôt : Dieu va vous rassembler et vous ramener sur votre pâturage : « Je veillerai sur mes brebis, et j'irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées. » Ézékiel ne vise pas ici la venue du Messie. Une promesse d’avenir très lointain, reportée à la fin du monde, n’aurait dynamisé personne ; il pense d’abord à l’avenir proche, il annonce la fin de l’Exil à Babylone et le retour au pays. Pour quand cette promesse ? Ézékiel ne le dit pas, il ne sait pas le dire de manière précise ; mais il sait que cela arrivera sûrement. ‘Votre pâturage’, c’est Jérusalem, bien sûr, et la Terre Promise ; ‘les endroits où elles ont été dispersées’, c’est Babylone, loin du pâturage natal.

Suit cette évocation magnifique de la sollicitude du berger : « La brebis perdue, je la chercherai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Celle qui est grasse et vigoureuse, je la ferai paître selon le droit ».

C’est la Troisième Bonne Nouvelle de ce texte, une promesse de bonheur : Dieu va veiller lui-même sur ses brebis à l’avenir. Il se fera lui-même leur berger. Ce qui implique à la fois sollicitude et fermeté : un berger sérieux, digne de ce nom, doit déployer ces deux qualités : c’est avec le même bâton, son bâton de marcheur, qu’il guide et rassemble les brebis qui ont du mal à suivre, mais aussi qu’il éloigne les indésirables, qu’il sépare les brebis des boucs... et qu’il chasse les bêtes sauvages qui menacent le troupeau*.

Quand Ézékiel présente Dieu comme le bon berger dont rêve le peuple, il y a une pointe contre les rois qui ont régné sur Israël jusqu’à l’Exil à Babylone. Normalement, en Israël, à cause de l’Alliance, c’est Dieu lui-même et lui seul qui est le roi de son peuple ; et les rois de la terre ne sont là que pour faire régner la justice de Dieu. Dès le début de la royauté, avec le premier roi, Saül, puis avec David, les prophètes rappellent au roi sa mission : une mission de service uniquement. Et pour exercer cette mission, le roi reçoit l’onction d’huile, qui est le signe que désormais il est inspiré directement par Dieu lui-même ; on dit que l’esprit de Dieu fond sur lui.

Malheureusement, le roi reste libre, bien sûr, de ne pas écouter l’inspiration divine : les rois ne se sont pas privés de cette liberté, malgré toutes leurs belles promesses. Ils ont oublié qu’il n’étaient que les lieu-tenants de Dieu (au sens étymologique de ce mot « tenant lieu »)... Les uns après les autres, ils ont failli à leur mission. Au lieu de veiller sur leur troupeau, ils se sont préoccupés d’eux-mêmes, de leur richesse, de leurs honneurs, de leur grandeur ; et au lieu de faire régner la justice dans le pays, ils ont laissé s’installer l’injustice au profit de l’opulence des uns, au risque de la misère des autres. Les brebis ont presque toutes été dispersées en ces jours   « de nuages et de sombres nuées. » Et ces jours d’obscurité semblent ne jamais devoir finir. Le peuple a-t-il encore un avenir ?

En exil à Babylone, on a tout loisir pour méditer sur le passé et sur les fautes des rois successifs, des mauvais bergers d’Israël, sans quoi on n’en serait pas là.

LE MESSIE, QUAND IL VIENDRA, SERA COMME UN BON BERGER

Ce qui est surprenant ici, c’est que quand Ézékiel écrit, il n’y a plus de roi (le dernier roi est mort en exil) ; alors Ézékiel explique : Dieu a jugé les mauvais rois, il leur a enlevé la charge du troupeau ; et c’est lui-même, désormais, qui va reprendre la direction des opérations : « C’est moi qui ferai paître mon troupeau ». Bien sûr, le peuple aura encore besoin de gouvernants, mais désormais ils se comporteront en serviteurs, Dieu veillera à ce qu’ils soient de bons bergers.

Soyons francs, le vrai roi - bon berger annoncé ici par Ézékiel - n’est pas venu plus après qu’avant ; alors, parce que là-bas, on avait la foi, on a continué d’espérer ; un jour, sûrement, il viendra, ce roi idéal, celui qu’on appelle le Messie, qui doit siéger sur le trône de David ; depuis cette promesse d’Ézékiel, on l’imagine sous les traits d’un berger portant sur ses épaules la brebis malade.
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Note

*Par exemple, écoutez David raconter son expérience de berger au roi Saül, il lui dit : « Quand ton serviteur était berger du troupeau de son père, si un lion ou bien un ours venait emporter une brebis du troupeau, je partais à sa poursuite, je le frappais et la délivrais de sa gueule. S’il m’attaquait, je le saisissais par la crinière et je le frappais à mort. Ton serviteur a frappé et le lion et l’ours. Eh bien ! ce Philistin incirconcis (Goliath) sera comme l’un d’eux puisqu’il a défié les armées du Dieu vivant ! » (1 S 17,34-36). Dans son idée, un chef de guerre doit avoir les mêmes qualités qu'un berger.

Complément

Espérons que, du haut du ciel, le prophète Samuel a le triomphe modeste ! Il aurait beau jeu de dire « Je vous l’avais bien dit » ; quand les Anciens d’Israël étaient venus le trouver pour lui demander de leur nommer un roi, puisque les peuples voisins avaient chacun le leur, Samuel les avait bien prévenus ; Ah, vous voulez un roi, moi, je vais vous dire ce qui vous attend ; et il leur avait dressé un portrait peu engageant :

« Tels seront les droits du roi qui va régner sur vous. Vos fils, il les prendra, il les affectera à ses chars et à ses chevaux, et ils courront devant son char. Il les utilisera comme officiers de millier et comme officiers de cinquante hommes ; il les fera labourer et moissonner à son profit, fabriquer ses armes de guerre et les pièces de ses chars. Vos filles, il les prendra pour la préparation de ses parfums, pour sa cuisine et pour sa boulangerie. Les meilleurs de vos champs, de vos vignes et de vos oliveraies, il les prendra pour les donner à ses serviteurs. Sur vos cultures et vos vignes il prélèvera la dîme, pour la donner à ses dignitaires et à ses serviteurs. Les meilleurs de vos serviteurs, de vos servantes et de vos jeunes gens, ainsi que vos ânes, il les prendra et les fera travailler pour lui. Sur vos troupeaux, il prélèvera la dîme, et vous-mêmes deviendrez ses esclaves. Ce jour-là, vous pousserez des cris à cause du roi que vous aurez choisi, mais, ce jour-là, le SEIGNEUR ne vous répondra pas ! » (1 S 8,11-18). On est loin de l’idéal du berger, mais tout près de la réalité.

Samuel était donc très réticent à l’idée de donner un roi au peuple d’Israël (et l’avenir lui a donné largement raison !)
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PSAUME 22 (23)

1   Le SEIGNEUR est mon berger :
     je ne manque de rien.
2   Sur des prés d'herbe fraîche,
     il me fait reposer.   

     Il me mène vers les eaux tranquilles
3   et me fait revivre ;
     il me conduit par le juste chemin
     pour l'honneur de son nom.

4   Si je traverse les ravins de la mort,
     je ne crains aucun mal,
     car tu es avec moi :
     ton bâton me guide et me rassure.

5   Tu prépares la table pour moi
     devant mes ennemis ;
     tu répands le parfum sur ma tête,
     ma coupe est débordante.

6   Grâce et bonheur m'accompagnent
     tous les jours de ma vie ;
     j'habiterai la maison du SEIGNEUR
     pour la durée de mes jours.
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À croire que le compositeur du psaume 22/23 était un paroissien d’Ézékiel ! Un paroissien qui a bien compris le sermon avant d’écrire ce chant de la brebis à son berger... ou plus exactement du troupeau à son berger. Parce que, comme toujours, celui qui parle dans ce psaume, c’est le peuple d’Israël tout entier. Israël qui se reconnaît comme le peuple de Dieu, le troupeau de Dieu.

DIEU, LE BERGER DE SON PEUPLE

Aujourd’hui, nous ne trouvons peut-être pas très flatteur le terme de troupeau ! Mais il faut nous replacer dans le contexte biblique : à l’époque le troupeau était peut-être la seule richesse ; il n’y a qu’à voir comment le livre de Job décrit l’opulence puis la déchéance de son héros. Cela se chiffre en nombre d’enfants, d’abord, en nombre de bêtes tout de suite après : « Il était une fois, au pays de Ouç, un homme appelé Job. Cet homme, intègre et droit, craignait Dieu et s’écartait du mal. Sept fils et trois filles lui étaient nés. Il avait un troupeau de sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses, et il possédait un grand nombre de serviteurs. Cet homme était le plus riche de tous les fils de l’Orient. » (Jb 1,1-3). Et quand on vient annoncer à Job tous les malheurs qui s’abattent sur lui, cela concerne ses enfants et ses troupeaux. Déjà d’Abraham on disait : « Abraham était extrêmement riche en troupeaux, en argent et en or. » (Gn 13,2).

Mais alors, si les troupeaux sont considérés comme une richesse, nous pouvons oser penser que Dieu nous considère comme une de ses richesses. Ce qui est quand même une belle audace sur le plan théologique ! En écho, le livre des Proverbes dit que la Sagesse de Dieu « trouve ses délices avec les fils des hommes » (Pr 8,31).

Pour revenir à notre psaume d’aujourd’hui, il décline l’amour de Dieu pour son peuple dans le vocabulaire du berger : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles... » Le verbe « mener » est ce qui caractérise le mieux un berger digne de ce nom. À plusieurs reprises, Ézékiel, pendant l’Exil à Babylone, se plaint des bergers d’Israël (entendez les rois), qui, justement, n’ont pas « mené » le peuple, parce qu’ils étaient avant tout préoccupés de leur intérêt personnel.

Par exemple : « Quel malheur pour les bergers d’Israël qui sont bergers pour eux-mêmes ! N’est-ce pas pour les brebis qu’ils sont bergers ?... Elles se sont dispersées, faute de berger, pour devenir la proie de toutes les bêtes sauvages (entendez les nations étrangères, et en particulier Babylone). Mon troupeau s’égare sur toutes les montagnes et toutes les collines élevées1 ; mes brebis sont dispersées dans tout le pays, personne ne les cherche, personne ne part à leur recherche. » (Ez 34,2.5-6). Quand le prophète parle de dispersion, il vise toutes les infidélités à l’Alliance, toutes les idolâtries, tous les cultes qui se sont instaurés partout dans le pays pourtant consacré au Dieu unique ; ce sont autant de fausses pistes qui ont entraîné le malheur actuel du peuple.

Dans le psaume, la phrase « Il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son Nom » vise exactement la même chose : en langage biblique, le « chemin » signifie toujours la vie dans l’Alliance avec le Dieu unique, c’est-à-dire l’abandon résolu de toute idolâtrie ; or l’histoire montre que ce n’est jamais gagné et qu’à toute époque l’idolâtrie a été le combat incessant de tous les prophètes ; soit-dit en passant, ils auraient peut-être tout autant à faire aujourd’hui ; une idole, ce n’est pas uniquement une statue de bois ou de plâtre... c’est tout ce qui risque d’accaparer nos pensées au point d’entamer notre liberté. Que ce soit une personne, un bien convoité, ou une idée, Dieu veut nous en délivrer, non pas pour faire de nous ses esclaves, mais pour faire de nous des hommes libres ; c’est cela « l’honneur de son Nom » (verset 3) : le Dieu libérateur veut l’homme libre.

Pour libérer définitivement l’humanité de toutes ses fausses pistes, Dieu a envoyé son Fils ; et désormais, les chrétiens ont en tête la phrase de Jésus dans l’évangile de Jean : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. » (Jn 10,11). Il donne sa vie, au sens vrai du terme. Si bien que nous pouvons chanter à notre tour : « Toi, Seigneur,  tu es mon berger...Tu es avec moi, ton bâton (ta croix) me guide et me rassure. »

LE PSAUME 22 DEVENU CHANT DU BAPTÊME

Au début de l’Église, ce psaume était devenu naturellement le psaume spécial de la liturgie du Baptême ; les baptisés (je parle au pluriel parce que les baptêmes étaient toujours célébrés communautairement) émergeant de la cuve baptismale, partaient en procession vers le lieu de la Confirmation et de l’Eucharistie. Et l’évocation des eaux tranquilles, vivifiantes, (pour le Baptême), de la table et de la coupe (pour l’Eucharistie), du parfum (pour la Confirmation) nous rappelle évidemment cette triple liturgie. « Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre... Tu prépares la table pour moi... Ma coupe est débordante... tu répands le parfum sur ma tête... »

Désormais, « grâce et bonheur accompagnent » le baptisé puisque, comme le Christ nous l’a promis, il est avec nous « tous les jours jusqu’à la fin du monde ».
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Note

1 – « Les collines élevées » : c’est une allusion à l’idolâtrie, véritable perdition. Car les lieux de culte aux idoles étaient toujours placés sur les sommets.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX CORINTHIENS 15, 20-26.28

     Frères,
20 le Christ est ressuscité d’entre les morts,
     lui, premier ressuscité parmi ceux qui se sont endormis.
21 Car, la mort étant venue par un homme,
     c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts.
22 En effet, de même que tous les hommes
     meurent en Adam,
     de même c’est dans le Christ
     que tous recevront la vie,
23 mais chacun à son rang :
     en premier, le Christ,
     et ensuite, lors du retour du Christ,
     ceux qui lui appartiennent.
24 Alors, tout sera achevé,
     quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père,
     après avoir anéanti, parmi les êtres célestes,
     toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance.
25 Car c’est lui qui doit régner
     jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis.
26 Et le dernier ennemi qui sera anéanti,
     c’est la mort.
28 Et, quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils,
     lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père
     qui lui aura tout soumis,
     et ainsi, Dieu sera tout en tous.

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LES FORCES DU MAL NE L’EMPORTERONT PAS

Le Ressuscité est apparu un jour à Saül de Tarse en route vers Damas ; ce jour-là, la Royauté du Christ s’est imposée à lui comme une évidence ! Désormais, cette certitude habitera toutes ses paroles, toutes ses pensées. Car, pour lui, il n’y avait plus de doute possible : Jésus-Christ, vainqueur de la mort, l’est également de toutes les forces du mal.    

Et la conviction de Paul, sa foi (qui est donc aussi la nôtre), c’est que le Royaume du Christ grandit irrésistiblement jusqu’à ce que tout soit « achevé », c’est le mot qu’il emploie ici ; « Tout sera achevé quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu le Père... » Toute l’histoire de l’humanité s’inscrit dans cette perspective : perspective exaltante pour les croyants qui constatent au jour le jour la victoire de l’amour et du pardon sur la haine, de la vie sur la mort.

La mort exemplaire et la Résurrection du Christ étaient aux yeux des apôtres le plus beau signe que ce Royaume était en train de naître ; que les forces du mal ne l’emporteront pas, comme l’a dit Jésus à Pierre, qu’elles sont déjà vaincues, comme il l’a dit encore, c’est dans l’évangile de Jean, cette fois : « Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. » (Jn 16,33).

Il nous reste à choisir notre camp, si j’ose dire : être du côté du Christ, faire avancer le projet... ou non. Et là Paul oppose deux attitudes, celle d’Adam, celle du Christ. C’est un parallèle que Paul développe souvent, mais cela reste probablement pour nous le passage le plus difficile de ce texte ; en fait, Paul reprend ici un thème extrêmement familier aux lecteurs de l’Ancien Testament, celui du choix indispensable, ce qu’on appelait le thème des deux voies (voie au sens de comportement).

IMITER ADAM OU IMITER JÉSUS-CHRIST ?

Depuis que Paul a rencontré le Christ, tout s’éclaire pour lui. Il sait en quoi consiste le choix : nous conduire à la manière d’Adam ou nous conduire à la manière de Jésus-Christ. Adam, c’est celui qui tourne le dos à Dieu, qui se méfie de Dieu ; le Christ, c’est celui qui fait confiance jusqu’au bout. Quand nous nous conduisons à la manière d’Adam, nous allons vers la mort (spirituelle) ; quand nous nous conduisons à la manière du Christ nous allons vers la Vie. Rappelons-nous en quoi consiste la manière d’Adam : ce que la Bible affirme au sujet d’Adam, c’est qu’il a contrecarré le projet de Dieu ; vous connaissez le récit de la chute (aux chapitres 2 et 3 du livre de la Genèse) : Dieu « fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal » ; avant la faute, l’arbre de vie n’est pas interdit, il est à la disposition de l’homme ; mais celui-ci est prévenu qu’il ne doit pas manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ; sinon il connaîtra la mort.

Effectivement, après la faute, l’accès à l’arbre de vie lui est fermé. Mal conseillé par le serpent qui le poussait à soupçonner le projet de Dieu, Adam a mangé le fruit de l’arbre de la connaissance de ce qui rend heureux ou malheureux et il a connu le malheur et la mort.

LA MORT APRÈS LA FAUTE

De quelle mort s’agit-il après la faute ? Peut-être le mystère de l’Assomption de Marie peut-il nous aider à entrevoir un peu le projet de Dieu quand l’homme ne l’entrave pas. Marie est pleinement humaine, mais elle n’a jamais agi à la manière d’Adam ; elle connaît le destin que tout homme aurait dû connaître s’il n’y avait pas eu la chute ; or elle a connu, comme tout homme, toute femme, le vieillissement ; et un jour, elle a quitté la vie terrestre, elle a quitté ce monde, tel que nous le connaissons ; elle s’est endormie pour entrer dans un autre mode de vie auprès de Dieu. On parle de la « Dormition » de la Vierge.

Pour nous, frères d’Adam, il ne s’agit pas seulement de « dormition » comme la Vierge, mais de mort ; saint Paul dit bien ici, dans sa lettre aux Corinthiens : « La mort est venue par un homme... tous les hommes meurent en Adam. » (versets 21-22). Dans la lettre aux Romains, il dit : « Par un seul homme le péché (on pourrait dire le soupçon) est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort... » (Rm 5,12).

On peut donc affirmer deux choses : Premièrement, notre corps n’a jamais été programmé pour durer tel quel éternellement sur cette terre, et nous pouvons en avoir une idée en regardant Marie ; elle, la toute pure, pleine de grâce, s’est endormie.

Deuxièmement, Adam a contrecarré le projet de Dieu et la transformation corporelle que nous aurions dû connaître, la « dormition » est devenue mort, avec son cortège de souffrance et de laideur. La mort, telle que nous la connaissons, si douloureusement, est entrée dans le monde par le fait de l’humanité elle-même.

Mais là où nous avons introduit les forces de mort, Dieu peut redonner la vie ; Jésus a été tué par la haine des hommes, mais Dieu l’a ressuscité ; lui, le premier ressuscité, il nous fait entrer dans la vraie vie, celle où règne l’amour. Il a accepté de subir le pouvoir de haine et de mort des hommes et il ne leur a opposé que douceur et pardon ; « là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé », comme dit Paul (Rm 5,20). Par lui, désormais, Dieu donne à l’humanité tout entière son Esprit d’amour... C’est cela que Jésus est venu faire parmi nous ; il  est venu nous rendre la vie et nous apprendre à la donner : « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. » (Jn 10,10). Car nous sommes faits pour la vie.
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Compléments

- Le vocabulaire de Paul est nettement moins imagé que celui d’Ézékiel ou du psaume 22/23, qui sont nos deux premières lectures de ce dimanche, mais le thème est le même. Ézékiel (dans la première lecture) parle de Dieu et nous dit : ‘Dieu est avec l’homme comme un berger qui mène ses brebis vers les meilleurs pâturages.’ Dans le psaume 22/23, c’est la brebis (entendez le peuple d’Israël) qui parle de son berger et s’émerveille de sa sollicitude : « Il me mène vers les eaux tranquilles... Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer ».

Dans ces deux textes (celui d’Ézékiel et le psaume), l’image du berger était une manière de parler de la royauté, et on ne perdait pas de vue que Dieu seul est véritablement le roi d’Israël. Paul, lui, qui a eu la chance, l’honneur de rencontrer le Christ ressuscité, sait désormais que c’est le Christ qui instaure lentement mais sûrement ce Royaume de Dieu sur la terre. Paul dit bien : « C’est lui (le Christ) en effet qui doit régner... et quand tout sera mis sous le pouvoir du Fils, lui-même se mettra alors sous le pouvoir du Père qui lui aura tout soumis... »

- Le Ressuscité est, sans hésitation possible, le Messie attendu depuis des siècles. C’est pourquoi, au fil des lettres de Paul, on reconnaît toutes les expressions de l’attente messianique de l’époque. Dans le passage que nous lisons aujourd’hui dans la lettre aux Corinthiens, il y a deux expressions fortes de l’attente d’un Messie-Roi :  « Tout sera achevé quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père, après avoir anéanti, parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. » (sous-entendu après avoir détruit toutes les puissances du mal. » (verset 24)…  « C’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis. » (comme l’avait annoncé le psaume 110/109, verset 28).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 25, 31-46

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples :
31 « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire,
     et tous les anges avec lui,
     alors il siégera sur son trône de gloire.
32 Toutes les nations seront rassemblées devant lui ;
     il séparera les hommes les uns des autres,
     comme le berger sépare les brebis des boucs :
33 il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.

34 Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :
     ‘Venez, les bénis de mon Père,
     recevez en héritage le Royaume
     préparé pour vous depuis la fondation du monde.
35 Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
     j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
     j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
36 j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
     j’étais malade, et vous m’avez visité ;
     j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
37 Alors les justes lui répondront :
     ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu...?
     tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ?
     tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
38 tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ?
     tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
39 tu étais malade ou en prison...
     Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’
40 Et le Roi leur répondra :
     ‘Amen, je vous le dis :
     chaque fois que vous l’avez fait
     à l’un de ces plus petits de mes frères,
     c’est à moi que vous l’avez fait.’  

41 Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche :
     ‘Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits,
     dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
42 Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ;
     j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
43 j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ;
     j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ;
     j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
44 Alors ils répondront, eux aussi :
     ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu
     avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison,
     sans nous mettre à ton service ?’
45 Il leur répondra :
     ‘Amen, je vous le dis :
     chaque fois que vous ne l’avez pas fait
     à l’un de ces plus petits,
     c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’

46 Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel,
     et les justes, à la vie éternelle. »

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NOTRE HÉRITAGE

« Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. » Par cette parabole, Jésus nous révèle notre vocation, le projet que Dieu a sur l’humanité en nous créant : nous sommes faits pour être roi. Et il faut écrire « roi » au singulier ; car c’est l’humanité tout entière qui est créée pour être reine ; « Remplissez la terre et dominez-la » dit Dieu à l’homme au commencement du monde. (Gn 1,28). L’idée que nous nous faisons d’un roi, entouré, courtisé, bien logé, bien vêtu, bien nourri... c’est très exactement ce que Jésus revendique pour tout homme.

Le Livre du Deutéronome, déjà, affirmait que si l’on veut vivre l’Alliance avec Dieu, il faut éliminer la pauvreté : « Il n’y aura pas de pauvres parmi vous » (Dt 15,4) au sens de ‘Vous ne devez pas tolérer qu’il y ait des malheureux et des pauvres parmi vous’. Jésus s’inscrit dans la droite ligne de cet idéal attribué à Moïse.

VENEZ, LES BÉNIS DE MON PÈRE

À tous ceux qui auront su avoir des gestes d’amour et de partage le Fils de l’homme dit : « Venez les bénis de mon Père » : ce qui veut dire ‘vous êtes ses fils, vous lui ressemblez ; vous êtes bien à l’image de ce berger qui prend soin de ses brebis’ dont parlait Ézékiel dans la première lecture. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Le jugement porte sur des actes concrets ; curieusement, ce n’est pas l’intention qui compte ! Matthieu avait déjà noté une phrase de Jésus qui allait dans le même sens : « Ce n’est pas en me disant : Seigneur, Seigneur ! qu’on entrera dans le Royaume des cieux ; mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7,21).

BÉNIS OU MAUDITS ?

Il reste que ce texte garde un caractère un peu choquant par l’opposition radicale entre les deux catégories d’hommes, les bénis du Père, et les maudits : et d’ailleurs, dans laquelle pourrions-nous être comptés ? Tous, nous avons su, un jour ou l’autre, visiter le malade ou le prisonnier, vêtir celui qui avait froid et nourrir l’affamé... Mais tous aussi, nous avons, un jour ou l’autre, détourné les yeux (ou le porte-monnaie) d’une détresse rencontrée.

Aucun de nous n’oserait se compter parmi « les bénis du Père » ; aucun non plus ne mérite totalement la condamnation radicale ; Dieu, le juste juge, sait cela mieux que nous. Aussi, quand nous rencontrons dans la Bible l’opposition entre les bons et les méchants, les justes et les pécheurs, il faut savoir que ce sont deux attitudes opposées qui sont visées et non pas deux catégories de personnes : il n’est évidemment pas question de séparer l’humanité en deux catégories, les bons et les justes, d’un côté, les méchants et les pécheurs de l’autre ! Nous avons chacun notre face de lumière et notre face de ténèbres.

Si bien que, contrairement aux apparences, ce n’est pas une parabole sur le jugement que Jésus développe ici :  c’est beaucoup plus grave et dérangeant : il s’agit du lien entre tout homme et Jésus : « Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. »

Il est saisissant de resituer ce discours de Jésus dans son contexte : d’après saint Matthieu, cela se passe juste avant la Passion du Christ, c’est-à-dire que ces ultimes paroles de Jésus prennent valeur de testament. Au moment de quitter ce monde, Celui qui nous fait confiance, comme il nous l’a dit dans la parabole des talents, nous confie ce qu’il a de plus précieux au monde : l’humanité.
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Compléments

Sur l’évangile

- Tous ces derniers dimanches, les évangiles nous proposaient ce que j’appellerais des variations sur la vigilance, sur le mot « veiller » ; ici, une nouvelle variation nous est proposée : « veiller » cela peut vouloir dire « veiller sur ».

La pointe de la parabole

À y regarder de plus près, en définitive, on l’a vu, ce passage de l’évangile de Matthieu ne nous offre pas une parabole sur le jugement.

- Au passage, nous avons là une définition intéressante de la justice, aux yeux de Dieu : quand nous parlons de justice, nous avons toujours envie de dessiner une balance ; or ce n’est pas du tout dans ces termes-là que Jésus en parle ! Pour lui, être juste, c’est-à-dire être accordé au projet de Dieu, c’est donner à pleines mains à qui est dans le besoin. D’autre part, il n’y a même pas besoin d’en être conscient : « Quand est-ce que nous t’avons vu ? Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? »... Nous qui nous demandons parfois si le salut est réservé à une élite, nous avons ici une réponse : visiblement, Jésus ne se préoccupe ici ni des titres ni de la religion de chacun : « Quand les nations seront rassemblées devant lui, il séparera les hommes les uns des autres... » Ce qui veut dire que des non-chrétiens auront le Royaume en héritage et peuvent être appelés « les bénis de son Père » ! C’est parmi des hommes de toutes races, de toutes cultures, de toutes religions qu’il se vit déjà au jour le jour quelque chose du Royaume. Nous savons bien que nous n’avons pas le monopole de l’amour, mais il n’est pas mauvais de nous l’entendre dire !

Sur la fête du Christ-Roi 

À l’heure où nos communautés rétrécissent comme une peau de chagrin, il faut quand même une belle audace pour célébrer la fête du Christ-Roi !

Combien de baptisés se rendront-ils aux cérémonies du couronnement ?

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 26 11 2023, Le Christ, Roi de l'univers A

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18 novembre 2023 6 18 /11 /novembre /2023 08:36
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DES PROVERBES 31, 10-31

10 Une femme parfaite, qui la trouvera ?
     Elle est précieuse plus que les perles !
11 Son mari peut lui faire confiance :
     il ne manquera pas de ressources.
12 Elle fait son bonheur, et non pas sa ruine,
     tous les jours de sa vie.
13 Elle sait choisir la laine et le lin,
     et ses mains travaillent volontiers.
19 Elle tend la main vers la quenouille,
     ses doigts dirigent le fuseau.
20 Ses doigts s'ouvrent en faveur du pauvre,
     elle tend la main aux malheureux.
30 Le charme est trompeur et la beauté s’évanouit ;
     seule, la femme qui craint le SEIGNEUR
     mérite la louange.
31 Célébrez-la pour les fruits de son travail :
     et qu’aux portes de la ville, ses œuvres disent sa louange !
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LE PORTRAIT DE LA FEMME IDÉALE

Chose étonnante, ce que nous venons de lire, ce sont les derniers mots du livre des Proverbes : or c’est un éloge de la femme. Voilà qui prouve que les auteurs bibliques ne sont pas misogynes ! Et pourtant, nous n’avons eu qu’un extrait de ce long poème qui termine le livre ; si vous avez la curiosité de lire le texte en entier, c’est-à-dire l’intégralité des versets 10 à 31 du dernier chapitre des Proverbes, vous verrez que c’est en quelque sorte le portrait de la femme idéale ; l’expression « femme parfaite » du premier verset veut dire : celle qu’un homme doit épouser s’il veut être heureux. Or qu’a-t-elle d’extraordinaire ? Rien justement : elle est travailleuse, elle est fidèle et consacrée à son mari et à sa maison, sans oublier de tendre la main aux pauvres et aux malheureux ; c’est tout, mais voilà des valeurs sûres, nous dit l’auteur, le secret du bonheur. Il n’emploie pas l’expression « secret du bonheur », il appelle cela sagesse, mais c’est la même chose.

Et vous savez qu’en Israël, on est bien convaincu d’une chose : le secret du bonheur, Dieu seul peut nous l’enseigner, mais c’est fait de choses humbles et modestes de notre vie de tous les jours. Vous connaissez la célèbre phrase qui est dans ce même livre des Proverbes : « La crainte du SEIGNEUR est le commencement de la sagesse. » (Pr 9,10). (La crainte au sens d’amour et de fidélité, tout simplement).

Il est intéressant de voir que le livre des Proverbes commence par neuf chapitres qui sont une invitation à cultiver cette vertu de la sagesse qui est l’art de diriger sa vie ; et, à l’autre extrémité de ce livre, se trouve ce poème à la gloire de la femme idéale : celle qui dirige bien sa vie, précisément. La leçon, c’est qu’une telle femme donne à son entourage la seule chose dont Dieu rêve pour l’humanité, à savoir le bonheur.

Alors, ce n’est pas un hasard, bien sûr, si ce poème se présente de manière particulière : car si vous vous reportez à ce passage dans votre Bible, vous verrez que ce poème est alphabétique ; nous avons déjà rencontré des psaumes alphabétiques ; c’est un procédé habituel : chaque verset commence par une lettre de l’alphabet dans l’ordre * ; (en littérature, on appelle cela un acrostiche) ; mais il ne s’agit pas de technique, pas plus que dans les psaumes ; il s’agit d’une affirmation de foi ; la femme idéale, c’est celle qui s’est laissé imprégner par la sagesse de Dieu, elle est un reflet de la sagesse de Dieu ; et donc elle a tout compris, de A à Z.

LA BIBLE ET LES FEMMES

Le livre des Proverbes n’est pas le seul à tenir ce genre de discours très positif sur la gent féminine ; on pourrait citer des quantités d’autres phrases de la Bible qui font l’éloge des femmes, du moins de certaines. Il ne faut pas oublier que la Bible a, dès le début, une conception de la femme tout à fait originale ; à Babylone, par exemple, on pensait que la femme a été créée après l’homme (sous-entendu l’homme a pu fort bien se passer de femme) ; au contraire, le poème de la création (le premier chapitre de la Genèse) qui a été rédigé par les prêtres pendant l’Exil à Babylone, justement, affirme clairement : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1,27). (C’est-à-dire dès le début).

Et le deuxième récit de la création dans la Genèse (qui est plus ancien), raconte de manière très imagée la création de la femme aussitôt après l’homme ; il la décrit soigneusement comme une égale, puisqu’elle est de la même nature que lui « os de ses os, chair de sa chair » (Gn 2,18-24). Ils sont tellement égaux d’ailleurs, qu’ils portent le même nom : homme et femme, en français, ne sont pas de la même racine : mais, en hébreu, ils se disent ish au masculin, ishshah au féminin ; ce qui dit bien à la fois la similitude des deux et la particularité de chacun.

Et le texte va plus loin, puisqu’il précise que la femme est un cadeau fait à l’homme pour son bonheur : « Le SEIGNEUR Dieu dit : Il n’est pas bon que l’homme soit seul (entendez il n’est pas heureux pour l’homme d’être seul), je vais lui faire une aide qui lui correspondra » ; et le texte hébreu ajoute « qui soit pour lui comme son vis-à-vis » (Gn 2,18) ; un vis-à-vis, c’est-à-dire un égal avec lequel on puisse dialoguer, dans un véritable face-à-face avec tout ce que cela comporte de révélation mutuelle, et de découverte de chacun dans le regard de l’autre.

La suite du texte biblique raconte la déchirure qui s’est introduite peu à peu dans des relations qui auraient dû être faites de confiance et de dialogue : le soupçon s’est installé entre l’humanité et son créateur ; et des relations faussées se sont peu à peu elles aussi instaurées entre l’homme et la femme : désormais tout repose non sur le dialogue, mais sur le pouvoir : qui se fait séduction d’un côté, domination de l’autre ; « Ton désir te portera vers ton mari, dit Dieu, et celui-ci dominera sur toi » (Gn 3,16). Et quand le théologien biblique écrit ce texte vers l’an 1000 av. J.-C., il y a des milliers d’années que l’expérience quotidienne vérifie cette analyse.

L’ALLIANCE DU COUPLE, IMAGE DE L’ALLIANCE DE DIEU

Et voilà que notre livre des Proverbes se prend de nouveau à rêver du couple idéal : ici l’homme peut se reposer entièrement sur sa compagne « son mari peut lui faire confiance... Elle fait son bonheur »... (v. 11... 12). L’auteur a même eu l’idée, l’audace devrais-je dire, de penser que le couple humain était lié par une véritable Alliance semblable à celle qui unit Dieu à Israël. Dans un autre passage du livre des Proverbes, on peut lire que rompre l’union conjugale c’est rompre du même coup l’Alliance avec Dieu (2,17).

Je reviens à notre texte d’aujourd’hui : dans la conclusion de son livre, en somme, l’auteur veut mettre en valeur deux choses qui sont un peu les deux béatitudes de la femme : première béatitude « Heureuse es-tu, toi qui crains le SEIGNEUR » (traduisez « toi qui aimes le SEIGNEUR ») ; deuxième béatitude ‘Heureuse es-tu : avec tout ce travail humble, tu crées du bonheur’ (versets 30-31).
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Note

*Le verset 10 commence par la première lettre de l’alphabet hébreu, le verset 11 par la deuxième, et ainsi de suite jusqu’au dernier verset qui débute par la dernière lettre de l’alphabet.

Compléments

- Encore une remarque sur ce texte, mais cette fois, de vocabulaire : dans notre traduction liturgique, l’avant-dernier verset dit : « seule, la femme qui craint le SEIGNEUR mérite la louange. » Nous retrouvons ce mot de « crainte » du SEIGNEUR que nous avons appris à lire de manière positive comme un amour filial.

- Ce qui est étonnant, finalement, c’est que cette femme, présentée par le livre des Proverbes, ne fait rien d’extraordinaire ! Ses activités, telles qu’elles nous sont décrites ici, ressemblent à l’idée que nous nous faisons de la femme au foyer ; et on sait bien que ce n’est pas ce qui attire le plus en ce moment ; mais replaçons-nous dans le contexte historique : l’auteur ne prend pas parti pour ou contre la femme au foyer ; et d’ailleurs, qui dit « femme au foyer » ne dit pas femme cloîtrée, privée de toute vie sociale : dans d’autres versets de ce poème, il montre le rôle social qu’elle tient dans sa ville en participant entre autres à des activités commerciales et à des œuvres de charité. Grâce à sa liberté de mouvement et à sa disponibilité, elle est un maillon très important du tissu social.

- Voici quelques autres phrases de la Bible sur la femme : toujours dans le livre des Proverbes, par exemple : « Une femme parfaite est la couronne de son mari. » (Pr 12,4) ; ou encore dans le livre de Ben Sirac : « Heureux celui qui vit avec une femme intelligente. » (Si 25,8) ... « Heureux l’homme qui a une bonne épouse : le nombre de ses jours sera doublé. La femme courageuse fait la joie de son mari : il possèdera le bonheur tout au long de sa vie. » (Si 26,1). « Une lampe qui brille sur le chandelier saint, tel est un beau visage sur un corps bien formé. » (Si 26,17). Et enfin, toujours dans le livre de Ben Sirac : » Pour qui prend femme, c’est déjà la fortune : elle est une aide semblable à lui, une colonne où s’appuyer. Faute de clôture, un domaine est livré aux pillards ; faute d’avoir une femme, on erre à l’aventure en gémissant. » (Si 36,29-30 ). Et que dire du Cantique des Cantiques !
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PSAUME  127 (128) 1-5 - Psaume des montées

1 Heureux qui craint le SEIGNEUR
  et marche selon ses voies !
2 Tu te nourriras du travail de tes mains :
  Heureux es-tu ! À toi, le bonheur !

3 Ta femme sera dans ta maison
  comme une vigne généreuse,
  et tes fils, autour de la table,
  comme des plants d'olivier.

4 Voilà comment sera béni
  l'homme qui craint le SEIGNEUR.
5 De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse !
  Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie.
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DIEU VEUT LE BONHEUR DE L’HOMME

Ce psaume est l’un des plus courts du psautier. Mais son contenu n’en est pas moins important. Car, après tout, il parle de la seule chose qui compte, le bonheur. On ne dira jamais assez que Dieu nous a créés pour nous rendre heureux ; cette évidence parcourt toute la Bible, ce qui était une audace par rapport aux pays voisins.

Moïse déjà l’avait compris, puisque quand il a voulu décider son beau-frère à le suivre pour lui servir de guide dans le désert du Sinaï, il lui a promis « Viens avec nous. pour que nous te rendions heureux, car le SEIGNEUR a promis du bonheur pour Israël. » (Nb 10,29). Le psaume 34/35 met la même assurance dans la bouche de David : « Le SEIGNEUR veut le bonheur de son serviteur. » (Ps 34/35,27). Mais, si on y réfléchit, c’était déjà vrai pour Abraham : les promesses de Dieu à Abraham représentaient très exactement le bonheur le plus désirable à son époque : une descendance et la prospérité. D’ailleurs, le mot « bénédiction » est bien synonyme de bonheur. « En toi seront bénies toutes les familles de la terre  » (Gn 12,3) : cela signifie d’abord que toutes les nations de la terre ne trouveront pas de plus grand souhait à formuler que d’évoquer ta réussite ; elles se diront l’une à l’autre ‘puisses-tu prospérer comme le grand Abraham’ ; plus tard, on comprendra que cela veut dire : ‘toutes les nations de la terre accéderont par toi à la prospérité.’ Que peut-on rêver de mieux ? Or c’est Dieu qui lui promet tout cela : dès leur première rencontre, c’est révélateur.

Et, plus tard, quand on méditera sur les mystères de la Création, on reconnaîtra que Dieu n’a prévu que des choses bonnes : le livre de la Genèse raconte que, quand Dieu, le sixième jour, embrassa du regard l’ensemble de son œuvre, « Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. » (Gn 1,31) ; et le mot hébreu, ici, suggère bien une idée de bonheur.

UNE LOI DICTÉE POUR LE BONHEUR DE TOUS

Au long de l’histoire d’Israël, ce désir de Dieu de voir ses enfants heureux inspire toutes ses paroles et ses initiatives : par exemple il n’y a pas de commandement qui ne soit dicté par ce seul souci. Le livre du Deutéronome qui résume magnifiquement toute la méditation d’Israël sur les fondements de la Loi résonne de recommandations qui n’ont pas d’autre but que de procurer bonheur et longue vie au peuple tout entier : « Tu garderas les décrets et les commandements du SEIGNEUR que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le SEIGNEUR ton Dieu, tous les jours... » (Dt 4,40) ; ou encore : « Si seulement ils avaient à cœur de me craindre et de garder mes commandements, chaque jour, pour leur bonheur et celui de leurs fils, à jamais ! » (Dt 5,29). Et le fameux texte du « Shema Israël » (la profession de foi) est précédé par ce conseil : « Israël, tu écouteras, tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité, dans un pays ruisselant de lait et de miel, comme te l’a dit le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères. » (Dt 6,3).

Notre psaume répond en écho : « Heureux qui craint le SEIGNEUR et marche selon ses voies ! », craindre le SEIGNEUR, voulant exactement dire « marcher selon ses voies », c’est-à-dire obéir aux commandements qui n’ont été donnés que pour le bonheur de ceux qui les pratiquent.

Les mots « heureux », « bonheur » « béni » se répètent ; quant aux images, elles évoquent ce que l’on peut rêver de mieux : l’assurance de la subsistance, la paix dans la ville, la paix dans la maison, berceau d’une belle famille, et la promesse d’une descendance. « De Sion, que le SEIGNEUR te bénisse ! Tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, et tu verras les fils de tes fils ».

LE BONHEUR AU QUOTIDIEN

La leçon qui se dégage de tout cela, c’est l’intérêt que Dieu prend à notre vie quotidienne : c’est bien là, dans les réalités très concrètes que se joue notre bonheur. L’Ancien Testament disait déjà très fort que Dieu n’est pas à chercher seulement à l’intérieur des murs de nos églises, mais dans toute notre vie de chaque jour. Il reste que nous sommes libres de nous écarter des chemins du SEIGNEUR, traduisez de transgresser les commandements et du coup de faire notre malheur.

Ce n’est pas par hasard, peut-être, que notre psaume reprend le vocabulaire et les images du livre de la Genèse. Après la faute, Dieu dit à Adam : « Maudit soit le sol à cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie. » (Gn 3,17)… Et à la femme : « C’est dans la peine que tu enfanteras des fils. » Ici, le livre de la Genèse ne fait que constater la spirale du mal qui s’instaure quand on a pris le mauvais chemin ; le jardin de délices s’est transformé en terre de discorde et de malheur. Ce texte du livre de la Genèse sonne comme une mise en garde : au contraire, le psaume qui parle de l’homme fidèle, celui qui craint le SEIGNEUR, lui promet réussite et bonheur familial : « Tu te nourriras du travail de tes mains » et « Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse, et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier. Voilà comment sera béni l’homme qui craint le SEIGNEUR ».

Dans notre première lecture de ce dimanche, le livre des Proverbes dit bien la même chose quand il fait l’éloge de la « femme qui craint le SEIGNEUR », et affirme qu’elle seule est « digne de louange ». En définitive, au long des siècles, notre conception du bonheur peut changer, mais une seule chose compte : ne jamais oublier que le seul but de Dieu est de voir tous ses enfants heureux.
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Note 

Pour la mise en œuvre liturgique de ce psaume au Temple de Jérusalem, voir le commentaire pour la fête de la Sainte Famille – Année A - tome 1 de « L’INTELLIGENCE DES ÉCRITURES ».
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS 5, 1-6

1   Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur,
     vous n’avez pas besoin, frères, que je vous en parle dans ma lettre.
2   Vous savez très bien que le jour du Seigneur
     vient comme un voleur dans la nuit.
3   Quand les gens diront :
     « Quelle paix ! quelle tranquillité ! »,
     c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux,
     comme les douleurs sur la femme enceinte :
     ils ne pourront pas y échapper.
4   Mais vous, frères, comme vous n’êtes pas dans les ténèbres,
     ce jour ne vous surprendra pas comme un voleur.
5   En effet, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ;
     nous n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres.
6   Alors, ne restons pas endormis comme les autres,
     mais soyons vigilants et restons sobres.
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QUAND VIENDRA LE JOUR DU SEIGNEUR ?

Ce qui était le grand sujet de préoccupation des Thessaloniciens, au moment où Paul leur écrit cette première lettre, c’était la venue du Seigneur, ce qu’ils appelaient le « Jour du Seigneur ». Et ils vivaient dans cette attente, tout comme Paul lui-même vivait tendu de tout son être vers ce jour. Car le mot attente est ambigu peut-être pour nous ; il y a des attentes passives ; mais celle de Paul, celle des Thessaloniciens est une attente impatiente, j’aurais envie de dire fervente. On sent bien l’impatience des chrétiens derrière la phrase de Paul : « Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur, vous n’avez pas besoin que je vous en parle. » Et, dans sa deuxième lettre à cette communauté, Paul juge utile de préciser : « Frères, nous avons une demande à vous faire à propos de la venue de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui : si l'on nous attribue une inspiration, une parole ou une lettre prétendant que le jour du Seigneur est arrivé, n'allez pas aussitôt perdre la tête, ne vous laissez pas effrayer. » (2 Thes 2,1). Chaque fois que des soi-disant prophètes parlent de fin du monde, il nous suffira de relire cette mise en garde de Paul. Je note au passage que Paul ne parle pas du « retour » du Seigneur, il parle de sa « venue ». Car il est invisible, oui, mais il n’est pas absent. Ainsi, on ne peut donc pas parler de « retour » comme s’il était absent.

LE GENRE APOCALYPTIQUE, UN GENRE LITTÉRAIRE

Pour en parler, Paul emploie tout un vocabulaire et même un genre littéraire un peu surprenant pour nous, mais très familier à ses lecteurs du premier siècle ; c’est ce qu’on appelle le « genre apocalyptique » (c’est-à-dire de dévoilement de la face cachée des choses) ; quand on parle de « voleur dans la nuit », quand on évoque les  « douleurs de la femme enceinte », de « catastrophe qui s’abat sur vous » tout cela sur fond d’opposition entre lumière et ténèbres, vous avez toute chance d’être en présence d’un texte apocalyptique. Jésus a employé des expressions tout à fait semblables parce que ce genre littéraire était florissant à son époque ; une époque où justement, l’attente du Messie et de la venue du Royaume de Dieu était très vive.

L’objectif de ce genre de discours est double : premièrement, conforter la foi des lecteurs pour que rien ne les décourage, quelle que soit la longueur de l’attente ; deuxièmement, les encourager à avoir de l’audace dans le témoignage de leur foi à la face du monde, quelle que soit la dureté du temps présent, et même en cas de persécution.

Mais pourquoi personne ne peut-il connaître à l’avance le moment de la venue du Seigneur ? Il y a au moins deux raisons : première raison, le temps appartient à Dieu : le prophète Daniel disait : « Béni soit le nom de Dieu depuis toujours et à jamais. À lui la sagesse et la force ! Lui qui fait changer les âges et les temps… » (Dn 2,20-21). Et Jésus lui-même reconnaissait ne pas le savoir : « Ce jour et cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul. » (Mt 24,36). Soit dit en passant, Jésus nous donne là une formidable leçon d’humilité : il accepte de ne pas savoir... il fait confiance à son Père ; même à l’heure extrême, celle de Gethsémani, alors que le combat entre la lumière et les ténèbres, entre l’amour et la haine est à son paroxysme, il fait confiance.

LE DÉLAI DÉPEND DE NOUS

Deuxième raison, saint Pierre dit que ce temps dépend aussi de nous : « Pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. (2 Pi 3,8-9). Et un peu plus bas, il ajoute « Vous qui attendez, vous qui hâtez l’avènement du jour de Dieu... »

Voilà de quoi nous renvoyer à nos responsabilités : mystérieusement, nous collaborons à la venue du Jour de Dieu ; cela peut paraître audacieux ! Mais c’est pourtant ce que nous disent Paul et Pierre. C’est d’ailleurs cela qui fait la grandeur de nos vies : elles sont la matière première du Royaume. Dieu ne le réalise pas sans nous. Pure coïncidence, peut-être, mais c’est justement après cette deuxième lecture que nous allons entendre la parabole des Talents qui nous parlera de la confiance que Dieu nous fait pour bâtir son Royaume !

Jésus l’avait bien dit à ses disciples qui lui posaient la question : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? » Il leur avait répondu : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force, quand le Saint Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins... » (Ac 1,6-7). Ce qui était une manière de leur dire leur responsabilité, mais également de bien situer leur action dans celle de l’Esprit. Comme dit la quatrième Prière Eucharistique, « L’Esprit continue son œuvre dans le monde et achève toute sanctification ».

Nous n’avons donc pas à nous soucier des temps et des moments, comme dit Jésus, ou des délais et des dates, comme dit Paul, il nous suffit d’essayer concrètement de faire avancer le Royaume, sûrs que nous avons reçu l’Esprit pour cela.

Je reviens sur l’expression « fils de la lumière » : « Vous frères... vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ... », nous dit Paul. Le jour du Seigneur, ce sera quand l’humanité tout entière sera fille de lumière.
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 25, 14-30

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples cette parabole :
14 « C’est comme un homme qui partait en voyage :
     il appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 À l’un il remit une somme de cinq talents,
     à un autre deux talents,
     au troisième un seul talent,
     à chacun selon ses capacités.
     Puis il partit.

16 Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents
     s’en alla pour les faire valoir
     et en gagna cinq autres.
17 De même, celui qui avait reçu deux talents
     en gagna deux autres.
18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un
     alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.

19 Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint
     et il leur demanda des comptes.
20 Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha,
     présenta cinq autres talents
     et dit :
     ‘Seigneur,
     tu m’as confié cinq talents ;
     voilà, j’en ai gagné cinq autres.’
21 Son maître lui déclara :
     ‘Très bien, serviteur bon et fidèle,
     tu as été fidèle pour peu de choses,
     je t’en confierai beaucoup ;
     entre dans la joie de ton seigneur.’
22 Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi
     et dit :
     ‘Seigneur, tu m’as confié deux talents ;
     voilà, j’en ai gagné deux autres.’
23 Son maître lui déclara :
     ‘Très bien, serviteur bon et fidèle,
     tu as été fidèle pour peu de choses,
     je t’en confierai beaucoup ;
     entre dans la joie de ton seigneur.’

24 Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi
     et dit :
     ‘Seigneur,
     je savais que tu es un homme dur :
     tu moissonnes là où tu n’as pas semé,
     tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain.
25 J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre.
     Le voici. Tu as ce qui t’appartient.’
26 Son maître lui répliqua :
     ‘Serviteur mauvais et paresseux,
     tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé,
     que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu.
27 Alors, il fallait placer mon argent à la banque ;
     et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
28 Enlevez-lui donc son talent
     et donnez-le à celui qui en a dix.
29 À celui qui a, on donnera encore,
     et il sera dans l’abondance ;
     mais celui qui n’a rien
     se verra enlever même ce qu’il a.
30 Quant à ce serviteur bon à rien,
     jetez-le dans les ténèbres extérieures ;
     là, il y aura des pleurs et des grincements de dents ! »
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UNE AFFAIRE DE CONFIANCE

Il est intéressant de noter combien de fois revient le mot « confier » dans ce texte : « Un homme, qui partait en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens »... et à son retour, au moment des comptes, les deux premiers serviteurs lui disent « tu m’as confié cinq talents, (deux talents)... J’en ai gagné autant.. » et le maître leur répond « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ».

Quant au troisième serviteur, le maître lui avait fait confiance, à lui aussi, mais lui, en retour, il a eu peur de ce maître ; tout se joue sur ce malentendu, la confiance d’un côté, la méfiance, de l’autre.

Les trois serviteurs ont été traités de la même façon par le maître, « chacun selon ses capacités », et le maître ne demande qu’à faire confiance encore plus.

C’est certainement la première leçon de cette parabole ! Dieu nous fait confiance ; il nous associe à ses affaires, c’est-à-dire à son Royaume, chacun selon nos capacités ; cette expression « chacun selon ses capacités » est là pour nous rassurer. Il ne s’agit pas de nous culpabiliser de ce que nous n’avons pas su faire ; d’ailleurs, le maître n’entre pas dans le détail des comptes avec les deux premiers ; il constate qu’ils sont entrés dans son projet qui est la marche de ses affaires, et c’est de cela qu’il les félicite. C’est la seule chose qui nous est demandée, faire notre petit possible pour le Royaume.

SAVOIR PRENDRE DES INITIATIVES

Cette confiance va loin : le maître attend que ses serviteurs prennent des initiatives, des risques même, pendant son absence. C’est bien ce qu’ont fait les deux premiers serviteurs : s’ils ont pu doubler la somme, c’est qu’ils ont osé risquer de perdre. Tandis que le troisième ne risquait pas de perdre quoi que ce soit ; c’est lui qui a été prudent, pas les autres ; et ce sont les autres qui sont félicités.

Félicités et encouragés à continuer : le même schéma se répète deux fois ; le maître confie, le serviteur en rendant ses comptes dit « tu m’as confié, voilà ce que j’ai fait » ; le maître félicite et dit « je t’en confierai encore » : on pourrait appeler cela « la spirale de la confiance ».

Reste une phrase très difficile dans ce texte : « À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance. Mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a ». On en trouve une autre presque équivalente dans le livre des Proverbes : « Si tu donnes au sage, il devient plus sage, si tu instruis le juste, il progresse encore. » (Pr 9,9). Prenons une comparaison : quand on a choisi la bonne direction, chaque minute, chaque pas nous rapproche du but ; mais quand on tourne le dos au but du voyage, chaque minute qui passe, chaque pas nous éloigne encore du but.

LE TALENT QUI NOUS EST CONFIÉ, C’EST LE PROJET DE DIEU

Mais revenons aux deux premiers serviteurs puisque ce sont eux qui nous sont donnés en exemple : ils ont cru à la confiance qui leur était faite, et qui était énorme, puisque cinq talents, ou deux (ou même seulement un talent), ce sont des sommes absolument considérables et ils ont osé prendre des initiatives qui étaient risquées. Au moment où Jésus s’apprête à affronter la mort (puisque nous sommes à la fin de l’évangile de Matthieu, juste avant les Rameaux et la Passion) et à confier l’Église à ses disciples, la leçon est claire : même si son retour se fait attendre, les disciples de tous les temps auront à gérer le trésor du projet de Dieu : il faudra savoir prendre des initiatives pour faire grandir son Royaume.
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Compléments

Comme il le dit dans l’évangile de Jean : « Je vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. » (Jn 15,16). Et nous n’avons pas à avoir peur car « Il n’y a pas de crainte dans l’amour. » (1 Jn 4,18).

Face à cette confiance du maître, il y a deux attitudes : la première consiste à reconnaître la confiance qui est faite et s’employer à la mériter. C’est l’attitude des deux premiers. Le troisième serviteur adopte l’attitude inverse : le maître confie, mais le serviteur ne voit pas que c’est de la confiance ; il ne l’interprète pas comme cela puisqu’il a peur de ce maître qu’il considère comme exigeant. Il croit avoir tout compris, il a jaugé son patron et décidé qu’il ne méritait pas d’être servi. Or la méfiance de ce troisième serviteur est d’autant plus injuste que le maître a bien pris soin de proportionner l’effort demandé à chacun « selon ses capacités ». Et il rêvait de pouvoir dire à chacun : « Entre dans la joie de ton maître ».

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 19 11 2023, 33e dimanche du temps ordinaire A

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 23:48
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DE LA SAGESSE 6, 12-16

12 La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas.
     Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment,
     elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent.
13 Elle devance leurs désirs
     en se faisant connaître la première.
14 Celui qui la cherche dès l'aurore ne se fatiguera pas :
     il la trouvera assise à sa porte.
15 Penser à elle est la perfection du discernement,
     et celui qui veille à cause d’elle
     sera bientôt délivré du souci.
16 Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d'elle ;
     au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ;
     dans chacune de leurs pensées,
     elle vient à leur rencontre.
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OR DONC, ROIS, LAISSEZ-VOUS INSTRUIRE

Avant de lire ce texte, il faut « s’habiller le cœur », comme disait Antoine de Saint-Exupéry dans « Le petit prince ». Car, malgré son titre sérieux (livre de la sagesse) il s’agit ici d’un poème. Lisons-le donc.

Si, avec Aragon, les amoureux chantent « Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ? » les croyants le chantent encore plus ; car la foi est bien l’histoire d’une rencontre. Dans ce texte du livre de la Sagesse, comme dans toute la Bible, il s’agit de la foi d’Israël, de l’Alliance entre Dieu et son peuple. N’oublions pas que l’auteur du livre de la Sagesse est un croyant ! Je dis « l’auteur » à défaut de pouvoir être plus précise ! On ne sait pas qui il est : une seule chose est sûre : ce livre intitulé « Livre de la sagesse de Salomon » n’est très certainement pas du grand roi Salomon, le fils de David, qui a régné vers 950 av. J.-C. Ce Livre a été écrit en grec (et non en hébreu) par un Juif anonyme, à Alexandrie en Égypte, environ cinquante ans seulement, peut-être moins, avant la naissance de Jésus-Christ. Le passage que la liturgie nous offre ici fait partie de tout un ensemble de recommandations aux rois ; évidemment, l’attribution du livre au roi dont la Sagesse était proverbiale donnait toute latitude à l’auteur pour donner des conseils. 

Le chapitre 6 commence par : « Écoutez donc, ô rois, et comprenez ; instruisez-vous, juges de toute la terre. Soyez attentifs, vous qui dominez les foules, qui vous vantez de la multitude de vos peuples… C’est donc pour vous, souverains, que je parle, afin que vous appreniez la sagesse et que vous évitiez la chute. » (Sg 6,1-2.9). Son discours tient en trois points :

Premièrement, la Sagesse est la chose la plus précieuse du monde : et là, ce livre au titre trop sérieux recèle des envolées littéraires auxquelles on ne s’attendait pas : « La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas ». Ou encore : « Elle est la respiration de la puissance de Dieu, l’émanation toute pure de la gloire du Souverain de l’univers… Elle est le rayonnement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté. » (Sg 7,25-26). Elle est tellement précieuse qu’on la compare à la plus désirable des femmes : « Elle est plus belle que le soleil, elle surpasse toutes les constellations ; si on la compare à la lumière du jour, on la trouve bien supérieure, car le jour s’efface devant la nuit, mais contre la Sagesse le mal ne peut rien. » (Sg 7,29-30). Et le roi Salomon confie : « C’est elle que j’ai aimée et recherchée depuis ma jeunesse, j’ai cherché à la prendre pour épouse, je suis devenu l’amant de sa beauté. » (Sg 8,2).

Deuxièmement, la Sagesse est à notre portée, ou, plus exactement, elle se met à notre portée : « Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment... elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. » Au passage, il faut admirer ce style très balancé que nous trouvons si souvent dans la Bible, en particulier chez les prophètes et dans les psaumes. Mais surtout, il y a dans ces deux phrases parallèles une affirmation fondamentale : c’est qu’il n’y a pas de conditions pour rencontrer Dieu ; pas de conditions d’intelligence, de mérite ou de valeur personnelle... Jésus le redira sous une autre forme : « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. » (Mt 7,7-9).

QUI DEMANDE REÇOIT

Et l’auteur attribue au roi Salomon  cette confidence : « J’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. » (Sg 7,7). Il nous suffit de la désirer : la seule condition, évidemment, la chercher, la désirer ardemment : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » dit le psaume 62/63.  « Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte » ; toujours cette affirmation qu’elle est tout près de nous, et qu’il nous suffit de la chercher... manière aussi de dire que nous sommes libres ; Dieu ne nous force jamais la main.

Troisièmement, non seulement, elle répond à notre attente, mais elle-même nous recherche, elle nous devance ! Et là, il faut quand même de l’audace... Pourtant, l’auteur le dit en toutes lettres : « Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première »... « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle. » Dieu prend l’initiative de se révéler à l’homme ; car, on l’a deviné, la Sagesse n’est autre que Dieu lui-même inspirant notre conduite. Plus tard, saint Paul dira de Jésus-Christ qu’il est la Sagesse de Dieu : « Ce Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1,24). « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle » : de nous-mêmes, nous ne pourrions pas atteindre Dieu. Et la dignité dont il est question ici, c’est seulement ce désir de Dieu : la seule dignité qui nous est demandée, c’est d’avoir un cœur qui cherche Dieu. Serait-ce cela la « robe des noces » de la parabole ?

Et voilà pourquoi il peut y avoir rencontre, Alliance : on sait bien que, pour qu’il y ait vraiment rencontre intime entre deux êtres, il faut que les deux le désirent ; et c’est ce que nous dit le passage d’aujourd’hui : Dieu est à la recherche de l’homme ; il faut et il suffit que l’homme soit à la recherche de Dieu : « Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ; au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ; dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre ».

On peut se poser la question : sur quels critères peut-on juger qu’un roi (ou quiconque) aura été sage ou non ? Voici ce qu’en dit Jérémie : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse, que le fort ne se vante pas de sa force, que le riche ne se vante pas de sa richesse. Mais celui qui se vante, qu’il se vante plutôt de ceci : avoir de l’intelligence pour me connaître, moi, le SEIGNEUR qui exerce sur la terre la fidélité, le droit et la justice. Oui, en cela je me plais, oracle du SEIGNEUR ! » (Jr 9, 22-23). Voilà donc les critères de la vraie sagesse : celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice.

Notre auteur dit quelque chose d’équivalent : « La domination vous a été donnée par le Seigneur, et le pouvoir, par le Très-Haut, lui qui examinera votre conduite et scrutera vos intentions. En effet, vous êtes les ministres de sa royauté ; si donc vous n’avez pas rendu la justice avec droiture, ni observé la Loi, ni vécu selon les intentions de Dieu, il fondra sur vous, terrifiant et rapide…les puissants seront jugés avec puissance. » (Sg 6,3-4). Décidément, où qu’on se tourne dans la Bible, cela revient toujours au même : la seule chose qui nous est demandée, c’est d’agir selon la volonté de Dieu  : « Ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur’ qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père... » (Mt 7,21) et le prophète Michée précise : « Homme, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité et t’appliquer à marcher avec ton Dieu (d’autres traductions disent « la vigilance » dans la marche avec ton Dieu) (Mi 6,8). Toutes les autres lectures de ce trente-deuxième dimanche nous parleront de cette vigilance.
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PSAUME 62 (63), 2, 3-4, 5-6, 7-8

2   Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l'aube :
     mon âme a soif de toi ;
     après toi languit ma chair,
     terre aride, altérée, sans eau.

3   Je t'ai contemplé au sanctuaire,
     j'ai vu ta force et ta gloire.
4   Ton amour vaut mieux que la vie :
     tu seras la louange de mes lèvres !   

5   Toute ma vie je vais te bénir,
     lever les mains en invoquant ton nom.
6   Comme par un festin je serai rassasié :
     la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.   

7   Dans la nuit, je me souviens de toi
     et je reste des heures à te parler.
8   Oui, tu es venu à mon secours :
     je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
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JE CRIE DE JOIE À L’OMBRE DE TES AILES 

 « Je crie de joie à l’ombre de tes ailes » : c’est beau, mais c’est quand même étonnant ! En fait, il faut se transporter en pensée, à l’intérieur du Temple de Jérusalem (avant sa destruction, bien sûr, en 587 av. J.-C. par Nabuchodonosor)... et supposer que nous sommes prêtres ou lévites. Là, dans le lieu  le plus sacré, le « Saint des Saints », se trouvait l’Arche d’Alliance : attention, quand nous disons Arche aujourd’hui, nous risquons de penser à une œuvre architecturale imposante : les Parisiens penseront peut-être à ce qu’ils appellent la Grande Arche de la Défense... Pour Israël, c’est tout autre chose ! Il s’agit de ce qu’ils avaient de plus sacré 1 : un petit coffret de bois précieux, recouvert d’or, à l’intérieur comme à l’extérieur, qui abritait les tables de la Loi. Sur ce coffret, veillaient deux énormes statues de chérubins.

Les « Chérubins » n’ont pas été inventés par Israël : le mot vient de Mésopotamie. C’étaient des êtres célestes, à corps de lion, et face d’homme, et surtout des ailes immenses. En Mésopotamie, ils étaient honorés comme des divinités... En Israël au contraire, on prend bien soin de montrer qu’ils ne sont que des créatures : ils sont représentés comme des protecteurs de l’Arche, mais leurs ailes déployées sont considérées comme le marchepied du trône de Dieu. Ici, un prêtre en prière dans le Temple, à l’ombre des ailes des chérubins se sent enveloppé de la tendresse de son Dieu depuis l’aube jusqu’à la nuit.2

Les autres images de ce psaume sont toutes également empruntées au vocabulaire des lévites : « Je t’ai contemplé au sanctuaire » : ils étaient les seuls à pénétrer dans la partie sainte du Temple... » toute ma vie, je vais te bénir » : effectivement toute leur vie était consacrée à la louange de Dieu... » lever les mains en invoquant ton nom » : là nous voyons le lévite en prière, les mains levées... « Comme par un festin je serai rassasié », c’est une allusion à certains sacrifices qui étaient suivis d’un repas de communion pour tous les assistants, et d’autre part, on sait que les lévites recevaient pour leur nourriture une part de la viande des sacrifices... « Dans la nuit, je me souviens de toi, je reste des heures à te parler » : lorsqu’ils étaient de service à Jérusalem, leur vie entière se déroulait dans l’enceinte du Temple.

 En fait, ce psaume est une métaphore : ce lévite, c’est Israël tout entier qui, depuis l’aube de son histoire et jusqu’à la fin des temps, s’émerveille de l’intimité que Dieu lui propose  : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, mon âme a soif de toi... »  Et quand il dit « dès l’aube », il veut dire depuis l’aube des temps : depuis toujours le peuple d’Israël est en quête de son Dieu. « Mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » : en Israël, ces expressions sont très réalistes : la terre désertique, assoiffée, qui n’attend que la pluie pour revivre, c’est une expérience habituelle, très suggestive.

DIEU, TU ES MON DIEU, JE TE CHERCHE DÈS L'AUBE

Depuis l’aube de son histoire, Israël a soif de son Dieu, une soif d’autant plus grande qu’il a expérimenté la présence, l’intimité proposée par Dieu. Et donc, à un deuxième niveau, c’est l’expérience du peuple qui affleure dans ce psaume : par exemple « mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau »  est certainement une allusion au séjour dans le désert après la sortie d’Égypte et à l’expérience terrible de la soif à Massa et Meriba (Ex 17). La plus belle prière est certainement celle qui jaillit de notre pauvreté spirituelle, comme la plainte du déshydraté : « J’ai soif ».

« Je t’ai contemplé au sanctuaire » est une allusion aux manifestations de Dieu au Sinaï, le lieu sacré où le peuple a contemplé son Dieu qui lui offrait l’Alliance. » J’ai vu ta force et ta gloire », dans la mémoire d’Israël, cela évoque les prodiges de l’Exode pour libérer son peuple de l’esclavage en Égypte. Tout autant que la formule « Tu es venu à mon secours » : on n’oubliera jamais, de mémoire d’homme, en Israël, cette phrase de Dieu à Moïse : « J’ai vu, oui, vraiment, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer. » (Ex 3,7).

Quand on méditait sur cette libération apportée au peuple d’Israël par son Dieu, on comparait parfois celui-ci à un aigle apprenant à ses petits à voler : « Tel un aigle qui éveille sa nichée et plane au-dessus de ses petits, il déploie son envergure, il le prend, il le porte sur ses ailes. » (Dt 32,11). En écho on lit dans le livre de l’Exode, au moment de la célébration de l’Alliance : « Tu diras à la maison de Jacob... Vous avez vu comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai fait arriver jusqu’à moi. » (Ex 19,4). Si bien que les ailes des chérubins dans le Temple prenaient encore une autre signification. Elles sont les ailes protectrices de celui qui apprend à Israël le chemin de la liberté.

Toutes ces évocations d’une vie d’Alliance, d’intimité sans ombre sont peut-être la preuve que ce psaume a été écrit dans une période moins lumineuse ! Où l’on a bien besoin de s’accrocher aux souvenirs du passé. Tout n’est pas si rose et les derniers versets (que la liturgie ne nous fait pas chanter), disent fortement, violemment même l’attente de la disparition du mal sur la terre, par exemple : « Ceux qui pourchassent mon âme, qu’ils descendent aux profondeurs de la terre »...  Israël attend la pleine réalisation des promesses de Dieu, les cieux nouveaux, la terre nouvelle, et la délivrance de tout mal et de toute persécution.

L’expression « je te cherche dès l’aube... mon âme a soif » dit aussi que cette quête n’est pas encore comblée : Israël est le peuple de l’attente, de l’espérance : » Mon âme attend le Seigneur, plus sûrement qu’un veilleur n’attend l’aurore. » (Ps 129/130,6). Quand Jésus parle de veille, de vigilance dans la parabole des vierges sages et des vierges folles (qui sera notre évangile de ce trente-deuxième dimanche), c’est à cela qu’il pense : une recherche permanente de Dieu.

Aujourd’hui à la suite du peuple juif, le peuple chrétien reprend à son compte cette prière, cette soif, cette attente : le psaume 62/63 fait partie de la prière des Heures du dimanche matin de la première semaine. Car dans la liturgie chrétienne, le dimanche, jour de la Résurrection du Christ, est le jour privilégié où nous célébrons la totalité du mystère de l’Alliance de Dieu avec son peuple, depuis l’aube de son histoire, dans l’attente de l’avènement définitif de son Royaume.
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Notes

1 – L’Arche d’Alliance est perdue depuis l’Exil à Babylone et personne ne sait ce qu’elle est devenue.

2 – En réalité, seul le grand-prêtre avait accès au Saint des Saints, une fois par an, le jour du Yom Kippour (le Grand Pardon). Le prêtre en prière, s’imagine être sous l’ombre de l’Arche.
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS 4, 13-18

13 Frères,
     nous ne voulons pas vous laisser dans l'ignorance
     au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ;
     il ne faut pas que vous soyez abattus
     comme les autres, qui n'ont pas d'espérance.
14 Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ;
     de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis,
     Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
15 Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci :
     nous les vivants,
     nous qui sommes encore là pour la venue du Seigneur,
     nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis.
16 Au signal donné par la voix de l'archange, et par la trompette divine,
     le Seigneur lui-même descendra du ciel,
     et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d'abord.
17 Ensuite, nous les vivants,
     nous qui sommes encore là,
     nous serons emportés sur les nuées du ciel,
     en même temps qu'eux,
     à la rencontre du Seigneur.
     Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur.
18 Réconfortez-vous donc les uns les autres
     avec ce que je viens de dire.
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L’ESPÉRANCE DES CHRÉTIENS

On se demande souvent ce que les chrétiens ont de plus que les autres ; saint Paul vient de nous donner une réponse : nous avons reçu en cadeau l’espérance ! D’après lui, c’est ce qui nous distingue : « Il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres qui n’ont pas d’espérance ». Une espérance qui ne repose ni sur des raisonnements, ni sur des convictions, ni sur de quelconques prédictions... mais sur un événement qui est le socle de notre foi : à savoir la Résurrection de Jésus-Christ.

Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul va jusqu’à dire : « Si Christ n’est pas ressuscité, notre proclamation est sans contenu, votre foi aussi est sans contenu » (1 Co 15,14). De deux choses l’une : ou bien Christ est ressuscité ou bien il ne l’est pas. S’il n’est pas ressuscité, alors notre foi est un château de cartes qui ne peut que s’écrouler. « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans valeur... et donc, ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si nous avons mis notre espérance dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les hommes. » (1 Co 15,17-19). Si c’est cela, nous avons été trompés et l’avenir est bouché.

Mais, bien sûr, Paul continue, toujours dans cette lettre aux Corinthiens : «  Mais non ; Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts. » » (1 Co 15,20). « Prémices », c’est-à-dire premier-né de l’humanité vivante. Paul fait allusion, ici, à la coutume de l’offrande des prémices dans l’Ancien Testament : lorsqu’on offrait à Dieu la première gerbe de la récolte, ou l’animal premier-né du troupeau, ces offrandes (ces « prémices ») représentaient la totalité de la récolte, l’ensemble du troupeau. De la même manière, Jésus ressuscité est « prémices » de toute l’humanité.

Et alors nous pouvons contempler ce projet de Dieu : le Dieu vivant a conçu un peuple de vivants ; et c’est pour cela que nous sommes le peuple de l’espérance ; rappelons-nous la discussion de Jésus avec les Sadducéens (Mt 22,23s) : à l’époque du Christ, la foi en la Résurrection était un progrès tout récent de la théologie juive ; les Pharisiens y croyaient, mais pas encore les Sadducéens : ils donnaient pour argument la complexité des rapports dans l’au-delà pour une femme qui aurait eu sur terre successivement sept maris : « À la résurrection, duquel des sept sera-t-elle l’épouse, puisque chacun l’a eue pour épouse ? » (Mt 22,28). Jésus leur répond, d’abord, qu’il ne faut pas envisager la Résurrection comme une copie de notre vie sur la terre, la perspective de la mort en moins ; mais surtout, il affirme la Résurrection : «  Au sujet de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce qui vous a été dit par Dieu : Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » (Mt 22,31-32).

LA CRÉATION TOUT ENTIÈRE GÉMIT DANS LES DOULEURS DE L’ENFANTEMENT

Cette parole-là lui a permis, à lui, Jésus, le premier, d’affronter la mort. Quand il annonce sa Passion à ses disciples, il annonce toujours en même temps sa Résurrection (Mt 16,16 par ex) ; cette parole-là doit nous permettre à notre tour d’affronter la vie sans angoisse excessive à la pensée de son terme inéluctable, et d’affronter la mort, le jour venu. Comme dit Paul encore : « J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous. En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu… Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. » (Rm 8,18-22).

Cet enfantement, c’est celui du dessein bienveillant de Dieu : s’il y a un moment où nous devons nous souvenir à tout prix que le dessein de Dieu est bienveillant, c’est quand nous envisageons notre mort ; et alors, il ne nous reste plus qu’à nous laisser faire puisque sa volonté est bonne pour nous : « Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Ep 1,9-10).

RIEN NE POURRA NOUS SÉPARER DE LUI

Ce projet de Dieu, c’est donc un peuple de vivants qui ne font qu’un en Jésus-Christ, comme un seul homme. Au fond, ce qui nous est le plus difficile à imaginer, c’est ce projet d’union : « Réunir l’univers entier sous un seul chef (une seule tête), le Christ ». (Ep 1,10). C’est certainement à cela que Paul pensait lorsqu’il écrivait : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ?... J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rm 8,35-39).

Rien ne pourra nous séparer de lui, rien, pas même la mort biologique : c’est pour cela que Paul emploie l’image du sommeil ; quelqu’un qui dort est bien vivant ! Et donc ceux qui nous ont quittés ne seront pas séparés du Christ. Comme dit Paul dans notre texte d’aujourd’hui : « Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur ». Voilà qui devrait nous permettre de nous réconforter mutuellement. Paul lui-même en a eu peut-être parfois besoin puisqu’il dit dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car notre détresse du moment présent est légère par rapport au poids vraiment incomparable de gloire éternelle qu’elle produit pour nous. Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. » (2 Co 4,16-18) ; et dans la lettre aux Philippiens : « Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir. » (Phi 3,20-21).

Pour terminer, imaginons le dernier jour, celui que Jésus appelle « l’avènement du Fils de l’Homme » : le journaliste de service écrira « Ils se sont tous levés comme un seul homme » !
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 25, 1-13

     En ce temps-là,
     Jésus disait à ses disciples cette parabole :
1   « Le royaume des Cieux sera comparable
     à dix jeunes filles invitées à des noces,
     qui prirent leur lampe
     pour sortir à la rencontre de l’époux.
2   Cinq d’entre elles étaient insouciantes,
     et cinq étaient prévoyantes :
3   les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
4   tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes,
     des flacons d’huile.
5   Comme l’époux tardait,
     elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
6   Au milieu de la nuit, il y eut un cri :
     ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’
7   Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
     et se mirent à préparer leur lampe.
8   Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes :
     ‘Donnez-nous de votre huile,
     car nos lampes s’éteignent.’
9   Les prévoyantes leur répondirent :
     ‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous,
     allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’
10 Pendant qu’elles allaient en acheter,
     l’époux arriva.
     Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces,
     et la porte fut fermée.
11 Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
     ‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’
12 Il leur répondit :
     ‘Amen, je vous le dis :
     je ne vous connais pas.’

13 Veillez donc,
     car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

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LA PARABOLE DES DIX JEUNES FILLES

« Le Royaume des cieux est semblable à dix jeunes filles invitées à des noces ... » Cette comparaison très positive avec des noces prouve bien que Jésus n’a pas imaginé cette parabole pour nous inquiéter ; il nous invite à nous transporter déjà au terme du voyage, quand le Royaume sera accompli et il nous dit ‘Ce sera comme un soir de noce’ : d’entrée de jeu, on peut donc déjà déduire que même la dernière parole « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » ne doit pas nous faire peur, ce n’est jamais le but de Jésus. À nous de déchiffrer ce qu’elle veut dire.

C’est une parabole, c’est-à-dire que c’est la leçon finale qui compte. Ce n’est pas une allégorie, il n’y a donc pas à chercher des correspondances entre chaque détail de l’histoire et des situations ou des personnes concrètes. Enfin, ne nous scandalisons pas de ces prévoyantes qui refusent de partager, ce n’est pas une parabole sur le partage.

Toutes ces précautions prises, il reste à découvrir ce que peut vouloir dire cette fameuse dernière phrase « Veillez donc ». Pour commencer, reprenons les éléments de la parabole : des noces, une invitation ; dix jeunes filles, cinq d’entre elles sont insouciantes, cinq sont prévoyantes ou avisées selon les traductions ; les prévoyantes ont de l’huile en réserve, les insouciantes ont pris leur lampe sans emporter d’huile... or il est vrai qu’une lampe à huile sans huile n’est plus une lampe à huile... C’est aussi insensé 1 que de mettre une lampe sous le boisseau : « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » (Mt 5,15).

L’époux tarde à venir et tout notre petit monde s’endort, les prévoyantes comme les autres : on peut noter au passage que ce sommeil ne leur est pas reproché, ce qui prouve que le mot de la fin « Veillez » n’interdit pas de dormir, ce qui est pour le moins paradoxal ! L’époux finit quand même par arriver et l’on connaît la suite : les prévoyantes entrent dans la salle de noces, les insouciantes se voient fermer la porte avec cette phrase dont on ne sait pas dire si elle est dure ou attristée « Je ne vous connais pas » leur dit l’époux. Et cette fameuse conclusion : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

À LA RENCONTRE DE L’ÉPOUX CHAQUE JOUR

Chose curieuse, Jésus a déjà traité à peu près le même thème dans une autre parabole, celle des deux maisons : l’une est bâtie sur le roc, l’autre sur le sable. « La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé » : l’une des deux a résisté, l’autre s’est écroulée ; jusque-là rien de surprenant, on aurait pu s’en douter ; mais voici que Jésus s’explique : celui qui a bâti sur le roc, c’est « tout homme qui entend les paroles que je dis et les met en pratique... » ; que sont  ces fameuses « paroles qu’il dit » ? Nous sommes au chapitre 7 de saint Matthieu ; quelques lignes auparavant, on a pu lire : « Ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur’, qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ce jour-là, beaucoup me diront : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?’ Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal. » (Mt 7, 21-27).

Et Jésus continue : « Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique, est comparable à un homme prévoyant 2 qui a construit sa maison sur le roc... ». Dans la parabole des deux maisons, le lien est donc clair : « Je ne vous connais pas, car vous commettez le mal » ; en d’autres termes, ‘vous faites de très belles choses (prophéties, miracles...) mais vous n’aimez pas vos frères’ ; ici, dans la parabole des dix vierges, cela revient au même : c’est ‘Je ne vous connais pas, vous n’êtes pas la lumière du monde... vous êtes appelées à l’être, mais il n’y a pas d’huile dans vos lampes’.

Dans les deux paraboles, Jésus emploie cette même formule « Je ne vous connais pas » : ce n’est pas un verdict sans appel, c’est un constat triste : ‘Je ne vous connais pas encore’, ‘Vous n’êtes pas encore prêts pour le Royaume, vous n’êtes pas prêts pour les noces’ ; il faut sans doute l’entendre au sens de ‘Je ne vous reconnais pas’ : vous ne me ressemblez pas, vous n’êtes pas en communion avec moi.

Le rapprochement avec la parabole des deux maisons peut encore nous éclairer : celle-ci était la conclusion du discours sur la montagne dans lequel Jésus proclamait  « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi’. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes...Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5,43-48).

« Veiller », c’est donc vivre au jour le jour cette ressemblance avec le Père pour laquelle nous sommes faits : c’est aimer comme lui ; chose impossible, sommes-nous tentés de dire... heureusement cette ressemblance d’amour est cadeau ; comme nous l’ont dit les autres lectures de ce dimanche, il nous suffit de la désirer ; de le chercher, comme dit le psaume « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube » ; d’aller à la rencontre de cette Sagesse dont nous parlait la première lecture, celle qui se traduit par la bonté, le droit, la justice. Veiller, en fin de compte, c’est être toujours prêt à le recevoir. Cette rencontre de l’époux se fait non pas au bout du temps, à la fin de l’histoire terrestre de chacun, mais à chaque jour du temps ; c’est à chaque jour du temps qu’il nous modèle à son image.
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Notes

1- « Insensé » : c’est affaire de cohérence.

2-Le mot grec qui a été traduit en français par « prévoyant » est bien le même dans les deux paraboles (Mt 7,24 // Mt 25,2).

Compléments

- Il y a plusieurs manières d’envisager le temps qui passe ; pour un chrétien, elle ne peut être que positive : c’est le temps qui prépare la venue du Seigneur, « l’avènement du Fils de l’Homme ». Jean-Sébastien Bach a traité ce thème dans un choral intitulé « Le choral du veilleur » et qui est en fait une variation sur la parabole des jeunes filles prévoyantes et des jeunes filles insouciantes  ; il commence par un pas de danse très gai sur un registre un peu haut : vous les avez reconnues, ce sont les jeunes filles insouciantes ; puis, plus bas, intervient gravement la musique du cantique « Adoro te devote » : ce sont les vierges prévoyantes en train de méditer ; enfin au pédalier, s’installe un rythme régulier, appuyé, qui symbolise le temps qui s’écoule.

- « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure » : personne ne peut remplir ma lampe à ma place. Il y va de ma liberté et de ma responsabilité.

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut, 12 11 2023, 32e dimanche du temps ordinaire A

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30 octobre 2023 1 30 /10 /octobre /2023 00:31
Ces commentaires, trouvés sur le site "Église catholique en France", permettent à toute personne de bonne volonté, chrétienne ou non, de mieux comprendre la Bible, le livre le plus diffusé au monde, en
  • décodant le langage imagé utilisé par l'auteur.

Je souhaite arriver à mettre ici, chaque dimanche, les commentaires de Marie-Noëlle Thabut. Ma seule contribution consiste à surligner les passages que je trouve les plus enrichissants et à écrire en rouge ceux qui parlent d'un thème qui m'est cher : la liberté (trois autres pages de mon blog sont consacrées à ces passages des Évangiles, du reste du Nouveau Testament ou de l'Ancien Testament qui parlent de la liberté). D'après Marie-Noëlle Thabut, "... si nous ne trouvons pas dans les textes une parole libérante, c'est que nous ne les avons pas compris."

Attention le texte écrit peut différer des versions audio (Radio-Notre-Dame) et vidéo (KTO TV) qui ont été modifiées par Marie-Noëlle Thabut, parfois pour les améliorer, parfois pour s'adapter aux formats imposés par ces chaînes de radio ou de télévision. Dans cette hypothèse, nous mettons en italiques les passages supprimés pour ces médias.

Version audio, trouvée sur le site de Radio-Notre-Dame.

LECTURE DU LIVRE DU PROPHÈTE MALACHIE 1,14b- 2,2b. 8-10

1, 14 Je suis un grand roi,
       dit le SEIGNEUR de l'univers,
       et mon nom inspire la crainte parmi les nations.
2, 1 Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement :
2     Si vous n'écoutez pas,
       si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom,
       - dit le SEIGNEUR de l'univers, -
       j'enverrai sur vous la malédiction,
       je maudirai les bénédictions que vous prononcerez.
8     Vous vous êtes écartés de la route,
       vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude,
       vous avez détruit mon Alliance avec mon serviteur Lévi,
       dit le SEIGNEUR de l'univers.
9     À mon tour je vous ai méprisés,
       abaissés devant tout le peuple,
       puisque vous n'avez pas gardé mes chemins,
       mais agi avec partialité dans l’application de la Loi.
10   Et nous, n'avons-nous pas tous un seul Père ?
       N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ?
       Pourquoi nous trahir les uns les autres,
       profanant ainsi l'Alliance de nos pères ?
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LA COLÈRE DE MALACHIE

Malachie accumule les reproches : les prêtres et le peuple, tout le monde se fait rappeler à l’ordre. Les prêtres sont accusés de « détruire l’alliance », les laïcs de la « profaner ». Chose intéressante, ce n’est pas le même mot : cela veut dire au moins que les responsabilités se situent à des niveaux différents.

Déjà, à entendre le ton violent de ce texte, on peut deviner un peu le contexte : nous sommes au cinquième siècle avant J.C. probablement vers 470 ; depuis le retour de l’Exil à Babylone, on assiste à un relâchement moral et religieux, c’est-à-dire tout le contraire de ce qu’on aurait imaginé ; de loin, en Exil, on avait imaginé ce retour : retour au pays, mais surtout retour à la vie de foi, de prière, et de fraternité qui était l’idéal de l’Alliance proposée par Dieu.

Dieu, lui, n’a pas changé, dit Malachie qui commence son livre par ces mots : « ‘Je vous ai aimés’ », dit le SEIGNEUR (Ml 1,2) et par « Je suis Père » (Ml 1,6). Sur cette base, le prophète rappelle au peuple d’Israël, prêtres et laïcs, les exigences de la fidélité à un tel amour. Les prêtres sont les serviteurs de la Parole : donc ils doivent l’annoncer sans la dénaturer ; leur fidélité à l’Alliance de Dieu se vérifie dans leur fidélité à annoncer cette parole... Et, si on en croit ce texte, les prêtres contemporains de Malachie méritaient un sévère rappel à l’ordre. Quant au peuple tout entier, c’est dans la qualité des relations mutuelles qu’il vit sa fidélité à l’amour paternel de Dieu. Il est très intéressant de voir comme dans un livre extrêmement court, Malachie dit les trois points les plus importants de la foi juive : 1) Dieu est Père, 2) il propose son Alliance, 3) cette Alliance se vit indissociablement dans le service de Dieu ET dans le service des frères. Tout cela, nous le trouvons ramassé dans le texte d’aujourd’hui.

Quelques mots, d’abord, sur cette formule un peu étonnante : « Je suis un grand roi et mon nom inspire la crainte parmi les nations ». « Le grand roi », c’est le titre que se faisaient donner les rois d’Assyrie, dans leurs heures de gloire (on en a des traces dans le livre des Rois) ; ne nous étonnons donc pas que le prophète l’applique à Dieu, pour bien affirmer qu’il n’y a qu’un grand roi véritable, le Dieu d’Israël. Mais, en fait, cette phrase est pleine d’ironie ; car c’est exactement ce que les prêtres faisaient chanter aux pèlerins à Jérusalem : des phrases comme « À tout jamais le SEIGNEUR est roi » (Ps 9/10,16)« C’est le SEIGNEUR, Dieu de l’univers, c’est lui le roi de gloire » (Ps 23/24,10), « Le grand Dieu, c’est le SEIGNEUR, le grand roi au-dessus de tous les dieux » (Ps 94/95,3) étaient habituelles dans les psaumes. On trouve même des formules qui semblent être le modèle de Malachie : « Le SEIGNEUR est le Très-Haut, le redoutable, le grand roi sur toute la terre... Car Dieu est le roi de toute la terre... Il règne, Dieu, sur les païens. » (Ps 46/47,3s)  ou mieux encore : « Le SEIGNEUR est roi : les peuples s’agitent !... En Sion le SEIGNEUR est grand : c’est lui qui domine tous les peuples. Ils proclament ton nom, grand et redoutable ! (Ps 98/99,1s). En parodiant ces belles prières, Malachie insinue : c’est bien beau de faire chanter tous ces cantiques ; mais vous êtes les premiers, vous les prêtres, à trahir votre prétendu roi.

LES MULTIPLES INFIDÉLITÉS À L’ALLIANCE

Or, de la part des prêtres, c’était particulièrement grave ; comme disait le livre du Deutéronome, la première fonction de la tribu de Lévi (c’est-à-dire les prêtres), c’était d’assurer la prédication et le culte. Voici comment la définissait le livre du Deutéronome : « Ils ont gardé ta parole et maintenu ton Alliance, ils enseignent tes ordonnances à Jacob et ta Loi à Israël ; ils présentent l’encens à tes narines et l’holocauste sur ton autel » (Dt 33,9-10). Tout cela, c’était le programme, si l’on peut dire... mais qui d’entre nous peut se vanter d’être fidèle en tout point à sa mission ? Et, si on en croit ce texte, les prêtres contemporains de Malachie, particulièrement, méritaient un sévère rappel à l’ordre.

Plus leur mission était noble et haute, plus ils étaient coupables ; dans d’autres versets qui ne font pas partie de la lecture liturgique de ce dimanche, Malachie rappelle la grandeur des débuts du sacerdoce avec Moïse et Aaron ; la confiance de Dieu reposait sur eux : « Mon alliance avec lui (Lévi) était vie et paix, je les lui accordais, ainsi que la crainte, et il me craignait. Devant mon nom, il restait saisi. La loi de vérité était dans sa bouche, et rien de mal ne se trouvait sur ses lèvres. Dans la paix et la droiture, il marchait avec moi ; nombreux furent ceux qu’il ramena de la faute. En effet, les lèvres du prêtre gardent la connaissance de la Loi, et l’on recherche l’instruction de sa bouche, car il est le messager du SEIGNEUR de l’univers. » (Ml 2,5-7).

Mais qui dit mission dit responsabilité ; c’est à ceux à qui on a fait le plus confiance qu’on fera les plus durs reproches ! C’est pourquoi Malachie continue : « Vous vous êtes écartés de la route... » Alors il ne faut pas s’étonner des conséquences : Malachie constate que le clergé a perdu toute influence et toute considération ; à ceux qui s’en étonnent, il donne l’explication : votre attitude défigure l’image de Dieu, ne vous étonnez pas que le peuple se détourne de cette caricature. D’où cette phrase terrible : « Je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple ».

On retrouve dans ce livre de Malachie des échos du livre du Deutéronome (dont on sait que certaines parties sont très tardives) ; c’est bien en tout cas le même courant théologique qui s’exprime : « Si tu ne veilles pas à mettre en pratique toutes les paroles de cette Loi, paroles écrites dans ce livre, pour que tu craignes ce Nom glorieux et redoutable, ‘Le SEIGNEUR ton Dieu’, alors le SEIGNEUR te frappera de manière stupéfiante, toi et ta descendance, il te frappera de plaies graves et tenaces... » (Dt 28,58-59). Et Malachie n’est pas le seul à le dire ! Par exemple Osée : « Puisque tu as rejeté la connaissance, je te rejetterai et tu ne seras plus mon prêtre » (Os 4,6) ; et plus tard Jérémie : « Les dépositaires de la Loi ne m’ont pas connu » (Jr 2,8).

Voilà pour les prêtres, au tour des laïcs maintenant ! Malachie est moins violent mais tout aussi clair : quand nous nous maltraitons mutuellement, nous profanons l’Alliance ; son argument est tout simple (d’une « simplicité biblique », dirait-on) :  « N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? » (Ml 2,10). L’unique fondement de la morale est là, dans le projet du Dieu Créateur : il est notre Père, donc nous sommes tous frères ; il y a là toute la Loi et les prophètes.
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PSAUME 130 (131), Psaume des montées

1   SEIGNEUR, je n'ai pas le cœur fier
     ni le regard ambitieux ;
     je ne poursuis ni grands desseins,
     ni merveilles qui me dépassent.

2   Non, mais je tiens mon âme
     égale et silencieuse ;
     mon âme est en moi comme un enfant,
     comme un petit enfant contre sa mère.

3   Attends le SEIGNEUR, Israël,
     maintenant et à jamais.
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COMME UN PETIT ENFANT CONTRE SA MÈRE

Chose curieuse : d’habitude, le psaume est complètement en harmonie avec la première lecture, et souvent on peut se dire  « Il en est l’écho le plus fidèle ». Aujourd’hui, c’est le contraire : la parole du prophète Malachie était violente, sévère... Il fustigeait les prêtres aussi bien que le peuple qui trahissaient l’idéal de l’Alliance ; en réponse, le psaume est plein de douceur ; ce contraste est certainement voulu et l’on peut parier qu’il comporte la plus grande leçon à retenir de la liturgie de ce trente-et-unième dimanche !

Nous pouvons entrer dans ce psaume par la dernière phrase : comme souvent, elle donne la clé de ce qui précède : « Attends le SEIGNEUR, Israël, maintenant et à jamais ». Attends, c’est-à-dire, en langage biblique, espère (Chouraqui traduit « souhaite »). Ce qui signifie non pas une attente passive, comme on attend patiemment le train qui viendra à son heure... mais l’attente du croyant, l’attente active, impatiente, ardente de la réalisation des promesses de Dieu. Pour Israël, ce mot « attendre » vise toujours la venue du Messie au Jour qu’on appelle le « Jour » de Dieu. C’est cette attente, cette espérance qui colore le présent : tout au long de l’histoire biblique, le peuple d’Israël vit debout, tourné vers l’avenir ; « Mon âme attend le SEIGNEUR, plus qu’un veilleur n’attend l’aurore », dit le psaume 129/130. C’est cette foi indéracinable dans les promesses de Dieu qui nourrit son espérance et lui permet d’affronter le présent, quel qu’il soit. Il ne s’agit pas de s’endormir aujourd’hui, en attendant demain : il s’agit de vivre de toutes ses forces l’aujourd’hui de Dieu qui inlassablement fait surgir son projet, étape par étape.

Mais ce n’est quand même pas toujours évident de garder confiance. Le peuple d’Israël en sait quelque chose. Alors le poète prend une comparaison, pour le moins audacieuse ; il avait sûrement sous les yeux une maman et son bébé : le petit enfant, dans les bras de sa maman, joue contre joue, tout tranquille. Nous avons tous vu ce spectacle merveilleux d’un bébé qui pleure, et tout d’un coup, c’est magique : sa maman le prend dans les bras et le voilà apaisé ! C’est exactement cette image-là que le psaume 130/131 nous propose ; ici, le petit enfant dont il s’agit, c’est le peuple d’Israël et la maman, c’est Dieu lui-même... il faut oser quand même ! Et si cet enfant-là s’apaise, c’est parce qu’il sait que le projet de Dieu, son Royaume de bonheur arrive. Il faut seulement savoir attendre.

Soyons clairs : le texte biblique ne dit pas une seule fois que Dieu est féminin : quand on lui donne un titre pris dans le vocabulaire de la famille, c’est toujours celui de Père, jamais celui de mère. Donc, ne faisons pas dire au texte ce qu’il ne dit pas ! Son message, c’est « l’attitude d’Israël doit être empreinte de confiance paisible » et l’image que vous en connaissez et qui s’en rapproche le plus, c’est celle du nourrisson dans les bras maternels. Par exemple, on connaît cette phrase d’Isaïe : « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi je ne t’oublierai pas » (Is 49,15).

TÉMOINS DU DIEU DE TENDRESSE

La différence, c’est que le nourrisson n’a pas d’effort à faire pour trouver la paix dans les bras de sa maman ; pour Israël, au contraire, il y faut un effort constant, répété ; en hébreu, l’expression « je tiens mon âme égale et silencieuse » traduit un effort résolu pour apaiser les mouvements d’angoisse. Évidemment, si le psalmiste a eu besoin d’inventer cette comparaison rassurante, c’est justement parce que cela n’allait pas de soi.

Pour en arriver à cet abandon humblement consenti, (le mot « abandon » le dit bien), il a fallu renoncer à tout rêve de grandeur : « SEIGNEUR, je n’ai pas le cœur fier, ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent ». Ce psaume assez récent (il date probablement d’après l’Exil) traduit une nouvelle étape spirituelle en Israël : tout rêve de grandeur évanoui, on s’émerveille seulement d’être le peuple aimé de Dieu.

Pourtant, les rêves de grandeur, les « merveilles » de Dieu faisaient très normalement partie de la foi d’Israël : le mot « merveilles » évoque inévitablement les prodiges de l’Exode ; les « grands desseins », les heures de gloire, faisaient habituellement partie des promesses des prophètes. On se rappelle toutes les promesses concernant Jérusalem ; par exemple « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi… Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. Lève les yeux alentour, et regarde : tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi... » (Is 60,1-4). Comment entendre ces paroles sans rêver de jours glorieux plus beaux encore que le règne de Salomon dont la grandeur restait un modèle ?

En renonçant à tout rêve de grandeur et de domination politique, Israël découvre son nouveau rôle de témoin de Dieu au milieu des nations : non plus un Dieu de puissance et de gloire, mais un Dieu de tendresse. Dieu a lentement, patiemment mené son peuple jusqu’à cette ultime étape spirituelle : il a fallu des siècles pour découvrir son vrai visage. Tant qu’on imaginait un Dieu marchant à la tête des armées, on ne pouvait envisager son salut qu’en termes de victoires politiques et de domination universelle ; désormais, arrivés au bout de ce chemin spirituel, on attend bien le salut universel, mais, cette fois, c’est en termes de tendresse et de fraternité.

Et là on comprend mieux ce contraste que nous avons relevé plus haut entre la lecture de Malachie et ce psaume : le prophète se montre sévère et même violent envers des prédicateurs indignes de leur mission ; le psaume apporte une conclusion, un peu comme si l’on disait à ces prédicateurs : voilà les sentiments qui devraient vous habiter, quittez vos idées de grandeur et de domination, puisque nous sommes tous les enfants d’un même Père.

À son tour, Jésus s’inscrit dans cette même ligne : « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. » (Mt 18,3).
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LECTURE DE LA PREMIÈRE LETTRE DE SAINT PAUL APÔTRE AUX THESSALONICIENS 2, 7b...13

     Frères,
7   nous avons été pleins de douceur avec vous,
     comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons.
8   Ayant pour vous une telle affection,
     nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu,
     mais jusqu’à nos propres vies,
     car vous nous étiez devenus très chers.
9   Vous vous rappelez, frères, nos peines et nos fatigues :
     c’est en travaillant nuit et jour,
     pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous,
     que nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu.
13 Et voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu :
     quand vous avez reçu la parole de Dieu
     que nous vous faisions entendre,
     vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement,
     non pas une parole d’hommes,
     mais la parole de Dieu
     qui est à l’œuvre en vous, les croyants.

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LA DOUCEUR EST LA VERTU DES FORTS

« Frères, nous avons été pleins de douceur avec vous » : le mot grec qui a été traduit ici par « douceur »  n’est employé que deux fois par Paul, la seconde dans la deuxième lettre à Timothée : « Le serviteur du Seigneur doit être doux envers tous » (2 Tm 2,24). C’est une recommandation à ceux qui exercent l’autorité ; douceur ne signifie donc pas mièvrerie, on dit bien qu’elle est la vertu des forts. D’ailleurs l’image d’une mère qui entoure de soins ses nourrissons n’exclut pas la fermeté : une vraie mère sait faire preuve d’autorité au beau sens de ce mot qui veut dire « faire grandir ». Cette image de la mère, Paul, le Pharisien, connaisseur des Écritures, l’a héritée de l’Ancien Testament : nous l’avons entendue par exemple dans le psaume 130/131, qui nous est également proposé ce dimanche ; mais elle se trouve aussi dans des paroles d’Isaïe : » Car le SEIGNEUR le déclare : Voici que je dirige vers elle (Jérusalem) la paix comme un fleuve et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux. Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai. Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés. » (Is 66,12-13).

Et comme une mère pleine d’affection, les apôtres ne délivrent pas seulement un message, ils se livrent eux-mêmes totalement : « Ayant pour vous une telle affection, nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais jusqu’à nos propres vies... ». Pour que les Thessaloniciens ne soient pas privés de l’Évangile, Paul et ses compagnons étaient prêts à donner leur vie. Et ce n’est pas une image : on se souvient que la prédication de Paul, Silas et Timothée, dans toutes les villes où ils sont passés, et particulièrement à Thessalonique, a rencontré l’hostilité, la persécution et le risque de mort. C’est bien pour cela qu’ils ont dû quitter précipitamment cette jeune communauté et qu’ils sont allés porter l’Évangile ailleurs.

On ne peut qu’être frappé, dans un passage aussi court, de l’insistance de Paul sur les expressions « l’Évangile de Dieu » et « la Parole de Dieu » : « Nous voudrions vous donner l’Évangile de Dieu » (au verset 8), « Nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu » (verset 9), « Vous avez reçu de notre bouche la Parole de Dieu... non pas une parole d’hommes, mais la Parole de Dieu » (verset 13). De cette insistance de Paul, il semble qu’on peut retenir au moins trois choses :

Premièrement, l’urgence d’annoncer la Parole ; la Parole nous est confiée ; si nous ne la disons pas, qui la dira ? Dans la lettre aux Corinthiens, Paul parle d’une charge qui s’impose à lui : « Annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! Certes, si je le fais de moi-même, je mérite une récompense. Mais je ne le fais pas de moi-même, c’est une mission qui m’est confiée. » (1 Co 9,16-17). Paul dit ici exactement la même chose aux Thessaloniciens : « Vous vous rappelez nos peines et nos fatigues : c’est en travaillant nuit et jour, pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous, que nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu ».

MESSAGERS D’UNE PAROLE QUI N’EST PAS LA NÔTRE

Deuxièmement, cette parole annoncée par les apôtres n’est pas seulement parole d’hommes  : « Quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu qui est à l’œuvre en vous, les croyants. » L’apôtre du Nouveau Testament est ce qu’était le prophète dans l’Ancien Testament, c’est-à-dire la « bouche de Dieu » ; l’homme parle, mais c’est l’Esprit de Dieu qui se fait entendre à travers lui ; c’est dire à la fois la grandeur et les limites du rôle des prédicateurs : ils disent les paroles de la foi, mais la foi, c’est Dieu qui la donne.

« Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, écrira encore saint Paul aux Corinthiens, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » (1 Co 2,4-5). Rappelez-vous la phrase de Bernadette Soubirous, lorsqu’elle rapportait au curé de Lourdes plutôt sceptique les paroles de la « Dame » : « Elle ne m’a pas demandé de vous le faire croire, elle m’a demandé de vous le dire ». Il y a là un détachement et une humilité de l’apôtre ; cette parole lui appartient si peu, qu’il ne prétend pas en maîtriser les effets.

Troisièmement, parce qu’elle est accueillie et reconnue comme Parole de Dieu, cette parole est efficace et transforme le cœur et la vie des croyants. Mais cela implique la liberté du cœur qui reçoit la Parole : « (Par Jésus-Christ), nous avons reçu grâce et mission d’apôtre afin d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes » (Rm 1,5). On sait bien ce que veut dire le mot « obéissance » pour Paul : obéir (ob-audire en latin) c’est mettre son oreille devant la parole, c’est écouter avec confiance parce qu’on a reconnu une parole d’amour. L’apôtre ne peut conduire ses auditeurs que jusqu’à l’écoute de la Parole ; et c’est là que leur liberté entre en jeu ; dans une deuxième étape, dans leur cœur, l’écoute de la parole peut se faire « obéissance de la foi » c’est-à-dire écoute confiante et libre soumission. Alors tout s’éclaire et la vie prend sens ; d’expérience, on le sait bien : chaque fois qu’on essaie de découvrir un peu mieux la Parole de Dieu, c’est notre acte de foi préalable qui nous permet de déchiffrer un peu le mystère du dessein bienveillant de Dieu. C’est peut-être cela la bonne terre dont parle la Parabole du semeur.

Finalement, la convergence des textes de ce dimanche est très grande : après les reproches que le prophète Malachie adressait aux prêtres du peuple d’Israël, Paul, dans sa lettre à l’Église de Thessalonique, apparaît comme le modèle du pasteur : porteur d’une parole qui n’est pas la sienne, mais celle de Dieu, il ne vit que pour la donner en nourriture à la communauté des disciples. Une tendresse maternelle l’unit à cette communauté, peines et fatigues ne comptent plus pour lui : il s’est complètement oublié lui-même. Sa plus grande joie est de constater que les Thessaloniciens ont découvert à travers son message la Parole qui les fait vivre.
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Complément

Ce passage mérite d’être lu dans son contexte. Voici les versets précédents : Paul y dresse la liste des tentations auxquelles lui et ses compagnons n’ont pas succombé :

« Jamais, nous n’avons eu un mot de flatterie, vous le savez, jamais de motifs intéressés, Dieu en est témoin ; jamais nous n’avons recherché la gloire qui vient des hommes, ni auprès de vous ni auprès d’autres personnes. Alors que nous aurions pu nous imposer en qualité d’apôtres du Christ, au contraire, nous avons été pleins de douceur avec vous, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons. » (1 Th 2,5-7).
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ÉVANGILE DE JÉSUS CHRIST SELON SAINT MATTHIEU  23,1-12

     En ce temps-là,
1   Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples,
2   et il déclara :
     « Les scribes et les pharisiens enseignent
     dans la chaire de Moïse.
3   Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire,
     faites-le et observez-le.
     Mais n’agissez pas d’après leurs actes,
     car ils disent et ne font pas.
4   Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter,
     et ils en chargent les épaules des gens ;
     mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
5   Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens :
     ils élargissent leurs phylactères
     et rallongent leurs franges ;
6   ils aiment les places d’honneur dans les dîners,
     les sièges d’honneur dans les synagogues
7   et les salutations sur les places publiques ;
     ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
8   Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,
     car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner,
     et vous êtes tous frères.
9   Ne donnez à personne sur terre le nom de père,
     car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
10 Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres,
     car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
12 Qui s’élèvera sera abaissé,
     qui s’abaissera sera élevé. »

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LES PIÈGES DE L’AUTORITÉ 

On pourrait appeler ce texte « les pièges de l’autorité » ou « conseils aux autorités », si vous préférez ; qu’il s’agisse des parents, des autorités religieuses (dans n’importe quelle religion, d’ailleurs) ou des autorités politiques, ou autres, les pièges ou les travers sont les mêmes. Ici, Jésus les a tous rassemblés en un seul portrait qui devient, du coup, caricatural. Bien évidemment, aucun Pharisien ne répondait à ce portrait-robot ; au contraire, les Pharisiens, dans leur ensemble, étaient des gens très respectables, soucieux d’être fidèles à l’Alliance de Dieu ; et l’exemple de Paul, le Pharisien qui pouvait se vanter d’observer scrupuleusement la Loi (Phi 3,6b) est là pour le prouver ; mais l’important était la leçon que Jésus voulait dégager pour ses interlocuteurs, qui étaient, d’après ce texte, « la foule et les disciples ». Car, après ce portrait, Jésus va dire « Pour vous » : pour vous, ne tombez pas dans ces pièges, dans ces travers que je viens de décrire.

 Premier piège : « ils disent et ne font pas » ; deuxième piège : pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service ; troisième piège : vouloir paraître ; quatrième piège : se croire important ! Avoir le goût des honneurs. On voit bien tout de suite que ce sont des travers communs à beaucoup de gens investis d’une charge quelle qu’elle soit !

Premier piège, « ils disent et ne font pas » : ce travers est tellement humain que de nombreux commentaires juifs de la Bible insistaient sur l’importance de pratiquer ce qu’on enseigne : « Apprendre, garder et faire, il n’y a rien au-dessus » (« sifré », commentaire rabbinique sur le Deutéronome) ; « Celui qui apprend pour ne pas pratiquer, il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas créé » (idem sur le Lévitique) ; « C’est pour cela qu’a été donnée la Tora : pour apprendre, pour enseigner, pour garder et pour accomplir » (idem sur les Nombres) ; un autre commentaire rabbinique (Yebamot) disait : « Belles sont les paroles dans la bouche de qui les pratique, beau celui qui les enseigne et beau celui qui les pratique ». Jésus en dira autant : » Celui qui  observera (les commandements) et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux » (Mt 5,19). « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 7,21).      

Deuxième piège, pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. » L’avoir, le savoir, le pouvoir, peuvent être prétexte à domination ou à supériorité ; alors que cela peut aussi bien être vécu comme un merveilleux moyen de servir les autres : encore ne faudrait-il jamais oublier que tout ce que nous possédons nous est seulement confié comme une responsabilité à exercer au bénéfice de tous. Il y a pire encore, c’est d’asseoir son autorité sur un soi-disant « droit divin » : les religions n’y échappent pas toujours, les pouvoirs politiques non plus ; et c’est la source de combien de conflits sanglants.

IL N’Y A QU’UN SEUL MAÎTRE

Troisième piège, vouloir paraître : « Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères1 et rallongent leurs franges. » Qui n’est jamais tombé dans ce travers d’aimer paraître, d’attirer sur soi la considération et l’intérêt ? Et pourtant, peu importe le nom du prédicateur (ou du théologien, ou du bibliste) : pourvu que, à travers ses paroles, l’auditoire ait entendu la Parole de Dieu.

Quatrième piège, se croire important, avoir le goût des honneurs : « Ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi ». Pourtant, les titres, les décorations gardent un sens : mais ce n’est pas la personne titrée ou décorée qui est en jeu, ce sont plus profondément les valeurs qu’elle représente. Il faut être très humble pour porter sans ridicule les honneurs dûs à son rang.

Après cette énumération, le texte se retourne : « Pour vous » dit Jésus ; c’est la clé de ce texte qui nous invite à un nouveau mode de vie et de relation. Matthieu le rapporte un peu plus haut : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mt 20,25-28).

« Ne vous faites pas donner le titre de Rabbi… ne donnez à personne sur terre le nom de père… ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres ». « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » dit Paul (1 Co 4,7) : tout maître est d’abord un écolier. Tout enseignant est d’abord un serviteur, et même doublement serviteur : serviteur de la vérité, serviteur de ses élèves, de leur cheminement, de leur maturation. Voici, encore une fois, dans les paroles de Jésus, un appel à la liberté : que ceux qui portent un titre ne prennent pas les honneurs pour eux et se comportent en serviteurs ; que ceux qui n’en portent pas ne tombent pas dans la servilité ou la courtisanerie ! 

« Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux ». On peut, bien sûr, continuer à employer les titres de père et de maître, mais en leur donnant leur vrai sens et pas davantage ! « Abbé » venait de « Abba » ; « Père », « Pope », « Pape » sonnent comme « Papa » : au fond, c’est la même chose ! Ceux à qui nous donnons ces noms-là sont parmi nous le rappel vivant que nous n’avons qu’un seul et unique « Père » qui est dans les cieux.

Jésus termine en disant : « Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé ». Nous ne sommes pas dans le registre de la récompense ou de la punition. Il ne s’agit pas non plus de prendre plaisir à s’humilier. Beaucoup plus profondément, il y a là une des grandes lois de la vie : la force de l’humilité. Dans le mot « humilité », il y a « humus » (terre). Le secret c’est d’être assez lucide pour se reconnaître petit, à ras de terre ; et alors on est tout étonné de se nourrir des richesses de nos frères et de la grâce de Dieu.

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Note

1 – Les phylactères (tefilines en hébreu) sont ces deux petits cubes de cuir noir que les Juifs portent l’un sur le front, l’autre sur le bras gauche à hauteur du cœur. Ils contiennent quatre passages de la Torah : Ex 13,1-10 ; Ex 13,11-16 ; Dt 6,4-9 ; Dt 11,13-21.

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